La fille de diamant - Olivier Rigot - E-Book

La fille de diamant E-Book

Olivier Rigot

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Beschreibung

Un thriller glaçant au coeur de la haute horlogerie suisse.

Tim, rédacteur en chef d’une revue horlogère à Genève, mène une existence paisible jusqu’à sa rencontre avec Melania. Tout va alors voler en éclats. Qui est cette jeune femme, démunie, qui devient rapidement l’indispensable bras droit d’un magnat de l’horlogerie ? Joue-t-elle un double jeu ? Est-elle manipulée ? Se débattant dans un monde brutal et implacable, Melania n’accepte pas son destin, prête à tout pour s’en sortir, fascinée par le glamour et une vie facile, elle risque de tout perdre en entraînant aussi celui qu’elle aime.


À PROPOS DE L'AUTEUR

Monde du luxe, contrebande, réseaux mafieux, faux-semblants et soif de liberté cohabitent sous la plume d’ Olivier Rigot, qui signe ici son deuxième roman aux Éditions Slatkine, un thriller aux rouages mouvementés.

Du même auteur :

""La fille aux cerfs-volants"", Slatkine, 2021.

""L’héritage des Farazzi"", Good Heidi Production, 2018.

""Un homme sous emprise"", Good Heidi Production 2016.



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Couverture

Page de titre

Pour Brice, une riche personnalité qui aurait pu devenir un héros de roman.

Avertissement

Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.

Remerciements

Je tiens à remercier sincèrement ma fidèle directrice littéraire, Eglal Errera, ma famille pour sa patience et ses encouragements ainsi que toute l’équipe Slatkine pour son enthousiasme, son professionnalisme et sa passion pour le livre sous toutes ses formes.

Chapitre 1

À l’entrée, un cerbère bedonnant, hilare, vêtu d’un string en latex, filtrait les invités et distribuait généreusement des préservatifs.

Le ton était donné.

Au premier étage de la maison, située au fin fond de la campagne genevoise, vidée de tous ses meubles et vouée à la démolition, des films pornos étaient projetés sur de grands écrans de télévision alors qu’au rez-de-chaussée les cocktails coulaient à flots et chacun allait de son graffiti sur les murs. Les filles avaient joué le jeu et portaient des déshabillés affriolants. Pour les unes des jarretelles et corsets largement échancrés, pour les autres, des jupettes en similicuir ne cachant que l’essentiel. Les amis de Tim, qui avaient organisé cette fête pour leurs trente ans sur le thème racoleur « Sado-maso », avaient gagné leur pari. La soirée était torride, la musique, l’alcool, la température estivale et les tenues aidant, les buissons du jardin n’avaient pas tardé à bruisser de mille murmures pas forcément bucoliques.

C’est dans cette ambiance débridée et survoltée que Tim fit connaissance de Melania. Il lui proposa de partager un verre au coin d’un bar improvisé à l’extérieur, constitué de palettes empilées les unes sur les autres. Elle était mignonne, pétillante, peut-être un brin exubérante, et elle n’avait qu’une envie : s’amuser, un verre de punch à la main. Ils passèrent la soirée ensemble, à parler de tout et de rien, à danser et à faire la fête, les corps se frôlaient, les baisers volés ne se comptaient plus et les sens s’échauffaient lors de salsas endiablées. Melania virevoltait entre les hommes, tout le monde riait aux éclats ou se poussait dans la piscine. La jeune femme revenait souvent vers Tim, effleurant de sa main son bras nu, il profitait alors de la moindre occasion pour la prendre par la taille et l’attirer contre lui, ressentir sa lourde poitrine, à peine cachée par un morceau de tissu, s’écraser contre son buste. La douceur d’une soirée du mois d’août exacerbait le désir. Au milieu de la nuit, il lui suggéra de la raccompagner. Ils s’arrêtèrent en chemin à la Pointe à la Bise et piquèrent une tête dans le lac Léman pour se rafraichir sous le regard réprobateur de canards nichant dans la réserve naturelle. Tim goûta enfin au plaisir d’embrasser Melania à pleine bouche.

Il eut la mauvaise idée de proposer de finir la nuit chez lui, elle eut la mauvaise inspiration d’accepter.

Ils arrivèrent à l’appartement de Tim, situé en haut de la rue Émile-Yung, au moment où l’aube se profilait sur la Vieille-Ville. Les façades imposantes des immeubles patriciens se découpaient sur la Treille comme des ombres chinoises dans le clair-obscur du jour naissant. Le Jura rosissait à l’Ouest. Tim déboucha une bouteille de champagne qu’ils burent au goulot. Affalés sur le canapé, les corps s’enchevêtrèrent. Melania ne portait qu’un minuscule ensemble en similicuir qu’elle avait confectionné pour la soirée. Tim l’embrassa, ses mains partirent à la découverte de son anatomie tout en la déshabillant ou, plutôt, en lui arrachant les deux pièces de tissus. Pressés par le désir, ils sautèrent les étapes, elle empoigna son sexe qu’elle masturba fermement, il voulut plonger entre ses cuisses lorsqu’elle lui suggéra de poursuivre leurs ébats dans son lit. Il dut se concentrer pour ne pas s’étaler par terre en franchissant les quelques mètres qui les séparaient de sa chambre. Il accueillit dans ses bras Melania qui avait chancelé sur le seuil de la porte et ils s’effondrèrent sur le matelas. Peu après, ils se retrouvèrent tête-bêche, le sexe de son amante collé contre sa bouche, le sien aspiré jusqu’à la garde dans la sienne. Ils basculèrent sur le côté et Melania le pressa de la rejoindre au plus profond de ses reins. C’est là que les choses se gâtèrent, il bandait mou, elle ne mouillait pas. Après quelques tentatives infructueuses, abrutis par l’alcool, leurs corps se séparèrent et ils sombrèrent dans une forme de coma éthylique.

La canicule et une migraine insistante tirèrent Tim d’un sommeil agité, il était en nage, il se retourna ; il était le seul occupant de sa couche, la fille qu’il avait ramenée avait disparu. Quelques aspirines et cafés bien serrés plus tard, il tenta de rassembler ses esprits confus et bousculés entre sa fierté de mâle frustré et l’image d’une fille à moitié nue courant dans les rues de Genève pour rentrer chez elle.

C’était une soirée et une nuit à oublier le plus vite possible.

Chapitre 2

Le lundi matin, de retour au bureau, Tim essayait de chasser de son esprit le visage de cette femme noiraude aux yeux espiègles et à la peau sucrée comme le miel. Il déplaçait les dossiers sur sa table de travail de gauche à droite. Rédacteur en chef d’une revue mensuelle consacrée à l’industrie horlogère, il tentait de trouver des idées d’articles tout en mâchonnant nerveusement son crayon gras. Son petit manège n’avait pas échappé à son assistante, Muriel, assise en face de lui, le visage caché derrière son écran d’ordinateur.

– T’as passé un mauvais week-end ?

Il leva la tête dans sa direction, esquissa un sourire forcé avant de répondre.

– Comment dire, j’ai éprouvé tous les états d’âme, dit-il en grimaçant.

Elle écarquilla les yeux.

Il lui raconta en quelques mots la soirée d’anniversaire sur un thème déjanté, l’abus d’alcool, sa méchante gueule de bois du dimanche tout en évitant l’épisode frustrant de la fille qu’il avait ramenée à la maison.

– Un week-end normal, en définitive.

– Pas tout à fait, j’ai gambergé tout le dimanche.

– Sur le moyen de dynamiser notre journal. On continue de perdre des abonnements, ça devient inquiétant.

– Non, sur une fille.

– Que tu as rencontrée samedi ?

– Oui !

Elle leva les yeux au ciel, ôta ses petites lunettes rondes et réajusta son chignon.

– Tu deviendras sérieux un jour ?

Il lui balança un regard noir.

Elle plongea sur son clavier avant de revenir à la charge.

– Les chiffres ne sont vraiment pas bons : à ce rythme-là, on devra fermer la boîte à la fin de l’année.

– Tu exagères, comme toujours.

– Je suis là pour te rappeler qu’on a un business à faire tourner et que j’ai deux filles à nourrir à la maison.

– Je sais, tu me fais la leçon assez souvent.

– Bon, OK ! Clôturons le sujet du week-end, qu’a-t-elle de spécial ?

– Elle m’intrigue, j’aimerais la revoir.

– Tu n’as pas ses coordonnées, son numéro de téléphone ?

– Non, je n’ai pas eu la présence d’esprit de les lui demander.

Muriel partit d’un grand éclat de rire qui résonna entre les quatre murs de l’arcade qui leur servait de bureau dans le Vieux-Carouge.

– C’est vraiment ballot, lâcha-t-elle avant de se lever pour se servir un café.

– C’est bon, laisse tomber ! C’est la dernière fois que je te fais des confidences. Tu as raison, on est là pour bosser, trouver des idées d’articles, des annonceurs et des lecteurs.

– Que proposes-tu alors ?

Un lourd silence enveloppa le bureau.

Chapitre 3

Igor Petrakov était nerveux, il tournait en rond dans son bureau, s’arrêtant de temps en temps devant les baies vitrées qui plongeaient sur le lac, légèrement irisé de quelques veines de vent. Le Mont-Blanc, dont le dôme enneigé dominait majestueusement l’horizon, attira son attention. Il ne s’était pas trompé en construisant le nouveau siège de sa manufacture horlogère à quelques encablures du Léman. Ce paysage unique exerçait un effet magique sur les clients qui, après la visite des lieux, ne tardaient guère à signer des commandes mirobolantes. Il jouait machinalement avec sa chevalière en attendant un coup de téléphone du représentant de son cercle d’actionnaires.

Il tira une longue bouffée de son cigare avant d’expirer une volute de fumée qui se dissipa lentement. Enfin, le téléphone sonna. Il écrasa son cigare dans un cendrier en cristal. Son interlocuteur ne s’encombra guère de longues formules de politesse et entra dans le vif du sujet :

– Igor, nos associés s’impatientent, il faut mettre les bouchées doubles.

Le chef d’entreprise prit une longue inspiration avant de répondre.

– Écoute, Vladimir, on vient d’investir dans une nouvelle manufacture, on a doublé l’appareil de production, on a engagé massivement. Les horlogers expérimentés ne se ramassent pas à la pelle. Il reprit son souffle et poursuivit sa tirade : « Nous avons un magnifique outil industriel à disposition, les salons horlogers vont commencer, on va engranger des commandes. Nous avons un taux de croissance double de la moyenne de la branche, on fait feu de tout bois ; au-delà, ça paraîtrait suspect. »

– Je le sais, mais tu connais nos partenaires, ils sont impatients et veulent rentabiliser leurs investissements, ils sont prêts à s’engager financièrement encore plus s’il le faut.

– On n’a pas besoin d’argent à ce stade-là, je te le répète, on a une formidable machine, certainement la plus belle du groupe, ne foutons pas tout en l’air par excès de précipitation et d’avidité.

Il avait haussé la voix en prononçant la dernière phrase.

– Ne te fâche pas, tous les associés savent bien que tu abats un travail phénoménal, tu as la confiance de tous. Cependant, tu sais qu’ils sont aussi sous pression en amont et ils doivent trouver des débouchés.

– Dis-leur de mettre la pédale douce, ironisa Igor.

– On est dans un business où l’on ne gère pas la demande, elle vient toute seule, c’est la beauté de notre domaine d’activité, gloussa Vladimir.

L’horloger n’argumenta pas.

– On se voit à la fin du mois, comme prévu, à Budapest, pour l’inauguration de la boutique, reprit son correspondant.

– Pas de problème, tout est prêt, répliqua l’homme d’affaires genevois d’une voix ferme.

– T’as également prévu les filles ?

– J’ai fait le casting, la plus belle sera pour toi.

– Je t’embrasse, mon frère.

Il tiqua.

– Moi aussi.

Igor raccrocha sèchement le téléphone.

Irrité, il appela, par l’interphone, son assistante, qui entra dans son bureau quelques instants plus tard les bras chargés d’un plateau de feutre sur lequel des dizaines de diamants étaient étalés en vrac.

– On a reçu un nouvel arrivage, ils ont l’air d’excellente qualité, dit-elle aimablement.

– Posez le présentoir sur la table ! On va faire le tri.

Il ajusta sur son œil gauche une loupe de gemmologiste, enfila des gants blancs, s’assit et, avec une pince à griffes, préleva délicatement un diamant. Il l’examina longuement, sous toutes ses facettes, à la recherche d’une éventuelle inclusion dans la pierre gemme. Seules les plus pures trouvaient grâce à son œil professionnel.

– Prenez note, comme d’habitude !

Chapitre 4

Dans les jours et les semaines qui suivirent la soirée de débauche, Tim fit sa petite enquête auprès de ses amis, organisateurs de la fête, mais personne ne se souvenait avoir invité la fille décrite. Les uns avaient été accaparés par l’organisation de l’événement, les autres avaient préféré draguer de jolis minois ou avaient fini soûls comme des Polonais, affalés dans l’herbe après avoir éclusé tous les alcools du bar.

La routine de la vie quotidienne avait repris ses droits : boulot, apéros, vernissages dans les galeries de la rue des Bains, peinture, espoir d’exposer un jour, autres soirées, plans drague se terminant parfois au lit. La fille en similicuir s’évanouissait progressivement dans les limbes de la mémoire du journaliste. Un soir d’été indien, en dînant sous les tilleuls avec quelques amis sur la terrasse du Carnivor, au Bourg-de-Four, ils évoquèrent cette fameuse soirée débridée lorsqu’Isabelle lui rappela qu’il n’avait pas quitté d’une semelle une fille pas particulièrement farouche.

– Tu n’avais d’yeux que pour elle, lui lança-t-elle ironiquement.

– Ah bon ! répondit-il désinvolte, et tu la connais ?

Isabelle prit le temps de déguster un morceau d’entre-côte, la spécialité de la maison, avant de répondre.

– Vaguement !

Il bombarda Isabelle de questions au point qu’elle lui rétorqua agacée :

– Tu es parti de la soirée avec cette nana. Je ne veux rien savoir de la suite de la nuit, mais tu ne sais ni son nom ni où elle crèche et tu ne lui as pas demandé son numéro de portable. Tu devais vraiment être bourré ou alors tu perds la main.

Devant son air déconfit, elle lui adressa un coup d’œil charitable.

– Elle s’appelle… Euh…

– Melania, c’est la seule chose que je sais ; tu connais son nom de famille ?

– Non ! C’est une de ces filles qui apparaissent et disparaissent dans les soirées, comme beaucoup d’autres.

Elle prit une inspiration, cherchant à rassembler ses souvenirs.

– Une fille étrange, difficile à cerner. Je me souviens l’avoir croisée, à l’époque où j’étais hôtesse au Salon de l’auto, elle devait gagner trois francs six sous comme nous toutes pour financer ses études.

Isabelle trempa sa cuillère dans sa compote de pommes avant de le dévisager.

– À ta place, je laisserais tomber.

– Ah !

Tim était dans le bleu le plus total.

Chapitre 5

Melania surfait sur Internet, assise sur le lit grinçant de sa minuscule chambre d’hôtel, située derrière la gare Cornavin, et dont elle avait négocié âprement le tarif pour la nuit. Elle n’avait pas ouvert sa valise ni son sac de voyage, coincés entre la porte d’entrée et la salle de bains. Le bourdonnement incessant du trafic remontant la rue Montbrillant envahissait la pièce par vagues successives.

Elle s’ennuyait ferme, zappant de Facebook à X, en passant par Instagram, les petites annonces pour trouver un job et les sites de rencontres sur lesquels elle s’était inscrite. Elle lut en diagonale les dizaines de messages plus ou moins graveleux d’internautes à la recherche d’une aventure d’un soir. Elle allait quitter le site lorsqu’un message attira son attention. Il était formulé d’une manière un peu plus respectueuse et originale que la masse qu’elle venait de lire. Elle envoya un texto anodin pour prendre contact. La réponse ne tarda guère. Elle fit le tour de sa chambre et se cogna contre le lit. Elle n’avait aucune envie de passer la soirée dans cet environnement glauque et répondit à l’invitation de l’homme qui lui avait proposé de boire un verre pour faire connaissance. Elle s’habilla rapidement, se maquilla et se scruta sous toutes les coutures dans la glace. Elle se trouva élégante sans être provocante. Sa nouvelle coiffure bouffante mettait en valeur son visage fin et ses yeux vert émeraude, elle esquissa un sourire, referma rapidement la bouche qui révélait un espace entre ses deux incisives supérieures, une imperfection physique qui la complexait.

– Il faut absolument que je trouve de l’argent pour payer cette satanée correction dentaire, invoqua-t-elle dépitée avant de quitter la chambre dont la porte lui échappa des mains et claqua bruyamment.

Elle descendait lentement la rue du Mont-Blanc, perchée sur ses hauts talons, se frayant un chemin entre les derniers pendulaires qui marchaient à contresens, pressés de prendre le train pour rentrer au plus vite chez eux. Le portier de l’hôtel des Bergues se précipita pour pousser la lourde porte tournante donnant accès au lobby. Melania admira rapidement le luxuriant bouquet de fleurs qui ornait l’entrée principale et prit la direction du bar anglais. Ses talons claquaient sur le marbre. Elle s’arrêta sur le pas de la porte et balaya lentement les lieux du regard. Quelques hommes d’affaires étaient attablés, des touristes en famille, en provenance du Golfe, dégustaient des pâtisseries dans cette atmosphère feutrée qui respirait l’opulence. Elle scruta les tables, aucun homme seul et aucun exemplaire du journal Le Temps, leur signe de reconnaissance, n’était disposé sur un plateau. Elle repéra une desserte à l’écart et s’approcha d’un fauteuil recouvert de velours qu’un serveur lui présenta. Elle s’assit, contrariée, pressentant s’être fait poser un lapin.

Après dix minutes passées à lorgner l’entrée du bar, un homme grand, la cinquantaine élégante, un journal à la main apparut enfin et s’arrêta. Leurs regards se croisèrent, Melania fit un signe discret de la main.

La discussion tourna autour de sujets anodins. La jeune femme demeurait énigmatique, répondant par circonvolutions aux questions de l’homme qui se montrait prévenant et attentionné. Elle tentait de cacher sa nervosité en tenant ses mains sous la table, elle essayait de se dérider et évitait d’ouvrir la bouche. Elle apprit qu’il était marié, elle l’avait immédiatement compris en examinant ses mains, il travaillait dans une banque et il s’ennuyait ferme avec sa femme. En quête d’un peu de piment dans sa vie trop bien réglée, il recherchait une relation extraconjugable durable, laissant entendre qu’il était à même d’y mettre un certain prix.

– Tu recherches une sugar girl ?

Il cessa de parler, surpris.

Melania gloussa de malice.

– C’est très tendance, des hommes sont prêts à entre-tenir une jeune femme et s’entendent sur un tarif mensuel pour passer du temps ensemble.

– Ce n’est pas nouveau, ça a toujours existé.

– Sauf que les réseaux sociaux sont passés par là et que des sites proposent explicitement ce genre de services et de relations.

L’homme ausculta Melania d’un air suspicieux.

– En fait tu es une sorte de call-girl.

Elle prit un air offusqué avant de répondre sèchement.

– Pas du tout ! C’est la première fois que je rencontre physiquement un homme à travers un site libertin. J’ai un métier tout à fait respectable.

– Tu ne m’as toujours pas dit ce que tu faisais.

– Hôtesse de l’air

– Un peu compliqué depuis la crise de la Covid ?

– Très compliqué, je cherche à me réorienter.

Un silence s’installa.

Ils étaient tous les deux mal à l’aise, incapables de relancer la conversation.

– Tu veux que l’on dîne ensemble.

Melania hésita.

– Ils ont des tapas à la carte, restons ici !

L’homme reprit la main, commanda un assortiment complet d’amuse-gueules et prit son temps pour sélectionner le vin tout en étalant ses connaissances en la matière.

Melania s’enferma dans ses pensées.

À la fin du repas, il lui proposa subtilement de poursuivre la soirée de manière un peu plus poussée.

Elle s’enfonça dans son fauteuil, pliant et dépliant ses jambes nerveusement. L’homme était séduisant, elle redoutait l’échec, un de plus.

Une multitude de souvenirs envahirent son esprit, elle grimaça. Elle avait envie de fuir. Elle fit un dernier effort par politesse.

Sur le perron de l’hôtel, face à l’île Rousseau, il lui proposa de la raccompagner. Elle refusa, lui promit de rester en relation via le site.

Une fois rentrée à l’hôtel, elle effaça immédiatement le contact et le plaça dans la liste des indésirables. Elle se coucha tout habillée sur son lit et pleura longuement.

Chapitre 6

Les invités, triés sur le volet, se pressaient à l’entrée de la boutique Chuberer, à la rue du Rhône, pour participer au cocktail célébrant la réouverture des lieux après des mois de travaux. Tim présenta son carton d’invitation et son accréditation de journaliste. L’hôtesse à l’accueil l’emmena au sixième étage et, se faufilant entre les invités, le conduisit directement vers le directeur : Tonio Taxiera.

Comme d’habitude, l’accueil fut chaleureux, les deux hommes se tapèrent dans le dos.

– Bienvenue, Tim, tu es ici chez toi.

– Tu as le sens de l’accueil, digne d’un gentleman, répliqua le journaliste en badinant et en pivotant sur lui-même.

Les nouvelles collections de montres étaient savamment mises en valeur, sans donner à l’acheteur potentiel l’impression qu’il se trouvait dans une boutique, mais plutôt dans un salon design et huppé, tel un club sélect, avec une vue plongeante sur la rade de Genève.

– Bravo pour le concept ! C’est très réussi.

Reprenant un ton professionnel, Tim s’adressa au maître des lieux.

– Je vais faire quelques photos d’ambiance, on se voit comme convenu dans quelques jours pour l’interview, l’article paraîtra dans le prochain numéro de Time & Watches.

– Parfait, si tu as besoin de quelque chose, Karine est à ta disposition.

Tim se retourna, l’hôtesse qui l’avait accueilli le gratifia de son plus beau sourire commercial.

Il déambula ensuite entre les invités, saluant quelques têtes connues de la République, échangeant des phrases convenues et chercha le meilleur angle de vue pour à la fois mettre en valeur les lieux et refléter l’ambiance de l’événement mondain.

Son travail accompli, le journaliste préleva une coupe de champagne du plateau en argent que lui présentait un serveur en livrée et entama une discussion avec une connaissance.

Une voix derrière lui avec un petit accent des pays de l’Est, roulant les r, le fit sursauter, il se retourna et se trouva nez à nez avec la fille d’un certain soir.

La surprise crispa les deux visages.

– Ah ! t’es aussi là, bafouilla-t-il.

Confus et désemparé, Tim tenta de se rattraper avec une autre formule plus courtoise. Il ne fit que s’embrouiller.

Sans se concerter, ils s’étaient éloignés des autres convives et se retrouvèrent proches d’une fenêtre donnant sur la place Longemalle illuminée.

Melania le mit rapidement à l’aise :

– Ça me fait plaisir de te revoir, Tim.

– Tu te souviens de mon prénom ?

Elle rigola de bon cœur.

– Oui, même si l’on avait bu comme des trous.

Tim opina.

Un silence gêné s’installa.

– Je suis désolée, je suis partie en coup de vent, tu dormais à poings fermés, je ne voulais pas te réveiller.

D’un geste et avec un rictus emprunté, il écarta le souvenir de cette fin de nuit ratée.

Son regard était aspiré par l’éclat des grands yeux verts de Melania.

Elle semblait embarrassée et s’apprêtait à s’éloigner.

– Allons prendre un verre ailleurs, il y a trop de monde, trop de bruit ici.

– Pourquoi pas ! répliqua-t-elle.

Ils s’apprêtaient à quitter la boutique lorsqu’elle s’arrêta au vestiaire pour récupérer sa veste et une valise ainsi qu’un gros sac à dos. Il se précipita pour prendre la valise, il grimaça lorsqu’il la souleva.

– Tu rentres de voyage ?

– Oui, c’est un peu ça…

Ils s’engagèrent dans la rue du Rhône et marchèrent quelques centaines de mètres avant d’entrer dans l’hôtel Métropole. Un employé les aida à porter la valise jusqu’au bar.

Affalés dans de profonds fauteuils, ils essayaient de renouer les fils, évitant soigneusement d’évoquer une certaine soirée. Elle était sur la retenue, répondait brièvement à ses questions et paraissait préoccupée, se levant souvent pour passer un coup de téléphone ; elle revint enfin, l’air soulagé.

– Excuse-moi ! Il fallait que je règle un problème urgent.

– Pas de problème.

Il lui remplit son verre de Schweppes et lui proposa de manger quelque chose.

Elle déclina l’invitation.

– J’ai assez grignoté au cocktail, j’ai dû un peu abuser.

– Rappelle-moi d’où vient ton petit accent !

Elle rit pour la première fois de la soirée, détendue.

– Il me semblait te l’avoir dit !

– Je ne m’en souviens plus… Je dirai d’Europe de l’Est. Bon, il y a beaucoup de pays, je ne vais pas tous les énumérer. Allez, choisissons le plus grand, tu es originaire de Russie ?

– Non, tu n’y es pas du tout, je viens de Slovénie, mais ma mère est Italienne. Pour le coup, je parle pas mal de langues, je me débrouille assez bien dans ce domaine, pour le reste je galère. Elle s’arrêta de parler, un voile de lassitude enveloppa son visage : « Parle-moi de toi ! Ma vie en ce moment n’a guère d’intérêt, je vis de petits boulots quand j’en trouve un », lança-t-elle d’une voix dépitée.

– Je suis journaliste, je dirige une revue consacrée à l’horlogerie, d’où ma présence à la boutique Chuberer ce soir. Et toi, par qui étais-tu invitée ?

– Une amie qui m’a donné son invitation.

Elle consulta sa montre.

– C’était sympa de partager un verre, il faut que je parte, sois gentil : commande-moi un taxi !

– Je peux te raccompagner, j’ai ma voiture au parking du Mont-Blanc.

– Non ! protesta-t-elle sèchement, avant de se radoucir, t’es trop gentil, je m’arrange, je ne veux pas t’embarrasser.

Il voulut protester, mais elle s’était déjà levée.

Tim tenait la porte du taxi ouverte pendant que le chauffeur chargeait les bagages de la jeune femme sous sa surveillance. Elle s’approcha et se hissa sur la pointe des pieds pour lui faire une bise.

– Merci encore pour le verre.

Elle le dévisagea, comme pour s’imprégner de son visage, l’air sérieux. Il était mal à l’aise.

– Donne-moi ta carte de visite ! continua-t-elle. C’est moi qui te rappellerai, si jamais.

Melania prit le bristol, le glissa dans son sac à main et laissa lentement courir sa main le long du bras de Tim avant de s’engouffrer dans le véhicule.

La jeune femme souffla au chauffeur l’adresse d’un petit hôtel à Gaillard, dont elle avait âprement négocié le tarif de la chambre pendant ses va-et-vient au bar.

Tim demeura immobile sur le trottoir, pensif et décontenancé, jusqu’à ce que le taxi tourne dans la rue Pierre-Fatio.

Il se mit lentement à marcher en direction du parking.

Chapitre 7

Melania retira le courrier de la case postale qu’elle avait louée à la poste du Mont-Blanc. Sans adresse fixe, c’était le seul moyen de conserver un lien avec le monde. Elle traversa la rue et rentra dans le Post’Café où elle avait ses habitudes, un estaminet d’une autre époque, baignant dans son jus. La serveuse lui apporta d’office un café et un verre d’eau. Melania la gratifia d’une crispation des lèvres, appréhendant d’ouvrir la liasse d’enveloppes. Les rappels de factures impayées s’accumulaient et les rares entreprises qui avaient pris la peine de répondre à ses sollicitations spontanées d’emploi déclinaient poliment. Elle classa les missives consciencieusement dans une fourre bleue, autant de justificatifs pour sa conseillère en placement à l’Office cantonal de l’emploi, elle arrivait au bout de ses droits au chômage. Elle se figea, ses yeux se perdirent vers l’extérieur. Le ciel était gris, la bise s’était levée, la première de l’automne, glaçant les rares passants qui se hâtaient dans la rue pour échapper aux bourrasques. Elle alluma son téléphone portable et relut la petite annonce postée sur le site du Salon Vénus. Elle hésita une fois de plus, composa le numéro, raccrocha et se remit à réfléchir. Elle farfouilla dans son sac à main et en retira la carte de visite de Tim qu’elle examina longuement avant de googler son nom sur Internet. À sa grande surprise, elle constata que de nombreuses pages étaient consacrées à Timothée Bastiant. En smoking et nœud papillon, il apparaissait sur de nombreuses photos d’événements mondains en compagnie de patrons de marques horlogères ou de mannequins exhibant ostensiblement au poignet un garde-temps pavé de diamants au prix extravagant. Elle survola également quelques articles que le journaliste avait écrits dans son magazine Time & Watches. Elle hésita à l’appeler, composa le numéro figurant sur la carte de visite avant de l’effacer. Elle s’habilla, laissa une thune sur la table et se faufila entre les habitués avant de gagner la sortie. À l’abri du vent, sous une porte cochère, elle appela la patronne de l’établissement Vénus et obtint un rendez-vous.

En sortant du salon, Melania, un peu sonnée et désemparée, marchait lentement. Elle traversa le pont des Acacias. Accoudée contre le garde-corps métallique, elle eut une pensée noire en avisant l’Arve charrier une eau brune en furie. Elle reprit son chemin et se rendit au prochain arrêt pour prendre le tram 15 en direction de la gare. Durant le trajet, elle se remémora l’entretien avec la patronne du club qui l’avait rassurée en tentant de la convaincre qu’il s’agissait d’un travail finalement ordinaire et, pour le coup, très bien payé. Des filles en galère comme Melania, elle en avait connu des dizaines qui avaient traversé des périodes difficiles et s’en étaient bien sorties.

Melania imaginait des hommes bedonnants, vicieux, lui passer sur le corps.

Un flash lui revint en mémoire, l’expression de dégoût qu’elle exprima à cet instant n’échappa pas à sa voisine assise en face d’elle et qui détourna la tête.

Elle était arrivée à destination. Elle se rendit à son hôtel, récupéra sa valise et son sac à dos. Elle n’avait plus un sou en poche. Elle était à la rue.

Chapitre 8

Un éclair déchira le ciel, projetant une lumière de fin du monde dans la cuisine. Tim eut à peine le temps de prendre conscience du phénomène météorologique que la déflagration du tonnerre faillit le projeter à terre ; la foudre n’était pas tombée loin. Il se précipita à la fenêtre, pourtant ce n’était plus la saison des orages, la pluie s’était mise à tomber à flots, martelant le macadam d’un bruit sourd, le sol bouillonnait de grosses bulles éphémères. Sous le halo jaune d’un lampadaire, il aperçut une silhouette qui se pressait, portant un sac à dos et tirant une grosse valise à roulettes. Il eut une hallucination. Sa raison lui jouait des tours, l’image fugace, familière, disparut aussitôt de son esprit. Il contempla encore quelques instants la rue déserte, il n’y eut pas d’autres éclairs au cours de la soirée. Il retourna à ses occupations, rangea rapidement la vaisselle dans la machine à laver et s’apprêtait à s’installer devant la télévision lorsque la sonnette de la porte d’entrée retentit avec insistance. Il imagina que c’était sa concierge qui choisissait toujours les pires heures pour lui apporter un recommandé et profiter de l’occasion pour lui tenir la jambe, ou sa voisine, toujours en panne d’ingrédients alimentaires. N’ayant qu’un boxer short pour tout vêtement, il se rua dans la chambre, arracha un jean dont une jambe dépassait d’un tas de vêtements sales et agrippa le premier T-shirt qui lui tomba sous la main. La sonnette se rappela à son bon souvenir avec plus de virulence que la première fois.

Il hurla « J’arrive ! » avant de renoncer définitivement à enfiler une paire de chaussures.

Tim ouvrit la porte précipitamment et s’immobilisa, pétrifié.

Melania le regardait avec un air angélique, inondée de la tête aux pieds, les cheveux plaqués sur sa tête, debout entre sa grosse valise et son sac à dos, une flaque commençait à se former sous ses pieds.

Il demeura bouche bée, comme un idiot de poisson rouge, les yeux exorbités et les bras ballants ; il dut prendre appui contre le chambranle de la porte d’entrée.

Elle lui souriait toujours, mais ses yeux paraissaient vides, transparents, implorants.

– Mais d’où viens-tu ? ânonna-t-il.

Elle ne bougeait pas, figée comme une statue de marbre sur le pas de la porte, le visage blanc. Elle grelottait comme une feuille morte.

– Tu n’as pas l’air content de me voir, hasarda la jeune femme d’une petite voix.

– Ce n’est pas ça, mais…

– Je peux entrer, je suis trempée.

Elle poussa sa lourde valise et ramassa son sac. Il s’effaça pour la laisser passer et n’eut pas la présence d’esprit de l’aider. Une fois la porte refermée, elle s’effondra dans ses bras et se mit à sangloter. Décontenancé, Tim recula d’un pas tout en la tenant par la taille machinalement, il se mit à caresser ses cheveux mouillés.

Aspirant une grande bouffée d’air, elle parvint enfin à s’exprimer.