La conjecture - Christophe Girard - E-Book

La conjecture E-Book

Christophe Girard

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Beschreibung

« Je dois dire que vous ne manquez pas d’imagination, Monsieur Degois. Il y a de quoi écrire un roman de vos déclarations aux gendarmes ! Ces histoires de reconstitutions de vies antérieures, de conjectures mathématiques, de traitement médicamenteux administré par voie de musique… mais où allez-vous chercher toutes ces idées ? Si vous vous ennuyez en prison, travaillez ce filon monsieur Degois ! Vous avez du talent pour raconter des histoires extraordinaires ! »

À PROPOS DE L'AUTEUR

Découvrez La conjecture, le second roman de Christophe Girard, un polar haletant à la frontière de l’univers trouble des âmes et du monde de la matière.

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Seitenzahl: 313

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Couverture

Mentions légales

 

Du même auteur :

Gynécène (Editions Beaudelaire – 2023)

 

 

 

 

 

 

Publishroom Factory

www.publishroom.com

 

ISBN : 978-2-38713-029-7

 

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou ­reproductions ­destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou ­reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le ­consentement de l’auteur ou de ses ayants droit, est illicite et constitue une contrefaçon, aux termes des articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Page de Titre

 

Christophe Girard

LA CONJECTURE

Roman

 

 

 

 

 

 

À Catherine.

Prologue

À minuit, le conducteur de la voiture alluma le poste de radio. L’indicatif annonçant le journal parlé de la première radio de France retentit.

« On est toujours sans nouvelles du petit William Hoggan ce bébé âgé de six semaines qui a été enlevé il y a près de 15 heures dans une chambre de l’Hôtel Patresco à Nice. Alors que le plan alerte enlèvement a été activé dans la demi-heure qui a suivi l’alarme donnée par la mère de l’enfant, la police reconnaît n’avoir aucune piste sérieuse pour retrouver le bébé. Le procureur de Nice s’est dit, lors d’une conférence de presse en fin de matinée, très préoccupé pour la santé du nourrisson qui n’avait, selon ses parents, pas encore été sevré. Ce sont désormais 450 gendarmes et ­policiers qui sont mobilisés pour le retrouver. Des barrages ont été mis en place sur un large périmètre autour de Nice. On a appris d’une source proche du dossier que l’examen des enregistrements vidéo à l’intérieur et à l’extérieur de l’hôtel n’avait pas permis d’identifier le ou les auteurs du rapt ; la vidéo-surveillance ayant été partiellement neutralisée à la demande des parents à l’étage auquel la mère et l’enfant résidaient. Autre sujet d’inquiétude pour la police et les parents de l’enfant : aucune demande de rançon n’a pour l’instant été formulée. Edwin Hoggan, le grand patron et fondateur de la plate-forme de streaming Rapstrack, qui compte aujourd’hui un milliard d’abonnés, est arrivé par avion pour rejoindre son épouse qui était venue sur la Côte d’Azur en convalescence après son accouchement. Il s’est exprimé lors de la conférence de presse pour indiquer aux ravisseurs qu’il était prêt à entendre leurs revendications. L’homme visiblement bouleversé a rappelé dans le même temps qu’il faisait une totale confiance dans la police française pour retrouver son fils. La mère est, à cette heure, toujours en observation à l’hôpital par suite d’un malaise. Dans le cas où vous auriez une information à donner aux enquêteurs et qui permettrait d’aider à retrouver cet enfant, un numéro vert a été mis en place sur la plate-forme du ministère de l’Intérieur. »

Le conducteur éteignit la radio et s’engagea dans un chemin creux. À l’intérieur de l’habitacle, on put nettement distinguer les pleurs d’un nourrisson provenant d’un couffin.

Chapitre 1 : Odile Lebrun-Théron, médecin et hypnothérapeute

Je m’appelle Odile Lebrun-Théron, je suis médecin généraliste. J’ai cinquante ans, je suis mariée avec Jean Lebrun avec qui j’ai eu deux enfants. Deux superbes filles, Amélie, vingt-trois ans et Bénédicte, dix-neuf ans. A eux trois, ils sont le centre de ma vie. Lorsque nous nous sommes mariés, j’ai voulu garder le nom de jeune fille de ma mère en l’apposant à celui de Jean. J’en suis tellement fière et je voulais que mes enfants le perpétuent. Mes parents sont originaires de Lyon et ma mère est issue d’une grande famille lyonnaise. Nous possédons une très jolie maison en région parisienne, à Vaucresson ; la meulière dont je rêvais quand je faisais mes études à la fac de médecine. Je me souviens que, au moment du concours de l’internat, nous étions tous en train de nous renseigner sur les spécialités qui nous rendraient riches. J’ai opté pour la chirurgie cardiaque qui était très à la mode, mais j’ai vite déchanté dès la première année. J’avais mis les pieds dans un monde de mandarins machistes qui m’ont fait vivre un enfer quatre ans durant en me montrant, sans aucune gêne, à quel point ils déconsidéraient les femmes. Mon diplôme en poche, et sur les conseils avisés de Jean, j’ai fui ce milieu en décidant de m’installer comme médecin de ville. J’ai ouvert mon cabinet en 2006 rue d’Athènes dans le neuvième arrondissement de Paris où j’exerce toujours. Mon cabinet est pour moi mon deuxième chez moi. Pour rien au monde je ne me verrais déménager. J’y ai mes habitudes. Je connais tous les commerçants du coin qui sont aussi mes patients.

Ce matin-là j’étais partie en retard de la maison. Il y avait un monde fou sur l’autoroute entre Vaucresson et Paris. D’ordinaire, je mets à peine une heure pour rejoindre le cabinet, mais, ce jour-là, le réveil n’avait pas sonné et Jean était en déplacement à Londres. Je me sentais bête. J’avais appelé Sandrine, mon assistante au cabinet, pour lui dire d’annuler les quatre premiers rendez-vous.

Lorsque je suis arrivée à dix heures et quart, Sandrine est accourue vers moi.

Il y a cinq ans, Jean et moi avons racheté au propriétaire les murs de l’appartement que je louais et qui me sert de cabinet. Jean pense à juste titre que l’haussmannien ne perdra jamais de valeur. Nous avons tout refait à l’intérieur. Passé la double porte palière, une grande entrée donne à droite sur le bureau de mon assistante et à gauche sur la salle d’attente. Une troisième porte donne sur le laboratoire que je n’utilise que rarement. Depuis la salle d’attente que j’ai voulue assez grande, on accède à mon cabinet qui est encore plus grand. Je dispose d’une porte dérobée qui me permet de quitter le cabinet sans repasser par la salle d’attente et de rejoindre l’entrée en passant devant les sanitaires. Le tout fait cent-cinquante mètres carrés sur du parquet en point de Hongrie et sous une belle hauteur de plafond. L’appartement, situé au deuxième étage, ouvre à la fois sur la cour intérieure de l’immeuble et sur la rue, ce qui permet de profiter d’une belle lumière traversante qui donne une ambiance très lumineuse à l’ensemble.

— Odile ! Je suis désolée, me fit Sandrine d’un air embarrassé. Madame Flandrin qui attend dans la salle d’attente avait rendez-vous à neuf heures trente. J’ai eu beau lui dire que son rendez-vous devait être reprogrammé, elle n’a rien voulu entendre. Je n’ai pas trop insisté, car elle a vraiment l’air mal en point et semble très nerveuse. Je n’ai pas voulu que cela tourne à ­l’esclandre…

Je passai la tête par la porte de la salle d’attente.

Trois personnes attendaient. Deux patients que je connaissais et une femme que je n’avais jamais vue. Elle avait la tête penchée en avant et ses cheveux cachaient son visage. Les deux hommes qui s’étaient plongés dans la lecture des vieux Paris-Match que je laisse traîner sur la table basse levèrent la tête en m’apercevant.

— Bonjour, messieurs-dames ! Je suis à vous dans un instant… puis me retournant vers Sandrine « ne vous inquiétez pas… vous avez bien fait. Je vais la prendre en premier et la journée va bien se passer, lui dis-je en lui tapotant sur l’épaule.

Je passai dans mon cabinet par la porte dérobée, me lavai rapidement les mains et enfilai ma blouse. Après avoir revu la liste des consultations sur l’écran de l’ordinateur qui trône sur mon bureau, j’allai ouvrir grand la porte qui donne sur la salle d’attente.

— Madame Flandrin ?

La femme qui avait gardé la tête baissée, se dressa devant moi. Ses joues étaient encore masquées par ses cheveux qu’elle s’empressa de ramener sur le devant. Elle gardait la tête baissée. Visiblement elle voulait cacher son visage aux deux autres patients.

— Vous venez ? Lui dis-je.

Suzanne Flandrin était une femme de taille moyenne, plutôt mince, qui devait avoir la petite quarantaine selon ce que je pus voir à ses mains. Elle portait un tailleur crème très élégant sur un bustier de mousseline. Sur le revers de sa veste, une belle broche dorée représentant une abeille complétait une tenue des plus élégantes. Elle portait des escarpins à talons aiguilles rouges qui la grandissaient. Un foulard H aux motifs chamarrés assortis à ses chaussures était posé sur ses épaules. En tout cela elle ne dépareillait pas de ma clientèle habituelle. Seuls ses cheveux longs châtains parsemés de mèches grises semblaient très mal arrangés et cela détonnait avec le côté impeccable du reste de sa tenue. Sans plus voir son visage, je la faisais entrer dans mon cabinet et refermais la porte derrière elle.

— Asseyez-vous, je vous en prie.

Elle n’avait pas encore dit un mot. Tout en passant derrière le bureau, j’entrepris de la mettre à l’aise.

— On ne se connaît pas ? C’est la première fois que vous venez me voir ? Qu’est-ce qui vous amène ?

Alors que je m’asseyais en lui faisant face, elle avait gardé la tête baissée et la releva en remontant les mains vers ses joues. Elle écarta les cheveux et découvrit un visage boursouflé et couvert de tâches rougeâtres formant de grandes plaques de croutes. Ses yeux étaient cernés et gonflés et leur blanc injecté de sang. Je compris la raison pour laquelle elle avait pris tant de précautions pour ne pas incommoder les deux patients qui étaient en même temps qu’elle dans la salle ­d’attente.

— Je viens pour cela… dit-elle simplement. On m’a diagnostiqué un psoriasis du visage.

Elle ouvrit son sac à main et en sortit une enveloppe qu’elle me tendit.

— Je viens de la part du Professeur Duthour, dermatologue à l’hôpital Georges Pompidou. Il pense que vous pouvez m’aider…

Jacques Duthour, l’éminent professeur de Dermatologie, qu’on voyait régulièrement passer dans des ­émissions de télévision, m’adressait l’une de ses patientes ! Qu’est-ce que cela voulait dire ? D’ordinaire, c’était moi qui envoyais mes patients chez les spécialistes ; pas le contraire. Qui croyait-il que je fusse pour m’envoyer une patiente atteinte de psoriasis ? Il devait y avoir erreur. Il m’avait pris pour quelqu’un d’autre, me dis-je. Je saisis la lettre sur laquelle étaient bien ­dactylographiés mon nom et l’adresse du cabinet. Je n’en revenais pas. Je l’ouvris et la lus.

« Chère consœur.

Je suis depuis plusieurs mois madame Suzanne Flandrin pour une maladie de la peau de type psoriasis du visage dont nous avons évalué la gravité, selon l’indice PASI, à 69 sur une échelle allant de 0 à 72. Madame Flandrin a subitement déclaré la maladie sans antécédents il y a environ sept mois. Je l’ai reçue en consultation à la demande de son médecin traitant, le docteur Grimaud, médecin généraliste à Feucherolles.

Au terme de six mois de consultation et de recherches, nous sommes parvenus à déterminer que la cause du psoriasis de madame Suzanne Flandrin n’est d’origine ni génétique ni médicamenteuse ni environnementale. Il semble donc que madame Flandrin ait déclaré la maladie à la suite d’un choc émotionnel. Pour autant, aucun événement dans le passé conscient de madame Flandrin ne semble permettre de déceler une quelconque cause traumatique. Madame Suzanne Flandrin s’est volontairement prêtée à des examens psychiatriques poussés qui n’ont permis de déceler aucune névrose ni aucun trouble de la personnalité qui auraient pu expliquer qu’elle aurait dissimulé des expériences refoulées.

Comme vous pourrez le constater, la localisation et l’étendue de l’inflammation de la peau du visage donnent à la maladie un caractère éminemment ­handicapant qui empêche madame Suzanne Flandrin d’avoir une sociabilité normale. À ma grande surprise, aucun des traitements médicamenteux ou à base de pommades que nous avons essayés n’ont eu d’effet sur la virulence des éruptions. C’est donc en désespoir de cause que je vous l’envoie.

Je me demande, en effet, si madame Suzanne ­Flandrin ne pourrait pas retrouver un souvenir ­lointain et enfoui lors de séance d’hypnoses dont je me suis laissé dire par le Professeur Duval, de la Pitié-­Salpétrière, que vous étiez une praticienne réputée. Je ne vous aurais pas adressé madame Suzanne Flandrin si je n’avais pas la certitude que vous saurez la prendre en charge dans le respect de la déontologie qui s’impose. J’espère que cette dernière tentative de trouver la cause de son mal permettra de la soulager.

Je me tiens à votre disposition pour tout complément d’information que vous jugerez utile.

Veuillez agréer… »

Signé Jacques Duthour !

Je n’en croyais pas mes yeux ! Sur le coup, je me sentis très flattée. Moi ! une simple médecin ­généraliste de ville, appelée à la rescousse par l’un des plus grands ­médecins de France ! Et, en même temps, je ne voyais pas comment l’hypnose que je pratiquais sur mes patients victimes d’addictions ou de phobies aurait pu être d’une quelconque utilité dans le cas de Suzanne Flandrin. Ma patientèle régulière est essentiellement parisienne, plutôt fortunée et locale. En dix-sept ans j’ai vu le changement s’opérer. Alors que je recevais beaucoup de familles à mes débuts, elle s’est ­recomposée progressivement de personnes âgées et de jeunes cadres dynamiques fortunés. Les familles ne représentent plus qu’une petite partie des gens qui viennent me voir. Cela a eu d’importantes répercussions sur ma pratique. Tandis que les familles me conduisaient à faire de la médecine de maladies infectieuses infantiles, la patientèle d’aujourd’hui est plus en attente de traitement des troubles de la vieillesse ou du mal-être en général. Les jeunes cadres, pour parler d’eux, sont soumis à un stress intense qui en conduisent certains à toutes les addictions quand ils ne présentent pas de graves syndromes dépressifs. Au début, je me suis sentie un peu dépassée par leurs demandes et j’avais tendance à les renvoyer vers des spécialistes. Jean m’a conseillée de m’intéresser à cette nouvelle demande. Il a considéré à juste titre qu’il y avait là une manne qu’il ne fallait pas ignorer. Jean est l’un des directeurs de la banque d’investissement d’une grande banque ­française. Il a souvent affaire à des cas de collaborateurs qui présentent des troubles du comportement, certains allant même jusqu’à se droguer avec toutes sortes de produits pour tenir le rythme. Il a eu l’idée géniale de me souffler de chercher si, sans empiéter sur le domaine des psychiatres, je ne pouvais pas apaiser les troubles de ces gens en m’appuyant sur des médecines douces. J’ai donc cherché, me suis rendue à de nombreux colloques et, il y a six ans, je me suis lancée dans l’hypnose thérapeutique. Cela ne marche pas dans tous les cas, mais je peux m’enorgueillir d’avoir déjà obtenu quelques beaux résultats. Je me souviens notamment d’Iled, un jeune trader d’origine libanaise, qui devait avoir une petite trentaine d’année. Il avait développé une ­addiction assez sévère à la cocaïne et souhaitait s’en sortir. Il avait vu mon nom dans l’annuaire d’une association auprès de laquelle je m’étais fait référencer. En cinq séances d’hypnose, nous sommes parvenus à lui faire lâcher la cocaïne. Ce fut mon premier succès important et Iled m’a ensuite envoyé toute une petite troupe de gens, comme lui, que j’ai traitée de la sorte. Le bouche-à-oreille a fait le reste. Je traite le plus souvent des cas d’addiction à l’alcool et au tabac et je peux me vanter de m’être fait une certaine réputation dans ce domaine. Je me suis perfectionnée dans la maîtrise de la technique en suivant des formations et j’ai fait de merveilleuses rencontres lors de stages. J’ai notamment découvert que je pouvais étendre le champ d’application de la technique au traitement des allergies et des phobies. Jean me soutient dans ma démarche même s’il me dit ne plus trop savoir comment empêcher le fisc de nous piller. Il est assez intelligent pour ne pas développer de jalousie du fait que mon activité professionnelle florissante rendrait presque ridicule son superbe salaire dans notre déclaration de revenus.

Je repliai la lettre et regardai Suzanne qui attendait en silence en se regardant les chaussures. Je fus prise soudain d’un sentiment de panique. Que devais-je lui dire ? La première idée qui me vint à l’esprit fut que l’hypnose ne changerait rien à la situation et que Duthour m’avait refilé un cadeau empoisonné. Nous allions donner à Suzanne de faux espoirs. Je devais le lui dire. Je me raclai la gorge et choisis soigneusement mes mots.

— Je vois… Le professeur Duthour vous envoie à moi en fondant l’espoir qu’une thérapie à base ­d’hypnose pourrait avoir un effet sur la guérison de votre psoriasis.

— Oui, c’est ce qu’il m’a dit, effectivement.

— Avez-vous déjà été plongée en état d’hypnose, madame Flandrin ?

— Non, pas volontairement, autant que je me souvienne. Peut-être m’est-il déjà arrivé de l’être dans d’intenses moments de concentration ? Quand je conduis ma voiture la nuit par exemple…

— Oui, c’est possible, mais nous ne parlons pas exactement de la même chose. La conduite de nuit à un certain effet hypnotique mais ce n’est pas de ­l’hypnose thérapeutique…

Je ne pus masquer mon embarras et mon doute devait se lire sur mon visage car Suzanne Flandrin se mit à me supplier.

— Docteur Lebrun-Théron, je ne veux pas dire que vous êtes mon dernier recours mais regardez-moi, ce n’est plus possible de vivre avec çà ! Cette calamité me pourrit la vie. Avant cela, j’avais une vie sociale riche, je pouvais sortir, voyager, rencontrer des gens… J’ai consulté tous les dermatos de la place avant que l’un d’entre eux ne m’envoie chez le plus prestigieux d’entre eux. J’ai eu énormément de chance qu’il me prenne d’ailleurs… Il m’a fait faire tous les examens possibles, a tenté tous les traitements. Rien, vous m’entendez ? Rien n’a résolu mon problème. Et lui aussi baisse les bras aujourd’hui. Je suis prête à tout essayer pour me débarrasser de cette chose et retrouver ma vie d’avant. Alors, de grâce, ne me renvoyez pas…

Elle avait dit ces derniers mots dans un souffle. Je me décidai, sans y croire, de lui demander de me raconter comment cela avait commencé. Elle me dit que c’était arrivé d’un coup et en masse. Elle s’était réveillée un matin avec ces plaques rouges sur tout le visage. Elle avait d’abord cru faire une allergie à une crème quelconque. Elle confessa faire un usage intensif des produits de maquillage. Duthour lui avait demandé de lui rapporter tous les produits d’hygiène du corps et de la maison qu’elle utilisait et les avait fait analyser en laboratoire. Puis il lui avait prélevé de la peau et avait exposé des cultures à toutes les substances contenues dans ces produits. Cela avait coûté cher à Suzanne, car toutes ces analyses chimiques et biologiques n’étaient couvertes par aucune assurance. Rien n’en était sorti. Elle me raconta l’ensemble des protocoles qu’elle avait accepté de subir. Au fil de son récit je prenais conscience de la volonté de fer que cette femme avait démontrée jusque-là. N’importe-qui aurait abandonné à sa place. Pour autant, je ne savais que faire. Je n’avais jamais traité personne pour de tels problèmes de peau qui pour moi ne pouvaient avoir d’origine psycho­somatique. Je connaissais les allergies mais ce n’en était pas une visiblement.

— Bien ! Lui dis-je. Avant d’envisager un quelconque protocole, je pense qu’il faut que je m’entretienne avec le Professeur Duthour.

Je la reconduisis à la porte de mon cabinet et lui indiquai que je reprendrais contact avec elle dès que j’aurais pu échanger avec lui. Je demandai à Sandrine de m’obtenir un rendez-vous téléphonique avec Duthour et repris mes consultations. Mon téléphone sonna vers 19:00.

— Bonjour Docteur Lebrun, Jacques Duthour à l’appareil. Je vous prie de m’excuser si la communication est mauvaise, je vous appelle de ma voiture.

— Enchantée Professeur.

— Alors ? Vous avez reçu ma lettre et vous ­m’appelez pour cela, j’imagine…

— C’est exact. J’ai reçu madame Flandrin ce matin à mon cabinet et je dois vous dire que je me sens franchement désarmée devant le cas que vous me soumettez…

— Ce n’est pas commun, n’est-ce pas ? Un cas très intéressant qui nous donne du fil à retordre. En général on traite les psoriasis assez bien aujourd’hui mais là… rien ne fonctionne !

— … et vous pensez que par l’hypnose…

— Je n’en sais rien, ma chère ! Je suis comme vous… mais on a tout essayé ! Même l’homéopathie ! Rien, je vous dis ! Rien ne vient à bout de cette saloperie ! Alors je m’en remets à la sagesse de Dieu !… C’est bien cela ? Vous conversez avec Dieu dans ­l’hypnose…

Il y avait comme une pointe d’ironie dans son ton qui ne manqua pas de m’agacer…

— Pas vraiment, Professeur ! Il se trouve que dans certains états de conscience modifiée, les patients arrivent à reprogrammer l’inconscient et à se ­débarrasser de mauvaises habitudes ou de comportements inappropriés. Mais cela n’a rien à voir avec de ­l’ésotérisme.

— Ah ! L’inconscient ! C’est lui qui nous dirige ! Je suis d’accord avec cela. Je trouve que nous autres ­médecins sommes complètement nuls dans ce domaine. Mais, vous… vous avez sauté le pas, n’est-ce pas ? On m’a dit le plus grand bien de vous d’ailleurs…

— Ecoutez, j’en suis très flattée, mais je ne crois pas qu’une éruption cutanée de cette sorte soit commandée par l’inconscient. En tous cas, je n’ai jamais traité de tels cas !

— Vous vous sous-estimez, Lebrun ! Vous devriez jeter un coup d’œil sur ce bouquin qu’a écrit un médecin américain du nom de Heymann… Robert ou Ruppert Heymann, je ne sais plus trop bien. Je crois que c’est Ruppert. Il a plein de choses à vous apprendre. Si j’avais vos talents d’hypnothérapeute, j’aurais testé ses recettes ! Mais je ne sais pas tout faire et je pense que j’aurais du mal à lâcher prise. Mais vous… Vous maîtrisez ces techniques. Alors qu’avons-nous à perdre ? Et si cela devait donner des résultats, on publiera ! Qu’en dites-vous ?

La conversation se termina sur ma promesse ­d’effectuer quelques recherches mais sans plus. Ayant raccroché, je soupirai à l’idée que j’allais sans doute être harcelée par ce mandarin et sa patiente pour une chose que je n’avais vraiment pas envie de faire. Je me rassurai en me disant que si j’y mettais assez de mauvaise volonté, ils finiraient par aller voir ailleurs.

Jean, revenu de Londres, me convaincra le soir même du contraire… Jean et moi, c’est une très belle histoire d’amour. Nous nous sommes rencontrés lors du mariage de Marie-Anne et Bruno. Jean connaissait Bruno depuis leur entrée au lycée de Sceaux. Il fut le témoin de Bruno. Marie-Anne et moi avions passé avec succès notre concours d’entrée en médecine la même année à Paris Descartes. Jean était un beau gosse, grand, brun aux yeux bleus, fraîchement diplômé de l’ESSEC. J’ai complètement craqué sur ce type en redingote qui en imposait par sa faconde et sa culture générale. Il donnait l’impression de savoir tout sur tout. Je m’étais sentie ridicule à côté de ce beau garçon qui avait l’air d’en connaître tant sur l’économie, la politique, l’histoire du monde et même l’art. Ce jour-là, je me suis laissée subjuguer et je dois confesser que je ne le regrette toujours pas. A quarante-neuf ans, Jean est resté égal à lui-même. Il me rassure, me conseille et ses avis sont toujours empreints de cette sagesse qui donne l’impression que rien ne peut vous arriver. Au moment où j’entrais en internat des hôpitaux de Paris, nous nous sommes mariés.

Chapitre 2 : Jean Lebrun, le mari d’Odile

Je suis Jean Lebrun, le mari d’Odile Lebrun-Théron. Ce soir-là, je m’en souviens très bien, j’étais rentré assez tôt de mon voyage. J’étais allé entendre les auditeurs de la Banque Centrale Européenne faire leurs rapports et recommandations sur les activités de trading de notre filiale londonienne. J’aime bien ces déplacements à Londres. La City est pour nous, banquiers, le dernier espace de liberté où presque tous les coups sont permis. Comme d’habitude, la Banque Centrale Européenne avait à redire sur nos pratiques mais nos avocats anglais avaient encore fait merveille en réfutant tous les reproches à coup de « ce n’est pas interdit au Royaume-Uni… ». On en avait ri lors du déjeuner avec Eton Baldwick, notre directeur local. J’avais pu attraper, le cœur léger, l’Eurostar de 15:22 qui m’avait ramené à grande vitesse à Paris.

Rentré sur les coups de 19:00 à la maison, beaucoup plus tôt que d’ordinaire, j’avais croisé Bénédicte, notre fille qui, m’ayant claqué un gros bisou sur la joue, m’avait souhaité une bonne soirée d’un jovial « Je sors ! Papa ! ». Je suis l’heureux père de deux charmantes filles. Amélie et Bénédicte. L’aînée est arrivée le 2 juillet 2001. Elle était un beau bébé de trois kilos sept-cent. À l’époque, j’ai voulu que notre premier enfant ait un prénom commençant par un A, le second par un B et ainsi de suite. S’il avait été un garçon nous avions choisi Anatole. Si c’était une fille, Amélie. À l’époque j’avais trouvé l’idée amusante. Odile me reproche encore cette idée débile tant Bénédicte nous fait sentir chaque jour qu’elle se sent la seconde en tout. Elle a tort pourtant, car nous l’aimons autant que sa sœur aînée mais le mal est fait. Bénédicte est née le 5 mai 2005. Alors qu’Amélie a toujours été une enfant modèle, à tel point qu’elle a embrassé, comme sa mère, les études de médecine, Bénédicte est une source permanente de préoccupation pour Odile et moi. Dès la maternelle, elle nous a créé les plus gros problèmes. A treize ans, ses professeurs nous ont indiqué vouloir l’orienter vers la filière professionnelle. J’étais catastrophé, mais nous n’avons pas eu d’autre choix. Tandis que sa sœur trustait les premières places en classe, Bénédicte se morfondait dans des classes de BEP pour devenir cheffe de chantier dans le bâtiment. Heureusement, avec l’aide d’un ami architecte, nous avons pu lui faire découvrir la passion du dessin et elle est aujourd’hui en première année de BTS pour devenir designer d’intérieur. Je croise les doigts pour qu’elle persévère et trouve enfin sa juste place dans la société.

— Et où vas-tu ? Lui dis-je.

— On sort avec les copines sur Paris et on ira sûrement en boite ensuite…

— Et comment rentres-tu ?

— En VTC ! Comme d’habitude !… ne t’inquiète pas ! Tâchez de ne pas laisser la clé dans la porte, que je ne reste pas coincée dehors demain matin ! fit-elle avant de claquer la porte d’entrée sans autre forme de procès.

Seul dans cette grande baraque, je me dis qu’Odile serait contente de rentrer en découvrant que le repas aurait été préparé. J’ouvris le réfrigérateur pour constater qu’en ce vendredi soir il ne restait plus grand-chose à part un fond de légumes. J’entrepris de préparer une pizza avec tout ce que je trouvai dans le frigo. C’est d’ailleurs tout ce que je sais faire… mais Odile trouve que mes pizzas fantaisies sont toujours excellentes ! Je descendis à la cave pour aller chercher une bonne bouteille de Bordeaux et dressai une table pour deux dans le séjour. J’allumai un feu et me servis un whisky single malt. Je lisais l’Équipe, bien installé dans le canapé lorsque Odile arriva.

— Hello Jeannot ! C’est moi !

— Salut ma chérie ! Passé une bonne journée ?

— Oh ! Il faut que je te raconte ! Il m’en est arrivée une bonne aujourd’hui !… Je vais me changer et ­j’arrive !

Elle redescendit dans le salon quelques minutes plus tard, alla se servir un verre de Porto et vint s’asseoir près du feu.

— Alors ? Quelle est cette bonne histoire que tu vas me raconter ?

— Jacques Duthour m’a envoyé une de ses patientes !

— Jacques Duthour ? Qui est-ce ?

— Mais si ! Jacques Duthour… enfin… Tu le connais sûrement, c’est ce type qui fait une émission médicale sur la 2 ! Ah… comment elle s’appelle déjà ?… Médicalement vôtre ! Tu vois ? Ce grand type toujours bronzé, ultra-sportif !…

— Oui ! Je vois de qui tu veux parler… Eh bien ?

— Jacques Duthour est surtout le plus réputé des dermatos de France, Jean ! C’est une sommité ! Il enseigne à Descartes ! Il est le dermato des stars du show-biz et de tout le gratin parisien…

— Ok et alors ? Qu’est-ce qu’il y a de si extra­ordinaire à ce qu’il t’envoie une de ses patientes ?

— Mais… enfin Jeannot ! C’est le monde à l’envers. D’ordinaire c’est moi qui sollicite les spécialistes pour mes patients ! Pas le contraire ! Et là… Jacques Duthour !

Je restai stupéfait de voir Odile si émoustillée. Elle poursuivit :

— Oh mais je ne me suis pas laissé faire ! Rassure-toi !

Je comprenais de moins en moins. Où voulait-elle en venir ?

— Eh bien, raconte !

Elle me fit le rapport de la visite au cabinet d’une certaine Suzanne Flandrin le matin et décrivit avec grand détail ce qui s’était passé. Au bout de vingt-cinq ans de vie commune, je suis devenu de moins en moins sensible à ces choses affreuses qu’Odile se complait régulièrement à me décrire. Il semblait bien pourtant qu’elle-même n’avait jamais vu pareille horreur… Puis elle me relata l’entretien téléphonique avec ce grand médecin.

— S’il pense qu’il peut m’amadouer avec ses promesses de publication ! Il se trompe ! s’écria-t-elle enfin.

— Mais pourquoi ? C’est une superbe opportunité ! Tu devrais accepter ! Lui dis-je.

— Non mais… Jean ! On nage en plein délire là ! On n’a jamais soigné une maladie de peau par de l’hypno­thérapie !

— Qu’en sais-tu ? Demandai-je. Toi, tu ne l’as sans doute jamais fait mais peut-être que d’autres…

— C’est ce qu’il avait l’air de me dire, lui aussi. Il m’a parlé d’un Américain, un certain Heymann qui aurait écrit là-dessus… Je lui ai dit que je regarderai mais c’était surtout pour qu’il me lâche ! Dit-elle en riant.

— Tu en as parlé à Amélie ? Lui demandai-je en me levant pour aller en cuisine lancer la cuisson de ma pizza.

— Non ! Pourquoi ?

— Parce que je crois qu’elle avait pris une option dans le domaine.

— Amélie ?

— Oui, ta fille ! Elle en parlait beaucoup l’an dernier. Cela lui a passé depuis, mais tu devrais lui demander si elle connaît ce Heymann. Tu passes tellement de temps à nous raconter tes histoires du cabinet que tu ne fais même plus attention à ce que nos filles nous racontent elles-mêmes. Je me souviens très bien qu’elle était passionnée par ces cours…

Je glissai ma pizza dans le four et débouchai la bouteille lorsque mon téléphone sonna. C’était justement Amélie.

— Tiens ! Quand on parle du loup ! Lançai-je à la cantonade. Allo, ma chérie ?

Lorsqu’Amélie a besoin d’argent, c’est toujours moi qu’elle appelle. Je m’attendais donc à ce qu’elle prenne son air désolé pour me demander de lui faire un virement en urgence. J’eus encore le nez creux ce ­jour-là. Je poussai la porte de la cuisine pour que sa mère n’entende pas et m’arrangeai avec notre fille. Puis, la conversation terminée, je sortis dans le couloir pour monter vers les chambres et redescendis triomphal en rejoignant Odile dans le salon avec, dans la main, le bouquin de Ruppert Heymann « L’hypnothérapie au service de la médecine ».

— Regarde ! Inutile d’aller chercher bien loin, on l’a son bouquin !

Odile fronça les sourcils, visiblement agacée par mon air satisfait.

— Que voulait Amélie ? demanda-t-elle. De l’argent encore, je parie !…

— Oui mais ne détourne pas la conversation. Elle m’a aussi indiqué où je trouverais ce pensum ! 967 pages ! ça à l’air d’être du sérieux ! Tu n’en as jamais entendu parler dans tes colloques ?

Elle soupira.

— Si… ça me dit quelque chose, mais on m’a aussi dit que c’était rempli de conneries ! Ces soi-disant médecines alternatives sont de la fake-med ! Moi je ne fais pas cela. J’aide les gens à traiter des problèmes comportementaux, tu le sais… Je ne crois pas qu’on puisse réduire une fracture par de la poudre de perlimpinpin ! Ce n’est pas au moment où on vient de ­dérembourser l’homéopathie que je vais aller me griller en donnant dans le mesmérisme ou je ne sais quelles autres idées farfelues de charlatans ! J’ai un statut à préserver, Jean ! C’est sérieux là !

— Tu l’as lu ? Lui demandai-je en lui tendant le livre.

— Non…

— Eh bien, lis-le et on en reparle après ! Ce Duthour ! que tu sembles admirer tout de même, il ne prendrait pas non plus le risque de t’envoyer une de ses patientes s’il n’était pas sérieux. Parce que lui aussi a une réputation à sauvegarder ! Et une sacrée, n’est-ce pas ?

Elle me regarda avec ce regard que je connais par cœur et qui signifie : « Jeannot me passe un message que je n’ai pas envie d’entendre, mais je sais qu’il a encore raison… ». Je repris :

— Imagine un instant que tu ailles raconter sur la place de Paris que le grand Professeur Duthour t’a écrit une belle lettre par laquelle il te demande – rien moins que cela – de tenter de résoudre un sévère problème de psoriasis par de l’hypnothérapie ! Ce type a pris un risque énorme en faisant cela…

— Possible… mais il a peut-être eu un moment d’égarement et je ne suis pas obligée d’en parler… fit-elle.

— Un égarement ? Non. Crois-moi, un type de ce niveau, avec cette réputation et son exposition publique ne prendrait jamais le risque de voir sa carrière démolie sur un moment d’égarement. Il a soupesé le pour et le contre. Il s’est renseigné sur toi. Tu me l’as dit. Il a pris tout son temps avant de sauter le pas… Enfin, c’est ce que j’aurais fait si j’avais été à sa place… On ne brise pas une telle carrière sur un moment d’égarement. Tu dois l’aider et accepter ce qu’il te demande.

— Et moi ? Ma carrière ? Ma réputation… Si cela ne marche pas, il aura beau jeu de nier si jamais je devais me retrouver accusée de charlatanisme devant l’ordre des médecins. Je ne connais pas cette patiente ! Elle pourrait bien me piéger, elle aussi !

— Et comment pourrait-il nier ? Il te l’a mis noir sur blanc dans sa lettre. Tu l’as gardée, j’espère ?

— Oui !… Elle est au cabinet, mais je n’ai pas de consultations demain matin…

— Eh bien, tu vas la rapporter lundi et je la ferai mettre au coffre. Tu peux compter sur moi. Si ce type t’a joué un tour de cochon, il s’en mordra les doigts ! Mais je ne crois pas… j’ai le don de sentir ces choses. Quelque chose me dit que cela va marcher et que rien de bien méchant ne va nous arriver !

Après le dîner, je remis du bois dans le feu et Odile s’installa confortablement dans notre méridienne sous un plaid, le bouquin de Heymann dans les mains. Je l’embrassai sur le front prétextant que j’étais crevé de ma journée pour monter me coucher. Je la retrouvai le lendemain matin dans la même position, les cendres fumantes dans l’âtre. Elle avait déjà lu la moitié du pensum. Elle ne sortit du salon que le samedi dans l’après-midi lorsqu’elle l’eut terminé.

Dans les jours qui suivirent, je lui servis de cobaye comme à ses débuts. Elle dit que je suis un excellent sujet pour l’hypnose. Tous les soirs, elle m’allongeait sur le canapé et me faisait partir dans des états de conscience modifiée de plus en plus profonds. Le bouquin à la main, elle apprenait les recettes de Heymann pour me faire parler. Elle me dit que j’avais raconté ma naissance en retournant dans l’utérus de ma mère.

— Je comprends mieux pourquoi tu es toujours si positif et posé, me fit-elle au « réveil ».

— Ah bon ? Et pourquoi donc ?

— Tu as, semble-t-il, vécu ta naissance avec beaucoup de joie et tu dis que tu t’es tout de suite senti entouré de beaucoup d’amour. Heymann dit que c’est essentiel pour l’équilibre psychique de l’enfant qui deviendra adulte.

— Sans blague ? Pourtant tu connais ma mère ! Ce n’est pas la personne la plus expressive que je connaisse. C’est tout juste si elle m’embrassait quand elle me déposait à l’école… J’étais jaloux de mes petits copains qui avaient des mamans qui les couvraient de bisous…

— Oui, peut-être, mais il faut croire qu’il ne faut pas se fier aux apparences… mon Jeannot ! Ta maman était folle de toi ! Peut-être l’est-elle encore et tu n’es peut-être pas responsable de son manque d’expressivité. Il faut peut-être chercher ailleurs pour ce qui la concerne…

A compter de ce jour, je ne considérais plus jamais ma mère avec le même regard. Odile non plus d’ailleurs. Toutes mes incompréhensions à son égard disparurent. Nos relations s’améliorèrent grandement et nous découvrîmes, à cinquante ans, le plaisir de la recevoir chez nous. Odile m’avait aidé à me débarrasser d’une fausse croyance. Au surplus, alors que j’avais été sujet aux reflux gastriques et passais régulière­ment une bonne partie de mes nuits à me tordre de douleurs lorsque je n’avais plus mes pastilles magiques, tout disparut soudainement. J’en fis part à Odile quelques jours plus tard et cela finit de la convaincre qu’elle pourrait tenter l’expérience avec la patiente de Duthour.

J’étais heureux et fier de moi sur le coup. Je ne devais pas tarder à regretter de lui avoir forcé la main au lieu de l’écouter…

Chapitre 3 : Odile raconte la seconde consultation de Suzanne, la catastrophe

Je partis de la maison avec une boule au ventre ce matin-là. J’avais décidé de suivre les conseils de Jean et avais informé Duthour que j’acceptais de tenter quelque chose avec Suzanne Flandrin tout en lui répétant que ce n’était qu’un essai et qu’il devrait me soutenir dans le cas où la tentative de thérapie échouerait à avoir des effets sur la maladie visée.