L'épouse d'un Dieu - Ben Chevalier - E-Book

L'épouse d'un Dieu E-Book

Ben Chevalier

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Beschreibung

Après l'attaque dévastatrice de Catoh, le légendaire de Nobtus, Brawn est entre la vie et la mort. Pour le sauver, je dois me rendre dans un autre monde, là où réside Sheliazades, la soeur d'Ashura. Mais alors que je me prépare à affronter l'inconnu, une autre menace grandit sous mes yeux : ma fille, Foudre, consumée par la colère, glisse peu à peu vers une voie que je redoute. Entre dieux et mortels, entre le devoir et l'amour, je devrai faire des choix qui pourraient tout changer. Jusqu'où suis-je prête à aller pour arracher Brawn aux griffes du destin... sans perdre ceux que j'aime.

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Seitenzahl: 362

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Du même auteur

Les Wizards : L’intégrale.

L'épouse d'un Dieu : Tome 1

Ben Chevalier

Ben Chevalier est un auteur passionné, né en 1981, qui signe ici son cinquième roman. Grand amateur de jeux de rôles et d'aventure, il puise son inspiration dans ces univers immersifs pour créer des récits épiques où se mêlent action, mythologie et émotions fortes. Adepte de la pop culture, il aime tisser des histoires où l'héroïsme, la destinée et les relations humaines prennent une place centrale.

Sommaire

L’épouse d’un Dieu : Tome 2

CHAPITRE 1

CHAPITRE 2

CHAPITRE 3

CHAPITRE 4

CHAPITRE 5

CHAPITRE 6

CHAPITRE 7

CHAPITRE 8

CHAPITRE 9

CHAPITRE 10

CHAPITRE 11

CHAPITRE 12

CHAPITRE 13

CHAPITRE 14

CHAPITRE 15

CHAPITRE 16

CHAPITRE 17

CHAPITRE 18

CHAPITRE 19

CHAPITRE 20

CHAPITRE 21

CHAPITRE 22

CHAPITRE 23

CHAPITRE 24

CHAPITRE 25

CHAPITRE 26

CHAPITRE 27

CHAPITRE 28

CHAPITRE 29

CHAPITRE 30

CHAPITRE 31

L’épouse d’un Dieu

Tome 2

CHAPITRE 1

Ainsi, me voilà à nouveau enfermée dans une infrastructure humaine, ce qui est, il faut bien l’admettre, assez cocasse. Bien évidemment, la situation est différente de la dernière fois. Pour commencer, ma fille, que j'ai été contrainte de calmer afin qu’elle ne transforme pas ce bâtiment en ruine, et moi-même sommes « installées » dans un vaste bureau richement décoré et confortable à souhait, ce qui est très distinct d’une cellule de porte-avions, croyez-moi ! La salle est spacieuse, baignée d’une lumière naturelle grâce à de grandes fenêtres qui offrent une vue panoramique sur la ville. Les murs sont revêtus de bois raffiné et garnis d’œuvres d’art contemporaines décrivant des scènes de batailles des siècles passés. Tout autour de nous, des étagères en verre exposent des livres et des pièces de collection. Un coin salon confortable est aménagé avec des fauteuils en cuir moelleux et une table basse élégante, créant un espace propice à la réflexion et à la détente, ce qui n’est pas pour me déplaire au vu de la situation. Et je ne parle même pas du service, car en moins d’une heure, pas moins de trois personnes sont déjà venues nous proposer un rafraîchissement. Je regarde une fois encore par la fenêtre pour admirer Dragar qui dort toujours tranquillement, preuve que nos vies ne doivent absolument pas être en danger. Ma fille est allongée dans l’un des canapés en cuir. Immobile telle une statue grecque, je la sens agacée par cette situation. De même que moi, elle préférerait être sur le chemin du retour, mais nous savons, l’une comme l’autre, que préserver la paix avec les humains est d’une importance capitale. Non pas que nous en ayons besoin, mais il reste notre monde d’origine, à toutes les deux. Le voir disparaître nous affecterait forcément, que nous le voulions ou non.

« Toc Toc Toc »

Nous tournons toutes les deux la tête vers la porte pour y découvrir un militaire d’un certain âge, qui ne m’est pas inconnu. C’était le seul qui, à l’époque, était opposé à notre incarcération, mon père et moi lorsque nous nous trouvions sur le porte-avions. Cette fois, je prends le temps de jauger l’homme.

Son uniforme impeccable, bien que certainement plus décontracté que celui revêtu pendant son service actif, est orné de médailles et d’insignes qui racontent l’histoire de ses nombreux exploits et de ses contributions exceptionnelles. La précision avec laquelle il le porte témoigne de sa discipline innée, une qualité restée ancrée en lui-même. Son visage est marqué par les lignes du temps, mais la sagesse qui provient de ses yeux perçants est incontestable. Une fine moustache grisonnante ajoute une touche de caractère à ses traits, soulignant son autorité indéniable. Ses cheveux, quoique légèrement argentés, sont coupés de manière soignée, reflétant son engagement envers l’ordre et la rigueur. Pourtant, il émane de lui une gentillesse naturelle. Lorsqu’il se déplace, il conserve une démarche assurée et mesurée, évoquant l’habitude des années de service militaire.

— Madame, je suis heureux de vous revoir, saine et sauve.

— Merci, même si aujourd’hui, c’est « Votre Majesté ».

Ma réponse nous fait tous les deux sourire, car je sais au fond de moi qu’il doit être le plus perdu de nous deux, au moins sur le plan protocolaire.

— Bien sûr, mes excuses, Votre Majesté, me déclare-t-il en me saluant bien bas.

— Ce n’est rien. J’aimerais pouvoir vous remercier pour votre attitude à mon égard au cours de de notre dernière rencontre et je suis heureuse que vous n’ayez pas été blessé lors de mon… sauvetage. Néanmoins, je ne connais pas votre nom.

— Général Marc Dujardin, à la retraite, pour vous servir.

— Et c’est vous que l’on envoie ? Avez-vous perdu à la courte paille, Général Dujardin à la retraite ?

Il ne peut s’empêcher de sourire à nouveau avant de s’installer dans l’un des fauteuils en cuir, l’air éreinté.

—Vous savez, quand on n’a rien à perdre, on se porte volontaire pour tout et n’importe quoi. Je ne pense pas que vous, ou votre fille, soyez venues ici pour tuer un vieil homme comme moi.

— En effet, je réponds en prenant moi aussi place dans un canapé. En revanche, j’aimerais beaucoup que vous m’expliquiez cette mascarade de tout à l’heure et ce que nous faisons là.

— Vous avez bien changé.

— Je ne suis plus en pyjama.

Nouveau petit rire complice entre nous deux. Je dois admettre que revoir un « humain » qui ne m’est pas hostile me fait du bien. Comme si ma nature humaine, ancrée au plus profond de ma personne, appréciait cet échange. Mais je sens qu’il va aborder un sujet plus sérieux, car je l’aperçois sortir un modeste mouchoir pour s’éponger le front et la jovialité passagère que nous étions arrivés à créer vient de laisser place à un visage tourmenté.

— Votre « arrestation » a été filmée à des fins de propagande. Le but était de rassurer les populations. Vous ne le savez peut-être pas, mais l’humanité est en état d’urgence.

J’acquiesce, parfaitement consciente de la situation.

— En d’autres termes, poursuit-il, on n’en mène pas large. La version officielle concernant l’attentat de l’escadre française a été qu’une véritable armée nous a attaqués. Bizarrement, il a été démontré que cela est plus rassurant que la vérité.

— Vous voulez dire qu’avouer au monde qu’un dragon et deux Welfens ont, à eux seuls, écrasé une flotte entière ne doit pas être dévoilé ?

Gêné, il me salue de la tête afin de me faire comprendre que j’ai parfaitement interprété ses propos.

— Donc que faisons-nous désormais ? Doisje appeler mon dragon afin qu’une fois de plus il vienne me récupérer ?

— Ça ne sera pas nécessaire, ma chère. Je suis mandaté pour… comment dire, vous demander le plus humblement possible si une entrevue avec votre… Dieu était envisageable.

Je ne cache pas ma surprise et je peux voir pour la première fois Foudre se redresser sur son canapé. Ainsi, ce n’est pas ma présence qui était espérée aujourd’hui, mais celle d’Ashura. Je pose instinctivement la main sur ma rapière alors que mon enfant se met debout.

— Ne vous méprenez pas, mesdames, essaie de me dire le vieux militaire. Nous ne souhaitons pas de conflit.

— Encore heureux pour vous ! lui dis-je avec stupeur. Vous étiez là la dernière fois qu’il y en a eu un. Ma fille à elle seule pourrait me faire sortir d’ici sans la moindre égratignure.

— Nous le savons, enfin, je le sais. Mais si cet Ashura n’est pas notre ennemi, pourquoi vous envoyer à sa place ?

Je bouillonne intérieurement. Même si j’éprouve de la sympathie pour ce vieil homme, je suis exaspéré par de telles attentes de la part des humains.

— Peut-être s’est-il dit que vous auriez moins peur d’une simple humaine ou peut-être qu’en tant que divinité, ce n’est pas dans ses priorités ?

Mon ton est presque condescendant et je le sens d’un coup beaucoup moins à l’aise.

— Je suis désolé si mes propos vous ont offensés, me répond-il sur la défensive.

J’essaie de me calmer, mais aussi de me mettre à sa place. Après avoir respiré un grand coup, je reprends la parole plus posément.

— En fait, j’imagine que je vais correspondre à vos attentes avec cette nouvelle : le Dieu Ashura et moi-même allons nous marier, afin que je devienne reine de l’Archipel de manière plus « officielle ». Nous en profiterons pour faire une cérémonie où seront conviés la plupart des chefs d’Etat de cette planète. Quoi de plus fédérateur que l’union d’une humaine et d’un Être suprême pour apaiser d’éventuelles tensions, ne pensez-vous pas ?

Secoué par cette annonce, je le sens à la fois soulagé et encore plus inquiet.

— À présent, si cela ne vous dérange pas, nous aimerions rentrer.

Je me lève afin qu'il comprenne que la mascarade s’arrête maintenant.

— Donc, soit vous nous laissez partir, soit je dis à ma fille de me faire sortir d’ici.

Sur ce, je peux voir l’intéressée me faire un grand sourire avant de se placer devant moi, satisfaite que je pense enfin à faire appel à ses services.

— Ça ne sera pas nécessaire, Votre Majesté, me répond le vieux militaire en me désignant la porte. Le bâtiment est très beau, mais bien moins résistant qu’un porte-avions…

CHAPITRE 2

Mon esprit vagabonde pendant que Dragar nous ramène sur L’Archipel. Ses grandes ailes déployées forment une ombre éphémère et terrifiante pour tous les êtres humains qui nous observent, telles des fourmis pleines de curiosités. Je peux voir les plus courageux sortir leurs téléphones portables pour tenter de prendre une photo et ainsi immortaliser un instant qui leur semble vital alors qu’il est, en fait, totalement insignifiant. Même si je ne le montre pas, j’apprécie le moment où nous franchissons tous les trois le portail afin de nous téléporter à la frontière de cet autre monde, ce nouveau chez moi. Nous survolons les villages Welfens et, comme au premier jour, je distingue des enfants qui se lancent à notre poursuite, excités par l’idée d’être capable de rattraper un dragon en plein vol. J’éprouve un sentiment de bien-être lorsque nous passons devant la tour de la vie avec sa multitude de lanternes qui éclairent le bâtiment à l'image d'un phare dans la nuit tombante, guidant ainsi tous le Welfens en quête d’une soirée pleine d’amusement ou de plaisir, voire les deux.

Dans le plus grand silence, comme à son habitude, ma fille se lève pour venir m’embrasser avant de sauter en direction de l’un des balcons de l’édifice au niveau des tavernes. J’ai encore le réflexe de retenir un cri d’effroi en la voyant ainsi se jeter dans le vide, mais sa condition de légendaire lui permet, sans surprise, d’atterrir avec souplesse vingt mètres plus loin.

— Elle est très préoccupée ces temps-ci. Le Maître est inquiet pour elle, souffle Dragar en la regardant évanouir entre les tables.

Je ne réponds rien, mais j’éprouve le même sentiment depuis déjà un moment. La disparition d’Illith et l’état critique de Brawn ont ravivé la flamme de la vengeance dans le cœur de ma fille, lui faisant dès lors oublier la joie de nos retrouvailles ainsi que son futur combat avec son prétendant.

Nous continuons de voler de la sorte en silence jusqu’au palais où Ashura m’attend sur la terrasse au sommet de l’édifice. Vaste tel un terrain de football, elle avait été créée pour fêter nos fiançailles qui ont été une catastrophe. Au final, c’est devenu un lieu où il apprécie de venir régulièrement pour « contempler l’univers », comme il aime si bien le dire. Une fois déposée au sol, je remercie Dragar qui s’empresse de repartir dans les airs, reprenant par conséquent son rôle de maître des cieux. En le regardant ainsi s’éloigner, je me demande objectivement d’où il est originaire. Est-il une création de mon mari ou vivait-il en fait dans un monde encore différent ?

— Ce n’est ni l’un ni l’autre, me dit mon époux en s’approchant de moi. Son histoire est très symbolique, mais il lui revient de te la raconter en personne.

Je le contemple avancer vers moi avec assurance. Ma main caresse mon cou presque mécaniquement sans y trouver le collier que j’ai enlevé le jour de l’attaque pour ne plus jamais le remettre. Depuis, je suis un livre ouvert pour lui, mais je ne suis plus un frein à ses pouvoirs.

— Il faudra que je lui demande de me raconter son histoire, elle doit être passionnante.

— Tous les récits sont fascinants. Il suffit de savoir les écouter, me répond-il avec une pointe de mystère dans la voix. Mais parlons un peu de toi, mon amour, tu t’es très bien débrouillée aujourd’hui.

— Merci, mais j’ai le sentiment que rien n’est joué. Les terriens sont…

— Terrorisés.

Il regarde dans le vague, comme s’il percevait la pensée de chaque être humain. Le pire dans tout ça, c’est que je suis certaine qu’il en est capable, mais ce n’est pas ce qui me fait le plus peur.

— Tu as déjà connu cette situation, n’est-ce pas ?

— En effet, me répond-il en me prenant dans ses bras. Notre nature divine provoque presque toujours ce genre de réaction.

— Et comment cela se termine-t-il d’habitude ?

— Plutôt mal. La crainte exhorte le peuple dominant d’une planète à désirer le rester, même si rien ne le remet en cause.

Je le serre contre moi plus fort, car je sais que ce n’est pas ce qu’il souhaite au fond de lui. L’humanité, qu’il le veuille ou non, demeure sa race d’origine et la détruire reviendrait à anéantir une part de lui-même.

— Tu penses qu’ils vont nous attaquer ?

— C’est incertain, me répond-il avec tendresse. Mais nous avons un problème plus urgent à régler. Demain, nous partirons pour le monde de Sheliazades et je sens que Foudre est perturbée.

— Demain ?

Je ne peux cacher ma surprise. Certes, je me doutais que notre départ était imminent, mais avec cette annonce, je réalise que dans moins de vingt-quatre heures, je quitterai cette planète pour visiter un autre univers. Je déglutis bruyamment une fois le choc passé et je resserre mon étreinte sur Ashura tout en essayant de maîtriser les battements frénétiques de mon cœur.

— Oui, me répond Ashura. Avoir un légendaire entre la vie et la mort est un problème. J'ignore si notre ennemi est au courant, mais je ne souhaite pas faire perdurer cette situation. Je dois prendre une décision pour Brawn…

— Tu ne peux pas dire ça !

J’explose littéralement, car c’est la première fois qu’il aborde le potentiel décès du légendaire.

— Sache que je dis ce que je veux ! me répond-il en me repoussant. Je suis un Dieu !

Il détourne le regard avant de poursuivre plus calmement.

— Je te demande pardon, continue-t-il en faisant apparaître une bouteille de vin et deux verres. Je n’ai plus l’habitude de dépendre de quelqu’un d’autre. Si Sheliazades refuse de nous aider, les choses pourraient dégénérer, d’où mon inquiétude vis-à-vis de Foudre.

Je m’approche lentement pour saisir l’une des coupes qu’il me tend. Il est rare de le voir ainsi se conduire comme un mortel et j’en viens presque à apprécier cet instant. J’admire la robe bordeaux du breuvage qui semble capturer la quintessence d’un coucher de soleil d’automne. Il m’en sert un verre et lorsque je le porte à mes lèvres, je me surprends à ne jamais avoir bu un nectar aussi délicieux. Les premières gorgées font écho à une symphonie sensorielle, caressant mon palais avec une douceur veloutée, puis éclatant en une explosion de saveurs délicates et nuancées. Le vin, riche en épopées et en variantes, dévoile un ballet de notes fruitées, une danse subtile entre les baies rouges et noires. Des arômes de vanille et de chêne enveloppent ma langue, évoquant des images de fûts de bois bien vieillis dans une cave ancienne. Les tanins, soyeux et bien équilibrés, semblent narrer des histoires silencieuses, laissant sur mon palais une empreinte persistante. Chaque gorgée est un voyage sensoriel, une exploration des terres où les raisins sont cultivés avec soin, des mains qui ont pris part à la récolte.

— « La Romanée », de mille neuf cent quatre-vingt-dix-neuf. Il pourrissait dans la cave d’un trafiquant d’armes d’Afrique centrale. Je vois que tu n’y es pas indifférente.

— N’essaie pas de m’embrouiller l’esprit avec… cette merveille ! (Dieu que c’est bon !) et parle-moi de Foudre et de ce qui risque de nous arriver demain.

— Tu as raison, reprend-il avec sérieux. Sheliazades est la fille de Droshin. Du peu que j’en sais, elle n’était pas vraiment proche de lui, mais ça ne doit pas jouer en notre faveur. De plus, elle a voué son existence à la vie et son origine. Autant dire qu’être le Dieu de la colère, de la guerre et du sang ne va pas l’encourager à nous prêter main-forte.

— Et tu penses que Foudre risque de mal réagir à un éventuel refus de sa part.

— Je compte sur toi pour canaliser sa fureur.

Je termine mon verre de vin d’un seul trait, avant de le lui tendre afin qu’il le remplisse.

— Je n’arrive pas à lui parler en ce moment. De plus, je ne connais pas la langue des signes.

— Ce deuxième point est un détail, me répond-il en faisant apparaître son épée si singulière et en prenant l’aspect du Dieu Ashura.

Ses yeux reflètent désormais la sagesse infinie malgré « son jeune âge », et chaque mouvement de sa main dégage une puissance créatrice. Il façonne par la pensée un anneau d’or pur, sa surface est ornée de symboles célestes. Dans chaque gravure, une histoire se dévoile, une narration mystique du pouvoir qui se profile. Au centre de la bague, une gemme chatoyante émet une lueur douce, telle une étoile captive.

— Porte cet anneau, il te permettra de la comprendre. Il est possible que notre première tentative avec Sheliazades soit un échec, mais s’emporter contre elle ne ferait qu’aggraver la situation.

— Je veux bien essayer, mais je ne te garantis rien, nous sommes devenues presque des étrangères l’une pour l’autre.

— C’est ce que tu crois et plus tu vas t’en convaincre, plus tu ressentiras de la difficulté à parler avec elle.

« Facile à dire quand on peut lire dans les pensées », hurlai-je intérieurement afin de lui casser les oreilles, ce qui eut pour résultat de lui arracher un petit sourire.

— Je vois que Madame reste enjouée malgré les épreuves pénibles que nous traversons.

— C’est l’adrénaline. Savoir que c’est ma dernière nuit sur Terre me rend un peu euphorique. Mais ne te fais pas d’idée, c’est pour dissimuler mon stress…

Avec douceur, il m’attire à lui. Son changement d’humeur est contagieux. Nos verres de vin disparaissent pour ressurgir sur une petite table basse fraîchement apparue. L’une de ses mains tire sur le lacet frontal de ma robe (mais elle n’en avait pas ?!) ce qui a pour conséquence de la faire tomber au sol avec une grande facilité, me laissant totalement nue face à lui.

— Comme c’est ta dernière nuit sur Terre, je me dois de la rendre mémorable, non ?

Je me jette littéralement sur lui, désireuse d’oublier toutes mes angoisses pour quelques heures. Ma bouche se colle instinctivement à son cou et je sens ses effets aphrodisiaques pénétrer mon corps et mon esprit. J’utilise ma force de Welfen nouvellement acquise pour arracher ses vêtements. Une main redoutable me saisit par la gorge pour me lâcher dans une rivière de coussins jonchant désormais le sol. Rapide comme l’éclair, il est déjà sur moi. J’ai réveillé en lui le Dieu, le monstre qu’il s’efforce de séquestrer au plus profond de son être. Des liens magiques m’attachent les poignets au-dessus de la tête, ce qui me surprend et m’excite au plus haut point. Ses mains puissantes écartent mes jambes avec une autorité enflammée, me réduisant à l’état d’une offrande sous son regard pénétrant. Un frisson exaltant me parcourt alors qu’il se penche sur moi, ses lèvres survolant mon épiderme, traçant un sillon brûlant le long de mon ventre. Chaque baiser, chaque contact de sa langue sur ma peau déclenche une onde de plaisir qui se propage dans mon organisme, me faisant perdre tout repère.

Je capte sa respiration chaude effleurer l’intérieur de mes cuisses, et mon désir s’intensifie. Nos langues, ces organes chargés de sensations interdites, se cherchent, se caressent, s’enroulent avec une précision presque animale. Dès qu’elles se rencontrent, c’est un choc, une fusion d’essences et d’énergie brute. Il m’explore, chaque coup de langue résonnant en moi comme un sortilège qui embrase mes sens.

Le lien entre nous est électrique, quasi mystique. Mon corps répond malgré moi, s’ouvrant à lui avec une avidité incontrôlable. Nos souffles se mêlent, nos enveloppes charnelles se courbent sous l’intensité de la jouissance qui monte, et bientôt, je ne distingue plus où je finis et où il commence.

Je suis sienne, entièrement, irrévocablement, et dans cet abandon, je trouve une extase indicible.

CHAPITRE 3

C’est une agréable caresse qui m’extirpe d’un profond sommeil. Je me délecte de cette sensation d’avoir le corps nu de « l’homme » de ma vie collé au mien, surtout après la nuit que nous venons de passer. En ouvrant les yeux, je découvre l’Archipel sous un nouveau jour. Pour la première fois, je me réveille sur le toit du palais en pleine aurore. Bien que magnifique, je ne peux m’empêcher d’imaginer cet endroit en feu. Comme si mes angoisses revenaient au premier plan malgré les heures de plaisir que j’ai récemment vécu.

— Tout va bien se passer mon amour, me chuchote Ashura tout en me caressant le dos. Je ne laisserai personne nous faire du mal.

Je me colle encore plus à lui afin de profiter de l’instant présent. Ses bras puissants m’encerclent et me rassurent tout en faisant renaître en moi un désir presque incontrôlable.

— On a le temps pour un deuxième round ?

— Non, me répond-il alors que j’imagine un sourire sur ses lèvres. Rafale et Foudre ne vont pas tarder et les connaissant, elles ne seront pas en retard.

Effectivement, Rafale et Foudre arrivent à l’heure. Leurs visages fermés reflètent la gravité de la situation mais démontrent aussi une concentration sur l’instant présent tandis qu’Ashura se prépare à activer le portail vers le territoire de Sheliazades. J’essaye de ne pas le montrer mais je suis totalement terrorisée par les circonstances et je pose une main sur Cubi, mon fidèle compagnon, car sa nature magique me rassure. Quand la faille interdimensionnelle s’ouvre devant moi, mon corps entier me hurle de prendre mes jambes à mon cou. Pour les membres de ma famille et Rafale, quoi de plus banal que de se déplacer de monde en monde tel un oiseau qui volerait d’arbre en arbre. Alors que, pour ma part, j’ai l’impression que ce voyage sera un aller simple vers l’inconnu et son infinité de possibilités, bonnes, comme mauvaises.

« Ne t’en fais pas, je vais rester près de toi, tu ne risques rien ».

À ma grande stupéfaction, les actions de ma fille sont désormais accompagnées de paroles d’or qui glissent sous mon regard, me donnant la faculté de le déchiffrer enfin. L’anneau s’anime entre mes doigts pour me partager son pouvoir : « la scribomancie ». Les mots se stabilisent dans l’air, permettant à ceux qui ont cette magie de comprendre les mouvements comme s’ils lisaient un livre. Chaque signe devient une lettre, chaque geste une syllabe, et ainsi naît une prose visuelle captivante. Les modulations émotionnelles et les subtilités du discours manuel prennent vie de manière éblouissante grâce à la Scribomancie. Les couleurs et la luminosité des termes varient en fonction de l’intention, créant un langage optique riche en sentiments et en nuances. Cette magie va au-delà de la simple traduction. Elle offre une compréhension profonde et immédiate, une connexion où les mots se révèlent dans toute leur splendeur visuelle. Je reste de nouveau sans voix devant l’art envoûtant que peut produire mon mari alors que Foudre me tend la main, comme si de rien n’était. Sans rien dire, j’agrippe sa paume ouverte et nous nous dirigeons vers le portail. La fille épaule sa mère, ce qui me navre, car je réalise que je suis une fois de plus une déception pour elle.

— Elle est loin de penser cela de toi, me dit Ashura lorsque nous le rejoignons. Elle sait parfaitement ce que tu es en train de vivre : la terreur. C’est ce qu’elle a ressenti au moment où Illith et ses armées nous ont enlevés. Elle te trouve très courageuse.

Ma fille me confirme d’un hochement de tête que son père dit vrai et j’éprouve une irrésistible envie de la prendre dans mes bras. Mais un simple regard vers ce maudit portail m’en dissuade.

— Que va-t-il se passer ? Je veux dire, qu’est-ce que je vais ressentir ?

— Rien de spécial, me répond Rafale tout en fixant l’ouverture. Comme si vous descendiez une marche.

— En revanche, poursuit mon mari, ne panique pas une fois de l’autre côté. La planète sur laquelle vit cette déesse est recouverte par un unique océan. Je vais donc dans un premier temps nous faire apparaître dans les airs.

Je ressens une pointe d’appréhension dans sa voix et je remarque qu’il n’enchaîne pas avec un « dans un deuxième temps » et je me demande ce que cela signifie. Bien que tout cela soit très perturbant, je recentre mon attention sur le vortex que Rafale franchit devant moi, disparaissant ainsi dans une spirale de flammes noires et mauves peu rassurante. J’imagine qu’elle en avait marre d’attendre.

— Pas du tout, me dit mon indiscret de mari (pourquoi ai-je enlevé ce collier déjà ?). Elle part en éclaireuse au cas où.

— Au cas où quoi ?

— Au cas où il y ait un comité d’accueil. Disons que ce n’est pas la déesse avec qui j’ai les meilleures relations et venir sans me faire annoncer pourrait être mal perçu.

Nous patientons une bonne minute ainsi, dans le plus grand silence, avant que ma propre fille ne se dirige aussi vers le portail et le franchisse sans un regard en arrière pour nous.

— Rafale va bien, me rassure mon mari, mais nous sommes attendus de l’autre côté. Tu es prête ?

— J’ai le choix ?

Ma répartie lui tire un rire.

— C’est pour ça que je t’aime, me répond-il en faisant apparaître son épée.

Son regard devient celui d’Ashura et il comprend que cela ne me choque plus, au contraire même, je commence à le préférer ainsi. C’est main dans la main que nous traversons le portail.

Lorsque j’ouvre les yeux, l’air est soudainement lourd et saturé d’humidité, chargé de l’odeur saline de l’étendue d’eau. Autour de moi, l’horizon semble infini, ne dévoilant que des vagues déchaînées et une mer d’un bleu profond, s’étirant à perte de vue. La planète que je contemple est entièrement recouverte d’un océan immense, dont les flots tourmentés sont secoués par une tempête apocalyptique. Des éclairs zèbrent le ciel noirci, illuminant par moments l’atmosphère chaotique, révélant des tourbillons gigantesques et des lames colossales, qui montent et s’effondrent dans des rugissements tonitruants. Le vent hurle tel un fauve, projetant des gouttes d’eau froide qui cinglent ma peau. L’océan paraît presque vivant, à l’image d’une entité démesurée et indomptable, son énergie brute palpable. Sur cette planète aquatique, la tempête semble éternelle, comme un cycle naturel qui a façonné cet écosystème marin. Des créatures mystérieuses aux formes étranges apparaissent brièvement sous les vagues, leurs silhouettes colossales trahissant des êtres adaptés à cet environnement. Certaines sautent hors de l’eau, plongeant à nouveau dans des éclaboussures titanesques, tandis que d’autres, plus discrètes, glissent sous le voile liquide, sous la forme d’ombres furtives.

Il aurait été impossible de croire que nous étions toujours sur Terre. Flottant à quelques mètres de la surface, je contemple cet horizon inconnu et si improbable. Je m’accroche de toutes mes forces à mon mari qui ne s’en aperçoit même pas tant il est obsédé par la créature qui s’approche de notre groupe en fendant les flots. Sa nageoire dorsale, grande d’une dizaine de mètres, oscille tel un serpent se dirigeant vers sa proie. Elle semble être de couleur brune, ou jaune, la luminosité était très différente de la Terre. Arrivée à notre niveau, elle se redresse pour nous faire face, ignorant le tumulte de la mer. Maintenant que je la vois dans sa totalité, j’ai l’impression d’avoir affaire à une murène géante dotée d’une peau de bronze.

— Qu’est-ce que cela ?

— C’est Lovas, un légendaire de Sheliazades.

— Mais il est monstrueux comparé à....

Je n’ose terminer ma phrase mais mon regard en dit long. Foudre et Rafale me semblent bien fragiles face à une telle créature.

— Ne te fie pas à la taille ou à l’apparence. Ta fille a déjà combattu bien plus dangereux que lui me répond-il presque avec désinvolture.

Je peux le voir lancer un coup d’œil en direction de sa co-équipière, comme s’il lui adressait un signe, compréhensible seulement par eux deux.

Cette dernière prit alors la parole, hurlant presque pour couvrir le vacarme de l’océan.

— Grand Lovas, légendaire de Sheliazades. Nous sommes venus en paix pour nous entretenir avec ta souveraine. Je me nomme Rafale et je suis moi aussi une légendaire au service du Dieu Ashura, le maître de la guerre, de la colère, et du sang. Je suis accompagnée de sa fille et de sa femme. Consens-tu à nous conduire à elle ?

La créature nous observe tout en restant silencieuse. Je peux discerner dans son regard le signe d’une grande intelligence, voire de la sagesse. Mais je peux y lire également le conflit intérieur qui la ronge. La question étant : hésitet-elle à nous laisser passer ou à nous dévorer ?

— Votre arrivée perturbe la quiétude de ma maîtresse.

Je suis étonnée, car son immense gueule ne bouge absolument pas pour nous parler.

— Nous ne vous attendions pas, reprendelle. Mais la Déesse Sheliazades est disposée à recevoir… son frère et l’assassin de son père.

La réponse claque comme un coup de fouet. Certes, nous venions d’obtenir audience, mais le ton était posé.

CHAPITRE 4

La créature nommée Lovas ne nous laisse pas le temps de répliquer et rejette son corps dans la mer avant de disparaître sous les flots.

— Ça ne s’est pas si mal passé que ça ? Ironise mon mari en regardant Foudre. Tu vois, je t’avais dit que nous aurions le droit à un accueil chaleureux !

Cette dernière lève les yeux au ciel avant de lui répondre en langage des signes : « Cause toujours, je sens qu’on va manger du poisson grillé ce soir ». Le tout accompagné d’un vulgaire tirage de langue parfaitement immature, surtout pour une femme de cent trente-sept ans.

— Nous devrions le suivre, tranche Rafale, impatiente. Libre à vous de faire de la cuisine avec le vieux Lovas mais n’oubliez pas pourquoi nous sommes ici.

— Tu as raison, ma chère, lui répond mon mari. Restez prêt de moi, sauf si vous désirez y aller à la nage.

Comme une seule personne, nous nous jetons presque sur lui, ce qui lui arrache un petit rire. Une fois calmé, il crée un bouclier de magie avant de nous plonger tous ensemble dans les eaux obscures de cette planète. La chute devient rapidement oppressante, car les ténèbres des profondeurs de l’océan me privent de presque tous mes sens et je me demande comment mon mari arrive à se repérer dans cet environnement si peu accueillant. Notre guide s’est mué en un véritable fantôme des abysses, nous frôlant tel un spectre, ce qui me fait littéralement sursauter alors que mes trois compagnons de route semblent totalement immunisés contre la terreur qui peu à peu m’envahit. Il nous faut encore descendre plusieurs minutes avant d’apercevoir des lueurs qui, pendant un bref instant, me font croire que je contemple non pas le fond marin mais un ciel étoilé. Un peu plus de temps est nécessaire pour comprendre que c’est une ville qui se dresse progressivement devant nous. Des signes de vie se ressentent dans un premier temps mais je discerne un contraste important entre l’Archipel et ce monde si singulier. Des êtres nous observent à travers les fenêtres des premiers bâtiments. Certaines ont l’apparence de créatures aquatiques alors que d’autres ont l’air de ne rien avoir à faire là, comme ce couple d’aigles plus ou moins humanoïde. Je distingue de l’ennui, voire de la tristesse dans presque tous les regards et je me remémore les paroles de mon mari sur le rôle présumé des adeptes de ses frères et sœurs : ce ne sont généralement que des esclaves dont l’utilité est de protéger et servir l’être divin qui les a fait naître. Je me souviens qu’Ashura m’avait raconté, lors de nos retrouvailles, que les Welfens avaient une vie et un statut bien différent. C’est en observant ce nouveau monde, pourtant surprenant et magnifique, que je réalise à quel point l’esprit de mon époux a fait preuve de créativité et de bonté envers son peuple. Mes réflexions me mènent vers une conclusion qui réveille en moi la peur de rencontrer la déesse Sheliazades. Elle qui se prétend déesse de la vie, ne devrait-elle pas être la première à chérir toute forme d’existence ? Pourquoi ne pas considérer ses disciples avec autant d’intérêt, voire plus que le Dieu de la guerre, de la colère et du sang ?

— Ceux qui résident dans ces bâtiments ne sont que de pures créations. Ses serviteurs vivent en liberté dans les océans, répond mon mari à ma question pourtant muette. Ce ne sont pas les plus à plaindre. Illith traitait les siens avec beaucoup moins d’égards, c’est la seule chose qui me gênait vraiment chez elle.

L’entendre parler ainsi au passé de la déesse Illith me surprend, mais pas autant que la révélation qu’il vient de faire. Je regarde à nouveau toutes les entités qui nous fixent pendant que nous nous enfonçons plus profondément dans cette cité engloutie.

— Je croyais que concevoir la vie vous était possible, mais que cela était difficile.

— Difficile est un euphémisme. Engendrer un être à partir de zéro est un vrai périple. Rien ne doit être laissé au hasard. La moindre erreur susciterait le décès de la créature et lorsque nous y arrivons, nous devenons responsables de nos œuvres. Introduire une nouvelle espèce dans l’espace n’est pas sans conséquence. Certains Dieux, par amusement, ont généré de véritables fléaux. Plus une élaboration est simple, plus il est facile de la faire survivre. Mais il existe des entités composées autrement que par de la matière organique, avec des esprits extrêmement sauvages, qui voguent dans l’univers, semant mort et destruction, pour le plaisir de leur fondateur.

— C’est atroce ! je réponds tout en réalisant l’horreur de cette révélation.

— Cela s’appelle l’ennui. Vois-tu, pour certains, l’éternité doit avoir son lot d’amusement. Mais ne te préoccupe pas de cela, enchaîne mon mari, nous arrivons.

Bien que ses déclarations me choquent, je préfère reporter mon attention sur l’instant présent et notre périple. En effet, je discerne comme une bulle d’oxygène géante, suspendue tel un joyau dans les abysses. Elle n’est pas simplement une poche d’air emprisonnée : elle est parfaitement sphérique, presque surnaturelle, comme si elle avait été façonnée avec une précision divine (suis-je bête ! c’est le cas !). Notre guide nous fait signe de continuer de le suivre tout en faisant de grands cercles autour de nous.

— Ma maîtresse se trouve sous le dôme. Je resterai à l’extérieur, mais si l’un d’entre vous lui manque de respect ou se montre hostile, je me ferai une joie d’intervenir.

— Écoute-moi le poisson, commence Rafale, les griffes en avant.

— Tout ira bien, souligne par-dessus mon épaule mon mari en jetant un regard noir à sa légendaire. Nous sommes venus en paix et nous repartirons habités par les mêmes sentiments.

Après avoir poussé comme un reniflement aquatique, notre guide disparaît au détour d’une ruelle, nous laissant donc seuls devant ce qui semble être l’espace privé de Sheliazades. Je sens une petite chose caresser ma main qui n’est autre que Cubi. Est-il inquiet de l’endroit dans lequel nous nous trouvons ? Du coin de l’œil, j’aperçois mon mari qui se concentre afin de déployer le bouclier qui nous protège de la noyade pour lui faire chevaucher le dôme sécurisé de la maîtresse des lieux, nous permettant ainsi de découvrir un nouveau paysage aussi surprenant qu’improbable.

En pénétrant dans la bulle d’air, la sensation est presque irréelle. La pression immense des profondeurs semble disparaître, remplacée par une étrange légèreté, comme si un souffle invisible nous soulevait. Au cœur de cette bulle, une salle gigantesque se dévoile, semblable à une cathédrale, mais avec la majesté d’un palais taillé dans un rêve. Le sol est recouvert d’un marbre bleu d’une pureté inégalée, veiné d’argent scintillant qui reflète la lumière douce et diffuse émanant de la voûte. Ce marbre semble vivant, comme si les courants sous-marins y avaient imprimé leurs flux, des vagues figées dans la pierre. À chaque pas, le dallage résonne d’un écho feutré, amplifiant le sentiment de grandeur intemporelle. Les murs, immenses et légèrement incurvés, sont incrustés de cristaux translucides aux teintes opalescentes. Ces cristaux captent et diffusent la lumière environnante, projetant des reflets dansants sur les surfaces voisines. Des motifs gravés dans les cloisons, semblant raconter une histoire oubliée, serpentent le long des parois. Ces motifs, finement ciselés, dépeignent des créatures marines fantastiques, des spirales évoquant des courants et des symboles mystérieux qui échappent à toute tentative de déchiffrement immédiat. De hauts piliers soutiennent une voûte qui paraît s’étendre à l’infini. Chacun de ces piliers est orné de sculptures, représentant des figures énigmatiques, à la fois humaines et aquatiques, similaires à des gardiens silencieux de cette aire sacrée. Des algues phosphorescentes s’enroulent autour des colonnes, ajoutant une touche organique à cette architecture imposante. L’air est chargé d’une énergie presque palpable, un mélange de mystère et de solennité. Ce lieu n’est pas simplement un espace physique : il est imprégné d’un sens profond, comme un sanctuaire oublié ou un palais destiné à des êtres audelà de la compréhension humaine. Chaque recoin murmure une histoire, chaque détail invite à l’émerveillement et à la contemplation. Pourtant ce n’est rien en comparaison avec le spectacle qui se déroule sous mes yeux…

CHAPITRE 5

En découvrant l’Archipel et plus particulièrement les derniers étages de la tour de la vie, j’avais perçu la facette invisible de l’esprit de mon mari. Dans sa nouvelle existence et doté de capacités inédites, il avait donné naissance à une société beaucoup plus « débridée » que l’humanité. Jamais je n’aurais imaginé retrouver ça quelque part et encore moins dans les tréfonds d’un océan.

Des coussins de couleurs vives sont éparpillés un peu partout, et des créatures, plus bizarres les unes que les autres s’accouplent sans prendre vraiment conscience de notre entrée. C’est une véritable orgie qui se déroule sous mes yeux ébahis. J’assiste à un enchevêtrement de corps, mélodie physique d’un concerto cacophonique et même avec toute la volonté du monde, je n’arrive pas à entrapercevoir le plus léger signe d’érotisme dans cette scène qui me fait finalement penser à un cirque de mauvais goûts. Il me faut plusieurs secondes pour comprendre ce qui cloche, ce qui rend cette « frasque d’amour » si disgracieuse : aucun des acteurs ne paraît y prendre du plaisir.

— Par ici, restez près de moi, lance mon mari en avançant sans prêter la moindre attention aux cris de jouissance, mais aussi de douleur des participants.

Je suis rassurée de constater que Rafale et Foudre semblent autant écœurées que moi par ce spectacle. Cubi, mon fidèle compagnon, fait une fois de plus preuve d’une belle sensibilité en faisant barrage de son corps afin de bloquer une partie de ce que mes yeux captent, limitant ainsi la dose d’horreur que je dois supporter.

Nous arrivons devant un grand bassin, ce qui est assez comique quand on sait que l’on se trouve en fait au fond d’un océan. Le nuage de vapeur qui trouble ma vue me signale que l’eau doit être relativement chaude. Seule une créature semble s’y prélasser et je devine assez facilement que la déesse Sheliazades se tient face à nous. Mesurant près de cinq mètres de haut, j’ai en face de moi une sirène avec un corps totalement tapissé d’écailles dont la couleur varie en fonction de la position qu’elle adopte ou de l’angle duquel je la regarde. De longs cheveux rouges courent le long de ses épaules pour terminer sur son bassin, le recouvrant presque entièrement. Trois paires de bras enlacent un sceptre qui me fascine, car il semble fait de la même matière que l’épée de mon mari. Je n’arrive pas à savoir pourquoi, mais cette précision me saute aux yeux et je ressens au fond de moi que ce n’est pas un détail ou une coïncidence.

« La Reine Sheliazades ».

La voix de Lovas vient de résonner dans tout le dôme, ce qui a pour effet, tel un ordre silencieux, d’interrompre cette parodie d’orgie afin que toutes les créatures présentes se prosternent. Même Foudre et Rafale posent un genou à terre. J’hésite une seconde avant de vouloir faire pareil, mais le bras puissant de mon mari me ramène à sa hauteur. Il attribue de ce fait un rang privilégié à notre couple au milieu de centaines d’individus. Cela aurait pu me rassurer si je n’avais pas croisé le regard de la divinité qui me transperce avec un intérêt tout particulier.

— Ma sœur, commence Ashura. Je te remercie de me recevoir alors que je ne me suis pas fait annoncer.

Seul le silence fait écho à ses paroles, engendrant un malaise certain alors que la déesse de la vie continue de me dévisager avec intensité, à tel point que je me sens comme un pot de miel devant un ours affamé.

— Qui est cette créature ? lance-t-elle sans me quitter du regard.

Sa voix est une chanson, une mélodie.

— Mon épouse, réplique mon mari agacé.

— Que d’animosité pour une simple question « Mon frère » ! J’espère que tu n’es pas venu m’en poser une. Je serais tentée d’y répondre avec la même sécheresse.

Je jauge la situation et je comprends rapidement en voyant le poing d’Ashura se serrer à s’en faire blanchir les jointures que son titre de Dieu de la colère risque de coûter la vie à son légendaire.

— Je m’appelle Caroline votre majesté. J’étais la femme d’Ashura avant qu’il ne devienne l’un des vôtres.

Mon intervention a le mérite de surprendre tout le monde, y compris mes propres compagnons. Mais la réaction la plus inattendue reste celle de Sheliazades qui se laisse glisser dans le bassin pour se rapprocher de nous. Arrivée à ma hauteur, elle me dévisage un court instant avant de se mettre à rire. Le son résonne dans tout le dôme et les expressions interloquées des grotesques personnages qui m’entourent m’informent que ce comportement n’est pas dans ses habitudes.

— Bonjour à toi petite Caroline, future épouse du Dieu de la guerre, de la colère et du sang.

Je peux la voir reporter à nouveau son attention sur Ashura, mais tout en restant très proche de moi.

— Ainsi, tu vas t’unir à elle et en faire une immortelle, c’est original. Je ne te croyais pas du genre nostalgique.