La Fêtarde - Rafael Sollier - E-Book

La Fêtarde E-Book

Rafael Sollier

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Beschreibung

La Fêtarde Une mère de famille sans histoire qui disparaît au coeur de la Lozère. Un mari qui tarde à signaler sa disparition. Immédiatement le poison du soupçon. Des policiers largués par les événements ou à contretemps. Disparition volontaire ? Enlèvement suivi de séquestration ? Meurtre ? Plus l'enquête avance, plus les questions affluents sans indices probants. Un époux inquiet. Des amis éplorés. Un commissaire déboussolé. Rien n'y fait. Les jours passent et Mathilde Duriel demeure introuvable. Le compte à rebours a pourtant commencé. Un terrain hostile. Des forêts denses. Des montagnes abruptes. Des lacs et cours d'eau. Par où chercher ? Et cette question, en écho : Mais que s'est-il donc passé ?

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Veröffentlichungsjahr: 2023

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Ähnliche


Sommaire

PREMIER JOUR

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

DEUXIÈME JOUR

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

TROISIÈME JOUR

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

QUATRIÈME JOUR

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

Chapitre 25

Chapitre 26

Chapitre 27

Chapitre 28

Chapitre 29

Chapitre 30

Chapitre 31

Chapitre 32

Chapitre 33

Chapitre 34

Chapitre 35

Chapitre 36

Chapitre 37

ÉPILOGUE

PREMIER JOUR

1

Badaroux, Lozère

Mathilde venait de retirer très délicatement sa robe bleue turquoise et, d’un geste désinvolte, la lança aux deux hommes lui faisant face allongés nus sur le lit. Pour faire monter le désir, elle ajouta dans le feu de l’action un grand sourire coquin tout en passant une main délicate dans ses beaux et interminables cheveux blonds.

De ses yeux vert-bleu intenses, elle scrutait avec satisfaction les regards concupiscents de ses partenaires qui, visiblement, ne s’attendaient pas à voir pareille beauté.

Entièrement nue à son tour, Mathilde se caressait les seins et cambrait les fesses sur un rythme parfaitement huilé, tout en soutenant toujours du regard les deux paires d’yeux posés sur son corps.

Pendant son numéro de charme, les insultes en tout genre pleuvaient à son égard dans la bouche des deux hommes surexcités. La jeune femme se mordilla la lèvre inférieure : cela avait toujours été son fantasme de coucher avec deux hommes.

Elle serait enfin exaucée.

À coup sûr, ces deux brutes allaient la contenter.

Elle grimpa ensuite délicatement sur le lit, puis, mécaniquement, avança à quatre pattes en direction des deux sexes en érection. Ses seins se balançaient de droite à gauche dans une synchronie quasi-militaire : il ne devait pas y avoir de traitement de faveur dans son esprit.

Mathilde ne se dépareillait pas de son sourire angélique, à la fois émerveillée et intriguée par ce qu’il allait se passer dans cette chambre tamisée à l’excès.

La jeune femme se redressa quelque peu en jouant avec sa langue. Elle souffla ensuite un bon coup sous le regard suppliant des deux hommes qui attendaient la suite avec impatience.

Puis son grand sourire se figea soudainement.

Comme pétrifiée, Mathilde tomba droit devant elle la tête la première. Son visage alla heurter une des deux jambes qui lui faisaient face.

Elle avait perdu connaissance.

Dans son inconscient, elle crut entendre des cris de panique.

Cela dura dix secondes… Avant le trou noir.

Le début du cauchemar.

2

Marvejols, trois jours plus tard…

— Papa, elle est où maman ? demanda Gaizka pour la troisième fois, entre deux bouchées de purée.

— Je te l’ai dit ma puce, elle est partie quelques jours chez des amies pour se ressourcer, lui répondit son père sans grande conviction. Allez mange, avant que cela ne refroidisse.

La vérité, c’est que Christopher ne savait pas le moins du monde où sa femme avait bien pu passer.

Ils s’étaient disputés assez violemment quatre jours plus tôt lors d’une énième crise de jalousie. Chris ne supportait plus la façon dont Mathilde aimait jouer les midinettes au boulot. Après tout, elle avait 35 ans maintenant.

Il était peut-être temps de grandir un peu, non ?

Madame Duriel ne l’avait évidemment pas entendu de cette oreille.

Elle reprochait à son mari de l’enfermer dans un carcan, d’être trop possessif avec elle.

Il ne pouvait cependant lui donner tort là-dessus.

Pour autant, Christopher s’estimait dans son bon droit de lui faire la morale : il était quasiment certain que sa femme l’avait déjà trompé… Même s’il n’en avait jamais eu la preuve formelle.

Il faut dire que Mathilde était coutumière du fait de disparaître sans donner de nouvelles pendant des heures, sans le moindre sms, quand le portable n’était pas tout simplement éteint. Les raisons de ses absences multiples : les réunions parents-profs au lycée, aller boire un verre avec ses copines après le travail, la visite de son père qui habitait à l’Est de Mende au Bleymard.

Et il en oubliait.

Bref, son mari était habitué à ses incartades.

Cependant, même s’il ne voulait pas se l’admettre, une chose l’inquiétait grandement : sa femme, si elle avait déjà découché à de multiples reprises, était toujours revenue au final le lendemain.

Là, cela faisait trois jours qu’il n’avait plus du tout de nouvelles d’elle…

Ce n’était clairement pas dans ses habitudes.

De peur de paraître idiot, Christopher n’avait pas prévenu la police.

Une erreur monumentale, pensa-t-il en regardant tristement l’heure sur l’horloge de la cuisine.

On était samedi midi, et Mathilde n’avait pas donné signe de vie depuis mercredi 17h, heure de laquelle elle était partie en claquant vigoureusement la porte d’entrée.

Depuis, plus rien.

Plus grave, son portable était éteint depuis jeudi matin…

Chris n’était pas resté pour autant les bras croisés depuis trois jours : il avait appelé la meilleure amie de sa femme, Sonia, afin de savoir si elle ne dormait pas chez elle par hasard. Le plus étonnant était que même celle-ci n’avait pas la moindre idée d’où elle pouvait bien se trouver.

Mais Christopher n’avait pas confiance dans la meilleure amie.

Furieux, il lui avait ordonné de lui donner tous les numéros des copines, menaçant d’aller voir la police en évoquant son nom. Sonia ne s’était pas fait prier et lui avait fourni tout son répertoire.

Il n’en demandait pas tant.

Cependant, que ce soit amis, collègues de boulots, lointains cousins… Personne n’avait revu Mathilde depuis mercredi. Son mari avait appelé une cinquantaine de numéros. Même son frère, Tristan, pourtant très proche de sa sœur, n’avait aucune nouvelle d’elle.

Sans parler du père.

À l’évidence quelque chose clochait.

Malgré son optimisme légendaire, il devait prévenir la police maintenant. Avant que le proviseur du lycée Chaptal de Mende ne le fasse à sa place.

Cela n’avait que trop duré.

Christopher était bien conscient qu’on l’érigerait en suspect numéro un si Mathilde ne réapparaissait pas.

Peu lui importait.

Il n’avait rien à se reprocher de toute façon.

Tout ce qu’il voulait, lui, c’est qu’on lui rende sa femme saine et sauve.

3

Villefort, quelque part aux alentours du lac

Mathilde regardait avec une grande anxiété la pendule au-dessus de son lit qui se rapprochait dangereusement de 17 heures.

Plus que cinq minutes…

Depuis deux jours, c’était à cette heure-ci que ses bourreaux venaient frapper.

Violemment.

Implacablement.

Ils étaient au nombre de trois.

À chaque fois le même rituel précis : deux personnes cagoulées déverrouillaient la porte de la minuscule pièce dans laquelle elle était enfermée.

À chaque fois la même terreur sur le visage de la jeune femme en voyant ses geôliers arriver.

Elle connaissait maintenant la sentence : c’était la même à chaque fois. Et il n’y avait pas de raisons que cela ne change.

Sauf s’ils voulaient en finir.

Définitivement.

C’était peut-être ce qui pouvait arriver de mieux, songea Mathilde désespérée, la chair de poule sur la peau. Il n’y avait pas de fenêtre dans la pièce, l’air était confiné. Seule une faible ampoule allumée en continue au plafond permettait à Mathilde d’y voir clair.

Deux minutes…

Que faire ?

Mathilde tenta de se lever du lit en bois sur lequel elle était allongée.

Elle dut faire un effort surhumain : son dos, lacéré de coup de fouet et ensanglanté la faisait atrocement souffrir.

Le même rituel repensa-t-elle : les deux hommes, avec une force surhumaine se jetaient sur elle comme sur une proie à qui on ne laisse aucune chance de s’en sortir. Ensuite, ils la déshabillaient, sauvagement, en arrachant littéralement le maigre tissu qui lui restait sur la peau.

Mathilde, les yeux embuées, leva la tête et regarda la barre en fer suspendue en travers de la pièce.

Son instrument de torture.

Ils allaient de nouveau lui attacher les poignets à la barre.

Puis lui ligoter les pieds avec une corde.

Ensuite la bâillonner, histoire que ses hurlements de douleurs ne soient que pour elle.

Enfin le plus important : lui bander les yeux.

Elle était fin prête pour la séance humiliation.

C’est là que le troisième et mystérieux individu entrait en scène.

À pas feutrés.

Cyniquement, l’imaginait-elle.

C’était lui le commanditaire de cette odieuse machination.

Mathilde en était certaine.

Sinon, pourquoi ferait-il en sorte de ne jamais être vu ?

C’était quelqu’un qu’elle connaissait. Elle en avait l’intime conviction. Quelqu’un qui la détestait assez au point de lui faire subir pareil martyr.

Mais qui bon sang ?

Elle avait beau chercher, elle ne se voyait pas d’ennemis. Un collègue de boulot jaloux ? Mathilde balaya cet argument d’un revers de main. Un ancien amant déçu d’avoir été éconduit ?

Ridicule.

Nicolas et Étienne ? Après tout, elle était avec eux quand elle avait reçu ce violent coup sur la tête. Et ce n’était pas dans leur intérêt. Un ancien petit ami avec lequel elle s’était très mal comportée au moment de rompre dans sa jeunesse ?

Mathilde ironisa en secouant la tête : si tout le monde se faisait justice à chaque rupture, il n’y aurait plus personne déjà sur terre.

Trente secondes…

Le cœur de Mathilde s’accéléra à cette pensée folle : et si son mari avait tout découvert de sa trahison ? Elle tenta de se raisonner : Christopher ne ferait pas de mal à une mouche. Il serait bien incapable de mettre en scène pareille tragédie.

Non, il fallait qu’elle découvre le visage de l’homme de l’ombre. Car c’était lui qui mettait les coups. Sans aucune retenue. C’est lui qui, sans un bruit, s’approchait avec sa cravache derrière elle.

Sans un mot.

Sa voix le trahirait certainement.

Il se passait bien une minute avant qu’il n’agisse. Sans doute contemplait-il sa nudité. Puis les coups se déchainaient sur son pauvre dos atrocement mutilé.

Mathilde les avait comptés : dix coups de cravache. Pas un de plus, pas un de moins. Puis sans prévenir, il repartait.

Une fois le bourreau hors de la pièce, les deux hommes détachaient enfin Mathilde de sa potence, puis la laissait là, gisant sur le sol, et recroquevillée sur elle-même. Elle avait à chaque fois pleuré pendant des heures.

En grand seigneur, on lui rapporterait plus tard une nouvelle chemise de nuit pour remplacer celle qui avait été déchirée lors du rituel.

17 heures…

Mathilde attendait son destin.

Elle serait digne cette fois et se jura de ne pas pleurer. Elle ne devait pas montrer sa peur.

Pour une bonne raison aussi : si l’homme cravachait encore une fois son dos, elle en mourrait, c’était une certitude.

Mathilde n’avait plus de force et avait perdu plusieurs kilos : c’est simple, ses ravisseurs ne la nourrissaient pas. Elle n’avait rien mangé depuis mercredi.

Quatre jours…

Ils voulaient l’affamer sans aucun doute, afin qu’elle n’ait pas l’énergie de tenter quoi que ce soit de stupide. En revanche, pour ce qui était de l’eau, elle était servie : une trentaine de packs d’eau de la marque Quézac trônaient au fond de la pièce.

Ils voulaient la maintenir en vie.

Le verrou de la serrure bougea.

Cela fit sursauter Mathilde, qui était morte de trouille. Instinctivement, elle se recula au fond de son lit. À la vue des deux hommes baraqués, elle hurla en crachant tous ses poumons.

Elle se débattit comme à l’accoutumée.

Peine perdue.

En moins de deux minutes, Mathilde était solidement attachée nue, dans la même position que les jours précédents. Elle n’avait même plus la force de crier. Elle sanglotait en attendant la sentence.

La mort.

Elle constata que pour une obscure raison, ils ne l’avaient pas bâillonnée cette fois. Juste un bandeau devant ses yeux.

Elle tressaillit en entendant les bruits de pas souple de l’inconnu qui arrivait, comme à l’accoutumée, après la bataille. Mathilde sentit la cravache qui frôlait son dos meurtri.

— Qui êtes-vous et que me voulez-vous ? hurla-telle malgré sa position précaire.

Elle n’avait pas l’intention de mourir sans savoir.

Mais sa complainte fut vaine, l’homme demeurant silencieux derrière elle.

Mathilde entendit cependant les deux hommes qui lui faisaient face glousser dans leur barbe.

Clac.

En guise de réponse, Mathilde eut le droit à une vilaine claque sur les fesses. La jeune femme fut surprise, c’était la première fois que l’inconnu la touchait de ses mains.

— Petite effrontée ! dit-il sidéré, mais d’une voix pourtant à peine audible.

Il avait clairement fait en sorte qu’elle ne porte pas.

Mathilde ferma les yeux au moment où elle sentit son agresseur reculer. Il se préparait à la fouetter, une nouvelle fois. Plus vite qu’elle ne l’aurait pensé, les coups se mirent à pleuvoir.

Tout en criant de douleurs, Mathilde serrait les dents et comptait les coups : 20 coups secs.

C’était dix de plus.

Mais c’étaient les fesses qui avaient pris cette fois-ci.

À son grand soulagement.

4

Mende

Christopher Duriel ne décolérait pas : le poste de police de Marvejols était fermé le week-end !

La mort dans l’âme, il avait dû se résoudre à faire les vingt-neuf kilomètres par la D808 pour rejoindre Mende, chef-lieu du département de la Lozère. En y réfléchissant, il se disait que ce n’était pas plus mal au final : le commissariat de Mende serait certainement plus habilité pour enquêter sur une disparition inquiétante.

Et puis Mende, c’était le lieu où Mathilde exerçait son métier de professeur d’allemand.

C’était le lieu où elle était sensée retrouver toutes ses copines lors de ses sorties nocturnes…

Enfin, la plupart de ses connaissances habitaient Mende et ses alentours.

Elle avait peut-être disparu ici ?

Chris remonta le boulevard, puis se gara sur la première place à sa droite qu’il trouva disponible, devant Marionnaud.

D’habitude, il stationnait toujours sur l’immense parking du Foirail, mais, en ce mois d’août, les forains de Mende s’accaparaient les lieux pendant deux semaines avec leurs maudits manèges…

Duriel détestait la foule. Et on ne peut pas dire qu’il était très sociable.

Tout le contraire de sa femme !

Il sortit de sa Golf après avoir mis le frein à main, puis s’occupa de détacher le bambin de son siège auto à l’arrière.

Christopher avait pris Gaizka avec lui en toute connaissance de cause : d’une part, il n’avait personne à qui le donner à garder, d’autre part, il s’était dit que les flics seraient moins enclins à mettre un père en garde à vue avec son gamin sous les bras.

Avec son fils de trois ans dans les bras, il descendit le boulevard boisé vers le premier passage piéton, puis traversa la route pour se retrouver sur la place Urbain V, du nom du célèbre pape lozérien qui faisait toujours la fierté de la ville.

Il passa sans s’arrêter devant la cathédrale Notre-Dame-et-Saint-Privat, devant laquelle se trouvait une immense statue représentant le pape Urbain.

Gaizka, lui, du haut de son perchoir, admirait la vue sur la cathédrale, le pouce gauche dans la bouche, l’autre tenant son doudou Superman.

La cathédrale, de style gothique, est une des plus majestueuses du Sud de la France avec ses deux immenses clochers encadrant le porche. La couleur beige clair de l’ouvrage faisant immédiatement penser au soleil. D’ailleurs, Gaizka fronçait les sourcils, aveuglé par tant de luminosité.

Le petit bonhomme restait silencieux, mais une question commençait de nouveau à lui tarauder la tête…

Duriel n’en avait cure, et continuait sa traversée. Après avoir contourné le monument, il tourna à sa gauche dans la rue commerçante. Il y avait foule, et à de nombreuses reprises, il dut s’excuser pour ses multiples passages en force. Il passa devant l’Irish Pub et déboucha sur la Place René Estoup, où les touristes pullulaient à la terrasse des cafés. Des enfants se rafraîchissaient à la fontaine.

Il faut dire que le mercure atteignait les 35 degrés. On suffoquait littéralement dans les rues de Mende en été, et le ciel bleu azur au-dessus de la tête de Chris n’était pas pour le rassurer. Il détestait la chaleur : dès que l’on dépassait les 20 degrés, il fondait à vue d’œil.

Traversé à l’intérieur de sa chemise, il devait composer en plus avec la lourdeur de Gaizka dans ses bras, lequel refusait obstinément de marcher. Alors que la mauvaise humeur pointait au bout de son nez, son fils choisit de poser la question fatidique à laquelle il s’attendait de nouveau depuis ce midi :

— Papa… Elle est où maman ?

La question fatidique à laquelle il n’avait aucune réponse.

Chris posa son fils par terre à un rare endroit où il y avait un peu d’ombre. Il se mit à sa hauteur, et posa ses grosses mains sur ses épaules.

— Ecoute mon grand… tenta-t-il d’argumenter.

— On va la chercher ? coupa le bout de choux.

Duriel soupira. Il ne voulait pas faire de peine à son fils.

— Oui c’est cela, on va la chercher. Mais il faut me promettre de marcher, compris ?

— Ouais ! cria l’enfant. On va voir maman !

— Hé, Gaizka viens ici, lui dit son père, alors que le petit, surexcité, était parti en courant.

L’enfant s’arrêta net, conscient de sa bêtise.

— Ce n’est pas que piétonnier ici. Les voitures passent aussi bon sang ! le gronda-t-il en le prenant par la main. Si tu n’es pas sage, maman ne rentrera pas tu sais…

— Oh non, je veux ma maman, protesta-il en commençant à pleurnicher.

— Elle va revenir. Mais il faut que tu sois sage Gaizka, tu m’entends ?

— Promis, fit-il, alors que sa casquette Cars lui tombait sur les yeux.

La suite du trajet se déroula sans incident. Main dans la main, le père et le fils traversèrent la rue de la République, puis obliquèrent sur le Boulevard Raspail. Ils passèrent devant la permanence du député de la Lozère, puis quelques mètres plus loin, Christopher aperçut enfin le commissariat de police de Mende.

Enfin, pensa-t-il avec une pointe d’appréhension.

C’était la première fois qu’il mettait les pieds dans un commissariat de police.

Et certainement pas la dernière, lui dit une petite voix.

Duriel retira sa casquette, remis ses cheveux à peu près en place, puis prit son fils dans les bras : il était paré pour faire son entrée.

*

Où était-t-elle ?

Après avoir bu une gorgée d’eau, Mathilde arpenta la pièce de 10 mètres carrés de long en large, les bras dans le dos. Elle se rendit compte que, paradoxalement, elle ne s’était encore jamais posé la question depuis mercredi.

Survivre à cet enfer avait accaparé toutes ses pensées.

Et si elle ne comprenait toujours rien à rien sur les motifs de sa captivité, une lueur d’espoir traversa ses yeux fatigués : on n’avait pas l’intention de la tuer.

Du moins, pour le moment.

Sinon, ses bourreaux se seraient une nouvelle fois acharnés sur son dos afin de l’achever.

Ou pire, lui auraient déjà logé une balle dans le crâne…

Mais elle était encore vivante. Trois jours après son enlèvement. Certes dans un sale état. Mais elle n’avait pas été violée. L’honneur était sauf.

C’est pourtant ce qu’elle avait craint le plus le premier jour, lorsque ses deux bourreaux étaient entrés avec des liens dans la pièce. Torturée, lacérée de coups… Mais toujours debout. Pour l’instant, elle se contenterait de cette maigre victoire.

Mathilde entendit le bruit sourd d’un tracteur au loin. C’était la première fois qu’un son extérieur à la clé dans la porte se manifestait. Preuve qu’elle n’était pas si éloignée de la civilisation. Peut-être dans un trou paumé, mais pas au fin fond d’un ravin, ni au beau milieu d’une forêt.

Soudain, la culpabilité gagna la jeune femme. Elle repensait à son petit Gaizka. Et à son pauvre mari, Christopher. Foutre tout en l’air pour une histoire de cul… Qu’elle avait été conne !

Elle avait été trop loin cette fois.

Mathilde le savait.

Pourtant, elle les aimait. À sa façon, certes particulière, mais elle les aimait.

Tous les deux.

Sa petite famille.

Que pouvait bien faire Christopher en ce-moment ? Il devait être mort d’inquiétude depuis jeudi matin.

Il avait l’habitude de ses écarts de conduite. Mais elle rentrait toujours le lendemain matin quand elle découchait.

Toujours.

Sans exception.

Il avait dû prévenir la police, et on était probablement à sa recherche. C’était son seul et unique motif d’espoir.

Mathilde était sûre que Chris remuerait ciel et terre pour la retrouver. Alors qu’elle ne le méritait clairement pas.

Absolument pas.

Mais c’était aussi pour cette raison qu’elle avait aimé Christopher dès le premier jour et qu’elle avait décidé de fonder une famille avec lui : la jeune femme savait que, quoi qu’il arrive, quoi qu’elle ait pu faire, il ne la laisserait jamais tomber.

Mathilde fut tirée de ses pensées par l’effroyable bruit de la clé dans la serrure de la porte. Celle-ci s’entrouvrit, et un des bourreaux se tenait sur le pallier, toujours encagoulé. Il fixait Mathilde avec envie, des vêtements propres à la main. Mécaniquement, la jeune femme tenta de masquer sa nudité en couvrant ses seins d’une main, son vagin de l’autre. Elle savait que c’était stupide dans sa situation, mais c’était une réaction humaine de sa part.

La bave aux lèvres, l’homme lui lança les vêtements, puis dit menaçant :

— Allez, habille-toi ! Et en vitesse. On bouge d’ici !

*

Christopher maugréait dans sa barbe, assis depuis environ une heure dans la salle d’attente du commissariat. Il fixait avec un mépris condescendant la jeune policière de l’accueil qui l’avait invité à attendre que quelqu’un daigne prendre son dépôt de plainte.

Incroyable, pesta-t-il à haute voix.

Il pouvait, il n’y avait pas un chat dans les environs.

Son attente était d’autant plus incompréhensible. À l’évidence, on ne l’avait pas pris au sérieux. Mais pouvait-il en vouloir à cette jeune femme ? Il ne se passe jamais rien en Lozère, alors forcément, quand un homme trempé jusqu’aux os, armé d’un gamin en bas âge dans les bras, se présente pour signaler une disparition inquiétante, on le regarde avec de grands yeux ahuris.

Chris avait croisé les bras, et fixait Gaizka qui jouait sur le sol avec sa chaussure, afin de calmer ses nerfs. Le petit garçon, à l’évidence, maîtrisait mieux ses émotions que son père.

— M. Duriel ? fit une voix masculine.

— Oui, c’est moi, répondit mécaniquement Chris en levant les yeux vers son interlocuteur, qu’il n’avait pas entendu arriver.

— Commissaire Romain Barrère, dit ce dernier en lui serrant une poignée de main chaleureuse.

— Enchanté.

— Vous venez pour nous signaler une disparition que vous jugez inquiétante m’a-t-on dit ? Venez, nous allons aller dans mon bureau, nous serons bien mieux pour parler.

— Volontiers. Est-ce que quelqu’un pourrait garder mon fils Gaizka pendant notre entrevue. Je n’ai pas trop envie qu’il entende cette conversation, ce que vous comprendrez aisément…

Le commissaire regarda sa montre.

— 19h30… Tant pis, Laurine fera quelques heures sup… Elle adore jouer à la baby-sitter, dit-il en glapissant. N’est-ce pas Laurine ?

— J’adore ça, fit la policière de l’accueil avec une pointe d’ironie sur son visage parsemé de tâches de rousseurs.

Duriel se pencha et prit Gaizka dans ses bras, lequel, occupé à faire des bruitages de camion avec sa bouche, n’avait pas écouté la conversation.

— Ecoute petit bonhomme, papa en a pour quelques minutes seulement, OK ? Tu vas rester sagement avec la charmante jeune femme ici, compris ?

Gaizka, qui avait décidé de faire son timide, acquiesça du bout du menton.

— Allez, venez M. Duriel, fit Barrère, qui voulait manifestement faire accélérer les choses.

Après avoir regardé son fils s’éloigner sans broncher main dans la main avec la policière, Christopher embraya le pas derrière le commissaire.

L’homme lui avait fait bonne impression au premier regard. L’œil vif, cheveux bruns courts impeccablement coiffés, rasé de près, Barrère ne semblait pas dépasser la quarantaine. Son complet-veston gris clair était également impeccable.

Barrère était l’élégance même.

Restez à espérer qu’il soit aussi efficace en tant que policier…

Après avoir arpenté une longue allée étroite, les deux hommes tournèrent sur leur gauche. Tout de suite après, se trouvait le bureau du commissaire. La pièce détonnait : les murs étaient composés de grosses pierres blanches, ce qui était pour le moins original.

On se croirait aux Voutes1, pensa Duriel en prenant place sur la chaise faisant face au bureau de Barrère.

Le commissaire tapa quelques lignes sur son ordinateur, puis joigna ses mains à son menton :

— Je vous écoute M. Duriel. Expliquez-moi tout dans le détail sur cette histoire de disparition. Je vous avoue que je suis très intrigué, déclara-t-il sur un ton solennel.

Voyant que le père de famille marqua un temps d’arrêt, Romain Barrère en profita pour détailler son interlocuteur. Cheveux bruns en bataille, iris bleu clair, sa longue barbe mal taillée de deux mois laissait à penser que Duriel ne prenait pas grand soin de lui ces derniers temps.

— Voilà commissaire… commença-t-il enfin. Si… Si j’ai demandé à vous voir… C’est parce que ma femme est portée disparue… Je… Je n’ai pas eu de nouvelles d’elle depuis… depuis mercredi fin d’après-midi.

Duriel se sentait pitoyable dans son intonation et dans ses hésitations. À coup sûr, Barrère le trouvait déjà suspect.

Mais si c’était le cas, le commissaire ne laissa rien paraître.

— Il s’est passé quelque chose de particulier mercredi ? demanda-t-il sincère et compréhensif.

— Non… Enfin si… On s’est à moitié disputé…

— À moitié… ou une vraie engueulade sévère ? Les mots ont de l’importance M. Duriel.

L’interrogatoire avait à peine commencé que Chris se sentait au plus mal, engoncé dans sa chemise. Il transpirait du front naturellement. Ce qui n’était pas pour arranger ses affaires, il en avait bien conscience.

— Disons qu’il y a eu quelques éclats de voix, ce qui nous arrive de temps en temps. Mais comme dans tous les couples je présume, commissaire ? Cela fait partie de la routine.

— De la routine ? demanda le commissaire.

Christopher Duriel avait repris du poil de la bête. Les premières minutes passées, il avait réussi à canaliser ses émotions. Il transpirait moins et ne bégayait plus.

Barrère nota cette prise de confiance en soi.

— Il ne vous est jamais arrivé de vous engueuler avec votre petite amie commissaire ? répondit Duriel par une autre question.

— Si, bien sûr.

Barrère n’avait pas envie de rentrer dans les détails.

— Bon M. Duriel… Je vais avoir besoin de plus d’informations sur votre femme, dit-il en tapotant sans arrêt sur son clavier. Tout d’abord, avez-vous une photo d’elle sur vous ?

Sans répondre, Duriel prit son portefeuille, et en sorti une photo de Mathilde posant tout sourire dans leur jardin avec Gaizka dans ses bras.

Barrère prit la photo de sa main et inspecta le cliché. Il se retint de siffler mais c’était tout comme. Il comprenait l’inquiétude légitime de son mari. Pareille beauté devait avoir son lot de prétendants. Duriel devait à coup sûr faire des jaloux.

La jeune femme semblait être très coquette et prenait grand soin d’elle. Tout le contraire de son mari, pensa le flic en posant finalement la photo devant lui.

Cette femme respirait la joie de vivre en tout cas.

Barrère se massa les paupières, puis plongea de nouveau son regard dans celui de Duriel :

— Votre femme aurait-elle des ennemis ?

— Pas que je sache. Pourquoi voudriez-vous que Mathilde ait des ennemis ? C’est la bonté même.

— Des ennuis ?

— Non.

— Bon écoutez M. Duriel, si vous ne me dites rien, je ne peux pas avancer ! dit le policier en élevant enfin la voix. N’ayez crainte, tout ce que vous direz restera entre ces quatre murs. C’est entre vous et moi. Cela ne sortira jamais des bureaux de la police, vous avez ma parole.

Chris réfléchit longuement.

Il avait envie de faire confiance à ce policier. Pour autant, il n’allait pas déballer toute leur vie privée à un inconnu. Il décida de faire la part des choses.

En dire… sans trop en dire.

— Ecoutez commissaire… Ma femme est une fêtarde.

— Ah, enfin un point qui m’intéresse, lui répondit-il en écrivant le mot « fêtarde » sur son ordi. Continuez.

— Elle sort souvent avec ses amies, ses collègues de travail le soir à Mende. Cela lui arrive fréquemment de découcher. Mais elle rentre toujours au petit matin d’habitude. Sans exception.

Barrère cessa d’écrire.

— M. Duriel, une question me turlupine depuis le départ : pourquoi avoir attendu samedi soir pour signaler la disparition de votre femme si celle-ci rentre toujours sans exception le lendemain matin de fête ? Trois jours se sont écoulés depuis mercredi soir.

Christopher attendait cette question. Il était même surpris qu’elle ne soit pas venue sur le tapis plus tôt.

— Je ne sais pas. Je… J’espérais bêtement qu’elle finirait par réapparaître.

Le policier nota le nouveau bégaiement de Duriel. Cet homme n’était pas à l’aise avec sa conscience, c’était certain. Il cachait des choses. Pour autant, est-ce que cela faisait de lui un coupable dans la disparition de sa magnifique épouse ?

Un coupable idéal oui c’est certain….

Le commissaire soupira en faisant tourner son crayon.

— Il y a plus de 48 heures qu’elle a disparu. C’est assez pour lancer son signalement pour disparition inquiétante. Comment était habillée votre femme mercredi la dernière fois que vous l’avez vue ?

Duriel se gratta la tête, essayant de se souvenir.

— Elle portait un jean bleu, un haut rayé blanc et noir, et des talons noirs aux pieds, dit-il affirmatif.

— Bien, c’est noté. Quelle est la profession de votre femme ?

— Elle est professeure d’allemand au lycée Chaptal de Mende. Elle s’occupe des premières et des terminales.

— Très bien. On ira interroger le proviseur et ses collègues dès lundi matin. Et vous M. Duriel, quelle est votre profession ?

— Je suis menuisier-charpentier. Je… Je travaille à mon compte avec ma camionnette chez des particuliers.

— Les affaires sont florissantes ?

— Je n’ai pas à me plaindre en été. Le plus difficile, c’est en hiver. Les clients se raréfient dans le secteur.

— Je vois.

Le commissaire Barrère en avait terminé pour ce soir. Il prit le numéro de portable de Christopher Duriel ainsi que celui de son épouse.

— On va essayer de localiser son téléphone portable. Elle n’a pas pu aller bien loin, croyez-moi.

— Son téléphone est éteint. J’ai… J’ai essayé au moins 300 fois de l’appeler… répondit Chris la mine déconfite.

Le policier raccompagna M. Duriel vers la sortie, une tape amicale dans le dos comme pour lui dire que tout finirait bien. Il lui serra la main, puis déclara sur le ton de la mise en garde :

— Dernière chose importante M. Duriel : vous restez à la disposition de la police. Pas de petites vacances improvisées avec Gaizka. Rien de tout cela. Vous ne sortez pas de Lozère. Compris ?

— Je suis suspect alors ?

Barrère leva les yeux au ciel :

— Pour l’instant, non. Mais vous connaissez l’adage : quand une femme disparait, cherchez du côté de son mari. Ce n’est pas moi qui vais vous l’apprendre.

Chris baissa la tête, dépité.

Il allait sortir quand le téléphone fixe du commissaire sonna derrière lui. Il aurait dû partir. Mais son esprit le retenait ici.

Barrère sauta littéralement vers son bureau : un coup de fil à cette heure-ci, ce n’était pas normal.

— Allo ? fit-il.

M. Duriel vit le visage du commissaire se décomposer au fur et à mesure que la conversation s’éternisait. À priori, il n’en croyait pas ses oreilles.

Barrère fixait Chris avec dureté, lequel savait très bien qu’il n’avait rien à faire ici.

— Très bien commandant, je rassemble tous mes hommes du mieux possible et on file à Badaroux.

Romain Barrère retomba en arrière sur son siège une fois la conversation finie.

Il semblait fatigué d’avance.

Puis fixa de nouveau Christopher avec dureté.

— Vous êtes encore là vous ? En tout cas, vous portez la poisse depuis que vous avez mis les pieds dans ce commissariat. C’est le moins qu’on puisse dire. On n’est pas habitué a autant de remue-ménage par ici. La Lozère, il ne s’y passe jamais rien en temps normal ! Pourquoi croyez-vous que je me sois fait muter avec bénédiction à Mende ?

— Qui y a-t-il commissaire pour l’amour du ciel ? C’est en rapport avec ma femme ? Parlez bon sang ! aboya Duriel en s’avançant fébrile vers le bureau.

— Je n’en sais rien pour l’instant… souffla-t-il. Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’après sa disparition, nous voici désormais avec un double-homicide sur les bras !

1 Un des restaurants les plus réputés de Mende qui se caractérise par une architecture toute en pierre blanche.

5

21h, Badaroux

Tant bien que mal, le commissaire Romain Barrère avait réussi à rameuter le gros de ses troupes. Les hommes râlaient tous, sans exception, furieux de voir leur samedi soir, si précieux moment à passer avec femme et enfant, partir en lambeaux.

Une dizaine d’hommes arpentaient l’appartement n°6, rue de l’Egalité, à proximité de la N88. De l’extérieur, la bâtisse donnait une impression de modernité qui contrastait singulièrement avec le bâti ancien fait de vieilles pierres du village. Barrère ne donnait pas cinq ans à la construction dont la peinture, d’une blancheur criarde, ne tarderait pas à s’écailler avec le temps.

Le commissaire rejoignit sans tarder le pied de l’immeuble où l’attendait d’un œil noir son adjoint, Philippe Pella, la cinquantaine bien tassée. Les mains dans les poches, Pella n’y alla pas par quatre chemins.

— Sérieusement Rom, c’est quoi ce foutoir ! ? En trente ans de carrière ici, c’est la première fois qu’on m’appelle un samedi soir pour un double-homicide !

— Et moi donc. Merci pour ta spontanéité en tout cas. On va en avoir pour la nuit… J’en ai bien peur.

— Tu parles, de Saint-Martin2, je suis le plus près. Je n’ai pas grand mérite. Juliette est furieuse en tout cas.

— Je ramènerai une bouteille à ta femme pour le dérangement.

— Trop aimable de ta part…

Les deux hommes étaient maintenant dans l’ascenseur, direction l’étage numéro 5.

— Que sait-on sur ces deux malheureux ?

— Tu veux la version courte ou longue ?

— Plutôt courte pour l’instant.

— OK. C’est le propriétaire de l’immeuble qui a donné l’alerte. Une de nos victimes s’appelle Nicolas Gaillard. Professeur d’histoire au lycée Chaptal de Mende, il était locataire depuis deux ans. Apparemment un homme courtois et sans histoire d’après ses voisins.

Professeur d’histoire au lycée Chaptal. Le même lycée que Mathilde Duriel, pensa avec un sinistre pressentiment le commissaire.

— Ensuite ?

— Pas grand-chose. Le deuxième cadavre nous est inconnu.

— Comment c’est possible ? s’insurgea Barrère.

— L’homme, la trentaine je dirais, n’a aucun papier sur lui. Et personne ne l’avait jamais croisé auparavant dans les parages.

— Etrange.

— Tu verras par toi-même. Je te préviens d’avance, ce n’est vraiment pas beau à voir.

— Je me doute.

La porte de l’ascenseur s’était ouverte sur un long et étroit couloir à la lumière aveuglante. Le commissaire fronça les sourcils et chaussa ses lunettes de soleil. Il laissa Pella passer devant, lequel ouvrit le chemin. Barrère n’y voyait rien : les larges épaules et la carrure de rugbymen de son adjoint lui obstruaient toute la vue. Il se contenta de suivre à l’aveuglette.

Philippe Pella stoppa sa marche devant la dernière porte du couloir, sur sa droite. Celle-ci était entrebâillée. Il l’ouvrit d’un grand coup de pied brutal. La porte alla taper bruyamment contre le mur de la pièce. Comme entrée en matière, on ne pouvait rêver mieux…

Le médecin-légiste et les hommes de la Scientifique posèrent un regard dédaigneux sur le nouvel entrant qui perturbait la sérénité des lieux, puis vaquèrent de nouveau à leurs occupations.

Le commissaire Barrère finit par émerger de derrière. Il scruta en silence l’unique pièce qui semblait composer cet appartement. À sa gauche, une cuisine ouverte sur le salon. Puis tout en face, le lit ou reposait deux cadavres dénudés, chacun la tête sur son oreiller.

Mon Dieu.

La barbarie à l’état pur.

Une odeur nauséabonde de javel parfumait la pièce. Barrère en eut un haut le cœur. Il avança ensuite les mains dans le dos à proximité du lit, et observa de plus près les deux cadavres.

Pas de jaloux : chacun une balle au milieu du front.

La mise en scène était parfaite. Les deux hommes gisaient l’un à côté de l’autre, les bras en croix. Ce n’était pas un hasard. On les avait positionnés comme cela.

Mais qui ? Et pourquoi ?

Vengeance, vendetta, crime à caractère homophobe ?

Le commissaire allait devoir se démener… Et il n’avait pas l’habitude dans cette contrée. D’habitude, on faisait appel à ses services pour des faits d’ivresse sur la voie publique, des disputes conjugales, une femme mariée disparue dont on apprenait finalement qu’elle était chez son amant dans une autre région. La routine quoi.

Rien de bien méchant.

Mais là… C’était une autre paire de manche.

Il y avait meurtre. Deux meurtres. Et avec préméditation.

Une ou plusieurs personnes dangereuses se baladaient impunément dans la nature. Il allait devoir les coffrer rapidement avec toute son équipe afin d’éviter la psychose chez les habitants du coin.

Barrère soupira, puis s’accroupit à la hauteur du légiste, Virginie Moulin.

Sourire amical entre les deux.

— Je ne t’avais pas vu entrer, dit-elle en mastiquant son crayon.

— Eclaire-moi s’il te plait.

La légiste regarda ses notes.

— Je pencherai clairement pour le crime homophobe, sous réserve que l’analyse des corps ne nous révèlent pas autre chose de plus scabreux.

— Qu’est-ce qui te fais penser cela ?

Virginie toisa le commissaire, consternée.

— Je ne sais pas ce qu’il te faut de plus. Je ne vais pas te faire un dessin, mais je pense que ces deux jeunes gens ont été surpris en plein ébat amoureux. C’est quasi-certain. De plus, on a relevé des traces de sperme importantes sur le sexe de chacun. Donc…

Le commissaire était pensif.

Un illuminé qui décide d’éliminer gratuitement deux personnes de la communauté homosexuelle ? Pourquoi pas… Cela se tenait.

Il ne pouvait cependant retirer de son esprit la fonction professorale de Nicolas Gaillard.

— Est-il possible qu’une autre personne ait été là avec eux ? Hormis l’assassin je veux dire.

Moulin le regarda avec des yeux ronds.

— Très peu probable. Même si la piste n’est pas à écarter complètement. En fait, nous avons deux soucis sur cette scène de crime : premièrement, on ne sait rien du jeune homme à côté de Gaillard. Toutes ses affaires personnelles ont été emportées. Ce n’est sûrement pas un hasard. On voudrait compliquer notre travail d’identification qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Deuxièmement, tout l’appartement a été passé à la javel. Sauf les corps.

— Le ou les auteurs du crime ne voulaient pas laisser la moindre trace ADN.

— Bingo commissaire, fit la légiste en se relevant.

Barrère fit de même.

— Merci Virginie, dit-il en s’éloignant en direction de Pella.

Ce dernier était fourré à quatre pattes sous le banc en bois qui servait de chaise à table. Le commissaire l’observa perplexe : pas sûr que dans vingt ans il aurait le courage d’aller se mettre en quatre, au mépris de ses articulations grinçantes.

Son adjoint finit par réapparaître, la mine contrariée.

— Alors ? fit Barrère.

— Rien. J’ai fouillé avec les hommes tout l’appart de fond en comble. Mais aucun indice probant. Les mecs qui ont fait cela sont des pros. Ils n’ont rien laissé au hasard.

— Ou peut-être le mec ?

— À mon avis, ils étaient plusieurs.

— Qu’est-ce qui te fait dire cela ?

— Une intuition seulement. C’est le plombier qui devait intervenir sur le chauffe-eau de Gaillard samedi après-midi qui a donné l’alerte. Quand il est arrivé devant la porte, il a sonné mais personne n’a répondu. Et, tiens-toi bien, quand il a voulu ouvrir avec les clés du proprio, la porte n’était pas fermée à clé !

Le commissaire écarquilla les yeux et se précipita vers la porte d’entrée.

Celle-ci n’avait jamais été forcée…

— Tu es en train de me dire que nos deux jeunes gens s’envoyaient en l’air porte non verrouillée ?

— On dirait bien, répondit son adjoint.

— Cela n’a pas de sens… ou alors ils étaient très joueurs.

— Je ne te le fais pas dire.

Romain Barrère se mit une main sous le menton. Quelque chose clochait, c’était évident. Il se dirigea au petit trot de nouveau vers la légiste, laquelle était à plat ventre sous le lit. On ne voyait que ses jambes dépasser…

— J’ai encore une question Virginie. À quand remonte la mort des deux victimes ?

Moulin ressortit de son trou, n’ayant rien découvert. Elle se releva en s’époussetant, puis planta ses yeux bleus émeraudes dans ceux du commissaire.

— Je suis surprise que tu ne m’aies pas posée la question avant.

— Plus l’habitude des enquêtes criminelles dans le trou du cul de la France… Que veux-tu, on se ramollit à force.

La légiste rafistola ses lunettes de vues, passa une main dans ses cheveux histoire de ménager le suspense, puis déclara :

— La mort remonte à mercredi soir.

— Mercredi soir ! explosa Barrère. Tu en es sûre et certaine ?

— Sûre et certaine, répondit-elle sans comprendre ce brusque excès d’excitation.

Le commissaire se retourna et fit les cent pas sous les yeux éberlués de l’assistance. C’était mercredi soir que précisément Mathilde Duriel n’avait plus donné signe de vie à son mari. Il y avait un lien. À coup sûr. Tenu, certes, mais il existait.

Il manquait un élément pour faire avancer cette enquête.

Barrère fut exaucé quelques minutes plus tard. Alors qu’il mettait au parfum Philippe Pella sur la disparition supposée de Mathilde Duriel, Virginie Moulin accourut dans sa direction.

— Commissaire, je pense tenir quelque chose. Tenez, il se trouvait sous le matelas, sur une des lattes. Il a dû glisser au moment des ébats.

Le commissaire arracha littéralement des mains de la légiste le pendentif.

Il crut avoir une crise cardiaque.

Il tenait entre ses mains un collier or, incrusté d’un hippocampe qui pendait au bout du fil. Un collier de la sorte, cela ne s’oublie pas…

Fébrilement, Barrère sortit la photo de Mathilde Duriel que son mari lui avait remis précédemment. Il la montra sans hésiter à son adjoint et à Virginie, lesquels regardèrent le cliché en chœur. Au cou de Mathilde, tout sourire avec son enfant dans les bras, on distinguait très nettement le même pendentif.

Ce n’était pas une coïncidence. Barrère le savait.

Les trois personnes se toisèrent, unanimes : Mathilde Duriel était bien présente au moment du drame.

2 Saint-Martin-du-Born, situé à 5 kilomètres au nord de Badaroux.

DEUXIÈME JOUR

6

3h, La Garde-Guérin

Mathilde était à peu près sûre d’une chose : ses ravisseurs avaient le goût du risque dans la peau. C’était peu de le dire. Sans aucune précaution, ils l’avaient exfiltrée de la cave où elle était enfermée depuis quatre jours.

La jeune femme avait certes les mains liées dans le dos et un bâillon lui entravait la bouche, mais ses yeux lui avaient permis de voir. Et c’était le plus important.

Mathilde, enfermée à l’intérieur d’un corps de ferme isolé longeant le lac de Villefort, espérait tellement fort qu’un promeneur égaré, qu’un kayakiste ou n’importe, ait vu quelque chose de la scène surréaliste qui s’était déroulée. Mais personne dans les parages. Du moins, c’est ce à quoi elle croyait dur comme fer.

Elle avait tourné la tête dans tous les sens, apeurée, une fois à la lumière du jour (ou du soir c’était selon le point de vue). La jeune femme avait vu le lac de Villefort quelques mètres en contrebas, elle savait enfin ou elle avait été séquestrée. Elle aurait tant voulu crier. Mais d’une part elle ne le pouvait pas, et d’autre part, aussi incroyable que cela puisse paraître, il n’y avait pas âme qui vive sur ce maudit lac !

En plein mois de septembre…

Mathilde était malchanceuse. Elle le savait. Mais pas dans de telles proportions. Il aurait seulement fallu un regard inconnu dans cette direction pour la voir. Un seul.

Mais rien.

Mathilde avait dû s’enfoncer en un rien de temps à l’arrière d’un 4 x 4. Puis de nouveau rideau. On lui banda les yeux. Comme si on voulait lui donner un maigre espoir. Avant de refermer la porte brutalement. Comme si on voulait lui donner quelques indices.

Une mort moins atroce… En quelque sorte.

Mathilde ne savait pas où on l’avait emmenée après. Seule certitude : la voiture avait pris de la hauteur. Beaucoup de hauteur. Mais elle et ses ravisseurs n’avaient pas fait beaucoup de kilomètres.

Encore une fois, Mathilde n’avait pas entendu le moindre bruit autour d’elle. Ce devait être encore un endroit reculé. Pour mieux la séquestrer, mieux l’humilier.

Sans aucun témoin.

La mère de famille broyait du noir. Elle était de nouveau enfermée dans une cave souterraine de dix mètres carrés. La copie conforme. Et toujours ces immenses murs de pierre.

Assise sur son matelas de circonstance, elle pensa subitement à sa meilleure amie Sonia.

Pourquoi ne l’avait-elle pas écoutée ?

Et où était-elle à présent ?

Elle n’en avait aucune idée.

J’aurais mieux fait de rester sagement à ses côtés, plutôt que de la laisser s’en aller. Rien de tout ceci ne serait arrivé.

Mais en était-elle sûre ?

Son enlèvement aurait très bien pu se produire ailleurs dans la rue. Question de circonstances, croyait-elle. Uniquement de circonstances.

Mathilde avait été suivie par ces trois hommes. C’était une certitude. Pas de hasard là-dedans. Ils attendaient juste le bon moment pour agir. Etienne et Nicolas n’avaient rien à voir avec cette tragédie. Ce ne pouvait pas en être autrement. Le problème restait cependant entier pour Mathilde : qui lui en voulait à ce point pour lui faire subir pareil cauchemar ?

À bout de force, la jeune femme ferma les yeux et arrêta de réfléchir.

Elle s’endormit sans entrave.

C’était ce qu’elle avait de mieux à faire.

*

8h, Marvejols

Christopher Duriel enfila fébrilement ses chaussures à Gaizka. Le bambin était paré pour sortir dehors avec sa grosse parka rouge, et son bonnet noir à l’effigie de Pluto le chien. Il faut dire qu’il faisait un froid de canard en cette fin septembre.

Le thermomètre à l’extérieur de la maison indiquait 1 degré.

Foutue Lozère et ses montagnes, s’entendit jurer Duriel. S’il était ici, c’était bien parce que sa femme ne jurait que par cet endroit où elle avait toute sa famille. La sienne, elle, était en Aveyron, du côté de Rodez. Le climat y était déjà un peu plus doux lorsque l’automne commençait à se faire sentir.

Chris ne savait pas sur quel pied danser. D’un côté, il reprochait à la Lozère sa fraîcheur automnale, sans parler de son hiver glacial. Mais de l’autre, il savait pertinemment que c’était l’endroit idéal à vivre pour un vieil ours comme lui, pas très penché sur les sociabilités et, qui plus est, adorait le calme et la tranquillité.

À la réflexion, il n’était pas si mal ici, songea-t-il, clope au bec, rafistolant tant bien que mal un des boutons de son manteau qui pendait dangereusement en direction du sol.

Duriel ne fumait plus depuis des lustres. Mais cela, c’était avant la disparition de son épouse. Depuis vendredi matin, il était redevenu le pompier de service qu’il était dans sa prime jeunesse. Enchainant cigarette sur cigarette, il n’était pas sûr que cela puisse le détendre. Bien au contraire, il avait l’impression que son stress décuplait en fumant.

Il faut dire qu’il avait toutes les raisons du monde d’être à cran.

Le commissaire Romain Barrère l’avait convoqué à la fraîche, un dimanche matin à 9 heures. Cela ne sentait clairement pas bon. Il n’avait rien voulu lui dire au téléphone. Simplement de passer. Mais pour lui annoncer quoi ? Qu’ils avaient retrouvé Mathilde morte et violée au fin fond d’un lac ? Après tout, les lacs, ce n’était vraiment pas ce qu’il manquait par ici.

Il osa espérer que si cela avait été le cas, la police se serait au minimum déplacé chez lui, à Marvejols, pour lui annoncer la funeste nouvelle.

Ce n’était donc pas cela.

À tous les coups, ils avaient l’intention de l’inculper et de le placer en cellule. Faute de suspects, on s’en prend au mari, logique. Duriel secoua la tête en ouvrant la porte de la maison. Si vraiment c’était le cas, Barrère et ses hommes seraient déjà là, en train de faire le pied de grue.

Chris fut interrompu dans ses sombres pensées par Gaizka :

— Regarde papa, il neige.

En effet, il n’avait pas tort, des flocons commençaient à s’abattre sur le sol, aussi hallucinant que cela puisse paraître. Duriel prit son fils dans ses bras. Lequel en profita pour lui rappeler une sinistre vérité :

— Papa, elle est où maman ?

Pendant un court instant, le père eut une furieuse envie de faire l’autruche et de se planter la tête dans le sol pour se cacher. Il n’esquiva cependant pas la question :

— Elle ne va pas tarder à rentrer fiston, ne t’inquiète pas, lui répondit-il d’un bisou affectif sur la joue.

— Elle sera là pour Noël ? demanda candidement le gamin.

Cette question ébranla légèrement Duriel. On était le 25 septembre et Noël, c’était dans exactement trois mois… La perspective de devoir fêter les fêtes de fin d’année seul et sans sa femme, cela, Chris le refusait catégoriquement.

— Mais qu’est-ce que tu dis comme bêtise Gaizka ! Voyons. Bien sûr que maman sera rentrée pour Noël ! Bien avant même. Ne t’inquiète pas.