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L'homme existe t-il? Produit d'une nature et d'une culture, il a à devenir une personne capable de liberté, de créativité, de gratuité et de dignité. L'homme est capable de l'Esprit. Par Lui, l'homme est capable de l'infini. Par delà l'individualisme et le collectivisme, s'ouvre ici une troisième voie, le personnalisme, et plus précisément, l'altérité intersubjective. Au delà de la pensée rationaliste et subjective, Zundel ouvre un chemin vers la relation interpersonnelle. Partant de la célèbre phrase de Rimbaud : "Je est un Autre". Il donne a ces trois termes une profondeur infinie. Si la vie humaine a un sens, cette vérité ne se réduit pas à un concept, elle ne peut s'objectiver . Elle n'est pas non plus subjective ; elle s'ouvre sur une vie en dialogue. La vie ne peut que se vivre comme une rencontre, une "histoire à deux", un mystère nuptial. De la rencontre d'un Je et un Tu peut jaillir un dialogue infini par delà les impasses de la raison et de la subjectivité. La vie est échange, partage d'altérité entre personnes. C'est une véritable révolution anthropologique et métaphysique. Nous sortons ici d'une vision du monde statique pour entrer dans une dynamique relationnelle. Le sens de la vie, au delà de la morale et de la mystique spéculative, c'est de vivre avec d'autres dans la Présence d'un troisième, la relation intersubjective. La vie prend sens quand elle s'ouvre au dialogue. Mais ici il n'y a plus de chemin de vie, sinon celui que l'on trace soi-même en marchant.
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Seitenzahl: 396
Veröffentlichungsjahr: 2021
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Livre précédent sur www.bod.fr
Tome I – oraison sur la Vie
Tome II – L’homme en question
INTRODUCTION
UNE RÉVOLUTION
DU PROBLÈME AU MYSTÈRE ?
UNE VIE EN
DIALECTIQUE DE LA LIBERTÉ ET DU DON
PAR-DELÀ LA CONNAISSANCE, l’INCONNAISSANCE ?
LA SEXUALITÉ
LA SCIENCE
L’ART
UNE ANTHROPOLOGIE OUVERTE
OUVERTURE SUR L’ACTUALITÉ
A suivre sur www.bod.fr
Tome III - La question du divin
« Pour découvrir un auteur,
il faut prendre la plante avec toutes ses racines
pour la tourner vers son soleil. » (M. Zundel)
INTRODUCTION
Le sens de la vie ?
L’unique problème : La naissance de l’homme !
UNE RÉVOLUTION ?
Des racines
Une révolution anthropologique
le passage de l’individu à la personne
Notre dignité : une capacité d’infini
Liberté et gratuité
Une anthropologie-théologique
Une révolution morale et mystique
Une révolution herméneutique
Désir, langage, relation et présence
Regard, parole, espace vide
Une révolution épistémologique
Ouverture sur le vrai
La confusion nominaliste de l’Occident
La logique, l’analogique et le dialogique
Recherche de la Vérité
Objectivité, subjectivité et intersubjectivité
Une révolution ontologique
L’être relationnel
L’expérience première : l’émerveillement
Un itinéraire de la conscience de soi vers l’autre
Une révolution spirituelle
L’intériorité ouverte nous dévoile une altérité intersubjective
L’intériorité, berceau du divin dans l’homme
La révolution la plus difficile est métaphysique
Le passage du donné au don
Du désir de l’autre à l’Amour gratuit
La personne comme vitrail de Dieu
La personne comme être de communion
La personne, c’est l’individu transfiguré par le don
DU PROBLÈME AU MYSTÈRE ?
Le vide-créateur au cœur de la communication
Le silence : clef de la communication
Zundel, un témoin du silence
La pédagogie du silence
Un silence qui ouvre sur le Mystère
Le dévoilement d’un troisième terme
Le mystère des personnes comme vie en Christ
De la communication à la communion
UNE VIE EN DIALOGUE
Le dévoilement d’un troisième terme !
Une conversion ici maintenant
« L’échange même de Dieu »
DIALECTIQUE DE LA LIBERTÉ ET DU DON
La liberté, signe de notre grandeur
La liberté, une exigence métaphysique
Cette liberté est un combat contre soi-même
La liberté une épreuve et un choix personnel
La vraie liberté s’accomplit dans le don de soi
L’acte d’être : un itinéraire du donné au don
PAR-DELÀ LA CONNAISSANCE, l’INCONNAISSANCE ?
La connaissance sensible
La connaissance scientifique rationnelle
La connaissance interpersonnelle
Par-delà la connaissance, l’inconnaissance
La connaissance comme mystère nuptial
La relation interpersonnelle
La simplicité du regard
LA SEXUALITÉ
Une théophanie de l’Amour
L’amour sacrement
"Échanger Dieu"
LA SCIENCE
Une théophanie de la vérité
La Science comme chemin vers l’Esprit
Le savant est pris par la vérité dans un lien nuptial
La vérité comme transparence de l’amour
L’ART
Une théophanie de la beauté
L’activité artistique consiste à créer des liens
L’art en sa source
L’art, un itinéraire prophétique
L’art, une ascèse
L’art, une mystique
L’art, un chemin vers le silence
L’épreuve de la beauté :
L’art, une blessure qui débouche sur la lumière
La beauté, une expérience métaphysique
La matière transfigurée par l’amour
UNE ANTHROPOLOGIE OUVERTE
Une anthropologie « en première personne »
L’Autre du désir
Enfer ou paradis, la faute à qui ?
La relation interpersonnelle
Le troisième terme de la communication
Une direction, l’altérité intersubjective
Une attitude, la désappropriation de soi
Psychanalyse du sujet ou nouvelle naissance ?
Métaphysique du désir et vide créateur
Vers une ontologie de la relation
OUVERTURE SUR L’ACTUALITÉ
De la pauvreté et des vraies richesses
Une révolution personnelle, sociale et politique
Une vision cosmique de l’écologie
Ré-enchanter le monde par la beauté
« Oui ou non la vie humaine a-t-elle un sens »
Dans le premier tome de cette trilogie sur « la naissance de Dieu dans l'homme », à travers le désir, l’attente et le vide, mais aussi dans l’émerveillement, la joie, l’humilité et la pauvreté du regard et de l’esprit, nous avons parcouru certains aspects de cet itinéraire spirituel, tel qu’il se dégage de la vie et de l’œuvre de Maurice Zundel. Cet itinéraire d’oraison sur la vie est une initiation au secret des enfants, celui de leur naissance comme fruit de l'union nuptiale entre l’homme et le divin. L’univers est un secret d’amour, « une histoire à deux ». N’est-ce pas le sens, le but ultime et le sommet de la création, comme le suggère la Bible et en particulier le Cantique des cantiques ?
Dans le second tome, cet itinéraire nous mène à remettre en question notre regard sur l’homme et sur le sens de la vie. Depuis que l’homme existe sur terre, l’art, la littérature, les religions et la philosophie ont tenté de réfléchir et d’exprimer cette question essentielle : « Oui ou non la vie humaine a-t-elle un sens, et l’homme a-t-il une destinée ? ». Cette question, toujours sans réponse définitive ne peut s’objectiver, elle est un mystère personnel dans lequel nous sommes tous plongés et pour lequel il n’y a pas de réponse générale, mais seulement un choix et un engagement personnel, unique et différent pour chacun. La vie humaine paraît souvent absurde quand on la regarde de l’extérieur et globalement ; nous ne pouvons plus croire alors ni en l’homme ni en la vie et encore moins en un quelconque dieu. La vie n’a de sens que celui que chacun lui donne en choisissant librement sa propre vie. Toutes les philosophies comme les religions sont des tentatives de répondre de manière générale à cette unique question, mais finalement, il ne peut pas y avoir de réponse imposée ou générale. C’est ce qui montre leurs limites et la vanité de tout esprit de système. Le sens de la vie n’est donné nulle part, aucun système de pensée ne peut le démontrer, c’est à chacun de nous de le trouver et de le montrer humblement et pauvrement par sa vie, avec ses joies, ses souffrances et ses pauvretés. Il n’y a que le consentement personnel, un « oui » inconditionnel à sa propre vie, à son action dans le monde, qu’elle soit morale, scientifique, artistique, caritative, spirituelle ou métaphysique. Accepter sa vie de femme et d’homme, telle qu’elle nous est donnée ici maintenant dans sa richesse, sa pauvreté et sa simplicité, en famille et au travail. Accepter son état de santé physique, moral et psychique transforme notre regard sur nous-mêmes et sur les autres. Ce nouveau regard transfigure la vie. Il rallume la flamme du désir et de l’amour. Il illumine d’un jour nouveau notre vision du monde et du sens de notre existence. Il change nos modes de penser et d’agir, toute notre vie familiale, notre société, nos politiques sociales et économiques. Mais cette révolution n’est pas encore faite, elle est à la fois personnelle et communautaire. Elle est un long exode du désir entre l'esclavage de l'individu, esclave de ses passions et de ses manques et la liberté de la personne capable d’infini, de don et de pardon. C’est ma propre vie, tel que je l’ai construite et éprouvée qui a ce pouvoir de manifester un sens et de dire une parole de vie. En dehors de cette relation à ma propre vie en son jaillissement inépuisable, nos paroles se coupent de leur source et se vident en se réduisant à des abstractions. La vie ne se démontre pas, elle se montre dans sa simplicité et sa beauté au quotidien. La vie ne se rêve pas, elle se vit. Il ne s’agit pas de faire l’histoire de la pensée, mais de raconter la vie de telle personne. Cette manifestation de la vie ne peut être que poétique, c’est au chant de l’invoquer pour suggérer son passage. Ce travail sera donc écrit sous la forme d’un essai, au sens où l’entendait Montaigne. Zundel était opposé à tout esprit de système. Son génie consistait à ouvrir la vie dans toute sa beauté et sa profondeur. Il conduit par l’émerveillement à engendre le désir et nous invitait à la joie et au bonheur de vivre. Toute son œuvre est un itinéraire, un hymne à la joie, une recherche de la vérité et de la personne, une recherche du dieu inconnu et une ouverture sur le vrai quand l’Homme passe l’homme1 pour reprendre certains de ses titres.
Zundel parle d’expérience, il nous fait cette confidence personnelle : le désir a été le moteur essentiel de sa vie. Débarrassé du besoin et du manque, Zundel nous libère de la logique de la violence mimétique pour nous conduire à la logique de la liberté et du don et de l’amour. L’expérience et la réflexion de Zundel, à partir de cette petite phrase de Rimbaud « Je est un Autre », le conduit à une véritable révolution anthropologique, herméneutique, épistémologique, ontologique, métaphysique et éthique.
La Bible nous fait le récit de cette longue naissance de la liberté et du respect de l’homme à travers la transformation du désir de la violence en désir du don. Le mystère de l'homme est la seule question qui mérite d'être posée : « la tâche spécifiquement humaine… est de se faire homme ; tous nos problèmes confluent vers cet unique problème2. » Pour croire au mystère du divin, il faut commencer par croire en l’homme. Zundel aimait raconter cette histoire : « Le Père Pio… un homme très simple, tout entier plongé en Dieu, cet homme reçut un jour la visite d’un de ces innombrables pèlerins qui lui dit : "Mon Père, je suis venu entraîné par des amis, je suis venu pour vous voir, mais il faut que je vous dise très loyalement que je ne crois pas en Dieu," et le Père Pio lui fit cette réponse étonnante et magnifique : "Qu’importe ! Dieu croit en vous," Dieu croit en vous3. » Dieu s’est fait homme, car il croit en l’homme possible ; l’individu, que nous sommes, a le droit et le devoir de se faire homme.
Pour mieux comprendre la démarche de Zundel et sa réflexion sur le mystère de la liberté, du désir, de la relation et de la personne, il est bon de commencer par la situer d’abord dans son époque et dans son univers culturel et philosophique. Zundel, lui-même écrivait que pour découvrir un auteur : « Il faut prendre la plante avec toutes ses racines pour la tourner vers son soleil4 . » Nous verrons les rencontres décisives qui ont marqué l’homme, sa méthode, son action et sa réflexion. Son point de départ, c’est l’homme dans sa vie concrète enracinée dans la culture francophone du XXe siècle et son soleil, c’est la présence intérieure du divin dans l’homme. « Pour comprendre l’œuvre d’un artiste, rien n’est plus instructif, après avoir étudié sa dernière création, la plus parfaite, que de reprendre toute la série de ses ouvrages, afin de saisir la continuité progressive de son élan 5 . » Les deux derniers livres écrits et publiés par Maurice Zundel sont Je est un Autre et la retraite au Vatican Quel homme et quel Dieu ? Ces titres résument en quelques mots notre propos et le fil conducteur de notre travail. Cette recherche des sources et de la genèse de la pensée de Zundel reste à poursuivre pour comprendre la cohérence profonde de la vie comme de la pensée de l’auteur. Une mise en perspective, entre Zundel et un certain nombre de ses contemporains, aidera à mieux le situer dans le paysage de son temps et à ouvrir de nouvelles perspectives avec les questions qui se posent aujourd’hui à l’humanité.
1 Quelques-uns des titres de ses livres
2 M. Zundel, « être ou ne pas être » dans Choisir, 29 (1962), p 16.
3 M. Zundel, Lycée Claude Fauriel, Saint-Étienne, 1957/1958, p. 20.
4 Dédicace manuscrite de M. Zundel, sur le livre Recherche de la Personne offert à Jacques et Raïssa Maritain, à Kolbsheim, Archives Maritain.
5 M. Zundel, RC, p. 132.
Qu’est-ce que l’HOMME, pour que tu t’en souviennes, un fils d’Adam, pour que tu t’en occupes ? Psaume VIII, 5
Zundel n’est pas un astre solitaire, il appartient à une constellation où l’on retrouve des personnalités aussi diverses que les philosophes de son époque (personnalistes 7 et spiritualistes français 8 et ceux des sciences 9 ), dont il s’est largement inspiré dans ses réflexions sur la Vérité 10. Nourri également par le renouveau des études patristiques sur les pères grecs11 et par les grands mystiques d’Occident, il effectue lui aussi une démarche d’exploration de la vie intérieure, en analysant le sens de la vie et le mystère de la personne humaine à partir de sa propre expérience humaine et spirituelle et de celles des mystiques. Il faut donc se garder de vouloir comprendre certains textes de Zundel en les sortant de leur contexte, et principalement en les coupant de leurs racines et du milieu qui les a vus naître.
« Oui ou non la vie humaine a-t-elle un sens et l’homme a-t-il une destinée ? »12 Zundel revient sans cesse sur cette question fondamentale dans ses livres comme dans ses conférences : L’Homme passe l’homme. L’homme existe-t-il ? Croyez-vous en l’homme ?
Le séjour de Zundel à Paris, dans les années 1928-1930, lui a permis d’être en contact avec la plupart des écrivains et les philosophes parisiens de cette époque. « La permanence du spiritualisme en France, malgré tous les obstacles qu’il rencontre, est à mon avis, un des traits les plus importants de notre philosophie actuelle… Elle a le goût et la saveur de la vie intérieure, tels qu’on les trouve chez Maine du Biran, et ce sens de la morale qui donne aux moralistes français une place exceptionnelle. Cette tradition qui persiste chez nous, Bergson et Blondel l’ont animée d’une vie nouvelle13. » Puisées dans la Somme théologique de Saint Thomas d’Aquin, la notion de personne et la question de la connaissance s’accomplissent dans le désir, la relation et la gratuité. La contemplation et l’union humano-divine conduisent Zundel à cette coïncidence des opposés. La pensée et l’expérience intérieure de Zundel se situent dans le courant du réalisme spirituel français du début du siècle. Il prolonge leurs recherches en ouvrant le monde de la connaissance à la relation interpersonnelle. La synthèse entre les deux ordres du naturel et du surnaturel s’inscrit dans la dynamique du désir et de la volonté. Rien ne peut limiter le désir, c’est cette capacité d’infini qui est le lieu et le lien entre l’homme et le divin.
Si la pensée de Zundel s’inscrit dans le personnalisme français, elle est souvent en opposition avec l’idéalisme allemand 14 . Elle s’enracine en Occident dans la réflexion médiévale sur la notion de personne et dans l’Orient chrétien des pères grecs et la philosophie russe du début du XXe s. Olivier Clément écrivait : « J’ai trouvé chez Zundel, une remarquable consonance avec la pensée dont je suis nourri, celle des Pères, de Dostoïevski, des philosophes religieux et théologiens russes du vingtième siècle, dont la plupart ont achevé leur œuvre en France et notamment parmi eux, Nicolas Berdiaev15. » Zundel a rencontré16 Berdiaev lui-même chez Maritain à Clamart. Il a longuement lu et annoté plusieurs de ses écrits17. Scandalisés par le contraste entre l’esprit de vérité et d’amour reçu du christianisme et l’esprit de la civilisation mécanisée de leur époque, ils engagent leur existence dans le combat pour le respect de la personne. Mounier, grâce à Maritain, organise ainsi chez lui des rencontres dans les années 1925-1930, pour des réunions intimes consacrées à la mystique avec "la fleur du catholicisme français." 18 Toutes ces personnalités fréquentent également les Bénédictines de la rue Monsieur et c’est là qu’elles ont écouté et rencontré Maurice Zundel19. C’est rue Monsieur, qu’un jour, de passage à Paris, Monseigneur Montini, le futur pape Paul VI, écouta Zundel et le remarqua.
Pour bien comprendre ce qu’est une personne, il importe de bien distinguer entre personne et individu. L’individu est engendré par l’espèce alors que la personne est une création divine. La personne ne naît pas, « elle est créée par Dieu20 », « elle n’est pas un produit du processus génétique et cosmique, elle émane de Dieu. Elle montre que l’homme est le point d’intersection de deux mondes, qu’une lutte se livre entre l’esprit et la nature, entre la liberté et la nécessité. 21 » « L’individu est lié au monde matériel, il en vit, mais en tant qu’individu, … il n’est pas lui-même universel.… La personne n’est pas une catégorie naturaliste ; elle est une catégorie spirituelle22. » « La personne constitue précisément l’image de Dieu dans l’homme, elle est spirituelle et implique le monde de l’esprit 23 . » Ainsi « elle est infiniment théandrique 24 . » « La personne est inséparable de l’amour… il n’y a pas de personne sans passion, comme il n’y a pas de génie sans passion. L’amour est le chemin qui conduit vers la réalisation de la personne25. » L’amour n’est pas sans l’autre. C’est pourquoi la personne est communautaire, elle est engagée dans des rapports avec d’autres personnes. La révolution la plus difficile, celle qui n’a pas encore été faite, et qui serait la plus radicale de toutes les révolutions, ce serait la révolution personnaliste faite au nom de l’homme, et non au nom de telle ou telle société. Seule la personne est profondément révolutionnaire.
Pour Zundel, « la plus grande découverte de notre siècle est peut-être celle de la personne26. » Elle éclaire le problème de l’homme. René Habachi lui écrira à propos de la parution de Je est un autre : « Il me semble que la notion de personne fait avec vous un bond extraordinaire que la philosophie et la théologie doivent enregistrer comme un acquis définitif 27 . » Zundel n’ignore pas que ce terme de personne tire son origine des discussions théologiques des conciles de Nicée et de Chalcédoine aux IVe et Ve siècles. Contrairement au dieu des philosophes, des métaphysiciens et des religions antiques, le Dieu de la Bible n’est pas un être tout-puissant, omniscient et omniprésent. Il n’est pas immuable, atemporel et impassible. Il est une personne, il est capable d’aimer et de souffrir, d’évolution comme l’homme créé à son image. Zundel parlera d’un devenir, de la souffrance et de l’humilité de Dieu. Nous sommes loin d’un divin Tout-Puissant qui écrase l’homme sous le poids de ses fautes.
Au plan philosophique, la notion de personne n’est redécouverte qu'au début du vingtième siècle. Déjà Blondel voulait « dénoncer le danger, l’erreur même de confondre la personne avec l’être complet, avec tout ce qu’il comporte de données inférieures… à la zone où doit s’épanouir cette vie d’efforts intelligents, d’aspirations morales et de conquêtes volontaires, toutes conditions nécessaires à la vie personnelle28. » La personne n’est pas toute donnée, toute réalisée, elle est faite pour se déplier dans le temps : « La personne… marque moins la perfection de l’être qu’une étape décisive vers son avènement29. » Il y a en elle un ressort, un dynamisme de l’amour qui appelle l’ascèse et la mortification comme condition de sa croissance. L’homme doit chercher à tâtons ce quelque chose de vivant qui prend corps dans les actes humains. Le sens de l’existence est la genèse de la personne dans sa relation avec Dieu à travers l’expérience de la vie humaine. Zundel reprend à saint Thomas d’Aquin cette vision de la personne comme ce qu’il y a « de plus parfait dans la création30». « L’expérience fondamentale de la personne n’est pas la séparation, mais la communication, celle-ci est le fait primitif31. » L’anthropologie zundélienne est fondée sur la grandeur et le respect du mystère de la personne humaine. « Partout s’imposent à l’homme des institutions qui le négligent : il se détruit en s’y pliant. Nous voulons le sauver en lui rendant la conscience de ce qu’il est32. » La personne se trouve en se perdant, sa vocation est de se désapproprier de soi en se centrant sur un Autre. Zundel identifie l’avènement du moi-sujet, avec la relation qui nous enracine en « ce plus intime à nous-mêmes que le plus intime de nous-mêmes » et qui est « la Vie de notre vie33».
L’homme est, à la fois, un individu comme parcelle de l’univers cosmique dont il subit les lois, et une personne en raison de l’esprit et de la liberté qui l’anime et qui le dépasse. L’homme n’est pas une réalité toute faite, mais une possibilité en devenir. Il est une réalité vivante et dynamique, une passion créatrice inscrite dans un développement historique. Il y a dans l’homme une liberté et une capacité de relation qui doit se choisir. Comme être personnel, social et communautaire, il est un être inachevé. Il n’existe en tant que personne que s’il se choisit. L’individu se reçoit et se subit ; la personne, grâce à sa liberté, est en devenir, elle peut réaliser ses possibilités d’être en devenant don de soi-même dans un autre.
La confusion entre la notion d’individu et de personne dans les déclarations sur les droits de l’homme discrédita le terme de personne. L’individu, lui, est donné, il est tout-fait, la personne a à se faire en exerçant sa liberté en passant du donné au don. Même si la personne est contenue en puissance dans l’individu, elle reste en devenir. Par son esprit qui s’engendre tout au long de sa vie, l’homme peut devenir un être libre, capable de réflexion, de volonté, de communion, et ainsi de devenir capable d’infini. L’individu est limité, il fait parfois l’expérience cruelle de sa finitude. Son désir d’infini s’exprime souvent par une souffrance intérieure devant l’échec de toute communication. Nostalgie d’infini, insatisfaction permanente de rencontres authentiques, sont autant de traces en lui de la personne possible. Mais seule la personne est capable de cet infini qu’elle recherche dans toute rencontre humaine. Le désir est le nom de ce rapport à autrui où ce dernier se dérobe à ma prise.
Cette capacité d’infini constitue sa dignité. « Tout homme demande à être traité comme une personne, rien ne l’offense autant que le mépris de sa dignité34. » C’est en s’adressant à la personne que l’on évite « les réactions défensives d’une individualité biologique complice de ses limites 35 . » « Qu’importe qu’on nous donne le bonheur … si l’on nous refuse la dignité ! Alors cette dignité, elle a ses assises, justement dans la présence divine en chaque être humain, et c’est cela qui nous fait refuser le communisme, non pas ses appels à la justice, non pas les réformes qui sont nécessaires, mais ce mépris et ce sacrifice de l’homme que l’on massacre aujourd’hui sous prétexte d’un avenir meilleur36. »
Pour cela, Zundel distingue l’individu de la personne, en reprenant la parole de Hegel : « L’homme n’est pas encore né »37, mais en précisant bien le sens de cette naissance qui est un choix libre : « La seule solution au problème que nous sommes, c’est la réponse que nous sommes décidés à devenir 38 . » « Nous sommes nés nature… et nous avons à dégager de cette nature une personne, c’est-à-dire un acte vertical qui fasse graviter cette nature dans un circuit de générosité39. » La nécessité est la marque de l’individu, et la gratuité celle de la personne. Nos origines cosmiques sont derrière nous, dans l’individu, nos origines divino-humaines sont devant nous, dans la personne. L’individu a été fait à l’image de Dieu, être de communication appelé à devenir à la ressemblance du Dieu-Trinité de personnes, être de communion par l’accueil de l’autre, la disponibilité et le don de sa présence. « C’est par la générosité que la personne se constitue comme une résonance éternelle40. »
Zundel situe le mystère de la personne dans la dynamique de l’itinéraire intérieur de l’homme, comme passage de l'esclavage de l'individu à la liberté de la personne. « Si la personne revient, c’est qu’elle est la meilleure candidate pour soutenir les combats juridiques, politiques, économiques et sociaux41. »
C’est surtout autour des années 1930-1940 que Zundel centre sa réflexion sur la question de l’homme avec son livre sur la Recherche de la personne42. Zundel prend ses distances avec l’anthropocentrisme exacerbé des philosophies de la mort de Dieu, il s’écarte également de l’idéalisme allemand, des structuralistes et des philosophies de la déconstruction du langage, son anthropologie est une philosophie de l’intersubjectivité ouverte sur l’altérité, la relation à l’Autre et au dialogue dans l’échange et la rencontre. Sans doute pour répondre aux questions de son auditoire parisien, mais aussi parce qu’il prend de plus en plus conscience qu’il n’y a pas d’autre chemin pour rencontrer l’homme que de passer par le chemin de l’autre homme et de l’Autre du désir, c’est-à-dire Dieu dans l’homme. La personne est essentiellement ouverture irréductible à toute clôture, libre et toujours désappropriée d’elle-même. Le désir de l’autre se fait alors attente, interrogation, invocation, vulnérabilité, pauvreté et humilité. Réciproquement, nous ne pouvons trouver la transcendance en dehors de l’homme décentré de lui-même, ouvert sur le vide créateur et par là en relation avec les autres : « Tout revient à cette conversion vers l’intérieur, … à redécouvrir le silence créateur. C’est cette prodigieuse aventure qui nous attend43. » Car, pour lui, le premier et « le dernier mot de l’Évangile, c’est l’homme, parce qu’il n’y a pas d’autre sanctuaire de la divinité44. »
La philosophie aujourd’hui se veut autonome et la théologie se replie sur son domaine propre, les Écritures et les dogmes, en se coupant de la vie concrète. Il n’y a pas pour Zundel de théologie sans philosophie ni de philosophie sans théologie. Il opère un renversement fondamental du rapport de la théologie et de l’anthropologie : « D’une théologie métaphysique qui pense Dieu au-delà et en dehors de l’homme, Zundel passe à une anthropologie théologique qui, dans l’interrogation de soi, découvre en l’homme une nouvelle dimension. Une transcendance, une « présence qui n’obéit pas à l’affectivité possessive, à la pulsion du désir, mais relève de la relation qui est reconnaissance et accueil de l’Autre 45 . » En effet, c’est d’abord l’expérience de la rencontre de l’autre qui est première dans la vie et qui débouche ensuite sur une relecture de cette expérience à la lumière de la Révélation. La découverte de l’esprit et de la liberté au cœur de sa propre intériorité est l’aboutissement de son itinéraire.
La philosophie n’a pas à être la maîtresse de la théologie, ni l’inverse. Par-delà la confusion et la séparation, il existe un troisième terme, l’altérité intersubjective qui permet leur dialogue et la fécondité de leur rencontre. Cette altérité permet la distance et ouvre l’espace d’un dialogue dans le respect et la dignité de l’une et de l’autre. La philosophie ne peut en être ni le substitut ni l’ennemie de la théologie. Elle est l’atmosphère dans laquelle s’exprime la théologie, elle est le terreau dans lequel la théologie va pouvoir s’exercer. De même la théologie ne peut se couper de la philosophie sans se condamner à l’asphyxie ou à l’autisme. Elle s’est toujours servie des outils que la philosophie d’une époque lui donnait contre les dérives du seul sentiment religieux. Une saine distance ne veut pas dire séparation, mais possibilité de dialogue et de rencontre et de questionnement réciproque. La théologie ici n’est ni en rupture ni en continuité avec la philosophie, elle est en connivence. La philosophie n’a pas à se laisser asservir ni par la science ni par la religion. Si elles peuvent se féconder mutuellement, aucune de ces disciplines ne doit devenir pour l’autre une autorité extérieure. Si depuis Descartes, la philosophie s’est libérée du joug de la théologie, n’est-elle pas retombée sous un joug plus impitoyable avec les sciences humaines ? Aucune antériorité de l’une sur l’autre, c’est l’éclairage de l’une par l’autre dans un dialogue qui devient la lumière et la vie de l’esprit et de la liberté. C’est ce dialogue qui les nourrit et qui peut alors nourrir notre vie, notre liberté et donc nos esprits. La philosophie a donc le devoir de le considérer. L’infini s’est fait parole en son Verbe. Dès lors, l’homme ne peut faire comme s’il ne l’avait pas entendu. L’altérité intersubjective est le fondement de ce dialogue entre la philosophie et la théologie. L’homme est une intersubjectivité ouverte sur l’altérité de la parole d’un autre que lui-même. Zundel prend au sérieux l’axiome de Chalcédoine : « sans séparation ni confusion. »
Il nous faut donc partir d’une expérience de la transcendance et notamment de celle de l’émerveillement devant les mystères de la vie et la beauté de la nature. Là s’éveillent les transcendances. Cet étonnement premier du savant, de l’artiste ou de l’amoureux est une initiation à la transcendance infinie qui se manifeste dans la transcendance humaine. Expériences et réflexions se rencontrent et se développent à tous les niveaux de la vie et de l’être, qu’elles soient subjectives, objectives ou interpersonnelles. Zundel ne découpe pas la personne en morceaux. Il n’y a pas d’un côté l’esprit cartésien, la logique et de l’autre le subjectif, l’irrationnel, et un troisième qui serait la relation intersubjective. La personne n’est pas un objet d’analyse, mais comme un sujet, un « Je » en dialogue avec un « Tu ». Il y a un l’élan vers l’autre, une dynamique intersubjective et des résonances. C’est en découvrant le visage de l’autre dans un face à face intérieur que je peux découvre mon propre visage. Le double enracinement de la réflexion de Zundel sur les relations trinitaires des pères de l’Église et sur la différence entre l’individu et la personne dans le personnalisme français permet de mieux comprendre ce va-et-vient permanent de sa pensée entre anthropologie et théologie. La distance infinie entre la rationalité de la pensée, la subjectivité de la foi et l’intersubjectivité de la relation ouverte sur l’altérité permet d’unir et de réconcilier ces approches qui sont souvent opposées.
L’individu est conditionné par ses déterminismes psychologiques, culturels et sociaux. Il est transformé par les structures économiques, politiques, religieuses qu’il se donne. Il a à se libérer de ses conditionnements sociaux et familiaux pour être lui-même dans un consentement libre à soi dans la désappropriation et le don de soi. Il y a là, une difficulté dans cette démarche, qui se voudrait inductive, mais qui parfois devient déductive. Mais n’est-ce pas le saut de la foi que comporte toute démarche chrétienne, dans laquelle les deux voies, celle de la raison et celle de la foi se complètent et s’aident mutuellement ? N’est-ce pas le propre de toute démarche humaine de relire son histoire à partir de ses représentations conceptuelles et symboliques ? L’acte de foi n’est pas une récitation d’un texte, il est une action libre de dire oui ou non et de s’engager soi-même dans une démarche oblative, de présence à l’autre. L’action ouvre en nous à la fois un vide qui permet de percevoir un troisième terme à la communication, l’entre-nous, l’espace intersubjectif.
L’originalité, la force et la fragilité de la réflexion de Zundel, c’est qu’elle dépasse les discours rationnels pour entrer dans l’interpellation du sujet. Nous quittons le domaine de la philosophie abstraite et générale de l’être-là des choses pour entrer dans une métaphysique de la « liberté et du don46». La liberté permet l’ouverture et le dépassement de soi par la participation active où l’on surmonte dans cette dynamique intersubjective toutes les oppositions actives passives, produire et recevoir, créer et subir. Elle évite ainsi l’écueil d’un narcissisme enfermé sur lui-même et sort de l’aséité de l’individu. L’appel de l’autre, sa présence, son invocation nous libèrent et nous restituent à nous-mêmes dans cette dynamique et dans cette ouverture à l’altérité.
Cette dynamique intersubjective échappe à tout « système fermé et hermétique où rien ne peut plus pénétrer.47 » Zundel est ouvert sur le mystère de la vie dans tous ses aspects, liberté et gratuité, pauvreté et fragilité, respect et dignité, grandeur et beauté de la personne, dialogue, altérité et transcendance du visage. Une nouvelle approche de l’ontologie se cherche ici à travers la relation intersubjective, l’altérité, le désir, le consentement et la gratuité. Zundel n’indique que des pistes, il montre une direction, il a de fulgurantes intuitions. Il n’y a pas d’exposé systématique. En ce domaine de l’intersubjectivité, il n’est qu’un chemin, celui que l’on trace soi-même. À chacun donc d’exprimer sa liberté et ses dons dans une désappropriation de soi. Il n’y a pas de réponse générale, la vérité en ce domaine n’est pas quelque chose que l’on peut enfermer dans des mots, mais quelqu’un, un sujet libre, capable de don et de gratuité
6 Voir l’inventaire de sa bibliothèque, par Luigi Griffa, Bibliothèque de Maurice Zundel, inventaire, Fribourg et Neuchâtel, 1988 et que l’on peut télécharger en ligne : http://doc.rero.ch/record/31231/files/BPUN_Q1400.pdf
7 M. Nédoncelle, E. Mounier et N. Berdiaev, principalement dans Croyez-vous en l’homme ? et Recherche de la personne.
8 Inauguré par Maine de Biran au XVIIIe s., elle se développera à la fin du XIXe s. et au XXe s. avec H. Bergson, M. Blondel, Theillard de Chardin et L. Lavelle.
9 Comme Albert Einstein, Jean Rostand, G. Juvet et Gaston Bachelard
10Dans de très nombres conférences mais principalement dans deux de ses livres : Dialogue avec la Vérité et Ouverture sur le vrai.
11 Origène, Grégoire de Nysse et Irénée de Lyon d’après les recherches et les livres du père Jean Daniélou.
12 M. Blondel, L’Action, 1893 Essais d’une critique de la vie et d’une science de la pratique, PUF, Paris, 1973, 3e édition, p. VII.
13Études blondéliennes, Paris, PUF, 1952, fasc. 2, p. 53.
14 Martin Buber et Max Sheller
15 O. Clément, « Zundel et la spiritualité orientale » Colloque de Paris, ICP 1986, M. Zundel, un réalisme chrétien, Paris, Beauchesne, 1987, p.183 et dans O. Clément, Berdiaev, Paris, DDB, 1991, p. 141. Berdiaev participe à la fondation de l’institut Saint Serge avec ses amis russes les pères Serge Boulgakov, Vladimir Lovski, et Paul Florenvski.
16 Zundel participait une fois par mois avec Journet aux réunions de Meudon chez Maritain, cf. J. Maritain, Carnet de notes, Paris, DDB, p.195. D’autres réunions œcuméniques avaient lieu dans une maison russe de la rue de Montparnasse avec : R.P. Gillet, Laberthonnière, J. Maritain, le pasteur Bœgner, Boulgakov et Berdiae, etc, cf. J. Durol, Mounier, Genèse de la personne, Ed. Universitaires, 1990, p. 179.
17 Zundel a acheté, lu et annoté cinq des livres de Berdiaev : Problème du communisme, Esprit et Liberté, Le sens de la création, Destin de l’homme ? De l’esclavage à la liberté…, Un nouveau Moyen Âge, cf. ; L. Griffa, Inventaire de la bibliothèque Maurice M. Zundel, Fribourg, Séminaire diocésain, 1988, p. 14.
18 N. Berdiaev, Essai d’autobiographie spirituelle, Paris, Buchet/Chastel, 1979, p. 333.
19 L’association des amis de Zundel garde un grand nombre de lettres, signe d’une amitié entre M. Zundel, Du Bos, Massignon.
20 N. Berdiaev, De la destination de l’homme, Lausanne, L’Âge de l’homme, 1983, p. 79.
21 N. Berdiaev, De l’esclavage à la liberté de l’homme, Paris, DDB, 1989, p. 47.
22 Ibid., p. 47.
23 Ibid., p. 79.
24 Ibid., p. 47.
25 N. Berdiaev, De l’esclavage à la liberté de l’homme, Paris, DDB, 1989, p. 71.
26 M. Zundel, DV, p. 163.
27 R. Habachi, Paris, le 1/10/1971, lettre à Mr l’abbé Maurice Zundel.
28 M. Blondel, L’Être et les êtres, Paris, Alcan, 1935, p. 274.
29 Ibid., p. 276.
30 Saint Thomas, Somme Théologique, I,29,3, Paris, Cerf.
31 E. Mounier, le Personnalisme, Paris, Puf, Que sais-je ? p. 35-37.
32 E. Mounier, Œuvres, t IV, p. 490.
33 Zundel, 1963, cité par A. Longchamp, Le personnalisme de Zundel, Colloque de Paris, IPC (1986), p. 54-55.
34 M. Zundel, « Vérité et liberté » dans Le Lien, revue grecque catholique, Le Caire, vol 30, n°1, mars 1965, p.11.
35 Ibid., p. 11.
36 M. Zundel, SPV, p. 219.
37 M. Zundel, CH, p. 63.
38 M. Zundel, CH, p. 153.
39 M. Zundel, Conférence au Cénacle de Genève, 3/2/1963, p. 23.
40 M. Zundel, TVL, p. 48, sermon, Lausanne, 1962.
41 P. Ricœur, « Meurt le personnalisme, revient la personne ! », dans Esprit n° 73 (janvier 1983).
42 Zundel reprend deux articles : « L’amour sacrement » et « La vérité personne », Recherche de la Personne, p. 62, note 1 : cf. l’article de Philippe de la Trinité : « À la recherche de la personne », dans Études Carmélitaines, avril 1936,
43 M. Zundel, Cénacle, Paris, 1/1973, p. 1.
44 "C’est l’homme qui est le sanctuaire de la divinité," M. Zundel, TVL, p. 43.
45 Y. Ledure, "Nietzsche et Zundel, quelle anthropologie ?" dans Maurice Zundel, Un réalisme mystique, Paris, Beauchesne, p. 49.
46 Gabriel Marcel, Don et liberté, p.487 voir également R. Habachi, Trois itinéraires, un carrefour : Gabriel Marcel, Maurice Zundel et Teillhard de Chardin, coll. « Bibliothèque philosophique », Québec, Les Presses de l’Université Laval, 1983.
47 Gabriel Marcel, Du refus à l’Invocation, 1940, p.491
Cette révolution doit être spirituelle et éthique, avant d’être politique et sociale. « Après l’apostasie de Dieu, la civilisation moderne est à la phase de l’apostasie de l’homme, voilà l’essence de la crise moderne48. » Nous verrons qu’après la mort de Dieu et celle de l’Homme, nous en sommes à la mort du langage qui nous a plongés maintenant dans un relativisme absolu qui interdit tout discours et toute réflexion sur la vérité.
Ce milieu parisien des années 1930 est le berceau où Zundel s’est libéré de sa formation néo-thomiste. Au contact de penseurs comme Maritain, Berdiaev, Blondel est né son questionnement sur l’homme et sur la distinction entre l’individu et la personne. « Le monde moderne confond deux choses, que la sagesse antique avait distinguées, il confond l’individualité et la personnalité. En tant qu’individus, nous sommes soumis aux astres, en tant que personnes, nous les dominons49. »
Depuis l'Antiquité, l’anthropologie binaire, corps et âme, a coupé l’Occident de la vie de l’esprit. Zundel, à la suite du judaïsme, des pères grecs et de l’hindouisme50, retrouve une anthropologie ternaire (corps, âme, esprit) plus conforme à la structure de la communication entre l’humain et le divin par la médiation de l’esprit. La personne est à l'image de Dieu. Si l’individu a un corps et une âme, la personne est essentiellement esprit et liberté. Encore faudrait-il comprendre exactement ce que recouvrent ces termes. Le corps dans les langues grecque et hébraïque n’a pas la même signification. Et toutes les discussions sur la résurrection de corps n’auraient sans doute pas lieu si l’on s’entendait sur leur sens.
Contre l’individualisme et le collectivisme, Zundel défend le personnalisme comme modèle de société, fondé sur la personne libre et responsable, et donc dans une dimension à la fois mystique et morale.
Dans l’amitié ou à l’amour naissant, quelques mots échangés ou un regard furtif font naître le désir. Ils conduisent sur le chemin du désir et de la rencontre de l’autre, ou parfois même celle du Tout-Aure qui se cache dans ce buisson d’épines de la communication humaine et alors s’enflamme comme un buisson ardent. Qui sait l’importance de la conversation et de la parole dans la vie des couples et de nos amitiés ? La science des relations humaines, de la gestion des conflits, de la beauté de l’amitié et de l’amour humain est encore dans les limbes. Il ne suffit pas de parler des problèmes pour engendrer le désir perdu et retrouver le paradis de la rencontre fraternelle et amoureuse. Les mots, les couleurs et les images prolongent cet instant unique du surgissement d’un appel de l’inconnu et de la naissance d’un désir de l’autre qui ouvre sur une relation. L’expérience ici est première, la sensation primitive de l’artiste, l’intuition du scientifique est première avant les mots, les couleurs, les sons ou les équations mathématiques qui en sont autant de langages seconds. La sensation première et la raison dans un second temps accompagnent la naissance d’une présence vécue puis partagée.
Ce qui importe ici, ce ne sont pas tellement les mots, mais les fantasmes ouverts entre les lignes. L’amitié comme le sentiment amoureux se nourrissent des audaces et des non-dits qui ouvrent à la polysémie du langage. Le sentiment amoureux naît de ces illusions et de ces interprétations qui ouvrent un chemin au désir. Le timbre de la voix, le débit du discours, les rires étouffés, ce bain sonore, telle une caresse, attirent ou repoussent. Ils éveillent au plus profond de l’être les souvenirs de la voix du père ou de la mère avant et après la naissance. Elles sont le chant, la danse et le début de l’amour. Si les événements, les rencontres nous troublent, n’est-ce pas parce qu’elles nous appellent à venir, où ? Nulle part, dans ce rien qui change tout, parce qu’il nous change nous. Il engendre la personne dans son intériorité et l’ouvre à l’altérité, au mystère de l’autre. Il nous emporte plus loin que nous ne saurions aller sans lui, de l’autre côté du désir, dans sa positivité comme désir non de soi, mais désir la rencontre avec un autre. Ce désir de l'altérité est inscrit dans notre chair.
Ce désir dans toute sa positivité n’est pas le manque, mais la jouissance, le bonheur infini d’être dans l’ouverture et la rencontre. Le désir de l’artiste, qu’il soit écrivain, peintre ou musicien n’est pas celui d’une névrose obsessionnelle, mais dans la plénitude du vide et du lâcher-prise, où je ne pense pas, je suis là dans l’ouverture, dans la présence infinie qui est là dans l’espace de la rencontre. L’artiste est actif, il n’est pas spectateur, il jouit dans l’action du devenir l’œuvre d’art, nous explique Nietszche dans la naissance de la tragédie. « Jamais devant, toujours dedans », ne cessera de répéter le peintre Tal Coat. Avec le langage des couleurs, des mots, des formes, l’artiste rend visible son expérience du réel, ses sensations premières face au surgissement de la réalité. Il tente de rendre visible un appel, un désir, une présence, une lumière intérieure dont il a fait l’expérience. Le scientifique également tente de rendre visible la logique interne des phénomènes, il ordonne avec sa raison le réel, il tente de mieux le comprendre à la lumière de la logique et de l’expérience. Nous ne sommes pas tous des artistes ou des savants, mais nous avons tous à devenir des créateurs de relations, de vie entre nous et dans la nature. Nous avons tous la vocation de donner du sens à la vie dans toutes ses dimensions, comme parents, jardiniers ou paysans, comme éducateurs, comme médecins, infirmiers, etc.
Une œuvre d’art est belle quand elle ouvre l’espace du désir et la jouissance d’être dans la présence d’un autre. La beauté ultime, c’est l’Autre du désir. La lecture de la Bible, la prière et le chant transforment le chanteur et le lecteur. Il rend visible et donne à voir la Parole vivante qui illumine en lui sa présence. Le chantre devient lui-même l’œuvre d’art façonné par la parole qui chante à travers lui. L’acte de lire et de chanter à haute voix fait le chantre, il devient le liturge de la création. Devenir une personne consiste à devenir créateur et à participer à l’œuvre de la création en devenant soi-même cette œuvre ultime. L’œuvre, c’est l’artiste lui-même.
Le langage a plusieurs formes et couleurs, il utilise différentes sonorités pour produire la parole et le chant. Mais son ambiguïté est dans le risque de la liberté. Il peut avoir une puissance créatrice ou destructrice. Il y a le langage poétique, celui de la gratuité, du don et de la présence. Ce langage premier illumine et engendre à la vie intérieure. Il y a le langage de la prose, celui de la nécessité, celui du donné, de l’utilité, c’est celui de tous les jours. Il y a le langage de l’amitié et de l’amour qui utilise des symboles, des cadeaux qui transforment le donné en don. L’amour n’a pas besoin d’explication pour se vivre et se partager. Un poème d’amour comme le Cantique des cantiques, le cantique de frère Soleil utilise des symboles. Les symboles disent l’indicible, il donne à vivre plus qu’à comprendre.
Notre époque voit proliférer une maladie nihiliste du langage. Ces langages qu’ils soient politiques, religieux, scientifiques ou artistiques se sont souvent détachés du réel. Ils ne se fondent plus sur une expérience première, celle de nos sens. Nous ne touchons plus alors avec tous nos sens ce réel, notre langage est « hors sol ». Il a perdu ce goût de l’essentiel, celui de la vie, de la terre et du travail manuel. Nos paroles partent bien souvent d’axiomes invérifiables et se séparent ainsi du réel et du corps. Ils confisquent la communication humaine au profit de castes de pouvoir, de savoir et de l’avoir avec un discours uniquement anthropocentrique. Après la mort de Dieu, puis celle de l’homme, nous assistons aujourd’hui à la mort du langage. Aux maîtres du soupçon, Marx, Nieitzsche et Freud, ont succédé de nouveaux maîtres, Foucault et Lacan.
La magie des mots fait qu’ils peuvent nous enfermer dans la prison des représentations ou, comme le fait merveilleusement Maurice Zundel, nous libérer des choses pour nous ouvrir à un Réel qui dépasse le réel. La parole, née d’un amour ou d’un émerveillement, c’est-à-dire d’une expérience de vie, communique cette vie. Les paroles coupées du réel n’engendrent pas des sujets en dialogue, elles ne s’adressent qu’au monde des choses, ou à des masses d’individus esclaves de leurs passions. De même une parole née de la peur ou du mensonge communique cette peur et enferme dans ce mensonge. Elle nous coupe de l’être et de la vérité. Par-delà le poids des mots et la violence des images, il y a l’expérience de la réalité. Sans dialogue avec l’expérience, les mots comme les images mentent. La réalité seule nous met sur le chemin de la vérité. Notre monde souffre d’une utilisation des images et des mots pour dire autre chose que la réalité. Les images sont détournées par la publicité, la politique ou les religions pour asservir les consommateurs, les électeurs ou les adeptes. Sans distance et sans respect de l’autre, le langage est perverti en objet de manipulation. Le désir dégradé en besoin compulsif asservit et détruit le névrosé. Il est le produit du manque de l’objet du désir, et donc du manque à être ; le désir libère et engendre l’artiste lui-même. Il est celui produit par la jouissance du regard et de la voix qui ouvre à l’émerveillement qui devient désir de l’autre sans fusion ni confusion, dans la distance et le respect inconditionnel.
La parole vraie naît de l’énonciation d’un appel et de ce « oui » à chaque instant au réel de la présence qui nous attend.