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Delly

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Beschreibung

La pluie venait de cesser enfin. Agnès sortit sur la terrasse et s’aventura dans l’allée étroite qui s’allongeait devant elle, entre deux parterres à la française où les fleurs d’automne penchaient leurs têtes alourdies.
L’eau glissait en grosses gouttes le long des feuilles, le long des branches des vieux arbres taillés qui formaient au-dessus de l’allée une voûte régulière, où se dégradaient tous les tons du roux. De temps à autre, une de ces gouttes tombait sur les cheveux châtain doré, légers et vaporeux, qui formaient au-dessus du front d’Agnès deux petits bandeaux très simples et, par-derrière, retombaient en une torsade trop serrée, retenue par un nœud de faille noire.

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Veröffentlichungsjahr: 2023

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Delly

L’illusion orgueilleuse

© 2023 Librorium Editions

ISBN : 9782385741617

Il y a sans doute des chemins plus parfaits, mais ils ne sont pas pour vous, qui n’êtes pas appelée à les suivre, et d’ailleurs la bonté du chemin ne rend pas les voyageurs meilleurs, mais bien leur vitesse et leur agilité.

Saint François de Sales.

I

La pluie venait de cesser enfin. Agnès sortit sur la terrasse et s’aventura dans l’allée étroite qui s’allongeait devant elle, entre deux parterres à la française où les fleurs d’automne penchaient leurs têtes alourdies.

L’eau glissait en grosses gouttes le long des feuilles, le long des branches des vieux arbres taillés qui formaient au-dessus de l’allée une voûte régulière, où se dégradaient tous les tons du roux. De temps à autre, une de ces gouttes tombait sur les cheveux châtain doré, légers et vaporeux, qui formaient au-dessus du front d’Agnès deux petits bandeaux très simples et, par-derrière, retombaient en une torsade trop serrée, retenue par un nœud de faille noire.

La jeune fille relevait sa jupe autour d’elle et posait soigneusement ses pieds menus sur les parties de l’allée où subsistaient encore quelques cailloux. Elle semblait tout absorbée par le soin de ne laisser aucune éclaboussure souiller ses petits souliers de chevreau noir et ne leva la tête qu’en se trouvant au bout de l’allée, devant un petit kiosque rustique.

Une jeune fille était assise là. Son buste s’appuyait au dossier raide d’un fauteuil de fer, ses mains jointes retombaient sur sa jupe de lainage bleu foncé, semblable à celle d’Agnès. Devant elle, sur une table de bois grossier, s’étalait le satin blanc d’une chasuble ornée d’une riche broderie, et les soies multicolores, et tout l’attirail du travail. Dans les yeux bleus qui étaient la seule beauté de ce visage aux traits irréguliers et au teint très mat, une expression d’angoisse flottait, et le front ombragé de cheveux noirs se barrait d’un pli soucieux.

– Jacqueline, ma tante et moi, nous demandions ce que tu étais devenue.

À la vue d’Agnès, la jeune fille sursauta légèrement. Un sourire forcé vint à ses lèvres pâlies.

– Je travaille ici, comme tu vois. On y est fort bien.

– En tout cas, personne ne vient gêner ton recueillement. Tu peux ainsi te préparer à la solitude de ta future cellule de carmélite.

Tout en parlant d’un ton calme et sérieux, Agnès entrait sous le kiosque. Elle ne vit pas le tressaillement qui secouait sa sœur, mais remarqua la pâleur plus grande de son visage et le frémissement de ses lèvres.

Elle s’assit près de Jacqueline et lui prit la main en la regardant avec un peu d’inquiétude.

– Qu’as-tu, chère sœur ? Il semble qu’un souci te tourmente depuis quelque temps.

Jacqueline baissa la tête, ses traits se contractèrent un peu, tandis qu’elle disait d’une voix assourdie par l’émotion :

– Oui, c’est vrai, Agnès, je suis, chaque jour, un peu plus la proie d’une cruelle angoisse.

Un étonnement mêlé d’anxiété s’exprima sur le délicat visage d’Agnès, dans ses yeux bleus semblables à ceux de sa sœur aînée, mais plus profonds, plus expressifs, plus ardents aussi.

– Et pourquoi donc, ma chère Jacqueline ?

Jacqueline ne répondit pas. Elle tenait son regard attaché sur la chasuble, comme si les ors et les soies brillantes l’hypnotisaient. Mais sa main frémissait dans celle de sa jeune sœur.

– Pourquoi ? répéta Agnès en se penchant de telle sorte que son visage touchait presque celui de Jacqueline.

Sans la regarder, sans relever la tête, l’aînée dit de la même voix sourde :

– Je doute de ma vocation.

Agnès eut un brusque sursaut et son émotion fut telle que le sang monta soudainement à son teint très blanc, à peine rosé en temps ordinaire.

– Tu doutes ?... Tu doutes d’une vocation qui date de tant d’années... presque de toujours, pourrait-on dire ! Jacqueline, je ne comprends pas. Depuis quand ?

– Voici un an que, peu à peu, ce doute s’infiltre en moi. À certains jours surtout, il m’oppresse atrocement. Il me semble que je ne suis pas faite pour la vie religieuse et que Dieu ne m’y appelle pas. À mesure qu’approche la date fixée pour mon entrée au couvent, je sens cette angoisse augmenter. La pensée que je fais fausse route est, désormais, ma torture de tous les instants.

– Jacqueline, c’est toi qui parles ainsi !... toi qui, à huit ans, disais si résolument : « Je serai religieuse !... » toi qui t’es montrée toujours un modèle de piété !

Cette fois, Jacqueline releva la tête. Dans ses yeux, une lueur de révolte passa.

– Oui, c’est vrai que j’ai dit cela. Mais combien d’enfants font de même, sous le coup de l’impression produite par une cérémonie religieuse, par l’entrée au couvent d’un membre de leur famille ! La vocation se formera réellement chez quelques-uns ; les autres garderont à peine le souvenir de la pieuse illusion de leur jeune âge. Devait-on faire état d’un naïf enthousiasme de ce genre pour décréter, dès lors, que je serais religieuse, pour m’élever dans cette idée unique, pour conduire vers le cloître ma jeunesse inexpérimentée, à laquelle on inspirait l’effroi de la vie, et la perpétuelle crainte des jugements de Dieu – non la crainte salutaire et vivifiante que recommandent nos saints Livres, mais la crainte mauvaise, qui n’est qu’orgueil et défiance de la bonté divine. Je croyais fermement que, si je ne devenais religieuse, je serais perdue pour l’éternité. Aussi était-ce pour moi un tourment de conscience chaque fois qu’un doute venait effleurer mon esprit. Je me considérais comme engagée irrévocablement par élection divine, sans que mon libre arbitre eût voix au chapitre. « Dieu t’a choisie, Dieu te voit, tremble de lui être infidèle », me répétait ma tante. « Le Seigneur a bien voulu abaisser son regard vers nous », me disait l’abbé Bluc. Je m’en allais donc vers la destinée qui m’était ainsi tracée, je m’en allais sans joie, avec une sourde inquiétude au fond du cœur. Comment expliquer cet état de mon âme ? J’ai toujours eu l’amour de Dieu, le désir de le servir de tout mon pouvoir, j’ai toujours accompli sans effort, et avec une véritable consolation ultérieure, toutes les pratiques de notre religion. Seule, ma vocation religieuse venait jeter le trouble en moi. Était-ce un signe qu’elle n’était qu’illusion ?

Jacqueline parlait d’une voix lente, un peu étouffée par l’émotion. Mais sa physionomie se détendait, comme si cette expansion de son âme dans l’âme de sa sœur dilatait son être inquiet.

Près d’elle, Agnès demeurait immobile. Elle regardait son aînée avec une sorte d’effarement, auquel se mêlait un vague effroi.

– Et... que dit l’abbé Bluc ? murmura-t-elle enfin.

Un frémissement courut sur le visage de Jacqueline.

– Il dit que c’est une manœuvre infernale, que je dois persévérer quand même, que je suis appelée, que je m’expose au plus terrible destin si je recule... Oh ! naturellement, il n’a pas, pour rien, recueilli les enseignements de la doctrine janséniste !

Agnès se redressa, stupéfaite et sévère.

– Que dis-tu ? Ce prêtre austère, ce saint homme...

– Oui, il est tout cela, je ne le nie pas. Mais il veut me traiter comme une âme héroïque... et je ne suis qu’une petite âme tout ordinaire, capable, il me semble, de servir Dieu et de remplir mes devoirs, mais non appelée à l’immolation du cloître. Agnès, ne prends pas cet air scandalisé ! Écoute... Vendredi, après une nuit tourmentée par ces affreuses incertitudes, j’ai profité de courses à faire à Versailles pour aller voir l’abbé Gendret. Je lui ai tout raconté. Il m’a dit simplement : « Je n’ai jamais cru que vous ayez une réelle vocation, ma chère enfant. Tout ce que vous me dites là me confirme dans l’idée que vous n’êtes pas faite pour la vie religieuse. » Tu ne nieras pas que celui-là aussi ne soit un saint prêtre, expert dans la direction des âmes ? Il approuve, il encourage la vocation de sa nièce. Pourquoi me détournerait-il du couvent, sinon parce qu’il est persuadé que Dieu n’y a pas marqué ma place ?

– L’abbé Gendret t’a dit cela ! balbutia Agnès en joignant les mains. Ah ! combien ma tante a raison d’assurer que la foi s’en va, que l’esprit de sacrifice se perd, même parmi ceux qui devraient en faire la règle de leur vie !

– Est-ce à propos de l’abbé Gendret que tu dis cela ? En fait de sacrifice et d’austérité pour lui-même, il en remontrerait à d’autres ; mais, à la différence de ceux-là, il ne prétend pas conduire par la même voie de renoncement héroïque toutes les âmes indistinctement. Il imite d’abord la douceur et la mansuétude de son Maître, de Celui qui a dit : « J’aime mieux la miséricorde que le sacrifice. » Il sait qu’il n’est pas donné à tous d’entendre l’appel à une vie plus parfaite, et que le prêtre, en face d’une idée de vocation, doit se défier toujours des illusions, étudier longuement, mettre à l’épreuve, mais surtout, surtout, ne jamais peser sur une volonté ! Quand Dieu veut qu’une âme soit toute à Lui dans la vie religieuse, Il sait bien le lui montrer, va ! Mais, moi, Il ne me veut pas ainsi, je le sens, j’en suis sûre !

Elle s’était à demi soulevée et appuyait sur l’épaule d’Agnès sa main qui tremblait. Anxieusement, son regard scrutait la physionomie de sa sœur.

– Jacqueline !... Jacqueline !...

Agnès ne pouvait dire que cela. La surprise de cette révélation lui coupait la parole. Mais Jacqueline la connaissait trop bien pour ne pas lire dans ses yeux une désapprobation presque scandalisée.

– Toi aussi, tu crois que c’est ma voie ? dit l’aînée d’une voix un peu étranglée. Tu crois que je dois me jeter dans le cloître, sous peine d’être perdue éternellement ?

Agnès hésita. Pendant quelques secondes, son regard refléta une perplexité inquiète. Ce fut d’un ton peu assuré qu’elle dit enfin :

– Oui, je le crois, Jacqueline. Mais, d’ailleurs, quelle voie est comparable à celle-là, qui te retirera du monde et t’éloignera de ses dangers ?

Jacqueline se redressa. Son visage se colora soudainement, sa main s’étendit dans un geste de protestation.

– Et si Dieu me veut dans le monde, Lui ? S’il m’a destinée à la vie ordinaire, au mariage... oui, pourquoi pas... pourquoi pas ? dit-elle avec, véhémence, en voyant le brusque sursaut de sa sœur. C’est ma tante qui m’a persuadée que j’avais la vocation religieuse. Je l’ai crue tant que j’ai été trop jeune pour réfléchir, sérieusement, pour voir un peu clair en moi. Mais, depuis un an, je me ressaisis, je cherche à connaître la volonté divine...

– Tu veux te marier ? dit Agnès d’une voix frémissante.

Jacqueline se courba sur la table et enfouit son visage entre ses mains.

– Je ne sais pas ! Oh ! ce doute qui me torture depuis des mois ! Qui dois-je croire ? Agnès, Agnès prie pour moi ! acheva-t-elle dans un sanglot.

 

II

 

Jacqueline et Agnès Dubrulier étaient les dernières descendantes d’une vieille famille de magistrats. Orphelines de bonne heure, elles avaient été élevées par la sœur de leur père, Mlle Angélique, que sa frêle santé seule empêchait d’entrer au couvent et qui menait une vie austère et retirée dans sa maison de la Grêlie. Là, naguère, avaient fréquenté les messieurs de Port-Royal. Car les Dubrulier s’étaient montrés d’ardents jansénistes. Jacques Dubrulier avait été le fils spirituel de Saint-Cyran et de l’abbé Singlin, l’ami de Pascal, de Nicole, mais surtout d’Antoine Arnauld. Ses trois filles avaient pris le voile à Port-Royal sous le gouvernement de la Mère Angélique.

À travers le temps et les révolutions, quelque chose de l’esprit janséniste était resté dans cette famille. Pieusement, on donnait de préférence aux fils les noms d’Antoine et de Pascal, aux filles ceux d’Angélique, d’Agnès ou de Jacqueline, en l’honneur de la célèbre abbesse, « pure comme un ange et orgueilleuse comme un démon », de sa sœur, si ardente dans la mortification, et de la sœur de Pascal, devenue la Mère Jacqueline.

Dans la bibliothèque de la Grêlie, les œuvres de Saint-Cyran et d’Arnauld existaient toujours. Très jeune, Angélique Dubrulier les lut. Sur cette âme naturellement scrupuleuse et timorée, la doctrine janséniste mit dès lors son empreinte. Angélique vécut dans un perpétuel tremblement, dans l’effroi continuel des jugements divins. Obligée de renoncer au cloître, elle s’était du moins retirée du monde le mieux possible, dans cette solitaire maison de la Grêlie située à quelques kilomètres de Versailles. Là, elle éleva ses nièces, les instruisant elle-même et leur communiquant l’esprit qui l’animait, Dans cette tâche, elle rencontra un collaborateur. L’abbé Bluc, curé de Sorigny, le petit village dont dépendait la Grêlie, était un prêtre d’esprit austère, de grand zèle et d’énergie un peu sombre. Il eût été, pour des religieuses de Port-Royal, le directeur idéal. Il parut tel aussi à Mlle Angélique, qui eût considéré comme faiblesse et témérité la mansuétude et la prudente douceur d’un Vincent de Paul ou d’un François de Sales.

Jacqueline et Agnès manifestant, dès l’enfance, une fervente piété, il fut décidé qu’elles seraient religieuses. Rééditant l’erreur janséniste, le curé de Sorigny et Mlle Dubrulier estimaient que l’état religieux doit être la règle, parmi les hommes, et le mariage, seulement une exception tolérée. Ils faisaient leur cette parole de Pascal à Mlle de Roannez : « Il ne faut pas examiner si on a vocation de sortir du monde, mais si on a vocation pour y demeurer. » Dès lors, ils croyaient faire œuvre pie en destinant au cloître les deux enfants, en leur persuadant, de bonne foi d’ailleurs, que Dieu les appelait et que leur salut éternel était là seulement.

Tant qu’elles furent fillettes et adolescentes, elles suivirent docilement la voie tracée. Elles aimaient et respectaient Mlle Angélique, dont la piété austère frappait leurs jeunes imaginations. Celles-ci s’exaltaient aussi à l’idée du sacrifice au récit de l’existence des saintes moniales. Mlle Dubrulier n’avait jamais manqué de les conduire à toutes les cérémonies de prise d’habit et de vêture. La parure de mariée, la robe austère, le drap mortuaire sous lequel se couche la nouvelle religieuse, la psalmodie sévère, le mystère des grilles voilées et des pénitentes qui se cachaient sous la clôture éveillaient l’enthousiasme de ces jeunes cœurs fervents.

Nombre d’âmes ont ainsi, dans leur enfance, éprouvé ces désirs de vocation sacerdotale ou religieuse. Chez les uns, ils sont devenus réalité : l’appel de Dieu s’était bien véritablement fait entendre. D’autres, peu à peu, les ont vus disparaître, insensiblement, sans que leur vie chrétienne, cependant, eût subi aucune atteinte : la volonté divine s’était révélée à eux dans une autre voie, moins parfaite, mais qui représentait cependant pour eux toute perfection, puisqu’elle était à leur égard aussi « l’appel de Dieu ».

Ainsi en avait-il été pour Jacqueline. À mesure qu’elle devenait jeune fille, le doute sur la réalité de sa vocation religieuse augmentait. Le cloître, qui avait attiré naguère son imagination enfantine, lui inspirait maintenant une sorte d’effroi. Il n’est donné qu’à une minorité de comprendre la beauté supérieure de la vie toute consacrée à Dieu et d’en goûter la félicité dans le détachement et l’éloignement du monde. Il n’est donné qu’à un bien plus petit nombre encore d’entrer dans la voie d’austérité héroïque où Mlle Angélique avait, de sa propre décision, engagé ses deux nièces. Or, Jacqueline n’était pas de ceux-là. Chaque jour, elle le comprenait mieux. Sincèrement pieuse, elle sentait cependant en elle un éloignement invincible pour la vie religieuse. Une pensée lui revenait sans cesse à l’esprit, qu’elle chassait avec grand trouble, comme une suggestion infernale : cette pensée était que dans le mariage se trouvait sa véritable vocation.

Jacqueline était douée d’une intelligence moyenne ; elle avait, comme elle le déclarait elle-même à sa sœur, une petite nature ordinaire, très bonne, apte aux vertus familiales, aux menus sacrifices de chaque jour, et peu portée vers les vertus héroïques, en dépit de la direction de l’abbé Bluc et de Mlle Angélique. Mais elle possédait en outre un bon sens très net et une décision de caractère que laissait peu prévoir son air doux et timide. La première de ces qualités lui avait permis d’envisager de plus en plus clairement cette idée qu’elle s’illusionnait – ou plus exactement qu’on l’illusionnait sur sa vocation. La seconde allait grandement lui servir pour résister aux influences qui, jusque-là, avaient dirigé, sans peine, sa volonté.

Elle savait d’avance l’effet que produirait sur sa tante semblable révélation. Sans s’en rendre compte, Mlle Angélique avait fait de la vocation de ses nièces son œuvre, au détriment de la volonté divine qu’elle n’avait jamais songé à consulter. N’était-ce pas la voie de perfection ? À ses yeux, le salut était là seulement pour Jacqueline et Agnès. Si l’une des deux s’en écartait, elle serait considérée comme perdue par cette femme à l’âme tremblante qui n’avait jamais compris la parole du Maître : « Apprenez que mon joug est doux et mon fardeau léger. »

Cette perspective faisait reculer de jour en jour, pour Jacqueline, le moment de l’aveu. De plus, elle était parfois la proie de terribles perplexités. Des doutes violents venaient l’assaillir ; elle se disait alors qu’elle se trompait peut-être, que Dieu l’appelait réellement à la vie du cloître, que son salut éternel était à ce prix. Elle se réveillait la nuit dans un état d’angoisse indescriptible, en croyant voir inscrits sur les murs de sa chambre, en lettres flamboyantes, tous les textes menaçants de la sainte Écriture qui faisaient les sujets de méditation préférés de Mlle Angélique.