Marilyn et l'ange turfiste - Guy Adrian - E-Book

Marilyn et l'ange turfiste E-Book

Guy Adrian

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Beschreibung

Voyage dans l'espace et dans le temps pour sauver l'humanité.

Un ange qui trinque avec les humains depuis 2000 ans. Le courroux divin. Des paris hippiques. Une Marilyn qui tombe du ciel pour sauver l'humanité. Saint-Jean qui préfèrerait une bonne apocalypse pour régler la question.

Ce roman d’anticipation foisonnant et complètement déjanté nous donne à voir l’humanité, son possible avenir, ses travers et ses démons, le tout avec beaucoup d’humour.
Ça tergiverse, ça s’énerve, ça explose… L'ange Théo nous invite dans un joyeux foutoir, de Saint-Denis à la planète K69.

Un roman de science-fiction qui allie un humour décapant à une réelle rigueur scientifique !

EXTRAIT

Vêtu uniquement d’un bermuda à fleurs, son gros ventre rougeoyant sous le soleil de midi, chapeau de paille sur la tête, Théophile, dit Théo pour les dames et ses amis, se prélassait dans une chaise longue en sirotant un apéritif anisé bien glacé. Il soupira de satisfaction. Au bout de la verte pelouse devant lui coulait avec un doux clapotis une fraîche rivière bordée de palmiers. À portée de main, il avait une boîte de loukoums et de belles dattes dodues dans un petit panier, il s’en lança deux dans la bouche, les mâcha voluptueusement, les avala après avoir craché les noyaux puis émit un petit rot de satisfaction. Ah, quel bonheur d’être là ! Une danseuse orientale s’approcha, son tambourin à la main, vêtue de voiles transparents ; de longs cheveux noirs bouclés encadraient son beau visage ovale et ses grands yeux noirs étaient semblables à des perles d’onyx. Elle s’inclina vers Théo en souriant :
« Veux-tu me voir danser mon bel Ange ? »

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Au-delà de l'absurde, Guy Adrian pointe du doigt de vrais enjeux de société tels que la place des personnes âgées, le chômage, la précarité, le désengagement de l'état dans les banlieues, la robotisation, le transhumanisme... Des sujets développés avec précision, souvent avec humour et toujours sans concession. -  ItARTBag

Une histoire bien sympathique d’un vieil ange qui glandouille, picole et végète gentiment à Paris depuis des siècles, avant qu’un ange, qui ressemble à Marylin Monroe, ne débarque pour faire un stage de formation. Mais le formateur n’est pas celui auquel on pense… Chouette livre. - ToutMa.fr

À PROPOS DE L'AUTEUR

Tout d’abord destiné à exercer le métier de professeur des collèges mais devenu enseignant-chercheur, Guy Adrian a poursuivi une carrière dans l’industrie pharmaceutique en tant que directeur de recherche, puis consultant en parcourant notre vaste monde. Après une retraite précoce, il s’est lancé dans la peinture figurative puis dans l’écriture de techno-thrillers. Résidant à Lyon, il essaye d’appliquer le précepte d’un célèbre lyonnais d’adoption : « Fais ce que voudras ! ».
Marilyn et l’ange turfiste est son deuxième roman.

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GUY ADRIAN

Marilyn

et l’ange turfiste

Ces pages racontent une histoire vraisemblable qui, toutefois, ne pourrait jamais se produire dans la réalité. Elles décrivent en effet des personnages inspirés de notre culture traditionnelle venus sur Terre partager notre vie quotidienne. En revanche, les données scientifiques évoquées sont bien réelles ou en train de se réaliser. Toute ressemblance avec des individus, des lieux ou des situations serait le fait du hasard, l’auteur ne pourrait être tenu pour responsable.

Remerciements

Je remercie tout particulièrement Sabrina Grimaldi, mon éditrice et toute l’équipe, Marie-Françoise Pierre-Lobry, Cindy Renaud et Alex, Vivien Henryon, Florence et Jean-Claude Calisch, William Adrian et tous ceux qui ont concouru à la réalisation de ce livre.

« La chose la plus incompréhensible de l’univers est qu’il soit compréhensible. »

–Albert Einstein

I

Vêtu uniquement d’un bermuda à fleurs, son gros ventre rougeoyant sous le soleil de midi, chapeau de paille sur la tête, Théophile, dit Théo pour les dames et ses amis, se prélassait dans une chaise longue en sirotant un apéritif anisé bien glacé. Il soupira de satisfaction. Au bout de la verte pelouse devant lui coulait avec un doux clapotis une fraîche rivière bordée de palmiers. À portée de main, il avait une boîte de loukoums et de belles dattes dodues dans un petit panier, il s’en lança deux dans la bouche, les mâcha voluptueusement, les avala après avoir craché les noyaux puis émit un petit rot de satisfaction. Ah, quel bonheur d’être là ! Une danseuse orientale s’approcha, son tambourin à la main, vêtue de voiles transparents ; de longs cheveux noirs bouclés encadraient son beau visage ovale et ses grands yeux noirs étaient semblables à des perles d’onyx. Elle s’inclina vers Théo en souriant :

« Veux-tu me voir danser mon bel Ange ? »

Sur un signe de la main approbateur, elle entama une danse lascive rythmée par les frappes de sa main sur la peau du tambourin et les cliquetis de ses bracelets d’or. Théo ferma les yeux un instant.

Mais une voix forte le réveilla brusquement : « Alors, mon frère, tu profites ? Hein, notre Paradis à nous, Musulmans, c’est autre chose que le vôtre qui ressemble à un camp de prisonniers ! »

Le charme fut rompu. Le perturbateur était Momo, un travailleur algérien que Théo avait connu jadis à Paris. Le joyeux lascar venait d’arriver, en pleine forme après son petit déjeuner et une nuit passée aux jeux de l’amour avec les deux belles gazelles accrochées à ses bras, toutes deux distinguées membres de l’équipe des soixante-douze vierges mises à la disposition du vaillant Momo, pensionnaire à temps plein du Paradis musulman de la planète K69.

Théo, lui, n’était que de passage pour une journée, invité par Momo et ses amis chibanis, tous retraités de la régie Renault. Après des vies terrestres passées à monter des voitures à la chaîne, une fois morts, ils étaient partis pour ce Paradis dont ils profitaient pleinement.

D’autres jolies jeunes femmes vinrent installer des nappes et préparer un pique-nique. Les yeux de Théo allaient de l’une à l’autre, essayant de capter les formes voluptueuses de ces houris sous leurs robes diaphanes. Momo l’interpella :

« Ha, mon frère, on peut dire que toi, c’est juste le plaisir des yeux !

–Hélas, je ne peux pas plus, répondit Théo, mais j’aimerais bien pouvoir faire comme vous…

–Demande à ton chef, là-haut, pour changer ! Tu fais les prières, on te coupe un petit bout de peau, et hop, tu viens chez nous ! »

Momo suggérait ainsi à Théo de se convertir à l’Islam pour profiter des avantages, ô combien supérieurs de cet Éden. Mais hélas, Théo était Ange depuis deux mille ans, employé au Bureau du Paradis Catholique, sous la férule de Saint-Pierre, avec qui on ne rigolait pas tous les jours.

Au même moment une vibration dans sa poche ramena Théo à la réalité. C’était son télépager qui affichait un message comminatoire : il devait rentrer immédiatement dans son Paradis P n° 1, le plus ancien des sept Paradis installés sur la Planète Kepler 6969x, plus simplement nommée K69, située à environ quatre années-lumière du Soleil. Cette planète de la constellation du Centaure, dix fois grosse comme la Terre, était rocheuse, pourvue d’atmosphère, d’oxygène, d’eau en abondance et d’un climat propice. Elle avait été choisie dans les temps anciens comme première base de peuplement de la Voie Lactée, un million cinq cent mille ans avant la planète bleue.

II

Après avoir remercié chaleureusement son ami Momo et toute sa bande, Théo monta dans une navette-taxi à destination de la plate-forme d’embarquement pour P1, et tous les continents et satellites de K69. À travers le large pare-brise panoramique de son véhicule climatisé, il admirait le paysage de prairies vertes, de jardins suspendus, d’ensembles de villas cossues, de palais magnifiques et de minarets de mosquées rutilants. Il se dit que P2, le Paradis musulman était, des sept résidences éternelles de K69, le meilleur et le plus bel endroit, l’argent du pétrole et des monarchies du Golfe y avait bien aidé depuis un siècle ! En tout cas, l’idée des concepteurs de séparer les Paradis en fonction des religions et croyances était excellente, car avec l’éveil de la pensée et l’arrivée de cultes destinés à honorer les morts, depuis Cro-Magnon, c’était la bagarre sur Terre, à savoir quel Dieu était le plus performant, le plus digne de respect et surtout d’offrandes et de biens matériels pour son clergé. L’arrivée des religions monothéistes dans le monde antique avait inauguré l’ère des grands massacres au nom des cultes. Théo lui-même avait été créé en l’an 40 après Jésus-Christ avec un grand nombre d’anges, afin de récupérer les âmes des premiers chrétiens massacrés dans tout l’Orient. Comme pauvre angelot novice, il avait dû patauger dans les cloaques du Colisée de Rome au milieu du sang et des tripes pour en extirper les âmes perdues. Quels tristes débuts ! Pas besoin d’aller faire un tour chez le psychiatre viennois Sigmund Freud, pour comprendre l’envie de Théo d’aller se saouler dans les bouges ou de vouloir contempler de plus beaux spectacles, en particulier du genre féminin terrestre !

Peu après, pour ne pas effrayer les pauvres Terriens obligés de subir les massacres et les enfers, il fut décidé de transférer les âmes sur K69 par téléportation quantique. Les âmes étaient l’expression du déterminisme de l’univers, attribuées dès la conception, elles régissaient le développement et le futur (le destin) des individus. Elles étaient en permanence scrutées, analysées et finalement récupérés sur Terre pour, sur K69, recréer ces ectoplasmes appelés Élus qui terminaient pour l’éternité, suivant leurs idées, dans le Paradis de leur choix, catholique, musulman, protestant, orthodoxe, juif, hindouiste et bouddhiste, sectes diverses et animistes. À tous ces élus, un atelier spécial redonnait une enveloppe corporelle correspondant à leurs désirs.

Les Irrécupérables, après d’interminables palabres, recours en grâce et cours d’appels diverses terminaient en Enfer. Théo, qui, vu ses tristes penchants avait pas mal copiné avec de jeunes démones très délurées, allait souvent en ce lieu maudit boire un verre car l’alcoolisme y était fortement encouragé et les barmaids peu vêtues. Les sévices et les tortures infernales ne l’avaient pas impressionné. Tout compte fait, ça n’était pas pire que dans les back-rooms des bars du Marais à Paris ou dans certaines boîtes S.M..

Arrivé au cosmodrome central, il attendait dans la salle d’embarquement sa navette pour P1 en se demandant encore quel pouvait bien être le motif pour cette convocation express, car son travail était organisé et planifié depuis très longtemps.

Théo était responsable de la collecte des âmes des défunts à Paris et sa banlieue. Dans tous les cimetières, églises, chapelles et funérariums, il avait placé des capteurs quantiques qui récoltaient les âmes à leur portée. Il suffisait de passer tous les mois, stocker et rapporter tout sur K69 pour décompte, vérification par le Bureau de P1 et recyclage. Pas trop compliqué ni fatigant. De la routine de fonctionnaire qui lui permettait ainsi de résider l’essentiel de son temps à Paris, ville des plaisirs divers et variés. En particulier, au lieu de la nourriture insipide et peu variée servie à P1 et arrosée d’eau claire, il pouvait à Paris faire des repas goûteux et copieux, agrémentés de vins du terroir dont il était devenu connaisseur. Il avait ses habitudes dans une dizaine de petits restaurants à prix doux. Le problème était qu’avec son budget serré, il lui fallait rogner sur tout. Pour pouvoir dans la journée consommer en plus quelques boissons alcoolisées, il devait se contenter pour ses nuits d’appartements et d’hôtels de troisième catégorie, fréquentés par des gens louches et des dames, dont les ébats tarifés et bruyants, l’empêchaient de dormir.

Les rouspétances de Théo auprès des comptables de P1 pour augmenter son budget restaient sans effet. On lui disait que les subventions données par les fidèles sur Terre étaient en baisse et que tout le monde devait se serrer la ceinture. Comme les bonnes nourritures terrestres avaient beaucoup fait grossir notre pauvre Ange, les petits bureaucrates farceurs montraient du doigt sa taille en rigolant et lui disaient qu’il avait de la réserve !

« Petits morveux, s’énervait Théo, allez sur le terrain avec moi, comme je l’ai fait pendant vingt siècles et vous verrez ! Par exemple à Verdun en 1916, cinq cent mille morts ! Je devais courir dans les trous d’obus pour retrouver les corps ensevelis. Alors, à mon âge, j’ai bien le droit de manger et de boire un petit coup ! »

Les gamins en face de lui s’en foutaient. Comme dans toutes les administrations, le râleur a toujours tort et le bureaucrate, toujours raison. Le souvenir d’une vieille affaire poussait Théo à croire qu’il n’était pas en odeur de sainteté à P1.

III

Entre les deux guerres, à Paris déjà, Théo se laissait emporter par le tourbillon des Années folles et dans son quartier des Halles où il résidait, il y avait plus de dames de petite vertu que de marchands de fromages et de légumes. À chaque proposition galante : « Tu viens chéri ? », agrémentée du catalogue de prestations variées et tarifées, il devait s’esquiver… Puisqu’il n’avait pas de sexe… Exaspéré et frustré, il lança sur P1 une pétition demandant que les anges en mission sur les planètes habitées aient le choix d’un sexe en état de fonctionner. Ce fut un tollé en haut lieu ! Théo crut habile de rechercher l’appui d’Augustin d’Hippone (354-430), le distingué Père de l’Église qu’il avait connu à l’époque et à qui il avait rendu de menus services. Marié pendant treize ans, Augustin, dans ses célèbres Confessions racontait : « À Carthage, partout autour de moi bouillonnait à grand fracas la chaudière des amours honteuses… » Théo, émoustillé, espérait un soutien, mais Augustin lui dit qu’avec l’âge, « il percevait le désir sexuel comme une force qui tire la nature humaine vers le bas ».

« Rien à attendre de ce gaga, se dit Théo, moi ça me tire plutôt vers le haut ! »

Mathieu s’en mêla, ruinant les espoirs de Théo en se citant lui-même (22-30) : « Jésus affirma que les Hommes et les Femmes ressuscités ne se donnent pas en mariage, mais comme pour les “Anges dans le Ciel”, on déduit qu’il n’y a pas de mariages entre les créatures célestes, car rien n’indique qu’il existe chez eux une distinction mâle-femelle ». Théo objecta : « Vous parlez “des Anges dans le Ciel”, mais les “Anges sur Terre”, par exemple, vous êtes sûr qu’il ne s’est rien passé entre Gabriel et Marie lors de l’Annonciation ? » Théo était content de mettre en cause ce fayot d’Archange Gabriel, beau, grand et blond dont il était, lui gros et brun, secrètement jaloux !

Cette outrecuidance resta sans réponse mais provoqua l’ire des membres du Conseil de P1. Certains regrettèrent la fin du Tribunal de l’Inquisition et du bras séculier chargé, au temps jadis, d’expédier ce genre de trublion dans les geôles bien profondes ou au bûcher. Plus modérément, Théo fut rétrogradé du niveau Ange de 4e classe à la 6e classe (la plus basse) et ses frais de déplacements encore réduits.

IV

Théo fut renvoyé à Paris, il améliora son ordinaire par de petits boulots d’écrivain public et de rédacteur de faire-part. Pendant la 2e Guerre Mondiale, il se spécialisa dans la confection de cartes d’alimentation et de faux Ausweistrès appréciés. À la Libération, il revint à ses occupations de collecteur d’âmes et tous les cinq ans il changeait de quartier. Puis, il s’exila pour payer moins cher dans les lointaines banlieues où il était un parfait anonyme. En effet, il ne pouvait pas rester longtemps au même endroit, ses voisins et connaissances de bistrot auraient pu, au bout d’un certain temps, se poser des questions sur son âge réel et ses vraies fonctions. À chaque fois, les spécialistes de P1 modifiaient les traits de son visage, sa coiffure, sa stature et sa démarche. Avec une nouvelle identité, c’était reparti. Il faisait son boulot, à la longue, il lui semblait que ses chefs de P1 l’oubliaient un peu. Dans une banlieue du nord de Paris, année après année, l’augmentation des loyers avait repoussé toujours plus loin du centre les économiquement faibles, les chômeurs, les petits retraités et les salariés précaires, mais il s’y sentait bien, à sa place de petit ange anonyme. Profitant de cette tranquillité, il menait une existence de vieux sage et décida de rédiger ses mémoires sur les vingt siècles écoulés en mettant en lumière l’évolution de la Terre, des populations et des religions.

Ces soixante dernières années avaient été marquées par des progrès sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Ils avaient réussi, mais pas totalement, à améliorer le sort de l’homme : technologies de la communication, travaux industriels les plus pénibles effectués par des robots, progrès de la médecine. La production agricole avait augmenté de façon considérable, mais tous ne profitaient pas de ces progrès. L’environnement s’était dégradé, un quart de l’humanité avait faim et se logeait misérablement, le chômage était toujours présent. Les crises économiques se succédaient de façon cyclique, les ressources en combustibles fossiles baissaient globalement et un réchauffement climatique destructeur était annoncé pour 2050. Il n’était donc pas inutile de se dire : « Qu’avons-nous fait ? » Mais surtout, il était temps de se dire : « Qu’allons-nous faire ? »

Pour le bilan, il avait gardé des carnets décrivant ses aventures et toutes les péripéties qui lui étaient arrivées dans les siècles passés ; mais du mode narratif tirant de l’anecdote et du récit de voyage, il était passé à une introspection, avec des essais d’explications et de commentaires sur ses réflexions et lectures. Il s’était abonné à plusieurs bibliothèques et suivait assidûment les émissions de radio et de télé consacrées aux religions, à la cosmologie, aux sciences et à l’histoire. Surtout il voulait continuer à analyser la marche de ce nouveau siècle. Qu’allait-on faire de ces découvertes ? Les hommes bardés d’ordinateurs, écouteurs aux oreilles, smartphones en main, allaient-ils être en tous points meilleurs, puisqu’ils avaient accès à plus de connaissances ?

Petit à petit, il arrivait à éclaircir ses propres idées, à en tirer des tendances, et lui qui était coincé dans cette banlieue sans charme, tirait une jouissance secrète à penser que dans cinquante ou cent ans il pourrait se dire : « Tiens, ça je l’avais prévu ! » En toute modestie, bien sûr, car il savait que sur Terre, ses prédictions seraient, même au bistrot-PMU du coin, moquées par les poivrots accoudés au zinc. Quant à les rendre publiques, il n’avait pas accès aux médias, et ses cogitations, quel éditeur en voudrait ? Seuls les romans illisibles, les bavardages insanes des politiciens ou les hauts faits des people arrivaient à se faire publier, le plus souvent avec des ventes minables. Rien à voir avec les tirages massifs des ouvrages « porno-soft » mitonnés par des matrones anglo-saxonnes, annoncés comme des succès de librairie planétaires.

Théo s’amusait à penser que quelqu’un, plus tard, tomberait sur ses carnets et en ferait un livre, ou une série télé, enfin un divertissement à la mode d’un futur lointain, ou bien ce quidam les mettrait à la poubelle, les humains ayant cessé de lire depuis longtemps !

V

À l’arrivée du troisième millénaire, Théo sentit confusément que son environnement changeait. En ce début de siècle lui, le vieux briscard, qui au cours des deux mille années écoulées en avait vu de toutes les couleurs (empires, royaumes, républiques avec guerres, invasions, conflits religieux, famines et épidémies), savait qu’il y avait aussi des périodes de répit où l’on pouvait se reposer un peu, se laisser aller, partir à la découverte de beaux paysages, d’œuvres d’artistes ou d’écrivains. Et aussi manger à sa faim et boire un peu plus que de raison en se faisant de nouveaux amis, tout cela dans un cadre naturel, modeste et agréable comme le disait si bien Lucrèce, dans son De rerum natura (II, 27-31)1 :

« Si la maison n’est pas ruisselante d’argent ni reluisante d’or, si les lambris dorés ne résonnent du son de la moindre cithare eh bien ! Sur l’herbe tendre, allongés entre soi, sur le bord d’un ruisseau, à l’ombre d’un grand arbre faire du bien au corps ne coûte pas grand-chose… »

Cette douceur de vivre, qui rendait la Terre et son Paradis adoré si agréables, s’était enfuie très loin et les traits dominants de ce nouveau siècle semblaient pour Théo, être devenus violence, matérialisme et repli sur soi.

Dans son logement social de Saint-Denis, Théo vivait ces problèmes quotidiens. Jusqu’aux années 2000, il avait côtoyé à Paris des étrangers de toutes origines, arrivés en vagues successives, tous voulaient vite travailler, parler français et se fondre dans la société de l’époque.

Terminé ! Maintenant, les arrivants restaient entre eux, en communautés, annexaient des quartiers, ouvraient leurs commerces, boutiques et autres pour vivre comme là-bas en faisant la fête, joyeux et décontractés. S’ils avaient envie de danser et de jouer du tam-tam à 3 heures du matin, pourquoi pas ? De toute façon, le lendemain ils ne travaillaient pas, d’ailleurs à quoi bon travailler puisque les subventions étaient égales au salaire minimum ? Théo qui constatait, se disait en rigolant que pas mal d’entre eux, quand ils arriveraient à P1, seraient déçus. À bien des égards, c’était moins agréable que sur Terre. Nourriture insipide à perpétuité et finis les ébats sexuels. Bien fait pour ses voisins qui après le tam-tam faisaient grincer leur lit pendant des heures !

Si le travail était devenu une activité erratique et subsidiaire, gagner de l’argent – pour les voisins de Théo : « faire des thunes » – restait la préoccupation majeure, voire exclusive. Combien ? Le plus possible, et par tous les moyens… Pour en faire quoi ? Se nourrir, de préférence au restaurant, porter de beaux vêtements et acheter beaucoup d’électroménager avec une grande télé et surtout une belle voiture, allemande si possible, plus une grosse moto faisant beaucoup de bruit. Vu les sommes très élevées nécessaires, les petits subsides officiels ne risquaient pas de leur suffire, alors à eux le business et la débrouille !

« Bah, se disait Théo en voyant de sa fenêtre le trafic des voitures qui s’arrêtaient, vitres ouvertes, et les petits paquets échangés contre des billets, le boss là-haut se débrouillera une fois de plus pour séparer le bon grain de l’ivraie ! » En fait, Théo se distrayait au spectacle des activités de quelques-uns de ses exotiques voisins, toujours prêts à lui faire partager une boisson ou un plat de chez eux. Quant à leur façon de gagner les sous, il savait que, venus d’un lointain pays de misère, ils se donnaient un peu de bon temps quand ils le pouvaient, toujours ça de pris !

En revanche, la lecture de la presse économique et les informations sur la finance mondiale l’énervaient grandement car rien ne changeait. Si les piliers de la société s’effritaient en ce début du xxie siècle, le Veau d’Or, lui, restait fièrement debout, adoré par tous ceux, qui, non contents de s’enrichir énormément, ce qui peut être normal si on travaille beaucoup, mais plus souvent bien au-delà, en détournant à leur profit les flots d’argent créés par les Banques Centrales. À chaque crise financière mondiale, il fallait bien renflouer les spéculateurs imprudents, n’est-ce pas ? Mais était-ce vraiment normal d’arnaquer des innocents avec de bonnes blagues, genre : « Vous voulez une maison, cher immigré sans argent, sans travail, pas de soucis ! On vous la donne, signez là pour les trente ans de crédit ». Cette dette ne vaut rien, pas de problème, on en fait des paquets que l’on revend plusieurs fois, et passez muscade. Si on manque d’idées, on peut aussi s’enrichir gentiment en spéculant sur le pétrole, le blé, le riz ou le cacao, tant pis pour les producteurs et les consommateurs, ce n’est pas notre problème. Banquiers, traders, enrichissez-vous ! Pour aller plus vite, faites du trading en nanosecondes, les nouveaux ordinateurs quantiques vous y aideront. Avec cinq cents qubit2, vous maîtrisez toute la finance de tous les pays du monde, allez-y pour voir ! Une fois assis sur vos paquets de milliards, s’il vous reste un peu de conscience, annoncez que vous allez donner une partie de vos sous à une ONG, ou mieux à une fondation qui célébrera à jamais votre nom. Intéressez-vous à l’environnement, aux problèmes climatiques, au triste sort des ours polaires et surtout qu’on parle de vous ! Puisque vous vous prenez pour des dieux, rejoignez ceux qui veulent être immortels, scannez vos cerveaux dans des ordinateurs, maintenez vos corps en vie, oubliez la vieillesse devenez Transhumains, cyborgs. Tout vous est permis pour l’instant !

Théo sentait bien que cela ne durerait pas très longtemps : « À votre mort, j’irai en douce, porter vos âmes chez les Bouddhistes, comme ça vous vous réincarnerez en chat, chien ou singe pendant quelques millions d’années, ça vous fera du bien ! »

Ce qui désolait le plus Théo, c’était l’isolement et le rejet des autres. Ça commençait dans son immeuble. Pour ne pas avoir d’ennuis avec les loubards qui squattaient l’entrée, musique à fond, clope au bec et canette à la main, il s’était composé, avec l’aide des spécialistes de P1, un look de « Vieux Gaulois ». Cheveux gris, nez turgescent, couperose, bedaine confortable, vêtements propres mais usés, jamais plus de 20 euros en poche. Pas de quoi exciter la convoitise des bandes qui sévissaient entre sa résidence et la station de RER. Dans les couloirs et escaliers de son immeuble, en croisant les voisins, finis les papotages sur la météo et les petits riens de la vie. Au mieux, c’était un bonjour bref et dans l’ascenseur : « Quel étage ? » Les portes, claquées au nez, étaient la règle, et pas question pour un vieux de rentrer en priorité dans le bus ou le métro ! Non, bousculé, voire rejeté en cas d’affluence. Croire que quelqu’un allait lui céder sa place assise relevait du rêve ! Tous les assis gardaient leur regard fixé sur les écrans de leurs smartphones et tablettes en agitant leurs doigts pour envoyer des SMS importants, genre : « Là, j’suis dans le métro. » Ou faire s’agiter des bestioles colorées sur l’écran d’un jeu débile. Quant à leur demander : « Pourriez-vous me céder votre place ? », les casques audio vissés sur les oreilles, son à fond, ne permettaient pas aux bruits et paroles extérieurs d’être transmis à leur cerveau.

Théo se disait que sur Terre, l’arrivée des technologies ou idées nouvelles avait de tout temps créé des excès, mais là, tous ces zombies émettant des musiques bizarres ou parlant seuls, ça devenait critique ! Heureusement, sur P1, la communication d’un Paradis à l’autre se faisait par des pagers discrets et au Bureau Central on se parlait, car cris et engueulades étaient proscrits. Tout le staff communiquait avec les Élus et les anges mineurs comme Théo, par télépathie. « C’est quand même plus reposant ici, » se disait-il en regardant les couloirs immaculés autour de lui, et puis, pas de risque de se faire piquer son porte-monnaie ! L’insécurité permanente sur Terre, c’est ce qui inquiétait Théo. Bien sûr, tire-laines et coupe-jarrets avaient sévi de tout temps. C’étaient des professionnels qui subtilisaient les bourses des riches marchands souvent ébahis et immobiles, captés par les facéties d’un complice du voleur, mais il n’y avait pas de violence aveugle et gratuite, comme à présent. Récemment, dans le métro, sur le quai, il avait vu une vieille dame se faire précipiter à terre, son agresseur avait brandi le collier arraché au cou de la victime et s’était enfui. Théo avait appelé les secours. La dame de 86 ans avait la jambe cassée et était très affaiblie, deux semaines plus tard, elle décédait à l’hôpital où il récupéra cette pauvre âme.

1 Traduction de Bernard Pautrat, Libraire Générale Française, 2012.

2 Qubit : unité de stockage de l’information quantique constituée d’une superposition quantique linéaire de deux états de base.

VI

Devant Théo, l’écran qui affichait les destinations annonça un départ de navette pour Astrana, la « Lune » de K69. Ce