La mélodie du sommeil - Léopold Grafé - E-Book

La mélodie du sommeil E-Book

Léopold Grafé

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Beschreibung

La passion ! N’est-elle pas notre moteur, notre raison de vivre ? Je m’appelle Bastien Voyles, je suis pianiste. D’aussi loin que je me souvienne, je me lève chaque jour avec une mélodie différente à l’esprit, composée à l’ombre de mes rêves. C’est ainsi que se révèle à moi la beauté du monde, à travers ces airs qui, tous, me racontent une histoire, m’ouvrent un univers.
Et puis, il y a Léa, au violon, merveilleuse, solaire. Elle et moi devons partager la scène. Le public attend : « vous passez dans trois minutes »…
Un duo romantique transcendé par l’amour de la musique, symbole de la valeur du temps, des échecs à surmonter, d’un soupir, d’un baiser, de la vie, enfin…


À PROPOS DE L'AUTEUR

Léopold Grafé

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Avant-propos

Léopold Grafé est lauréat du Prix Laure Nobels1 – 2019-­2020.

Il a commencé l’écriture de ce roman à 17 ans et y a apposé le point final à 18 ans.

Avec écoute et subtilité, l’auteur a parachevé son texte initial sur la base des conseils judicieux du jury adulte de la Fondation Laure Nobels, de Fidéline Dujeu et de Xavier Vanvaerenbergh. Nous les en remercions chaleureusement.

Les co-présidents de la Fondation Laure Nobels et les éditions Ker y ont apporté le contrôle final.

Nous adressons nos plus vives félicitations à Léopold.

Le Conseil d’Administration de la Fondation Laure Nobels

1 La Fondation Laure Nobels finance la publication et la promotion d’œuvres littéraires en français, écrites par de jeunes auteurs belges. Pour déterminer les bénéficiaires, la Fondation soumet les manuscrits présentés par les jeunes à la lecture critique d’un jury indépendant. Composé d’experts en littérature, celui-ci évalue l’originalité et la qualité des œuvres proposées. Chaque année, un lauréat est récompensé par le Prix de la Fondation Laure Nobels. Les années impaires, celui issu du groupe des 15-19 ans, et les années paires, celui issu du groupe des 20-24 ans. Chaque année, un deuxième lauréat est récompensé par le Prix Jeune Public Brabant wallon de la Fondation Laure Nobels. Chaque prix consiste à introduire sur le marché de la littérature, selon toutes les normes professionnelles en vigueur dans le monde du livre. Plus d’infos : www.fondationlaurenobels.be

Le pommier

Impossible de détourner mon regard du pommier au milieu de la cour. Depuis ma place, au fond du local d’histoire, je perçois la touffeur de son feuillage et les bijoux rouges qui le parsèment. Ce spectacle m’absorbe corps et âme. L’observation périodique de la chute des fruits m’émeut, alors que le soleil de fin de journée détaille les contours de l’arbre, lui confère une prestance divine.

Une pomme tremble, puis choit, rebondit deux petites fois. Cela me semble merveilleux. Je veux rester immergé dans ce spectacle, fixer éternellement l’arbre doré. Mais je suis brutalement sorti de ma rêverie par la sonnerie. Brouhaha de feuilles fourrées à la hâte dans les sacs, crissements de chaises, ébauches de conversations qui participent à l’effervescence de ma vie de lycéen. Je referme mon classeur, range mon manuel. Je jette un œil au tableau afin de vérifier si j’ai noté l’essentiel.

Mon cœur se serre.

Un soleil étoilé de minuit… Elle se lève, sac à l’épaule, glisse sa chaise sous son banc et tourne la tête dans ma direction. Qu’elle est belle ! Sa longue chevelure dorée, aussi fine que des cordes de harpe, virevolte au soleil, rappelant le délié d’une clé de sol. Son regard se perd un instant, ses lèvres esquissent un sourire. C’est un ange.

Elle me semble proche et pourtant si lointaine. Elle reste immobile, à sa place du premier rang, et fixe une plante derrière mon dos.

Une plante ? Derrière mon dos ? Il n’y a pas de plante dans cette classe ! Alors, c’est moi qu’elle… Elle me fixe intensément, puis se met en marche vers ses amies qui l’attendent.

— Léa, tu viens ? On va rater le bus !

— C’est bon, j’arrive !

Je n’ai jamais osé lui parler, malgré ces échanges de regards. Chaque fois, je la regarde s’éloigner avec ses amies, sourire aux lèvres et la démarche guillerette.

— Bastien, c’est quoi, cet air béat ? Tu as l’air défoncé !

Alexandre pose sa main sur mon épaule et rit de bon cœur.

— N’importe quoi ! Je… je la contemple, c’est tout.

— Je te charrie. Encore heureux que tu ne regardes pas Léa comme le pommier de la cour, on aurait vite fait de t’enfermer.

Mon visage doit en dire long, et il m’envoie une tape sur l’épaule, hilare. Son rire est contagieux.

— Toi, il faudrait que tu revoies ton registre de singeries.

— Il est très bien comme ça, mon registre ! Et il serait temps de lui déclarer ta flamme, à ta dulcinée.

Mon cœur s’emballe. Je sens mon visage chauffer. Mon trouble est si intense que je dois faire monter la température de toute la classe.

— Les gars, dit le professeur, je ferme le local et je suppose que vous ne voulez pas rester ici toute la nuit.

Nous traversons les couloirs. Les zébrures que forment les ombres des fenêtres tapissent le sol du bâtiment.

— Je ne vais rien faire, dis-je. Comme si j’allais demander à une fille de sortir avec moi alors que je ne la connais que de vue.

— Alors, va lui parler, patate ! Je parie qu’elle n’attend que ça, et elle désespère, mon vieux ! Tu as remarqué comment elle te regardait ?

Pour tout dire, je l’ai très bien perçu. Cela fait des mois que nous nous regardons de la sorte, sans nous parler. Je n’ose jamais engager la discussion, de peur qu’elle comprenne que je l’aime, et elle ne veut visiblement pas faire le premier pas non plus.

— Je ne suis même pas certain qu’elle me regardait. Peut-être qu’elle vérifiait si elle n’avait pas oublié quelque chose…

— Et puis quoi encore… J’espère que tu te rends compte qu’il n’y a que toi pour regarder des pommiers ou des stylos avec tendresse. Les gens normaux, ils réservent ces regards à leurs congénères !

— Entre le cours de Mercator et un arbre, lequel est le plus intéressant, à ton avis ?

— Touché… Blague à part, pourquoi refuses-tu d’aller lui parler ?

— On ne pourra jamais sortir ensemble… Elle est trop belle, et je ne la mérite pas. C’est un amour impossible.

— Voilà que monsieur se met à parler comme un poète ! Arrête de trouver des excuses, et tente ta chance. Tout ce que tu risques, c’est un râteau… et crois-moi, on s’en remet.

Je souris à cette belle remarque sortie de son moulin à sottises. Il a raison : qu’ai-je à perdre, sinon mes illusions ?

Le soleil de l’après-midi m’éblouit. Dehors, il fait magnifique : un ciel océan s’étend à perte de vue, traversé de petits nuages ; le pommier trône tel un Tarquin sur son trône. Devant la grille, je distingue la Fiat des parents d’Alexandre.

— De toute façon, enchaîne mon ami, tu sais que tu as tort. Le jour où tu lui auras parlé, tu reviendras me voir tout chose et tu crieras victoire… jusqu’à la prochaine fois…

— … où, comme d’habitude, je refuserai d’aller lui parler. J’ai peur qu’elle s’aperçoive que je suis nul. Je connais la chanson !

— Bon, dit-il quand nous arrivons devant la sortie du lycée, c’est bien beau de parler de tes amours, mais mes parents m’attendent. On te raccompagne ?

— C’est gentil, mais j’ai mon premier cours au conservatoire aujourd’hui. Et je préfère y aller à pied pour me changer les idées. Nouveaux lieux, nouvelles craintes !

Alexandre sourit et se gratte la nuque.

— Ah oui, je me souviens maintenant. Tu changes d’académie parce que ton ancien prof était un peu bizarre, non ?

C’est effectivement lié au comportement de mon professeur précédent. La seule évocation de sa personne me met mal à l’aise… Trop exigeant, il avait dépassé les bornes, m’incitant à consulter un psychologue parce que j’avais refusé d’assister à l’un de ses concerts. Ce n’était pas la première fois que ce genre d’abus se produisait, et j’avais préféré m’inscrire dans un autre établissement. Mon choix s’était porté sur le conservatoire Yves-Valentin-Guibert, un lieu réputé pour son enseignement tout en respectant la vie privée de ses étudiants.

— Précisément, dis-je à mon compagnon, et j’espère que mes sept années d’apprentissage se révéleront utiles aujourd’hui…

— Tu es déjà un virtuose. Il suffit que tu t’asseyes face à un piano et le monde entier se met à pleurer ! Il faut juste que tu croies en toi.

Il n’a pas tort, je manque de confiance en moi, mais je doute de ma virtuosité. Musicien depuis ma plus tendre enfance, j’évalue correctement mon niveau par rapport à celui des autres, et force m’est de constater que je souffre de nombreuses lacunes techniques. Pourquoi mon entourage s’échine-t-il à surestimer mes compétences ?

— Il faut toujours que tu exagères…

— Mais oui, c’est ça ! De toute façon, je pourrais encore te bassiner pendant des heures et tu ne me croirais pas…

Il saisit ma main et engage une poigne digne d’un Trump face à un dirigeant étranger. Je le regarde s’éloigner.

— Ne réfléchis pas trop, crie-t-il encore, ça risque de te jouer des tours ! Allez, bonne soirée et profite bien du piano !

Le chemin menant au conservatoire longe la rue des écoles, traverse le parc aux cerisiers rouges, passe devant l’hôpital et coupe enfin par le centre-ville. Autant dire que je dispose d’un bout de temps pour m’adonner à la méditation.

La brise de ce début d’automne me caresse les oreilles. Un bruissement s’élève des arbres, le vent m’ébouriffe les cheveux, une odeur de violette me chatouille le nez. La lueur du soleil s’amenuise. Je suis ébloui par la palette de couleurs qui irise le ciel et le monde qui m’entoure. Un vol de mésanges bleues passe au-dessus de ma tête et je laisse échapper un souffle d’apaisement. Voir la vie rayonner me réjouit.

Pourtant, tout être meurt un jour. Une voix intérieure me rappelle la fatalité de l’existence, l’absurdité de la condition humaine. Chacun est mis au monde pour mourir, et je ne déroge pas à la règle. Cette injustice m’a frappé durant mon enfance, mais j’ai admis son évidence, et l’ai acceptée.

J’ignore pourquoi ce vol d’oiseaux a réveillé de sombres pensées, lesquelles s’éteignent dès mes premiers pas dans le parc. Semblable à un champ fleuri, celui-ci s’étend sur six hectares arborés, parsemés de cerisiers en fleurs. Comment détourner le regard de ce spectacle ? Comment ignorer cette fresque toute de nuances de rose ? Le couchant renforce les nuances des pétales, leur conférant une touche d’or.

J’ai à peine le temps d’aspirer une bouffée d’air parfumé que déjà, je débouche sur la triste place de l’hôpital, que je traverse en hâte. J’arrive enfin dans la grande rue des notes, qui mène au conservatoire. J’aperçois le bâtiment, à la forme extravagante, assemblage irrégulier de feuilles métalliques.

Soudain me revient à l’esprit le dernier échange de regards avec Léa. Il s’était prolongé pendant près d’une minute. Mais à quoi bon ressasser ? Mes pensées ne modifieront pas mon comportement à son égard, pas plus que les reproches d’Alexandre. Cela fait trop longtemps. Qu’un jour, j’ose lui adresser la parole, et la terre se mettra à tourner en sens inverse ! Il est tellement plus simple de rêver d’elle, d’imaginer des discussions enflammées que d’affronter la réalité. Dans le secret de mes songes, je me permets toutes les audaces, mais en face d’elle… Idiot d’un jour, idiot toujours…

Je suis à ce point plongé dans mes réflexions que je franchis le seuil de l’école de musique sans le remarquer. Je suis frappé par l’ampleur du hall et la sonorité de la salle.

— Bienvenue au conservatoire Yves-Valentin-Guibert. Puis-je vous aider ?

— Bonsoir. Je m’appelle Bastien Voyles. Je suis un nouvel élève.

La sympathique demoiselle assise à l’accueil me sourit.

— Bastien ! Nous t’attendions. Laisse-moi t’indiquer où te rendre pour ton premier cours.

Intérieurement, je ressens un serrement, une crainte de l’inconnu. Allons, Bastien, tu ne vas tout de même pas te mettre à bégayer !

— Voilà ! Ton professeur t’attend au local Claude Debussy. Comme tu dois le savoir, il ne s’agit pas d’un cours de piano, mais d’une leçon de multi-musicalité. Tu auras cours avec quatre autres élèves. La ponctualité est de rigueur, mais comme tu es à l’avance, je doute que tu sois de ceux qui me causeront des ennuis !

Je lui réponds par un sourire suave dont j’ai le secret, et saisis la feuille qu’elle me tend. Voilà donc une chose que j’ignorais… Il ne m’a pas été communiqué que la leçon impliquerait la diversité musicale. Qu’importe, pourvu que je n’aie plus affaire à mon ancien professeur !

Je m’éloigne de la réception et me dirige vers l’éventail de marches de l’escalier central, tout en me rendant compte que j’ignore parfaitement où se trouve la salle Debussy. Alors que je m’apprête à rejoindre l’accueil, une voix m’interpelle.

Si j’étais un ange, j’aurais déployé mes ailes à cet instant. Si j’étais une taupe, je me serais rué sous terre pour me cacher immédiatement. Voilà bien la dernière personne que je m’attendais à voir ici. Je l’ai fuie, presque rejetée des centaines de fois. À aucun moment mon esprit n’a imaginé la retrouver en ces lieux.

Tel le soleil étoilé de mes nuits, sa lumière m’éblouit, dissipant la brume qui s’est installée dans mon esprit depuis la sortie des cours. Je laisse échapper un long râle, rappelant un ballon de baudruche en pleine déréliction. Pendant ce moment qui me semble une éternité, l’univers s’effondre devant mes yeux. Face à elle, le temps s’efface. Elle peut tout arrêter, m’envoûter, me soustraire aux contingences…

— Ah, tiens, c’est toi, Léa ?

Bien joué, nigaud ! Sur l’infinité de réponses imaginables, il a fallu que tu prononces la moins naturelle de toutes ! Je suis fait comme un rat : elle vient de comprendre mes sentiments et va m’envoyer balader. Sa réponse transcende néanmoins l’ensemble des scénarios concevables – la fuite, le high-kick – sauf qu’on ne frappe jamais une fille, c’est bien connu –, l’évanouissement, la téléportation, l’envol…

— Toi, ici ? Quelle surprise de te retrouver ! Je ne m’y attendais vraiment pas… Ha ha !

Bon sang de bonsoir… Elle a ri ! Elle m’a parlé et elle a ri ! Le court-circuit qui parcourt le petit pois qui me sert de cerveau fait disjoncter mes connexions neuronales. Je suppose que ma dépolarisation a dû se produire à la vitesse du son ou à une fréquence minime, de telle sorte que ma réponse sort automatiquement.

— Moi non plus… Je ne savais pas que tu jouais d’un instrument, et encore moins au conservatoire !

Et Bastien remporte un point pour la réponse la moins délicate du monde ! Le jeune homme ne quitte plus le peloton ! Quelqu’un pourra-t-il le détrôner ? Je viens à coup sûr de la vexer. Mais quelle mouche m’a piqué ?

— Je suis encore plus étonnée que toi, répond-elle en souriant encore plus. Je suis nouvelle ici depuis aujourd’hui… Je ne savais pas que tu étais élève aussi. Mais j’aurais dû m’en douter : la fois où tu nous avais joué un morceau de piano en classe m’avait envoûtée. C’était clair que tu prenais des cours au conservatoire ! Mais je m’emballe… Une vraie pipelette ! Quand je m’y mets, je ne peux plus m’arrêter.

Une erreur est survenue lors de la lecture du fichier Discussion avec Léa, que voulez-vous faire ? Rien, rien de tout ceci ne devait m’arriver ! Je suis dans un rêve, je vais me réveiller, m’habiller et partir pour l’école. C’est tout le problème des rêves lucides : il y a de quoi s’y méprendre. Mais rien ne se passe. Pas de retour à la réalité, pas de redémarrage du disque dur, pas de réveil. Je suis là, devant Léa, et elle me parle. Malgré mes réponses stupides, elle me répond et me complimente !

Elle se souvient de cette fois où, lors de la fête du printemps, j’avais joué Vector to the Heavens, une des compositions de Yoko Shimomura. Envoûtée… Est-elle idiote ? Ne remarque-t-elle pas que je me pâme ? Fait-elle exprès de me répondre pour m’éconduire plus facilement ensuite ? Je ne sais que penser, si ce n’est que je n’ai plus le choix : je dois lui répondre.

— Merci pour les compliments, ça me va droit au cœur ! Mais je suis également nouveau ici… Avant cela, j’allais à l’académie. J’ai d’ailleurs mon premier cours dans très peu de temps, au local Claude Debussy.

— Vraiment ? Le hasard fait bien les choses : j’ai cours là, moi aussi !

Incroyable… Je suis devenu une marionnette qui suit le rythme imposé par son propriétaire. À ma grande surprise, elle s’approche de moi et me saisit la main. Je n’en reviens pas, elle a fait cela tellement naturellement ! Je suis sur un nuage et je tente tant bien que mal de cacher mon émoi. Sa main, j’ai sa main dans la mienne ! Il m’est désormais loisible d’admirer son visage, loin des clichés emmagasinés au fil des ans.

Ses yeux sont des émeraudes. Elle me semble moins grande, avec ses bras frêles, fins comme des brindilles. Son regard dégage une tristesse voilée par son sourire. Elle m’entraîne et sans commander mes pieds, j’avance à un rythme cadencé.

— On ne doit pas arriver en retard ! Viens, je pense savoir où se trouve le local.