La logique des poissons - Jean-Pascal Ansermoz - E-Book

La logique des poissons E-Book

Jean-Pascal Ansermoz

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Beschreibung

Il y avait cet aquarium. Depuis Noël. Vous savez, ce truc ou des poissons vous tirent la langue quand les humains leur tournent le dos et que, si tu réagis en levant la patte, tu te ramasses une remarque désobligeante. Cet aquarium, figurez-vous, il est plein d'eau. Beaucoup d'eau. Et il y a cette pompe qui fait un bruit pas possible en veillant a ce qu'elle ne pourrisse pas. De l'eau pure donc, aérée et fraîche. Et moi j'avais soif... Aristote n'est pas un chat comme les autres. Il se balade de fenetre en fenetre, de balcon en balcon et nous fait découvrir son quartier au travers de tendres et poétiques portraits des habitants qui lui tiennent a cour. < Ari le chat est un fin observateur de la vie qui passe ... Livre attachant et poétique ... a emporter comme remede a tout ennui ! > Micheline Cumant sur Amazon.fr

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Seitenzahl: 112

Veröffentlichungsjahr: 2018

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Ari a dit

- Nouvelle formule, dit-il fièrement en posant le sac de croquettes devant moi.

Il a l'air content. J'aime quand il est content. Ça lui va bien.

Un instant je me suis demandé si je connaissais l'ancienne formule. Certes, le chat qu'ils avaient photographié et qui posait tout aussi fièrement sur le présent emballage avait rajeuni d'une dizaine d'années. Mais je doutais que c'était l'effet nouvelle formule.

Je connaissais aussi assez mon humain pour savoir qu'il s'inquiétait. Mes poignées d'amour le faisait réfléchir. J'avais pris un peu de poids, je l’avoue, juste un peu. Oh, pas grand-chose à vrai dire. Rien d’alarmant. Il y a eu un hiver très rude. Et très long. J'ai peu bougé.

Lui non plus d'ailleurs. Les chemises le boudinaient à présent. Je l'ai surpris plus d'une fois en train d'en essayer une. Mais il se rabattait toujours sur un pull pour finir. J'avais chaud pour lui.

En fait cela a commencé lorsqu'il m'a mesuré le tour de poitrine et la distance entre jarret et grasset. Il a minutieusement noté le tout et s'est affairé sur son ordinateur pour parvenir à un grand soupir. Puis il a mesuré une nouvelle fois. J'ai dû monter sur la balance avec lui. Ensuite il y est monté tout seul, le front plissé comme un Shar Pei. Mais même en surfant sur un autre site Internet il s'est avéré que j'avais plus de trente pour cent de masse graisseuse. Cette pensée adipeuse s'est transformée en souci obèse pour aboutir au bout de quelques nuits agitées à ces croquettes nouvelle formule. Cependant, et pour tout vous dire, il y a du bon lorsqu'un humain se fait du souci pour vous. Depuis quelques jours les attentions ne manquent pas à mon égard.

Il me remplit joyeusement ma gamelle de croquettes avant de partir. J'aime le voir heureux. Je n'ai donc rien dit. Après ma sieste de la mi-journée je me suis aventuré vers mon gueuleton nouvelle formule.

L'une des différences entre le chat et l'homme est la façon de capter la lumière. Elles avaient l'air joyeux, les croquettes. Il y en avait de toutes les couleurs. Appréciable effort. Du coup il m'était facile d'enlever celles aux légumes pour ne garder que celles qui me paraissaient contenir le moins de vitamines. Me prenant au jeu, j'avais tôt fait de les envoyer danser sur le sol de la cuisine. Il fallait leur reconnaître une chose : elles glissaient mieux que celles de l'ancienne formule. Et puisque jouer donne faim arriva le moment où je goûtai la chose.

Étonnant, vraiment étonnant. Je vais maigrir avec ces croquettes c’est certain.

Car je préfère ne rien manger du tout que de me nourrir à la nouvelle formule. Elles m'ont laissé comme un désert dans la bouche avec du sable et de la poussière et une sécheresse au doux parfum de poulet. Il me fallait quelque chose à boire avant que je me racornisse de l'intérieur.

Il y avait cet aquarium. Depuis Noël. Vous savez, ce truc où des poissons vous tirent la langue quand les humains leur tournent le dos et que, si tu réagis en levant la patte, tu te ramasses une remarque désobligeante.

Cet aquarium, figurez-vous, il est plein d'eau. Beaucoup d'eau. Et il y a cette pompe qui fait un bruit pas possible en veillant à ce qu’elle ne pourrisse pas. De l'eau pure donc, aérée et fraîche. Et moi j'avais soif.

Je montai sur le meuble, m’appuyai contre la vitre et puis je vis le couvercle fermé. J’essayai de le faire bouger sans succès pendant que le désert avançait en moi. Je montai même dessus pour voir, mais je dus me rendre à l’évidence. Un aquarium est une forteresse imprenable, même pour un chat assoiffé. Bien sûr, à chaque fois que je regardais à l'intérieur les poissons me tiraient la langue en nageant dans le bonheur.

Au bout de quelques minutes il y avait urgence et j'ai abandonné l’idée de pouvoir m’abreuver dans l’aquarium. Mon bonheur a parfois quelque chose d'un rêve inaccessible. Le mieux serait encore de faire comme les poissons. Être entouré de ce qui rend heureux. C'est ça, la logique des poissons. Si seulement ils ne me tiraient pas la langue tout le temps.

En quittant le meuble pour aller m'abreuver dans les arrosoirs près de la fenêtre j'ai douloureusement compris qu'il n'y a rien dans notre intelligence qui ne soit passé par nos sens.

L'eau avait stagné et sentait plus mauvais que les croquettes.

Mais elle a éteint l'incendie en moi et étanché ma soif nouvelle formule.

TABLE DES HISTOIRES

Le naufrage des caniches

Hors piste

Les ailes d'un ange

Atchoum

Un silence du cœur

En cas de bonheur

Le cœur des lucarnes

Ce qu'aimer veut dire

Dieu seul le sait

GÂTEAU AU CHOCOLAT MOELLEUX

Le naufrage des caniches

Aurélie posa ses sacs sur la banquette de la brasserie. Un instant elle passa en revue ses achats de la journée et sentit son euphorie lentement disparaître. Elle n'aimait pas ce moment où la mauvaise conscience revenait la hanter. Une nouvelle fois, elle avait noyé sa solitude dans le geste compulsif, cherché le bonheur dans des moments fugaces. Certes, elle avait fini par trouver une robe qu'elle pouvait mettre pour aller travailler. Dans une couleur qui allait très bien avec la couleur de ses yeux. Une couleur tendance. Une fois achetée, elle s'était aperçue qu'elle n'avait pas de chaussures qui allaient avec. Puis elle était littéralement tombée sur un collier qui lui allait à merveille. Du coup elle avait acheté les boucles d'oreille assorties. Et puis...

Mais rien n'y fit.

Elle n'avait pas su maîtriser ses impulsions et toute justification la ramenait toujours vers le point de départ : elle était frustrée.

Le serveur interrompit ses réflexions. Il lui fallait quelque chose d'amer et de sucré. À l'image de sa vie. Elle commanda un expresso et une part de gâteau au chocolat.

Quand cela avait-t-il commencé? Aurélie ne se souvenait plus, mais se rappelait que lorsqu’elle était enfant elle nageait dans le bonheur. À l'époque il y en avait partout. Elle n'avait qu'à ouvrir ses bras pour le sentir, qu'à se baisser pour en ramasser. À la pelle.

Et puis elle avait grandi et tout était devenu compliqué. Elle soupira, posa son sac à main à côté d'elle, en sortit un petit miroir de poche avec lequel elle vérifia sa coiffure. Elle toucha ses cheveux par-ci et par-là, tournant la tête un peu à droite, puis à gauche. Elle avait l'air d'un caniche. Il lui fallait absolument prendre rendez-vous chez le coiffeur. Elle prit le temps d'inspecter son visage. Au moins le maquillage n'avait pas bougé. Puis elle troqua le miroir contre son téléphone portable qui n’affichait pas de messages. D'un geste las elle le posa sur la table.

Une solitude grandissante s'installa en elle. Que faire maintenant ? Une nouvelle fois elle parcourut des yeux les logos sur les sacs. Mais ses pensées s’envolèrent et se posèrent sur ce rendez-vous de la veille. Un rendez-vous qu'elle n'aurait jamais dû accepter.

- Plus jamais de rendez-vous arrangé, t'entends ?! Plus jamais, jamais plus...

Elle soupira sachant pertinemment qu'elle ne s'y tiendrait pas. Tu es trop vieille pour ce genre de sottise...

Pourtant tout avait si bien commencé. Une photo que Stéphanie lui avait envoyée. Elle s'était laissé amadouer par ses yeux expressifs, son air nonchalant. Elle avait demandé plus de détails, avait fini par y croire un peu. Un peu beaucoup même. C'est ça de faire confiance à quelqu'un d'autre. Il peut arriver que l’on soit déçu.

Son portable sonna lorsque le serveur posa un expresso devant elle et lui annonça qu'ils n'avaient plus de gâteau au chocolat. Un rapide coup d’œil sur l'écran lui confirma son intuition. Elle n'avait pas envie de lui parler maintenant. Finalement c'était de sa faute et après tout Stéphanie n'avait qu'à se faire un peu de souci. Ça ne ferait de mal à personne. Et ça lui apprendrait.

Elle hésita quand-même un tout petit instant, puis sourit au serveur.

- Cela ne fait rien, merci.

Son sourire se voulait encourageant pendant qu'elle faisait taire son portable d’un doigt. Il hocha la tête.

- Je vous sers autre chose ?

- Merci, tout va bien.

- On a une tarte aux pommes délicieuse...

Elle secoua la tête.

- Vous êtes sûre ?

Elle le regarda un instant surprise, puis elle confirma de la tête.

- Je prendrai juste un expresso.

L'homme haussa les épaules, prit son plateau et s'en alla en direction du bar en débarrassant au passage une tasse près de la fenêtre, laissant le journal où le client l'avait déposé.

- T'as l'air con maintenant !

Absente elle touilla son café alors qu'elle le buvait noir, sans sucre. Lorsqu'elle s'en aperçut, elle retira la cuillère et la posa doucement sur la table en regardant si quelqu'un l'avait vue faire. Mais personne ne faisait attention à elle.

- Qu'est-ce que tu peux être bête parfois ! Elle sourit à sa propre maladresse. Et après tout...

La porte s'ouvrit.

Deux hommes entrèrent, se dirigèrent vers la table au journal. L'un d'eux le prit et le posa sur le bar en commandant à boire. L'autre avait ajusté sa chaise afin de pouvoir regarder dehors. Il s'assit sans enlever son manteau.

Elle prit à nouveau son portable, fit défiler les photos enregistrées. C'est vrai qu'il était beau. Stéphanie avait raison. Il avait ce quelque chose dans le regard, cette fureur de vivre, cette vivacité qu'elle aurait souhaité avoir elle-même.

- Tu te fais du mal. Faudrait pas garder ces photos.

Mais elle ne pouvait se décider à les effacer.

Pas encore.

D'un geste décidé elle jeta le téléphone dans son sac, vida le reste de café d'une traite et se leva. Quelques pièces sur la table et puis elle ramassa ses sacs.

Aurélie les vit arriver de loin. Ils se donnaient la main. La première chose qu'elle remarqua. Ils avaient tous les deux ce regard hébété de ceux qui sont heureux et ne peuvent y croire. Ils venaient dans sa direction. Elle tenait une laisse de l'autre main. Le chien, un Clumber, Aurélie le reconnut de suite, tirait dessus d'une manière enjouée. Et lorsque les deux amoureux la croisèrent, ils lui rappelèrent une fois de plus combien elle aimerait être comme eux.

Stéphanie, qui avait arrangé le rendez-vous de la veille, lui avait transmis une foule de petits détails. Elle ne pouvait se taire lorsque quelque chose la stimulait. Et Aurélie s'était demandé ce qu'il allait penser d'elle. Elle n'avait pas le physique d'une femme exceptionnelle, se trouvait même beaucoup de défauts. Être une femme trentenaire et célibataire n'est pas chose aisée. Fallait correspondre à des idéaux et être forte en même temps.

L'émancipation n'a pas donné que des libertés.

Les sacs devenaient lourds. Elle les posa un instant, les réorganisant de chaque côté. Il fallait un certain équilibre et il lui semblait qu'un côté était plus lourd que l'autre. Le côté gauche peut-être ? Côté cœur ?

Elle tourna au coin de la rue, et faillit trébucher sur les jambes du mendiant qui s'y était installé. Elle se reprit au dernier moment, fit un pas de côté, comme une danseuse, retrouva l'équilibre et se retourna, surprise. Mais lorsqu'elle vit les habits déchirés, les mains aux ongles noirs et le berger allemand dormant à ses côtés, elle en oublia de lui dire quelque chose. Soudain elle se sentit très mal à l'aise avec ses sacs aux noms de marques célèbres et ses soucis. Il avait les yeux clairs, bleu. Bleu comme le ciel en été. Son apparence laissait supposer qu'il vivait dans la rue depuis quelques mois déjà. Il ne fit rien, il la regarda juste.

Et cela suffit.

Elle posa ses sacs parterre, sortit son porte-monnaie. Le son d'une pièce de deux euros qui tombe dans la tasse en fer et Aurélie fourra sa bourse et sa mauvaise conscience dans son sac-à-main, ramassa ses sacs.

- Merci Ma'ame. La voix était enrouée et parlait des petits matins glacials d'avant le printemps.

Aurélie partit sans un dernier regard.

C'était bête de se faire la tête après tout. Elle était arrivée à cette conclusion lorsqu'elle posa ses sacs devant la porte de son appartement pour chercher ses clés. Et lorsqu'elle ferma la porte derrière elle, Aurélie avait pris la décision de remédier à tout ça. Elle envoya un SMS avant même d'enlever son manteau.

Il était sept heures moins cinq du soir lorsque la sonnette retentit. Aurélie ouvrit la porte sur le sourire de Stéphanie.

- Merci pour ton invitation !

De derrière son dos apparut un bouquet de fleurs qu'elle tendit un peu trop rapidement. Ça sentait bon la rose.

- Elles sont magnifiques ! Elles s'embrassèrent.

Pendant qu'Aurélie alla chercher un vase dans la cuisine, Stéphanie s'installa sur le canapé et sourit à la vue de la bouteille de rouge débouchée sur la table basse. Flanquée de deux verres en cristal et de quelques apéritifs à grignoter, elle promettait une belle soirée à venir.

- Je m'en veux, tu sais.

Pas de réponse. Elle entendit de l'eau couler, attendit un instant.

- Je ne savais pas, tu sais. Tu me connais. Je ne t'aurais pas fait tout ce cinéma.

Aurélie entra dans le salon, le vase à la main. Stéphanie avait bien choisi. Les fleurs étaient magnifiques.

- Je sais, je sais. Tu n'y es pour rien.

- Mais il était beau. T'aurais dû le voir.