La mission de la louve - Marie Levert - E-Book

La mission de la louve E-Book

Marie Levert

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Beschreibung

Transportée dans le passé, la louve Annaëlle devra faire face à bien des épreuves. Pour rentrer chez elle, il lui faudra faire confiance à un serpent et à un jeune loup Mais sont-ils vraiment ce qu’ils prétendent être ?

Simple pion dans une partie dont elle ne connaît pas les règles, Annaëlle découvrira que, si elle traverse les époques, ce ne sera pas la plus difficile pour elle…

Ce roman destiné aux adultes s’inscrit dans le genre fantastique. Il offre une nouvelle vision de l’Histoire par le biais du voyage dans le temps et l’impact de ce voyage sur les personnages.





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La Mission de la Louve

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Marie LEVERT

 

 

 

1

Au cœur du passé

 

 

Au plus profond d’une forêt canadienne, une meute de loups chassait. Elle était menée par un mâle au sublime pelage argenté. Lui et sa femelle, les alpha, maintenaient bien l’ordre dans la meute, sans toutefois jamais mordre, mais par des claquements de mâchoires dissuasifs.

La meute s’était pour une fois réunie pour chasser, car les proies étaient rares cet été-là. L’hiver devait en effet être l’unique moment où ils se rassemblaient.

Ils cheminaient depuis déjà plusieurs minutes lorsque, soudain, malgré l’absence de vent, et même s’il avait été d’un bleu éclatant quelques secondes auparavant, le ciel se couvrit ; fait encore plus surprenant, un éclair transperça les nuages noirs qui s’étaient amoncelés. Le tonnerre se mit à gronder, et bon nombre de loups levèrent la tête vers le ciel, comme quelque peu anxieux. Toutefois, ils ne se mirent pas à l’abri, car ils venaient de repérer un cerf qui broutait non loin de là.

Les loups l’encerclèrent silencieuse-ment, mais leur proie finit par les sentir et se cabra. Ses redoutables sabots atteignirent un loup à la tête et ce dernier s’effondra. Le cerf en profita pour s’enfuir.

La meute s’apprêtait à le poursuivre lorsqu’un éclair s’abattit sur une bande d’herbes sèches. Comme il n’avait pas plus depuis longtemps, les brins s’enflammèrent aussitôt. Apeurés, et malgré leur faim, les loups firent demi-tour et reprirent le chemin de leurs tanières.

Seule la fille du mâle et de la femelle dominants, argentée comme son père, plus audacieuse que les autres, ne recula pas et alla jusqu’à sauter au-dessus des flammes. Elle se lança à la recherche du cerf ; toutefois, après plusieurs minutes de poursuite infructueuse, elle décida d’abandonner.

Malheureusement, elle se trouvait à présent fort loin de sa meute. De plus, l’orage se déchaînait toujours. Soudain, la foudre s’abattit de nouveau, mais cette fois-ci… de plein fouet sur elle. Elle sombra alors dans l’inconscience.

Lorsqu’elle revint à elle, ce fut comme si tout son esprit avait changé. La connaissance et la réflexion intellectuelles, y compris des notions complexes comme l’inquiétude et surtout, la peur de l’avenir, se firent jour en elle : en fait, la louve venait de développer une intelligence humaine.

D’abord paniquée, elle se demanda ce qui venait de lui arriver, puis tenta d’amener ses réflexions sur un sujet familier, rassurant : sa meute. Elle cligna des yeux, et se rendit compte que, dans sa panique après la foudre et la découverte de ses nouvelles capacités de réflexion, elle ne s’était même pas rendu compte que premièrement, ses pattes ne reposaient plus sur rien de solide et qu’elle était à présent en train de flotter dans les airs, et que deuxièmement, le noir présent était absolu.

Elle était sûre de n’avoir jamais connu de sa vie une telle obscurité ; il ne s’agissait pas de celle, réconfortante, de la nuit qu’elle connaissait, éclairée par la lune et les étoiles, mais c’était une obscurité absolue, digne du néant.

La peur de la louve finit par se changer en colère, puis en fureur, qui monta en elle comme une flamme. Soudain, autour d’elle, apparut tout ce qu’elle connaissait… Y compris la Terre… qui ne ressemblait pas du tout à celle qu’elle avait connue. La louve s’en approcha et put descendre lentement vers le sol, si chaud qu’elle aurait pu mourir calcinée si quelque miracle ne l’avait protégée. Les larmes coulèrent alors des yeux de la louve, en un mouvement qui resterait inédit chez la plupart des autres animaux, car ils ne pourraient pleurer.

Cela fit toutefois apparaître les océans, et les mares autour d’elle, comme si ses larmes avaient eu le pouvoir de les créer et de les aider à se répandre partout. De plus, l’herbe et même les animaux réapparurent peu à peu.

Brusquement, un loup blanc apparut :

« Bien joué, Annaëlle ! Tu as su créer le monde, mais il te reste encore beaucoup de choses à       accomplir ! »

Paniquée de nouveau, la louve n’eut pas la moindre idée de ce que voulait dire son congénère : elle avait créé le monde ? Un monde qui avait pourtant existé bien avant sa naissance ! Mais le loup blanc sourit sans s’expliquer davantage et disparut.

Soudain, un étrange sentiment s’empara de la louve, désormais persuadée de s’être toujours appelée Annaëlle, et ce fut le seul avertissement qu’elle reçut avant qu’un éclat de lumière ne s’empare d’elle et la fasse disparaître.

Lorsqu’elle réapparut, ce fut dans un étrange paysage, avec une rivière où nageaient des poissons, et sur la rive où se trouvaient les plus étranges arbres qu’elle ait jamais vus. Soudain, un de ces arbres fut abattu, déraciné par un animal d’une force prodigieuse. Pendant ce temps, un autre animal jaillissait des buissons avoisinant la rivière.

Le premier était un tyrannosaure, l’autre un tricératops. La louve Annaëlle comprit immédiatement que, comme elle n’avait jamais vus ces animaux, elle… devait avoir changé d’époque.

Le tyrannosaure rugit, saisit le tricératops à la gorge malgré la collerette de ce dernier et referma ses mâchoires. C’était fini.

Étrangement, comme dans l’idée de venger le tricératops, et sans doute rendue plus audacieuse par tout ce qui venait de lui arriver, Annaëlle ne s’enfuit pas, et choisit au contraire d’attaquer ! Elle mordit donc une patte de son adversaire, non sans, bien entendu, éviter ses griffes, mais elle aurait tout aussi bien pu s’attaquer à du métal.

Elle hurla de douleur, mais ce ne fut rien comparé au cri du tyrannosaure, qui entreprit ensuite de la poursuivre.

Annaëlle s’enfuit, poursuivie par son redoutable adversaire, et ne dut son salut qu’à une erreur du tyrannosaure décidé à la tuer, qui écrasa accidentellement les œufs d’une femelle tyrannosaure. Furieuse, cette dernière rugit et s’élança après celui qui l’avait privée de ses petits, ce qui laissa à la louve le temps de se retrouver loin d’eux.

Soudain, contre toute attente, un loup se matérialisa devant elle ! La présence des dinosaures et l’absence des mammifères rendaient sa présence très étrange, sans compter l’étrange manière dont il était apparu : il venait de nulle part !

Annaëlle fut intriguée par tout cela, mais la réaction du loup fut surprenante, car il l’attaqua ! Il la mordit à l’épaule, sans aucune raison ! Annaëlle hurla, puis gronda et mordit à son tour.

Les deux combattants effrayèrent insectes et dinosaures herbivores, qui choisirent prudemment de reculer. Mais le loup inconnu s’avéra vite plus rapide et plus fort qu’Annaëlle. Cette dernière allait avoir totalement le dessous lorsqu’elle souhaita un miracle pour elle.

Il doit bien y avoir une solution pour le vaincre ou lui échapper ! Songea-t-elle.

Le miracle qu’elle souhaitait se produisit sous la forme d’un nouvel éclat de lumière, qui l’entraîna momentanément loin de son adversaire. Mais ce dernier devait disposer d’une aide extérieure, car il se matérialisa au même endroit qu’Annaëlle !

Mais un cobra noir, que le loup n’avait pas repéré tout de suite car concentré sur Annaëlle, se dressa de toute sa taille et mordit le loup, qui s’effondra au bout de quelques minutes.

« Ça va ? Demanda-t-il à notre héroïne.

- Oui, merci. Je m’appelle Annaëlle.

- Seck.

- Est-ce que tu sais pourquoi je change constamment d’endroit depuis quelque temps ?

- Non. Mais j’aimerais que tu viennes avec moi. »

Devant l’hésitation d’Annaëlle, il ajouta :

« Tu n’as rien à perdre. »

La louve finit par se décider à le suivre et hocha la tête.

« Dis, Annaëlle… fit Seck au bout d’un moment.

- Oui ?

- J’ignore pourquoi tu es ici, mais je crois que je sais comment tu peux rentrer chez toi.

- Comment ?

- Ferme les yeux et concentre-toi sur ta forêt. N’oublie pas de penser à moi aussi pour que je       t’accompagne.

- C’est tout ? S’écria Annaëlle.

- Fais-le, ordonna simplement Seck.

Annaëlle obéit… et ils se dématérialisèrent tous les deux.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2

L’éruption

 

Annaëlle et Seck réapparurent… sur la pente escarpée d’une falaise ! Notre louve se servit aussitôt de ses griffes pour tenter de se rattraper, tandis que Seck utilisait ses anneaux pour tirer parti des moindres aspérités de la roche.

Soudain, dans un suprême effort, il parvint à se hisser au sommet.

« Seck ! Viens m’aider ! Hisse-moi ! Supplia Annaëlle.

- Je.. je ne peux pas. Je vais chercher de l’aide !

- Mais... » protesta la louve.

Un bruissement fut sa seule réponse. Elle gronda : elle ne pouvait tenir longtemps ainsi !

Soudain, elle tomba, heureusement sur une corniche. Toutefois, elle ne voyait nul moyen de remonter et regarda en bas ; la mer s’offrit à ses regards, mais l’idée de traverser la vaste étendue d’eau salée ne la tenta aucunement.

Elle se mit à contempler la falaise, lorsqu’elle se rendit compte que celle-ci se fissurait, se fendillait et soudain, s’écroula. Annaëlle paniqua, mais aucun bloc de rocher ne l’atteignit. De plus, cette chute de rocs avait laissé place à une étroite ouverture, semblable à une galerie.

La louve entra dans le passage et y progressa jusqu’à ce qu’il se scinde en deux. Elle choisit le passage de droite, mais il s’achevait en cul-de-sac. Elle revint en arrière et prit cette fois celui de gauche, mais lui aussi se terminait en cul-de-sac.

Perplexe, Annaëlle se demanda si la chance, ou qui ou quoi que ce soit qui l’ait aidée jusqu’ici, se manifesterait à nouveau. Elle eut très vite la réponse lorsqu’elle se concentra, et la paroi du cul-de-sac se fissura à son tour.

Cette fois, Annaëlle s’affola moins, et remua la queue lorsqu’elle vit une ouverture apparaître… Par laquelle perçait le jour. Avec une joie indicible, suprême, elle se retrouva à l’air libre.

Mais au lieu de la forêt qu’elle espérait revoir, elle se retrouva finalement sur une place où un homme parlait avec force gesticulations. Il l’ignora néanmoins totalement, tout comme son auditoire, et la louve préféra partir. Cette fois, son instinct la guidait vers la mer, si redoutée pourtant auparavant.

Elle hésita, et finit par s’y diriger. Elle sauta à l’eau et commença à nager. Le vent ne soufflait pas dans sa direction, ce qui l’empêcha de percevoir l’odeur… d’un autre loup.

Ce dernier la suivit silencieusement, puis bondit, bruyamment cette fois, dans l’eau. Il mordit l’épaule d’Annaëlle, qui hurla et le mordit à son tour. Des deux combattants, l’un devait fatalement tomber à l’eau, et ce fut la louve, qui émergea toutefois, haletante, non sans se demander pourquoi deux loups l’avaient attaquée sans raison ces derniers jours.

Puis elle repéra un tronc d’arbre, comme venu de nulle part, y planta ses griffes et se hissa. Toutefois, son attaquant ne semblait pas disposé à se laisser semer si facilement, aperçut un autre tronc et décida d’utiliser le même moyen de locomotion.

Il approcha de plus en plus vite de sa proie, mais Annaëlle ne se laissa pas faire lorsqu’il grogna. Elle grogna à son tour, mordit et se défendit… jusqu’à la chute dans l’eau de son adversaire.

Annaëlle hésita, sauta à l’eau, chercha mais ne le trouva pas. Elle soupira : pourquoi le sauver alors que ce loup avait tenté de la tuer ? Peut-être parce qu’elle n’était pas comme lui et ne pouvait le laisser mourir sans rien faire. Mais le sort décida que de toute manière, le loup était mort.

Soudain, un troisième éclat de lumière l’emporta, troisième sans compter celui qu’elle avait elle-même provoqué.

La louve se trouvait à présent dans un village, sur la place du marché… au pied d’un volcan. Ses sentiments étaient l’amertume et la colère, mais ce ne serait rien comparé à ce qu’elle ressentirait ensuite. Les humains l’ignorèrent, pour la plupart, mais un petit garçon s’arrêta pour la caresser.

Annaëlle songeait pour la dixième fois peut-être à son étrange situation et à un moyen de s’en sortir lorsqu’un effrayant grondement se fit entendre. Toute activité cessa, tandis qu’un nuage noir émergeait du volcan, se profilait et se précisait.

Puis ce fut l’horreur : des bombes, blocs de roche et de magma en fusion, furent projetés du cratère sur le village. Les premiers hurlements de terreur retentirent, suivis par une débandade ; tous tentèrent de se mettre à l’abri mais hélas, quelques hommes furent tués par les bombes.

L’enfer se déchaîna jusqu’à une heure avancée de l’après-midi, où il sembla se calmer. De son côté, Annaëlle était parvenue à échapper aux bombes grâce à des zigzags et des crochets, et se sentit un peu rassurée, mais pas totalement apaisée lorsque tout cessa.

Entre-temps, face à la situation, certains décidèrent d’évacuer le village, mais la plupart décidèrent de rester, persuadés que ce qu’ils appelaient « la colère des dieux » ne tarderait pas à s’apaiser, et que tout redeviendrait comme avant. Ce fut leur dernière erreur.

En effet, si tout avait paru s’arrêter, ce n’était en quelque sorte que le calme avant la tempête ; cette fois, il y eut un grondement, plus violent encore que le précédent, et la lave émergea enfin. Elle se mit à couler, à une vitesse de quinze kilomètres à l’heure environ, bien trop rapide pour les hommes. Notre louve n’avait pu échapper à la mort que grâce à sa vitesse supérieure de vingt-cinq kilomètre à l’heure.

Pendant ce temps, la lave commençait à tout recouvrir, et les quelques rares habitants encore dehors décidèrent de fuir. Certains se ruèrent vers le rivage et se jetèrent dans leurs barques. D’autres attendirent pour prendre place à bord de plus gros bateaux. Annaëlle se joignit à eux, et ils montèrent dans une grande embarcation.

Entre-temps, la lave avait recouvert tout le village, après que les cendres et les bombes eurent tué ou asphyxié les habitants. Les gens s’étaient en effet naïvement barricadés chez eux, persuadés que leurs maisons les protégerait. Mais ces protections étaient dérisoires, et hormis ceux qui avaient pris place dans les bateaux et quelques personnes qui s’étaient enfuies vers l’intérieur des terres, pas un habitant n’avait survécu.

Annaëlle gémit, choquée par les derniers événements, mais finit par s’endormir. Lorsqu’elle se réveilla, elle se retrouva à terre, persuadée soudain que, dans son sommeil, un éclair avait dû la transporter à une autre époque.

Elle soupira et escalada une colline voisine, non sans se sentir assoiffée. Heureusement pour elle, lorsqu’elle arriva au sommet, une mare s’offrit à sa vue. Elle descendit la colline à petites foulées, et put enfin boire tout son soûl.

A sa stupéfaction, une fois qu’elle eut fini, elle constata que les ondes qu’elle avait faites lorsqu’elle s’était désaltérée s’était rassemblées pour former une flèche. Elle hésita, puis prit la direction indiquée, vers une autre colline. Soudain, son instinct l’avertit d’un grand danger. Mais elle était curieuse de savoir où elle devait aller.

Annaëlle parvint enfin au sommet de la colline et s’arrêta, surprise. Sur une haute colline, devant elle, se découpait la silhouette d’un château-fort.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

3

Le château-fort

 

Tours, remparts crénelés, meurtrières, douves et ponts-levis, Annaëlle voyait un château moyenâgeux pour la première fois, mais les notions implantées en elle lui soufflaient qu’elle se trouvait bien à une époque différente… Mais plus proche de la sienne.

Elle hésitait à avancer lorsqu’elle entendit nettement un gémissement terrifié. Déterminée à secourir celui à qui appartenait cette voix emplie de peur, notre louve s’avança, mais fut repérée immédiatement par deux gardes qui, loin de l’ignorer comme les humains qu’elle avait vus précédemment, se mirent à crier et se ruèrent vers elle.

Mais notre héroïne se montra bien plus prompte qu’eux et se dissimula dans des buissons voisins et tandis que les hommes escaladaient la colline derrière, croyaient-ils, la louve, Annaëlle sauta la douve. Malheureusement, elle se rendit vite compte que rien de ce qu’elle souhaitait ou espérait ne fonctionna : la herse et le pont-levis ne bougèrent pas d’un millimètre.

Soudain, elle sursauta : elle venait d’entre les gardes, accompagnés d’au moins dix chiens et d’autant de personnes. Dans une minute, elle serait prise au piège ! Elle sauta alors par-dessus les douves pour la seconde fois et se dissimula à nouveau dans son buisson. Cette fois, les gardes précédaient et suivaient un carrosse.

Cela facilita la tâche à Annaëlle : on cria en effet d’abaisser le pont-levis, puis de relever la herse, grille qui fermait la cour principale. Annaëlle n’eut plus qu’à les suivre, tête dressée fièrement, comme si elle était la propriétaire des lieux. Lorsqu’elle entra, elle eut soin de se glisser derrière des caisses et toutes sortes d’objets : vases, statues… Un chien la sentit et gronda, mais son maître lui intima l’ordre de se taire.

Annaëlle se glissa dans un passage, qui menait… aux cuisines. Alléchée par l’odeur d’un magnifique faisan qui trônait sur la table, prêt à être rôti, Annaëlle en croqua un morceau, puis un autre et finit par le dévorer en entier. Puis elle repéra une gamelle d’eau et la but, elle aussi en entier.

Or, il se trouvait tout près un gros chien gris-brun à qui cette gamelle appartenait, et il ne souffrait pas que quelqu’un d’autre que la cuisinière y touche. Il se réveilla, cligna des yeux, bâilla, puis se dirigea vers sa gamelle. Elle était vide.

Il aperçut Annaëlle et, avec un grondement de fureur, bondit sur la coupable. Mais, avec une rapidité fulgurante, elle s’enfuit.

Ironiquement, le seigneur du château se proposait précisément de partir ce jour-là à la chasse aux loups. Quelle ne fut donc pas sa surprise, ainsi, qu’au passage, celle de ses invités lorsque la louve arriva dans le salon, toujours poursuivie par le chien.

Hurlements, bruit de verres brisés, ordres lancés de toutes parts formèrent bientôt un désordre et un vacarme indescriptibles. Enfin, Annaëlle, qui avait compris à quoi s’en tenir, fila dans la forêt voisine du château.

Elle entreprit de se nettoyer, et en était à ses oreilles lorsqu’elle perçut un bruissement déjà familier. Elle se retourna pour voir Seck ramper vers elle.

« Tu en as mis, du temps, pour me retrouver !

- Désolé, j’ai cherché de l’aide ,mais ne t’en ai pas trouvée. Ensuite, tu as changé d’époque, et       j’ai mis du temps à y parvenir moi aussi.

- Tu sais à quoi sont dus tous ces changements ? Demanda Annaëlle.

- Non, désolé. Enfin, bref, je suis là. Mais dis-moi, pourquoi t’es-tu retrouvée dans un château       ? Qu’est-ce qui t’y a conduite ? Car je suppose que tu es venue volontairement ?

- Oui, en fait... »

Soudain, un gémissement retentit, très net.

« Qu’est-ce que c’est ? Paniqua Seck.

- C’est ce bruit qui m’a menée ici ! C’est un loup ! Et il doit être en danger ! Allons-y !

- Tu plaisantes ! » protesta Seck.

Mais Annaëlle ne l’attendit même pas et fila entre les arbres. Elle finit par repérer des ruines, qui comprenaient des murs et un escalier, descendit leurs marches et se retrouva face à une grille.       Elle songea au moyen de l’ouvrir, et, comme précédemment, la grille se souleva toute seule. Elle s’engagea dans un étroit souterrain et arriva à ce qui aurait pu ressembler à des prisons humaines. En tout cas, il s’y trouvait une cage, dans laquelle reposait un superbe loup gris.

Il parut effrayé lorsqu’il la vit, mais elle se hâta de déclarer :

« N’aie pas peur, je ne te ferai pas de mal. Comment t'appelles-tu ? murmura Annaëlle.

— Whimper1 , souffla le loup.

- Qui t’a mis là ?

- Moi » fit une voix profonde.

Annaëlle se retourna : un loup gigantesque s’avança vers elle. Pointe des oreilles comprises, il mesurait près d’un mètre cinquante.

Son corps ne semblait constitué que de muscles impressionnants. Son pelage, quant à lui, devait être sorti de la nuit tant il était sombre. Seuls deux yeux jaunes trouaient le noir absolu.

« Ravi de te rencontrer, lança le loup. Je suis Kibosh2 , le dieu créateur de ce monde.

- Mais… commença Annaëlle, je pensais…

- Que tu en étais toi-même la créatrice ? Laisse-moi rire. En fait, je t’ai amenée ici pour le       modifier. Afin que les loups règnent à la place des humains sur le monde entier.

- Jamais je ne m’en prendrai aux humains ! Je n’ai rien contre eux !

- Tu préfères mourir ? Gronda Kibosh.

- Peut-être bien ! Grogna Annaëlle.

- Et Whimper ? Il veut mourir aussi ?

- Non, s’affola Annaëlle. Laisse-le tranquille !

- Alors, joins-toi à moi ! Je dispose d’une armée, et tu pourrais en faire partie, être très       puissante !

- Non ! Il doit y avoir une autre solution !

- Eh bien, tu peux rester en vie avec ton Whimper, à condition que vous ne vous approchiez       jamais des humains. Sinon...

- D’accord, d’accord ! » Accepta rapidement Annaëlle.

Elle crut bien que Kibosh n'allait finalement pas les laisser partir, mais il regarda la cage qui devint rouge et fondit totalement. Whimper se mit à marcher, non sans difficultés, mais, soutenu par Annaëlle, il monta l'escalier et tous deux retrouvèrent enfin la lumière.

Ils s'arrêtèrent un moment pour reprendre leur souffle puis continuèrent d'avancer dans le bois du château jusqu'à ce qu'il retrouve Seck.

« Mais qui est-ce que tu as amené, au juste ? Demanda le serpent.

- Il s'appelle Whimper, expliqua Annaëlle. Il était prisonnier d'un dénommé Kibosh.

- Pardon ? S'étrangla Seck. Vous avez rencontré Kibosh ? Et vous vous en êtes sortis ?

- Euh, oui, d'après ce que je ressens, je vais bien, ironisa Annaëlle. Ça n'est jamais arrivé à       personne d'autre ?

- Non, affirma soudain Whimper. Ceux qui l'ont rencontré... ne sont pas repartis comme ils       étaient venus.

- Et il n'y a rien à faire contre lui ? Whimper ?

- C'est un dieu, fit simplement ce dernier.

- Seck ?

- Je suis d'accord avec Whimper, déclara fermement le serpent. C'est un dieu, cela signifie       donc qu'il est invincible.

- Tout de même...

- Écoute, s'impatienta Seck. Même une armée ne pourrait pas...

- Une armée ? Mais il en a une... On pourrait lui parler et la convaincre de...

- De quoi ? De se joindre à nous ? Contre un dieu immortel et invincible ? Ricana Seck. Tu es       devenue complètement folle ! Ou bien, tu plaisantes vraiment !

- Oui, elle aurait intérêt, en fait » fit une voix.

C'était Kibosh... accompagné par toute une armée de loups.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

4

L’armée de Kibosh

 

« Tu veux mourir tout de suite ? » railla Kibosh.

Annaëlle ne répondit pas ; elle était trop surprise et choquée par l'apparence des loups de l'armée de Kibosh. Ils avaient les yeux injectés de sang, de la bave coulait de leurs mâchoires et leurs oreilles étaient aplaties, leurs pattes tendues et leur poil hérissé. En un mot, leur aspect était terrifiant !

« Je vois qu'il va falloir te faire une petite démonstration... de leur puissance à tous ! » poursuivit Kibosh.

Soudain, il se mit à gronder, d'abord doucement, puis de plus en plus fort. Un loup se mit en place : son magnifique pelage roux brillait sous la lumière du soleil. Un autre loup, d’un gris terne, qui devait l'affronter, se mit face à lui.

De la bave coulait des crocs des deux adversaires ; leur pelage se hérissa et ils tentèrent de se faire chacun le plus impressionnant possible. Puis ils se jetèrent l'un sur l'autre. Ils se mordirent mutuellement, roulèrent sur eux-mêmes, sans cesser un instant de grogner.

Puis ce fut la fin, brusque et inattendue : alors que Pelage-Roux semblait avoir pris l'avantage, Pelage-Gris le saisit à la gorge et fit claquer ses crocs : c'était terminé. Kibosh poussa un hurlement, museau pointé vers le ciel, avec un frétillement de queue, signe de bonheur qu'il ne manifestait guère souvent.

Ensuite, il se tourna vers un loup argenté, très semblable au mâle dominant de la meute d'Annaëlle.

Ce dernier comprit l'ordre muet de Kibosh et bondit sur Pelage-Gris occupé à se lécher. En deux temps trois mouvements, le deuxième loup envoyé par Kibosh mourut.

Suivirent deux autres, pareillement tués. Puis, soudain, le massacre cessa.

Kibosh s'approcha et fit face au loup enragé. Ce dernier vit la possibilité de se gorger encore de sang et voulut sauter sur Kibosh. Mais il ne put même pas faire un pas. Kibosh avait bondi et l'avait paralysé en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire.

Puis Kibosh rendit à son adversaire la possibilité de se mouvoir et, soudain aussi doux qu'un agneau, le loup gris rejoignit ce qui restait de l'armée, soit une bonne cinquantaine de bêtes.

« Tu vois, Annaëlle, qui tu voulais rallier à ta cause ? Ces monstres sans foi ni loi ne       m'obéissent qu'à peine, alors à toi ! conclut le dieu.

— Ce ne sont pas eux les monstres, c'est toi ! s'exclama Whimper. Tu les as fait s'entre-      dévorer, chose qu'ils n'auraient jamais faite s'ils n'avaient pas eu la rage ! Je suppose que       c'est toi qui leur as inoculé le virus ?

— Tu supposes bien ! le félicita Kibosh. Les loups ont, d'ordinaire, plutôt peur des       humains. Là, non seulement nous écraserons les hommes, mais aussi les autres       animaux. La Terre va       devenir le monde d'une seule race : celle des loups ! »

Il ajouta, fanfaron :

« Je vous assure que ce sera bien mieux ainsi. Nous ne craindrons plus rien et nous aurons       à manger à volonté. N'est-ce pas la plus noble des causes ? »

Annaëlle crut défaillir à ces mots : la façon dont Kibosh en parlait, comme s'il discutait du temps qu'il allait bientôt faire...

Mais soudain, le dieu eut un sourire féroce.

« Mes amis, je vous ai assez renseignés sur mon armée. Alors, que décidez-vous ? Vivre       en paria, comme me l'avait proposé Annaëlle, vivre avec moi, ou mourir en luttant       contre moi ? »

Seck siffla.

« Je ne vois pas beaucoup de réponses possibles. J'aimerais bien vivre en paria.

— Moi aussi, fit Whimper.

- A plus ou moins long terme, vous serez du côté des perdants, sourit Kibosh. Mais bon, si       vous ne vous opposez pas à mes projets, je n'ai plus rien à dire. »

Et il se volatilisa avec son armée.

Annaëlle ne put s'empêcher de rire :

« Allons, il n'était pas tout de même pas sérieux avec toute son histoire de conquête du       monde ? »

Il y eut un silence gêné, puis Seck déclara :

« Je crains bien que si ! »

Annaëlle secoua la tête.

« Voyons, c'est impossible ! Il faut être fou pour prétendre pouvoir... »

Whimper l'interrompit :

« Allons ! Tu as bien vu ce qu'il peut faire avec ses soldats ! Moi, je pense qu'il peut       accomplir n'importe quoi. »

 

Pendant cette discussion, deux paires d'yeux les épiaient : la première appartenait à un loup blanc et la deuxième à une louve.

Le loup blanc murmura :

« Je n'aurais jamais cru que cette louve pût être aussi inconsciente.

- Tais-toi ! Gronda la louve argentée qui l'accompagnait. Kibosh nous a ordonnés de les       espionner ; si tu continues à bavarder, ils vont nous entendre, nous, nous n'entendrons rien et       tout son plan partira en fumée. »

Son compagnon obéit pendant environ trente secondes, puis se remit à faire des commentaires :

« On perd notre temps ici. Je parie que pendant ce temps le reste de l'armée s'amuse bien sans       nous. »

Cela lui valut un regard glacial de la louve.

« Tu vas te taire, oui ou non !

— Oui, Maman », répondit son interlocuteur.

Le sarcasme eut le don de rendre « Maman » folle de rage.

« Tu vas voir ce qu'il en coûte de me provoquer, « Papa » ! » hurla-t-elle.

Tac ! La flèche était renvoyée à l'archer.

« Maman » se rua alors sur « Papa » et une magnifique bagarre commença. Les deux loups jappèrent, roulèrent l'un sur l'autre, fous de bonheur de s'amuser un peu. Pendant un instant, « Maman » regretta même de faire partie d'une armée et de devoir, par conséquent, faire souffrir des êtres vivants. Mais cela ne dura hélas que quelques secondes.

« Assez joué, maintenant ! Continuons à les suivre et, surtout, ne fais aucun bruit ! »

« Papa » ne cacha pas sa déception. Il s'énerva :

« Allons, Kibosh connaît tout sur eux ! On n'a nullement besoin de les suivre.

- Au contraire ! On ne sait strictement rien. Savoir qu'ils veulent vivre en paria par exemple       n'est pas du tout un renseignement. Je serais plus tentée de croire qu'Annaëlle a menti à       Kibosh et souhaite rejoindre les hommes.

— On ne peut pas mentir à Kibosh, ricana « Papa ». Il lit la vérité dans les yeux des autres.

— Mais qui t'as dit qu'il ne savait pas qu'elle mentait ?

— Allons, bon, si c'était le cas, il lui aurait réglé son compte tout de suite.

— Non. Il veut d'abord voir jusqu'où elle sera capable d'aller. »

« Papa » ne s'attendait pas du tout à celle-là.

C'est ingénieux, admit-il intérieurement. Ainsi, il la tuera si elle fait mine de s'allier aux       hommes. Dans le cas contraire, il l'épargnera... Peut-être...

 

Cependant, le reste de l'armée n'était pas particulièrement ordonné. Et ils ne s'amusaient pas. A u contraire, les loups enragés passaient leur temps à tenter de se mordre, à grogner, à hurler ; le tout formait une cacophonie épouvantable.

Kibosh dut cracher des boules de glace sur eux pour qu'ils se calment enfin, à contrecœur.

« Assez ! gronda-t-il. Vous vous gorgerez de sang tout votre soûl plus tard. Maintenant, nous       devons attendre dans le calme, et je dis bien dans le calme, le retour de mes espions.

- Quels espions ? interrogea une louve.

- De meilleurs loups que toi, ricana un loup roux.

- Espèce de... Tu vas voir ! »

Un nouveau conflit se profilait à l'horizon et avec lui le risque de voir s'écrouler le plan de Kibosh augmentait de seconde en seconde.

« Arrêtez ! hurla ce dernier. Et toi, Konon, cesse de dire des choses aussi stupides ! Que ça       vous plaise ou non, vous devez vous entendre jusqu'à ce que nous commencions l'attaque qui       pourra nous rendre maîtres de la planète ! »

A ces mots de « maîtres de la planète », un superbe chœur de hurlements de joie fut poussé par l'armée, désormais plus encline à obéir sans broncher à son dieu. Le calme s’installa malgré la faim qui les tenaillait et leur désir de sang inassouvi.

Kibosh contempla longuement l'horizon. Puis il fut rejoint par Konon.

« Tu penses à lui ? demanda-t-il.

— Oui. J'espère, primo, qu'ils n’est pas trop... »

Il y eut un silence éloquent.

« Et j'espère, secundo, qu'il finira par accepter... »

Autre silence éloquent.

« Il acceptera, affirma Konon, il ne peut pas faire autrement.

— La volonté peut réussir à nous faire accomplir bien des choses, répliqua Kibosh, songeur.       Des choses dont on ne se serait même pas cru capable en temps normal.

— J'espère que tu ne t'inclus pas dans les faibles. Tu aurais raison de te croire capable de tout.

— Personne n'est capable de tout.

— Pas même les dieux ? »

Kibosh eut un sourire.

« Les dieux ne peuvent rien contre d'autres dieux. »

Konon sourit également, puis ils éclatèrent de rire.

Enfin, Kibosh ajouta :

« Nous avons deux raisons de nous réjouir.

— Deux ?

— Oui. La première est la conquête du monde, la seconde est, selon nos espions, les grottes des serpents. »

Les rires lupins, c'est-à-dire des loups, exprimés par des hurlements, devaient retentir longtemps cette nuit-là.

Mais autre chose retentit. Du moins pour notre héroïne...

En effet, ailleurs, un gémissement alerta Annaëlle.

« Vous n'avez rien entendu ? s'écria-t-elle.

— Quoi ? grogna Whimper.

— Un gémissement.

— Comment ? Il n'y a rien eu du tout. »

Annaëlle se concentra ; ce fut alors que le gémissement se transforma en mots :

N'allez pas dans la forêt.

 

 

 

 

 

5

Les grottes des serpents

 

 

« Qu'est-ce que tu nous chantes là ? s'écria Whimper. » N’'allez pas dans la forêt ! » Mais       c'est notre domaine !

— Peut-être, mais...

— Whimper a raison, fit Seck. Il n'y a rien à craindre. »

Annaëlle n'en était pas du tout convaincue, mais accepta d'y aller. Ils quittèrent les plaines où ils avaient rencontré Kibosh et prirent le chemin de la forêt qui se dessinait à l'horizon. Derrière eux, les herbes se mirent à bruire : les espions de Kibosh rentraient de leur mission.

Cependant, nos amis atteignirent les premiers arbres. Dès qu'ils pénétrèrent dans la forêt, Annaëlle se sentit mal à l'aise.

« Faisons demi-tour, je vous en prie, gémit-elle.

— Je ne savais pas que tu étais en fait une poule mouillée, s'étonna Whimper.

— Pas du tout, plaisanta Seck, elle est un escargot, puisque, comme eux, elle avance lentement ! »

Ils éclatèrent tous les deux de rire. Annaëlle ne les imita pas. Elle avait de plus en plus peur.

Bientôt, la végétation se fit plus dense. Ils marchèrent longtemps, jusqu'à ce qu'ils atteignent une grotte.

« Reposons-nous là », proposa Seck.

Annaëlle eut aussitôt un pressentiment.

« N'entrez pas là-dedans ! » hurla-t-elle.

Les deux autres sursautèrent.

« Pourquoi ? demanda Whimper.

— Parce qu'il y a le mal. »

Seck éclata de rire.

« Il n'y a absolument rien dans cette grotte, à part mes amis ! Il n'y a aucun problème ! Allez,       viens ! Entrons ! »

Mais à peine étaient-ils entrés, un gigantesque rocher s'écrasa devant l'entrée de la grotte et la bloqua.

« Il n'y a aucun problème, ironisa Annaëlle, dans une superbe imitation de Seck. Mais bien       sûr !

— Il y en a peut-être un, finalement », admit l'intéressé, penaud.

Ils s'avancèrent dans l'obscurité jusqu'à ce qu'Annaëlle perçoive un frottement, vite suivi d'un autre. Elle en discerna une dizaine en tout.

« Qu'est-ce que c'est que ça ? » s'exclama Whimper.

Sa voix se répercuta en écho dans le reste de la grotte et le souterrain qui la prolongeait. Mais nos amis ne pouvaient le voir pour l'instant, car quelque chose l’obstruait.

Soudain, leurs yeux, habitués peu à peu à l'obscurité, virent toute une colonie de serpents : dix cobras noirs.

Annaëlle frémit : elle savait que leur venin était si puissant qu'ils pouvaient tuer un éléphant en quatre heures. Et nos amis étaient loin d'être aussi forts que des éléphants...

« Parle-leur, Seck ! supplia Annaëlle.

— Que veux-tu que je leur dise ?

— N'importe quoi ! Que nous ne faisons que passer ! »

Seck se mit à siffler durant un long moment. Les autres serpents lui répondirent et le plus grand d'entre eux, qui devait mesurer cinq bons mètres, s'avança soudain vers eux.

« C'est mon père : Bromin », murmura Seck.

Ce dernier se mit à siffler avec colère.

« Attends, papa, attends ! » s'écria Seck.

Les cobras rampèrent vers eux et se dressèrent avec des sifflements.

« Non ! » hurla Seck.

De son côté, Annaëlle se décida : autant se défendre ! Elle se jeta sur deux serpents. Elle évita de justesse un coup de crochet, puis saisit l'un d'entre eux à la gorge et referma ses mâchoires.

Mais elle ne vit pas la queue de l'autre, qui, avec un claquement de fouet, la frappa et l'assomma. Elle alla rouler au milieu des autres serpents qui se jetèrent sur elle. Heureusement, Bromin siffla soudain un ordre et ils s'écartèrent.

Cependant, Whimper avait été vaincu par un serpent qui s'était enroulé autour de lui et menaçait de l'étouffer dans ses anneaux. Heureusement, Seck vint à la rescousse et mordit son semblable. Whimper, qui n'avait jusque-là pas réussi à atteindre celui qui l'avait immobilisé, parvint à le vaincre.

« Merci, Seck, gémit-il.

— De rien. Mais on n'est pas encore sortis d'affaire ! »

Il restait en effet huit serpents à éliminer, ainsi que Bromin.

« Je ne suis pas sûr que je pourrais tuer mon père, hésita Seck.

— Sans moi, votre amie aurait été massacrée », fit remarquer Bromin, qui prit enfin la parole.

Ce fut alors que des sifflements retentirent et un serpent femelle finit par s'écrier :

« Cette immonde louve a failli écraser mes œufs !

— Ce n'est pas grave, tu allais les abandonner, fit Bromin.

— Si, c'est grave ! J'allais abandonner mes petits, pas les tuer !

— Vous faites partie des rares animaux qui abandonnent leurs petits à la naissance, répliqua       Whimper.

— Toi, je te signale que les humains font exactement la même chose !

— Ce n'est pas vrai, certains le font, mais les humains sont ceux qui prennent le plus soin de       leur progéniture. Tandis que vous...

— Et ton espèce à toi peut être aussi prise comme modèle, je suppose ? De toute façon,       j'exige réparation ! Bromin, ajouta la femelle serpent, autorise-moi à les tuer !

— Je vous ai autorisés à attaquer ces intrus, précisa Bromin à l'attention de tous les serpents,       pas à les tuer. »

Il ajouta :

« Mon fils Seck est avec eux. »

Il fut aussitôt interrompu par la femelle, furieuse :

« Alors comme ça, tes fils sont plus importants que les miens ? Et, pour ta gouverne, Serra a       déjà essayé d'étouffer le loup gris. Je pense tout simplement que tu es trop lâche pour nous       commander, Bromin. Que ceux qui souhaitent m'avoir pour chef et venger les miens lèvent la       queue ! »

La femelle fut élue à une forte majorité. Seuls trois serpents ne levèrent pas la queue : les deux frères de Seck et un ami de Bromin. Puis Tania, la nouvelle chef, se décida à lancer son premier ordre :

« Attaquez ! »

Cependant, Annaëlle, reprit enfin conscience et se vit encerclée de serpents.

Pendant ce temps, Bromin avait pris sa décision :

Mon autorité est maintenant contestée. Et ces loups semblent vraiment ne nous vouloir aucun       mal. Je vais les aider, songea-t-il.

Il repéra à l'aide de sa langue fourchue l'odeur du souterrain salvateur.

« Seck ! hurla-t-il. Amène tes amis par ici, vite ! »

Seck voulut obéir mais certains serpents lui bloquèrent le passage.

« Laissez mon fils tranquille ! » cria Bromin.

Il y eut divers claquements de mâchoires et de queues, puis l'entrée du souterrain fut libérée pour Seck, Annaëlle et Whimper. Ces derniers se ruèrent en avant et les serpents ne les suivirent pas.

« Allez-y, poursuivez-les ! » s'écria Tania.

Pas un serpent n'obéit.

« Mais qu'est-ce que vous attendez ? poursuivit-elle.

— Ces souterrains sont très dangereux. Jamais aucun d'entre nous n’en est revenu » expliqua       Sedra.

Cependant, nos héros progressaient aussi vite qu'ils le pouvaient.

« Pourquoi personne ne nous suit ? demanda Annaëlle.

— A cause des légendes sur ces lieux. On affirme qu’aucun serpent n'en est revenu vivant,       expliqua Seck.

— Pourquoi ? » voulut savoir Whimper

Il fut vite renseigné : un terrible grondement retentit. Des sifflements semblèrent lui répondre. Légers au début, ils s'amplifièrent et furent suivis d'un lourd silence. Pétrifiés par l'horreur, Annaëlle, Whimper et Seck ne purent plus remuer un muscle.

Ce fut à ce moment-là qu'un ours surgit. Il secoua la tête et ouvrit les mâchoires et laissa retomber le serpent qu'il avait tué. Une vingtaine d'autres gisaient à terre.

Après avoir attentivement observé l'ours, Seck s'écria, horrifié :

« Il est atteint de la rage ! »

Ce n'était que trop vrai : effectivement, le pauvre ours était consumé par le virus mortel. Kibosh avait envisagé de l'inclure dans son armée, mais avait finalement décidé d'en faire le gardien des souterrains.

Quoiqu'il en soit, l'ours se rua sur eux et Annaëlle pria pour que quelque chose les protège. Ce fut alors qu'apparut une sorte de bouclier, dont la lumière mauve fit briller les parois du souterrain. L'ours s'y heurta et grogna.

Ses redoutables griffes grattèrent le halo, qui faiblit. Annaëlle se concentra de toutes ses forces pour le reformer.

Malheureusement, l'ours émit un souffle noir en différents points de la protection et elle disparut totalement.

« Courez ! », hurla Annaëlle.

Cependant, l'ours se mit à parler :

« Pauvres fous ! Personne ne peut m'échapper ! Même ce dieu... »

Avant même qu'il eut pu achever sa phrase, un gigantesque éclair venu de nulle part s'abattit sur lui et le consuma.

Abasourdis, nos amis, après quelques minutes, continuèrent leur chemin.

Whimper songeait à la manière dont l'ours avait été vaincu.

Seul Kibosh aurait pu faire cela, se dit-il.

Annaëlle se demandait quant à elle ce qui se passerait une fois qu'ils seraient sortis de ces souterrains. Peut-être resterait-elle avec Whimper. Par contre, Seck n'avait nullement besoin d’elle et elle envisagea de le chasser dès qu'ils atteindraient l'air libre.

Finalement, ils distinguèrent de la lumière, et ravis, se ruèrent en avant. Hélas, il s'agissait d'une seconde grotte, plus haute de plafond que la première où une trentaine de serpents dormaient. Leurs souffles réguliers semblaient produire un bruit infernal après le lourd silence des galeries, excepté, bien sûr, lors de la rencontre de nos héros avec l'ours enragé.

Annaëlle, Seck et Whimper s’avançaient prudemment vers la sortie lorsque l'une des pattes arrière de Whimper heurta un caillou. Le bruit réveilla les serpents, qui, furieux, se jetèrent sur eux. Une course en S et en crochets commença. Les mâchoires claquèrent et les queues sifflèrent, mais nos amis parvinrent enfin à la sortie.

Bloquée, elle aussi ! Tout comme celle de la première grotte ! Annaëlle se concentra et soudain, un jet de lave en fusion jaillit de sa gueule et fit fondre la roche. Ils passèrent in extremis tandis que, bizarrement, la roche se reformait et bloquait à nouveau l'entrée.

Annaëlle poussa un soupir de soulagement et regarda autour d'elle : ils avaient changé d'époque. Ils traversèrent une place où une superbe statue d’un cheval en plâtre était exposée. Elle était signée Léonard De Vinci.

Quant à Whimper, il sentit de la gaieté dans les propos des habitants, malgré l’inquiétude, dont l’avait informé Kibosh, due aux guerres de religion. En effet, chaque personne suspectée d'être un protestant était impitoyablement poursuivie par les catholiques puis brûlée sur le bûcher ou emprisonnée. Et les voisins se dénonçaient mutuellement pour toucher des récompenses.

Mais cela ne pouvait atteindre réellement nos héros ; ils quittèrent la ville où ils se trouvaient et se dirigèrent tous les trois vers une route à l'horizon. Ils cheminèrent un bon moment et Annaëlle s'apprêtait à demander à Seck de les laisser seuls lorsqu'ils entendirent du bruit.

Seck, inquiet, leur enjoignit de se cacher. Whimper le rejoignit dans un buisson où il s'était déjà dissimulé. Seule Annaëlle resta plantée au milieu du chemin, curieuse de savoir ce qui allait se produire.

 

 

 

 

 

 

 

 

6

La fille de la Renaissance

 

 

Une petite fille foulait la route poussiéreuse. Elle sursauta à la vue d'Annaëlle et s'arrêta, comme paralysée. Très jolie, elle arborait des cheveux bruns mi-longs et ouvrait de grands yeux verts étonnés devant la louve.

Cette dernière secoua la queue en signe de bonne humeur, puis, incapable de déterminer comment réagir, s'assit.

La petite fille, âgée de sept ans environ, hésita. On lui avait expliqué très tôt que les loups étaient des animaux dangereux et elle ne savait trop quelle attitude adopter. Elle choisit finalement de s'asseoir et d'attendre que la louve s'en aille.

Le statu quo dura environ une minute, mais parut une heure à Seck.

« Qu'est-ce qu'elle fait ? » demanda-t-il impatiemment à Whimper.

Le jeune loup ne répondit pas. Il était plein d'admiration

Cette louve ne manque pas de courage, songea-t-il. Oser se confronter aux humains, si       dangereux pour nous, relève soit d'une bravoure exceptionnelle, soit de l'inconscience.

Il pensa alors à Kibosh et eut un frisson.

S'il apprend que nous côtoyons des humains, il nous tuera. Ou pire...

Il n'osait imaginer ce qui pourrait leur arriver, mais était certain d'une chose : la mort ne serait pas la pire des punitions.

Cependant, la fillette se leva. Elle épousseta sa robe et fit un pas en direction d'Annaëlle. Cette dernière, qui s'était allongée, se rassit. Un autre pas. Au pas suivant de la fillette, Annaëlle remua les oreilles d'avant en arrière. Hésitation de la part de la petite fille…Un troisième pas. Enfin, de pas en pas, elle se trouva tout près d'Annaëlle.

Malgré tous ses instincts qui lui criaient de fuir, Annaëlle plongea son regard dans celui de la fillette, qui le lui rendit.

D'ordinaire, c'était ce qu'il ne fallait pas faire, car cela était considéré comme une provocation. Mais Annaëlle sentit qu'elle ne devait pas sauter sur la fillette.

Je n'ai rien à craindre, se répétait-elle. Je n'ai rien à craindre.

Toutes deux restèrent longtemps ainsi, jusqu'à ce que la dompteuse de loups, comme décida de la baptiser Annaëlle, la contourne et s'en aille.

Annaëlle hésita, jeta un coup d'œil au buisson où étaient toujours dissimulés Seck et Whimper, puis suivit sa dompteuse.

Whimper fut sidéré : jamais il ne se serait imaginé un tel coup bas de la part d'Annaëlle. Elle l'avait tout simplement abandonné ! Et sans même un mot ! C'était le comble !

« Tu l'aimes ? » demanda Seck.

Il sursauta. Tout son corps tremblait de rage.

« Non ! Je la déteste ! Ce n'est qu'une sale égoïste ! Elle… Elle... »

Il s'interrompit.

« On part, alors ? demanda le serpent.

— C'est ça. Allons sauver le monde puisque mademoiselle n'y tient pas ! »

Et ils s'éloignèrent.

Pendant ce temps, la dompteuse de loups, toujours suivie par Annaëlle, prit peur. Que diable lui voulait cette louve ? N'allait-elle pas lui sauter dessus ?

Mais la suite devait prouver qu'elle avait tort de s'inquiéter. Elle s'était un peu perdue et se trouvait loin de sa ville natale, Florence, d'où venaient Annaëlle, Seck et Whimper.

Un cours d'eau coulait dans un champ et elle se dirigea vers lui, dans l'espoir que ce champ constituerait un raccourci. Mais soudain, des brigands dissimulés derrière des buissons surgirent, l’attaquèrent, la dépouillèrent de l’unique bourse possédée par sa famille et, pour finir, ils jetèrent la fillette dans la rivière.

Le cours d'eau n'était pas assez profond pour qu'elle se noie mais son débit suffisamment rapide pour l'emporter. Elle se mit à crier.

Annaëlle avait tout vu. Elle se jeta à l'eau et nagea jusqu'à la petite fille. C’est alors que plusieurs arbres qui poussaient sur les rives s'abattirent et formèrent un enchevêtrement inextricable. Annaëlle se retrouva donc prise au piège. Elle plongea mais ne trouva aucune ouverture. Pire encore, les arbres l'empêchèrent de remonter.

Elle était pourtant certaine qu'il y avait eu beaucoup d'ouvertures entre les troncs quand elle avait plongé. Pas assez pour qu'elle puisse y passer son corps mais suffisamment pour qu'elle puisse garder la tête à l'air libre. Or, là, elle se cognait aux troncs.

Pendant ce temps, Whimper et Seck étaient partis en sens inverse, lorsqu'une sorte de décharge intérieure frappa soudain Whimper.

« Qu'est-ce qu'il y a ? demanda Seck.

— Rien. J'ai juste cru sentir quelque chose en moi... Quelque chose d'indéfinissable.

— Où Annaëlle peut-elle être, à ton avis ?