La Copie rouge - Eric Kyrn - E-Book

La Copie rouge E-Book

Eric Kyrn

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Beschreibung

Et si la Révolution Sociale se mettait en marche ?

La Copie rouge est le journal d'un partisan du Komintern de 2019 à 2021 pour permettre la prise du pouvoir de ses idées.

Découvrez ce roman d'anticipation qui propose une vision très "rouge" de notre futur en matière de politique !

EXTRAIT

16 septembre 2019

Mon premier geste révolutionnaire au sein du Komintern fut de supprimer l’idée d’être rapproché du monde et de posséder un télépone portable. Le Pouvoir avait considéré avec attention cet appareil moderne (A l’époque tout individu possédait ce genre d’appareil pour communiquer avec autrui) pour en faire son allié en installant sur chaque puce électronique un système de repérage. Ils pouvaient même vous repérer lorsque l’appareil était éteint, voire le rallumer à votre insu; sans parler du fait qu’ils étaient capables de lire vos échanges par mail ou sms et d’écouter vos conversations téléphoniques privées à distance. Donc, chaque membre se séparait de sa «chose», certains l’enterrant en attendant des jours meilleurs, dès que leur décision d’entrer dans la lutte était prise et aujourd’hui, c’est finalement arrivé ! Après toutes ces années de paroles - et rien d’autres que de simples paroles - nous avons finalement entrepris notre première action. Nous sommes en guerre contre les Autorités et ce n’est plus une simple guerre de mots.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Eric Kyrn est né en 1960 à Paris. À six ans, il sait lire et écrire. Il ne saura jamais compter.
En mai 1968, il attrape la rougeole comme de nombreux citoyens de cette époque. Dix ans plus tard, convaincu que les scènes de l'underground parisien lui vaudront plus de reconnaissance que des études aléatoires, il se lance avec culot dans le massacre de mélodies minimalistes. Succès d'estime, puisque de nombreuses plaintes sont portées contre lui pour tapage nocturne.
Agrégé de commerce ambulatoire, il poursuit sa quête de l'aventure au sein de la Légion Étrangère pendant un certain nombre d'années. À son retour, il se met à écrire et s'établit laborieusement. Il est l'auteur de six romans.

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Avant-propos

Il existe une telle somme de littérature consacrée à la Révolution Sociale, y compris les mémoires de quasiment toutes les personnalités qui survécurent dans le Rassemblement Européen, qu’un autre ouvrage concernant les événements et les circonstances de ces temps de bouleversement cataclysmique et de renaissance, peut désormais sembler superflu. Cependant, La Copie rouge donne une vision d’une grande perspicacité sur le fond révolutionnaire, qui est valable pour deux raisons :

1) C’est un rapport parfaitement détaillé et continu sur une portion de la lutte, durant les années précédant le point culminant de la Révolte, rapporté tel que cela s’est déroulé, jour après jour. De cette manière, on évite les travers de la distorsion rétrospective. Bien que les journaux personnels d’autres protagonistes de cet important conflit existent, aucun d’entre eux n’a été publié à ce jour en fournissant un compte-rendu aussi précis et minutieux.

2) Il est écrit du point de vue d’un militant de base du Komintern qui, même s’il souffre d’une myopie occasionnelle, est un document franc et direct. Différent des comptes rendus de quelques leaders de la Révolte, son auteur n’avait pas les yeux dans sa poche lors de cette histoire, comme il l’écrit lui-même. Au fil des pages, nous acquérons une meilleure compréhension par rapport à n’importe quelle autre source. Cela tient au fait qu’il s’agisse des véritables réflexions et des sentiments exprimés par ces hommes et ces femmes qui combattirent et se sacrifièrent pour sauver notre culture et notre monde. Dans ces temps de grand péril, ils furent ceux qui nous conduisirent au Rassemblement Européen. Eric Smilevitch, l’auteur de ces notes, est né en 1985 (Avant le Rassemblement Européen) à Lille. C’était alors le nom d’une vaste métropole de la côte ouest de l’Ancienne Europe, qui incluait les anciennes communautés de Roubaix et de Tourcoing, ainsi que la vaste campagne environnante. Il a grandi dans la région de Lille et a reçu une formation d’ingénieur en électricité.

Après ses études il s’est installé près de la ville de Paris, qui était alors la capitale de de la France. Il y fut employé par une compagnie de recherche sur les composants électroniques.

Son engagement débuta au sein du Komintern en 12 ARE. Quand son manuscrit commence, en 8 ARE (2019 selon l’ancienne chronologie), Smilevitch avait alors 34 ans et était célibataire.

Ces écrits couvrent deux années de la vie d’Eric Smilevitch, pourtant ils nous donnent une connaissance intime d’un de ceux dont le nom est inscrit dans le Livre des Martyres de la Révolution. Pour cette raison, chacun de ses mots doit avoir une résonance particulière pour nous tous qui, au cours de notre instruction quotidienne, avons la tâche de nous remémorer les noms de tous ces Martyres, contenus dans ce recueil sacré, transmis par nos ancêtres.

Aujourd’hui, où les tensions montent en Europe suite aux assauts des Milices des Mères, où suite aux cataclysmes météorologiques, la géographie a été modifiée, il est de bon ton de se rappeler que notre nouvelle civilisation commença dans cette partie de l’Europe appelée France, qui donna l’exemple pour créer cette nouvelle société, à la fois humaine et tolérante, respectueuse de l’environnement et solidaire entre ses peuples.

La Copie rouge est composé, sous sa forme manuscrite, de cinq grands registres reliés en tissus. Il y a beaucoup d’insertions et de notes entre les pages des volumes. Ces dernières furent apparemment écrites par Smilevitch en ces jours où il était éloigné de sa base et ont été intercalées ensuite, dans son journal permanent.

Les registres ont été découverts l’année passée, avec une quantité fabuleuse d’autres matériaux, historiquement important, par la même équipe de l’Institut d’Histoire, conduite par la Professeur Lyne Bedia, qui la première découvrit le Centre Ouest de Commandement de la Révolution dans ses excavations, près des ruines de Paris. Il est maintenant indispensable qu’ils soient accessibles pour le grand public, à l’occasion du centième anniversaire de la première élection du Rassemblement Européen.

E.K.

16 septembre 2019

Mon premier geste révolutionnaire au sein du Komintern fut de supprimer l’idée d’être rapproché du monde et de posséder un télépone portable. Le Pouvoir avait considéré avec attention cet appareil moderne (A l’époque tout individu possédait ce genre d’appareil pour communiquer avec autrui) pour en faire son allié en installant sur chaque puce électronique un système de repérage. Ils pouvaient même vous repérer lorsque l’appareil était éteint, voire le rallumer à votre insu; sans parler du fait qu’ils étaient capables de lire vos échanges par mail ou sms et d’écouter vos conversations téléphoniques privées à distance. Donc, chaque membre se séparait de sa «chose», certains l’enterrant en attendant des jours meilleurs, dès que leur décision d’entrer dans la lutte était prise et aujourd’hui, c’est finalement arrivé ! Après toutes ces années de paroles - et rien d’autres que de simples paroles - nous avons finalement entrepris notre première action. Nous sommes en guerre contre les Autorités et ce n’est plus une simple guerre de mots.

Je ne peux pas dormir, j’essaierai donc de transcrire sur le papier les pensées qui me viennent à l’esprit. En fait, c’est loin d’être sans danger de parler ici. Les murs sont fins comme du papier et les voisins pourraient s’interroger sur les raisons d’une conférence aussi tardive. D’ailleurs Abdel et Nouma sont déjà endormis. Seul Bernard, qui fixe le plafond et moi-même, sommes éveillés.

Je suis vraiment tendu. Tellement excité que je ne puis rester assis. Je suis épuisé. Je suis debout depuis 5h30 ce matin, quand Abdel nous a appelés pour nous prévenir que les arrestations avaient commencé. Il est plus de minuit maintenant. J’ai bougé toute la journée.

Mais en même temps je suis grisé. Nous avons finalement agi ! Combien de temps serons-nous en mesure de continuer à défier l’ECU (Europeane Corporate Union), à travers le gouvernement français, nul ne le sait. Peut-être que tout sera fini dès demain, mais nous ne devons pas penser à cela.

Maintenant que nous avons réellement commencé, nous devons continuer le même plan que nous avions développé si minutieusement depuis le début des Récupérations, il y a deux ans de cela.

Quel coup brutal ce fut pour nous ! Et combien nous avons eu honte ! Tout ce baratin des camarades, «le gouvernement ne m’enlèvera jamais mes droits» et quand cela c’est produit, cela n’a pas provoqué autre chose qu’une docile soumission.

D’un autre côté, on pouvait peut-être aussi être écoeuré par le fait qu’encore quelques-uns des nôtres étaient toujours équipés d’une carte de vote et cela presque dix-huit mois après le vote de la Loi Charon. Cette législation scélérate déclarait hors-la-loi tout particulier détenteur d’armes à feu, en Europe. C’était seulement parce que beaucoup d’entre nous défiaient la loi en cachant nos armes, au lieu de les rendre, que le gouvernement ne fut pas capable d’agir plus sévèrement contre nous après les Récupérations. Il faut dire que depuis les guerres des Balkans et les révoltes islamistes du Proche et Moyen-Orient, les armes pullulaient dans les cités des villes de banlieue; des armes pour les délinquants, des armes pour les apeurés, des armes pour les militants et évidemment des armes pour cette milice proréactionnaire...

Jamais je n’oublierai ce terrible jour : le 9 novembre 2014. Ils frappèrent à ma porte à cinq heures du matin. Encore endormi, je ne soupçonnais rien en allant voir ce qui se passait.

J’ai ouvert la porte et quatre nervis entrèrent en me poussant dans l’appartement avant que je puisse les arrêter. L’un d’eux tenait une batte de base-ball et deux autres avaient de longs couteaux de cuisine glissés dans leurs ceintures. Celui avec la batte me poussa dans un coin et me tint en respect, la batte brandie de façon menaçante, pendant que les trois autres commençaient à saccager mon appartement.

Ma première idée fut qu’il s’agissait de voleurs. Des cambriolages de cette sorte étaient devenus assez fréquents depuis la Loi Charon. Des bandes de roumi s’introduisaient dans des maisons de frères pour piller et violer, sachant que même si leurs victimes avaient des armes, elles n’oseraient pas s’en servir. Soudain, celui qui montait la garde exhiba une espèce de carte et m’informa que lui et ses complices étaient des «suppléants spéciaux» du Mouvement pour la Réconciliation des Hauts de France. Ils recherchaient des armes à feu, me dit-il.

Je ne parvenais pas à le croire. Ça ne pouvait pas arriver. Puis je vis qu’ils portaient des brassards verts autour du bras droit. Alors qu’ils jetaient au sol le contenu des tiroirs et arrachaient les affaires des placards, ils ignoraient des choses qui n’auraient pas laissé indifférents des voleurs : mon rasoir électrique flambant neuf, une coûteuse montre-gousset en or, une bouteille de lait remplie de pièces de dix centimes... Ils recherchaient des armes à feu !

Juste après que la Loi Charon fut adoptée, tous les membres du Komintern durent cacher les calibres et les munitions qu’ils possédaient, dans des endroits où ils ne pouvaient être découverts. Ceux de ma Cellule ou Unité combattante avaient pris soin de graisser leurs armes, de les entreposer dans un bidon d’huile et de les enterrer dans un trou de deux mètres de profondeur, à 300 kilomètres d’ici, dans les bois à l’ouest, en Grand Est.

Cependant j’avais conservé un revolver. J’avais caché mon 357 magnum et cinquante cartouches, dans la charpente de la porte séparant la cuisine et le salon. En extrayant deux clous dissimulés et en enlevant une planche de la structure de la porte, je pouvais atteindre mon revolver en moins de deux minutes, si le besoin se faisait sentir. Je m’étais chronométré.

Même une perquisition policière ne le trouverait jamais. Et ces roumi inexpérimentés pourraient le chercher durant un million d’années.

Après avoir orienté leurs recherches dans des endroits évidents, ils déchiquetèrent mon matelas et les coussins du sofa. Je protestai vigoureusement et essayai de me débattre.

A ce moment il y eut du raffut dans le hall. Un autre groupe d’enquêteurs avait trouvé un fusil caché sous un lit, dans l’appartement d’un jeune couple situé à l’étage. Tous deux avaient été menottés. Ils criaient et étaient escortés vers les marches de l’escalier. Simplement habillée de ses sous-vêtements, la jeune femme se plaignait parce que son bébé était laissé seul dans le logement.

Un autre individu entra dans mon appartement. C’était un schmock, malgré un teint mat qu’il aurait pu faire passer pour du bronzage. Il arborait un brassard en tissus vert et portait un attaché-case et un dossier.

Les roumi le saluèrent avec déférence et lui firent part du résultat négatif de leur fouille : «Pas d’armes ici, Monsieur Sorano.»

Sorano parcouru de son index une liste de noms et de numéros d’appartements figurant dans son dossier, jusqu’à ce qu’il arrive au mien. Il fronça les sourcils. «Celui-ci est un mauvais gars» dit-il. «Il a un casier S. A été cité deux fois par le Conseil. Et il possède huit armes à feu qui n’ont jamais été restituées.» Sorano ouvrit son attaché-case et sortit un petit objet noir, d’à peu près la taille d’un paquet de cigarettes, relié par un long cordon à un instrument électronique placé dans sa mallette. Il commença à agiter l’objet, balayant de long en large les murs, jusqu’à ce que sa mallette émette un désagréable bruit sourd. Le son du gadget devint plus sourd encore en approchant du commutateur électrique, mais Sorano savait que ce changement était occasionné par la boîte de jonction métallique et le conduit celé dans le mur. Il continua son sondage méthodique.

A l’instant où il balaya le côté droit du montant de la porte de la cuisine, le bourdonnement se mua en un hurlement strident. Sorano grogna d’excitation et un des sbires s’éclipsa pour revenir quelques secondes plus tard avec une massette et un burin. Il fallut au roumi bien moins de deux minutes pour trouver mon revolver.

J’ai été menotté sans explication supplémentaire et conduis à l’extérieur. Au total, nous étions quatre à avoir été arrêté dans mon immeuble. En plus du couple, il y avait un homme, d’un âge avancé, du quatrième étage. Ils n’avaient pas découvert d’arme à feu dans son appartement, mais ils avaient trouvé quatre cartouches de fusil de chasse sur l’étagère de son armoire. Munitions qui étaient également prohibées.

Monsieur Sorano et quelques-uns de ses «suppléants» poursuivirent leurs investigations, mais trois gros roumi, armés de battes et de couteaux, furent affectés à notre garde devant l’immeuble.

Tous quatre fûmes forcés de nous asseoir sur le trottoir glacé, tous plus ou moins dénudés, durant plus d’une heure, avant qu’un car de police n’arrive finalement pour nous embarquer.

Les autres résidants sortaient de l’immeuble pour se rendre au travail. Ils nous dévisagèrent curieusement. Nous frissonnions tous et la jeune femme sanglotait de manière hystérique, réclamant son enfant.

Un homme vêtu d’un costume deux pièces s’arrêta pour demander ce qui se passait. Un de nos gardes lui expliqua que nous étions tous en état d’arrestation pour possession illégale d’armes. Le type nous dévisagea et hocha la tête d’un air réprobateur.

Ensuite le nervi me désigna du doigt et dit : «En plus celui-ci est S.»

Toujours en secouant la tête l’homme s’éloigna, en détournant le regard.

Ce gars n’était pas un inconnu pour moi. Il répondait au nom de François N’dam. Il avait appartenu au Komintern et faisait alors partie des fameux fanfarons qui claironnaient à tout bout de champs : «ils ne me prendront jamais mon flingue.» Mais c’était avant l’entrée en vigueur de la Loi Charon. Son appartement avait été également fouillé, mais N’dam était en règle. Il avait été pratiquement le premier homme de la ville à remettre ses armes à la police, juste après que l’adoption de la Loi Charon le rende passible de dix années d’emprisonnement dans une prison régionale, s’il les avait conservées.

C’était la peine que nous encourions tous les quatre sur le trottoir. Cependant ce ne fut pas le cas, puisque que les perquisitions entreprises à travers le pays ce jour-là, aboutirent à un coup de filet qui permis au Pouvoir de prendre plus de poissons qu’il n’en espérait, soit plus de quatre-vingt mille personnes arrêtées.

Dans un premier temps, les médias tentèrent de susciter chez le public le sentiment que ces arrestations étaient méritées. Le fait qu’il n’y avait pas assez de cellules carcérales dans tout le pays pour nous enfermer fit suggérer aux journaux de fabriquer des enclos de fil de fer barbelé et de nous y retenir prisonniers, dans des camps, jusqu’à ce que de nouvelles prisons soient prêtes. Et cela par un temps glacial !

Je me souviendrai toujours de ce que titra l’Officiel - le quotidien le plus proche du Gouvernement - le lendemain : «Une Conspiration écrasée, Des armes illicites saisies.» Mais même soumis au lavage de cerveau, le lecteur français ne put entièrement accepter l’idée que près de cent mille citoyens puissent être engagés secrètement dans une conspiration armée.

De plus en plus de détails concernant les opérations transpirèrent et agitèrent le public. Un des points qui agaça le plus les gens, était que le gouvernement avait exempté les banlieues roumi de toutes perquisitions. L’explication donnée à cela fut de considérer que les «S» (Syndicalistes révolutionnaires) étaient les premiers suspectés de détenir des armes à feu et qu’il n’y avait pas besoin de perquisitionner aux domiciles des roumi.

L’étrange logique de cette explication vola en éclat lorsqu’un certain nombre de personnes, qui pouvaient difficilement être taxées de «S», «Islamistes» voire «Anarchistes» furent prises dans les rafles. Parmi elles, deux éminents chroniqueurs de journaux libéraux, qui avaient été dès l’origine les fers de lance de la croisade anti-flingues, quatre députés roumi (qui résidaient dans des banlieues aisées), et une grande quantité, embarrassante, d’agents du gouvernement.

Il s’avéra que la liste des personnes perquisitionnées, émanait en premier lieu des registres des détenteurs d’armes, établis par les armuriers lors de tout achat. Si une personne rendait une arme à la police après la mise en vigueur de la Loi Charon, son nom était rayé de la liste. Si elle ne l’avait pas encore fait, alors elle subissait une perquisition comme celle du 9 novembre - sauf si elle résidait dans un quartier roumi.

De surcroît, certaines catégories de personnes furent perquisitionnées, qu’elles aient acquis une arme auprès d’un armurier ou non. Tous les membres du Komintern furent ainsi raflés.

La liste gouvernementale des suspects était tellement vaste, que beaucoup de «responsables» de groupes civiques durent prêter main forte à la réalisation de ces opérations.

J’imagine que les planificateurs du Système savaient qu’une quantité de gens, figurant sur leur liste, avait acheté leurs armes à d’autres particuliers avant l’adoption de la Loi Charon, ou encore en disposait par quelque autre filière. Probablement laissèrent-ils de côté environ le quart de tous ceux qui furent alors arrêtés.

De toute manière, tout un ensemble de facteurs devenait gênant et si peu exploitable que la plupart des détenus furent libérés en moins d’une semaine. Le groupe dans lequel j’étais - quelques six cent personnes - fut retenu trois jours dans le gymnase du lycée Bergson, dans le XIXème arrondissement parisien, avant d’être relâché. Durant ces trois jours, nous fûmes seulement nourris à quatre reprises et quant au sommeil nous n’en avions virtuellement pas obtenu.

Cependant, la police prit le soin d’obtenir les photos et les empreintes digitales de tout le monde. Quand on nous relâcha, il nous fut signifié que nous étions toujours techniquement en état d’arrestation et que nous pouvions à tout moment être incarcéré de nouveau, pour être mis en accusation, selon une nouvelle procédure d’inculpation.

Les médias hurlèrent un moment en exigeant des poursuites, mais tout cela se tassa peu à peu. Actuellement, les Autorités ont enterré l’affaire assez discrètement. Durant quelques jours nous étions tous plus effrayés que joyeux d’être libres. C’est alors que beaucoup de membres du Komintern commencèrent à décrocher. Ils ne voulaient plus prendre aucun risque.

D’autres encore se servirent des Récupérations comme d’un prétexte à l’inactivité. Maintenant que les éléments perturbateurs de la population avaient été désarmés, disaient-ils, nous étions tous à la merci du Pouvoir et devions être beaucoup plus prudents. Ils souhaitaient que nous cessions toutes activités publiques de recrutement et que nous «entrions dans la clandestinité.»

Ce qu’ils avaient réellement en tête, c’était que le Komintern devrait se limiter dorénavant à des activités «sûres» consistant à se lamenter les uns auprès des autres - si possible en chuchotant - de la mauvaise tournure des choses.

Les membres les plus déterminés quant à eux étaient partisans de déterrer nos armes et de déclencher un programme contre l’ECU immédiatement, en commençant à exécuter les juges fédéraux, les rédacteurs de quotidiens nationaux, les législateurs, les membres de la franc-maçonnerie et les autres personnages influents du Système tels que certains députés européens. L’heure est venue pour une telle action, pensaient-ils, parce qu’à la suite des Récupérations nous pourrions gagner la sympathie du public, avec une telle campagne contre la tyrannie.

C’est difficile de dire maintenant si ces militants radicaux avaient raison ou non. Je pense qu’ils avaient tort - bien que je puisse me compter parmi eux à ce moment-là. Nous aurions certainement pu assassiner un grand nombre de créatures responsables des maux de l’Europe, mais je crois que nous aurions perdu, à long terme. En premier lieu, le Komintern n’était pas assez disciplinée pour déclencher une campagne de terreur contre les Autorités. Il y avait trop de lâches et de jacasseurs parmi nous. Les informateurs, les cinglés, les faibles et les irresponsables auraient causé notre perte.

Deuxièmement, je suis maintenant certain que nous étions beaucoup trop optimistes dans notre jugement sur l’humeur du public. Ce que nous oublions, c’était que le ressentiment à l’égard de l’abrogation des droits des citoyens par le Gouvernement, durant les Récupérations, n’était qu’une vague d’inquiétude passagère, résultant de l’émotion causée par les arrestations en masse.

Dès lors que les médias rassurèrent le public sur le fait qu’il n’était pas en danger, que le gouvernement ne s’en prenait qu’aux «S, islamistes et autres éléments asociaux» qui avaient conservé illégalement leurs armes, tout ce petit monde commença à se relaxer et retourna à sa télévision et à ses magazines. Lorsque nous avons commencé à réaliser cela, nous avons été plus découragés que jamais. Nous avions basé tous nos plans - en fait c’était tout le raisonnement du Komintern - sur la supposition que les Français étaient fermement opposés à la tyrannie et que, lorsque les Autorités deviendraient suffisamment oppressives, ils pourraient être amenés à les renverser. Nous avions sous-estimé le degré auquel le matérialisme avait corrompu nos compatriotes, ainsi que l’étendue de la manipulation de leurs sentiments que pouvaient orchestrer les médias.

Tant que le gouvernement est en mesure de maintenir l’économie à un niveau acceptable, le peuple quant à lui, peut être conditionné à accepter n’importe quel outrage. Malgré l’inflation continue et le niveau de vie graduellement en déclin, la plupart des Européens a toujours la possibilité d’avoir aujourd’hui le ventre rempli. Nous devons accepter le fait qu’il s’agisse de l’unique chose qui compte pour la majorité d’entre eux !

Découragés et incertains comme nous l’étions, nous avons cependant commencé à tirer de nouveaux plans sur l’avenir. Premièrement nous avons décidé de poursuivre notre programme de recrutement public. En fait, nous l’avions intensifié et délibérément élaboré notre propagande de la manière la plus provocatrice possible. Le but n’était pas d’attirer de nouveaux membres pourvus de dispositions militantes, mais en même temps de purger le Komintern des lèches-bottes, des opportunistes, des forts-en-gueule et des «balances» potentielles.

Nous avions aussi renforcé la discipline. Quiconque manquait deux fois de suite une réunion planifiée était expulsé. Quiconque échouait dans l’exécution d’une mission était expulsé. Quiconque violait nos règles de discrétion vis-à-vis du Komintern était expulsé.

Nous voulions que le Komintern soit prêt, la prochaine fois que les Autorités trouveraient l’opportunité de frapper de nouveau. La honte de notre échec à agir réellement, notre incapacité à réagir en 2014, nous tourmentait et nous poussait sans relâche. C’était certainement l’unique facteur important forgeant nos volontés, afin d’engager le Komintern dans un combat impeccable, en dépit des obstacles.

Une autre chose nous décida - en tout cas, pour ma part - ce fut la constante menace d’être de nouveau arrêté et inculpé. Même si j’avais voulu tout plaquer pour rejoindre l’amusant-monde-de-la-télé, je n’aurais pas pu. Je ne pouvais tirer de plans pour une vie sociale «normale,» sans savoir quand je serai jugé, en vertu de la Loi Charon. (La Constitution garantissant un procès rapide avait, bien entendu, été «réinterprêtée» par les tribunaux au même titre que la Constitution garantissant le droit des citoyens.)

Ainsi, et je sais que cela s’applique également à Abdel, Nouma et Bernard, je me suis lancé sans réserve au service du Komintern et je n’ai plus échafaudé de projets que pour le devenir de l’organisation politique. Ma vie privée a cessé d’exister. Si le Komintern est actuellement prêt, je pense que nous verrons bientôt l’aboutissement. Même si cela semble bien loin. Notre plan pour éviter un autre encerclement de masse, comme celui de 2014, semble pourtant avoir fonctionné.

Dès le début de l’année dernière, nous avons commencé à placer un certain nombre de nouveaux militants inconnus des services de police, au sein des agences de police et des différentes organisations liées à l’administration communale, régionale, nationale et européenne, voire même parmi le Mouvement pour la Réconciliation. Ils servaient de réseau de première alerte et nous informaient sur les menées du Pouvoir à notre encontre. Nous avons été surpris de la facilité avec laquelle nous avons pu mettre en place et rendre opérationnel ce réseau.

Il est ironique que depuis le temps que le Komintern avertissait le public des dangers de l’intégration européenne au sein de notre police, elle devienne maintenant une couverture pour nous. Avec une opportunité semblable, les gars ont réellement réalisé un merveilleux travail de sabotage, à l’intérieur des services et des autres agences gouvernementales, et leur efficacité a payé. Tout de même, nous aurions mieux fait de nous montrer plus discrets et plus prudents. Bon sang ! Il est quatre heures du matin. Il faut que je dorme !

18 septembre 2019

Ces deux derniers jours ont été marqués par une série d’erreurs comiques, et aujourd’hui la comédie a pratiquement tourné à la tragédie. Hier, quand enfin les autres ont réussi à me réveiller, nous nous sommes demandés ce que nous pourrions faire. Le premier point sur lequel nous étions tous d’accord, était de nous armer et de trouver une meilleure planque.

Notre Cellule, en fait nous quatre, avait loué cet appartement sous un faux nom depuis près de six mois, simplement pour qu’il soit disponible en cas de besoin. (Nous avions échappé de justesse à la nouvelle loi obligeant le propriétaire à fournir à la police le numéro de sécurité sociale de chaque nouveau locataire, comme lorsqu’une personne ouvre un compte bancaire.) Parce que nous étions restés éloignés de l’appartement jusqu’à présent, je suis sûr que la police n’a pu établir aucun lien entre nous et cette adresse.

Mais c’est trop étroit pour que nous puissions vivre ici sur une longue durée et que cela nous permette d’être suffisamment discret vis-à-vis des voisins. Nous étions trop préoccupés par les économies lorsque nous avons choisi cet endroit. L’argent était désormais notre principal problème. Nous avions pensé à stocker dans notre appartement, de la nourriture, des médicaments, des outils, des vêtements de rechange, des cartes et même une bicyclette mais nous avions omis le fric. Il y a deux jours, quand le mot est passé indiquant qu’ils recommençaient les arrestations, nous n’avons pu retirer de l’argent à la banque; c’était trop tôt dans la matinée. Maintenant nos comptes bancaires étaient sûrement gelés.

Donc, nous avons seulement l’argent qui se trouvait dans nos poches à ce moment-là : un peu moins de soixante-dix euros à nous tous (Note à l’attention du lecteur : L’«euro» était l’unité monétaire commune en Europe dans le Vieux Monde. En 2019, cinq euros permettaient d’acheter cinq cent grammes de pain ou à peu près deux livres de sucre.)

En outre, nous ne disposions pas de moyen de locomotion, hormis le vélo. Conformément au plan, nous avions tous abandonné nos voitures, depuis que nous savions que la police pouvait nous tomber dessus. Même si nous avions eu un véhicule, nous aurions eu un problème pour faire le plein. En effet nos cartes de crédit sont depuis peu reliées informatiquement avec notre numéro de sécurité sociale. Ainsi lorsque nous les introduisons dans l’ordinateur d’une station service, ils peuvent bloquer la distribution - et instantanément appeler les flics par l’ordinateur central et cela où que nous soyons.

Hier, Abdel, qui est notre contact avec la Cellule 9, a enfourché la bicyclette et les a rejoints en pédalant, pour leur faire part de la situation. Ils sont un peu mieux lotis que nous, mais tout est relatif. Ils disposent à eux six d’environ quatre cent euros, mais ils s’entassent dans un taudis qui, selon Abdel, est beaucoup moins appréciable que le nôtre.

Ils disposent de quatre automobiles et d’une bonne réserve d’essence, semble-t-il. Pierre Seguin, qui est des leurs, a réalisé de faux permis de conduire et de fausses cartes grises, pour tous ceux de sa Cellule possédant une voiture. Nous aurions dû faire de même, mais il est maintenant trop tard.

Ils ont offert à Abdel une voiture et cinquante euros en liquide, qu’il a accepté avec reconnaissance. En revanche, ils n’ont pas voulu se séparer de leur carburant, sauf celui contenu dans le réservoir de la voiture qu’ils nous ont donnée.

Cela ne nous laissait pas assez d’argent pour louer un autre studio, pas plus que d’essence pour nous rendre à notre cache d’armes dans le Grand Est et en revenir. Nous n’avions pas non plus assez d’argent pour nous procurer des vivres pour tenir au-delà d’une semaine. Notre stock actuel de nourriture serait quant à lui épuisé dans quatre jours.

Le réseau sera opérationnel dans dix jours, mais d’ici là nous sommes livrés à nous-mêmes. De plus, quand notre Cellule rejoindra le réseau, cela suppose que nous ayons déjà résolu ces problèmes d’intendance et que nous soyons prêts à entrer en action de concert avec les autres Cellules.

Si nous avions plus d’argent, nous pourrions résoudre tous nos problèmes, y compris celui du carburant. Bien entendu, l’essence est toujours disponible au marché noir - à cinq euros le litre, soit grosso-modo le double du prix en station service. Nous avons ruminé sur notre situation tout l’après-midi. Puis, désespérés de perdre autant de temps, nous avons finalement décidé de sortir et de prendre de l’argent. Bernard et moi nous nous sommes chargés de la corvée. Nous ne pouvions plus risquer que Abdel soit arrêté, car il est le seul à connaître le codage des transmissions du réseau.

Tout d’abord Nouma réalisa sur nous un très habile travail de maquillage. Elle fait partie d’une troupe de théâtre amateur et possède le matériel ainsi que le savoir-faire pour modifier complètement l’apparence de quelqu’un.

Mon idée était d’entrer dans le premier magasin de liqueur, de fracasser la tête du patron avec une brique et de retirer le fric du tiroir-caisse.

Bernard n’était pas d’accord avec ça. Il disait que nous ne devrions pas employer de méthodes contradictoires avec nos buts. Si nous voulons que le public commence à nous soutenir, nous ne devrons pas être considéré comme un vulgaire gang de criminels, en opposition avec toute la hauteur de nos aspirations. Pire encore, nous risquons en définitive d’avoir la même piètre opinion de nous.

Bernard prend en compte chaque terme de notre idéologie. Si quelque chose n’est pas conforme, il ne voudra pas y prendre part.

Dans un sens ça semble inapplicable, mais je pense qu’il est dans le vrai. C’est seulement en plaçant notre espoir dans une foi ardente, nous guidant jour après jour, que nous maintiendrons la force morale nécessaire pour affronter les obstacles et les épreuves face au mensonge.

Quoi qu’il en soit Bernard me convainquit que si nous devions attaquer des magasins de liqueurs, nous devions le faire de façon socialement consciente. Si nous devions ouvrir le crâne de certains à coup de brique, ils devaient le mériter.

Nous avons superposé la liste les magasins d’alcool figurant dans les pages jaunes de l’annuaire téléphonique, avec une liste des membres du Mouvement pour la Réconciliation de Normandie. Cette dernière nous avait été transmise par une fille que nous avions envoyé faire du travail bénévole pour eux. A la lumière de cette comparaison, nous avons jeté notre dévolu sur la boutique des Vins et Spiritueux Nicolas. Le propriétaire répondant au doux nom exotique de Paul Berman.

Il n’y avait pas de brique à portée de main, alors nous nous sommes munis de massues, confectionnées avec d’énormes barres de savon disposées dans de grosses chaussettes de laine. Bernard portait également à la ceinture un couteau dans son étui.

Nous nous sommes garés à un pâté de maisons et demi des Spiritueux Nicolas, à l’angle d’une rue. Lorsque nous sommes entrés, il n’y avait pas de client. Un roumi était à la caisse et surveillait le magasin.

Bernard lui demanda une bouteille de Vodka placée sur une haute étagère derrière le comptoir. Quand il s’est retourné, je lui ai balancé ma «massue» sur la base du crâne. Il s’écroula silencieusement au sol et demeura sans connaissance.

Bernard vida calmement le tiroir-caisse ainsi qu’une boîte à cigares contenant de nombreux billets. Après être sortis, nous nous sommes dirigés vers la voiture. Nous avions récupéré un peu plus de huit cent euros. Cela avait été incroyablement facile.

A trois magasins de là, Bernard stoppa net et pointa son index vers la devanture «Délices Nicolas». Sans un instant d’hésitation, il ouvrit la porte et entra. Mu par une soudaine et téméraire impulsion, je le suivis sans tenter de le retenir. Berman en personne se tenait derrière le comptoir, dans le fond de la boutique. Bernard l’attira en lui demandant le prix d’un article placé dans la vitrine, inaccessible depuis la place que Berman occupait.

Lorsqu’il est passé devant moi, je lui ai cogné l’arrière de la tête le plus fort possible. J’ai senti la barre de savon s’écraser sous la violence du coup.

Berman tomba en hurlant de tous ses poumons. Puis il s’écroula sur le sol de la boutique en gueulant si fort qu’il aurait pu réveiller les morts. J’étais complètement calme face à ce vacarme et restais imperturbable.

Ce n’était pas le cas de Bernard. Il sauta sur le dos de Berman, le saisi par les cheveux et lui trancha la gorge, d’une oreille à l’autre d’un mouvement vif.

Le silence retomba en une seconde. Alors une grasse et grotesque femme d’une soixantaine d’années - certainement l’épouse de Berman - sortie du fond de la pièce et se précipita sur nous en émettant un hurlement strident, un couperet à viande à la main. Bernard pivota dans sa direction et lui balança, sans la moindre hésitation, un gros bocal de cornichons raflé sur une étagère. Elle s’effondra dans un mélange de cornichons et de verre brisé.

Mon partenaire récupéra alors le contenu de la caisse, chercha une autre boîte à cigares, la découvrit et prit les billets.

Je suis sorti de ma torpeur et j’ai suivi Bernard vers l’entrée, quand soudain la grosse femme se remis à hurler. Bernard dut m’attraper par le bras pour courir jusqu’à la voiture.

Cela ne nous a pas pris plus de quinze secondes pour y arriver, mais cela me parut quinze minutes. J’étais terrifié. Il m’a fallu plus d’une heure pour arrêter de trembler et retrouver suffisamment de contrôle de moi-même pour parler sans bégayer. Quel terroriste !

Toutefois nous avions 1426 euros - soit suffisamment pour acheter des commissions pour nous quatre pendant plus de deux mois. Une chose fut également décidée, Bernard serait désormais le seul à dévaliser les boutiques d’alcool. Je n’avais pas assez de sang froid pour cela, même si j’estimais m’être bien comporté lorsque Berman avait hurlé.

19 septembre 2019

En relisant ce que j’ai écrit, j’ai du mal à croire que toutes ces choses ont vraiment eu lieu. Sans les Récupérations d’il y a cinq ans, ma vie serait aussi banale que n’importe qui en ce moment.

Même après avoir été arrêté et avoir perdu ma place au laboratoire, j’étais toujours capable de vivre comme beaucoup. J’aurai pu réaliser des travaux en tant que consultant et des boulots spéciaux pour un bon nombre d’usines en électronique de cette région. La seule chose sortant de l’ordinaire dans mon style de vie aurait été mon travail pour le Komintern.

Maintenant tout est chaotique et incertain. Quand j’imagine le futur je deviens dépressif. Il est impossible de prévoir ce qui va se passer, mais il est certain que je ne serai jamais plus capable de revenir à cette espèce de quiétude de la vie ordinaire que je menais avant.

On dirait bien que je suis en train d’écrire le début d’un journal intime. Peut-être que cela m’aidera d’écrire ce qui arrive et ce que sont mes réflexions, chaque jour. Cela restituera les choses, les ordonnera, et me rendra plus facilement capable de me ressaisir et de me réconcilier avec ce nouveau mode de vie.

C’est amusant de se dire, que tout cet énervement que j’ai ressenti la première nuit ici, s’est évanoui. Ce que je ressens à présent c’est de l’inquiétude. Peut-être que le changement d’air de demain améliorera mes perspectives. En effet, j’irai avec Bernard, dans le Grand Est pour nos flingues, pendant qu’Abdel et Nouma essayeront de nous trouver un cadre de vie plus approprié. Aujourd’hui nous avons fait les préparatifs pour notre départ. Notre projet d’origine nous obligeait à utiliser les transports en commun jusqu’à la ville de Sedan et de là crapahuter à travers les bois où se situe notre cache. A la place, nous utiliserons la voiture que nous possédons désormais.

Nous avions pensé avoir seulement besoin de quinze litres de diesel, en plus de ce qu’il y avait déjà dans le réservoir, pour effectuer le trajet. Pour plus de sécurité nous avions aussi un bidon de vingt litres chacun, provenant d’une compagnie de taxis à Saint Denis qui a également à sa botte, une partie du ravitaillement. De plus en plus, au fil des dernières années, une corruption mesquine s’est instaurée à tous les niveaux. J’imagine que les nombreuses arnaques touchant les plus hautes sphères du gouvernement (comme le scandale des frais personnels dévoilé il y a quelques années) ont fini par transpirer au niveau de l’homme de la rue. Quand les gens ont commencé à réaliser que les politiciens les plus haut placés étaient des escrocs, ils ont été incités à profiter un peu, eux aussi, du Système. La nouvelle affaire du rationnement a tout bonnement exacerbé cette tendance - tout comme le pourcentage d’escroqueries pratiquées par des profiteurs, à chaque échelon de la bureaucratie.

Le Komintern a été l’un des plus critique vis-à-vis de la corruption, mais je constate maintenant que ça nous donne un avantage important. Si tout le monde obéissait à la loi et faisait ce qu’elle dictait, il serait impossible à un groupe clandestin d’exister.

Non seulement nous serions incapables d’acquérir de l’essence, mais un millier d’autres obstacles bureaucratiques (par lesquels les Autorités contrôlent de manière exponentielle la vie de nos concitoyens) nous seraient insurmontables. Ainsi, un pot de vin glissé à un fonctionnaire municipal ou quelques euros en dessous de table à un employé ou une secrétaire pourront nous permettre de contourner une multitude d’obligations gouvernementales. Autrement, nous ne nous pourrions pas circuler.

Plus la moralité publique en Europe approche le niveau d’une république bananière et plus il nous sera facile d’opérer. Bien sûr avec tant de gens à arroser nous aurons besoin de fonds importants.

Au regard de la doctrine, d’aucuns peuvent tirer la conclusion que c’est la corruption, et non la tyrannie, qui conduira au renversement des gouvernements. Un gouvernement fort et dynamique, pas nécessairement répressif, ne devrait pas craindre la révolution. Mais un état corrompu, inefficace et décadent - même s’il est généreux - est toujours mûr pour le soulèvement. Les Autorités contre lesquelles nous luttons sont aussi corrompues qu’oppressives, et nous pouvons remercier les dieux pour la corruption.

Le silence qui pèse sur nos activités, au niveau des informations, est profitable. L’affaire Berman de l’autre jour ne nous a, bien entendu, pas été attribuée et n’a donné lieu qu’à un paragraphe dans le quotidien d’aujourd’hui. Les attaques de ce type - même ayant occasionné un meurtre - sont si communes de nos jours qu’ils ne méritent pas plus d’attention qu’un accident de la route.

Par contre, le fait que le gouvernement ait organisé une descente massive pour ficher les membres du Komintern, mercredi dernier, en visant presque chacun d’entre nous, soient plus de deux mille personnes, fut passé totalement sous silence. Pourquoi cela n’a-t-il pas été rapporté par la presse ? Les nouveaux médias collaborent étroitement avec le pouvoir, évidemment, mais quelle stratégie utilisent-ils contre nous ?

Il y avait un petit article dans l’Offciel, en bas d’une page dans la livraison d’hier, mentionnant l’arrestation de neuf «S» à Strasbourg et de quatre autres à Lille mercredi. L’article disait que les treize arrêtés étaient membres de la même organisation - on s’en serait douté - mais aucun autre détail n’a filtré. Curieux !

Qu’ils ne disent rien sur l’échec des dernières descentes, c’est probablement pour ne pas mettre le Gouvernement dans l’embarras. Cela ne leur ressemble pas. A priori ils sont un peu paranoïaques en ce qui concerne la façon dont nous avons échappé à la rafle. Ils semblent craindre qu’une substantielle partie du public fraternise avec nous et nous aide et ils ne veulent rien dire qui pourrait encourager nos supporters.

Nous devons être prudents sur le sentiment trompeur selon lequel «les choses suivent leur cours» car cela pourrait nous entraîner à relâcher notre vigilance. Nous devons être certains que la police politique a échoué sa tentative de nous mettre la main dessus. Ce sera un soulagement lorsque le réseau sera opérationnel et que nous pourrons enfin recevoir des rapports réguliers de la part de nos informateurs, pour savoir où en sont exactement les chacals. Entre-temps notre sécurité dépend principalement du changement de nos apparences et de nos identités. Nous avons tous changé notre style de coiffure et certains ont teint ou décoloré leurs cheveux. J’ai commencé à porter de nouvelles lunettes à larges montures pour changer des précédentes, et Nouma s’est mis des lentilles de contacts. Bernard a subi la plus radicale transformation en rasant sa barbe et ses moustaches. Nous avons tous de faux permis de conduire assez convaincants, même s’ils ne résisteront pas longtemps à une comparaison avec les registres officiels.

Pour quiconque d’entre nous ayant à effectuer un délit, comme les vols de la semaine passée, Nouma pourrait réaliser un travail rapide et temporaire et ainsi donner une troisième identité. Pour cela elle possède des perruques et des accessoires en plastique qui se placent dans les narines et dans la bouche et qui changent l’allure générale d’un visage - et également la voix. Ce n’est pas confortable mais cela peut être aisément toléré pendant quelques heures, comme lorsque je suis sans mes lunettes un instant, par nécessité. Demain sera une longue et rude journée.

21 septembre 2019

Je souffre de tous les muscles de mon corps. Hier nous avons passé dix heures à voyager, à creuser et à transporter les armes hors des bois. Cet après-midi nous avons déménagé toutes nos affaires de notre ancien appartement à notre nouvelle planque.

Il était presque midi quand nous sommes arrivés à proximité de Sedan et sommes sortis de l’autoroute. Nous avons roulé le plus près possible de notre cache, mais l’ancienne route minière que nous avions empruntée il y a cinq ans de cela, était bloquée et impraticable à plus d’un kilomètre de l’endroit où nous avions prévu de nous garer. Le talus sur le bord de route s’était écroulé et il aurait fallu un bulldozer pour dégager le chemin.

Par conséquent, nous avons dû parcourir près de quinze cent mètres par ce chemin, soit plus de dix fois la distance que nous avions prévue. Il nous a fallu faire trois aller-retour chacun, pour décharger les ustensiles de la tire. Nous avons pris des pelles, une corde et une paire de grands sacs (un cadeau des services postaux), mais par la suite, ce matos s’est révélé inapproprié pour la tâche. Aller de la caisse à la cache avec nos pelles sur le dos était assez rafraîchissant après le long chemin depuis Paris. Le temps était agréablement frais, la forêt en automne était merveilleuse, et il était certainement plus facile de prendre par cette satanée vieille route, certainement plus emprunté depuis des lustres, que de couper par les chemins.

Après avoir creusé et atteint le haut du fût d’huile (en l’occurrence un bidon de cent cinquante litres avec un couvercle amovible) dans lequel nous avions entreposé nos armes, nous avons constaté qu’il n’était pas en trop mauvais état. Le sol était agréablement tendre, et cela nous laissa penser qu’il nous faudrait moins d’une heure pour dégager le fût, en passant notre corde par les poignées du couvercle. C’est alors que nos difficultés commencèrent. Nous avions beau tirer autant que nous pouvions sur la corde, le fût ne bougeait pas d’un pouce. C’était comme s’il était scellé dans du béton.

Même si le bidon rempli pesait près de deux cent kilos, deux d’entre nous avait été capables de le placer dans le trou sans trop de difficulté cinq ans avant. A l’époque, bien entendu, les alentours avaient été déblayés. Désormais la terre, en se tassant, s’était agglomérée fermement contre le métal.

Nous avons laissé tomber l’idée de hisser le bidon et avons décidé de l’ouvrir là où il était. Pour ce faire, nous avons dû creuser pendant une heure, pour élargir le trou et dégager quelques pouces de terre tout autour du sommet du fût. Ainsi nous pourrions glisser nos mains sur le joint isolant le couvercle. Puis il me restait à entrer dans le trou, avec Bernard me tenant par les jambes.

Bien que la surface du bidon ait été peinte au goudron pour prévenir la corrosion, le joint de fermeture lui-même était tellement rouillé, que j’ai cassé le seul tournevis en ma possession, en tentant de l’ouvrir. Finalement, après plusieurs tentatives j’ai réussi à faire levier à l’aide d’une pelle. Même une fois le joint enlevé, le couvercle restait toujours à sa place, collé au bidon par le goudron que nous avions appliqué.

Travailler au-dessus de ce trou étroit était difficile et pénible. Nous n’avions pas les outils nécessaires pour forcer sur les bords et les enfoncer. A la fin, pratiquement désespéré, j’ai tenté une fois encore de passer la corde par les poignées du couvercle. Nous avons violemment tiré dessus, et le couvercle céda !

Il restait le problème de mon entrée, tête la première, dans le trou une fois encore. Je devais prendre appui sur un bras, sur le rebord du fût et passer les armes emballées dans des chiffons, le long de mon corps, pour que Bernard puisse les récupérer. Quelques gros paquets - et cela comprenait six boîtes de munitions hermétiquement closes - étaient trop lourds et trop volumineux pour cette méthode et devaient être hissés au moyen de la corde.

Inutile de préciser, que depuis le temps que nous avions ouvert le bidon, j’étais complètement naze. Mes bras me faisaient souffrir, mes jambes étaient instables et mes vêtements trempés par la transpiration. Mais il nous restait à traîner péniblement jusqu’à la route, plus de cent cinquante kilos de munitions, sur quinze cent mètres à travers un bois très dense. Ensuite il fallait faire plus d’un kilomètre pour arriver à la voiture.

Avec des sacs corrects pour répartir le chargement sur nos dos, nous aurions pu tout charger en un seul trajet. Cela aurait été encore plus facile en deux fois. Mais avec ces foutus sacs postaux, que nous devions saisir à bras le corps, il fallut porter notre croix, à grand peine, durant trois voyages.

Nous devions nous arrêter tous les cent mètres et poser nos paquets pour souffler une minute. A partir du second voyage, nous avons été plongés dans une totale obscurité. Ayant prévu une opération au grand jour, nous n’avions pas embarqué de lampe. «Si nous ne planifiions pas mieux nos coups futurs, nous allons nous en mordre les doigts !» pensais-je à ce moment.

En rentrant sur Paris nous avons fait une halte à un petit bar près de Chalons, en bordure de la route, pour acheter des sandwiches et du café.

Il y avait une douzaine de clients sur place. Les infos de onze heures venaient juste de commencer et nous avons pu les suivre depuis un téléviseur placé sur le comptoir, à notre arrivée. Ce fut un programme d’informations que je n’oublierai jamais.

La grosse affaire du jour était que le Komintern entrait en action à Strasbourg.

Les Autorités, semble-t-il, avaient exécuté l’un des nôtres, et en retour nous avions flingués trois des leurs. Il s’engagea alors une spectaculaire - et victorieuse - fusillade avec les policiers. Non loin du lieu, l’ensemble des reporters s’activaient pour couvrir ces événements.

Nous avons également appris par les journaux que neuf de nos membres avaient été arrêtés à Strasbourg la semaine dernière et placés à la prison de Struthof - l’ancien camp de concentration nazi - où l’un d’entre eux était mort. Il était impossible de savoir avec exactitude ce qui s’était réellement passé de la bouche du présentateur télé. Mais si les Autorités avaient agi conformément aux instructions du Pouvoir, ils avaient dû mettre nos gars, séparément, dans des cages remplies de criminels roumi en fermant les yeux et en se bouchant les oreilles sur ce qui s’ensuivit.

Il y a longtemps que les Autorités emploient des voies extralégales afin de punir nos amis, lorsqu’il peut les épingler et les «traduire» en justice. C’est un plus affreux et plus horrible châtiment que ce qui se pratiquait dans les chambres de torture du Moyen âge, ou dans les prisons du KGB. Ils peuvent continuer à appliquer ces méthodes car les médias n’admettront jamais que cela se produit. Après tout si vous voulez convaincre le public que toutes les religions sont égales, comment pourriez-vous admettre qu’il est pire d’être bouclé dans une cellule pleine de roumi plutôt que dans une cellule de camarades ?

En tout cas, le lendemain du meurtre de notre homme - les envoyés spéciaux disaient qu’il s’appelait Salim Masclaux et je n’avais jamais entendu parler de lui dans le passé - le Komintern de Strasbourg fit le serment de faire plus fort encore que l’année passée, lorsqu’un de nos membres fut gravement brutalisé dans la prison de Strasbourg. Ils attendirent le commissaire principal de la ville de Colmar à la sortie de chez lui et lui firent sauter la tête d’un coup de fusil de chasse. Ils accrochèrent ensuite un mot sur son corps, sur lequel on pouvait lire : « C’est pour Salim.» Cela eut lieu dans la soirée de samedi dernier. Le dimanche, les Autorités étaient sur les dents. Le commissaire principal de la ville de Colmar était un gros bonnet de la politique, à l’avant-garde des milices réactionnaires et cela les rendait fous furieux. Même si le feu des projecteurs était uniquement braqué sur Strasbourg en ce dimanche, ils ont dépêché plusieurs charognards de la communauté sur place afin de dénoncer le meurtre et le Komintern dans des flashs télévisés spéciaux. Un des intervenants présenté était un «responsable conservateur,» et l’autre une tête pensante de la communauté Juive de Strasbourg, affilié aux laboratoires pharmaceutiques européens. Tous deux décrivaient le Komintern comme un «gang de bigots S» et appelaient «tous les habitants bien-pensants» à coopérer avec la police pour appréhender les «S» qui avaient assassiné le commissaire.

Tôt ce matin, le fameux responsable conservateur a perdu ses jambes et souffre de graves lésions internes sous l’effet d’une bombe explosée lorsqu’il a démarré sa voiture. Le porte-parole juif n’a pas été plus chanceux. Pendant qu’il attendait l’ascenseur, dans l’immeuble où le bureau de son lobby était situé, quelqu’un sortit une hachette de sous son manteau et détacha, d’un coup tranchant, la tête du lobbyiste de ses épaules. Le Komintern revendiqua immédiatement ces deux actes.

Après cela, le président de la région du Grand Est a déployé les réserves des Compagnies Républicaines de Sécurité dans Strasbourg afin d’aider la police locale et les agents des RG dans leur chasse aux membres du Komintern. Des centaines de personnes ont été contrôlées dans les rue de Strasbourg aujourd’hui, et sommées de décliner leur identité. La paranoïa des Autorités est réellement visible.

Cet après-midi, trois hommes ont été acculés dans l’appartement d’un petit immeuble de Neudorf. Le quartier tout entier a été investi par des troupes, traquant les hommes, en accord avec la police. Les équipes de télé étaient toutes sur place, bien décidées à ne rien rater du massacre.

L’un des hommes de l’appartement disposait de toute évidence d’un fusil à lunette, car deux flics Roumi se trouvant un immeuble plus loin ont été abattus avant de réaliser quoi que ce soit, alors qu’un autre flic, un frère en uniforme, n’a pas été pris pour cible. Cette immunité raciale n’a apparemment pas été étendue à la police politique, puisqu’un agent des RG a quant à lui été déchiqueté par une rafale de fusil mitrailleur, en provenance de l’appartement, au moment où il s’est découvert pour balancer une grenade par la fenêtre.

Nous étions tenus en haleine par l’action retransmise à la télé, mais le point culminant fut pour nous, le moment où l’appartement fut pris d’assaut et découvert vidé des ses occupants. Une rapide recherche pièce par pièce de l’immeuble n’a pas permis de coincer le tireur.

La déception de cette sortie était évidente dans la voix du commentateur, mais un homme assis à l’autre bout du comptoir siffla et applaudi lorsqu’on annonça que le «S» était parvenu à s’échapper. La serveuse sourit à cette annonce et il nous sembla clair, que pendant que certains n’approuvaient pas les actions du Komintern à Strasbourg, d’autres étaient ici en leur faveur.

C’était presque comme si les Autorités avaient anticipé ce type de réaction vis-à-vis des événements de l’après-midi. Les choses changèrent à Paris lorsque le Procureur général pour la lutte Anti-terroriste convoqua une conférence de presse. Il annonça à la nation que les autorités lançaient toutes ses forces de police pour extirper le Komintern.

Il nous décrivit comme des «dépravés criminels S» dont la seule motivation était la haine et qui voulaient «faire échec au progrès représenté par une vraie égalité,» mise en place par les Autorités depuis les dernières années. Tous les citoyens devaient être en alerte et assister le gouvernement pour mater la «conspiration S». Quiconque constaterait des agissements suspects, de la part d’inconnus, devrait immédiatement en aviser le bureau des Renseignements Généraux locaux ou l’un des commissariats les plus proches. Ensuite, le procureur eut une phrase malheureuse, trahissant le pétrin dans lequel s’était fourré les Autorités. Il déclara que tout citoyen se livrant à de la rétention d’informations ou nous offrant quelque réconfort ou assistance «serait très sévèrement puni.» C’étaient là ses propres mots - une sorte de chose qu’on pouvait s’attendre à entendre dans l’ancien Bloc de l’Est ou en Union Soviétique, mais qui eut une résonance désagréable, pour plus d’une oreille française. Et ce, en dépit des meilleurs efforts de la propagande médiatique, pour faire avaler la pilule. Tous les risques pris par nos camarades à Strasbourg furent récompensés, car cela amena le procureur général à commettre une telle gaffe psychologique. Cet incident prouve également la valeur de la déstabilisation du Pouvoir, face à des attaques surprises. Si les Autorités avaient gardé leur calme et avaient réagi plus prudemment en réponse à nos actions de Strasbourg, cela n’aurait pas déclenché une gaffe, qui nous amènera des centaines de nouvelles recrues; mais ça leur aurait ouvert la voie pour gagner le soutien d’un plus large public, dans leur lutte contre nous.

Le programme d’informations se conclut par l’annonce, qu’une heure spéciale d’émission serait consacrée dans la soirée de mardi (c’est à dire ce soir) à la «conspiration S». Nous finissons précisément de regarder ce programme, un boulot bâclé, truffé d’erreurs et d’inventions, pas très convaincant de l’avis de chacun. Mais une chose est certaine : le black-out des médias est tombé. Strasbourg a donné au Komintern un statut de célébrité, et nous devons probablement être le principal sujet de conversation, partout dans le pays.

A l’issue des dernières infos de la nuit, Bernard et moi avons terminé notre repas et sommes sortis. J’étais emplis d’émotions : excitation, exultation par rapport au succès de nos gars de Strasbourg, nervosité d’être devenu l’une des cibles de la chasse à l’homme nationale, et déçu que pas une de nos Cellules de Paris n’ait pris d’initiatives semblables à celles de Strasbourg.

Je cherchais à faire quelque chose, et le premier truc qui me vint à l’esprit fut de tenter d’établir un contact avec le type du bistro, qui nous avait paru sympathique. J’ai voulu prendre des tracts dans notre caisse et les placer sur chaque pare-brise des voitures du parking. Bernard, qui garde toujours la tête froide, a mis son veto sur l’idée. Lorsque nous fûmes assis dans la caisse il m’expliqua que ce serait une pure folie d’attirer l’attention sur nous, avant même que nous ayons terminé notre mission, et déchargé en lieu sûr notre cargaison d’armes pour notre Cellule. De plus, il me rappela que ce serait un écart vis-à-vis de la discipline du Komintern, qu’un membre d’une Cellule clandestine s’investisse dans une quelconque activité de recrutement directe, même minime. Cette fonction relevait de nos Unités «légales».

Les Cellules clandestines sont composées de membres connus des autorités et recherchés, en vue de leur arrestation, par la police. Leur fonction est de détruire le Pouvoir par l’action directe.

Les Cellules «légales» consistent en des membres pas encore connus du Pouvoir. (Ainsi il serait impossible de prouver que certains d’entre eux sont membres. En cela nous nous sommes basés sur la littérature communiste.) Leur rôle est de nous fournir des renseignements, des fonds, une assistance juridique et tout autre soutien.

A chaque fois qu’un «illégal» découvre une recrue potentielle, il est supposé donner cette information à un «légal,» qui approchera le nouvel espoir pour le sonder. Les «légaux» sont supposés s’occuper de toute la propagande à faible risque, telle le tractage. A franchement parler, nous ne devrions jamais avoir de tracts du Komintern sur nous.

Nous avons attendu que l’homme qui avait applaudi à la fuite de nos camarades de Strasbourg sorte et monte dans sa camionnette Renault. Nous nous sommes garés à sa hauteur et avons relevé son numéro d’immatriculation, puis nous sommes partis. Quand le réseau fonctionnera nous transmettrons l’information à la personne compétente qui l’exploitera.