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Simple institutrice vivant dans le sud de la France, j'ai perdu ma fille et mon mari dans une attaque de monstres venus d'un autre univers. Seule survivante, je passe mes journées à attendre la mort. Mais le destin semble avoir d'autres projets pour moi, dont celui de devenir l'épouse d'un Dieu: celui de la colère, de la guerre et du sang...
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Seitenzahl: 282
Veröffentlichungsjahr: 2023
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« LES WIZARDS » L’intégral
Avec les éditions BoD.
CHAPITRE 1: Il faut bien commencer par quelque chose…
CHAPITRE 2: J’apprécierai qu’on me laisse mourir tranquille !
CHAPITRE 3: Retrouvailles !
CHAPITRE 4: Un banquet, rien que ça…
CHAPITRE 5: Parlons au coin du feu…
CHAPITRE 6: Un peu de Luxure, mais pas trop…
CHAPITRE 7: La tour de la vie… et de la mort !
CHAPITRE 8: Pas si courageux le Brawn !
CHAPITRE 9: Le premier légendaire.
CHAPITRE 10: Et je tombe dans le panneau…
CHAPITRE 11: Une arme, qui veut une arme !
CHAPITRE 12: Une fête, encore !
CHAPITRE 13: Ça ne porte pas malheur ça ?
CHAPITRE 14: Le maitre d’arme.
CHAPITRE 15: Ça devait être une soirée sympa…
CHAPITRE 16: Petit cachotier…
EPILOGUE
Parfois, nos choix influencent nos vies d’une manière irrémédiable. Cela peut être en bien ou en mal et, non seulement, nous sommes rarement conscients des enjeux mais surtout, nous ne l’assumons presque jamais. La remise en question est difficile en cas d’échec et notre nature a tendance à rejeter la faute sur les autres. Dans mon cas, certains philosophes d’Orient diraient que c’est le destin qui a changé ma vie ou la chance (voire la malchance), selon le point de vue. Quoi qu’il en soit, on parle de moi à la télévision comme si ma vie m’avait échappé, comme si j’étais la victime d’une comédie dramatique organisée par une puissance supérieure. Bizarrement, une partie de tout cela est vraie. C’est comme si on m’avait prise par le bras et tirée en avant avec force, m’empêchant de prendre un autre chemin. Mais il y a toujours un moment où un choix se présente à vous. Vous savez, ce genre de choix qui vous vrille l’estomac. Celui où un grand précipice se présente devant vous, sans la possibilité de revenir en arrière, avec l’éternel sentiment que vous n’allez pas arrêter de regarder par-dessus votre épaule en vous disant « Que se serait-il passé si j’avais sauté ? ». Pour ma part, je n’ai pas sauté et je le regrette.
Je m’appelle Caroline. Quarante ans, professeur des écoles, une vie bien rangée avec mon mari et ma fille de onze ans. Classique voire vieillotte dans ma façon de m’habiller, on ne peut pas dire que je me mette en valeur. Je suis une petite brune aux cheveux frisés. Des yeux marrons, des lèvres fines qui offrent un sourire craquant (d’après un homme très objectif : mon mari). D’ailleurs parlons-en de celui-là. Vingt trois ans de bonheur avec Daniel, mon deuxième gamin ! Lui aussi professeur des écoles mais pas pour les mêmes raisons que moi : il a juste oublié de grandir donc il s’est dit : « Autant rester à l’école ! ». Il est grand, la peau couleur caramel résultant d’une alliance improbable entre un riche homme d’affaire Ivoirien résidant en Suède et son ancienne femme de ménage, une magnifique blonde aux origines scandinaves. Le résultat a donné l’Apollon qui me sert de mari. Des yeux bleus, une carrure naturellement impressionnante, des dents blanches et parfaitement alignées. Daniel est le parfait cauchemar pour les mères d’élèves célibataires. De notre amour est née Artémis. Notre tornade. Aujourd’hui âgée de onze ans, elle est le centre de ma vie. Une vie que j’aime d’ailleurs, je tiens à le préciser, et si l’on m’avait demandé à l’époque, je n’aurais rien changé pour tout l’or du monde. Mais voilà, on ne m’a rien demandé.
Mes passions se résument à Netflix et ma fille. Je dois bien admettre que je ne suis pas de ces personnages que l’on qualifie de « complexes ». Un dimanche avec un bol de biscuits apéritifs japonais, une bonne série et ma fille oscillant non loin de ma personne suffisent à combler de joie mon weekend. Si on ajoute un peu de sport dans la chambre à coucher, alors je sais que mes batteries seront entièrement rechargées pour affronter mes vingt-sept élèves de CE2 et leurs parents persuadés que leurs enfants sont absolument tous des génies en puissance.
Mon mari, quant à lui, fait pas mal de sport de combat mais sa passion est plus atypique. Avec une bande d’amis, il fait encore régulièrement des jeux de rôles. J’ai parfaitement abandonné l’idée de les accompagner dans leurs nuits imaginaires où lui et ses amis partent affronter un dragon à l’autre bout d’un monde qui n’existe pas. Il ne grandira jamais, c’est certain. Notre fille le vénère littéralement. Elle est toujours là pour servir une bière à son père et ses amis pendant qu’ils font une partie, buvant ses paroles et vivant cette histoire fantastique mais irréelle qui la transporte dans un autre monde. Je pense que c’est d’entretenir ce lien et cette passion qui lui a toujours permis d’avoir une imagination débordante. Il était capable d’inventer des histoires totalement incroyables pour endormir notre fille à l’époque où cela était encore nécessaire. Bien que banale et sans histoire, ma vie me plaisait. En fait, elle me plaisait beaucoup.
J’ai aujourd’hui tout perdu. Mon mari, ma fille, ma vie. Cela aurait pu être à cause d’un accident ou d’une maladie mais je sais que ma couardise et mon inaction m’ont placée dans cette situation. Certes, je pense que la perte de mon mari était inévitable. Mais ma fille devrait être avec moi aujourd’hui et non très certainement morte ou, dans le meilleur des cas, vivante dans un monde inconnu comme esclave. Je ne me définissais pas comme quelqu’un de courageux mais depuis cet « accident », je pense être quelqu’un de particulièrement peureux. Au moment où je vous raconte cette histoire, je suis sur mon canapé, au bout de ma vie. Regardant la télé comme un zombie apathique dépourvu de toute capacité cérébrale.
Mon père est là, s’occupant de moi du mieux qu’il peut. C’est un homme gentil qui a repris son rôle de père à bras le corps, même s’il ne comprend pas tout de la situation. Il a toujours eu l’air assez sérieux. Professeur des écoles à la retraite, il n’a pas perdu l’habitude de toujours se vêtir en pantalon et chemise. Même pour venir s’occuper d’une folle comme moi. Ses cheveux à peine grisonnants et son coté sérieux laisseraient presque croire qu’il est toujours en activité. Ses yeux de loup fixent le « mug » qu’il est en train de laver sans produire la moindre expression. Il fait ça de manière mécanique même si je trouve qu’il y passe beaucoup plus de temps que nécessaire, certainement pour faire passer la journée. Ma mère ne fait plus le déplacement. Persuadée que je devrais me faire enfermer, voire peut-être emprisonner, elle m’a annoncé qu’elle ne pourrait me revoir tant que le procès ne serait pas terminé. Après les disparitions inexpliquées de ma fille et de mon mari, une enquête a été ouverte sans qu’à ce jour je ne sois inculpée de quoi que ce soit. Car ce jour-là, c’est presque cinquante personnes qui ont disparu comme par magie. Que ce soit les enquêteurs, les militaires ou le gouvernement, personne ne prenait ma version au sérieux tout en étant incapable de fournir une autre explication. Etant la seule survivante ou rescapée de cette journée cauchemardesque qui hantait mes jours comme mes nuits, il leur était difficile de prouver quoi que ce soit concernant ma personne. Mon téléphone avait été saisi, notre appartement fouillé, nos proches interrogés. A ce jour, il n’y avait donc pas de procès prévu. Mais je n’en voulais pas à ma mère. Elle noyait son chagrin comme elle pouvait. Persuadée d’avoir une fille folle ou meurtrière et pleurant la disparition de son unique petite fille, elle aussi frôlait la folie.
Le pire dans tout cela était de devoir répéter sans cesse la même histoire. Ça a commencé par les secours, qui ont conclu à un moment de folie passagère. Puis ce fut la police, qui me plaça en garde à vue. Ensuite la sécurité civile et la police militaire qui m’écoutèrent avec attention avant de me relâcher. Enfin ce fut la sécurité intérieure. Le ministre de l’intérieur en personne assista à l’un de mes nombreux interrogatoires. Preuve que le gouvernement se doutait bien qu’une partie de mon histoire devait être réelle. Était-ce grâce à des relevés bactériologiques ? Des satellites qui auraient tout filmé… que sais-je ? Huit militaires étaient dans mon immeuble vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il fallait une autorisation spéciale pour venir me voir et les journalistes vivaient désormais jour et nuit sous mes fenêtres. Je n’avais pas vu la lumière du jour depuis presque quatre mois, sans pour autant que cela me dérange. Voilà où j’en suis. Je sais, ce n’est pas glorieux !
J’entends les pas de mon père qui se dirige vers moi. Il porte un petit plateau de biscuits achetés avant de venir ici, ma mère n’ayant ni l’envie, ni la lucidité pour pouvoir en faire maison.
- Tiens ma chérie, tu veux un gâteau ?
Son ton est gentil, rempli d’inquiétude. Je me demande ce qu’il pense de moi à ce moment-là. Est-ce de la pitié ? De l’incompréhension ? Savoir ce que pense mon père relève du domaine de l’impossible. C’est un homme de marbre. Il garde ses émotions pour lui quoi qu’il advienne. Je ne l’ai vu pleurer qu’une fois, à la mort d’un très bon ami. Le voir ainsi est très déstabilisant. Si j’en avais la force, j’éprouverais des remords de lui faire subir ceci à son âge mais ce n’est pas le cas.
J’ignore sa question, continuant de faire semblant de regarder l’écran de la télévision. Objet de tous mes désirs il y a encore quelques mois, ce n’est aujourd’hui qu’un prétexte pour avoir les yeux dans le vague et faire croire que je suis toujours vivante. Déjà quatre mois qu’il vient ici tous les jours pour s’occuper de moi. J’ai comme un début de pincement au cœur mais cela ne dure pas. Peut-être se lassera-t-il un jour. J’ai le droit d’y croire.
- Tiens ? Que se passe-t-il ?
Sa voix me ramène à la réalité. L’écran de la télé est éteint. Il y a juste un petit « no signal » qui se balade là comme s’il cherchait à s’évader. Mon père se lève pour prendre la télécommande, une pointe d’agacement dans les gestes. Je le comprends, déjà que passer la journée avec un zombie doit être déprimant, alors sans la télévision ! J’ai presque envie d’en rire, enfin presque. Alors qu’il vérifie les branchements, j’entends un bruit en provenance de la porte d’entrée. Trois hommes font irruption. Les deux premiers sont des militaires mais différents de ceux qui gardent mon immeuble. Ils sont armés jusqu’aux dents et semblent d’un autre âge, d’une autre trempe. Ce ne sont pas les petits jeunes qu’on a mis là pour garder une mère de famille dans son appartement. Le troisième homme est aussi un militaire mais c’est un gradé. Son pas est vif. Il se dirige vers moi rapidement avant de faire un salut militaire.
- Madame Saint-Jean. Je suis désolé de faire irruption ainsi, mais je vous demande de nous suivre immédiatement. Il en va de la sécurité nationale.
Je reste sans voix. En fait je reste inerte. Je n’en ai rien à foutre de la sécurité nationale pour être très honnête.
- Laissez là tranq…
L’un des deux militaires frappe mon père qui tombe au sol sans prévenir puis le braque avec son fusil d’assaut. Ça a le mérite de me réveiller mais aussi de m’affoler.
- Laissez-le !
Ma voix m’étonne presque. Je me jette sur mon père pour faire barrage de mon corps. J’en viens presque à espérer que ce connard fasse feu. Au moins cela aura le mérite de mettre fin à mon supplice.
- Ça suffit ! hurle le gradé à l’attention du militaire tout en posant une main sur son fusil d’assaut afin de lui faire ranger son arme. Je les veux tous les deux dans le blindé dans moins de deux minutes. C’est un ordre.
Il n’en faut pas plus pour que les deux militaires se saisissent de nous pour nous remettre debout. Mon père pisse le sang par le nez. Je tente de l’aider mais il me fait signe que ça va. Nous sommes poussés en avant afin de sortir de l’appartement. On ne me laisse rien prendre, ni téléphone, ni vêtements de rechanges (je suis tout de même en pyjama !), rien. En moins de deux minutes, nous sommes assis dans un convoi militaire, entouré d’une vingtaine de soldats en plus d’une escorte d’une dizaine de voitures. C’est juste de la folie. Je comprends qu’il se passe quelque chose. Je me mets à réfléchir et ma première conclusion est que ce que j’ai vécu il y a quatre mois vient de se reproduire. Sauf que cette fois, il y a des témoins ou même peut-être des vidéos circulant sur le net. Mon cœur bat la chamade. Je pense à ma fille et mon mari. Pourtant ils avaient promis de ne pas revenir et d’épargner le reste de la population et moi pauvre conne, j’y avais cru !
Je sens le bras de mon père qui me prend par les épaules. Il se veut protecteur malgré son visage en sang. Il est totalement perdu mais reste assez fort pour vouloir me protéger. Je me colle à lui et ça me fait du bien. Nous roulons dix minutes avant que je n’entende un bruit d’hélicoptère. Les militaires ne semblent pas inquiets. L’escorte me parait à la fois démesurée et parfaitement inutile si nous nous faisions attaquer par les ravisseurs de ma fille.
Je n’arrive pas à savoir combien de temps s’est passé lorsque le camion fait halte de manière définitive. On nous ordonne de sortir. Je ne reconnais pas l’endroit mais le bruit est insoutenable. Il y a trois hélicoptères dans le ciel plus un au sol. On nous attrape par le bras pour nous diriger vers ce dernier avant de nous y faire monter. Nous nous retrouvons en face d’un homme qui nous fait signe de mettre les deux paires d’écouteurs qui se trouvent à côté de nos sièges. Nous nous exécutons et je dois admettre que c’est sacrément efficace. Le bruit des rotors devient supportable et je sens l’appareil s’élever en même temps que les portes se ferment. Je prends le temps de regarder mon père qui est très pâle. C’est à mon tour de le prendre dans mes bras. Egoïstement, je suis heureuse de ne pas être seule.
« Ne vous en faites pas. Une fois sur le porte-avion, on s’occupera de lui, vous avez ma parole. Ça n’aurait pas dû arriver. »
La voix est claire, une fois de plus je suis surprise de l’efficacité des écouteurs. L’homme me montre le micro devant ma bouche et un bouton sur le côté de mon casque.
« Vous pouvez appuyer ici si vous voulez parler mais ça sera plus facile de communiquer une fois à bord. »
Je ne lui réponds pas. Quel intérêt ? J’en sais certainement déjà plus que lui. Il n’est pas compliqué de comprendre que si j’ai raison, je suis la seule personne ayant eu un contact avec une race d’extraterrestres qui a voulu exterminer notre espèce et dont le massacre n’a été évité que par le sacrifice de mon mari. Comprenant que mon histoire est en fait depuis le début la stricte vérité, ils doivent carrément avoir tous très peur. Pour le coté logistique, nous sommes certainement menés sur un bâtiment de guerre en sécurité. C’est à ce moment que je pense à ma mère. Elle va être dans tous ses états lorsqu’elle s’apercevra ce soir que mon père ne rentrera pas. Je presse le bouton à côté de mon oreille : « Il faut prévenir ma mère. »
J’essaye de rester forte, de lui faire croire que je contrôle la situation.
« On la cherche. On voulait la prévenir et lorsque j’ai appris que votre père venait avec vous, j’ai envoyé des hommes la chercher. »
Je panique, il le voit.
« Ne vous inquiétez pas. Il est hors de question de lui faire du mal. De toute façon, elle n’était pas chez elle. Une équipe attend sur place pour la conduire sur le Charles de Gaulle avec vous. »
Je ne l’écoute plus. Ma mère n’est pas chez elle. Ma mère qui n’a pas le permis de conduire et qui habite à la campagne. Ma mère qui a tellement peur des journalistes qu’elle n’ouvre même plus les volets et ne s’occupe plus de son jardin. Mon cœur s’emballe et je vois à la tête de mon père qu’il est lui aussi très inquiet.
Le vol dure plusieurs minutes avant qu’on aperçoive au loin une flotte de navires de guerre et, au centre, le porte-avion « Charles de Gaulle ». Cela reste tout de même impressionnant. J’en viens presque à espérer que ma mère soit sur le navire. Au moins ici serons-nous peut-être en sécurité même si je n’y crois pas vraiment.
Une fois l’appareil au sol, nous sommes escortés à l’intérieur. Je ne pensais pas que cela soit si grand. Les couloirs se succèdent à tel point que je perds rapidement mes repères. L’ambiance à bord est électrique. Les soldats que nous croisons courent dans tous les sens. Je ne suis pas experte mais je discerne tout de même un vent de panique. Au détour d’un virage, on nous présente une porte et on nous pousse presque à l’intérieur. Une table assez longue est installée au centre de la pièce et une dizaine de personnes qui semblent très importantes sont en pleine conversation. Il y a des militaires mais aussi trois hommes en civil. Les visages sont tendus et, plus le temps passe, plus je me dis que la situation est probablement bien plus grave que ce que je pensais. Peut-être que les envahisseurs ont déjà frappé. Il faut encore quelques secondes avant que le silence ne s’installe. On nous observe en silence, comme si notre présence était dérangeante, tout en sachant qu’elle est certainement nécessaire. Mon assurance s’effrite comme neige au soleil. Je réalise que nous sommes seuls, en pleine mer. Nous faire disparaitre serait une simple formalité pour eux. Je constate qu’il n’y a aucune femme dans la pièce, décidément ce monde n’évoluera donc jamais. Je me sens à l’étroit, je suffoque presque. Mes jambes commencent à avoir du mal à supporter le reste de mon corps et j’ai peur de faire un malaise. L’un des militaires, un vieux bonhomme dont le visage ne semble pas si autoritaire que cela m’apporte une chaise.
- Vous êtes pâle. Asseyez-vous un moment.
Il regarde mon père et semble contrarié.
- Qu’on amène cet homme à l’infirmerie puis à la cantine. Qu’il reste sous surveillance mais par les dieux qu’on le traite bien.
Ces mots me rassurent et m’effraient. Je vois mon père sortir de la pièce non sans m’avoir jeté un regard plein de compassion. Il sait. Cette scène n’est qu’une réplique mélodramatique d’une histoire que je ne connais que trop bien. Me voici à nouveau dans une salle remplie de personnages que je ne connais pas et qui vont me demander la même chose que tous les autres. J’essaye de de rester droite, forte alors que je n’ai qu’une envie, c’est de me barrer loin d’ici. Je rigole intérieurement car je suis une très mauvaise nageuse. Arriveraient-ils à me repêcher avant que je ne me noie ? Tout le monde prend place en me dévisageant. C’est à la fois gênant, totalement impoli et ça me fout les chocottes. Je pense à ma mère, j’espère qu’elle va bien. Mon père doit se faire beaucoup de soucis, pour elle comme pour moi. Histoire de me foutre un peu plus la trouille, un grand écran s’allume où je peux me voir dans un enregistrement vidéo. C’est sur pause pour le moment. Je me fige. J’ai tellement raconté cette histoire que je la connais par cœur mais jamais je ne me serais attendue à l’entendre de ma propre bouche. J’essaye de me boucher les oreilles car je ne veux pas vivre ce supplice. Je pleure déjà. Au revoir le côté femme forte, c’est déjà foutu. Le militaire qui s’est occupé de mon père me met la main sur l’épaule.
- Je ne peux qu’imaginer la situation dans laquelle vous êtes et la souffrance que vous devez vivre en cet instant. Sans parler de l’incompréhension. Mais ce qui se joue ici est vraiment très important. Vous comprenez ?
Je lui fais un signe de tête. Ça m’agace mais il a raison. La situation doit être tellement grave que ma petite tragédie doit carrément lui passer au-dessus. J’essaye de sécher mes larmes et on me place une boite à mouchoirs juste devant moi. Une fois redevenue présentable, j’entends le son de ma voix retentir dans les hauts parleurs.
« On est arrivés vers treize heures sur le plateau du Garlaban. Il faisait très beau et on voulait juste faire un pique-nique avec mon mari et ma fille. Il y avait une dizaine d’autres familles comme nous. Je dirais qu’il y avait une trentaine de personnes. Peut-être plus ».
Légère pause.
« Tout était normal, j’installais la nappe quand… ils sont apparus, par des sortes de portails ou des portes dimmensionnelles. Ils étaient, je ne sais pas, des centaines ».
- A quoi ressemblaient-ils ? lança la voix de celui qui m’interrogeait à l’époque. Un connard de la sécurité civil qui se foutait presque ouvertement de moi.
« Ils étaient petits, lui ai-je répondu fébrilement. Dans les un mètre trente. Une peau jaunâtre, de grandes canines. Humanoïdes. Ils sentaient très mauvais. Ils avaient un menton très pointu, comme leurs oreilles. Ils étaient chauves. Leurs yeux n’avaient pas de pupilles… ils étaient verts. Deux ronds verts ».
- Et donc, d’après votre déclaration à la police (léger rire), ils ont commencé à massacrer tout le monde. Mais votre mari a réussi à en abattre un et à lui voler son épée. Ils n’avaient pas de fusils ou d’armes plus évoluées ?
« Je n’ai rien vu d’autre que ce genre d’armes ».
- Et donc ensuite ?
« Il en a tué d’autres qui venaient vers nous. Il n’y a rapidement eu plus que nous d’ailleurs. J’étais terrorisée avec ma fille. On a rapidement été entièrement encerclés mais ils n’attaquaient plus. Il y a eu une femme, du moins c’est ce que je me suis dit. Elle était plus grande que mon mari mais de la même espèce que les monstres. Elle semblait être leur chef. Elle a regardé mon mari bizarrement et elle lui proposé un marché. S’il combattait l’un de ses lieutenants en combat singulier et qu’il gagnait, elle laisserait notre planète et tous ses habitants tranquilles. Sinon, elle tuerait tout le monde ».
- Avec ses nains et leurs couteaux ? c’est ça ? continua l’homme en ricanant. Et donc votre mari a combattu ce… lieutenant ?
« Oui, ai-je répondu en pleurant »
Je n’arrive plus à me retenir et je m’effondre sur la table, en sanglots. Oui il a gagné. Mais cette chose horrible lui avait planté une épée dans le ventre. Je revois la scène et le sang coulant le long de la lame pendant que mon mari lui tranchait la tête. Le fameux « lieutenant » était un géant de près de deux mètres dissimulé derrière la femelle. Quand je l’avais vu apparaitre, j’avais crié de peur. Je me rappelle mon mari à ce moment-là. Jamais il ne m’avait regardé avec autant d’amour. Voyant qu’il ne gagnerait pas, il s’était jeté sur son adversaire, délaissant sa propre sécurité, juste pour pouvoir le tuer… et nous sauver. Lorsque j’arrive à retrouver mon calme, je m’aperçois que tout le monde me regarde mais personne ne parait agacé ou ne ricane. Certains détournent même le regard. La vidéo est sur pause, comme pour me laisser le temps de me remettre correctement de la situation. Je ne le dis pas mais j’apprécie. J’essaye de me remettre un peu droite avant de lâcher un pauvre : « désolée ». Le vieux militaire me regarde avec compassion avant de prendre la parole.
- Nous allons arrêter la vidéo. Pouvez-vous juste nous confirmer la fin. C’est-à-dire que ces (il semble avoir du mal avec le mot) extra-terrestres, ont pris le corps de votre mari avant de repartir.
- Oui, c’est ça, j’arrive à répondre dans un souffle.
- Et pour votre fille ?
Mon estomac se noue. Je sens la bile monter dans ma gorge. Je déteste cette question, je déteste la réponse. Je me fais horreur.
- Elle… a couru vers son père pendant qu’ils emmenaient son corps. Elle s’est jetée dans le portail ! et moi je suis restée là sans bouger parce que j’avais peur !
Je hurle. De colère, de chagrin, de rage contre le monde entier mais surtout contre moi-même. Dans la vie, on fait des choix. On peut vous dire que vous n’avez pas eu de chance ou que c’est le destin mais en fait, dans la vie, ce sont nos choix et nos actes qui font la différence. Ce jour-là, j’ai laissé ma fille s’exiler dans un autre monde.
- Et d’après votre déclaration, se force à dire le vieil homme en lisant un document, ils sont absolument tous partis. En quelques secondes, le plateau du Garlaban était entièrement vide. Il ne restait que les cadavres des autres familles.
J’acquiesce de la tête. J’avais en effet tout perdu en quelques secondes.
- A-t-elle dit son nom ? par hasard ?
Je me redresse légèrement. Je trouve la question idiote et pourtant tellement logique. Je ne me suis jamais posé la question. Comment s’appelait cette femme ? Elle pouvait diriger une véritable armée de monstre mais jamais elle ne s’est présentée.
- Non.
- Et elle parlait notre langue ?
- Oui, parfaitement.
C’est la deuxième question inutile et pourtant tellement normale à se poser ! Jamais personne ne me l’avait posée. En fait, même moi je ne m’étais jamais posé ce genre de questions.
L’un des hommes se lève pour faire les cent pas. Il se trouve en bout de table et je comprends qu’il doit être encore plus important que les autres. C’est un militaire d’une soixantaine d’années. Il a les bras croisés dans le dos. Il pose son regard sur moi avant de souffler par les narines. Il semble contrarié.
- Notre contact est un homme et la description des créatures est très différente. Elle n’est pas rentrée en contact avec cet « Ashura ».
A l’énoncé de ce nom, mes yeux s’écarquillent. Le nom sonne comme un coup de fusil dans ma poitrine. Tout le monde s’aperçoit de mon changement d’attitude, y compris celui qui vient de parler.
- Vous connaissez ce nom ?
Je n’arrive pas à parler. Ashura est le nom d’une divinité dans un vieux manga que mon mari adorait et qui date de son enfance. Son pseudonyme dans toutes ses parties de jeux de rôles ou de jeux vidéo sur internet était : Ashura.
- C’est le nom d’un personnage de manga je crois. Mon mari aimait beaucoup ce nom. Il l’utilisait parfois comme pseudonyme avec ses amis…
Le changement d’ambiance dans la salle est radical. Il y a des regards en coin et des signes de tête. La tension est à son comble quand l’homme debout se met à parler :
- Qu’elle et son père soient mis aux arrêts. Je les veux dans une cellule et sous haute surveillance. On passe en alerte maximum, je veux une couverture aérienne vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec brouillage radar. Que les sous-marins se tiennent prêts. Il faut rejoindre la flotte internationale le plus rapidement possible.
Bon là, c’est la merde. Tout le monde se met à crier. Je peux juste entendre l’homme à côté de moi implorer son supérieur de ne pas faire ça. Je suis agrippée par les bras et transportée de force. Une alarme accompagnée de lumières rougeoyantes se met à sonner sur tout le navire et je sens les moteurs qui se mettent en marche. Mon cœur se met à battre la chamade. Au détour d’un croisement, je revois mon père qui lui aussi est escorté.
- Ça va ma chérie !? Qu’est ce qui se passe ?
- Je ne sais pas !
Je réponds mécaniquement car je suis perdue. On nous jette presque dans une cellule qui ne doit pas faire plus de six mètres carrés. La pièce est simple, deux couchettes en lits superposés, des sanitaires et un lavabo : l’horreur. Non, ça ne va pas le faire. Malgré l’angoisse de devoir faire mes besoins devant mon père, mon esprit revient à ce qui vient de se passer. Pourquoi est-ce qu’on nous enferme ? Qui est cet Ashura qui semble faire peur à tout le monde et pourquoi je me retrouve ici ?
- Caroline ! Qu’est-ce qui se passe ? continue mon père. Est-ce qu’ils ont retrouvé ta mère ?
Merde, je n’y avais plus pensé. J’espère qu’elle va bien.
- Je n’en sais vraiment rien papa. Ils ne m’ont rien dit, je crois qu’il y a d’autres monstres. Ils sont revenus mais ce ne sont pas les mêmes, enfin je crois.
Mon père s’énerve et va tambouriner à la porte :
- Laissez-nous sortir ! On n’a rien fait ! On veut voir notre avocat !
Ridicule. On est sur un bâtiment de guerre. Il doit certainement y avoir des gens hyper influents qui pourraient nous faire disparaitre d’un simple claquement de doigts. En plus, on n’a pas d’avocat. Le temps passe lentement et mon cerveau continue de rester fixé sur le nom de Ashura. J’essaye de me concentrer sur les paroles de cet enfoiré qui nous a fait jeter dans cette cellule : « elle n’est pas rentrée en contact avec cet Ashura ». Cela me fait repenser à mon mari et à ma fille. Je me demande si elle est toujours en vie. En fait, la vraie question, c’est est-ce qu’il vaudrait mieux pour elle qu’elle soit morte ?
Mon père vient d’arrêter de frapper sur la porte. Tant mieux car ça plus le bruit de la sirène, ça commençait à franchement être insupportable. J’aimerais le rassurer lorsque j’entends une détonation. Pas le genre de celle d’un pistolet à la télévision. Une du genre qui vous oblige à mettre la main sur vos tympans. Puis une deuxième. Mon père me prend dans ses bras et nous plaque au sol.
- Merde, c’est quoi ce bordel ! Ils font feu !
Il a raison. Les tirs s’enchainent, c’est la folie. Je n’ai jamais entendu mon père s’exprimer ainsi. Il panique et il y a de quoi. C’est un déluge de feu qui envahit la cabine. J’entends des cris dans le couloir, les hommes hurlent des ordres à tout va. Il n’y a pas de hublot, impossible de regarder à l’extérieur. Plusieurs minutes s’enchainent avec une cadence infernale avant que ne survienne une explosion qui manque de me faire tomber. Mon père s’est retenu de justesse au lit.
- Un navire est touché. Ce n’est pas le nôtre mais l’un des bateaux vient de prendre un missile. Il faut qu’on sorte de là, ma puce.
Il a encore raison. On est enfermés dans une boite métallique. Si le porte-avion subissait de gros dégâts, je pense que nous serions les derniers à être secourus. Néanmoins, sa tentative d’ouvrir la porte est ridicule. Il se met à hurler « ouvrez-nous ». Je ne connaissais pas ce côté battant chez mon père et je me surprends à aimer ça. La proximité de la mort le rend diffèrent, plus émotif. Je suis aussi triste pour lui car il ne sera pas à côté de ma mère lorsque ce sera la fin. Car oui, mon instinct me dit que la fin est proche. Contrairement à lui je n’imagine que trop bien ce qui risque de nous arriver.
Quelque chose me chiffonne. Il y a bien mon père qui continue de tambouriner à la porte mais en dehors de cela, c’est un silence de mort qui règne désormais sur le navire. Un calme qui se voudrait être rassurant alors que c’est tout le contraire qui se produit. Mon pouls s’accélère et je sens une goutte de sueur couler le long de mon dos.
- Papa arrête.
Mon père me regarde, incrédule.
- Mais tu ne comprends pas !
- Tais-toi !
Je lui plaque une main sur la bouche. Il reste con mais ne bouge plus. Il reprend le contrôle de lui-même, la panique semble quitter doucement son esprit. Il tend l’oreille. Rien. Ce n’est pas un simple silence, c’est un silence oppressant. Il enlève doucement ma main, je sens sa respiration qui s’accélère. Il a compris. La flotte n’a pas arrêté de faire feu car la menace a été éliminée mais parce qu’il n’y a certainement plus personne pour activer les canons.
- On est coincés ici, me chuchote mon père. Comment va-t-on faire ?
Je dois admettre que je n’en ai aucune idée. Mourir dans une cabine de faim et de soif après plusieurs jours d’agonie ne m’enchante guère. Je voyais cela plutôt avec des médicaments sur mon canapé, je l’avoue. Mais un bruit de métal nous ramène à la réalité. Quelque chose vient d’ouvrir, ou plutôt de défoncer une porte non loin de la nôtre. Il y a ensuite un cri puis plus rien. Maintenant c’est certain, on va y passer. Ils sont sur le navire. C’est assez logique au final. Ils ont certainement ouvert des portails sur le porte-avion pour attaquer de l’intérieur. Maintenant, ils fouillent le navire pour trouver les derniers survivants. Je me colle à mon père. J’ai peur plus pour lui que pour moi. J’inspire un grand coup, le visage collé à sa poitrine afin de sentir une dernière fois son odeur. Mon père a toujours eu une bonne odeur. Je sens sa main caresser mes cheveux. Il sait, il a compris.
- Je suis désolé de ne pas avoir cru à ton histoire. On ne pouvait pas savoir…