L'Inconnu du parc Montsouris - Eric Lambert - E-Book

L'Inconnu du parc Montsouris E-Book

Eric Lambert

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Beschreibung

Mai 1919. La conférence de paix devant mettre un terme définitif à la Première Guerre mondiale va bon train. Les délégations de toutes les nations sont réunies au château de Versailles, y compris la représentation allemande. Un individu sans papier est trouvé mort sur un banc du parc Montsouris. Il a apparemment succombé à une attaque cardiaque. Chargé des premières constatations, l'inspecteur Théodore Méry met un point d'honneur à découvrir l'identité de cet anonyme. Sans le savoir, le policier s'engage dans un imbroglio qui l'amènera à frôler la frontière de la légalité. La franchira-t-il pour parvenir à ses fins ?

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Veröffentlichungsjahr: 2024

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À Isabelle, mon Petit Amour lectrice assidue et relectrice attentive des fruits de mon imagination

À Clément, Élodie, Loïc, mes inconditionnels

Debout les morts !

Adjudant Péricard, la Woëvre, 8 avril 1915

Sommaire

Théodore Méry

Prologue

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Épilogue

Théodore Méry

Pour celles et ceux qui n’auraient pas fait la connaissance de Théodore Méry dans la nouvelle L’Empailleur de la rue Dieu, ou qui souhaitent tout simplement que je leur rafraîchisse un peu la mémoire, voici une brève présentation de ce policier.

L’inspecteur Théodore Méry était un brillant enquêteur avant la Grande Guerre. Amputé en 1917, il fut affecté aux archives à son retour.

En avril 1919, le commissaire Vandamme le rappela au service actif pour faire face au surcroît de travail, généré notamment par l’affaire Landru.

Depuis, toujours tourmenté par l’horrible boucherie, il continue d’officier au quai des Orfèvres.

Prologue

8 mai 1919

Vautré sur un banc du parc Montsouris, l’inconnu paraissait dormir. Élégamment vêtu d’un complet clair, coiffé d’une casquette à carreaux, il ne semblait pas souffrir de la fraîcheur de ces premières nuits de mai.

— Faut pas s’gêner !

L’homme qui l’apostrophait ainsi venait d’arriver, traînant une charrette à bras débordant de ce que les bourgeois auraient nommé immondices.

— C’est presque une heure du mat’. À partir de maintenant, c’est mon lit ! Et jusqu’au petit jour. Alors tu vas dégager, fissa !

Aucune réponse, aucun mouvement.

— Ben dis donc, t’en tiens une bonne ! Vu comment qu’t’es loqué1, m’est avis qu’t’as passé la soirée dans un d’ces cafés pour artistes. Le Dôme ? La Coupole ?

Tout en questionnant l’envahisseur, le miséreux installait son couchage de fortune. Il ne lui serait pas venu à l’esprit de trouver un autre banc.

— Bon, j’vais pas t’chercher embrouille. Pousse-toi un peu et ça ira. J’espère que tu ronfles pas.

Devant le manque de réaction de l’importun, il finit par s’impatienter et le secoua doucement. Le dormeur s’affala, sans regimber.

— Ben merde alors ! On dirait qu’t’es clamsé2 !

Il le remua plus vivement avec pour seul résultat de voir le corps sans vie basculer de côté, sur ce qui devait faire office de matelas.

— Là, y’a force majeure. Mon vieil Émile, va falloir changer d’cambuse3.

Il ne restait plus à Émile qu’à remettre ses frusques sur la charrette et à trouver un autre parc pour y passer la nuit. Pas question de dormir à proximité d’un trépassé. Il en avait pourtant vu, des macchabées, mais celui-là lui donnait de l’urticaire, peut-être justement parce qu’il ne ressemblait pas à un mort. Il le salua :

— Alors, j’te laisse la place. J’sais pas si tu mérites le paradis, mais j’te souhaite tout d’même un bon voyage.

Seulement, alors qu’il avait déjà retrouvé la rue, le loqueteux se ravisa et revint sur ses pas après avoir vérifié qu’il n’y avait pas de noctambule dans les parages.

— J’pense à un truc. Tes groles ? Elles sont presque neuves et t’en n’auras plus besoin, là où tu vas. Tu n’les échangerais pas contre les miennes ?

N’attendant pas d’objection, il déchaussa l’individu et lui prit également ses mi-bas et sa casquette.

— Merci mon gars, t’es un copain. J’dirai une prière pour toi à saint Benoît4.

1 Habillé.

2 Mort (populaire, argot).

3 Chambre.

4 Saint Benoît Labre, saint patron des mendiants (1748-1783).

1

— Méry !

Théodore n’avait pas parcouru cinq mètres dans le couloir qui l’amenait à son bureau, qu’une voix forte et impérieuse le convoquait, celle du commissaire Vandamme. L’inspecteur n’avait fait le détour par la préfecture de police que pour récupérer sa carte de flic qu’il avait oubliée la veille. Sans la présence d’esprit de Pierre, son adjoint, l’arrestation du petit matin se serait conclue par un grand pied de nez du malfrat. Il n’avait d’autre option que de faire demi-tour.

— Bonjour commissaire.

— Méry, vous tombez bien.

— C’est que nous n’avons pas dormi, à planquer devant la boutique du quai de Valmy.

— Ah oui ! Le quai de Valmy. Et alors ?

— Comme je le supposais, le magasin du numéro 127 est bien celui d’un recéleur qui masquait ses combines derrière un commerce d’objets de curiosité. Cela fait trois nuits que Pierre et moi sommes à l’affût, en complément d’une équipe de jour. Ce matin, à six heures, un individu y a pénétré. Sa description correspondant au signalement fait par la femme de chambre de l’appartement cambriolé avenue de Breteuil, nous l’avons alpagué à sa sortie. Il mijote en préventive, avant que je puisse l’interroger.

— Bien, très bien !

— Puis-je disposer ?

— Et pour quoi faire ?

— Me coucher, évidemment. Trois nuits blanches, ça épuise son homme.

— Vous récupérerez plus tard. Un cadavre vous attend parc Montsouris.

— Mais c’est derrière Montparnasse !

— Et alors ? Avec votre bicyclette, vous en avez pour moins d’une demi-heure.

— Et les autres, réagit Théodore en se tournant vers les inspecteurs présents. Et le monte-en-l’air ?

— Écoutez, Méry, je ne suis pas d’humeur à me battre avec vous. Obéissez ! Point final ! Au demeurant, il s’agit certainement d’une banale affaire d’accident cardiaque sur la voie publique qui ne vous occupera pas plus d’une heure. Des gardiens de la paix du commissariat d’à côté ont déjà fait les premières constatations et comptent sur vous pour conclure. Effectuez les vérifications normales et faites votre rapport. Vous irez vous coucher après. Où est votre adjoint ?

— Je l’ai renvoyé chez lui.

— Vous n’aurez pas besoin de lui. Allez !

Pourquoi lui ? Il y avait pourtant d’autres inspecteurs disponibles. Depuis qu’il avait repris du service actif au moment de l’arrestation de Landru5 et résolu les assassinats de trois femmes, Pierre et lui n’étaient affectés qu’aux enquêtes dont personne ne voulait. Tout ça pour ça ! Peut-être aurait-il été préférable qu’il continue de moisir aux archives. Pourquoi ? À cause de son infirmité ? C’était sans doute plus pervers que ça. Lui reprochaient-ils d’avoir été au front tandis qu’ils étaient restés planqués à l’arrière ? — Tu comprends, les malfaiteurs s’en foutaient ! Guerre ou pas, ils poursuivaient leurs sales besognes à Paris — Et il ne les en avait pas félicités !

Théodore avait enfourché sa bécane et, malgré la fatigue, transmit toute sa rage au pédalier, faisant fi de la circulation, zigzaguant, se faufilant entre les tombereaux et les voitures automobiles. Le Panthéon, le Val-de-Grâce, la prison de la Santé. Enfin l’avenue du Parc-de-Montsouris ! Dernière ligne droite.

— Le corps a été découvert par le gardien du parc, alors qu’il venait d’en ouvrir les portes.

Le policier resté en faction n’avait pas caché sa satisfaction à la vue de ce cycliste ruisselant de transpiration qui s’était approché en montrant sa carte tricolore. Il faut dire que monter la garde devant un mort, pour le protéger des badauds curieux et amateurs de sensations fortes, n’avait pas sa préférence. Mieux valait régler la circulation.

— Un médecin a-t-il déjà fait les premiers examens ?

— Il arrive justement, puis-je me retirer ?

— Allez d’abord me chercher le gardien du parc.

Le praticien n’avait pas attendu pour découvrir le corps et commencer à l’examiner. Cela ne dura pas plus de quelques minutes.

— Arrêt du cœur, dit-il à Théodore.

— Drôle de constatation, docteur. Tous les trépassés ont le cœur qui cesse de battre. Ne pouvez-vous pas être plus précis ?

— Pardonnez-moi. Sans doute une crise cardiaque. Une ou plusieurs coronaires qui se bouchent et ce moteur n’est plus alimenté. Heureusement pour lui, il n’a pas dû beaucoup souffrir.

— Comment le voyez-vous ?

— Habituellement, cette pathologie est accompagnée de violentes douleurs au thorax, comme s’il y avait compression. Le patient ressent également des élancements au bras et quelquefois une crispation de la mâchoire. Or, vous pouvez l’observer, cette personne n’a pas les traits particulièrement contractés, ce qui me fait dire que la crise a dû être brutale et fulgurante. Il ne l’a sans doute pas vue venir.

— Bien, merci docteur. J’attends votre rapport. Une dernière question : l’heure de la mort ?

— Je pronostiquerais sans grand risque un décès entre vingt heures et deux heures du matin.

Il ne se mouillait pas en effet !

Quelque chose interrogeait Théodore, mais quoi ? Pas moyen de mettre le doigt dessus ! L’arrivée du gardien l’in-terrompit dans ses réflexions. Il renvoya le policier de faction en le chargeant d’organiser le transfert du corps à la morgue de la préfecture, quai de l’Archevêché, l’assurant qu’il patienterait jusqu’à son retour.

— Êtes-vous le gardien régulier de ce parc ?

— Oui, depuis plus de trente ans. Même pendant cette sale guerre. Avec le fantôme, bien sûr !

— Le fantôme ?

— Ne connaissez-vous pas cette légende ? Le géant Isoré de Mont-Souris aurait été décapité, au cours d’un duel contre Guillaume d’Orange, dit Court-nez, et serait enterré ici. Depuis, il hante le parc.

— Quelle culture ! Mais revenons-en à cette affaire.

— Je n’ai pas de mérite, vous savez. Je débite cette histoire à tous les passants qui veulent bien m’écouter.

— À quelle heure avez-vous fermé hier soir ?

— Vingt et une heures.

— Est-il facile d’y pénétrer une fois fermé ? Y a-t-il des visiteurs de nuit ?

— Non.

— Alors comment expliquez-vous la présence de cet homme ? Vous seriez fatalement tombé dessus avant de cadenasser les accès. Il est donc rentré après. Et si j’en juge par l’état de ses vêtements, il ne me paraît pas qu’il ait escaladé les grillages puisqu’ils ne présentent aucune écorchure.

Le concierge regarda ses pieds.

— Je vous écoute !

— Il y a un petit portillon que je ne verrouille pas. J’auto-rise, sans en parler à ma hiérarchie, la présence de quelques miséreux qui utilisent ces bancs pour dormir à l’abri des dangers de la ville. Vous comprenez, ce qui les différencie de moi, c’est la malchance. J’aurais pu être à leur place si la Providence ne m’avait offert cet emploi alors que j’étais à la rue. C’est une façon pour moi de lui rembourser une partie de ma dette.

— Il me faut la liste de vos protégés.

— C’est que je ne les connais que par leur prénom ou leur surnom. En ce moment, il n’y a que l’Émile.

— Et je peux le trouver où, l’Émile ?

— Je ne sais pas. Il vadrouille par-ci par-là avec sa charrette et ses litrons.

— Cette nuit ?

— Là encore, je ne peux vous satisfaire. Je les laisse tranquilles. Je ne veux pas les voir avant la fermeture et ils doivent avoir décampé pour l’ouverture en enlevant toute trace de leur passage.

— Et celui-là ? Vous l’aviez déjà aperçu ?

— Inconnu au bataillon ! Ceux de la haute n’ont pas besoin de dormir sur un banc, vu qu’ils ont des appartements dans les beaux quartiers. De toute façon, ils ignorent que le portillon n’est pas verrouillé !

— La preuve que non ! C’est bon. Je reviendrai vous voir si j’ai d’autres interrogations.

— Je peux vous poser une petite question avant de partir ? répondit timidement l’homme en regardant le bras manquant de l’inspecteur.

— Je la devine. Chemin des Dames en 17, ça vous va ?

Théodore en avait assez pour démarrer, et peut-être immédiatement clore son enquête. Il profita d’être seul avec le cadavre pour le fouiller. Rien ! Il eut beau palper les doublures, chercher une cache dans la ceinture, l’identité de l’inconnu demeurait un mystère.

Bon sang ! Une heure, tout au plus, avait dit le commissaire. Sans identité, pas moyen de fermer le dossier. Sans identité, le voilà avec une enquête des plus insignifiantes sur les bras : trouver le nom et l’adresse d’un anonyme mort d’une crise cardiaque. Il n’avait pas repris du service pour ça ! Chercher des assassins, démasquer des escrocs, oui, mais retrouver le patronyme d’un quidam ! Les champs de bataille livraient encore chaque jour leurs lots d’inconnus, de corps mutilés, déchiquetés par les bombes. En quoi celui-là méritait-il plus que les autres d’être reconnu ?

Il faillit percuter l’arrière d’un autobus « type H » quand l’étincelle jaillit. Comment son cerveau n’avait-il pas réagi plus tôt ? Les chaussures ! Usées, en complet désaccord avec la coupe élégante du veston.

5 Voir L’Empailleur de la rue Dieu.

2

Pierre Rambourd grimpa l’escalier qui montait à l’appar-tement de Théodore. Le jeune inspecteur stagiaire avait dormi jusqu’à midi, après la nuit blanche passée à planquer et s’était rendu à la préfecture non sans avoir pris un rapide en-cas. Pensant y retrouver son supérieur, il avait été surpris de son absence.

La porte d’entrée était légèrement entrebâillée, il la poussa avec précaution après avoir hésité un instant, craignant la présence d’un intrus. Théodore ronflait ! Il tenta de le réveiller doucement.

— Théodore.

Sans succès ! Il le secoua un peu :

— Théodore !

La réaction du dormeur fut subite. Se redressant, il saisit Pierre par le col et le retourna de sa seule main valide.

— Alerte ! hurla-t-il. Tous à vos postes.

— Holà mon ami ! La guerre est finie.

Lâchant prise, Théodore se rallongea et ouvrit les yeux.

— Pierre, c’est toi ?

— La preuve, répondit le jeune homme en montrant son bras raccourci. Voici notre signe de ralliement.

— Tu m’as sorti d’un sacré cauchemar.

— J’imagine que tu étais encore dans ta tranchée ! Ne t’en échapperas-tu donc jamais ?

— Il suffit que je ferme les yeux pour en sentir les relents.

— Je te signale que la porte de ton appartement était entrouverte. J’ai bien cru qu’un as de la cambriole te débarrassait de tes richesses, ou bien pire.

— Bah, que veux-tu qu’il emporte ? Il n’y a rien ici que des mauvais souvenirs. Quant à un assassin, il est des moments où je me dis qu’il me rendrait bien service. Je ne manquerai pas à grand monde.

— Et moi ? Attends au moins que je sois devenu inspecteur en titre.

— Et que fais-tu chez moi ?

— J’arrive de la préfecture. Ne t’y trouvant pas, j’ai cru que tu ne te sentais pas bien. Il est cinq heures de l’après-midi ! Tu ne dors normalement jamais plus de quelques heures.

Théodore s’assit et se frotta les yeux, comme pour se débarrasser des visions qui l’avaient envahi.

— Je suis rentré il y a une heure à peine, exténué et pressé de m’allonger.

— Une heure ?

— Le commissaire n’a aucune pitié des claqués ! Il a profité de m’apercevoir ce matin dans le couloir pour me refiler une nouvelle enquête : un trépassé au parc Montsouris.

— Chouette !

— Comment ça, chouette ? Un homme est mort et c’est tout ce que tu trouves à dire ?

— Ce n’est pas pour lui, le pauvre, mais pour l’investi-gation qui s’annonce.

— J’ai bien peur que tu ne sois déçu. On l’a retrouvé sur un banc, sans doute terrassé par une crise cardiaque. La seule chose que nous ignorons, c’est son nom.

— Et tu as mis tout ce temps pour t’acquitter de cette mission ?

— C’est que… Viens, j’ai faim, discutons de ça au bistrot d’en bas devant une tartine de pâté et un Picon bière.

Pierre et Théodore s’étaient rencontrés deux mois plus tôt, quand il avait fallu débrouiller l’affaire de trois femmes rousses disparues6. Le jeune homme d’à peine dix-huit ans sortait de l’école d’inspecteur et lui avait été affecté. Une complicité avait rapidement émergé entre Théodore, le plus que trentenaire traumatisé par la Grande Guerre et Pierre. Une complicité accrue par la particularité physique qu’ils partageaient : un avant-bras manquait à chacun des deux. Leurs collègues les surnommaient d’ailleurs avec ironie la brigade des bras cassés.

— Quelque chose me chiffonne, reprit Théodore en reposant son verre. J’avais enfourché mon vélo après avoir laissé le corps aux agents qui étaient chargés de l’amener à la morgue quand un détail m’a choqué : les chaussures.

— Les chaussures ?

— Il faut que je te dise que l’homme ressemblait à un bourgeois. À part pour ses pieds. La vision des espèces de godillots élimés m’est revenue alors que je me préparais à retrouver mon lit. Je suis donc reparti à l’institut médico-légal et j’ai eu la confirmation qu’un truc clochait. Ses chaussures d’abord, mais aussi, le fait que ses vêtements n’avaient aucune étiquette. Et pourtant, leur coupe indique clairement qu’ils proviennent d’un bon tailleur. Je n’ai pas d’élément justifiant une autopsie, mais j’ai insisté pour que le corps soit conservé pour le cas où le besoin s’en ferait ressentir.

— Donc, si je résume, un nanti anonyme aux souliers usés.

— Et sans chaussettes !

Cette dernière réplique eut raison du sérieux que Pierre s’évertuait à vouloir garder. Il éclata de rire.

— Quel mystère !

— Il n’y a rien de drôle. Rappelle-toi qu’on parle d’un homme que sa famille attend peut-être. Nous nous devons de le rendre à ses proches, quelles que soient les explications de sa mort.

— Bon, excuse-moi. Pourquoi faut-il toujours que tu joues les rabat-joie ?

— C’est comme ça ! Je crois que mon humour est resté au fond d’une tranchée, sans doute accrochée au bras qui me manque.

* * *

C’est dans le bureau du commissaire Vandamme qu’ils se retrouvèrent le lendemain à neuf heures. Sa réaction ne surprit pas Théodore :

— Quoi ? Une photo dans le journal ? Si l’on devait faire publier un article à chaque anonyme mort dans la nuit, il faudrait imprimer un bottin chaque matin !

— Mais commissaire, ne trouvez-vous pas bizarre qu’aucun signe ne puisse permettre d’avoir au moins une indication ? Pas de papier, pas d’étiquette. Et puis il y a cette histoire de chaussures !

— Commencez déjà par étudier les signalements de disparitions. Pierre peut s’en charger. Il consultera également le sommier7. Quant à vous, ne perdez pas de vue qu’il vous faut interroger le cambrioleur arrêté hier matin.

Ils l’avaient oublié, celui-là.

Ils ne purent s’occuper à nouveau de l’inconnu de Mont-souris, comme ils l’avaient surnommé, que trois jours plus tard. Pierre s’était usé les yeux sans résultat. Ayant réussi à faire céder le commissaire, ils se retrouvèrent à la morgue en compagnie d’un photographe du Petit Parisien. Son tirage à pratiquement deux millions d’exemplaires8 augurait d’une visibilité exceptionnelle. Il avait évidemment fallu promettre l’exclusivité de l’enquête.

Le journaliste plaça son matériel et réalisa les clichés, pestant contre le manque de luminosité.

— Au moins, il ne risque pas de bouger, temporisa Théodore, sans succès.

— Qu’y connaissez-vous ? Je suis un artiste, moi !

Les inspecteurs n’osèrent plus intervenir, de peur qu’il ne les laisse en plan. Ils auraient évidemment préféré confier cette tâche à leurs collègues du service d’identité judiciaire, mais les correspondants du quotidien avaient été clairs : les photographies devaient obligatoirement être prises par un de leurs professionnels. L’influence de la presse en ce début de siècle était considérable et il n’était pas question de se la mettre à dos.

Il fallut encore patienter.

Bizarrement, cette affaire somme toute banale préoccupait Théodore plus que de raison. L’actualité avait pourtant de quoi la remiser au fin fond de son esprit, en premier lieu, la conférence de paix de Paris. Commencée en janvier 1919, elle réunissait près de trente délégations, françaises et étrangères. Les quotidiens faisaient régulièrement état de l’avancée des négociations avec, au cœur des débats, la question cruciale du niveau d’affaiblissement de l’Allemagne. L’inspecteur, bien qu’ancien combattant mutilé, se méfiait d’une trop grande sévérité vis-à-vis de l’ennemi. Par trop humilier ce peuple, le monde s’exposait à une récidive guerrière à plus ou moins brève échéance. Malheureusement, les tenants de l’intransigeance avaient, semble-t-il, pris le dessus.

Deux jours auparavant, la délégation allemande avait été convoquée à l’hôtel du Trianon-Palace pour y recevoir les conditions de paix établies par les vainqueurs lors de conférences auxquelles elle n’avait pas été conviée. Cette représentation, menée par Ulrich, comte von Brockdorff-Rantzau, savait à quoi s’attendre et contesta les termes du traité dès la première lecture, tant ils étaient sévères. Dès leur arrivée, fin avril, les émissaires d’outre-Rhin avaient pu mesurer le degré de détestation qu’ils suscitaient en France. Hébergés à l’hôtel des Réservoirs9, ils y étaient pratiquement consignés, mis sur écoute, ne pouvant circuler aux alentours qu’escortés de militaires alliés.

* * *

Ce lendemain soir, Théodore fut abordé à l’entrée de son immeuble par une jeune fille qui, manifestement, l’attendait depuis un moment :

— Tu es Théodore Méry ?

— Oui ma petite, pourquoi ?

— J’ai un message pour toi, répondit-elle en lui tendant un bout de papier.

La gamine ne bougea pas, patientant tandis que l’inspecteur prenait connaissance du billet.

Si le passé a quelque importance pour toi, suis ma commissionnaire sans poser de question.

Le passé ! Quel passé ? La guerre ?

— Qui t’a donné ce mot ?

— J’sais pas, m’sieur.

— Et où dois-je t’accompagner ? C’est loin ?

— J’ai pas le droit de te le dire. Tu dois venir avec moi, c’est tout.

Pourquoi devrait-il revenir sur ses traces ? Il lui fallait un peu de temps pour se décider.

— Tu as faim ?

— Oui, m’sieur.

— Alors, monte avec moi. Il me reste du pain et de la confiture de rhubarbe.

Pendant que l’enfant dévorait les tartines qu’il lui avait préparées, Théodore lut et relut le mot. Un piège ? Il ne se connaissait pas d’ennemi. Une blague ? Non, trop invraisemblable. Ses enquêtes ? Trop personnel. Il se résolut enfin.

— Mène-moi à ce rendez-vous mystérieux.

La petite fille marchait, silencieuse, à courtes enjambées rapides. À peine sortis de la rue du Moulin-de-la-Vierge, où résidait l’inspecteur, ils avaient emprunté la rue d’Alésia vers l’est. Après vingt minutes, alors que la nuit tombait, ils passèrent devant la brasserie Le Zeyer, bondée. Théodore s’enquit à nouveau de la destination :

— C’est encore loin ?

— Non, nous sommes à peu près au milieu.

— Au fait, comment t’appelles-tu ?

— Juliette.

— Enchanté, Juliette. Tes parents ne s’inquiètent-ils pas de te savoir dehors à cette heure ?

L’enfant ne répondit pas. Quand ils bifurquèrent dans l’avenue du Parc-de-Montsouris, l’inspecteur eut un pressentiment.

— Ne m’emmènerais-tu pas au parc ?

Pas un mot en retour. Son impression fut confirmée lorsqu’ils franchirent le petit portail dont lui avait parlé le concierge après la découverte de l’inconnu du banc. Il n’au-rait pas imaginé tomber sur un vieil homme dépenaillé, assis à l’endroit même où le corps avait été trouvé. L’enfant pivota vers Théodore et campa, la main tendue.

— Pardonne-moi, lui dit le miséreux. Je lui ai promis une récompense, mais les temps sont durs. Aussi, j’ai compté sur ta bienveillance pour tenir mon engagement. Trois francs, ça te va ?

Le sollicité fouilla ses poches sans mot dire, en sortit un billet de cinq francs à l’effigie d’une femme casquée qu’il remit à la gamine en lui caressant les cheveux. Elle n’attendit pas son reste et s’enfuit.

— Elle n’avait sans doute pas la monnaie sur elle, l’excusa le vieil homme.

— Que me voulez-vous ?

— Assieds-toi là, pour commencer. C’est drôle, je ne t’imaginais pas comme ça ! Comment te dire ? Si mes renseignements sont exacts, tu devrais être âgé de trente-quatre ans. Or, tu en fais dix de plus. J’en viens à douter.

— Tu es bien né en 1885 ? continua-t-il après un silence pensif.

Théodore, mutique jusque-là, sortit vivement de sa torpeur :

— Vous avez l’air d’en savoir beaucoup sur ma personne. Pourquoi m’avoir convoqué pour me donner du tutoiement et me poser ces questions ? Qui êtes-vous ? Et comment me connaissez-vous ?

— Tu as raison, j’aurais dû me présenter, mais je ne le ferai que si je suis certain de ton identité. Es-tu né en 1885 ?

— Oui ! Ça vous va ? À vous maintenant ! Vous évoquiez mon histoire dans votre message, passez à table.

— Voilà bien l’expression d’un condé ! Passer à table ! Je t’assure que j’adorerais, mais, comme je te l’ai dit tout à l’heure, mes poches sont vides. Tout juste une moitié de litron de gros rouge à m’enfiler. Mais soit, j’obtempère, monsieur l’agent !

Comme pour se donner du courage, l’homme joignit le geste à la parole en buvant une rasade à même le goulot. En tout cas, c’est ainsi que Théodore l’interpréta, l’ayant expérimenté avant chaque assaut sur les lignes ennemies. Il reprit :

— Tout d’abord, tu peux m’appeler Émile et me tutoyer toi aussi, vu que je suis, pour ainsi dire, ton oncle.

Ce dernier mot laissa Théodore interloqué. Un oncle ? Jamais entendu parler de l’existence d’un oncle ! D’ailleurs, il n’avait plus de famille. Il répliqua en se levant, prêt à partir :

— Je n’ai pas d’oncle ! Il y a erreur sur la personne. Vous avez de la chance que je ne sois pas venu au monde avec un mauvais tempérament.

Le vieil homme ne se démonta pas et rétorqua :

— Ta naissance ? Parlons-en de ta naissance. Libre à toi de te carapater, sinon, rassieds-toi et écoute sans m’interrompre.

Théodore ne partit pas.

— J’ai bientôt soixante-dix ans. Rassure-toi, je ne vais pas te raconter ma vie, uniquement ce qui te concerne. En 1871, alors dans la Garde nationale, j’ai participé activement à la Commune de Paris. C’est là que j’ai connu Louise Michel et ton père.

Ton père ! Une ombre, une vague silhouette dont Théodore avait depuis longtemps perdu le souvenir. Avait-il seulement eu un géniteur ? L’homme poursuivit sans tenir compte du sursaut qu’il venait de provoquer :

— Nous étions tels les doigts d’une main, frères et sœurs dans la révolution. Tu comprends pourquoi je me considère comme ton oncle. Quand Louise se livra pour faire libérer sa mère, nous l’accompagnâmes et fûmes déportés en Nouvelle-Calédonie. À notre retour, en 1880, nous étions convertis aux idées anarchiques. Nous avons alors alterné les périodes d’actions et d’emprisonnements. En 1883, elle déploya le drapeau noir dans une manifestation, nous étions encore à ses côtés. C’est à cette époque que ton père… T’aije dit son nom ? Kléber Duchamp. C’est donc à cette époque que ton père rencontra ta mère, Marthe Méry. Elle était blanchisseuse et bien plus jeune que lui.

Théodore posa la main sur le bras du conteur pour l’in-terrompre quelques instants. Son visage fatigué et déjà flétri lui revint en mémoire. Même à plus de trente ans, il avait souffert de devenir orphelin ! Satanée grippe espagnole. À mesure qu’il avait grandi, la relation qu’il entretenait avec sa mère s’était transformée. Des yeux extérieurs auraient peut-être vu un couple en cette femme et ce jeune homme ; d’ail-leurs, aucun soupirant n’était apparu. Malgré ses questions récurrentes, elle ne lui avait jamais rien dit de son père. Il les avait abandonnés, un point c’est tout. Il soupçonnait qu’elle avait gardé beaucoup de tendresse pour cet amant volatilisé.

Émile patienta le temps qu’il fallait à son interlocuteur pour digérer ces révélations. Il devait néanmoins en terminer :

— Ce fut le coup de foudre. À tel point que les premiers mois, il délaissa les réunions de cellule…

Théodore l’interrompit sèchement :

— Écoutez, ça ne m’intéresse pas ! Répondez à ma question et nous en resterons là. Par quel mystère m’avez-vous retrouvé ?

— Comme tu veux, j’comprends. C’est ce matin, quand j’ai lu l’article du Petit Parisien, que j’ai fait le rapprochement entre le nom de l’inspecteur Théodore Méry qui était indiqué comme contact au bas de la photographie de l’homme inconnu et celui de ta mère. Il m’a suffi d’arguer d’un message urgent pour obtenir ton adresse à la préfecture.

Sans saluer son interlocuteur, Méry se leva et gagna la sortie du parc. Le clochard l’apostropha avant qu’il soit hors de portée :

— Une dernière chose ! Ton père va mourir. Libre à toi de le laisser calancher comme un chien. Si tu as des remords, je passerai de temps en temps sur ce banc. Avec un peu de chance, et si la Providence s’en mêle, tu m’y retrouveras et nous pourrons le visiter avant que la faucheuse ne termine son œuvre.

Théodore ne se retourna pas. Il avait pourtant entendu.

Marchant rapidement, il ne pensait plus qu’à réintégrer son appartement pour se cacher sous les draps de son lit, comme il le faisait enfant, lorsque sa mère le grondait. Il s’arrêta soudain ! Les chaussures ! Encore une fois ! Comment un être si misérable pouvait-il avoir des mocassins aussi neufs ? Juste ciel, c’était l’Émile dont lui avait parlé le gardien. Il fit demi-tour et se précipita vers l’endroit qu’il avait laissé quelques minutes auparavant. L’homme qu’il bouscula dans son empressement émit quelques jurons étouffés. Théodore aurait pourtant dû prêter attention à cet individu qui lui avait emboîté le pas à distance depuis qu’il avait commencé à suivre la gamine.

Le banc était vide quand il arriva. Personne pour le renseigner sur l’occupant qui venait de le quitter. Il n’avait plus qu’à s’en retourner. Cette fois-ci, le pisteur ne se laissa pas surprendre.

Cet intermède eut le don de détourner l’inspecteur des pensées noires qui l’avaient envahi en replaçant l’enquête sur le devant. La photographie publiée dans les journaux allait-elle permettre de mettre un nom sur l’étiquette du tiroir de la morgue ? Il reviendrait le lendemain soir au parc Montsouris, et les soirs suivants si nécessaire. Jusqu’à ce que cet Émile lui crache le morceau. Ces ruminations l’amenèrent au bas de son immeuble sans qu’il s’en aperçût. L’indiscret se cala dans l’encoignure d’une porte cochère au moment où il éteignit la lumière.

6 Voir L’Empailleur de la rue Dieu.

7 Registre des noms de personnes ayant fait l’objet de poursuites ou de condamnations.

8 À cette époque, ce journal annonce avoir le tirage le plus important au monde.

9 Aujourd’hui, siège de l’École Européenne d’Intelligence Économique.

3

— Je vous dis qu’il est mort d’une crise cardiaque ! Ce n’est pourtant pas bien difficile à comprendre. Votre enquête est terminée. Faites-moi votre rapport et passez à autre chose, ce n’est pas le travail qui manque.

Le commissaire Vandamme avait paru embarrassé quand Théodore lui avait demandé si la publication de la photographie de l’inconnu du banc de Montsouris avait produit quelque résultat. Il avait tout d’abord tergiversé avant de se cambrer face à l’insistance de l’inspecteur. Celui-ci s’était montré dubitatif. Son supérieur avait coupé net, sans satisfaire aux interrogations de son subalterne.

Furieux, Méry avait attrapé son adjoint :

— Viens !

— Où ?

— Tu verras, ça pue l’embrouille ici. J’ai besoin d’un remontant.

— Si tôt ?

Théodore ne répondit pas. Si tôt ! Personne ne s’inquiétait de l’heure quand, prêts à sortir de la tranchée, ils se brûlaient le gosier avec un tord-boyaux généreusement offert par le ministère de la Guerre en attendant le coup de sifflet. Il s’estimait bienheureux de n’être pas revenu ivrogne de cette boucherie, contrairement à tant d’autres. Ils entrèrent dans un bougnat au coin de la rue. Pierre se contenta d’un café, laissant son supérieur vider son verre de cognac cul sec avant de lui demander des explications :

— Alors ? Tu te sens mieux ? Raconte.

— Le commissaire vient de nous retirer l’enquête sur l’inconnu.

— Pour la donner à qui ?

— À personne, grand dieu ! L’affaire est classée. Tu y crois, toi ?

— Pas possible ! Et son nom ? Il te l’a dit ?

— Non, mais il est admissible qu’il l’ait obtenu grâce à l’article paru dans Le Petit Parisien. C’est inconcevable. Ça, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le pissepot10 !

— Écoute, Théodore, tu ne devrais pas te mettre dans un état pareil. Il nous donnera d’autres investigations à mener.

— Tu ne comprends pas. Sans que je me l’explique, j’en ai fait une affaire presque personnelle. Des inconnus, les champs de bataille en sont remplis. On en retrouve tous les jours et ce n’est pas demain la veille qu’ils disparaîtront. Je te parie même qu’on déterrera toujours des ossements dans cinquante ans. Ces corps ne seront jamais rendus à leur famille, et je ne peux rien y faire. Celui-là, je me suis promis de lui dénicher une sépulture près des siens. Et puis il y a les chaussures.

— Encore ces chaussures ?

Théodore dut relater à son auxiliaire sa rencontre la veille avec l’Émile.

— Bizarre, non ?

— Bah, qu’un clochard pique les mocassins d’un mort, ça ne serait pas la première fois. Moi-même, je ne me risquerais pas à dormir dans ce parc, de peur de me retrouver défroqué !

— Et que penses-tu du fait que ses vêtements ne portent aucune marque d’identification ? Les étiquettes semblent avoir été découpées. Son couvre-chef s’est lui aussi volatilisé.

— J’avoue que je n’en ai pas l’explication.

— Aucun papier sur lui ! Pas même une note de blanchisseur alors que sa chemise était immaculée.

— Ça fait beaucoup, en effet.

— Je ne te le fais pas dire !

— Retournons voir le commissaire, peut-être sera-t-il mieux disposé.

Théodore enfila un troisième verre avant de répondre :

— Je ne le crois pas. En tout cas, je veux en avoir le cœur net. Rendons-nous quai de l’Archevêché, à la morgue. Je souhaite examiner de nouveau notre inconnu.