La montée aux enfers - Maurice Magre - E-Book

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Maurice Magre

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Beschreibung

Maurice Magre, 2 mars 1877 à Toulouse et mort le 11 décembre 1941 à Nice, est un écrivain, poète et dramaturge français. Il est un défenseur ardent de l'Occitanie, et contribue grandement à faire connaître le martyre des Cathares du XIIIᵉ siècle

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MAURICE MAGRE

LA MONTÉE AUX ENFERS

—POÉSIES— QUATRIÈME MILLE 1918 

 

 

© 2022 Librorium Editions

 

ISBN : 9782383834137

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LE JARDIN MAUDIT

Dans le jardin maudit je suis venu, moi, l’homme,

Ayant pour conducteur l’être aux yeux de serpent.

Là, la terre est pourrie et les poisons embaument,

Là, les oiseaux du ciel ne vivent qu’en rampant...

Or, les pierres saignaient, la rose était vivante,

J’ai pris la fleur aromatique du sureau,

Elle m’a fait aux doigts une tache sanglante,

Ses pétales gluants se collaient à ma peau.

D’un vivier croupissant sortait une odeur fade.

Des miasmes de typhus par le vent soulevés...

Vers ma face penchaient d’étranges lis malades.

Dans leur calice mort dormait un œil crevé.

Des arbres mous avaient des blessures ouvertes,

Des humeurs ressemblant à celles de la chair,

Et les pousses du bois au lieu de jaillir vertes

Étaient blanchâtres et vivaient comme des nerfs.

Le lait de chaque tige était la sève humaine.

La pivoine semblait un grand cœur arraché.

Dans la fleur du sorbier d’où soufflait une haleine

S’ouvrait un sexe affreusement martyrisé...

Un amandier était fleuri de mains coupées;

Un tronc, comme une femme, avait des cheveux d’or.

J’arrivai près d’un champ de grotesques poupées,

Des enfants dans le sol poussaient là, drus et morts.

Un printemps écœurant d’une chaleur mouillée

Baignait l’arbre de chair et la plante de sang.

La nature par la souffrance travaillée

Créait avec ardeur mille êtres repoussants.

Alors, je vis venir vers moi les créatures.

Impudiques et laids, enfantins et chenus

Et pareils à des échappés de la torture,

Vous trébuchiez et titubiez, hommes tout nus!

Ils étaient boursouflés, extravagants, exsangues.

Celui-ci dans l’œil droit avait un clou de fer,

L’un portait un carcan, l’autre avait une cangue,

Celui-là rayonnait et montrait un cancer.

Et tous, l’être sans dents, l’être aux orbites vides,

L’être dont des grosseurs faisaient le crâne lourd,

Tous étaient satisfaits, tous se trouvaient splendides,

Ils portaient avec eux leur mal avec amour.

Ils ne s’étonnaient pas de la forme des choses,

De la feuille trop pâle et du bois trop laiteux.

Ils pressaient sur leur peau le sang vivant des roses,

Aux tiges tièdes ils buvaient les sucs douteux.

Les saponaires savonneuses des pelouses

Étaient des lits mouillés pour leurs corps maladifs

Et la tulipe obscène et le chardon ventouse

Faisaient vibrer de spasmes fous leurs nerfs à vif.

Ils ont en me voyant poussé des cris de joie

Et l’un m’a fait toucher du doigt le trou sans œil.

Un autre m’a tendu le fer perçant son foie,

Tous m’ont montré leur plaie ouverte avec orgueil.

Ils ont cueilli des fleurs dans le parterre étrange

Et sur ma bouche ils sont venus les écraser

Et j’ai senti le goût humide du mélange

Des végétaux, du suc humain et du baiser.

Un soleil déformé, jaunâtre, bas, énorme

Se reflétait sur des marais de désespoir...

Et les plantes sans nom et les humains difformes

Se mêlaient dans l’éclat du fantastique soir...

Et moi, je n’ai pas fui parmi les crucifères,

J’ai regardé jaunir le jardin sans regrets.

Je me suis rappelé que c’étaient là mes frères,

Que j’allais devenir leur pareil. J’ai pleuré...

—Ayant pris l’être aux yeux de serpent comme guide,

En mars, dans le mois de la guerre, un vendredi,

Moi, l’homme, avec mon cœur qui fut jadis candide,

Voilà ce que j’ai vu dans le jardin maudit.

 

ÉPIGRAPHE

ÉPIGRAPHE

Sans robe, sur le lit, tu t’étais allongée.

Je regardais ton corps et la chambre orangée

Dans la phosphorescence et la chaleur du soir

Se refléter au fond des pâleurs du miroir.

Et tout à coup, je vis les choses familières,

Sous un verdissement bizarre de lumière,

Qui se décomposaient, prolongeaient leurs contours,

Se muaient en êtres humains aux torses courts,

Aux cous trop longs. Je vis les meubles de la chambre

Qui se prenaient entre eux et qui tordaient leurs membres,

Revêtaient une forme à l’aspect animal.

Un palais fantastique et caricatural,

Avec des lacs de chair, de vivantes tentures

Et des contorsions d’obscènes créatures

Et des sexes géants figurant des piliers,

Remplaçait l’endroit cher où, sur ton bras plié,

Reposait en rêvant ta tête éblouissante.

Mais hors du lit, coulant comme une eau jaillissante,

Tu tordis tes cheveux qu’électrisait le soir

Et tu vins écraser tes seins sur le miroir,

Et ton buste d’enfant, souple comme une lame.

Et moi, voyant cela, j’avais peur dans mon âme

Que les bouches et que les bras que tu frôlais

Ne te fissent tomber dans l’étrange palais.

Mais tu ne voyais pas l’architecture folle,

Ni les accouplements, ni les affreux symboles,

Et tu riais devant le miroir argenté

De ta peau de fruit clair et de ta nudité.

 

L’ANE A CORNES

COMBAT DE FEMMES

Elles devaient se battre au couteau, toutes nues...

L’odeur du vin sortait d’un tonneau débouché...

Le bouge rayonnait sous la lumière crue...

Un patron monstrueux lavait le zinc taché...

Les filles attendaient avec des yeux qui flambent,

Couchant leurs corps contre les hommes attablés.

Par la porte du fond on voyait une chambre,

Les housses, la pendule et les draps maculés.

C’est pour ce paradis qu’elles allaient se battre,

Pour s’y vautrer avec l’enfant ensorceleur

Dont les yeux d’assassin et le teint olivâtre

Les changeaient toutes deux en louves en chaleur.

Il fumait et jetait au plafond la fumée.

Les voix se turent. L’on fit cercle avidement.

Les rivales étaient par le rut animées,

Impudiques, elles riaient sauvagement.

Et la blonde semblait une grande génisse

Avec des bas de soie et de puissantes mains.

La brune charriait dans son sang tous les vices

De la rue. Elle avait une odeur de jasmin.

C’était un serpent noir qui portait sur le crâne

Une rose et ses seins étaient fermes et droits.

Pour égayer encor le public qui ricane

Elle fit devant lui danser son ventre étroit.

Et puis les deux couteaux luirent dans l’air opaque,

La sueur ruissela sur les corps furieux,

On entendit les coups sur les membres qui craquent,

Une main empoigna la toison des cheveux.

Les yeux des spectateurs s’exorbitaient de joie,

Ils appelaient le sang par des mots orduriers.

La blonde par la nuque avait saisi sa proie

Et s’efforçait de l’écraser sur le plancher.

Alors, le serpent noir dans le sang qui l’inonde

Roula ses reins presque brisés sous l’étouffoir

Du corps et de son arme ouvrit en deux la blonde

Qui fit: Ahan! comme une bête à l’abattoir.

Les témoins prirent peur et vidèrent la salle.

Le jeune homme toujours fumait paisiblement,

Et la brune, les mains sanglantes, triomphale,

Sur la morte gesticulait obscènement.

Un gramophone au loin berçait la nuit des bouges...

Le pas de la police errait sur les pavés...

Et la chair qui sentait le jasmin, la chair rouge,

Put enfin s’enfoncer au fond du lit rêvé.

Celle qui demeurait vainqueur de la rafale

Des poings épais et du couteau la tailladant,

Geignit d’amour sous le baiser des lèvres mâles

Qui buvaient sa salive et qui mordaient ses dents.

L’autre, selon la loi du faible, n’eut pour couche

Que le plancher pourri maculé de son sang

Et n’eut pour seul baiser que celui d’une mouche

Bleue et verte, qui vint sur elle en bourdonnant...

 

LE JEUNE HOMME AUX CITRONS

La porte était de bronze, étroite, ornementée...

Elle s’ouvrait au fond d’une rue écartée.

Tout de suite une odeur de rose et de jasmin

M’enivra, je suivis une petite main

Qui dans l’ombre sortait d’une manche vert pâle.

Un portique, une salle, un jet d’eau sur des dalles,

Des coussins noirs et des lanternes au plafond

Et de lourds citronniers tout chargés de citrons...

Avec trois fruits d’or clair un jeune homme nu jongle

Il vient de se baigner; l’eau fait briller ses ongles.

Il lance les citrons dans l’air et quelquefois

Une goutte d’argent vole aussi de ses doigts.

Derrière, à pas de loup, marche une jeune fille.

On comprend à ses bras levés, ses yeux qui brillent

Qu’elle va pour jouer le surprendre, baisant

Ses lèvres, étouffant son rire entre ses dents.

Mais je passe... Et c’est une chambre cramoisie

Avec une statue aux hanches amincies

D’une vierge peut-être ou d’un adolescent

Et du marbre du cœur coule un filet de sang,

Car un stylet d’acier traverse son sein gauche.

Et dans l’ombre, une forme à genoux, toute proche.

Fait le geste des mains pour recueillir le sang.

Mais je passe... Le bruit des gonds, le seuil glissant,

Les quartiers morts dormant au bleu des lunes mortes...

—Depuis, j’erre le soir pour retrouver la porte

De bronze et le parfum de rose et de jasmin.

Je gravis des perrons, je touche avec la main

Des heurtoirs et je cherche en les serrures vides

Le jongleur de citrons au visage splendide,

Les gouttes d’eau, la femme et son rire muet,

L’être au sexe inconnu dont le marbre saignait...

 

LA PREMIÈRE NUIT AU COUVENT

Dans sa cellule s’éveilla la carmélite.

Elle tâta d’abord sa tête aux cheveux courts,

Se souvint du froid des ciseaux, de l’eau bénite

Et du bruit du portail fermant ses battants lourds.

Sa chemise grossière abîmait de brûlures

Son corps pur. Toute moite elle avait des frissons.

L’ombre du Christ faisait une caricature...

Elle entendit des voix derrière la cloison...

Et c’étaient les voix de désir, les cris, les plaintes,

Le doux frémissement de la chair sur les draps

Et les gémissements de deux femmes étreintes

Qui ne font plus qu’un corps par la chaîne des bras.

Des pas furtifs glissaient dans le couloir immense.

Elle entr’ouvrit la porte et vit courir ses sœurs

Et toutes relevaient leur robe avec aisance

Et découvraient leurs jambes longues sans pudeur.

Quelque chose d’étrange était dans leur allure

Un rire fou les secouait, faisant saillir

Des seins inattendus et des croupes impures

Sur ces corps qui semblaient de rêve seul fleurir.

Viens avec nous! lui dirent-elles. Leurs mains chaudes

L’entraînèrent. Dehors l’escalier solennel

Et le cloître d’argent sous la lune émeraude

Avaient l’air d’un décor fantastique et cruel...

Avec des ventres gros et des faces lubriques

Des moines à travers les piliers ont surgi,

Saisissant par les reins les nonnes impudiques,

Les renversant, les culbutant avec des cris.

Et les cloches soudain dans les tours retentirent,

Sonnant une danse burlesque, un galop fou,

Et parmi les appels hystériques, les rires,

Les poitrines cognaient et claquaient les genoux.

La novice fuyait avec sa robe ouverte,

Mais de partout, des mains sortaient, la pétrissant,

La roulant sur les dalles froides, l’herbe verte,

Meurtrissant son corps nu d’étreintes jusqu’au sang.

Les grands saints alignés sous les arceaux gothiques

Soulevaient leur robe de pierre en ricanant,

Ou, gardant sur leur socle une pose extatique,

Étaient à son passage horriblement vivants.

Elle courut à la chapelle. Là des vierges

Étalaient sur les croix leur corps crucifié.

Elles riaient dans le clignotement des cierges...

Un prêtre officiait en dansant sur un pied...

A cheval sur un grand balai, la supérieure

Conduisait une farandole dans le chœur,

Et des soupirs, des bruits d’amour, des voix qui pleurent

Venaient des coins obscurs dans des parfums de fleurs.

Et brisée, elle vit, par la porte des cryptes,

Un adolescent nu, mince et brun émerger,

Portant un croissant d’or et des bijoux d’Égypte,

Ayant le torse creux et le buste léger.

Sa chair était de bronze, un triple cercle en jade

Faisait sur son front mat comme un glauque bandeau.

Il marchait lentement parmi les colonnades

Et la fixait de loin avec des yeux vert d’eau.

«Satan, je suis à toi, cria-t-elle, je râle

De plaisir à te voir et tords pour toi mes reins.

Voici toute ma chair offerte sur ces dalles.

Prends-moi sous cette châsse, à l’ombre du lutrin.»

Elle éclatait comme une rose près d’éclore

Et lui la laboura d’un long baiser savant...

«O Satan! O seigneur!» C’était déjà l’aurore...

—Telle fut la première nuit dans le couvent...

 

LE MÉDECIN AVORTEUR

Je suis un médecin louche d’avortements.

Le soir, dans un quartier perdu, secrètement,

Mon logis clandestin s’ouvre aux filles enceintes.

J’écoute leur histoire éternelle, leurs plaintes,

Je tâte le malheur du corps supplicié

Et c’est toujours pareil et j’ai toujours pitié.

Je suis un charlatan aux secrets salutaires

Qui connaît le revers du baiser, la misère

De ces flancs de plaisir qui sont devenus lourds

Et je tue au berceau stérile de l’amour

Avant qu’il ait poussé le cri de la naissance,

L’atome au sexe humain dans le germe en puissance.

Je suis un médecin béni des malheureux,

Car j’apaise les nerfs et je sèche les yeux

Et fais passer la loi des pauvres créatures,

Avant l’inexorable loi de la nature.

Mais vous, races sans nom, vivants indésirés,

Blés corporels qu’aucun soleil n’aura dorés,

Larves aveugles qui mourrez avant de vivre,

Cellules du malheur, c’est moi qui vous délivre

De la séduction, des méchants, des ingrats,

Du baiser qui trahit, de l’amour qu’on n’a pas,

De l’abandon glaçant les chambres solitaires,

Des peines qui rongeaient celles qui vous portèrent,

De tant de maux, de tant de pleurs, en vous jetant

Dans le repos de l’ombre et la paix du néant.

 

LA BALEINE EN RUT

Comme elle avait suivi le poulpe et l’espadon,

Dans des mers charriant les herbes des Florides,

La baleine sentit passer par ses fanons

Le terrestre printemps et ses tiédeurs fluides.

Le soleil descendait parmi les archipels...

Elle courut dans l’or et les phosphorescences

Projetant des jets d’eaux de toute sa puissance,

Pour s’ébrouer parmi des chemins d’arc-en-ciel.

Elle voulut d’abord épouser la chaloupe

Que d’un grand élan fou poussaient les pagayeurs.

Elle approcha ses flancs onctueux de sa poupe

Et la cassa du battement de son grand cœur.

Brûlant de la chaleur d’un sexe gigantesque,

Elle voulut de sa nageoire en éventail

Étreindre une île au corps dentelé d’arabesques

De pierre, avec des seins de craie et de corail.

Elle ne put monter sur elle et dans l’eau bleue,

Cherchant éperdument une forme à saillir,

Avec le battement immense de sa queue

Essaya d’épuiser sa force et son désir.

Mais le rut de la mer vibrait au creux des anses.

Les crabes se prenaient dans leurs pinces entre eux

Et les poissons volants, ivres de jouissance,

Faisaient sur les embruns des cercles lumineux.

Des électricités baignaient le fond des criques.

Le poisson-scie aimait la torpille au long corps.

On entendait mugir les squales hystériques,

La coquille univalve ouvrait un sexe d’or.

Et la baleine alors sentant passer sur elle

La douleur d’être seul familière aux géants,

A travers les bas-fonds aux fleurs surnaturelles

S’élança dans la nuit des abîmes béants.

Mais le peuple des flots fuyait devant sa masse.

Les polypiers fermaient leurs molles cavités.

Les poissons éperdus plongeaient dans les crevasses

Les infusoires verts éteignaient leurs clartés.

Les déserts sous-marins ont des splendeurs si vastes!

C’est là que vous dormez, coques des vaisseaux morts!

Dans cette solitude où l’on ne voit plus d’astres,

La baleine glissa par les courants du nord.

Dans les forêts de madrépores fantastiques,

Broyant avec ses flancs les perles par millions,

Brûlante, elle roula vers les pays arctiques,

Vers la mer froide où les soleils sont sans rayons.

Mais même dans les bleus d’aurore boréale,

Ne projetant que des jets d’eaux cristallisés,

Elle fondait encor les grands icebergs pâles,

Les banquises de neige avec son chaud baiser.

 

L’ANE A CORNES AU PALAIS

L’âne à cornes se vautre au fond du lit de soie.

Parmi le cramoisi des pourpres qui flamboient

Il roule son poil court et ses sabots épais.

Il porte à chaque patte un large bracelet,

Un diadème d’or luit entre ses oreilles.

A genoux près de lui des femmes s’émerveillent,

Suivent ses mouvements avec des yeux ardents,

Baisent avec amour la bave de ses dents.

Lui, rit dans les miroirs et se trémousse aux lampes.

Dans l’or fluide des chevelures il trempe

Ses naseaux mous, il mord pour se distraire un sein,

Ou renverse sous lui quelque corps enfantin

Qu’il possède avec des braiements épouvantables.

Le cortège aux yeux purs des vierges désirables

Se presse alors plus vite aux portes du palais.

Aucun visage de jeune homme ne leur plaît.

Toutes rêvent d’avoir pour poser leur front pâle,

L’âne à cornes royal au dos jauni de gale.

 

LE CHATIMENT DU LUXURIEUX

Il est dans un boudoir aux tentures vivantes

Et touche sans cesser, de la chair et des yeux.

Tous les objets sont des poitrines languissantes.

Il s’enfonce dans un divan gélatineux.

Il hume à pleins poumons l’odeur des sexes fades

Dont l’écœurant bouquet obscurcit son cerveau.

Il les voit par milliers dans les miroirs malades,

Il est illuminé par ces flasques flambeaux.

Lourde et belle, une femme avec des dents pourries,

Se penche sur sa bouche et la baise et la mord.

Dans sa salive et son haleine de carie

Elle verse à la fois le désir et la mort.

Elle se colle à lui, le parcourt et le presse

Et lui donne un plaisir plus cruel qu’un tourment.

Elle le serre avec une telle caresse

Que sa sève s’écoule intarissablement.

Il décroît, s’aplatit, se vide comme une outre,

Mais pour renaître avec un corps qui s’est gâté,

Une chair tachetée et par endroits dissoute

Avec des plaques parsemant sa nudité.

On dirait qu’une mouche énorme et verte pompe

Ses cellules et les substances de son sang

Et qu’une tentacule inlassable, une trompe

De bête, le dévore et tour à tour le rend.

Plus son désir grandit, plus il se décompose

Dans la sueur d’amour du salon corporel.

Il devient dans l’excès des odeurs et des roses

Une tombe vivante, un charnier sensuel.

Les meubles hoquetant autour de lui s’accolent,

Il est enveloppé par d’invisibles mains,

Par l’aspiration de mille bouches molles,

Un peuple jaillissant de jambes et de seins.

Des démons caressants et velus le renversent,

Ses nerfs vibrent jusqu’aux racines des cheveux

Et des doigts en forme de fourche le transpercent,

Il se sent pénétré par des langues de feu.

«Seigneur, dit-il, pitié, mets un sceau sur ma bouche!

Je voudrais allonger et reposer mon dos.

Une heure de sommeil seulement dans la couche

Dont l’étroitesse ne permet que le repos...»

Mais la femme éternelle à la bouche édentée,

La Parque de la terre et qui file la chair

Lui prodigue toujours son haleine gâtée

Et ses reins réguliers et forts comme la mer.

 

L’ANE A CORNES SUR LA TOUR

L’âne à cornes gravit l’escalier de la tour,

Sur les dalles faisant sonner ses sabots lourds...

Les nains au corset bleu, les courtisanes grecques,

Les eunuques, les ruffians et les évêques,

Les mendiants, les sorciers, les nègres, les imans,

Avec les bracelets, les croix, les talismans,

Regardent sur la place, immobiles, la bête

Dont le vent fait gonfler la robe violette