La Fanfarlo - Charles Baudelaire - E-Book

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Charles Baudelaire.

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Beschreibung

Publié pour la première fois en 1847, cette nouvelle de Charles Baudelaire (1821-1867) mêle expériences personnelles et hommages littéraires (Balzac). Du jeu de l'adultère et des manipulations amoureuses, il ressort un texte empreint d'ironie montrant qu'à trop singer la passion on est souvent contraint de la vivre réellement.

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La Fanfarlo

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La Fanfarlo

 Charles Baudelaire

-La Fanfarlo

Samuel Cramer, qui signa autrefois du nom de Manuela de Monteverde quelques folies romantiques, — dans le bon temps du romantisme — est le produit contradictoire d’un blême Allemand et d’une brune Chilienne. Ajoutez à cette double origine une éducation française et une civilisation littéraire, vous serez moins surpris, — sinon satisfait et édifié, — des complications bizarres de ce caractère. — Samuel a le front pur et noble, les yeux brillants comme des gouttes de café, le nez taquin et railleur, les lèvres impudentes et sensuelles, le menton carré et despote, la chevelure prétentieusement raphaélesque. — C’est à la fois un grand fainéant, un ambitieux triste, et un illustre malheureux ; car il n’a guère eu dans sa vie que des moitiés d’idées. Le soleil de la paresse. qui resplendit sans cesse au-dedans de lui, lui vaporise et lui mange cette moitié de génie dont le ciel l’a doué.

Parmi tous ces demi-grands hommes que j’ai connus dans cette terrible vie parisienne, Samuel fut, plus que tout autre, l’homme des belles œuvres ratées ; — créature maladive et fantastique, dont la poésie brille bien plus dans sa personne que dans ses œuvres, et qui, vers une heure du matin, entre l’éblouissement d’un feu de charbon de terre et le tic-tac d’une horloge, m’est toujours apparu comme le dieu de l’impuissance, — dieu moderne et hermaphrodite, — impuissance si colossale et si énorme qu’elle en est épique !

Comment vous mettre au fait, et vous faire voir bien clair dans cette nature ténébreuse, bariolée de vifs éclairs, — paresseuse et entreprenante à la fois, — féconde en desseins difficiles et en risibles avortements ; — esprit chez qui le paradoxe prenait souvent les proportions de la naïveté, et dont l’imagination était aussi vaste que la solitude et la paresse absolues ?

— Un des travers les plus naturels de Samuel était de se considérer comme l’égal de ceux qu’il avait su admirer ; après une lecture passionnée d’un beau livre, sa conclusion involontaire était : voilà qui est assez beau pour être de moi ! — et de là à penser : c’est donc de moi, — il n’y a que l’espace d’un tiret.

Dans le monde actuel, ce genre de caractère est plus fréquent qu’on ne le pense ; les rues, les promenades publiques, les estaminets, et tous les asiles de la flânerie fourmillent d’êtres de cette espèce. Ils s’identifient si bien avec le nouveau modèle, qu’ils ne sont pas éloignés de croire qu’ils l’ont inventé. — Les voilà aujourd’hui déchiffrant péniblement les pages mystiques de Plotin ou de Porphyre ; demain ils admireront comme Crébillon le fils a bien exprimé le côté volage et français de leur caractère. Hier ils s’entretenaient familièrement avec Jérôme Cardan ; les voici maintenant jouant avec Sterne, ou se vautrant avec Rabelais dans toutes les goinfreries de l’hyperbole. Ils sont d’ailleurs si heureux dans chacune de leurs métamorphoses, qu’ils n’en veulent pas le moins du monde à tous ces beaux génies de les avoir devancés dans l’estime de la postérité. — Naïve et respectable impudence ! Tel était le pauvre Samuel.

Fort honnête homme de naissance et quelque peu gredin par passe-temps, — comédien par tempérament, — il jouait pour lui-même et à huis clos d’incomparables tragédies, ou, pour mieux dire, tragi-comédies.

Se sentait-il effleuré et chatouillé par la gaîté, il fallait se le bien constater, et notre homme s’exerçait à rire aux éclats. Une larme lui germait-elle dans le coin de l’œil à quelque souvenir, il allait à sa glace se regarder pleurer. Si quelque fille, dans un accès de jalousie brutale et puérile, lui faisait une égratignure avec une aiguille ou un canif, Samuel, se glorifiait en lui-même d’un coup de couteau, et quand il devait quelques misérables vingt mille francs, il s’écriait joyeusement :

“Quel triste et lamentable sort que celui d’un génie harcelé par un million de dettes !” D’ailleurs, gardez-vous de croire qu’il fût incapable de connaître les sentiments vrais, et que la passion ne fit qu’effleurer son épiderme. Il eût vendu ses chemises pour un homme qu’il connaissait à peine, et qu’à l’inspection du front et de la main il avait institué hier son ami intime. Il apportait dans les choses de l’esprit et de l’âme la contemplation oisive des natures germaniques, — dans les choses de la passion l’ardeur rapide et volage de sa mère, — et dans la pratique de la vie tous les travers de la vanité française. Il se fût battu en duel pour un auteur ou un artiste mort depuis deux siècles. Comme il avait été dévot avec fureur, il était athée avec passion. Il était à la fois tous les artistes qu’il avait étudiés et tous les livres qu’il avait lus, et cependant, en dépit de cette faculté comédienne, restait profondément original. Il était toujours le doux, le fantasque, le paresseux, le terrible, le savant, l’ignorant, le débraillé, le coquet Samuel Cramer, la romantique Manuela de Monteverde. Il raffolait d’un ami comme d’une femme, aimait une femme comme un camarade.

Il possédait la logique de tous les bons sentiments et la science de toutes les roueries, et néanmoins n’a jamais réussi à rien, parce qu’il croyait trop à l’impossible. — Quoi d’étonnant ? il était toujours en train de le concevoir.

Samuel, un soir, eut l’idée de sortir ; le temps était beau et parfumé. — Il avait, selon son goût naturel pour l’excessif, des habitudes de réclusion et de dissipation également violentes et prolongées, et depuis longtemps il était resté fidèle au logis. La paresse maternelle, la fainéantise créole qui coulait dans ses veines l’empêchait de souffrir du désordre de sa chambre, de son linge et de ses cheveux encrassés et emmêlés à l’excès. Il se peigna, se lava, sut en quelques minutes retrouver le costume et l’aplomb des gens chez qui l’élégance est chose journalière ; puis il ouvrit la fenêtre. — Un jour chaud et doré se précipita dans le cabinet poudreux. Samuel admira comme le printemps était venu vite en quelques jours, et sans crier gare. Un air tiède et imprégné de bonnes odeurs lui ouvrit les narines, — dont une partie étant montée au cerveau, le remplit de rêverie et de désir, et l’autre lui remua libertinement le cœur, l’estomac et le foie. — Il souffla résolument ses deux bougies dont l’une palpitait encore sur un volume de Swedenborg, et l’autre s’éteignait sur un de ces livres honteux dont la lecture n’est profitable qu’aux esprits possédés d’un goût immodéré de la vérité.

Du haut de sa solitude, encombrée de paperasses, pavée de bouquins et peuplée de ses rêves, Samuel apercevait souvent, se promenant dans une allée du Luxembourg, une forme et une figure qu’il avait aimées en province, — à l’âge où l’on aime l’amour.