460 morts et des mouches - Guy Adrian - E-Book

460 morts et des mouches E-Book

Guy Adrian

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Beschreibung

Un crime sanglant dans une résidence paisible, une joyeuse bande de retraités à la gouaille ravageuse, des jeux sexuels dangereux, les prémices d’une épidémie mondiale sur fond de rites satanistes et de délires amnésiques. Et des mouches. Beaucoup de mouches. Partout. Tout le temps.
Bienvenue à la Résidence des Ormes d’Oullins, théâtre morbide du meurtre d’Hervé Chaliez. Crime crapuleux ou crime passionnel ? Qui pouvait en vouloir au riche pharmacien de 71 ans ? Embarquez pour un jeu de piste déroutant et foisonnant, au gré du vrombissement des mouches.

EXTRAIT

Une heure plus tard, fatigués par cette étouffante journée d’été, qui, de plus ne se terminait pas beaucoup d’agitation Alain et Christian, voisins de palier au troisième étage de la Résidence des Ormes, échangeaient d’un balcon à l’autre leurs commentaires sur les événements en cours. Tout d’abord, à propos de cette chaleur torride depuis vingt jours, ce qui n’avait jamais été observé à Lyon depuis leur arrivée sur terre, c’est-à-dire pendant soixante-dix ans. Ils étaient conscrits, et, depuis l’école communale ne s’étaient jamais vraiment perdus de vue. À présent, à la retraite, ils avaient acheté deux appartements mitoyens dans cette résidence haut-de-gamme. Le quartier était réputé tranquille, bien fréquenté, proche des commerces du centre-ville et à cinq minutes à pied de leur Bar-tabac-PMU-Loto préféré, à mi-chemin du stade-boulodrome fief de la « Joyeuse Boule Oullinoise » dont ils étaient Vice-Président (Christian) et Trésorier (Alain). Attention, on parle ici du « Vrai jeu de boules », celui des Gones, pas le jeu petit bras des « kékés » du Midi ou des campings Les Flots Bleus ! Non, le vrai sport des hommes natifs de Lyon et de la Croix-Rousse !
Accoudés à leurs balcons respectifs, ces deux vaillants sportifs contemplaient à leurs pieds un spectacle tout à fait insolite : rangés le long du trottoir, devant l’entrée principale de l’immeuble, dans l’ordre d’arrivée, on voyait un camion de pompier gyrophares allumés, une ambulance de secours d’urgence et deux voitures de police. Deux pompiers et policiers étaient en faction, un responsable parlait dans sa radio et dans l’ambulance, le personnel s’affairait. Toute une bande de voisins et de gamins à trottinette ou vélo était rassemblée. On échangeait et commentait, les smartphones étaient sortis, on diffusait la nouvelle en l’illustrant de selfies montrant l’ambulance en arrière-plan, tout en se bousculant pour mieux voir qu’il n’y avait rien à voir !

À PROPOS DE L'AUTEUR

Tout d’abord destiné à exercer le métier de professeur des collèges, mais devenu enseignant-chercheur ; formé en chimie organique, en biologie et en pharmacologie, Guy Adrian a poursuivi une carrière dans l’industrie pharmaceutique en tant que directeur de recherche, puis consultant en parcourant notre vaste monde. Après une retraite précoce, il s’est lancé dans la peinture fi gurative puis dans l’écriture de techno- thrillers. Résidant à Lyon, il essaye d’appliquer le précepte d’un célèbre lyonnais d’adoption : « Fais ce que voudras ! ». 460 morts et des mouches est son troisième roman.

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Guy Adrian

46O morts et des mouches

Avertissement

« Quatre cent soixante morts et des mouches » est un ouvrage de fiction. Toute ressemblance avec des lieux, des situations ou des personnes serait le fait du hasard, l’auteur ne pourrait en être tenu responsable.

« Les bons écrivains touchent souvent la vie du doigt. Les audacieux la violent et l’abandonnent aux mouches. »

–Ray Bradbury (Fahrenheit 451)

Chapitre I

À la fin de son premier cours de l’année en classe de Terminale S1, Mathieu Charliez bavardait avec deux élèves à propos de leur programme de Science de la Vie. Ces deux garçons espéraient, après leur Bac, s’inscrire en 1er année de Médecine. À partir du programme, ils souhaitaient approfondir leurs connaissances en biologie moléculaire, Mathieu, en bon prof agrégé, passionné par ce domaine leur conseilla deux ouvrages. Après l’avoir remercié, les deux jeunes hommes filèrent en se bousculant. Mathieu passa en salle des Professeurs pour récupérer quelques messages et tracts syndicaux, puis il se mit en route pour la Résidence des Ormes où habitait son père. C’était un petit détour sur le chemin du studio de célibataire qu’il louait dans un immeuble neuf au centre de Saint-Genis-Laval en banlieue lyonnaise. Depuis cinq ans, Mathieu était professeur au lycée Saint-Luc, divorcé, il menait une existence calme partagée entre cours, préparations, corrections et le sport dans une salle de fitness ou lors de séances de running par beau temps avec une bande de copains.

Sacoche sous le bras, il marchait d’un bon pas et commençait à transpirer, bien que vêtu d’une chemisette de sport et d’un pantalon de toile. Il était nu-pieds dans des mocassins légers. En cette fin d’après-midi, la température dépassait encore trente degrés, avec un ciel clair comme ça avait été le cas tous les jours durant les trois semaines écoulées. On ne pouvait pas parler de canicule car les nuits étaient assez fraîches, mais on souffrait dans la journée. Son père, Hervé, dans son appartement se plaignait de cette chaleur permanente et lui avait demandé de passer choisir avec lui, sur Internet, un climatiseur mobile. Retraité, veuf, Hervé depuis trois ans connaissait des problèmes de santé, il n’était plus très mobile et une auxiliaire de vie l’aidait au quotidien. Ce terme au lieu de « femme de ménage » agaçait un peu Mathieu, il se disait que notre époque aimait les euphémismes et les langues de bois. Évidemment « auxiliaire » était plus chic que « bonniche » et dans le cas d’Hervé il aurait fallu plutôt dire « auxiliaire plus affinité », car la dame Leïla, était devenue la maîtresse de son père. Tout en marchant, Mathieu termina cette évocation par une phrase d’un sketch des Inconnus : « Tout à fait, Mathieu, mais ça ne te regarde pas ! » En effet, à 71 ans, son père avait bien le droit de faire ce qu’il voulait !

Arrivé devant la résidence des Ormes, il ouvrit le portail et regarda la façade encore inondée de soleil, tous les volets étaient fermés et sur les terrasses, les stores étaient baissés au maximum. Mathieu entra et monta au 2e étage par l’escalier. Tout exercice était bon, car il avait pris du poids et les vacances scolaires passées dans le Périgord n’avaient rien arrangé. Il sonna, mais n’entendit aucun bruit dans l’appartement, après une minute, il sortit sa clef, ouvrit la porte blindée et entra. Un bruissement se fit autour de lui, dans l’obscurité du vestibule ; c’était une nuée de mouches noires. Il agita ses bras, alluma et se dirigea vers la chambre de son père où il entrevoyait, à travers le tourbillon d’insectes une lumière diffuse. Devant lui, il agita sa serviette tout en appelant : « Papa ? » Le bourdonnement des mouches se fit plus fort, en deux pas il arriva à la porte, son père était sur le lit, nu, couché sur le dos, jambes écartées, ses yeux ouverts fixant le plafond. Son visage était rouge, comme déformé et ses mains étaient posées sur son bas-ventre. Là, beaucoup de sang avait coulé sur le lit, et, dessus des milliers de mouches noires tournoyaient en vol épais et venaient se poser comme un voile vivant qui montait et descendait en tourbillonnant. De chaque côté, à la tête du lit, il y avait des chandeliers où des grosses bougies avaient coulé, il n’en restait qu’une encore allumée. L’odeur était lourde et forte : celle du sang et d’un parfum puissant. Il s’approcha prudemment, toucha l’épaule, déjà rigide et froide, ferma les yeux de son père mort, sortit et ferma la porte. Paniqué, il fonça dans la cuisine s’empara du plus grand des couteaux puis fit le tour de l’appartement. Il n’y avait aucun désordre, tout était en place, il finit par la chambre d’amis que Leïla occupait quand elle restait plusieurs jours de suite. Il la vit, sur le lit, en peignoir, avec aussi du sang au niveau du ventre. À côté d’elle il y avait une bouteille d’eau et quatre plaquettes vides de médicaments. Mathieu prit le pouls de Leïla, très faible et regarda ses yeux : elle vivait. Il appela les pompiers, puis le 112, en précisant bien les accès. On lui demanda de rester sur place et de ne rien toucher, les secours et la police allaient arriver. Hébété, il s’assit sur le coin du lit jusqu’au premier bruit de sirène.

Chapitre II

Une heure plus tard, fatigués par cette étouffante journée d’été, qui, de plus ne se terminait pas beaucoup d’agitation Alain et Christian, voisins de palier au troisième étage de la Résidence des Ormes, échangeaient d’un balcon à l’autre leurs commentaires sur les événements en cours. Tout d’abord, à propos de cette chaleur torride depuis vingt jours, ce qui n’avait jamais été observé à Lyon depuis leur arrivée sur terre, c’est-à-dire pendant soixante-dix ans. Ils étaient conscrits, et, depuis l’école communale ne s’étaient jamais vraiment perdus de vue. À présent, à la retraite, ils avaient acheté deux appartements mitoyens dans cette résidence haut-de-gamme. Le quartier était réputé tranquille, bien fréquenté, proche des commerces du centre-ville et à cinq minutes à pied de leur Bar-tabac-PMU-Loto préféré, à mi-chemin du stade-boulodrome fief de la « Joyeuse Boule Oullinoise » dont ils étaient Vice-Président (Christian) et Trésorier (Alain). Attention, on parle ici du « Vrai jeu de boules », celui des Gones, pas le jeu petit bras des « kékés » du Midi ou des campings Les Flots Bleus ! Non, le vrai sport des hommes natifs de Lyon et de la Croix-Rousse !

Accoudés à leurs balcons respectifs, ces deux vaillants sportifs contemplaient à leurs pieds un spectacle tout à fait insolite : rangés le long du trottoir, devant l’entrée principale de l’immeuble, dans l’ordre d’arrivée, on voyait un camion de pompier gyrophares allumés, une ambulance de secours d’urgence et deux voitures de police. Deux pompiers et policiers étaient en faction, un responsable parlait dans sa radio et dans l’ambulance, le personnel s’affairait. Toute une bande de voisins et de gamins à trottinette ou vélo était rassemblée. On échangeait et commentait, les smartphones étaient sortis, on diffusait la nouvelle en l’illustrant de selfies montrant l’ambulance en arrière-plan, tout en se bousculant pour mieux voir qu’il n’y avait rien à voir ! Sur un signal, de l’ambulance sortit un brancard monté sur roulettes manœuvré par deux hommes en blanc qui s’engouffrèrent dans l’immeuble. Le public se mit en mouvement et les éclairs de flashs fusèrent. Là-haut, Alain qui était le plus éloigné de la scène se penchait pour mieux voir, ce qui inquiéta Christian : « Toi, tu vas te faire un torticolis et tu ne pourras pas participer au tournoi après-demain ! Arrête donc de te pencher comme ça, pas la peine de te flanquer par terre, même s’il y a en bas tout ce qu’il faut pour t’emmener à l’hôpital. Viens chez moi, tu seras mieux placé pour voir et en plus, c’est l’heure de l’apéro, il n’y a pas de raison de se laisser périr de soif !

–J’arrive, j’amène des trucs à grignoter ! »

Quelques instants plus tard, Alain fit son entrée. C’était un grand gaillard un peu voûté aux cheveux gris encore abondants tirés en arrière. Il était vêtu d’un tee-shirt signé Suze récupéré il y avait très longtemps à l’arrière d’un camion publicitaire du Tour de France, d’un short flottant sur des jambes maigres boursouflées de varices et chaussées de vieilles savates. Il était porteur d’un sac Lidl rempli de boîtes qu’il aligna sur la table de jardin en plastique blanc décorée de sets en tissus de couleurs vives. Christian qui était en cuisine arriva avec une bouteille de pastis sous son bras, deux verres, une petite carafe d’eau et des glaçons.

« Comme d’habitude ?

–Oui, vas-y mollo sur la flotte. Tiens, goûte-moi ça, c’est des grattons1 que j’ai achetés ce matin chez Antoine, le charcutier du Point-du-Jour. J’ai pris aussi du sauce2, du boudin et des godiveaux.

–Ils sont bons, tes machins, juste avec le bon goût de gras comme on aime !

–Il n’y a pas que toi qui les aimes, mes grattons, regarde toutes ces mouches ! Mais d’où est-ce qu’elles sortent ? Il n’y en a jamais autant, de par ici. Allez, dégagez ! »

Alain s’agita et de ses grands bras remua l’air au-dessus des boîtes de charcuteries et de chips.

« Tiens, voilà ton pastis. Remets les couvercles sur les boîtes. Je ne sais pas ce qui se passe pour qu’on ait autant de mouches cette année, sûrement à cause de ce réchauffement climatique !

–Elles ont l’air d’être attirées par notre résidence, il y en a beaucoup moins en ville. On a fait le tour ici, avant-hier, il n’y a pas d’ordures qui traînent, le local poubelle est bien fermé et on y a vidé deux bombes d’insecticides.

–Elles viennent peut-être d’une ferme dans le coin ou d’une décharge ?

–Tu rigoles, la plus proche ferme est à 6 kilomètres et ils n’élèvent que des chèvres. Quant aux décharges, ça serait où ? Il n’y a aucune ordure. Le service hygiène de la mairie enquête maisrien…

–C’est une vraie nuisance, ces insectes, moi, je ne quitte pas ma tapette, j’en éclate par paquets, mais Martine m’engueule quand elles sont écrasées sur la télé ou les meubles. Je peux te dire que je ne les loupe pas, ces saloperies ! Tiens, regarde sur la table, plaf ! »

Christian asséna un coup rapide en sautant sur place. « Deux d’un coup ! » Fier de cet exploit, il se redressa, hilare. C’était un petit père rougeaud, court sur pattes, presque chauve, son maillot marcel rose layette était lâche sous les bras et pendouillait sur son gros ventre qui surmontait un bermuda à carreaux à peine retenu par une large ceinture. Aux pieds, il portait des rutilantes Nike bleues et blanches. Plus soigneux et soucieux de son apparence qu’Alain, en ex-commerçant plutôt nanti, il arborait deux colliers en or avec médailles et croix à son cou, une Rolex et une gourmette à son poignet gauche. Il affichait l’assurance de celui qui avait réussi grâce à ses deux restaurants bien revendus. Tout avait été réinvesti en appartements qu’il retapait et louait très cher. Ses tentatives pour entraîner Alain dans ses affaires immobilières avaient échoué. Celui-ci, ancien droguiste-marchand de couleurs n’avait aucune envie de se fatiguer. La retraite, ça n’était pas fait pour les soucis avec des locataires plus ou moins solvables et du travail en plus. Les boules, la bibine et la télé, ça suffisait bien !

Leurs épouses respectives Martine (Christian) et Marie-Claude (Alain) étaient très copines, elles aussi, et leur programme était de mener la vie dure à ces deux loustics, à leur avis, trop portés sur la boisson, les mâchons entre copains et les boules. Ces messieurs devaient s’occuper des corvées : courses, ménage, bricolage. Après cela, ils étaient priés de ne pas rester dans leurs jambes quand elles avaient envie de sortir « entre filles » et de se donner du bon temps. Pour l’instant, ces deux dames s’étaient évaporées dès l’arrivée des pompiers, pour tout savoir de l’événement en cours et alimenter leurs commérages futurs. En temps normal, rien dans la résidence n’échappait à leurs observations et commentaires : arrivée de nouveaux venus, situation sociale de chacun, coucheries éventuelles, fréquence des coïts, performances réelles ou supposées des mâles du secteur, comportement de la gent féminine, progéniture et naissances à venir, écoles fréquentées, nuisances et bruits causés par la marmaille, séances de fumette des ados désœuvrés, animaux en vadrouille, chiens excessivement aboyeurs, niveau sonore des télés. Tout était noté, la résidence était sous contrôle, elles savaient tout sur tout.

La porte de l’appartement de Christian et Martine fut ouverte et claquée violemment, ces dames rouges et échevelées entrèrent, essoufflées d’avoir grimpé l’escalier puisque les pompiers avaient bloqué l’ascenseur. Poitrines gonflées et tressautantes, boudinées dans leurs robes d’été, elles se dirigèrent vers le balcon tout en remarquant la bouteille et les charcuteries sur la table :

« Encore en train de picoler, ces deux arsouilles ! Vous n’aviez pas assez bu cet après-midi avec vos boit-sans-soif des boules ?

–Deux malheureuses bières chacun ! répliqua Christian à Martine. Avec une chaleur pareille, c’est pas de trop, tout le monde sait qu’il faut s’hydrater !

–C’est ça, parle-nous d’hygiène et de santé alors que le docteur dit que tu n’as droit qu’à un verre par jour avec ta tension et ton cholestérol…

–Ben, comme je fais du sport, j’ai droit à plus !

–Tu vas pas nous faire croire que tes boules c’est du sport avec deux-trois lancers par quart d’heure !

–Si, madame, c’est du sport : concentration, puissance, précision…

–Laisse tomber… Ça y est, elle sort ! »

Les quatre se précipitèrent vers la rambarde et se penchèrent pour voir passer une femme allongée sur le brancard, recouverte d’une couverture de survie dorée. Seule la tête auréolée de cheveux bruns frisés dépassait. Les soignants l’embarquèrent dans l’ambulance qui démarra en actionnant sirène et gyrophares. Les spectateurs photographiaient à tout va l’ambulance qui tourna au bout de la rue.

« Ils vont à l’hôpital Lyon-Sud, affirma Marie-Claude, c’est les urgences les plus proches, ils vont la mettre en réanimation.

–C’était bien la femme de ménage d’Hervé Charliez, le pharmacien du 2e, la Marocaine, Leïla ? s’enquit Alain.

–Oui, c’est elle, affirma Martine, j’ai discuté avec un des pompiers, le petit Bruno qu’on voit souvent au Fitness-club, cette Leïla y allait un temps, histoire d’aguicher les hommes plutôt que de s’entraîner. Là, elle aurait avalé des médicaments. C’est le fils Charliez, Mathieu qui l’a trouvée inconsciente à côté de son père, bien mort, lui, le pauvre !

–Ah bon, s’exclama Christian, l’Hervé est mort ? Le pauvre vieux, j’avais encore discuté hier avec lui, à propos de ces mouches. Il en savait un rayon sur les insectes, utiles ou pas et leur reproduction, mais il n’a pas pu me dire pourquoi on en avait autant depuis le début de l’été.

–Qu’est-ce qu’il lui est arrivé, s’enquit Alain, un infarctus ?

–Ça serait plutôt un crime, mais bizarre, genre sexuel !

–Un crime pour ça, c’était pourtant quelqu’un de calme, Hervé !

–Ouvre tes oreilles et fais marcher l’éponge à alcool qui te sert de cerveau, mon pauvre, asséna Martine, on te dit que c’est elle, l’arabe qui l’a tué, monsieur Hervé ! Peut-être bien aidée par l’autre, la voilée qui était venue trois-quatre fois le mois dernier. Je ne l’ai pas vue rentrer, ni sortir aujourd’hui, mais on sait jamais…

–J’y crois pas, affirma Christian, hier encore, je faisais ma sieste sur ce balcon, là, sous le parasol et j’ai été réveillé par des cris de femme en provenance du 2e, de chez Hervé. S’ils se battaient, c’était pour se faire du bien, c’était pas des cris de douleur, je peux vous dire, c’était cette Leïla, elle prenait son pied,elle…

–Qu’est-ce que tu nous racontes, vieux sagouin, avec ton “elle” ? T’insinuerais pas, là, que je n’y arrive pas, moi, quand tu veux bien faire ton boulot d’homme ? Et c’est pas souvent, vu que tu préfères boire des canons ou regarder ta fichue télé !

–Inutile d’étaler notre vie privée, bichette…

–Oh, ben, ça doit pas être bien brillant pour eux non plus, pas vrai Marie-Claude ?

–On peut le dire !

–Bon, mesdames, s’il n’y a plus rien à voir, plutôt que de s’engueuler pour des bêtises, il serait temps de passer à table !

–Sans nous, on va retourner aux informations. On se préparera une “boisson minceur” avant de se coucher. Ne nous attendez pas ! »

Les deux enquêtrices de choc repartirent à l’assaut des couloirs de la résidence pour s’informer de porte en porte et finirent au 2e étage, dans le couloir de l’appartement du drame pour observer les allées et venues des secours et des enquêteurs. Un frisson les saisit lorsqu’elles virent passer des techniciens de l’Identité Judiciaire revêtus de combinaisons jetables portant des valises métalliques.

« Ils vont prélever les ADN et tout ça, comme dans Les Experts, pour savoir s’il n’y a pas un complice dans cette histoire, ou un rôdeur qui aurait fait un sale coup en tuant monsieur Hervé et mis en scène le suicide de la pouffe !

–Moi je sens plutôt une histoire louche, cette Leïla ne devait pas se contenter du père Hervé qui était diminué par son handicap à la hanche, c’est sûrement un Jules à elle qui a voulu racketter le vieux ! Ça s’est mal passé, et, après elle a voulu faire croire à un suicide, mais le pompier m’a dit que d’après le médecin du SAMU, c’était pas des médicaments très dangereux qu’elle a avalé. Ils vont lui faire un lavage d’estomac, après les flics pourront l’interroger et on en saura plus ! avança Martine.

–Possible, en tout cas, ceux à qui j’ai demandé ne m’ont pas parlé d’étrangers dans la résidence ces temps-ci, en particulier, pas d’hommes de 30 à 50 ans qui auraient pu fricoter avec cette Leïla. Le seul à entrer chez monsieur Hervé a été son fils, Mathieu, le professeur du lycée Saint-Luc… Un garçon qui a l’air sérieux, il s’occupait bien de son père, depuis qu’il avait des problèmes de santé…

–Peut-être que le fils s’occupait aussi de la copine de son père, on ne sait jamais, avec crise de jalousie, et tout et tout !

–Mais c’est lui qui a appelé la police dès qu’il est arrivé. Je l’ai vu rentrer dans la résidence à 18h30, son heure habituelle, et les secours sont arrivés avant19h.

–Si c’est pas lui, ou quelqu’un de l’extérieur, alors c’est la fille qui a tué le vieux, mais je ne vois pas son intérêt à elle. Le père Hervé l’avait embauchée comme femme de ménage pour faire les courses, plus un peu de cuisine, genre auxiliaire de vie. Quand elle est arrivée, on voyait qu’elle traînait la misère : petites robes et manteaux de rien du tout, mais elle a su y faire en tortillant son gros cul. Après trois mois, je lui ai vu des nouveaux vêtements bien chers et des jolis bijoux. Elle s’est mise à conduire la 308 et lui, Hervé s’est racheté uneAudi…

–Sûr qu’elle a dû faire des heures supplémentaires à l’horizontale, à piailler des “Oh oui, vas-y, c’est bon, lèche-moi encore, ah ah ah…” »

–Marie-Claude mimait l’extase, yeux révulsés, voix rauque, ce qui fit glousser Martine.

« On les a bien entendus tout l’été, leur chambre est juste en dessous de la nôtre, avec cette chaleur, on laisse les fenêtres ouvertes derrière les volets, c’était une vraie bande-son de film X ! Même, des fois, ça a donné des idées à Christian, mais avec lui, il n’y avait pas de quoi réveiller le quartier : du bricolage de vieux picoleur mou du truc, je préfère encore mon petit canard !

–T’as raison, moi aussi ! »

Sur ces considérations érotico-policières, les deux copines descendirent l’escalier pour rejoindre les irréductibles badauds et recueillir les derniers potins.

1 Spécialité locale faite de tissus adipeux de porc, au goût de graisse rancie. Abject ou délicieux, à vous de juger !

2 Comprendre saucisson.

Chapitre III

Les deux mâles époux, livrés à eux-mêmes, au 3e étage étaient repassés de l’autre côté, chez Alain pour y griller sur une plancha des godiveaux3, tous frais, achetés chez Antoine, qu’ils mangeraient avec du bon pain, accompagnés d’un vin rouge sérieux. À Christian qui avait amené une bouteille de côtes-du-rhône entamée le midi, et à ses dires, pas vilain du tout, Alain fit remarquer que ça serait à peine suffisant, car pour suivre il avait un Saint-Marcellin à point, bien crémeux, juste comme ils les aimaient, ce délice était resté l’après-midi à mûrir sur le bord de la fenêtre de la cuisine. Après cela, il avait des belles poires, pour la digestion…

« Oui, ben, pour les cinq fruits et légumes par jour, tu repasseras !

–Nous, c’est plutôt cinq verres et un fruit, ah, ah,ah !

–Si on écoutait toutes les conneries des journaux et des télés, on ne vivrait plus ! Gni, gni, gna, gna : pas de tabac qui tue, l’alcool avec modération, cinq mille pas par jour, des omégas-3 par-ci, pas de gluten par-là !

–Tout ça, c’est n’importe quoi ! Regarde nos vieux, ceux d’avant-guerre : ils fumaient leurs deux paquets, sifflaient des deux litres faciles de pinard par jour et ils vivaient plus longtemps et mieux que nous ! Tiens, mon père André, il bêchait encore son jardin comme un jeune homme et faisait des 20-30 km de vélo à 90ans !

–C’est sûr ! À la tienne et à la mémoire de monsieur André, le pauvre ! »

Les deux amis entrechoquèrent leurs verres et firent cul-sec, puis poussèrent des soupirs de satisfaction.

« Ah, ça fait du bien par où ça passe ! 

–Tu l’as dit, mon Cri-Cri ! »

Un ange s’invita, nimbé des derniers rayons du soleil couchant diffusés à travers les trois ormes centenaires en face d’eux dans le parc, ou plutôt le terrain clos, reste du vaste terrain boisé qui, quinze ans auparavant, avait été morcelé par des promoteurs. Dans ce domaine, une fois rasé le château du xixe siècle, demeure d’un soyeux lyonnais, les marchands de béton avaient bâti trois résidences : Les Ormes, le Parc, et les Allées Fleuries. Toutes les trois avaient été vendues avec des publicités tapageuses faisant croire qu’on allait y vivre comme des nababs, dans un décor xixe siècle, avec tout le confort moderne. Quinze ans, plus tard, au dire des copropriétaires, même s’ils ne l’avouaient jamais et au contraire accablaient le syndic de revendications et récriminations, on s’y sentait bien. Les appartements étaient vastes, bien isolés, avec une jolie vue, surtout aux Ormes où l’on pouvait contempler les Monts-du-Lyonnais dans le lointain. La vie s’y écoulait gentiment, les relations entre voisins étaient cordiales. On comptait quelques bridgeurs, des groupes de dames peintres ou décoratrices et on organisait randonnées et pique-niques à la belle saison.

Bien carrés dans leurs fauteuils-relax, les deux appréciaient leurs verres de Côte en écoutant crépiter les godiveaux sur le gril. Mais, subitement, Alain se leva d’un bond (enfin, d’un petit saut), pour aller chasser les mouches, qui, attirées par le fumet tournaient autour des saucisses qui grillaient en émettant des giclées de jus.

–« Ah, les salopes, on risque d’avoir de la mouche cramée enrab !

–Bof, c’est toujours de la viande !

–Rigole, là tu en as trois sur ton crâne qui se courent après, c’est ce qu’on appelle un vélodrome à mouches, on pourrait faire des paris sur l’ordre d’arrivée, tu les senspas ?

–Non, t’inquiète ! Là, je pensais à cette fille, Leïla, je l’avais vue encore avant-hier matin, elle était en peignoir, en train de fumer sur le balcon. Moi, je venais juste d’ouvrir la fenêtre pour faire entrer un peu de fraîcheur. Elle s’est retournée et m’a fait un petit signe de la main et un sourire. Je lui ai dit : “Encore une belle journée qui s’annonce !” Elle m’a répondu : “Oh, oui, il va faire chaud !” Et elle est repartie à l’intérieur en remuant ses fesses, on voyait bien qu’elle n’avait rien sous son peignoir. Je ne te dis pas l’effet de ce popotin qui se balançait, droite, gauche, droite, gauche, il y avait de quoi remplir les deux mains d’un honnête homme ! Ça m’a énervé, et pas qu’un peu, mais en revenant dans ma salle de bains, je suis tombé pile sur les fesses de Martine assise sur un tabouret. La vue des plis de graisse qui pendaient de chaque côté m’a coupé la chique, direct !

–Wouh ! Pas terrible, mais pour moi, c’est pareil ! Les fesses de Marie-Claude ont plus de trous de cellulite qu’il n’y a de cratères sur la face visible de la lune ! Celles à Leïla c’est du premier choix, en jean ou en mini-jupe, on ne voit que ça. Pour le reste, la tête et les seins, c’est pas mal non plus !

–Le défunt ne pouvait pas se plaindre ! Il y a presque deux ans maintenant, comme il avait du mal à bouger avec son arthrose, il cherchait une auxiliaire de vie. Je me suis douté, vu qu’il avait passé une annonce sur Internet, qu’il n’allait pas embaucher une vieille moche. Un jour, il m’a dit qu’il avait trouvé une franco-marocaine sérieuse, comme je lui demandais le tarif horaire, il m’a dit qu’il allait lui faire un plein-temps au SMIC, pas question de payer au black, c’était quelqu’un de réglo, Hervé. En voyant la fille, ma grosse commère m’a dit qu’il risquait en plus, de payer pas mal d’heures supplémentaires pour petits services particuliers ! Ça n’a pas traîné, on a bien senti qu’elle jouait à la maîtresse de maison et qu’elle restait au moins trois nuits par semaine sur place. Six mois après, elle conduisait l’ancienne voiture d’Hervé, la 308, et lui, avait acheté une Audi à boîte automatique.

–Il faut dire que papa Charliez, c’était le chouette pigeon ! Une bonne retraite, 71 ans, veuf, indépendant. En plus de sa pension de cadre, il avait continué à travailler à l’étranger, surtout en Chine.

–C’est sûr qu’il avait un bon train de vie ! Tu te rappelles quand il nous avait invités pour l’apéro, nos femmes avaient trouvé ses meubles très beaux et pensaient que la déco avait été faite par des professionnels. Pour lui, c’était la belle vie tranquille ici, et aussi en Espagne dans sa résidence sur la Costa Brava. En plus, la deuxième poulette qu’on a vue chez lui était bien roulée aussi, peut-être qu’il voulait se monter un harem. Il était bien vaillant, malgré son arthrose, dommage qu’il finisse comme ça, c’est moche !

–Oui c’est vrai, mais le point faible des mecs célibataires, même à ces âges, c’est encore et toujours les bonnes femmes ! Tant qu’ils sont encore verts, ils veulent trouver des jeunettes qui leur font croire qu’elles sont amoureuses d’eux, que l’âge n’a pas d’importance, que lui, le vieux est cultivé, attentionné, expert en tout et que ça les change agréablement des petits morveux. Le bonhomme est flatté, comblé, quelques bonnes pipes baveuses plus tard, il est pris aux pattes, la poulette s’installe et c’est le bonheur ! Malheureusement, il y a des cas où ça tourne mal et le papy se fait trucider comme aujourd’hui ! Tiens rappelle-toi, la “Veuve noire”, ici à Lyon : cette ancienne flic, prostituée, avait rencontré sur un site un commerçant de 80 ans, riche à millions et l’avait épousée4. Lors du voyage de noces en Espagne, elle avait fait croire à une panne de leur voiture, le vieux jeune marié était descendu et un 4x4 l’avait écrasé sur la route déserte. Délit de fuite, le vieux, bien mort fut incinéré en France. La veuve éplorée balança les cendres dans la Saône. À elle la belle vie, enfin elle l’a cru ! Comme un copain du défunt s’était posé des questions et l’avait dénoncée, la police l’a mise sur écoute. La fille avait un amant en Espagne dont la présence dans le 4x4 écraseur ne faisait aucun doute. Arrestation, procès, les deux malfaisants s’étaient accusés l’un l’autre, 30 ans de prison chacun, pas de jaloux !

– Oh, c’est pas à nous que ça risque d’arriver, note bien ! Nos sorcières nous surveillent ! Tu imagines leurs têtes si on leur disait, un beau matin : “On s’est trouvé des petites jeunes, débrouillez-vous les mémés, adieu !” Sûr que c’est l’huile bouillante à la tête ou le couteau de cuisine, direct !

–N’y pense pas, allez, c’est cuit, on mange !

–Ils sont super bons ces machins, nos femmes ne savent pas ce qu’elles perdent avec leurs régimes à lanoix…

–Elles en sont bien à leur dixième en dix ans, tout y est passé : régime en groupe avec repas minceur très chers et pas bons, régimes protéinés, puis hypocaloriques et dissociés, régimes sans sucre ni féculents, celui avec que des fruits six fois par jour et dix fois sur le trône !

–N’oublie pas le régime “soupe aux choux” !

–Ne m’en parle pas, j’ai passé un mois à dormir sur le canapé du salon parce qu’elle pétait à faire tourner une éolienne…

–À chaque fois, elles perdent 5 kg, elles arrêtent le régime parce qu’elles se trouvent belles et qu’elles peuvent rentrer à nouveau dans des robes d’une taille en dessous, et hop, un mois après, les 5 kg sont repris avec 5 en plus !

–Oui, c’est le régime Yo-yo !

–Remarque, moi je m’en fiche, tant qu’elles ne partent pas avec le prince charmant après leur régime…

–Le prince charmant, il lui faudrait des sacrés biceps pour enlever une de nos deux poupées d’amour !

–Tu l’as dit et tant qu’elles nous laissent nous amuser avec les copains et faire notre popote à nous, ça va. Au fait, tu vas nous faire quoi pour le mâchon de la semaine prochaine ? On pourra sûrement manger dehors, ils annoncent encore du beau temps !

–J’avais pensé à une tête de veau sauce gribiche avec des pommes vapeur.

–J’en ai déjà l’eau à la bouche ! J’amènerai trois bouteilles de Saint-Joseph pour faire passer tout ça ! »

Alain parlait du prochain petit encas du matin, le mâchon qu’il organisait avec quatre copains de la résidence, dans un recoin abrité du parc des Ormes. On avait installé une solide table en fer et des bancs pour y procéder à des casse-croûtes et aux soirées repas de la résidence. Christian, ancien chef-cuisinier, préparait le plat principal, le reste incombait aux participants, en particulier vins et apéritifs. Que de bons moments passés là, entre vrais copains ! Hervé était venu se joindre à eux quelques fois, toujours un peu distant, mais il leur racontait plein d’anecdotes sur sa vie, ses voyages et levait le coude gentiment.

« T’as fini ? Il reste pas mal de ces saucisses, si jamais ça fait plaisir aux dames, elles ne pourront pas dire qu’on les en a privées !

–On s’en fiche de ce qu’elles disent, passe-moi le fromage, s’il te plaît… Ah, il est bien coulant…

–Oui, à point, mais je vais te le laisser annonça Christian. J’ai explosé mes taux de cholestérol, ces temps-ci et je dois faire des analyses la semaine prochaine, alors j’y vais mollo sur le gras !

–Là, tu sais pas ce que tu perds, un délice, fondant à cœur ! Il faut dire que je l’ai laissé mûrir depuis hier ! »

Christian soupira de regret et but une longue gorgée de vin, espérant noyer sa frustration accrue par l’air épanoui d’Alain qui en quelques minutes mangea gloutonnement le Saint-Marcellin entier.

3 Godiveau : saucisse à base de veau haché et de graisse de rognon, à ne pas confondre avec la chipolata.

4 Authentique.

Chapitre IV

Pendant ces agapes, à l’étage du dessous, l’appartement du drame était passablement dévasté et encombré par le matériel des spécialistes en train de procéder aux constatations. Dans un coin à l’écart, Mathieu Charliez, fils du défunt Hervé, faisait face aux policiers de la brigade criminelle Jean Brossard et à sa collègue Sylvie Germain. Les deux enquêteurs posaient alternativement des questions, enregistraient les réponses puis reprenaient le cours de l’interrogatoire. En un peu moins d’une heure, Mathieu leur avait détaillé la biographie de son père : études, travail, mariage avec trois enfants : Elise (46 ans), lui-même, Mathieu (42 ans) et Jeanne (40 ans). Leur mère était décédée, il y a dix ans d’un cancer. Peu de temps après, Hervé avait pris sa retraite et acheté cet appartement. Un bon nombre de questions étaient relatives à la carrière d’Hervé : pharmacien dans l’industrie, puis commercial pour un grand labo et responsable des achats. Les dernières années, il parcourait le monde pour trouver les principes actifs de médicaments, principalement en Chine et en Inde. Il était revenu à Lyon pour être proche de ses enfants et petits-enfants, tous habitant la région.

Dont lui-même, Mathieu, professeur agrégé de SVT au lycée Saint-Luc, divorcé sans enfant, résidant à Saint-Genis-Laval, tout près. Au moins deux fois par semaine, il venait voir son père et passait une partie du dimanche avec lui, surtout depuis ses problèmes de santé : hypertension sévère et arthrose. Ses hanches bloquées avaient été opérées. On lui avait mis en place une prothèse à droite sans problème, mais à gauche, trois mois plus tard, ça ne s’était pas bien passé, avec une infection nosocomiale suivie d’une ré-opération. Là, il avait eu besoin de béquilles, ne pouvait plus conduire et sortait peu de chez lui. Au début de ses problèmes de santé, il avait embauché une femme de ménage, mais ça ne suffisait pas, il fallait plus de présence, donc, il avait recruté Leïla Meunier comme auxiliaire de vie.

« Parlez-nous d’elle, comment l’avait-il trouvée ?

–À ce qu’il m’avait dit, sur le site du “Vrai Coin”, mais je n’en suis pas certain, car Papa utilisait beaucoup les réseaux sociaux et les sites spécialisés d’internet, il n’avait aucun problème avec les nouvelles technologies. Comme je travaille beaucoup sur ordinateur moi-même, plusieurs fois je me suis occupé de celui de mon père pour assurer un peu de maintenance et modifier son anti-virus. Je suis tombé sur des fichiers et des sites de rencontres plus ou moins tarifées, d’ailleurs je croyais qu’avec la nouvelle loi sur la prostitution ces sites allaient être fermés. »

À ces mots, les deux policiers levèrent les yeux au ciel et la policière fit remarquer que l’état d’urgence actuel et le terrorisme étaient autrement prioritaires. De plus tous ces sites étaient exploités par des plateformes localisées en Europe de l’Est, lorsqu’on les fermait, elles réapparaissaient le lendemain sous un nom à peine modifié.

« Votre père vous a-t-il donné des détails sur les rencontres qu’il a pu faire sur ces sites ?

–Non, mais comme il vivait seul, qu’il était peu méfiant et plutôt gentil, je l’avais mis en garde sur les dangers d’Internet. Pour le reste, c’était délicat. D’autant que moi aussi je vais sur ces sites depuis mon divorce, donc, non, on ne se donnait pas de tuyaux, je sais juste qu’il allait voir des filles, mais il ne voulait pas les faire venir ici.

–Apparemment, il a changé d’avis avec cette Leïla Meunier, si c’est son vrai nom, nous allons vérifier ce point.

–Quand l’a-t-il embauchée ?

–Il y a presque deux ans, Papa l’avait embauchée, d’abord à l’essai pour faire le ménage, les courses et un peu de cuisine, trois à quatre heures par jour. Il notait tout et la payait par chèque emploi-service. Vous pouvez vérifier avec les dates et les montants car il faisait des tableaux de relevés sur tout. Puis, comme elle lui donnait satisfaction, il l’a fait travailler plus, à peu près l’équivalent de trois jours par semaine. C’est à ce moment-là qu’il a eu un autre problème de santé, en plus des hanches : une opération de la prostate. Leïla s’occupait de l’essentiel mais je passais aussi donner un coup de main et le distraire le week-end.

–Vous a-t-elle parlé de sa vie d’avant, de ses projets, de son quotidien et de sa famille ?

–Pas vraiment, que des banalités. Au début, comme j’étais surpris par sa diction et son orthographe impeccable, je lui ai demandé quelles avaient été ses études, elle m’a alors parlé d’une licence de psychologie et de Paris-Sorbonne, puis ensuite, elle avait fait un tas de jobs : secrétaire, hôtesse d’accueil, enquêtrice, ah, j’allais oublier : voyante au téléphone et horoscopes à la demande. Elle est très férue d’astrologie et d’ésotérisme. Je l’ai vue souvent lire, ici, des revues et des livres sur ces sujets. Ça amusait mon père, qui n’y croyait pas du tout. Elle m’a dit aussi qu’elle avait commencé à rédiger son histoire de petite fille franco-marocaine, dont le papa, à ses cinq ans était reparti au bled, où sa mère avait fini par le rejoindre. Toute son enfance s’est passée avec ses grands-parents maternels. Elle porte le nom de sa mère française, mais à l’adolescence, avec son teint mat et ses cheveux frisés, elle a été “l’Arabe”. Après son divorce elle m’a dit avoir passé, seule, six ans au Maroc.

–Quelle était son attitude envers-vous ?

–Naturelle et spontanée, elle n’a jamais essayé de me séduire…

–Et avec votre père ?

–Elle lui portait toute son attention, elle m’avait dit que s’occuper de personnes âgées lui convenait, surtout quelqu’un de gentil comme lui, même s’il avait ses petites manies.

–Avaient-ils des rapports autres qu’employeur-employée ?

–Après six mois, leur relation semblait intime, elle passait trois nuits par semaine et ils prenaient leurs vacances ensemble à Roses en Espagne.

–Comment s’y rendaient-ils ? Séparément ?

–Non, ensemble, ils prenaient la nouvelle voiture de mon père, une Audi. Il lui avait donné la précédente, une308.

–En plus du salaire d’auxiliaire, lui offrait-il des primes et des cadeaux ?

–Je sais qu’il lui payait le loyer de son studio et pas mal de bricoles en cadeaux : vêtements et bijoux plutôt classe car elle a bon goût. Mais ça ne me paraissait pas excessif, et puis Papa a une très bonne retraite.

–Ce sont des points que nous allons vérifier très vite, en particulier les comptes de cette dame. Venons-en à cette soirée : vous avez terminé vos cours à 18 heures et vous êtes venu directementici ?

–Oui, à la fin de mon cours, j’ai un peu discuté avec des élèves, je suis passé par la salle des pofs et j’ai dû sortir du lycée à 18h20. Il m’a fallu quinze minutes à pied pour venir ici, je suis monté, j’ai sonné sans réponse et j’ai ouvert avec la clef que mon père m’avait confiée. »

Puis Mathieu leur détailla son entrée dans l’appartement, la découverte du corps de son père et de Leïla inconsciente dans sa chambre. Il insista sur le fait qu’il n’y avait aucun désordre dans l’appartement, tout était en ordre et rangé. Non, il ne savait pas quoi penser, car son père et Leïla avaient l’air de bien s’entendre en ce moment.

« Parce qu’il y avait eu des disputes entreeux ?

–Pas vraiment, mais il y a trois semaines, à leur retour de vacances en Espagne, elle se plaignait en disant qu’ici, il ne s’occupait pas d’elle, qu’il la mettait de côté et qu’il avait honte de sortir avec elle. Leïla était très susceptible à ce sujet. Mais là, ces jours derniers, je n’avais pas remarqué de tension. Vu ce que mon père lui donnait, plus les cadeaux, elle ne pouvait pas se plaindre ! Vous ne croyez pas que c’est quelqu’un venu de l’extérieur qui a faitça ?

–Pour l’instant, un seul médecin les a examinés, donc restons prudents, mais d’après les blessures de votre père et celle de cette Leïla, on pense plutôt à un jeu sexuel qui se serait très mal terminé avec l’étouffement de votre père et sa mort. Peu de temps après, elle a tenté de se suicider. Entre-deux, il est possible qu’elle ait cherché à modifier la scène de crime, si ce n’est pas un accident. Avez-vous remarqué des signes sur le carrelage, autour dulit ?

–Vaguement, j’ai pensé à des traces desang…

–Ce n’est probablement pas du sang, plutôt une peinture, genre vernis à ongles.

–Et ça représente quoi ?

–Les techniciens photographient tout ça et prélèvent, on en saura davantage dans quelques jours, avec en plus les résultats de l’autopsie. Vous concernant, on a déjà récupéré vos chaussures. »

–À ces mots, Mathieu regarda ses pieds recouverts de sur-bottes en tissu transparent. Le policier reprit : « Nos techniciens vont aussi relever vos empreintes digitales et faire un prélèvement de votre salive. Vos traces et votre ADN doivent être partout ici. Par ailleurs deux dames de l’immeuble nous ont confirmé votre arrivée dans l’immeuble peu après 18h30. Pour le reste, voici les coordonnées du service et mon numéro de portable, n’hésitez pas à nous contacter si des détails vous reviennent.

–Rien de plus pour l’instant, si ce n’est toutes ces mouches, pourquoi il y en avait autant ?

–C’est vrai que nous n’avions jamais vu ça, mais avec ces chaleurs elles pullulent et l’odeur du sang les a attirées, les volets n’étant pas complètement fermés. Là, heureusement, les pompiers avaient de l’insecticide pour guêpes, ça a bien fonctionné, il y en a presque plus !

–Qu’est-ce qui va se passer ensuite ?

–Madame Dumez, la substitut de procureur est en route, elle fera ses constatations avec nous, elle délivrera les réquisitions pour l’enquête, le maintien de madame Meunier en détention et l’autopsie de votre père. Les légistes ne sont pas débordés en ce moment et ce cas devrait les intéresser. Donc cette nuit, le corps de votre père va être transporté au funérarium et de là, demain à l’Institut Médico-légal. Nous allons emmener les ordinateurs, tablettes et smartphones de votre père et Leïla et nous poserons les scellés lorsque nos collègues de la police scientifique auront terminé leur travail. Nous vous convoquerons en début de semaine. Nous allons vous ramener chez vous. Vous vivez seul ?

–Oui, depuis mon divorce !

–Tâchez de contacter vos proches pour ne pas rester isolé. Vous avez passé un sale moment, et il n’est pas dit que l’enquête ne va pas vous secouer un peu plus. »

Pendant le court trajet jusqu’à son domicile, Mathieu voulut connaître l’avis des policiers sur l’état de Leïla lors de son départ aux urgences. La réponse fut brève, elle avait avalé des antipsychotiques puissants mais pas à une dose mortelle, ils comptaient l’interroger dès que possible, on le tiendrait au courant.

Chapitre V

Rentré chez lui, Mathieu sut que la nuit serait longue, moite, pénible. Il brancha sa climatisation mobile et ouvrit une bière. Une fois bue, il se rendit compte qu’il était engourdi et transi, mais que pas un instant il n’avait cessé de revoir son père gisant sur le lit dans cette posture obscène qualifiée par le policier de « Jeu sexuel se terminant par un étouffement ». Étouffé comment ? Par un bâillon, une cagoule ou un coussin ? Il n’avait vu, sur le lit ou à côté, aucun accessoire, juste les chandeliers et les bougies. Sur le sol, ces signes, que voulaient-ils dire ? Il se rappela le film Basic Instinct où l’amant de la séduisante romancière était tué à coups de pic à glace dans le cœur pendant un jeu pervers. Là, cette mort abjecte par étouffement lui semblait pire. « Pauvre papa, se dit-il, qu’allais-tu faire dans ce monde des plaisirs trafiqués et des sensations violentes ? » Était-ce Leïla qui l’y avait amené pour mieux le subjuguer ?

Il posa son ordinateur sur ses genoux, sans quitter la banquette où il s’était effondré, rechercha le site le plus connu, ouvrit la rubrique : « services particuliers » et fit apparaître deux annonces qui proposaient une assistance à des personnes âgées ou handicapées, à leur domicile et cinq demandes détaillant conditions et horaires. Mathieu ne se souvenait pas avoir entendu son père évoquer ce genre de recherche. Sur le même site, il ouvrit la rubrique « rencontres adultes ». Toutes les annonces étaient illustrées de photos suggestives et leur texte habilement évocateur comme : « escorte occasionnelle très sélective recherche la compagnie d’hommes mûrs et distingués pour plaisirs partagés. Je me déplace uniquement, de préférence dans les hôtels quatre étoiles. Premier contact par mail avec photo ». Les mots-clés en étaient judicieusement choisis pour attirer le mâle esseulé : « occasionnelle », donc une femme qui n’a que quelques amants choisis, pas une prostituée, « hommes mûrs et distingués ». Ce sont des seniors bien établis et fortunés, justement habitués des hôtels de luxe, pas question de vulgarité et « partager » les plaisirs, même lourdement tarifés devient une évidence.