La malice de Pélagie - Philippe Laperrouse - E-Book

La malice de Pélagie E-Book

Philippe Laperrouse

0,0
5,99 €

oder
-100%
Sammeln Sie Punkte in unserem Gutscheinprogramm und kaufen Sie E-Books und Hörbücher mit bis zu 100% Rabatt.
Mehr erfahren.
Beschreibung

Pélagie est une jeune femme d’une vingtaine d’années. Elle a un jumeau, Jules. Pélagie et Jules ont été élevés par une mère adoptive, Pauline qui se comporta comme une mère abusive et brutale pendant leur enfance. Par accident, Jules poignarde sa mère, s’ensuit une série d’événements inattendus, aux mains de personnages hauts en couleur…

À PROPOS DE L'AUTEUR

À 71 ans, Philippe Laperrouse vit dans la banlieue lyonnaise, sa région de naissance. Études scientifiques et économiques. Retraité de la fonction publique. Il a publié des romans, des essais, des recueils de nouvelles et deux albums de dessins satiriques. Il a également écrit quelques pièces de théâtre. Il gère un site d’auteur : www.monpied.net , sur lequel on retrouvera toutes ses productions. Outre la littérature, il s’intéresse et pratique à temps perdu la BD, le foot et le jardinage.

Das E-Book können Sie in Legimi-Apps oder einer beliebigen App lesen, die das folgende Format unterstützen:

EPUB
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



 

 

Philippe Laperrouse

La malice de Pélagie

 

1.

Le principal problème, lorsqu’on assassine sa mère adoptive d’un coup de couteau, c’est de se débarrasser du corps. À 14 h 17, c’est ce que se disait Jules en regardant le cadavre étalé sur le carreau de la cuisine.

Jules se serait volontiers dispensé de cette visite, mais – comme chaque semaine – il était passé voir Pauline Boudot en début d’après-midi pour se préoccuper de ses besoins matériels. Elle vivait dans un trois-pièces HLM qu’elle avait réussi à acheter à Bondy, grâce à une activité sur la nature de laquelle le voisinage et la famille fermaient les yeux, mais qui était évoquée à mots couverts dans les arrière-cours.

Sa mort était tragique, mais elle n’avait rien d’étonnant. Elle intervenait dans la suite logique d’une histoire longue et malheureuse.

Malgré le sens du devoir filial que manifestait Jules, Pauline le détestait autant qu’elle haïssait la sœur du jeune homme, Pélagie. Pélagie et son jumeau avaient été confiés à une famille d’accueil dès leur plus jeune âge : les Thomassin. Ce couple de cadres avait fondu après avoir rencontré les bouilles innocentes de Pélagie et Jules, agitant leurs petites mains dans leurs berceaux de nourrisson. Quelques années plus tard, ils avaient cessé de s’émouvoir et renoncé à tout acte éducatif. La charge de travail et les friponneries des jumeaux les avaient dissuadés de poursuivre leur œuvre de bienfaisance.

Le frère et la sœur avaient atterri à l’âge de six ans dans les pattes avides d’argent de Wenceslas et Pauline. L’homme, un polonais employé dans le bâtiment, avait rapidement fait son baluchon, ne supportant plus le tempérament harcelant et acariâtre de sa compagne, qui – du coup – avait retourné sa méchanceté contre ses deux gamins.

Personne ne le savait, à part les intéressés : leur mère d’accueil ne les avait jamais vraiment aimés. La présence des jumeaux chez elle servait à lui permettre d’exprimer sa perversité narcissique et, accessoirement, à lui rapporter un petit revenu. Dans sa mission maternelle, Pauline affectait un dévouement total à l’égard de ses enfants de manière à se faire admirer par son entourage.

Jules et Pélagie avaient été régulièrement malmenés, mais pas suffisamment pour que quiconque s’indigne d’un mauvais traitement. Ils avaient été rabaissés, insultés, mais aucun voisin ne s’en était soucié, à part Mouli, leur seul ami. La mère était duplice : elle les harcelait durement à la maison, tout en présentant un visage avenant et aimant en présence de tiers.

Lorsque Jules et Pélagie atteignirent leur majorité, elle n’osa plus se montrer violente envers eux de peur des réactions de Jules qui avait pris du muscle. Elle avait utilisé des moyens beaucoup plus subtils, cherchant toutes les occasions pour les culpabiliser. Son cheval de bataille était l’ingratitude dont ses deux enfants faisaient preuve à son égard. Elle les avait accueillis et élevés avec amour et tout ce qu’elle avait eu en retour, c’était dédain et ignorance de sa pauvre condition. Le pire se produisit lorsque Jules et Pélagie, à bout de nerfs, trouvèrent les ressources pour s’installer hors du trois-pièces familial. La mère estima publiquement que ses enfants se moquaient complètement de ce qui pouvait lui arriver, alors qu’elle souffrait de toutes sortes de maux graves, selon elle.

Ce jour-là, mercredi 30 octobre, était intervenue la goutte d’eau superflue, celle qui selon l’expression joviale de Mouli, mit le feu aux poudres. Le scénario s’était déroulé simplement : Jules avait séché un stage de formation professionnelle qu’il avait l’obligation de suivre pour obtenir sa maigre indemnité de chômage. Il s’autorisait cette liberté pour s’assurer que sa mère adoptive ne manquait de rien. Il disait souvent que laisser son parent sans soin était un délit que la police et la justice pouvaient punir.

Au cours d’une nouvelle dispute, des mots violents avaient été prononcés. Jules ne se souvenait plus du motif qu’elle avait trouvé pour assouvir sa haine, mais sa mère avait été particulièrement odieuse. Alors qu’elle le poursuivait de pièce en pièce, un adjectif, un seul, avait atteint son tympan : minable ! Là, à cette seconde précise, il se sentit envahi d’une onde de fatigue et d’intolérance qui se transforma en une vague irrésistible d’agressivité. Il s’était saisi d’un couteau à pain. Il n’avait pas l’intention de la tuer, mais la pulsion avait commandé un geste agressif qu’il n’avait pas pu contrôler. La vieille s’effondra en émettant un léger soupir. Une mare brune s’étendait doucement sur le carrelage de la cuisine. Dans les premiers instants, Jules regarda ce désastre en état de sidération, comme si la scène ne le concernait pas.

Puis, il se reprit. Après l’avoir traînée dans la baignoire pour qu’elle finisse de se vider de son sang sans tout tacher, Jules se retira dans la salle à manger pour réfléchir à cette « difficulté ».

Comme toujours, il commença par imaginer des solutions à son acte après l’avoir commis, tout en se disant qu’il aurait dû y penser avant. Et comme toujours en cas d’ennui, il appela deux personnes : sa sœur jumelle Pélagie et Mouli. Ils considéraient leur trio comme indissociable, comme les cinq doigts de la main, c’était l’expression préférée de Jules. Mouli était un copain d’école maternelle. Très tôt, lui et les jumeaux s’étaient distingués par leur capacité à fomenter les plus mauvais coups : vols de cartables, tabassages dans les toilettes, batailles rangées au moyen de projectiles choisis : encriers, yaourts, rouleaux de papier, etc. Bref, l’une des préoccupations essentielles de l’Éducation nationale fut de se débarrasser au plus vite de cette équipe infernale.

Après son forfait, Jules sortit une bière du frigo. Il ne semblait pas particulièrement stressé. Son calme le déconcertait lui-même. Il avait l’impression d’avoir enfin finalisé un boulot qui traînait depuis trop longtemps.

Pélagie fut prise d’un malaise, c’est ce qu’elle inventa dans le bureau de Monsieur Sartapion, dit Tartempion, pour quitter précipitamment son poste. Valère Sartapion avait horreur des employés qui se débrouillaient toujours pour poser des problèmes. Il n’avait pas opposé d’objection valable au départ de Pélagie, surtout lorsqu’elle avait fait semblant de vomir sur sa table de travail. Pélagie n’était pas une salariée très assidue, il aurait fait beau voir qu’en plus, elle soit salissante.

Mouli, Esteban Moulinot pour l’état civil, n’avait pas ce genre de contrainte. Il avait trouvé le moyen probablement illégal d’acquérir sa part – une petite part – dans l’achat d’une salle de fitness avec son copain Théo. Tout en estimant parfaitement superflu de passer des examens de moniteur sportif, il n’hésitait pas à montrer des exercices physiques qui, selon lui, permettraient à ses clientes d’obtenir un corps de rêve. Leurs empressements auprès de lui étaient tels qu’il n’avait même pas à inventer des prétextes pour les prendre par la main ou la taille, lors de mouvements sportifs plus ou moins utiles.

Il avait des épaules d’une largeur interminable, un torse puissant, une musculature à l’avenant. Il avait formé le tout au cours de quelques combats de rue, suivis de plusieurs séjours de courtes durées en prison. À l’appel de Jules, il laissa immédiatement la direction des opérations à Théo, tout en ne pouvant s’empêcher de penser que, cette fois-ci, Jules y était allé un peu fort.

Dans le trois-pièces de la cité des Rosiers, Pélagie avait déjà pris place sur l’un des fauteuils en tissu du salon. Avec Jules, elle avait entrepris l’élaboration du plan de sauvetage que la situation lui semblait nécessiter. Pélagie jugea que son premier devoir était de rassurer son jumeau au cas où il serait traversé par une sorte de remords. Elle lui démontra que la disparition de la prétendue mère que l’État leur avait assignée ne dérangerait personne :

– Ne t’inquiète pas, Jules. Elle a eu ce qu’elle méritait. Si j’avais été là, je t’aurais aidé.

Jules se passa plusieurs fois la main dans ses cheveux bouclés, blond cendré, puis il tripota longuement la canette qu’il avait entre les doigts. Enfin, il plongea ses yeux bleus dans ceux de couleur identique de sa sœur. Ils se ressemblaient évidemment comme des jumeaux, mais le visage de Pélagie offrait un peu plus de rondeurs et d’éclat. Celui de Jules se démarquait par des arêtes prononcées qui lui donnaient un air plus dur. Ils avaient la même façon de froncer les sourcils. Grâce à sa taille fine et sa souplesse naturelle, Pélagie portait le jean à merveille, tandis que son frère paraissait pataud dans n’importe quel vêtement, en l’occurrence un vieux pull gris, usé aux manches et ce qui semblait être un pantalon de velours côtelé.

Dans l’immédiat Pélagie constata des traces de sang sur les mains et les habits de Jules. Ça, ce n’était pas très grave. Elle allait le nettoyer. Le sujet à l’ordre du jour, c’était bien le corps ratatiné dans la baignoire.

Mouli arriva, essoufflé, en s’excusant de son retard.

Aucun des trois protagonistes n’envisagea une seconde de prévenir les forces de l’ordre qui, selon Pélagie, allaient causer toutes sortes de problèmes interminables. Il fallait régler l’épisode au plus vite. En plus, les flics ne comprenaient rien aux affaires de famille, c’était connu.

Comme Pélagie, Mouli admit rapidement que la priorité absolue était de calmer Jules :

– Tu as bien fait, Julot. Je me demande même comment vous avez pu supporter aussi longtemps cette vieille peau.

Puis Mouli ouvrit une autre canette de bière avant de s’asseoir avec ses amis, comme autrefois, lorsqu’ils mettaient au point un solide alibi après avoir commis une grosse bêtise, de façon à ne pas se faire disputer par Pauline. Sauf que cette fois, la bêtise, c’était Pauline elle-même.

2.

Le conciliabule des trois amis dura une heure. En réalité, il se réduisit à un dialogue entre Pélagie et Mouli. Regard perdu dans le vague, Jules prenait peu à peu conscience de la portée de son acte. Il observait ses mains, ses mains d’assassin, comme si elles ne lui appartenaient pas.

La discussion déboucha sur la seule solution possible. Elle s’appelait Porthos, le père de Pauline, leur grand-père adoptif. Autrement dit Amédée qui devait son surnom à l’unique livre qu’il avait ouvert en soixante-quinze ans de vie rurale : Les Trois Mousquetaires.

Épaules rondes, bras noueux, visage de vieux marin éclairé par des yeux bleus malicieux, Porthos restait à son âge une force de la nature. Il cultivait avec acharnement quelques hectares de vignes sur les hauteurs du Roussillon. Il en tirait un vin dont la qualité provoquait régulièrement des controverses animées parmi les spécialistes, mais les anciens du canton s’en satisfaisaient largement parce que d’une part ils n’avaient jamais bu autre chose et que d’autre part, il n’était pas envisageable de contrarier Porthos.

Ce dernier avait perdu son épouse trente ans plus tôt. À cette triste occasion, il avait pu mesurer sa popularité : toute la population de Saillagouse l’avait soutenu en suivant le cercueil de Marie, la femme de sa vie. Il était un homme fondamentalement bon, portant au cœur les valeurs des gens de la terre : le travail et la fraternité. Il n’avait jamais laissé un de ses concitoyens dans la panade. A fortiori, il chérissait Pélagie et Jules, même si ceux-ci qu’il considérait comme ses petits-enfants n’étaient pas de son sang. Les deux gamins lui rendaient son affection au centuple.

Il avait été un éclair de générosité durant les rudes années de leur premier âge. Les vacances que Pélagie et Jules passaient chez Porthos étaient les seuls moments de leurs jeunes vies pendant lesquels la pression sur leurs frêles épaules retombait. Les enfants avaient noué une complicité sans faille avec le vieux qu’ils vénéraient. La mère adoptive savait que son père les cajolait ce qui ne manquait pas de l’exaspérer, mais ces épisodes étaient aussi les périodes où elle pouvait « recevoir » qui elle voulait dans son antre, dont son ancien conjoint s’était enfui dès qu’il avait compris les névroses de sa compagne ainsi que l’origine principale de ses revenus. Certains soirs, le salon du petit appartement de Pauline était le lieu de dépravations dont les commères du quartier s’indignaient tout en rêvant d’y participer. Porthos vivait comme ses ancêtres dans une masure qui fut certainement agréable… dans les années 1800. On croisait souvent quelques poules caquetantes dans la pièce unique de son logis, poursuivies avec fougue par le chien Victor. Le vieux avait passé de rares compromis avec la modernité, dont le téléphone portable. Après d’âpres négociations avec les jumeaux, il avait admis l’utilité de l’engin lorsqu’il se trouvait le nez dans ses pieds de vigne. Dire que le modèle de son mobile était le produit le plus avancé de la technologie sud-coréenne ne serait pas conforme à la réalité. Il n’en avait pas changé depuis six ans, depuis que Pélagie lui avait glissé l’instrument dans les mains en lui montrant les deux ou trois boutons indispensables pour communiquer avec le reste de la planète et en particulier avec elle.

Le coup de fil de Pélagie atteint Porthos au moment où il quittait d’un pas mal assuré, une réunion des vignerons de son village au cours de laquelle les différences entre plusieurs cépages avaient été longuement testées et discutées dans une ambiance chaleureuse.

Pélagie mit rapidement Porthos au courant des derniers évènements. Pour qui le connaissait, et la jeune fille en était, la réaction de l’ancien n’étonna pas. Après quelques jurons glapis en patois local, il fit part de son opinion :

– C’est bien fait pour elle ! Elle n’a que ce qu’elle mérite. Apportez-la, on la glissera dans le béton des fondations de ma nouvelle grange et hop !