La Main Enchantée (Histoire macaronique) - Gérard de Nerval - E-Book

La Main Enchantée (Histoire macaronique) E-Book

Gérard de Nerval

0,0

Beschreibung

Un drapier, Eustache Bouteroue, a été provoqué en duel. Effrayé, il va trouver maître Gonin, escamoteur, montreur de singe et sorcier, oeuvrant sur le Pont-Neuf, et lui demande un charme capable de lui assurer la victoire.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 61

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



La Main Enchantée (Histoire macaronique)

La Main Enchantée (Histoire macaronique)I – LA PLACE DAUPHINEII – D’UNE IDÉE FIXEIII – LES GRÈGUES DU MAGISTRATIV – LE PONT-NEUFV – LA BONNE AVENTUREVI – CROIX ET MISÈRESVII – MISÈRES ET CROIXVIII – LA CHIQUENAUDEIX – LE CHÂTEAU-GAILLARDX – LE PRÉ AUX CLERCSXI – OBSESSIONXII – D’ALBERT LE GRAND ET DE LA MORTXIII – OÙ L’AUTEUR PREND LA PAROLEXIV – CONCLUSIONPage de copyright

La Main Enchantée (Histoire macaronique)

Gérard de Nerval

I – LA PLACE DAUPHINE

Rien n’est beau comme ces maisons du siècle dix-septième dont la place Royale offre une si majestueuse réunion. Quand leurs faces de briques, entremêlées et encadrées de cordons et de coins de pierre, et quand leurs fenêtres hautes sont enflammées des rayons splendides du couchant, vous vous sentez, à les voir, la même vénération que devant une Cour des parlements assemblée en robes rouges à revers d’hermine ; et, si ce n’était un puéril rapprochement, on pourrait dire que la longue table verte où ces redoutables magistrats sont rangés en carré figure un peu ce bandeau de tilleuls qui borde les quatre faces de la place Royale et en complète la grave harmonie.

Il est une autre place dans la ville de Paris qui ne cause pas moins de satisfaction par sa régularité et son ordonnance, et qui est, en triangle, à peu près ce que l’autre est en carré. Elle a été bâtie sous le règne de Henri le Grand, qui la nomma place Dauphine et l’on admira alors le peu de temps qu’il fallut à ses bâtiments pour couvrir tout le terrain vague de l’île de la Gourdaine. Ce fut un cruel déplaisir que l’envahissement de ce terrain, pour les clercs, qui venaient s’y ébattre à grand bruit, et pour les avocats qui venaient y méditer leurs plaidoyers : promenade si verte et si fleurie, au sortir de l’infecte cour du Palais.

À peine ces trois rangées de maisons furent-elles dressées sur leurs portiques lourds, chargés et sillonnés de bossages et de refends ; à peine furent-elles revêtues de leurs briques, percées de leurs croisées à balustres et chaperonnées de leurs combles massifs, que la nation des gens de justice envahit la place entière, chacun suivant son grade et ses moyens, c’est-à-dire en raison inverse de l’élévation des étages. Cela devint une sorte de cour des miracles au grand pied, une truanderie de larrons privilégiés, repaire de la gent chiquanouse, comme les autres de la gent argotique ; celui-ci en brique et en pierre, les autres en boue et en bois.

Dans une de ces maisons composant la place Dauphine habitait, vers les dernières années du règne de Henri le Grand, un personnage assez remarquable, ayant pour nom Godinot Chevassut, et pour titre, lieutenant civil du prévôt de Paris ; charge bien lucrative et pénible à la fois en ce siècle où les larrons étaient beaucoup plus nombreux qu’ils ne sont aujourd’hui, tant la probité a diminué depuis dans notre pays de France ! et où le nombre des filles folles de leur corps était beaucoup plus considérable, tant nos mœurs se sont dépravées ! – L’humanité ne changeant guère, on peut dire, comme un vieil auteur, que moins il y a de fripons aux galères, plus il y en a dehors.

Il faut bien dire aussi que les larrons de ce temps-là étaient moins ignobles que ceux du nôtre, et que ce misérable métier était alors une sorte d’art que des jeunes gens de famille ne dédaignaient pas d’exercer.

Bien des capacités refoulées au-dehors et aux pieds d’une société de barrières et de privilèges se développaient fortement dans ce sens ; ennemis plus dangereux aux particuliers qu’à l’État, dont la machine eût peut-être éclaté sans cet échappement. Aussi sans nul doute, la Justice d’alors usait-elle de ménagements envers les larrons distingués, et personne n’exerçait plus volontiers cette tolérance que notre lieutenant civil de la place Dauphine, pour des raisons que vous connaîtrez. En revanche, nul n’était plus sévère pour les maladroits : ceux-là payaient pour les autres et garnissaient les gibets dont Paris alors était ombragé, suivant l’expression de d’Aubigné, à la grande satisfaction des bourgeois, qui n’en étaient que mieux volés, et au grand perfectionnement de l’art de la truche.

Godinot Chevassut était un petit homme replet qui commençait à grisonner et y prenait grand plaisir, contre l’ordinaire des vieillards, parce qu’en blanchissant ses cheveux devaient perdre nécessairement le ton un peu chaud qu’ils avaient de naissance, ce qui lui avait valu le nom désagréable de Rousseau, que ses connaissances substituaient au sien propre, comme plus aisé à prononcer et à retenir. Il avait ensuite des yeux bigles très éveillés, quoique toujours à demi fermés sous leurs épais sourcils, avec une bouche assez fendue, comme les gens qui aiment à rire.

Et cependant, bien que ses traits eussent un air de malice presque continuel, on ne l’entendait jamais rire à grands éclats et, comme disent nos pères, rire d’un pied en carré ; seulement, toutes les fois qu’il lui échappait quelque chose de plaisant, il le ponctuait à la fin d’un ha ! ou d’un ho ! poussé du fond des poumons, mais unique et d’un effet singulier ; et cela arrivait assez fréquemment, car notre magistrat aimait à hérisser sa conversation de pointes, d’équivoques et de propos gaillards, qu’il ne retenait pas même au tribunal. Du reste, c’était un usage général des gens de robe de ce temps, qui a passé aujourd’hui presque entièrement à ceux de la province.

Pour l’achever de peindre, il faudrait lui planter à l’endroit ordinaire un nez long et carré du bout, et puis des oreilles assez petites, non bordées, et d’une finesse d’organe à entendre sonner un quart d’écu d’un quart de lieue, et une pistole de bien plus loin. C’est à ce propos que certain plaideur ayant demandé si M. le lieutenant civil n’avait pas quelques amis qu’on pût solliciter et employer auprès de lui, on lui répondit qu’en effet il y avait des amis dont le Rousseau faisait grand état ; que c’était, entre autres, Monseigneur le Doublon, Messire le Ducat, et même Monsieur l’Écu ; qu’il fallait en faire agir plusieurs ensemble, et que l’on pouvait s’assurer d’être chaudement servi.

II – D’UNE IDÉE FIXE

Il est des gens qui ont plus de sympathie pour telle ou telle grande qualité, telle ou telle vertu singulière. L’un fait plus d’estime de la magnanimité et du courage guerrier, et ne se plaît qu’au récit des beaux faits d’armes ; une autre place au-dessus de tout le génie et les inventions des arts, des lettres ou de la science ; d’autres sont plus touchés de la générosité et des actions vertueuses par où l’on secourt ses semblables et l’on se dévoue pour leur salut, chacun suivant sa pente naturelle. Mais le sentiment particulier de Godinot Chevassut était le même que celui du savant Charles neuvième, à savoir que l’on ne peut établir aucune qualité au-dessus de l’esprit et de l’adresse, et que les gens qui en sont pourvus sont les seuls dignes en ce monde d’être admirés et honorés ; et nulle part il ne trouvait ces qualités plus brillantes et mieux développées que chez la grande nation des tire-laine, matois, coupeurs de bourse et bohèmes, dont la vie généreuse et les tours singuliers se déroulaient tous les jours devant lui avec une variété inépuisable.

Son héros favori était maître François Villon. Parisien, célèbre dans l’art poétique autant que dans l’art de la pince et du croc ; aussi l’Iliade avec l’Énéide, et le roman non moins admirable de Huon de Bordeaux, il les eût donnés pour le poème des Repues franches, et même encore pour la Légende de maître Faifeu, qui sont les épopées versifiées de la nation truande !