La Naissance de Dieu dans l'homme III - François Darbois - E-Book

La Naissance de Dieu dans l'homme III E-Book

FRANCOIS DARBOIS

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Beschreibung

"Quand l'artiste enfermerait dans son oeuvre toute la lumière du ciel et toute la grâce du premier jardin, il n'aurait pas la joie parfaite, parce qu'il est sur les traces de la sagesse et court à l'odeur de ses parfums, mais il ne la possède pas", écrivait Jacques Maritain à propos des philosophes et des théologiens. Seuls les pauvres et les pacifiques connaissent la douceur que Dieu donne dans une relation personnelle, gratuite et respectueuse. L'essentiel est que l'amour circule comme la respiration de la liberté et de l'esprit. La vérité n'est pas quelque chose que l'on possède, mais Quelqu'un qui se donne librement et gratuitement. La joie de sa présence ne se trouve que dans la vie au quotidien, dans la recherche de la beauté, de la vérité et de l'amour. Le bonheur existe et la joie ne se trouve qu'en la donnant. La joie partagée est sa trace ici aujourd'hui dans le présent de sa Présence.

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Veröffentlichungsjahr: 2021

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SOMMAIRE de ce Livre :

Tome III – La question du divin

INTRODUCTION

PAROLE DE DIEU ET VIE

DOGME ET VIE

LA TRINITÉ, UN ÉTERNEL ENGENDREMENT DE VIE

LA CRÉATION, UN ENGENDREMENT

LE MYSTÈRE DU MAL

INCARNATION ET NAISSANCE

RÉDEMPTION ET RENAISSANCE

LE SALUT, LA NAISSANCE DE DIEU EN NOUS

L’UNIVERS & LA VOCATION DE NOS ÉGLISES

UNE THÉOLOGIE DU VERBE DE VIE

POSTFACE – LA COÏNCIDENCE DES OPPOSÉS

Table des matières

INTRODUCTION

La béance du divin dans l’homme

Écoute, parole, espace (sociale, culturel et historique)

Qu’est-ce alors qu’interpréter ?

PAROLE DE DIEU ET VIE

La pédagogie de la révélation

Une lecture ouverte

L’Écriture comme sacrement d’une présence

L’Écriture, un chemin de libération

Le midrash, lecture juive & l’exode du sens

Le midrash chrétien dans l’Évangile

L’exégèse patristique

Parole de Lumière et de Vie

.

DOGME ET VIE

Le Christ Cosmique

Extériorité et intériorité

La fonction révélatrice des dogmes

La fonction libératrice du dogme

La fonction médiatrice du dogme

« Morale et mystique »

Une lecture qui ouvre sur la vie

LA TRINITÉ, UN ÉTERNEL ENGENDREMENT DE VIE

Un abîme de lumière et d’amour

Esprit et liberté

Sous le sceau de la communication

Une métaphysique du don

La gratuité du don

La fragilité de Dieu

Une liberté sans limites

L’humilité de Dieu

Un mystère de désappropriation de soi

Un mystère de pauvreté infinie

Un concert de relations

LA CRÉATION, UN ENGENDREMENT

L’hypothèse fabricatrice

« Une histoire à deux »

Esprit et Liberté créatrice

L’acte créateur, un vide créateur

LE MYSTÈRE DU MAL

Du problème au scandale

Dieu en question ?

L’homme en question ?

Le sens de l’histoire, une création en devenir

La liberté, un scandale ou une chance ?

Le péché originel comme refus de l’origine

« Dieu, première victime »

L’innocence et la souffrance de Dieu

Le silence de Dieu

Le salut de la personne et la résurrection

La victoire sur le Mal : naître à la présence

INCARNATION ET NAISSANCE

L’intériorité, lieu de l’Incarnation

De l’absence à la présence

L’évènement-avènement

de la naissance de Dieu

Jésus-Christ, vrai homme, vrai Dieu

Une christologie d’en haut et d’en bas

RÉDEMPTION ET RENAISSANCE

Dieu à genou devant l’homme

La souffrance de Dieu

Le silence de Dieu

La résurection & la croix, du dehors au-dedans

LE SALUT, LA NAISSANCE DE DIEU EN NOUS

L’Ascension : accomplissement de l’Incarnation

Pentecôte et renaissance dans l’Esprit saint

La création comme dialogue filial

La désappropriation : chemin vers l’Autre

L’UNIVERS & LA VOCATION DE NOS ÉGLISES

Le mystère d’une naissance

L’Univers comme mystère de communion

Mission et démission

Ensemble et seul

Au service du royaume

L’univers, du donné au don

Une "Vie en Christ”

Une eucharistie cosmique

L’œcuménisme & le dialogue interreligieux

UNE THÉOLOGIE DU VERBE DE VIE

Une méthode : la corrélation, vie & réflexion

Une attitude existentielle, le vide créateur

Poésie, philosophie et théologie

Objectivité, subjectivité et intersubjectivité ou intériorité spirituelle

POSTFACE – LA COÏNCIDENCE DES OPPOSÉS

Réconcilier la vie et la pensée

La relation infinie

Une métaphysique du don et de l’amour

Drame et enjeu cosmique et métaphysique

La Trinité : clé et fondement de toute vie

« Dieu est un Éclair brillant, et aussi un Néant sombre,

Que nulle créature ne contemple avec sa lumière. »

Angelus Silesius

INTRODUCTION

« Vis ce mystère d'amour et de pauvreté » Zundel

La béance du divin dans l’homme

Dans le premier tome de cette trilogie, nous avons abordé quelques aspects de la spiritualité du vide créateur dans cette mystérieuse naissance de Dieu en nous. Nous avons consacré le deuxième tome à la question de l’homme et du sens de l’existence pour vivre cette révolution de la personne humaine. « Va » sur ce chemin intérieur en passant de l’esclavage à la liberté et ainsi de l’individu à la personne dans son accomplissement dans le don. « Viens, lève-toi et marche ! » Dieu nous appelle à venir et à nous élever en passant des objets au sujet, de la créature au créateur et à marcher dans ce vide créateur de sa présence. Le lien entre la voix qui appelle à la vraie vie et la réponse par la mise en marche, entre la parole et l’acte d’un verbe qui se fait chair, nous indique le mouvement et la dynamique interpersonnelle de la vie et de la réflexion zundelienne. Il nous faut venir, nous lever, vivre en plénitude, changer d’étage et de manière de vivre et marcher pour voir et entendre ce Verbe dont le seul désir est de s’incarner dans notre vie. La Chair du Verbe est capable de dire, de chanter et de danser à travers la nôtre. Quand l’homme se tient alors dans l’Ouvert de la Chair, il contemple le Verbe incarné. Immergé dans la contemplation de sa Sainte Victoire, Cézanne était dans l’ici attentif du présent de la Présence. Il attendait le surgissement de la lumière d’une présence. Musiciens, peintres et danseurs, avec les spirituels, les moines contemplatifs et apostoliques, prêtres et laïcs, tous sont appelés à marcher dans cette ténèbre-lumineuse et ce silence-sonore. Tous sont invités à se lever, à vivre dans l’Ouvert du monde et à marcher en cette présence-absence.

Ce troisième tome traitera donc de la question de l’homme immergé dans cette expérience du divin. Ce regard sur l’expérience spirituelle ne sera pas seulement objet d'un discours théologique, quoiqu’indispensable, ou une simple célébration subjective de la foi ce qui est nécessaire. Comme disait le peintre Tal Coat : « Jamais dehors, toujours dedans ». Ce regard est essentiellement expérience d’une rencontre interpersonnelle. L’immersion silencieuse dans l’expérience de la lumière invisible est essentielle et première avant toute approche et tout discours. Dieu est une expérience de vie, une « histoire à deux », une présence d'amour à vivre dans un mystère de pauvreté et de désappropriation. « Rencontrer l'homme et rencontrer Dieu sont exactement la même chose1. »

« Dieu n’est pas le bouche-trou de toutes nos impuissances, de toutes nos ignorances… Il ne suffit pas de savoir ou de pouvoir, il faut vouloir2. » Il faut se rendre présent à sa présence intérieure. C’est dans l’attention à ce surgissement du divin en nous que nous nous devenons capables de voir la lumière, et donc capables d’accueillir le vrai Dieu. « On est encore tiraillé entre un Dieu hérité de l'antiquité, entre un Dieu du vieux Testament, entre un Dieu constantinien et pharaonique, entre un Dieu médiéval ligoté par une philosophie, entre un Dieu patron, entre un Dieu paternaliste et ce Dieu qui est, dans la vision paulinienne, un Dieu nuptial, un Dieu qui contracte avec nous un mariage d'amour, un Dieu qui ne veut plus être situé dans une catégorie de maître et de pouvoir, mais qui ne peut être conçu que dans une catégorie de personne et d'amour3. »

L’homme possible est la personne capable d’infini. Elle est le fruit d’un acte de liberté et de volonté. « Il s’agit de faire de soi un bien commun, un bien universel et infini à l’éclosion duquel tous sont intéressés4. »

Écoute, parole, espace (sociale, culturel et historique)

Sans confondre ni séparer l’humain et le divin, Zundel les met en dialogue. Il recherche l’union sans confusion dans l’action de lire l’Écriture, de lui parler, de l’invoquer, de rencontrer les autres, de vivre ici-aujourd’hui. Il met en corrélation l’expérience humaine, les Écritures et les Dogmes. Il tente de réconcilier vie spirituelle, philosophie et théologie5. « La vérité dans la vie spirituelle est la vie elle-même. …Elle est la réalité même6 . » La foi et la raison ne s’opposent pas, elles sont deux approches nécessaires, essentielles et complémentaires du mystère du Verbe incarné, où les paroles et actes sont mis en dialogue au sevice de la relation infinie dans l’altérité intersubjective. « La foi n’exige pas une dépréciation de la raison, sans pour autant tomber sous l’emprise de la raison7 ». La vie et la réflexion sont en corrélation au service de l’avènement du sujet en relation avec d’autre, dans la relation infinie avec le tout-Autre.

La théologie de Maurice Zundel est une véritable théologie de la personne du Verbe incané et vivant ici aujourd’hui. Elle n’est pas un simple discours rationnel ou symbolique. Elle doit se faire aussi invocation dans la liturgie, et par conséquent rencontre, expérience de la relation intersubjective et de l’altérité. Elle est invitation à une expérience intérieure et à engagement concret dans sa vie. Elle est parole et relation dans toutes les dimensions du Verbe, à la fois discours, actions, images, symboles, relations et présence réelle. Elle devient interpellation du sujet, acte de communication et de communion entre le divin et l’humain dans le Verbe. Fidèle à la tradition patristique et monastique, l’herméneutique de Zundel se fait « Lectio Divina », dialogue entre les Écritures, les symboles de la foi, la vie intérieure et l’action extérieure. « Lectio, oratio, contemplatio et actio », telles sont les étapes de cette écoute intériorisée du Verbe 8 . La morale et la mystique sont ici en corrélation entre ce double mystère du vide humano-divin, celui des personnes humaines et des personnes divines, unies par un mystère d’infinie pauvreté, qu’il nomme le « vide-créateur ». Le vide zundélien n’est pas un pur néant, il est une béance qui s’ouvre sur la profondeur de Dieu. Ce vide apparent n’est pas si vide, il devient plénitude, espace de liberté où notre esprit respire et se remplit des énergies divines. Ce vide est créateur de la coïncidence des opposés et de la réconciliation des contraires : du fini et de l’infini, de l’humain et du divin. Ce vide ouvre l’espace au désir, à la distance, donc à la relation, à l'altérité intersubjective. Il nous appelle à venir, à quitter nos habitudes et nos anciennes façons de voir et de penser. Ce vide se fait attente, il nous prépare à la rencontre d’un Autre en soi. Ce ne sont pas des théories ou des discours qui vont changer le monde. Et nos actions sont bien souvent impuissantes devant la dimension du mal et de la souffrance. « Tout ce que Dieu attend de nous, et cela seul, qui est indispensable à son plan créateur et rédempteur, qui illumine et qui comble, n’est rien d’autre que notre présence, notre consentement et notre amour. … Dès qu’on sort de là, c’est de l’idolâtrie9. »

Qu’est-ce alors qu’interpréter ?

L’art d’interpréter sort ici du domaine de la simple logique discursive pour s’ouvrir au domaine symbolique et donc aux dimensions existentielles et intersubjectives de la vie. Notre époque est en instance de divorce avec le logos dans un refus constant des dimensions d’objectivité et interpersonnelles, au profit du seul subjectivisme. Ce relativisme affirme que tout est subjectif et donc impossible à cerner. Le pape Benoit XVI s’est exprimé de très nombreuses fois à ce sujet pour réaffirmer la place de l’objectivité et de la relation interpersonnelle dans le discours théologique.

Zundel « avait ce génie des formules frappantes, ramassées, l’art d’ouvrir un espace illimité, par une image, un récit, une citation10. » Le vocabulaire de Zundel est au carrefour de la théologie, de la philosophie et de la poésie. C’est ce qu’avait bien entendu l’abbé Montini, future Paul VI, en écoutant Zundel : « Parmi mes compagnons chez les bénédictines de la rue Monsieur, il y avait l’abbé Zundel, que j’ai toujours tenu pour un génie, génie de poète, génie mystique, écrivain et théologien, et tout cela fondu en un, avec des fulgurations11. » Ce mélange peut surprendre un spécialiste de l’une de ces disciplines. Mais Zundel n’a été ni professeur de théologie ni de philosophie, mais un écrivain et un conférencier itinérant. Le langage de Zundel est celui des prophètes et des mystiques. Son errance personnelle est devenue plus qu’une vie, elle est une forme de liberté et de pensée, un mode d’action et d’être vide de soi-même, dans l’humilité et la pauvreté. L’errance et la traversée du désert l'ont conduit au vide-créateur et à la transfiguration des mots et des images en présence et en lumière. Ce vide opère un véritable saut métaphysique qui nous fait passer des discours positifs au monde spirituel de la communion des personnes. Mais ce saut ne doit pas être un faux départ. Le saut ne peut être volontariste, il est attention au présent, au surgissement du passage d’une présence qui transcende les personnes et les choses. Zundel s’adresse à tous, comme dans les évangiles, par images et en paraboles. Tous ne peuvent le comprendre, mais plus tu en vis, plus tu le comprends. L’utilisation des métaphores lui permet de suggérer, de montrer une direction et d'ouvrir un chemin vers la source de toute vie.

Une réflexion sur le langage et donc sur la poétique de Zundel nous a permis12 de voir qu’au-delà des images et des mots, Zundel nous conduit par la liberté et l’esprit de pauvreté au vrai visage de Dieu, à sa présence vivante dans nos communications humaines et donc dans notre rapport aux Écritures et aux dogmes. La présence ne s’explique pas, elle surgit dans l’ici-attentif au réel par delà les apparences : en cela, elle échappe à la fois à la subjectivité du groupe comme à l’approche scientifique qui inscrit sa démarche dans une logique causale. Elle résiste donc à l’argumentation philosophique ou théologique quand celles-ci s’organisent par déduction dialectique. La présence défie la logique rationnelle et la simple analogie sans tomber dans le subjectivisme ; elle ne se démontre pas, elle est une expérience à vivre dans l’infinie pauvreté de l’esprit. Elle relève de l’acte d’attention du sujet à ce qui est dans l’humilité du regard. Elle nous appelle de l’autre côté des choses et des textes par delà les vides éclatés des mots. La présence surgit, « dans le frémissement du passage, le silence, l’ici-attentif13. » Tel est le regard de l’artiste Zundel, quand il ouvre les textes bibliques. Il libère l’esprit caché dans la lettre. Nous sommes bien souvent aveugles et sourds à la présence et donc à la dimension interpersonnelle de la Parole de Dieu. Nous nous arrêtons au sens littéral sans aller au sens mystique et moral. La lettre nous empêche de voir l’esprit. Nous ne voyons pas, nous n’entendons plus celui qui se dit à travers ces mots parce nous sommes aveuglés par nos peurs, nos habitudes de penser, nos croyances et nos vieilles certitudes. Ce que nous croyons voir nous empêche de voir l’invisible lumière de la vie. Ce que nous croyons entendre nous empêche d’écouter le Verbe de Vie qui nous parle dans sa création et à travers les Écritures. Ce que nous croyons savoir nous empêche de découvrir l’éternel nouveauté du Verbe de la Vie à travers le texte biblique. Pour accueillir ce surgissement de la transcendance dans l’immanence de la lettre, il faut être vide de soi-même, disponible et attentif au surgissement d’un monde ouvert, imprévisible et irrépressible. Vouloir enfermer le texte dans des mots et des concepts définitifs est une démarche possessive et une impasse. L’Esprit est là dans la lettre, il nous attend ; à nous, de l’accueil, de le re-susciter par notre attention et notre désappropriation. Il est toujours déjà-là. Il surgit toujours où l’on ne l’attendait pas. C’est nous qui ne sommes pas là attentifs au présent de sa présence. Il ne faut pas s’arrêter aux images ou aux mots bien imparfaits de nos catéchismes et de nos communautés humaines, mais regarder dans la direction qu’ils nous montrent et prendre soi-même le chemin d’humilité qu’ils nous indiquent. Charles Péguy écrit : « Ils prennent toujours l’histoire pour l’événement, la carte pour le terrain, la géographie pour la terre. Qu’ils nous permettent de leur dire : tout cela n’est pas si simple, ni si vide, ni si mort. Tout cela est 14! » qui nous regarde. Cette direction nous conduit à la porte étroite des mystères révélés aux enfants et cachés aux sages et aux savants. Zundel cherche à nous libérer de la prison des mots, des concepts et des systèmes clos. Nous prenons nos représentations pour le réel.

Le Réel passe le réel, comme « l’Homme passe l’homme ». Le mystère est toujours au-delà, toujours plus grand. Il est infini. « Le réel est toujours ce que l’on n’attendait pas15. » Il est le don d’un regard dans le surgissement de l’instant. Il faut quitter ses croyances et ses rites pour voir autrement. Nous nous accrochons à l’extériorité de nos rites, à nos traditions, à nos petites habitudes. Il faut s’en libérer intérieurement pour en découvrir toute la profondeur infinie. Sans cette totale désappropriation de soi et de ce qu’on croit savoir, dire ou voir pour entrer dans ce cheminement intérieur qui conduit à la porte étroite du vide, rempli des énergies divines. Le langage a une puissance créatrice ou destructrice. Les mots peuvent nous enfermer ou nous libérer. La parole naît de l’énonciation, comme le Verbe naît de l’annonciation, de ce « oui » à chaque instant au réel de la présence qui nous attend. L’invocation engendre l’apparition de l’ange annonciateur, comme la nomination est acte de création qui réalise la séparation dans la dualité. C’est toute la magie du Verbe et son pouvoir de relier le visible et l’invisible. Notre le langage qui exprime nos pensées doit être créateurs. Il ne doit pas être des formules toutes faites, comme un catéchisme apprit par cœur et que l’on ne vit pas de l’intérieur. Sinon nos mots sont vides, nos paroles sont creuses et nos discours sinistres. La vie de la parole et des mots est dans leur surgissement. Les mots du poète comme ceux de tout créateur sont toujours dans la surprise, toujours’inattendue et inespérée. Les Japonais appellent cet instant : « le Ah ! des choses. » Pour Zundel : "Dieu, c'est quand on s'émerveille 16 ." Une parole vivante ne peut se contenter de répéter ce qu’elle a appris, elle doit sortir du fond de notre propre vie intérieure. Un véritable orateur parle avec son expérience, avec sa vie, un artiste peint, joue de la musique, fait du théâtre ou écrit avec son sang, avec toute sa vie, avec tout ce que sa vie a de surprenant, d’étonnement, de joie et de souffrance. Nietzsche écrit : « Il faut apprendre que la pensée, c’est du sang. Écrire avec son sang17 ... car le sang est esprit. » Le langage, quand il se fait interpellation du sujet, invocation, fait déjà un pas vers l’univers des personnes. La parole est action. La création, « pour l'aborder et la reconnaître, il faut la nommer, lui donner un statut personnel, la tirer de son anonymat, la baptiser dans notre intelligence afin que nous la rapportions à l'esprit18. » Zundel nous invite à ouvrir en nous cet espace de liberté et de pauvreté où notre esprit respire pour que nos mots soient porteurs de vie et de lumière. « Nous avons dans le langage, une certaine imagination de l'univers. Il y a là, un moyen admirable de situer les choses par rapport à la pensée19. » Pour retrouver la force créatrice du Verbe, il nous faut retrouver le contact avec le Cosmos, la nature, les animaux, et avec la vie des hommes d’aujourd’hui. Il nous faut ouvrir nos yeux et nos oreilles sur le miracle qui s’opère à chaque instant partout autour de nous, en toute chose, en toute rencontre. L’homme moderne a perdu cette faculté de comprendre la nature, de s’émerveiller et de vivre et de vibrer en harmonie avec elle, alors que les récentes découvertes de la science nous apprennent que le végétal et l’animal dans leur sagesse instinctive l’ont mieux conservé. Les arbres, les plantes et les animaux sauvages sont plus réceptifs aux vibrations lumineuses, sonores et magnétiques qui nourrissent la vie sur terre. Cette musique du Verbe chante le chant de la Vie et de l’Amour infini à travers tout le cosmos. Comme chez les peuples, dits primitifs, nos chants devraient être des invocations, des incantations qui expriment l’alliance de la parole et du son. Nos voix et nos chants sont la synthèse entre le souffle de la vie et le son qui sont à l’image du chant sacré des énergies du Verbe à travers le Cosmos. L’essentiel est dans l’action d’être attentif au passage et au surgissement de l’esprit. Paul Cézanne exprime ce surgissement de la présence dans l’ici-attentif du peintre face au motif de la Sainte Victoire.

La logique et l’analogique, les mots et les images, les concepts et les symboles, toutes ces possibilités de la parole ont chacune leur place et leur capacité propre ; sans cette attention dans l’instant présent, rien ne peut s’opérer. Le langage symbolique est pour Zundel un moyen d’éveil pour nous conduire à une découverte intérieure. Il se fait appel à une écoute de la présence divine dans notre intériorité. Le symbole nous appelle à passer du dehors au-dedans et à accueillir la transcendance. Dans l’attention à la lettre et au silence du Verbe, Zundel nous montre un chemin, accueilir le surgissement du passage de l’esprit. Les symboles ne sont pas diaboliques, ils ne divisent pas comme les concepts et ne cherchent pas à opposer les individus et les idées. Le symbole unifie, il met en relation, il ouvre un espace de liberté intérieure et nous rend réceptif à la présence. L’intelligence symbolique et l’attention au présent de la présence permettent de dégager les réalités spirituelles des réalités sensibles.

Il faut lire avec le cœur pour vivre et vivre pour comprendre. Par l’action de lire, la Parole de Dieu, les événements bibliques comme les dogmes nous voilent et nous dévoilent une présence-absence, qui ne peut qu’être accueilli dans la pauvreté et le vide de soi. Seul un vide infini peut accueillir l’infinie plénitude de l’Esprit. À travers les dits et les non-dits du texte se cachent une expérience existentielle et personnelle. La démarche de Zundel est une dynamique intersubjective entre Dieu, l’homme, la Bible, les dogmes et la vie. La théologie zundélienne trouve son origine et sa source dans ce dialogue sans cesse repris entre la Parole de Dieu, la réflexion personnelle et la vraie Vie ouverte dans tout son mystère.

1 M. Zundel, TVL, p.440.

2 M. Zundel, HE, p. 57.

3 M. Zundel, Cénacle Genève, 6 février 1966

4 M. Zundel, HE, p. 32.

5 La théologie a pour domaine les études sur Dieu et la Révélation

6 Nicolas Berdiaev, Esprit et Liberté, Théophanie-Essais / DDB, 1984, p. 33 & 45.

7 René Habachi, Un christianisme libérateur, Actes du Colloque de Paris 7-8-9 mars1997, Québec, Anne Sigier, 1997, p. 310.

8 Guigues le chartreux (1083-1136), « Lettre au frère Gervais sur la vie contemplative », in Enzo Bianchi, Prier la parole, Bellefontaine, Vie monastique n°15, p. 91-108

9 M. Zundel, TVL, p. 301.

10 Ph. Baud, le Nouvelliste, Valais, le 10 août 1976.

11 Cité par J. Guitton, dans son Journal de ma vie, Paris, DDB, 1976, p. 550.

12 Tome II, l’homme en question,

13 Henri Maldiney, L’art, éclair de l’air, Compt’Act, 1993, p. 350

14 Charles Péguy, Œuvre en prose, Paris, Galimard, 1957, p 1469.

15 H. Maldiney, Regard, Parole, Espace, L’Harmattan, p. 19.

16 M. Zundel, TVL, p. 388.

17 F. Nietzsche, « Lire et écrire », in Ainsi parlait Zarathoustra, première partie, trad. H. Albert, t. II, p. 312, société Mercure de France, vol. 9, p. 54.

18 M. Zundel, Bourdigny, 1937

19 M. Zundel, Bourdigny, 1937

PAROLE DE DIEU ET VIE

La pédagogie de la révélation

Pour Maurice Zundel, l’expérience biblique se révèle comme la présence de quelqu’un qui se dit à travers l’histoire d’un peuple, c’est-à-dire d’une communauté de personnes. Yahvé est une présence lumineuse au cœur de son peuple. Transparents à Dieu, les prophètes nous dévoilent cette mystérieuse présence illuminant nos déserts. À toutes les époques, l’Esprit suscite des hommes pour manifester par la beauté, la vérité ou l’amour à travers l’art, la science ou le service des autres, cette présence divine dans l’humanité. L’intériorité divine ne peut se dire qu’à travers une intériorité humaine. Le désert est le lieu loin de tout, l’espace vide où l’homme est livré pauvre et nu à la lumière. C’est le lieu par excellence et les conditions idéales pour devenir capable de l’accueillir. Á la limite de l'espace et du temps, les prophètes ont fait l’expérience de cette divine pédagogie de la présence et de l’absence, de la soif et de la joie de voir jaillir l’eau vive de l’esprit : Moïse, Élie, Jérémie en feront eux-mêmes l’expérience avant d’être envoyés en mission pour conduire le peuple. Cette Terre promise est l'image de l’intériorité humaine dans laquelle se manifeste l’altérité divine. Dans ce buisson de l’être, le feu de l’Esprit révèle sa lumineuse présence. À la suite des pères du désert d’Égypte, d’Origène et de Grégoire de Nysse, Zundel insiste sur cette lecture journalière des Écritures pour nourrir sa foi comme la manne du désert. La source est là, mais c’est nous qui ne savons plus y puiser l’eau vive. Elle est toujours là, elle attend, c’est nous que ne prenons jamais le temps de l’accueillir. Nous ne sommes pas là. Nous sommes dehors aloers qu’elle est dedans. « Si vous ne vous rendez pas au puits tous les jours, si vous ne puisez pas l’eau tous les jours, loin de pouvoir donner à boire aux autres, vous endurerez vous-mêmes la soif de la Parole de Dieu. Écoutez ce que le Seigneur dit dans les Évangiles : « Celui qui a soif, qu’il vienne et qu’il boive !20 »

L'intime chez Maurice Zundel n'est pas une simple intériorité close sur elle-même. Elle s’ouvre sur une expérience d'altérité intersubjective. Cette intériorité ouverte permet à l'homme d'être à la fois uni à Dieu et présent au monde, et donc authentiquement et pleinement humain, sans confusion ni mélange avec le divin. Cette expérience apparaît ainsi comme une expression privilégiée de désappropriation de soi, thème si important dans sa prédication. Ouverte sur l'action et non close sur elle-même, elle révèle en l'homme une profondeur infinie qui fait de lui un être libre, capable de réfléchir, d’agir par lui-même et dans la relation avec l’infinie, de devenir capable de l'infini. L'action ici est entendue à la fois dans un sens mystique, un élan vers l'Autre intérieur, et dans un sens moral de l'engagement dans une communauté. Plus je lis, plus je m’engage dans un chemin de vie, plus la lumière se transforme en relation et en communion. Dire l'intime est un défi pour la pensée comme pour le langage. L’intime se vit, il se partage, il ne se transmet que de personne à personne. Les mots sont incapables de dire le mystère de la vie. Il faut vivre pour comprendre. Toute l'œuvre de Zundel essaie de nous conduire vers cet indicible invisible.

Toute la pédagogie de la révélation est une intériorisation progressive de cette expérience de l’altérité au cœur de l’intériorité d’un homme choisi par Dieu. Le mystère de la personne humaine révèle le mystère de la personne divine dans leur relation mutuelle. Cette révélation du Dieu-intérieur est le ferment et le révélateur de notre propre libération et de notre personnalisation ; en dehors de ce face-à-face avec lui au plus intime de nous-mêmes, nous demeurons esclaves de nos déterminismes biologiques et nous ne pouvons comprendre ces textes. Nous restons des individus qui n’ont pas atteint toute leur grandeur. L’Écriture s’accomplit en plénitude dans la personne de l’homme Jésus, totalement transparente à Dieu, son Père. C’est pourquoi le Christianisme, plus qu’une doctrine, est une Personne. La personne du Christ ressuscité est cette présence vivante, dans l’aujourd'hui de Dieu au milieu des hommes. Cette rencontre de l’Altérité divine dans l’esprit et la vie peut nourrir notre vie et notre propre réflexion à la suite d'un grand nombre de saints des penseurs juifs et chrétiens. Elle nous révéle notre propre intériorité et notre capacité de relation avec un au-delà au-dedans. L’évidence dont se nourrit cette relation d’Esprit infini à esprit fini traduit la lumière qui naît de cette rencontre.

En relisant l’histoire à chaque génération, la révélation retrace cette expérience intérieure. Progressivement les prophètes et les saints en purifient l’expression symbolique et conceptuelle. Représentations du divin, cultes et rites ne sont que des moyens nécessaires pour le rencontrer. L'essentiel est la Présence du divin dans l'homme de désir. Les prophètes trouveront des formes et des figures de plus en plus intériorisées, jusqu’à ce que Jésus propose à la Samaritaine un culte “en esprit et en vérité”, sans temple ni lieu de culte, mais parfaitement intériorisé dans ce temple que constitue l’intériorité des personnes humaines. « Les religions ont échoué dans la mesure où elles ne se sont pas situées en avant de nous ; dans la mesure où elles ont été rétrospectives au lieu d’être prospectives, dans la mesure où elles se sont arrêtées au robot préfabriqué qui résulte de notre naissance charnelle plutôt que de susciter en nous l’homme nouveau qui doit naître de l’esprit21. » Nos rites et nos discours sur Dieu ne sont que des représentations approximatives pour nous inviter à refaire nous-mêmes l’expérience personnelle du divin en nous, mais cette expérience est toujours ineffable et indicible. « Ce sentiment d’une présence invisible qui se joue à travers une histoire humaine jaillit d’un contact, non d’un raisonnement22. »

Sans séparer ni confondre l’homme et Dieu, il nous faut chercher à mettre en corrélation notre réflexion sur l’expérience humaine avec celles des prophètes telle qu’elle nous est donnée dans la Révélation. Le passage à la foi, comme le rappellera la déclaration de Vatican II sur la liberté religieuse, est « la rencontre de deux libertés dans l’amour, c’est la communion de l’homme avec Dieu23. » La mission de nos Églises est « de favoriser cette rencontre, de veiller à ne la compromettre en rien24. » La révélation demeure donc toujours « un évènement interpersonnel, intériorisant et libérateur, où Quelqu’un se dit à quelqu’un25. » La véritable Bonne Nouvelle, c’est sa présence dans ce sanctuaire qu’est l’homme.

Dieu n’est pas dans un ailleurs, au loin dans un ciel étoilé ou sur un nuage. Il habite ici et maintenant au cœur de tout homme. Dans cet « entre-nous » de nos communautés humaines, il est la troisième dimension des relations entre les femmes et les hommes. Il est ce qui donne à ces rencontres leurs joies et leurs beautés et font toute la splendeur d’une véritable fraternité. Tout au long de l’histoire, la révélation a progressivement manifesté cette divine présence au cœur de l’histoire et des relations humaines. La révélation n’est jamais une simple leçon d’histoire, de géographie ou de politique, elle n’est jamais de l’ordre des données objectivables. Elle est manifestation progressive d’une présence transcendante, toujours la même, mais que chacun traduit dans son langage et dans ses représentations. Dans la lecture de la Bible, c’est cette présence intérieure qu’il s’agit de trouver à travers le très long « film pédagogique »26 dont est faite la révélation.

Dieu transparaît plutôt qu’il n’apparaît dans l’histoire d’un homme. « La révélation s’inscrit toujours dans un dialogue de sujet à sujet où l’intimité divine se fait jour dans la nôtre27. » Le sens ultime de la révélation ne se révèle-t-il pas dans ce « dialogue nuptial vécu et chanté par tant de mystiques où nous sommes guéris de nous-mêmes et affranchis de nos limites dans la respiration de l’éternel amour28 ? » Pour reconnaître une révélation divine, Zundel donne comme critère sa puissance effective de libération de l’homme dans l’univers. C’est pourquoi « la révélation qui est une histoire à deux, comme la création, se développera donc nécessairement comme une dialectique de la grâce et de la pesanteur, tant que le sujet humain auquel elle s’adresse et en qui elle s’exprime n’aura pas atteint au dépouillement absolu, où il échappe à la contrainte de l’objet, en se déracinant du vieux fond biologique pour être transplanté en Dieu29. » « Si l’on peut dire que Dieu s’historicise, c’est parce qu’il est communication 30 . » « En Dieu, la connaissance est un élan vers l’autre… Il y a en Dieu toute cette circulation prodigieuse de Lumière et de l’Amour… toute cette éternelle communication »31 qui va du Père au Fils et du Fils au Père dans l’échange de l’Esprit. Toute la joie en Dieu, c’est la joie du don. Il n’a de prise sur son être qu’en le communiquant. Dieu dans la création ne vise pas autre chose que cette communication de la vérité, de l’amour et de la liberté divine, dans la liberté et la conscience de l’humanité. La connaissance des Écritures sans la foi est lettre morte, car elle se dérobe à l’existence, elle n’est plus éclairée par la vie. Elle ne se nourrit plus de la vie.

Une lecture ouverte

« La révélation est une histoire à deux »

Dans le but de vivre aujourd’hui de la vie de l’esprit, Zundel fait une lecture spirituelle et existentielle de l’Écriture ; retrouvant la grande tradition des pères du désert32, il dégage de l’extériorité des événements racontés, les réalités intérieures qu’ils expriment. Il nous invite à chercher dans la lettre la lumière de l’Esprit. La Bible ne fait que traduire par des mots trop étroits pour s’ouvrir à l’universel, parce qu'adaptés à une culture et à une époque, la splendeur et l’éclat d’une rencontre entre un homme et son Dieu. À partir de cette rencontre et à la lumière de ce contact intérieur éminemment personnel, Zundel à la suite des pères de l’Église nous rappelle l’importance de cette lecture méditée des Écritures comme chemin d’union et de connaissance de Dieu. Sans cette expérience qui est première, nous ne pouvons aborder l’indicible et insaisissable événement qu’est la Résurrection, clef de tout le reste. Car c’est en chacun que cet événement se transfigure en avènement d’une présence chaque fois que, vide de nous-mêmes, nous nous émerveillons devant la nature, la beauté d’une musique ou la Parole de Dieu qui s’illumine d’un jour nouveau. Cette lectio divina se vit aussi bien dans le livre de la nature que dans le livre de la Bible. Les événements et les choses n’ont de sens, en tant que parole de Dieu, que s’ils adviennent comme avènement d’une présence cachée dans le tissu de chacune de nos histoires, de nos musiques ou de nos plus beaux paysages. La lumière incréée transfigure alors l’espace et le temps, la matière et l’esprit. Alors la grâce de l'Esprit illumine la pesanteur des choses et des mots. Sans cette expérience, nous passons à côté du texte et de la nature ; nous sommes épouvantés et envahis de crainte devant tant de contradictions, de violences et de souffrances. Sans l’Esprit, nous ne pouvons voir, toucher, entendre le Verbe caché sous le voile de la lettre. La Parole divine reste pour nous des mots vides. Mais si l’Esprit vient les habiter par sa lumière, ils deviennent des mots-sacrements, comme dans la bouche du poète ou dans les mains de l’artiste la matière se met à chanter. Le texte devient alors un vitrail rempli de lumière. C’est à la lumière de ce contact intérieur qu’il nous faut lire l’Écriture, contempler la Vie et réfléchir notre foi. Si nous avions un peu ce regard des peuples d’Orient, ce regard d’enfant et de poète, si nous savions encore nous émerveiller, "être saisi d’étonnement" devant les mystères de la vie comme nous l’écrit l’évangéliste Luc33 à propos de l’apparition de Jésus à Thomas, nous goûterions plus souvent cette joie et cette paix, que nous goûtons dans la Parole et de la Présence de Dieu par la lecture la méditation et l’oraison. Ces nourritures de l’esprit et du coeur font que la vie se met à chanter parce qu’elle est baignée de la lumière intérieure. Dans nos yeux, ces textes qui sont morts deviendraient vivants, comme une lettre d’amour suscite et ressuscite notre amour.

Le danger des lectures modernes, qui se veulent scientifiques est de se limiter à l’événement, par peur des raccourcis idéologiques ou moralistes qui ont trop souvent été la source et l’origine de bien des hérésies. À force d’objectivités et de méfiances de toutes formes d’intériorité, nous chosifions la Bible. Nous stérilisons la Parole de Dieu. À force de vouloir coller à l’histoire et à la lettre dans la critique des textes, dans l’analyse des formes et des structures linguistiques et littéraires, nous finissons par nous perdre dans les sables de la déconstruction et ne plus nous laisser illuminer par la lumière de l’Esprit. Sous prétexte de vouloir nous conduire vers un hypothétique “sens premier”, ces méthodes risquent de nous arrêter en chemin et de nous empêcher de rester ouverts sur l’infini qui se cache dans la lettre, comme le feu sous la cendre des mots. Elles nous évitent ainsi de poursuivre sans cesse notre questionnement et de continuer à creuser notre propre puits, à faire grandir en nous cette soif et cette faim d’absolu que seule la présence vivante de Dieu peut rassasier. Oubliant "le principe d’analogie de la foi", la force des signes et des figures culturelles, au profit de la seule logique formelle, notre lecture des Écritures ne perd-elle pas une partie importante de l’intelligence des textes, en négligeant cette composante essentielle de l’esprit humain qui est l’intelligence symbolique et intersubjective, plus naturelle aux orientaux qu’à nous occidentaux à l’esprit trop cartésien. Pour Descartes, « Je pense donc je suis ». Pour un esprit sémite, je suis avec l’autre donc j’existe. L’être n’est pas une pensée, mais un acte de communion à l’autre. Zundel, avec son intuition de poète et sa finesse spirituelle, a su retrouver, comme le fait aussi le Père de Lubac son contemporain et ami, l’intelligence de l’Écriture à la lumière des pères orientaux. Certains pères latins34, Saint Bernard et les premiers cisterciens jusqu’à la Renaissance n’ignoraient pas ce principe et l'ont pratiqué dans leur Lectio Divina. Zundel nous rappelle que, sans cette rencontre intérieure et personnelle, notre lecture de l’Écriture risque de n’être qu’une impasse. Elle n’est souvent qu’une simple projection idéologique de nous-mêmes ou de notre culture sur un texte écrit dans un espace culturel oriental, différant de notre Occident formé et déformé par les pensées grecque et latine. L’histoire, la linguistique, la sémantique ou la rhétorique, si elles peuvent être utiles à leur niveau, ne sont cependant pas elles-mêmes la rencontre. Pour que cette révélation devienne lumière et vie pour le lecteur, il faut entrer soi-même dans ce sanctuaire intérieur, vivre et agir pour comprendre. « Lecture, méditation, action et contemplation35 » sont les étapes sans cesse renouvelées de notre « oraison sur la vie » dans une lecture vivante et infinie des Écritures et de la vie. Nous commencerons donc par analyser le langage et l'acte de lecture dans les traditions juives et chrétiennes.

Nous restons encore marqués par une époque où, chez les Catholiques, la Bible n’était pas lue par les laïcs et peu étudiée par les clercs. Quant à la tradition juive, elle était et elle est encore totalement ignorée par la majorité des chrétiens. Si l’Ancien Testament est si utile pour comprendre le Nouveau et inversement, comme nous pouvons le voir dans les rencontres entre juifs, orthodoxes, protestants et catholiques, il faut reconnaître que Zundel n’ignorait pas cette fécondation réciproque des deux testaments. Sans doute, son séjour à l'école Biblique de Jérusalem lui avait permis de découvrir plus intérieurement la lecture juive et patristique. Il pratiquait comme l’évangéliste Luc, une lecture à l’envers, non pas une lecture du Nouveau à partir de l’Ancien, mais de l’Ancien à partir du Nouveau. Toute la tradition est là pour nous montrer la richesse et la fécondité de cette démarche. L'Évangile de Luc nous livre ici, non seulement la clef d’une lecture juive et chrétienne des Écritures, mais aussi la clef de toute vie chrétienne. Notre foi est adhésion à Quelqu’un de vivant au milieu de nous, en nous et entre nous. En dehors de cette présence, tout est problème et chaos ; en dehors de cette lumière, tout n’est que ténèbres, non-sens, tohu-bohu, écart crucifiant pour l’esprit. En dehors de cette lumineuse présence, les Écritures sont de belles histoires qui restent des lettres mortes.

Le mérite de Zundel est de relativiser les méthodes et les instruments d’analyse dans un domaine qui « ne relève pas de la science et qui constitue le champ d’une connaissance où la personne est engagée et où l’on connaît autant qu’on s’engage soi-même36. » Zundel nous met en garde contre une trop grande sacralisation du texte qui « risque toujours d’être reçu comme un absolu37. » C’est le cas dans de nombreuses sectes qui justifient ainsi le fondamentalisme de leur lecture. Il est peut-être utile de se demander si les méthodes modernes d’interprétation de la Bible, mal employées ou érigées en absolu à l’exclusion de toute autre approche, malgré leur apparente scientificité, ne font pas la même erreur ? Le refus des dimensions analogiques et symboliques du langage enlève aux mots leur force de vie et leur pouvoir signifiant. Sans l’extériorité de la lettre, l’esprit ne peut se dévoiler. Mais si nous restons à l’extériorité de la lettre, les méthodes et les instruments pourront nous faire aboutir à toutes les conclusions possibles, elles ne pourront jamais rien nous dire sur l’intériorité de la rencontre qui se vit dans l’acte même de la lecture. Le but de la lecture est de nous faire participer à la mystérieuse et ineffable réalité, que ces textes voilent et dévoilent à la fois. Ce n’est pas nous qui lisons, mais le texte qui lit en nous et devient une annonciation. Il faut accueillir le texte, s’exposer et se laisser travailler et changer par la Parole. Cette lecture devient alors une nouvelle incarnation du Verbe dans notre histoire personnelle. Le Verbe se fait chair aujourd’hui et s’engendre en nous dans la Lectio Divina. Le voile de la lettre se déchire et la pierre du tombeau des Écritures est roulée, la Parole prend sens, elle devient source de vie. Le Maître est là ! Il nous appelle à chaque page des Écritures, c’est nous qui étions aveugles et sourds, absents à sa présence cachée dans la lettre. Avec les pèlerins d’Emmaüs, laissons-nous émerveiller quand, sur le chemin de la lecture, le Verbe nous ouvre le sens des Écritures. Quelqu’un qui voudrait lire avec un regard purement critique et extérieur la lettre d’amour de deux fiancés, ne peut rien comprendre de la communion intime qui se noue à travers ces mots ; seule celle à qui la lettre est destinée peut la comprendre et faire de son acte de lecture une rencontre d’amour, et voir entre les lignes, la lumière de la présence qui transfigure les mots en relation, donc en personne vivante.

L’Écriture comme sacrement d’une présence

« Le silence nous apprend à entendre la Parole, non pas comme un mot, mais comme une Présence, … une Personne, … le Verbe de Dieu38. »

Aux modernes qui ont perdu cette simplicité du regard dans une lecture amoureuse des Écritures, tel qu’elle s’est longtemps pratiquée à travers la tradition de la Lectio Divina, Zundel lance cette boutade : « Nous ne sommes pas les disciples d’un livre, mais de Jésus-Christ ressuscité en nous39. » Guigues le chartreux écrivait : « Cherchez dans la lecture, vous trouverez dans la méditation, frappez dans l’oraison et l’on vous ouvrira dans la contemplation… La lecture est un exercice externe, la méditation est un acte de l’intelligence intérieure, l’oraison est un désir, la contemplation un dépassement au-dessus de tout sens. » En effet, la parole divine est une parole adressée de quelqu’un à quelqu’un. Il faut savoir frapper à la bonne « porte ». « Quand tu écoutes, Dieu te parle ; quand tu pries, tu parles à Dieu40, » écrit Saint Augustin. Si on enlève les sujets en dialogue, elle se stérilise en objet d’étude qui ne transmet plus aucune présence. Or, c’est là son unique message : « Nous ne sommes pas liés à un écrit, même les Évangiles, nous sommes liés à une personne, nous sommes liés à une présence qui est actuelle41. » La parole de Dieu ne s’est pas fait écriture, elle s’est incarnée dans une vie d’homme. « Le Verbe s’est fait chair », est-il écrit au début du Prologue de Jean. « Le christianisme n’est pas à proprement parler une religion du Livre, il est la religion de la Parole, mais non pas uniquement ni principalement de la Parole sous forme écrite. Il est la religion du Verbe, non pas d’un Verbe écrit et muet, mais d’un Verbe incarné et vivant42. » La Parole est dans toutes ses dimensions à la fois mots, concepts, images, symboles, actes et présence lumineuse. Le Verbe se fait acte. Il vient en nous. Il est la lumière de nos actions et de nos discours ; mais nous ne l'avons pas reçu, pour reprendre le prologue de Jean. « Les mots ne sont pas les seuls éléments de langage. Il y a une personne au fond de toute parole … Le langage s’apparente au domaine des symboles qui constitue la réalité profonde du monde sensible où chacun respire un au-delà43. »

Cette présence est au-delà des formules culturelles et au-delà des contingences de la langue et des mentalités, des situations économiques et politiques. Sans cette présence, les paraboles et les miracles de Jésus nous restent inaccessibles. Seul le Verbe nous a été donné pour nous conduire, à travers l’intériorité de la lettre, à la vérité tout entière. Or cette vérité n’est pas dans un sens premier originel, mais elle est la vérité de la personne du Verbe dont nous actualisons la présence par notre présence dans l’action même de la lecture. « Finalement la révélation tient tout entière à la présence et à la personne de Jésus-Christ44. » Pour le chrétien qui lit l’Écriture dans la foi, « la Bible n’est pas un dictionnaire de théologie, la Bible, c’est Quelqu’un ; une présence parce que sous chaque mot, il y a le Verbe de Dieu. Ce n’est pas le sens des mots qui constitue la révélation 45 . » C’est cette présence elle-même. La Bible raconte l’itinéraire d’une humanité en marche vers la lumière. C’est pourquoi l’approche de la révélation doit être d’abord un contact personnel avec des personnes qui se libèrent dans cette rencontre dont elles sont les témoins émerveillés. La Révélation ne porte ni sur des mots, ni sur des choses ou des concepts froids, mais sur une Personne vivante, dans la présence en nous du Christ ressuscité. Au centre du Christianisme, nous trouvons une « révélation qui porte essentiellement sur la personne46. » Cette pédagogie biblique doit être prise selon ses différentes étapes, comme un acheminement de l’imparfait au moins imparfait, jusqu’à son terme le plus parfait, Dieu en Jésus-Christ, mort et ressuscité. « Le seul dessein de Dieu est de nous enraciner dans l’Univers-personne » où vérité, liberté et personnalité s’identifient… « dans ce "vide sacré" où l’on devient soi dans un autre et pour lui47 .»

L’Écriture, un chemin de libération