L'Homme en bleu - Michel Fontaine - E-Book

L'Homme en bleu E-Book

Michel Fontaine

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Beschreibung

Une convalescence forcée de trois mois va permettre à Victor de découvrir les incroyables merveilles historiques de Kyoto. Derrière les innombrables temples et les magnifiques jardins, un Japon plus profond va se révéler, parfois difficile à comprendre pour un français. Mais qui est donc cet Homme en Bleu sur le Chemin de la Philosophie ? Un voyage poétique et onirique au pays du soleil levant

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Seitenzahl: 179

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Glossaire

Quelques explications sur des mots ou expressions japonaises utilisés dans le livre et signalées par un chiffre entre parenthèses

1. Buddha

Figure divine de l’extrême orient – inspiration du bouddhisme – très présent au Japon notamment sous forme de statues

2. Ryokan

Maison d’hôte - auberge traditionnelle depuis le moyen âge – construction en bois – hospitalité « à la japonaise »

3. San – Sama

Pas de différence entre « tu » et « vous » au Japon. Des proches s’appelleront par leur nom : Yamato – Des connaissances par Yamato-san – Yamato-sama indiquera un respect plus grand.

4. Kanji

Le plus ancien des trois modes d’écriture au Japon – signes issus des caractères chinois

5. Boro

En français=guenille – par extension pièces de textiles cousues pour faire durer des vêtements – utilisés par les paysans et les pauvres – bleu indigo et marron principalement

6. Zen

Branche japonaise du bouddhisme, le zen met l’accent sur la méditation – le plus ancien temple zen (13ème siècle) est à Kyoto – par extension, attitude calme et sereine

7. Miso

Le miso est issu de la fermentation de céréales – soja – riz – orge. La soupe de miso est un bouillon clair servi dans un bol qui contient du miso.

8. Sakura

Les sakuras sont des cerisiers ornementaux très présents dans la culture japonaise. Leur floraison symbolise le caractère éphémère de la beauté et par extension de la vie.

9. Origami

Art japonais du pliage du papier et par extension objet réalisé selon les règles de l’art japonais

10. Obi

Ceinture traditionnelle japonaise faite uniquement d’une très large bande de tissu. Utilisée pour les kimonos, elle les ferme avec un nœud qui peut être très sophistiqué

11. Ôtemachi

Alternative aux tuyaux de descente d’eau pluviale occidentaux, les ôtemachis sont des chaînes constituées de métal permettant de guider la chute de l’eau vers le sol

12. Teppanyaki

Style de cuisine japonaise où les ingrédients sont cuits sur une plaque chauffante avec un filet d’huile de soja devant le client. Le cuisinier ajuste la cuisson à la demande.

13. Torii

Portail traditionnel japonais érigé à l’entrée d’un sanctuaire de façon à séparer l’enceinte sacrée de la partie profane. La couleur habituelle d’un torii est rouge vermillon.

14. Yudofu

Plat du Japon originaire de Kyoto. Le tofu coupé en cubes est bouilli dans un liquide aromatisé principalement par une algue – kombu – et de la sauce soja. Très prisé des végétariens.

15. Bento

Boite à repas et par extension repas complet préparé à l’avance pour être consommé plus tard notamment au déjeuner loin de chez soi.

Sommaire

Glossaire

CHAPITRE 1

CHAPITRE 2

CHAPITRE 3

CHAPITRE 4

CHAPITRE 5

CHAPITRE 6

CHAPITRE 7

CHAPITRE 8

CHAPITRE 9

CHAPITRE 10

CHAPITRE 11

CHAPITRE 12

CHAPITRE 13

CHAPITRE 14

CHAPITRE 15

CHAPITRE 16

CHAPITRE 17

CHAPITRE 18

CHAPITRE 19

CHAPITRE 20

CHAPITRE 21

CHAPITRE 22

CHAPITRE 23

CHAPITRE 24

CHAPITRE 25

CHAPITRE 26

CHAPITRE 27

CHAPITRE 28

CHAPITRE 29

CHAPITRE 30

CHAPITRE 31

POSTFACE

CHAPITRE 1

Il y avait très peu de voyageurs venus de Tokyo en ce froid samedi matin de début janvier. A l’arrêt de Kita-Kamakura, un seul couple descendit du train en même temps que Victor. Ils partirent par la sortie nord en traversant les rails dès que le train fut reparti vers la gare suivante de Kamakura.

L’air était vif et la température proche de zéro. Le soleil était annoncé par la météo après une légère brume matinale. Respirant un grand coup, Victor remonta le col de sa doudoune et se redressa avec un large sourire, laissant son regard embrasser un paysage qu’il connaissait bien.

Machinalement, il vérifia les horaires des trains pour le retour vers Tokyo afin de s’assurer qu’ils n’avaient pas changé avec la nouvelle année et prit l’étroit sentier goudronné qui longeait la voix de chemin de fer.

Il se dirigea sans hâte vers le temple Engaku-ji situé à quelques minutes de marche, le cœur léger, simplement heureux d’être là.

Ce temple Engaku-ji fut le premier qu’il découvrit trois ans auparavant dès son arrivée au Japon et depuis, il avait dû le visiter une douzaine de fois, sous des saisons différentes, toujours avec le même plaisir.

Le déroulé de la journée était assez immuable. Une heure de train de bon matin, descente à Kita, deux heures ensuite à flâner dans le temple Engaku-ji.

La visite finie, une heure de marche sur différents sentiers balisés pour rallier le centre de Kamakura, un arrêt dans un café pour reprendre des forces, et un détour obligatoire pour admirer le Grand Buddha (1).

Enfin, selon l’affluence touristique, la visite ou non du temple Hasedara. Retour ensuite sur le centre de Tokyo à partir de la gare de Kamakura.

Victor avait testé différents lieux pour déjeuner rapidement. Il avait même essayé le McDo de Kamakura – étonnamment japonisé et excellent - et il savait qu’il y emmènerait son petit-fils le jour où ce dernier viendrait le voir au Japon, probablement plus tard au printemps.

Le Grand Buddha témoignait du lointain passé glorieux de Kamakura, capitale du Japon au 13ème siècle. Gigantesque statue de bronze de plus de onze mètres de haut, ce monument national avait bravé tant bien que mal divers tsunamis et tremblements de terre et il était tout simplement impressionnant de beauté. Un effet « waouh » toujours garanti.

Pendant que les chrétiens de l’Europe de l’ouest bâtissaient leurs cathédrales, les japonais construisaient leurs temples et autres Buddhas. Une transcendance tout à fait comparable qui anima les humains au même moment pour des religions différentes aux deux extrémités du monde.

Une similitude temporelle étonnante qui avait fortement interpellé Victor !

Le temple de Hasedara était lui, comme certains autres au Japon, un haut lieu du tourisme de masse. Un splendide jardin manucuré, des bâtiments superbement entretenus, un immense dieu en bois un peu effrayant, des dorures à la pelle, des grandes et petites poteries, une signalétique et des dépliants en différentes langues, avec à la clé une vue panoramique sur la ville de Kamakura et sur l’océan.

Pour le décrire, Engaku-ji était tout simplement le contraire du temple Hasedara. Construit également au treizième siècle, il était sobre, un peu sauvage, dans « son jus ». Assez peu visité par les touristes, l’ensemble des bâtiments et du jardin dégageait aux yeux de Victor un calme et une sérénité communicative. Il venait s’y resourcer régulièrement.

Pendant les six premiers mois de son séjour, Victor fit le gros effort d’apprendre à parler un japonais basique qui lui permettait de vivre au quotidien sans être totalement perdu. Un nouveau mot chaque jour et une séance d’une heure chaque samedi avec un professeur. Il aurait bien aimé pouvoir écrire également mais il n’aurait fallu faire que cela.

Au-delà de la liberté o combien agréable d’aller et venir sans interprète, cette toute relative maitrise du japonais à l’oral l’avait beaucoup aidé dans sa mission car parler leur langue conférait à un étranger un statut et un respect tout à fait spécial de la part des japonais.

Victor était très loin de pouvoir tenir un échange « académique » sur des sujets pointus mais sa pratique avait été suffisante pour s’exprimer quotidiennement avec ses troupes locales. Elle s’était améliorée depuis au fur et à mesure que le temps passait.

Cette connaissance de la langue lui permit d’ailleurs dès la troisième visite à Engaku-ji d’échanger avec les gens de l’accueil, quelques jardiniers et même plusieurs moines. De fil en aiguille, il était maintenant bien connu dans ce temple et il avait même pu au hasard des visites entrer et visiter certains bâtiments interdits au public.

Victor avait notamment passé une demi-journée entière avec ceux qui gardaient et entretenaient jalousement la cloche du temple. Un véritable joyau qui venait également du treizième siècle. Avec un système d’actionnement tout à fait original qu’il n’avait vu qu’au Japon.

Les toitures faites de tuiles de bois ouvragées descendaient pour certains bâtiments très bas vers le sol. Elles étaient toutes d’une beauté sauvage. Elles semblaient faites pour durer des siècles et il avait fallu des aléas climatiques dévastateurs réguliers dans ce pays pour les vieillir, les polir et les marquer de cicatrices diverses.

Il avait assisté deux ans auparavant à une réunion de tir à l’arc dans un des bâtiments annexes. Spectacle tout à fait étonnant où chaque tireur était vêtu d’habits « d’époque » et où les mouvements lents et précis de chacun prenant une flèche dans le carquois formait un ballet d’une poésie incroyable.

Victor compris dès ce moment qu’au Japon, les gestes et l’esthétique d’une activité étaient au moins aussi importants que le résultat.

Pour ne pas opposer la forme et le fond, Victor Hugo avait expliqué que la forme, c’était le fond qui remontait à la surface. Au Japon, les deux ne faisaient définitivement qu’un.

Après avoir payé son billet d’accès, Victor commença la montée vers le bâtiment principal d’Engaku-ji.

Dès la troisième marche en pierre de l’escalier qui arrivait sur le terre-plein principal du temple, il ressenti au bas du dos la petite décharge douloureuse malheureusement habituelle annonciatrice de blocage en cas d’effort prolongé.

Il continua néanmoins de monter doucement, mais il comprit immédiatement que ce jour-là, il n’irait pas en marchant jusqu’au centre de Kamakura saluer le Grand Buddha.

CHAPITRE 2

- Bien, mon cher Victor-san, selon la formule consacrée, j’ai une bonne et une mauvaise nouvelle. Par où voulez-vous commencer? demanda le médecin

Victor regarda le professeur Yamato avec un peu d’étonnement. Les japonais n’utilisaient jamais ce type d’humour ou même de légèreté dans leurs relations professionnelles et cette formulation n’était pas dans les mœurs habituelles qu’il connaissait maintenant très bien.

Il mit cette anomalie sur le fait que Yamato avait passé plusieurs années à l’université de Berkeley en Californie. C’est sans doute là-bas qu’il avait brisé le carcan strict de son éducation. En plus, il s’adressait à un étranger, qui plus est, un français ... ce qui pouvait excuser cette privauté.

- Allez-y, commencez par la bonne, Professeur, articula Victor pas plus rassuré que cela

- Ce dont vous souffrez est très handicapant et vous fait certes très mal, mais ce n’est pas grave du tout. Soyez rassuré. C’est une simple usure mécanique. Il n’y a pas de cause « maligne » qui soit difficile voire impossible à soigner, affirma le praticien

- Une simple usure ? s’étonna Victor en répétant les mots

- Oui, une usure plutôt anormale qui fait que vos vertèbres pincent vos nerfs. Une usure qui touche tout le monde en fait et qui apparait normalement avec l’âge, mais dans votre cas, elle est vraiment très forte - atypique on pourrait dire. Elle résulte probablement d’une posture personnelle très particulière en position assise car elle se concentre sur une seule liaison.

- C’est ça la bonne nouvelle ? demanda Victor perplexe et quelque peu inquiet de la suite à venir

- Oui c’est très bon car c’est tout à fait soignable de nos jours, répondit Yamato en se frottant les mains d’un air satisfait.

C’était la première fois que Victor consultait un médecin japonais. D’habitude, il faisait son check-up annuel complet à l’hôpital américain de Neuilly et il n’avait jamais eu de problème grave à régler. Là, dans l’urgence, il lui avait fallu improviser.

Depuis plusieurs semaines, le bas de son dos l’avait trop fait souffrir jusqu’à parfois l’immobiliser complètement. Il s’en sortait à coup de piqures d’anti-inflammatoires. Sa dernière crise lors de sa virée trimestrielle à Kamakura l’avait quasiment cloué chez lui plusieurs jours et il n’imaginait même pas pouvoir supporter onze ou douze heures d’avion pour aller consulter en France.

Il avait donc appelé le médecin qu’il connaissait à Neuilly et ce dernier l’avait orienté vers le Professeur Yamato, un spécialiste international reconnu dans sa spécialité et qui, cerise sur le gâteau, s’exprimait parfaitement en anglais après son séjour aux Etats-Unis. Son médecin habituel lui avait obtenu un rendez-vous très rapidement grâce un collègue américain ami du japonais.

- Vous pouvez lui faire totalement confiance avait-il affirmé

Yamato étala sur son bureau diverses vues de sa colonne vertébrale afin d’étayer son diagnostic. Des vues probablement explicites pour un médecin mais qui ne disaient pas grand-chose à Victor.

Ce dernier regarda d’un air interrogatif son vis à vis qui ne se départissait jamais d’un large sourire. Il paraissait toujours content de lui.

- Alors maintenant, c’est quoi la mauvaise nouvelle, Professeur ?

Yamato réprima un petit rire gêné

- Si vous ne prenez pas de décision immédiate, c’est une petite voiture d’handicapé qui vous attend dans quelques mois, répondit-il toujours avec le même sourire

Victor se passa les mains sur le visage. Il avait maintenant l’habitude des relations avec des partenaires japonais. L’accessoire arrivait toujours en premier. Le gros du message arrivait au bout d’un certain temps.

Il fallait de la patience, beaucoup de patience. Les chemins détournés étaient toujours nombreux, comme si votre interlocuteur ne souhaitait pas vous choquer. Un occidental pressé y perdait rapidement ses nerfs. Victor afficha donc son plus beau sourire pour répondre :

- Je suis bien certain que vous avez une solution Professeur ?

Yamato se cala confortablement dans son fauteuil, heureux que son patient le comprenne si bien.

- Habituellement, la solution la plus simple est de souder les deux vertèbres à problème dit-il en hochant la tête. Très souvent L4 et L5. Mais dans votre cas, il s’agit de L3 et L4, ce qui est assez rare. Je ne recommande donc surtout pas de les souder et cela pour deux raisons. D’abord, l’usure – car manifestement vous usez beaucoup - va se reporter sur les autres de part et d’autre. Dans quelques mois, vous reviendriez me voir pour L4 et L5. Et ensuite, adieu le golf cher ami ! hi, hi, hi

Le médecin prolongea sa dernière phrase d’un rire saccadé dont Victor se serait bien passé.

- J’ai vu sur votre fiche que vous pratiquez le golf et si vous voulez rejouer normalement, il faut oublier la soudure des vertèbres, continua le praticien

« Ça y est, on y vient enfin » se dit Victor qui continua de sourire patiemment pour bien montrer à Yamato qu’il le suivait cinq sur cinq !

- Nous avons mis au point depuis trois ans un nouveau traitement encore expérimental qui remplace le joint naturel qui existe entre les vertèbres par un matériau révolutionnaire. Deux opérations espacées de six semaines et hop, je vous invite pour un dix-huit trous dans mon Club !

Le professeur expliqua ensuite en détail le déroulé des opérations à Victor s’il donnait son accord.

- Si je peux me permettre, quelles sont les chances de réussite Professeur ? demanda Victor qui n’avait jamais entendu parler de cette innovation

- Jusqu’alors, cent quatre-vingt-sept personnes sont passées entre nos mains depuis deux ans. Centquatre-vingt-trois réussites et trois pour lesquelles cela n’a pas complètement marché – les trois en question faisant partie des dix premières opérations pour lesquelles le protocole n’était pas encore complètement optimisé.

Victor regarda Yamato, les sourcils légèrement interrogateurs. Il avait un petit souci avec son arithmétique.

- Oui, en effet hi, hi, hi répondit le médecin en reprenant son petit rire agaçant, il en manque un. Une personne est malheureusement morte mais cela était lié à l’anesthésie. Une allergie totalement imprévisible bien regrettable. Rien à voir avec l’opération elle-même

Un moment de silence un peu gênant s’installa entre les deux hommes. Yamato repris la parole :

- Au niveau des vertèbres, je n’ai eu sur l’ensemble des cent-quatre-vingt-sept dossiers que deux cas concernant L3 et L4 comme vous. Et cela c’est parfaitement passé.

Victor laissa un instant sa pensée vagabonder sur un avenir improbable en fauteuil roulant. Il chercha vainement à comprendre le pourquoi de cette usure hors norme.

- Quand pouvez-vous m’opérer Professeur ? demanda-t-il en espérant un instant que cent quatre-vingt-huit soit un bon numéro.

CHAPITRE 3

Le ciel était d’un blanc laiteux triste à mourir. Même dans les périodes hivernales où une brume tenace le dispute aux nuages bas, Victor n’avait jamais vu de sa vie un ciel de cette couleur. Il le trouva vraiment moche.

Bizarrement, des petits éclairs verts venaient assez régulièrement de sa gauche, inexplicables. Était-ce une fête proche qui lançait dans le ciel ses pinceaux lumineux ?

Il fallut un long moment pour que Victor émerge, entrouvre péniblement ses yeux et découvre le plafond de la chambre d’hôpital qu’il avait pris pour le ciel. Les lueurs vertes intermittentes venaient d’un écran de contrôle situé près de la tête de lit. Ce vert le rassura inexplicablement et il referma les yeux, un moment apaisé.

Toujours à moitié endormi, il se fit quand même la réflexion que quitte à construire un hôpital moderne d’avant-garde comme lui avait dit le professeur Yamato, ils auraient pu aussi faire un effort sur la partie « hôtellerie » déjà existante. Il n’attendait certes pas un ciel étoilé comme celui de la longue entrée menant au Caesar Palace de Las Vegas mais là, la peinture jaunie par le soleil et écaillée par endroits aurait mérité un sérieux coup de jeune.

Une ombre d’un blanc différent se matérialisera lorsqu’il tourna la tête sur sa droite et Victor sursauta dans un mouvement réflexe de surprise. Il pensait être seul. Une infirmière toute jeune le regardait sortir de son anesthésie sans bouger. Elle avait des traits fins et des yeux noirs comme ses cheveux. Son corps tout mince était recouvert d’une blouse où la poitrine imprimait un très léger relief.

- Vous allez bien ? demanda-t-elle

Victor était encore trop dans le vague pour pouvoir articuler une phrase. Il grimaça vaguement un sourire en guise de réponse. Après quelques longues minutes, il se sentit un peu mieux réveillé.

- J’ai soif dit-il

L’infirmière attendait manifestement ses premières paroles pour alerter par téléphone tout un aéropage qui arriva rapidement.

Le professeur Yamato en personne regarda attentivement l’écran de monitoring pendant que deux infirmiers s’activèrent à délivrer Victor des différents flexibles qui assuraient le suivi de ses paramètres.

Les deux hommes écartèrent drap et couverture et soulevèrent délicatement Victor qui était intégralement nu. L’infirmière baissa les yeux pudiquement alors qu’elle avait dû certainement le voir dans le plus simple appareil lorsqu’il était arrivé dans la chambre. Ils l’encadrèrent en lui tenant chacun un bras et une épaule. Victor touchait à peine le sol.

- Maintenant Victor-san, vous êtes complètement réveillé et c’est à vous de marcher dit Yamato avec douceur en donnant d’un signe l’ordre aux infirmiers de le poser délicatement au sol.

Le médecin se mit derrière Victor et surveilla attentivement ses premiers pas. Il expliquera plus tard à Victor que ce moment était absolument décisif. Ou il marchait naturellement seul et c’était gagné à quatre-vingt-dix-neuf pourcent, ou il en était empêché, soit mécaniquement, soit par la douleur, auquel cas il fallait immédiatement le remettre à l’horizontale et passer des examens.

Victor ne fut même pas étonné par l’ordre du professeur. Il fit quelques pas sans autre problème qu’un petit tiraillement de sa peau dans le bas du dos, là ou un léger pansement cachait l’endroit de l’opération.

Complètement réveillé, il marcha normalement comme si rien ne s’était passé. Il ne ressentait pas de joie particulière à ce moment car mis à part les fois – heureusement rares – où un pincement le handicapait, ses vertèbres lui permettaient jusqu’alors une marche tout à fait normale.

Sans que son client ne le voie, Yamato serra les poings en agitant les avant-bras comme le fait parfois un entraîneur de football qui voit son équipe marquer un but, visiblement soulagé. Une victoire de plus !

Le médecin n’avait pas éprouvé de crainte particulière avec ce patient car Victor était dans une forme physique correcte sans surpoids excessif pour son âge mais on ne sait jamais. Surtout avec des vertèbres usées de façon aussi inhabituelle.

Il fit signe aux deux hommes de continuer à encadrer son patient au cas où il aurait une faiblesse.

- Emmener le aux toilettes dit-il et ensuite installezle ensuite dans le grand fauteuil près de la fenêtre.

Victor revint dans la pièce, vêtu d’un grand peignoir blanc molletonné. Yamato avançât une chaise près de lui et fit signe à l’infirmière de s’approcher.

- Bien, Victor-san, c’est tout bon. C’est même excellent ! dit le médecin d’un ton cérémonieux. Vous n’avez pas mal j’espère ?

- J’ai la peau qui me tire un peu avec le pansement mais non, je n’ai pas mal, répondit Victor encore un peu étonné de ce réveil très actif.

Le professeur lui expliqua ensuite pourquoi il était très confiant après cette marche immédiate :

- Le matériau s’est conformé sans problème au relief de vos deux vertèbres et il n’a pas été rejeté. Ce premier joint servira de « moule » pour le joint définitif. Je vous expliquerais volontiers avec plus de détails si cela vous passionne mais tout est décrit dans cette brochure.

Il lui donna ensuite des instructions détaillées sur la suite des évènements. Montée en régime tranquille de la marche pendant la première semaine et soins tous les matins par une infirmière qui viendra chez lui aussi longtemps que nécessaire. Avec chaque quinzaine un check up de suivi complet dans cet hôpital.

Tout cela sans voyages (avion interdit, trajets longs en train et voiture peu recommandés) avec quatre à six heures de marche par jour en deux ou trois fois.

- Sauf incident et il n’y en aura pas, hi, hi, hi, je vous revoie dans six semaines pour la deuxième opération où je poserai un disque définitif plus épais, précisa Yamato.

Victor regarda le professeur et son infirmière qui souriaient tous les deux. Quinze minutes plus tôt, il dormait encore !

- Merci beaucoup professeur, répondit Victor qui ne sut pas quoi dire d’autre

Yamato parti, il se rappela qu’il avait très soif. Il demanda à boire à l’infirmière.

CHAPITRE 4