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Avoir l'esprit philosophique, c'est être capable de s'étonner des événements habituels et des choses de tous les jours. Einstein écrivait : "Celui qui a perdu la faculté de s'émerveiller et qui juge, c'est comme s'il était mort, son regard s'est éteint." Au bord du vide et de l'abîme ouvert par le sublime, entre l'effroi et la fascination, il y a bien des questions, des attentes, des nuits sans réponse, des silences sonores et des ténèbres lumineuses, avant d'accueillir l'inespéré et l'inattendu : la naissance du divin dans l'humain à travers l'art, la science ou l'amour humain. "Maintenant, mes yeux ont vu ta lumière. Cantique de Siméon Luc 2,29"
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Seitenzahl: 71
Veröffentlichungsjahr: 2021
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Préface
Introduction
La stupéfaction du « voir
»
La peur du vide ou le « non voir »
« s’abîmer dans le non voir »
L’attente: … un appel à venir
Revoir intérieurement
Le berceau du regard
Postface : L’art du rien qui change tout
Éléments de bibliographie
« Dieu, c’est quand on s’émerveille !...? »1
Quand les prisons de nos regards et les tombeaux de nos mots s’ouvrent, quand les barbelés de nos représentations sont arrachés, quand les regards en miroir sont brisés, alors les regards simples se lèvent, pauvres et nus. Sans appui, les mots reprennent vie ; ils se lèvent et marchent à travers les murs. Comme les vitraux d’une cathédrale de lumière, ils dansent les mille couleurs des choses et de la vie. Sur la montagne vide, par delà la grâce des mots et la lourdeur des choses, les mots deviennent silence-sonore, ténèbres-lumineuses, une infinie présence-absence. Folie humaine ou sagesse infinie? La sagesse est d’abord, disait Alain, de connaître sa folie et de l’accepter. C’est la douce folie des enfants et des simples, parfois celle des artistes, des savants et des saints qui nous invitent à vivre en poésie. La vraie richesse est d’être capable de s’émerveiller et de se laisser faire par ce vide qui ouvre le sens de la vie. Ce qui est à l’œuvre ici, c’est nous dans ce partage de nos vies et de nos émerveillements. L’art des mots est de transfigurer la vie et nos regards et ainsi d’illuminer le monde.
Aquarelle de François Darbois, Queyras, Pierre Grosse, 2021
1 Maurice Zundel, sermon
« Voir, ne plus voir, s’abîmer dans le non voir, revoir intérieurement.»2
Je partirai du témoignage du poète Rainer Maria Rilke. Dans Les Carnets de Malte, Rilke décrit la source de son inspiration poétique : « Les vers ne sont pas faits, comme les gens le croient, avec des sentiments (ceux-là, on ne les a que trop tôt) - ils sont faits d’expériences vécues. Pour écrire un seul vers, il faut avoir vu beaucoup de villes, beaucoup d’hommes et de choses, il faut connaître les bêtes, il faut sentir comment volent les oiseaux et savoir le mouvement qui fait s’ouvrir les petites fleurs au matin. Il faut pouvoir se remémorer des routes dans des contrées inconnues, des rencontres inattendues et des adieux de longtemps prévus [...] Et il n’est pas encore suffisant d’avoir des souvenirs. Il faut pouvoir les oublier, quand ils sont nombreux, et il faut avoir la grande patience d’attendre qu’ils reviennent. Car les souvenirs ne sont pas encore ce qu’il faut. Il faut d’abord qu’ils se confondent avec notre sang, avec notre regard, avec notre geste, il faut qu’ils perdent leurs noms et qu’ils ne puissent plus être discernés de nous-mêmes ; il peut alors se produire qu’au cours d’une heure très rare, le premier mot d’un vers surgisse au milieu d’eux et émane d’entre eux.3» Ce texte peut s’appliquer à tous les arts, à la science, aux relations humaines, mais également à l’expérience spirituelle ou mystique. Chrétiens, Juifs, Musulmans, Soufis, Hindouistes, Bouddhistes ou Taoïstes, toutes les religions ont compris que la beauté, la vérité et l’amour étaient des chemins vers la transcendance. « Il y a un but, mais pas de chemin. Ce que nous nommons chemin n’est qu’hésitation», écrit Franz Kafka.
Plotin4, l’héritier de Platon et d’Héraclite l’a admirablement montré à l’époque grecque en pensant l’art comme imitation de la nature. Le Soufisme enseigne que toute création est issue d’un acte d’émerveillement, qui est surgissement de l’être. L’émerveillement est participation à l’acte créateur. Les amants, les savants et les artistes revivent à leur échelle, la joie et le bonheur de l’acte créateur et du surgissement d’un monde. Delacroix et Baudelaire affirment le primat de l’imagination dans l’art. Le sujet premier de l’art, ce n’est pas la nature, mais l’artiste lui-même, le fond de son âme, ses émotions, etc. Alain critique cette conception en posant que l’imagination est une illusion et que rien d’autre n’est donné, dans le psychisme humain, qu’un désordre des émotions. L’art est l’extériorisation, le geste de mise en ordre et de discipline de ces passions. Dès lors que nos expériences se confondent avec notre sang, et que nous les avons digérées, méditées et oubliées, elles deviennent profondes, inoubliables et véritablement spirituelles et transcendantes. Nietzsche écrit : « Il faut apprendre que la pensée, c’est du sang. Écrire avec son sang5 ... car le sang est esprit. » Un véritable artiste peint, joue de la musique, fait du théâtre ou écrit avec son sang, avec toute sa vie, avec tout ce que sa vie a de surprenant, d’étonnement, de joie et de souffrance. Pour Nietzsche, l’artiste est lui-même l’œuvre d’art. Les catégories esthétiques sont des catégories métaphysiques. La figure de Dionysos, essentielle à la tragédie, représente ce qu’il y a de terrifiant, de démesure dans la nature. La nature, que seule une vision artistique peut supporter et embellir, est pouvoir de métamorphose, de devenir, de création et de destruction. L’artiste, seul homme est ce surhomme. Il est celui qui parvient à ordonner le chaos des pulsions qui l’habitent. L’esthétique est une « physiologie appliquée » Henri Maldiney va encore plus loin: «L’histoire de l’étonnement est celui du dévoilement de l’être. ... Le destin de l’art est celui de l’étonnement où s’éveillent les transcendances!6 !» Raccourci saisissant et audacieux comme le titre de cet exposé. L’émerveillement certes est un pont entre beauté, vérité, amour et transcendance, entre la terre et le ciel, oui, mais un pont sur quoi ? Sur la distance infinie entre l’art et le spirituel ? Pont jeté sur l’abîme qu’il ouvre sous nos pieds. Abîme de nos peurs et de nos angoisses face à la mort, face au scandale de la souffrance et du mal. L’émerveillement n’est pas un luxe, ni même, la part des sots : mais peut-être la plus haute vocation de l’homme. Mais en attendant cet avènement, il est la source de bien de ses souffrances et de ses questionnements.
Car la connaissance, en son sommet, n’est pas accumulation de savoir, mais fraîcheur du regard. N’est-ce pas le secret de la véritable intelligence, celle qui est cachée aux sages et aux savants, mais donnée aux simples et aux enfants? L’émerveillement est à l’origine de toutes les grandes découvertes, de toutes les grandes créations artistiques, religieuses, littéraires ou scientifiques. De mêm eque l’amour commence par ce coup de foudre, « tout savoir commence par l’émerveillement, par ce coup de foudre de l’admiration dont l’écho affaibli persiste encore dans le verbe s’étonner qui signifie originellement être frappé par le tonnerre.7» Toute l’histoire de la philosophie, depuis les présocratiques jusqu’à Heidegger tourne autour de ce mystère de l’étonnement devant le sublime de la vie. « Avoir l’esprit philosophique, écrit Schopenhauer, c’est être capable de s’étonner des événements habituels et des choses de tous les jours. » Einstein disait : « Celui qui a perdu la faculté de s’émerveiller et qui juge, c’est comme s’il était mort, son regard s’est éteint. » Nous retrouvons chez tous les grands hommes cette illumination du regard. L’homme devient génial quand son moi ne fait plus écran entre le réel et la beauté, entre le réel et la vérité, entre le réel et l’amour. Par leurs avoirs, leurs pouvoirs ou leurs savoirs, les hommes se rendent aveugles. Pour voir la beauté quand elle passe sous nos regards, comme l’aveugle de Siloé8