La forêt assassine - CECILE VALEY - E-Book

La forêt assassine E-Book

Cécile Valey

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Beschreibung

Deux meurtres en deux jours, c’est beaucoup pour une petite ville landaise qui attire de plus en plus de touristes et de résidents secondaires, mais reste paisible, surtout en automne. Et qui est ce diable des légendes dont on parle et qui hanterait la forêt et les lacs ? Un homme ? Une femme ? Un tueur qui jouerait sur les peurs et les croyances pour masquer ses crimes ?
Pourquoi a-t-il trucidé deux personnes qui, a priori, ne se connaissaient pas et n’avaient rien en commun ? Combien de tueurs rôdent dans la pinède ? Autant dire que le capitaine de gendarmerie chargé de l’enquête doit répondre à beaucoup de questions pour résoudre cette énigme. Sans compter qu’il lui faut aussi rester pragmatique dans un environnement où les superstitions tiennent parfois lieu de bréviaire et où les traditions dictent les comportements.

Dans ce polar, Cécile Valey dépeint également les mentalités et déploie toute une palette de couleurs pour décrire ce territoire niché entre lacs, pins et océan, qu’elle connaît parfaitement.


À PROPOS DE L'AUTEURE

Originaire des Landes, Cécile Estivalet est née à Arcachon, a vécu jusqu’à ses 18 ans à Biscarrosse. Puis elle est partie suivre des études d’histoire à l’université de Bordeaux III (maîtrise d’histoire contemporaine et CAPES).

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La forêt assassine

 

 

 

 

 

Du même auteur, chez Terres de l’Ouest :

Caché sous la dune, 2017.

Pêche mortelle en 4 leçons (Lac de Biscarrosse),2020.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tous droits réservés

©Editions Terres de l’Ouest http://www.terresdelouest-editions.fr email : [email protected]

ISBN papier : 979-10-97150-18-1

ISBN numérique : 978-2-494231-23-8

 

 

Crédits photographiques couverture :

Réalisation couverture : Terres de l’Ouest Editions.

 

 

 

 

 

 

Cécile Valey

 

 

 

La forêt assassine

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Roman

 

 

 

 

 

 

 

À ma mère.

 

À mon père, pour son soutien inconditionnel.

 

 

AVANT-PROPOS

Il est parfois des paysages qui façonnent les êtres qui les peuplent. Il est une contrée dans le sud-ouest de la France couverte de pins. Quand on la survole, elle apparaît dans toute son entièreté, triangle sombre et immobile accroché aux grandes collines dorées de l’océan et troué en maints endroits par des étangs naturels. La forêt parcourt ainsi des monts, borde des lacs, traverse l’Aquitaine d’est en ouest et plusieurs départements du nord au sud. Après des siècles de lutte contre la dune, elle a fini par gagner son combat pour ne pas mourir ensevelie sous le sable.

Au plus près, en pénétrant le pinhadar1, on s’aperçoit que ses arbres, s’ils sont plantés rectilignes, n’ont pas tous choisi le même chemin vers le soleil. Certains ont contourné les obstacles, s’arrondissant pour mieux réussir à respirer ; d’autres se sont courbés, rabaissés ; et d’autres encore se sont élancés vers les cieux, droits comme des i, repoussant leurs semblables de leurs aiguilles acérées.

Mais quand la brise salée s’y engouffre, les pins font corps, et la forêt bruisse de toutes parts. Elle s’agite, jette ses fruits à terre, résiste, et seul le Grand Vent peut l’abattre. Les hivers capitulent ; le froid, la glace, la neige ont déjà tous tenté de l’écraser, chaque fois elle vainc et reparaît verdoyante. L’été réveille son pire ennemi : le feu du diable contamine, ronge et brûle le bois, source de vie.

Le pin a en effet sauvé le peuple de la lande, l’a enrichi, lui a procuré santé et pitance, mais lui fait aussi, parfois, payer cher sa providence. On a beau tenter de la dominer par des tonnes et autres tours de veille, la forêt gagne à chaque fois son combat sur l’homme. Tolérant peu les espèces étrangères, elle ne supporte pas d’être envahie, son essence principale se sentant menacée, en danger.

Comme elle dissimule un sous-bois touffu aux ajoncs et genêts piquants et piégeux pour les pauvres biches et autres gibiers traqués par les chasseurs, il en va de même pour quiconque s’y promène en s’éloignant des pistes cyclables et sentiers balisés. On s’égare aisément, et un accident est si vite arrivé dans la lande, son amie et si proche voisine. Les secours ne peuvent accéder rapidement en de nombreux endroits du massif, le sable et l’enchevêtrement des buissons ralentissant leur course contre la montre – et pour la vie. Quant à son immensité, elle contribue à faire durer les recherches en cas de disparition.

Le Malin s’y terre donc. Comme lui, la forêt n’est pas douée de raison, et c’est pourquoi elle prend le parti des fuyards et des criminels ; comme lui, elle est déloyale, c’est pourquoi elle finit par les perdre.

Alors quand on s’y promène, mieux vaut être en bonne compagnie. Ou si l’on aime les balades solitaires, il est préférable de rester sur ses gardes pour ne pas succomber au charme irrationnel du bois où sommeille le Diable.

PROLOGUE

Biscarrosse, automne 1917.

Juste avant de franchir le portail, le photographe local lui avait demandé de poser avec ses co-pensionnaires devant les grilles du tout nouvel hôpital de Biscarrosse, transformé en maison de convalescence pour soldats estropiés. C’était drôle maintenant qu’il y repensait, ce dernier cliché l’avait immortalisé. Juste avant…

Il y a des coïncidences étranges dans la vie...

Arrivé depuis trois jours par le train, il n’avait pas encore fait connaissance avec le village, à peine traversé à pied entre la gare du bourg et l’hospice. Lui, restait valide malgré ses poumons intoxiqués et ses brûlures aux bras ; pas comme les autres, avec leur jambe raccourcie ou leur cheville tronquée, qui avaient eu les honneurs de la charrette sur le chemin de terre. Des pistes, comme dans son village de Baback. On disait la France plus moderne, plus civilisée selon certains, mais Ouali découvrait à Biscarrosse une autre France, moins évoluée qu’à Bordeaux où il avait débarqué de son Sénégal natal un an auparavant, moins animée que les rues de Paris, où il était descendu de train quelques mois plus tard. Mais une France plus paisible que ces régions de l’Est transformées en champs de foire. Plus verdoyante aussi que ces champs de ruines de Lorraine. Certes, il avait senti le regard condescendant, voire effrayé des indigènes – oui, ici, c’étaient eux les indigènes – croisant sa route pour la première fois. Mais de là à…

Les fougères étaient hautes, le couvrant jusqu’à la taille. Et pourtant, il n’était pas petit. Au contraire, comme la plupart des hommes Sérères, il était plutôt élancé. Soudain, il avait entendu une détonation, une seule. Pas comme au front où les balles pétaradaient à n’en plus finir lors des assauts. Une seule. Une douleur sourdait dans sa poitrine, et en y apposant sa main, ses doigts avaient rougi. Ses jambes s’étaient dérobées.

Allongé sur un tapis de fougères et d’aiguilles de pin cuivrées, il contemplait le ciel. L’humidité du sol gorgé d’eau refroidissait son dos, traversait ses vêtements, gagnait tout son corps.

La fatalité ! Il avait défié le Saltingué, le grand prêtre de son village, qui lui avait prédit qu’il ne reviendrait pas des champs de bataille. Il avait échappé à l’appel des Ancêtres sur le front ; mais le Mal l’avait suivi jusque dans ce bourg, jusque dans cette forêt où il ne faisait que se promener, respirant le bon air des pins, qui, on le lui avait affirmé, aiderait à sa guérison. On lui avait dit également que l’automne était la saison la plus calme de l’année dans ce coin d’Atlantique, ni tempête, ni inondation, et le soleil aussi réconfortant qu’en avril.

Que s’était-il passé ?

Quelqu’un viendrait peut-être.

Personne n’approchait.

Au loin, trop loin, les coups de hache résonnaient dans toute la forêt.

Sa dernière vision serait donc celle de ce ciel bleu, moins intense que celui qui l’avait vu naître en Afrique. Juste un coin, les branches des pins lui cachaient le reste.

Une ombre se penchait maintenant au-dessus de lui. Cette ombre avait un visage. Ce visage rougeoyait telles les feuilles de chêne voletant dans le ciel.

Était-ce la réalité ?

À moins que ce ne fût sa vue qui se troublât, son esprit qui lui jouait des tours ; un souffle froid le conquérait de l’intérieur.

Où était-ce le Pangol, l’esprit des Ancêtres, intermédiaire entre le monde des vivants et le divin, qui était venu le chercher ?

C’était ça, oui, qui se passait, juste avant de rejoindre Rog Séné, juste avant le grand saut de l’autre côté de la vie.

Chapitre 1

Biscarrosse, octobre 2011.

Ce vendredi-là comme à son habitude, Jocelyne Danglard, « Jo » pour les intimes se rendit au centre équestre situé sur la route de la plage. Comme à son habitude, elle sella sa jument Jolimôme et partit dans la lande, seule. Et contrairement à son habitude, elle ne reparut pas une heure plus tard, ce qui inquiéta Pierre et Julie Lamboy, les propriétaires du centre. Ils essayèrent de la contacter sur son portable, sans succès. La gendarmerie de Biscarrosse fut alors appelée. Le mari aussi.

— C’est quoi cette histoire de cheval revenu sans ma femme ? Où est Jo ?

À peine était-il descendu de voiture, qu’il maugréa et fondit sur les uniformes. De taille moyenne, propriétaire d’un nez qui le précédait partout, pointant tout ce qui ne lui convenait pas, Pierre Danglard compensait les centimètres qui lui manquaient par sa mauvaise humeur et sa condescendance, telle une seconde nature. Son surnom de monsieur Lequesnoy attiédissait quelque peu le personnage – sa ressemblance physique avec le bon père de famille bourge et catho du film La vie est un long fleuve tranquille était saisissante. Certes, la disparition de sa femme le bouleversait, mais cela ne l’empêchait pas de se montrer égal à lui-même.

— Adjudant Ducrocq et voici mon collègue le gendarme Girard, monsieur Danglard. Les propriétaires nous ont signalé que la monture de votre épouse est rentrée sans sa cavalière. Et votre femme ne répond pas aux appels. Avez-vous consulté votre téléphone ? Elle ne vous a pas appelé dans l’après-midi ?

— Non, je vous dis que je n’ai aucune nouvelle d’elle, fit-il déjà agacé. Sourcils froncés, lèvres pincées, il regardait le gendarme durement.

— Est-ce qu’elle garde son portable pendant ses balades à cheval ?

Oui. En principe. Toujours même, je crois.

Il usait du même ton excédé, comme si toutes ces questions lui paraissaient superflues.

— Jo a pour habitude de le glisser dans une des petites poches de son veston, précisa Julie Lamboy. Beaucoup de cavaliers préfèrent l’emporter avec eux, par sécurité, en cas de pépin.

— Justement, quels vêtements portait-elle aujourd’hui ? demanda l’adjudant.

— Ceux d’une cavalière régulière : pantalon d’équitation crème et veste de tweed à petits carreaux beiges et marron, une bombe noire, des bottes noires également.

— Des accessoires particuliers ?

— Une cravache, des éperons, répondit Julie Lamboy comme si c’était une évidence.

— Bon, nous allons d’abord examiner le cheval, ensuite nous retracerons son parcours habituel. Il nous faudrait une photo, monsieur Danglard.

Celui-ci ouvrit son portefeuille et en sortit un cliché montrant la famille Danglard au complet, le père, la mère et le fils. Il le tendit au plus âgé des deux gendarmes.

Dans les écuries, la jument d’un beau bai occupait un box réservé à son nom. Ducrocq connaissait le lieu et ses tarifs : sa fille pratiquait l’équitation toutes les semaines depuis ses six ans et elle en avait désormais treize. La pension complète pour chevaux coûtait les yeux de la tête.

— Dans quel état l’animal est-il revenu ? Agité ? Calme ? questionna-t-il tout en entrant dans la loge.

— Jolimôme est arrivée au galop, on a entendu ses sabots taper le sol, ce qui nous a surpris. D’habitude, les cavaliers pénètrent tranquillement dans l’enceinte du centre, c’est la règle pour ne pas effrayer les autres chevaux. On aurait dit qu’elle fuyait.

— Elle ne portait pas de selle à son retour ?

— Si. Mais nous la lui avons ôtée : les couvertures du dessous avaient glissé de côté. Elles allaient tomber.

— Vous pouvez nous la montrer ?

Julie Lamboy se rendit aussitôt dans la sellerie attenante aux box, et en revint chargée d’une belle pièce de cuir marron. Les enquêteurs l’examinèrent, de l’assise aux étriers. Aucune marque, aucune éraflure. Elle était complète et intacte.

Les gendarmes passèrent alors derrière le manège et s’enfoncèrent dans la lande sur un des sentiers sablonneux qui la parcouraient. La zone couvrait plusieurs kilomètres carrés, et était barrée en son extrémité nord par la route menant au lac, et à l’est par le canal du littoral reliant deux étangs à un troisième. Des empreintes de sabots s’arrêtaient au bord de la départementale face à l’ancien garage à bateaux récemment modernisé, qu’il fallait désormais appeler « marina ». Les deux hommes traversèrent la route puis longèrent les bas-côtés terreux jusqu’au virage qui descendait vers le petit port. Aucune trace, rien n’indiquait ni chute ni violence. Si la cavalière était venue par là, elle avait dû emprunter la route. Peut-être l’aurait-on aperçue ?

L’adjudant et son jeune collègue se dirigèrent vers le hangar en contrebas, d’où des coups métalliques leur parvenaient aux oreilles. Ils firent coulisser la grande porte sur le côté. L’ouvrier, en plein carénage d’un voilier, ne les avait pas entendus entrer. Ducrocq dut crier. L’homme sursauta et grommela, mais interrompit son travail.

— J’ai bien été fumer ma clope dehors, mais non j’ai pas vu de cheval, dit-il. Vous savez en cette saison, c’est calme, pas comme en été où ça grouille de partout. D’un autre côté, quand y a quelqu’un, au moins ça se remarque. Mais là, j’ai vu personne.

Ne pouvant rien tirer de plus de leur unique témoin potentiel, les deux gendarmes rebroussèrent chemin. Il était bientôt 18 heures, la luminosité déclinait de minute en minute. Ils revinrent au haras par une seconde sente qu’ils explorèrent sans résultat. Point de Jocelyne Danglard.

Quant à son mari, il tempêtait à tout va, faisant les cent pas au pied du manège. Le couple Lamboy tentait de le réconforter.

— Non, c’est impossible, on ne disparaît pas comme ça, sans laisser de trace ! répétait-il.

— Dites-moi, est-ce que madame Danglard a pour habitude de se promener au-delà de la route du lac ? interrogea l’adjudant.

— Non. En général, elle reste de ce côté-ci, répondit Julie Lamboy.

Puis s’adressant au mari, Ducrocq se voulut rassurant :

— Vous devriez rentrer chez vous. Peut-être qu’elle sera revenue par ses propres moyens.

— J’en doute fort. Et d’ailleurs, si c’était le cas, Jo serait forcément passée par le centre équestre, nous habitons à deux kilomètres d’ici dans la Montagne, précisa Pierre Danglard.

La « Montagne », c’était ainsi que l’on nommait les plus vieilles dunes domptées par les pins. La route reliant le bourg à la plage serpentait à travers ces collines chevelues avant de redevenir sage et rectiligne auprès de l’Atlantique. De multiples sentes la jalonnaient, que seuls des 4X4, des randonneurs ou des chevaux pouvaient emprunter.

— Est-ce que votre femme rencontre des difficultés ? Est-ce qu’elle a des soucis en ce moment ?

— Non, adjudant, elle va très bien ! Elle est revenue lundi dernier en pleine forme de sa thalasso, fit-il encore agacé.

— Elle est peut-être seulement en retard. Mais nous allons quand même inspecter le secteur. La nuit tombe, on ne pourra pas chercher longtemps. Si nécessaire, demain matin nous reprendrons notre inspection au bord du lac. Nous allons quand même essayer de localiser son portable. Bien entendu, dès que vous avez des nouvelles, vous nous prévenez.

Les enquêteurs regagnèrent leur véhicule, garé sur le parking poussiéreux du club équestre. Au passage, ils jetèrent un coup d’œil au coupé de la disparue resté ouvert, les clés sur le contact. La sellerie en cuir blanc était propre, l’odeur particulière des nettoyants pour plastique s’échappait de l’habitacle, rien ne traînait à l’intérieur, ni papier ni autres babioles. Et aucun téléphone portable.

— Pas commode le monsieur Danglard ! commenta le jeune Kévin Girard, en montant dans le véhicule aux couleurs de la gendarmerie.

Il s’était retenu d’intervenir durant leur mission, observant et écoutant son supérieur.

— Il est connu pour ses coups de gueule au Conseil municipal, pour impressionner ses adversaires politiques. Si jamais il est arrivé quelque chose à sa bourgeoise, y’a pas que lui qu’on aura sur le dos ! fit remarquer l’adjudant au novice.

Originaire du coin, Ducrocq connaissait pas mal de monde, ce qui pouvait dans certains cas se révéler fort utile aux enquêtes, et dans d’autres très encombrant : les sollicitations pour faire sauter un PV ou pour accélérer une affaire n’étaient pas rares et s’avéraient parfois compromettantes. Cela avait failli coûter une mutation l’année précédente à cet agent, dont les épaisses moustaches brunes et recourbées en leur extrémité – véritable guidon de bicyclette de la fin du XIXe – l’avaient rendu populaire auprès des Basquheyrois. On lui avait adjoint depuis deux semaines un stagiaire de vingt-trois ans, Kévin Girard, dont le physique d’échalas contrastait fortement avec celui de l’officier chargé de sa formation. Leur duo ressemblait à celui des deux facétieux Américains des années trente, on pouvait ainsi les surnommer les Laurel et Hardy de la brigade de Biscarrosse.

Ducrocq était donc en mesure de brosser le portrait de Pierre Danglard à son collègue débutant : Un notable local, jouissant de quelque influence auprès du maire et de la communauté. Il devait ce statut à son caractère et surtout à son activité professionnelle de promoteur immobilier, très lucrative dans une station de la côte en pleine expansion avec l’arrivée constante de nouveaux venus attirés par la proximité de Bordeaux, des loisirs balnéaires et par une certaine qualité de vie. Il avait acquis des terrains, spéculé, bâti dessus et empoché beaucoup d’argent. Sa vision du monde était celle d’un grand Monopoly, où l’important était de gagner et de conserver sa place. Quant à son mode de vie, il correspondait à celui que ses affaires lui procuraient : grosse voiture, golf et grande maison sous les pins, où ce vendredi soir, il attendit, seul, le retour de sa femme.

Chapitre 2

Dans sa petite chambre, qu’il n’avait jamais abandonnée depuis ses dix ans, Manuel Rodriguès se préparait à sortir. Au moment où il allait ouvrir la porte, son portable sonna. Aussitôt, il la referma. Il ne fallait surtout pas que son vieux se réveille. Il allait encore lui passer une soufflante, lui reprocher ses fréquentations et gueuler : « Les gens respectables ne sortent pas au milieu de la nuit ! »

En quelques chiffres et lettres, ses fameux amis lui indiquaient le lieu du rendez-vous, toujours à la dernière minute, jamais à l’avance.

Manuel n’était pas un mauvais bougre, il manquait de chance, de ce petit coup de pouce du destin qui aurait pu le placer sur le droit chemin. Pas cancre à l’école, pas brillant non plus, il avait décroché son CAP de monteur fraiseur au lycée, mais n’avait jamais trouvé de premier emploi pour se forger une expérience professionnelle. Pas de chance, le département des Landes n’était pas vraiment industrialisé, les usines requérant son savoir-faire y étaient plutôt rares. Alors Manuel vivait encore chez ses parents, dans une des trois HLM de la commune, heureux d’avoir un toit au-dessus de sa tête, mais espérant pouvoir en partir assez vite. Il avait vingt et un ans, vivotait de petits trafics, et ses seuls projets se limitaient pour le moment à sortir du petit appartement sans éveiller les soupçons de son père.

Mille mesures de précaution plus tard, le jeune homme s’installa au volant de la Twingo maternelle. Prudemment, il éteignit les phares avant d’atteindre la conche et passa en feu de position. Ainsi, on pouvait à peine le remarquer, et lui voyait encore la chaussée, la route du lac n’étant pas jalonnée de lampadaires.

Quelques minutes plus tard, il se gara puis descendit de voiture.

Il s’approcha du buisson habituel. À la lumière de son téléphone, il éclaira le sol, fouilla les genêts, les fougères, les fourrés et les herbes autour. Pas de sac.

Regardant alors en direction du lac, il aperçut les contours d’un bateau à l’arrêt sur les eaux sombres de l’étang. L’un de ces esturgeons que l’on louait l’été pour aller faire un tour, rond et court à l’arrière. Il eut juste le temps d’entrevoir à bord une silhouette, homme ou femme, impossible à définir, qui balança un paquet à l’eau. Le moteur redémarra et l’engin s’éloigna vers la droite, en direction du canal, se fondant dans le silence de la nuit.

Manuel chercha encore et encore son colis. En vain. Il envoya un SMS pour demander confirmation de la livraison. Les autres croiraient qu’il les avait doublés. Tout cela sentait mauvais, le vol, le bateau… « Merde, j’ai pas de bol, merde, j’ai pas de bol », se répétait le jeune homme.

Chapitre 3

Au petit matin, Antoine Dastruc et son père François embarquèrent sur leur bateau amarré à la marina avec pour objectif de rapporter au moins un beau sandre qu’ils pourraient déguster à midi.

Le lac encore baigné de brume se dévoilait au fur et à mesure que le soleil daignait déployer ses premiers rayons, réveillant les canards de l’étang qui se mirent à cancaner.

Tout le matériel avait été préparé avec soin. Le moteur du bateau, révisé et alimenté en carburant la veille, les avait bien conduits au milieu du lac.

Alors pourquoi n’avançait-il plus ?

Il vrombissait, mais ne bougeait pas.

Antoine se pencha prudemment au-dessus du gouvernail. À l’arrière de l’embarcation, il n’observa aucun fouettement de l’eau, mais une masse sombre ondulant contre la coque.

— Papa, y a un truc là ! Un très gros truc qui tape contre le bateau.

François n’était pas homme à se laisser intimider par un « truc », même « gros », mais quand il se pencha à son tour au-dessus du moteur, la lumière du jour naissant l’éclaira sur la particularité du « gros truc ». Il frissonna et eut un haut-le-cœur : des cheveux bruns étaient enchevêtrés dans les pales de l’hélice, l’empêchant de tourner, et au bout des longues mèches flottait un corps.

Livide, il se recula, se tourna vers son fils et, d’une voix rauque, lâcha :

— Antoine, plus de pêche aujourd’hui. Faut appeler la gendarmerie. Reste de ce côté-ci du bateau.

L’adolescent obtempéra, il avait compris que le « gros truc » était un truc grave, tragique même. La conversation téléphonique qui s’ensuivit le lui confirma.

Quinze minutes plus tard, l’adjudant Ducrocq arrivait en Zodiac pour identifier le cadavre qui émergeait à la surface du lac. Sans nul doute, celui de Jocelyne Danglard.

Chapitre 4

Le bip-bip de la ligne professionnelle retentit dans le trois-pièces de fonction, où, allongé sur le carrelage, vêtu de son seul pantalon de survêtement, le capitaine de gendarmerie Félix Lemaître effectuait sa cinquante et unième pompe matinale.

Quelques enjambées lui suffirent pour traverser l’appartement et atteindre le téléphone. Il avait décliné le privilège dévolu à son grade d’en occuper un plus grand. Qu’aurait-il fait de deux chambres supplémentaires, lui le célibataire de trente-cinq ans, fils unique d’une famille dont les membres se comptaient sur les doigts d’une main ? Un espace de vie plus restreint lui convenait d’autant mieux qu’il n’avait jamais l’occasion de s’y éterniser. Et puis, il ne restait jamais plus de trois ans en poste dans le même lieu. Alors les contingences matérielles, il s’en fichait bien.

L’officier décrocha le téléphone. L’adjudant Ducrocq requérait sa présence, le cas était grave. Il ne pleuvait pas tous les jours des cadavres à Biscarrosse. Voilà donc ses plans compromis pour son jour de permission. Bye bye char à voile et dégustation de fruits de mer sur la plage d’Arcachon. Ses amis en profiteraient sans lui.

Un SMS et une douche plus tard, il revêtit rapidement son uniforme à trois barrettes blanches et sa casquette. Puis il abandonna l’appartement sans prendre la peine de fermer à clé derrière lui, les voleurs venaient de l’extérieur, rarement des autres logements. D’un pas alerte, il dévala l’escalier qui menait aux bureaux, au rez-de-chaussée de l’unique bâtiment de la brigade. Le jeune gradé se rendit alors sur la plage de la macabre découverte, où l’adjudant Ducrocq supervisait les opérations.

Il se gara dans une des rues perpendiculaires à l’étang, devant l’une des villas des années 1950 basses et blanches qui bordaient le canal. En descendant de voiture, il remarqua un vieux monsieur à la fenêtre. La plupart de ces petites maisons avaient été léguées ou vendues à des personnes qui ne les habitaient pas à l’année. Et leurs rares occupants se trouvaient ce matin-là derrière leurs vitres, aux premières loges, ne manquant rien des opérations de police judiciaire de la brigade territoriale autonome de Biscarrosse. La BTA, disait-on plus simplement.

À proximité, le gendarme Janvier questionnait un petit groupe de badauds tenu à distance, hors du périmètre de sécurité.

— Capitaine ! salua-t-il joignant un hochement de casquette à la parole.

— Qui est la victime ?

— Jocelyne Danglard, quarante-cinq ans, originaire de Biscarrosse, épouse de Pierre Danglard, le conseiller…

— La disparue d’hier après-midi ? le coupa brusquement l’officier.

— Exactement.

L’adjudant Ducrocq vint les rejoindre.

— Il va falloir pratiquer une autopsie, bien sûr, mais d’après le docteur Lefèvre, il ne s’agit pas que d’une noyade, elle a reçu des coups à la tête et aux jambes. Aucun objet sur elle.

— Capitaine, le mari de la victime est ici. Il veut vous voir, le prévint Girard, suivi de près par un Pierre Danglard survolté.

— Vous voyez, je vous l’avais dit que son absence n’était pas normale. Il fallait poursuivre les recherches hier soir. Je vous l’avais dit.

Pierre Danglard fulminait.

— Nous avons patrouillé au lac, tenta de justifier l’adjudant Ducrocq pris à partie par le veuf.

Son supérieur vint à sa rescousse.

— Je peux vous assurer que nous ferons tout notre possible, Monsieur…

Mais la formule banale et d’usage enseignée dans les écoles de gendarmerie ne fit qu’accroître l’impatience de Danglard.

— J’y compte bien !

— Nous allons commencer par interroger ceux qui la connaissaient, mais il faut aussi que l’on vous pose des questions.

L’attitude de Danglard, à la fois désespéré et très en colère, n’était guère engageante, mais le capitaine ne s’en formalisa pas. En fait, le comportement de cet homme lui facilitait la tâche. Il aurait été plus gêné d’interroger un veuf sanglotant.

— Qui aurait pu en vouloir à madame Danglard ? s’enquerra-t-il après avoir demandé au mari de lui répéter ce qu’il avait déjà déclaré la veille.

— Ma femme attirait beaucoup l’attention. Sa situation sociale l’avait placée dans une position enviée par tous, jalousée également par ses vieilles camarades de classe. C’est un microcosme ici, tout le monde connaît tout le monde !

— La jalousie entre amis n’est pas non plus le premier des mobiles de crime, rétorqua, péremptoire, l’officier, qui ne se laissait pas démonter par l’arrogance de son interlocuteur. Pouvez-vous m’indiquer les lieux fréquentés par votre femme ?

— Le centre équestre tous les vendredis après-midi, le tennis club le mardi matin, le salon de beauté de son amie Catherine Marquès, le salon de coiffure en face et le Charity club tous les mois. Nous devions d’ailleurs nous y rendre ce soir.

— Et où étiez-vous hier entre 17 et 18 heures ? demanda le capitaine Lemaître, sur un ton un peu plus sec.

— Vous le savez bien, puisque j’ai accouru chez les Lamboy dès qu’ils m’ont prévenu, répliqua Danglard, tout aussi sèchement.

— Ils ont laissé deux messages sur votre portable avant que vous ne les rappeliez, lui opposa nettement l’adjudant.

— J’étais en voiture, je n’ai pas pu décrocher tout de suite. Je revenais d’une réunion avec des architectes à Bordeaux. Vous pouvez vérifier. La réunion s’est achevée vers 16 heures, j’en suis parti une demi-heure après, le temps de fixer une prochaine date.

Puis, il s’approcha du capitaine et lâcha d’une voix sourde :