La pensée de saint Paul - Jacques Maritain - E-Book

La pensée de saint Paul E-Book

Jacques Maritain

0,0
5,99 €

oder
-100%
Sammeln Sie Punkte in unserem Gutscheinprogramm und kaufen Sie E-Books und Hörbücher mit bis zu 100% Rabatt.
Mehr erfahren.
Beschreibung

Un ouvrage au cœur de La pensée de saint Paul...

« Il suffit de lire la première phrase de l’introduction de Jacques Maritain pour comprendre ce qui est au centre de cet ouvrage : “Le salut vient des Juifs” (Jn 4, 22). Aux yeux de Maritain, la vie et la pensée de Paul sont entièrement commandées par la mystérieuse dialectique des Juifs et des Gentils qu’il a discernée dans le dessein de Dieu. Même la dialectique entre la Loi et la Grâce, qui caractérise la doctrine paulinienne, se rattache à ce mystère central. C’est le fils d’Israël devenu l’Apôtre des Nations que Maritain nous fait découvrir dans ce livre, avec sa profondeur coutumière. C’est donc un saint Paul “Hébreu, fils d’Hébreux, Apôtre des Gentils”, comme il l’écrit dans sa dédicace adressée à une Juive américaine, que Maritain nous présente dans ce livre. Ce paradoxe, qui en 1941 sonnait comme une provocation, reste encore aujourd’hui une lumière pour redécouvrir à propos de saint Paul que Dieu n’accomplit l’universalité de son dessein bienveillant sur l’humanité qu’à travers la particularité d’une Élection “sans repentance” (Rm 11, 28-29) dont les Juifs sont à la fois l’objet et les témoins. »

Fr. Jean-Miguel Garrigues o.p.

Plongez dans cet ouvrage sous la jolie plume de Jacques Maritain !

Das E-Book können Sie in Legimi-Apps oder einer beliebigen App lesen, die das folgende Format unterstützen:

EPUB
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Couverture

Page de titre

À Ruth Nanda Anshen

ce Commentaire sur le Grand Docteur de la Grâce

et de la Liberté

Hébreu fils d’Hébreux

Apôtre des Gentils

est respectueusement et amicalement dédié

Préface

En 1941, pendant la guerre, Jacques Maritain, exilé à New York, publia cette étude sur la personne et l’œuvre de saint Paul.

Il suffit de lire la première phrase de son Introduction pour comprendre ce qui est au centre de l’ouvrage : « Le salut vient des Juifs » (Jn 4, 22). En effet, l’auteur nous y présente la personne et la doctrine de Saoul ou Saul, ce Juif pharisien devenu disciple du Messie Jésus et envoyé par Lui, sous son nom romain de Paul, annoncer aux nations de la Gentilité la Bonne Nouvelle du salut universel. Aux yeux de Maritain, la vie et la pensée de Paul sont entièrement commandées par la mystérieuse dialectique des Juifs et des Gentils qu’il a discernée dans le dessein de Dieu. Même la dialectique entre la Loi et la Grâce, qui caractérise la doctrine paulinienne, se rattache à ce mystère central. C’est donc le fils d’Israël devenu l’Apôtre des Nations que Maritain nous fait découvrir dans ce livre, avec sa profondeur coutumière. Aussi faut-il en louer la publication, si opportune en cette année où l’Église célèbre un jubilé de saint Paul.

Quand il écrivit et fit paraître ce livre, au milieu d’écrits de résistance, pendant la Deuxième Guerre mondiale, Maritain ne quittait pas le combat qu’il avait mené contre l’antisémitisme dans les années précédant le conflit, alors que montait le nazisme et que la persécution raciste s’étendait en Europe1. Sa correspondance avec Charles Journet montre qu’il réfléchissait depuis des années à la dialectique entre les Juifs et les Gentils qui se trouve à la base de l’identité d’Israël. Le peuple d’Israël, en effet, n’est pas une nation parmi d’autres, que Dieu aurait choisie comme telle. Il est au contraire un peuple sacré qui ne préexiste pas à l’Élection divine, mais qui est issu d’elle comme « nation consacrée » et « peuple de prêtres » (Ex 19, 6). Du point de vue de la théologie catholique, Israël ne doit donc pas être vu comme une nation choisie en tant que nation préexistante, mais bien plutôt comme une « proto-Église », comme le premier embryon de l’assemblée sainte en laquelle Dieu ébauche la Jérusalem à venir.

Dès avant la guerre, Maritain réfléchissait à partir de saint Paul à ce que celui-ci appelle le « mystère » (Rm 11, 25) d’Israël, non seulement dans le Peuple de Dieu sous la Première Alliance, mais aussi dans cette partie du Peuple qui n’a pas cru en Jésus comme Messie, mais que Dieu garde néanmoins dans son Élection. En 1935 il avait fait traduire et publier dans sa collection « Les îles » chez l’éditeur Desclée de Brouwer, avec une préface de lui, l’étude très pénétrante de l’exégète allemand Erik Peterson, un protestant converti au catholicisme qui avait quitté l’Allemagne en 1933, intitulée Le mystère des Juifs et des Gentils dans l’Église. Juste avant la guerre, il s’est appuyé sur celle-ci dans sa controverse avec des antisémites2. En 1941 c’est sa vision d’ensemble de la figure et de la doctrine de saint Paul qu’il livre, à partir de ce qui lui semble en être le centre.

Ce livre a été publié à New York aux éditions de la Maison Française en 1941, et n’a été réédité en France qu’une fois, en 1947. Mais, preuve de l’importance qu’il lui accordait, Maritain l’a partiellement repris dans des ouvrages postérieurs tels que Pour une philosophie de l’histoire3 et surtout Le mystère d’Israël4, qui rassemble toutes ses études sur les Juifs.

C’est donc un saint Paul « Hébreu, fils d’Hébreux, Apôtre des Gentils », comme il l’écrit dans sa dédicace adressée à une Juive américaine, que Maritain nous présente dans ce livre. Ce paradoxe, qui en 1941 sonnait comme une provocation, reste encore aujourd’hui une lumière pour redécouvrir à propos de saint Paul que Dieu n’accomplit l’universalité de son dessein bienveillant sur l’humanité qu’à travers la particularité d’une Élection « sans repentance » (Rm 11, 28-29) dont les Juifs sont à la fois l’objet et les témoins.

Fr. Jean-Miguel Garrigues o.p.

1 On trouvera un excellent choix de textes de Maritain contre l’antisémitisme, édités et présentés par Pierre Vidal-Naquet, dans L’impossible antisémitisme, rééd. Desclée de Brouwer, Paris 2003.

2 Cf. Correspondance Journet-Maritain, tome II, Éditions Saint-Augustin, Saint-Maurice, 1997, p. 838, note n° 2.

3 Éditions du Seuil, Paris 1959 ; repris dans les Œuvres complètes, Academic Press, Fribourg, et Saint-Paul Éditions religieuses, Paris, tome X, p. 684 s.

4 Édition Desclée de Brouwer, Paris/Bruges 1965 ; repris dans Œuvres complètes, tome XII, pp.429-660.

Biographie

« Saul qui est aussi Paul », « Hébreu fils d’Hébreux », est né dans la diaspora, à Tarse en Cilicie ; son père était citoyen romain.

Élevé dans le plus strict judaïsme, élève du grand Docteur pharisien Gamaliel, il persécuta d’abord l’Église naissante et approuva le meurtre d’Étienne. Après sa conversion sur le chemin de Damas, il ne vécut plus désormais que pour prêcher le Christ et pour souffrir avec lui. « Malheur à moi si je n’évangélise pas. » Ses voyages apostoliques sont racontés dans les Actes des Apôtres. Ses épîtres aux communautés chrétiennes et à ses compagnons d’apostolat ont été écrites pendant les dix-sept dernières années (pour autant qu’une chronologie assez incertaine permet d’énoncer ce chiffre) d’un ministère qui dura trente ans. Elles sont à la fois le plus brûlant témoignage d’amour évangélique et le plus précieux trésor de doctrine, – un trésor où tous les Pères et les Docteurs, notamment saint Jean Chrysostome, saint Augustin, saint Thomas d’Aquin, ont puisé la lumière, et auquel la pensée chrétienne n’a cessé et ne cessera jamais de s’alimenter.

Emprisonné deux fois à Rome, l’Apôtre des Gentils fut mis à mort sous Néron, – un 29 juin, – vraisemblablement en l’année 67.

Introduction Saint Paul

« Le salut vient des Juifs1. » C’est d’Israël qu’est sorti le Sauveur du monde, c’est dans le sein d’une jeune fille juive – la seule créature absolument pure parmi toutes les créatures purement humaines – que le Verbe par qui tout a été fait a pris chair humaine : salué tout aussitôt par le premier pogrom de l’ère chrétienne, le massacre des innocents petits Juifs en qui le roi Hérode cherchait à tâtons à frapper leur Roi ; et dès sa naissance emporté sur les routes par Joseph et Marie, – quoi donc ? une indigente famille de petits artisans sans le sou, sans affidavits et sans visas, les premiers réfugiés juifs de l’ère chrétienne, avec leur pauvre âne fatigué. (Dans les moments de l’histoire du monde où la seconde Personne est envoyée, elle doit toujours commencer par se cacher chez ceux qui ne peuvent pas la reconnaître.)

C’est d’Israël qu’est sorti le Sauveur du monde. Les apôtres étaient des Juifs. Les deux plus grands conducteurs d’âmes que l’histoire de l’humanité ait connus, Moïse et Paul, étaient des Juifs. L’un et l’autre ont entrevu Dieu. L’un et l’autre étaient des hommes environnés de faiblesse, infirmes et tremblants sous leur terrible mission. Moïse bégayait, Paul était « souffleté » par un mal qui l’humiliait. Ils nous apparaissent tous deux empreints d’une redoutable majesté : mais tous deux ils étaient des vagabonds sur les routes. Et Moïse « a été appelé le plus doux des hommes2 », et Paul portait avec une tendresse déchirante les premiers fidèles de l’Église naissante comme « ses petits enfants ». L’un et l’autre ont été persécutés et abandonnés. Et parce que Paul devait être configuré au Christ, il a été lapidé, emprisonné, martyrisé. Moïse a transmis à Israël les tables de la Loi ; Paul, par le glaive de la Parole qui lui a été confié, a appris à l’Église universelle, à « l’Église faite des Juifs et des Gentils », à l’Israël spirituel, qu’elle était, « par la Loi », « morte à la Loi », afin de vivre à Dieu.

Là est l’essence de la mission de Paul. Là est son importance centrale dans l’histoire humaine. C’est par lui, et grâce aux lumières qu’il avait reçues à cet effet, que le christianisme a pris conscience de sa liberté à l’égard du judaïsme, – et de sa pure universalité. Ce fut là un événement capital, le plus grand de toute l’histoire des âmes et de la civilisation. Il fallait comprendre que le Fils de l’Homme n’était pas venu seulement pour le Juif, mais pour l’Homme, pour le genre humain pris dans son unité ; il fallait comprendre que le Messie du peuple juif n’était pas venu seulement pour le peuple juif, mais pour toutes les nations du monde ; il fallait comprendre qu’en sauvant par son sang les hommes de toutes les nations du monde il ne leur demandait pas de se faire juifs ou judaïsants pour être chrétiens, mais au contraire faisait d’eux ses vrais Israélites en esprit et en vérité, son peuple, circoncis dans le cœur, non dans la chair, auquel ceux qui venaient de la circoncision et ceux qui venaient de l’incirconcision étaient appelés à appartenir également ; il fallait comprendre que l’Église ou le Royaume de Dieu pérégrinant ici-bas, le Royaume de la rédemption continuée de génération en génération, n’était ni une secte juive ni une extension religieuse de la théocratie d’Israël sur tous les peuples de la terre, mais au contraire un Corps universel nouvellement engendré dans sa réalité visible par l’invisible vertu du sang du Christ et de l’Esprit de Dieu, et cela précisément au prix de la royauté terrestre dont Israël était désormais dépossédé. Il fallait comprendre que cette extraordinaire rupture – par laquelle du Temple brisé, dépossédé, gisant à terre, allait surgir et se dégager l’Israël spirituel, le Temple mystique du Corps du Christ – était elle-même conditionnée par le faux pas d’Israël et la grande prévarication de ses prêtres. Il fallait comprendre que si le salut est pour tous les hommes et si dans le Christ il n’y a ni Juif ni Gentil, c’est parce que la puissance qui opère le salut n’est pas la Loi des Juifs mais la Foi en Celui qui a été crucifié au nom de cette même Loi.

Ainsi la grande intuition qui embrase l’esprit de Paul est le sens de l’universalité du Royaume de Dieu, et le sens du salut par la Foi, non par la Loi. Une autre intuition, inséparablement liée à la première, est celle de la primauté de l’intérieur sur l’extérieur, de l’esprit sur la lettre, de la vie de la grâce sur les observances externes. C’est le sens même de l’Évangile. Paul a eu conscience plus profondément qu’aucun autre de l’immense révolution spirituelle accomplie par Jésus, et que saint Thomas d’Aquin met en lumière quand il établit que la Loi Ancienne étant une loi écrite, ce qui importait le plus en elle était l’accomplissement extérieur des prescriptions et des rites, mais que la Loi Nouvelle est premièrement et avant tout une loi non écrite – écrite par Dieu dans le cœur des appelés – et que ce qui est principal en elle, et « ce en quoi consiste toute sa vertu », est la grâce du Saint-Esprit opérant dans les âmes par la foi et la charité3.

Désormais la pureté du cœur importe plus que les purifications légales, la miséricorde plus que le sabbat. La distinction entre l’ordre sacré et l’ordre profane n’est pas abolie, elle est confirmée au contraire ; mais la religion ne consiste plus avant tout dans l’enveloppement du profane par l’appareil externe du sacré pour le soumettre à la loi et le protéger contre les rigueurs d’un Dieu de crainte, désormais la religion consiste avant tout dans la pénétration du profane comme du sacré par les dons de la grâce intérieure qui communique aux âmes la vie même d’un Dieu d’amour. Tout le champ d’existence et d’action de la personne humaine, dans la catégorie du profane comme dans la catégorie du sacré, devient le champ de la sanctification intérieure, et la fonction sociale du sacré est de servir d’instrument à cette sanctification et à cette spiritualisation.

La lettre et toute observance externe ne sont pas supprimées, mais on sait désormais qu’elles n’ont de valeur que par ordre à l’esprit et comme vivifiées par lui. Sans doute elles continueront, à raison de la faiblesse humaine, de lutter contre l’esprit, et de vouloir prendre le pas sur lui, mais les tribulations des saints et les catastrophes de l’histoire du monde paieront les revanches de l’esprit.

La Loi n’a pas été abolie, pas un iota n’en a été effacé ; mais Jésus a réalisé en plénitude et achevé parfaitement l’œuvre pour laquelle elle était posée. Les observances cérémonielles, qui étaient figuratives, et qui annonçaient les mystères du salut, ont été réalisées et consommées dans le corps du Messie et dans son sacrifice, et elles ont pris fin ainsi – absorbées dans la réalité qu’elles préparaient et figuraient – pour faire place aux rites et aux sacrements de la Loi Nouvelle qui communiquent et perpétuent cette réalité. Les préceptes moraux, qui concernaient la conduite effective de chaque homme ici-bas, selon qu’elle doit aboutir à la vraie Fin dernière, n’ont pris fin d’aucune manière ; mais leur signification a été profondément transformée. L’illusion est dissipée par laquelle on croyait que l’homme pouvait, en les accomplissant, se constituer par lui-même dans un état de justice, – naturelle ou légale. C’est par le libre don que Dieu nous fait de lui-même, et par la croix du Christ et par son sang, que l’homme est constitué dans un état de justice de grâce, – racheté à grand prix et sans l’avoir mérité. Devant accomplir et incapable d’accomplir par lui-même les préceptes moraux dans leur intégrité, pour une prétendue sagesse et perfection qu’il devrait à sa propre force d’homme, il doit les accomplir et il peut les accomplir dans leur intégrité – pour une vraie sagesse et perfection qu’il devra à la force de Dieu – par la grâce qui, si seulement il ne la refuse pas, fait de lui une nouvelle créature sans que ce qu’il a fait ou n’a pas fait jusque-là ait aucune commune mesure avec la réception d’un tel don.

Nous serons tous jugés sur nos œuvres ; et les œuvres de la Loi Nouvelle sont plus difficiles en elles-mêmes que celles de la Loi Ancienne, en ce sens que la pureté de l’acte intérieur et des mouvements cachés de l’âme y est commandée. Mais ce ne sont pas nos œuvres qui nous sauvent, c’est Jésus crucifié, et la foi vive qui, reçue du Père par lui, nous incorpore à lui, – la foi qui, opérant par la charité, fructifie en les œuvres dues et les fait méritoires, et rend léger à accomplir cela même qui de soi serait plus difficile. En telle sorte que l’amour est la plénitude de la loi, et que nous sommes sauvés par la foi, non pas sans les œuvres, mais avec la charité et avec les œuvres de la charité. (Avec la charité d’où procèdent les œuvres, et sans laquelle les œuvres ne sont rien. Avec les œuvres de la charité, qui, étant l’achèvement actif et vital de notre liberté graciée, sont la mise en œuvre même en nous de la grâce qui nous a été donnée.) Qu’ainsi l’homme soit toujours tenu aux œuvres du Décalogue et qu’il soit cependant sauvé par la Foi ; qu’il soit libéré par la Foi du régime de la Loi dont il reste cependant obligé d’accomplir les prescriptions morales, c’est le problème central que Paul a eu à résoudre ici, et qui dans la suite des siècles a mis à l’épreuve les grands esprits religieux, et où plusieurs ont achoppé parce qu’ils se sont écartés de saint Paul en ceci ou en cela. Ce n’est pas seulement un problème à résoudre par un correct arrangement de concepts, c’est aussi un mystère à pénétrer toujours plus profondément par l’intelligence de la contemplation.

La troisième intuition dont toute la pensée de Paul est illuminée, est l’intuition de la liberté des fils de Dieu. Saint Paul est le grand Docteur de la liberté ; le sens de la liberté est enraciné jusqu’à la moelle des os dans celui qui fut Saul, le plus fervent des pharisiens, et dont la vue du Christ en gloire a liquéfié le cœur et brisé tous les barreaux. Il est désormais sans frontières, à la merci de Celui qu’il aime et qui l’a délivré. Qui le séparera de la charité du Christ ? Il vit, ce n’est pas lui, c’est le Christ qui vit en lui. Il est faible, il est dans une perpétuelle agonie, – il peut tout en Celui qui le fortifie, il sait que tout coopère au bien de ceux qui aiment Dieu, il sait que dans l’amour et par l’amour, la créature devient un seul esprit avec Dieu.

Il sait que la liberté, dans laquelle la foi nous constitue, n’est gagnée et accomplie – grâce à la croix – que par l’Esprit et par l’amour. Dire que « la charité est le lien de la perfection », c’est dire qu’elle est l’âme de la liberté. Une liberté sans charité est un cadavre de liberté, elle se dissout dans la misère des éléments créés, elle pourrit sur place. La loi, qui est un pédagogue, nous éduque à la liberté. En suivant les sentiers étroits de la loi morale, quand c’est l’amour et l’Esprit de Dieu qui nous y font passer, nous apprenons peu à peu à devenir libres ; libres du mal et du péché, – et finalement libres de la loi elle-même, parce qu’alors nous accomplissons les préceptes non par crainte mais par amour, et comme les voulant de nous-mêmes et du plus profond de ce qui est en nous, notre volonté ayant été transformée en la volonté de Celui que nous aimons. Les saints sont les seuls hommes vraiment et pleinement autonomes, parce qu’ils se sont perdus eux-mêmes dans leur Principe incréé, qui, étant l’Amour même subsistant, est la Liberté même subsistante, en qui la loi qui règle les créatures a son siège, et qui n’est soumis lui-même à aucune loi. Là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté. Ceux qui sont conduits par l’Esprit ne sont plus sous la loi. Ils ne sont pas non plus au-dessus de la loi ; ils ont passé de l’autre côté des choses ; ils sont dans la substance intérieure de la loi, où la loi n’est plus vue du dehors comme loi, mais du dedans comme amour. De là, ils voient l’ordre qu’elle impose aux choses comme l’ombre de l’amour sur elles.

Dieu est amour, et c’est son ombre

Que l’ordre de la Loi4.

Ils abondent d’eux-mêmes en tout ce qui est bonté, oubli de soi, sagesse et sainteté. « Contre ce qui est de telle sorte il n’y a pas de loi. »

Ainsi en châtiant son corps et en suivant le chemin, Paul a débouché là où il n’y a plus de chemin, mais l’éternel festin du Christ avec ses pauvres. Il a été ravi au troisième ciel, mais pour porter les stigmates du Seigneur Jésus et accomplir en lui-même ce qui manque à sa passion, lui fournissant pour ainsi dire – c’est la loi de tous les membres vivants du Corps mystique, et éminemment des saints – une humanité de surcroît pour souffrir ici-bas, et pour racheter le temps jour après jour. Comblé des dons de l’Esprit, des grâces de contemplation mystique et des charismes prophétiques, il est le maître par excellence de la perfection chrétienne et de l’union à Dieu. C’est à lui avant tout qu’un saint Jean de la Croix se rattachera. L’irrésistible dynamisme qui traverse toute sa doctrine emporte les âmes vers cette perfection de la charité, qui, ainsi que saint Thomas d’Aquin l’expliquera, n’est pas simplement conseillée, mais commandée, et qui tombe sous le premier précepte, non pas sans doute comme quelque chose à réaliser immédiatement (c’est bien impossible), mais comme le terme auquel nous sommes tous appelés, et vers lequel toute vie chrétienne doit tendre. Travaillant sans cesse à faire mourir le vieil homme qui a déjà reçu dans l’âme graciée le principe de sa mort, mais dont elle doit sans cesse achever la mort, tout l’effort ascétique tend vers la liberté des parfaits, qui n’est pas gagnée, mais seulement préparée par le travail de l’homme, et reçue de la vie de Dieu descendant en nous. Enracinée et fondée dans la charité, la nouvelle créature, née de la foi et incorporée à Jésus-Christ, a soif de voir celui qu’elle aime, et c’est l’amour qui à travers les énigmes où les choses divines nous apparaissent comme dans un miroir, donne à la foi l’expérience pénétrante de la sagesse, et nous transformant de clarté en clarté, nous introduit dans la nuée lumineuse où nous possédons sans la voir la substance des choses que nous espérons, et comprenons avec les saints ce qu’est la largeur et la longueur et la hauteur et la profondeur, et savons la charité du Christ, supérieure à toute connaissance, en telle sorte que la plénitude de Dieu vienne nous combler.

*

On trouvera groupés dans la suite de ce volume les principaux textes où ces grands thèmes pauliniens sont exprimés. On y trouvera aussi les textes qui se rapportent aux autres points les plus significatifs de la doctrine de saint Paul, où le feu natif d’une inspiration plus haute que tous les développements que le savoir théologique en pourra tirer éclaire l’ensemble de la dogmatique chrétienne et de la morale chrétienne, et en particulier la christologie.

Mais la doctrine de saint Paul est inséparable de son expérience. Il n’a pas seulement été appelé comme les autres apôtres, il a été converti, il est le premier grand converti choisi pour porter au loin le nom du Christ, et sa mission doctrinale est le rayonnement prodigieux de cet instant plus prodigieux de sa conversion intérieure. Il nous importe donc souverainement de connaître quelque chose de son expérience, pour autant qu’il en a lui-même rendu témoignage, et de connaître quelque chose de sa vie et de ses voyages apostoliques. Il convenait pour cette raison de commencer par la suite d’événements rapportés dans les Actes des Apôtres, et par les textes où Paul lui-même nous parle de sa vie et de sa vocation.

Les Épîtres de Paul

La liste des épîtres de saint Paul, distribuées dans l’ordre chronologique qui semble le mieux établi, est la suivante :

Première et Seconde Épître aux Thessaloniciens.

Première et Seconde Épître aux Corinthiens.

Épître aux Galates. Épître aux Romains.

Épître aux Éphésiens.

Épître aux Colossiens.

Épître à Philémon.

Épître aux Philippiens.

Épître aux Hébreux.

Première Épître à Timothée.

Épître à Tite.

Seconde Épître à Timothée.

Elles ont toutes été écrites en langue grecque.

Les textes essentiels où la pensée de Paul est exprimée ont été tirés des Actes des Apôtres écrits par Luc, et des Épîtres. Les textes tirés des épîtres ont été groupés selon les principales matières traitées, ce qui rendra, nous l’espérons, la lecture de ces extraits plus aisée. La référence a été chaque fois indiquée.

Pour les Épîtres de Paul comme pour les Actes des Apôtres, nous avons utilisé la traduction de la Sainte Bible par le chanoine A. Crampon, publiée chez Desclée et Cie, mais en modifiant cette version chaque fois que cela a paru préférable. Nous avons mis tous nos soins à cette révision, qui équivaut sous bien des rapports à une nouvelle traduction.

1  Jn 4,22.

2  Nb 12,3.

3Sum. theol, Ia-IIae, q. 196, a. 1.

4 Citation d’un poème de Raïssa Maritain : « Chant mineur », Œuvres complètes, tome XV, p. 539.

Chapitre premier La vie de Paul

« Hébreu fils d’Hébreux »

Saul est né d’une famille de pure lignée juive, à Tarse en Cilicie. Son père jouissant de la citoyenneté romaine, Saul est né citoyen romain. Conformément à l’usage de beaucoup de Juifs de la dispersion, il reçut deux noms, l’un hébreu : Saul, l’autre latin : Paul. Suivant la remarque de Ramsay, « si Luc avait fait mention de son nom latin complet, – peut-être Gaius Julius Paulus, pour supposer un nom possible et même qui ne manque pas de probabilité », les historiens auraient été dispensés de certaines considérations futiles à son sujet, et n’auraient sans doute pas songé à l’imaginer comme un Juif à l’esprit étroit et prévenu. Après sa conversion, c’est le nom de Paul qu’il gardera, laissant de côté le nom de Saul, peut-être pour marquer qu’il était désormais un homme nouveau.

Tarse était à cette époque une des villes les plus florissantes de l’Asie Mineure. Les écoles célèbres y abondaient, où se croisaient les courants venus de l’Orient et de l’Occident. Le père de Saul était pharisien. On peut croire que dans sa première éducation, Saul a reçu peu de choses du milieu hellénique. Son grec restera toujours une langue vive, imagée, populaire, admirable d’expression et de mouvement, mais étrangère au grec des écoles. Cependant il acquit, plus sans doute par l’intermédiaire de la littérature hellénistique ou judéo-grecque que par un contact direct avec les maîtres grecs de Tarse, la culture hellénique qui convenait à un homme d’éducation libérale, et dont ses lettres porteront la trace.

À Jérusalem, où il fut envoyé pour achever ses études, il fut l’élève de ces Docteurs au milieu desquels avait paru l’enfant Jésus, son aîné de quelques années. Les deux écoles entre lesquelles se partageaient alors les étudiants de Jérusalem, toutes deux de discipline pharisienne, étaient l’école de Hillel et celle de Shammai. C’est la première que suivit Saul ; il s’initia à la science sacrée aux pieds du successeur de Hillel, Rabban Gamaliel, le grand Docteur pharisien, estimé de tout le peuple, qui devait prendre un jour, lors des premières prédications qui suivirent la Pentecôte, la défense des apôtres contre les Sadducéens.

De cette éducation rabbinique Paul gardera une incomparable science des Écritures, et cette manière subtile et raffinée d’argumenter – bien différente du syllogisme grec – qui suit à travers toutes les similitudes et les appropriations le fil intuitif de l’un ou l’autre des multiples sens du texte sacré, et qui use souvent de citations composites et de longues enfilades de textes.