La reine sanglante - Michel Zévaco - E-Book

La reine sanglante E-Book

Michel Zévaco

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Beschreibung

Deuxième épisode de Buridan, le roman de Michel Zévaco, La Reine sanglante est le dénouement tragique des intrigues nouées dans le tome premier, Le Héros de la Tour de Nesle. Buridan en fuite, se réfugie à la Cour des Miracles dont il devient le capitaine éphémère, et d'où il tente de sauver ceux que la Reine Marguerite a entraînés dans sa déchéance. Truands et victimes ne peuvent empêcher les arrestations, mises au cachot, tortures et assassinats crapuleux, mais permettent à Buridan de sauver ceux qu il aime, sa mère, sa fiancée et ses meilleurs auxiliaires. L'Histoire s'accomplit.

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Veröffentlichungsjahr: 2018

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La reine sanglante

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Michel Zévaco

La reine sanglante

Michel Zévaco

La reine sanglante

roman

La reine sanglante

Édition de référence :

Le Livre de poche.

Le roman fait suite à :

Buridan, le héros de la Tour de Nesle.

I

Fée ou sorcière

Au moment où se situe ce récit, la France, en 1314, avait pour roi Louis X le Hutin. La reine, Marguerite de Bourgogne et ses deux sœurs, Jeanne et Blanche, menaient secrètement une vie de débauche et la Tour de Nesle devint leur lieu de plaisir favori.

À l’époque, le roi était conseillé pour les affaires de l’État par son oncle Charles, comte de Valois et par Mgr Enguerrand de Marigny, ancien ambassadeur à la cour de Bourgogne. Ce dernier avait été autrefois l’amant de la reine qui lui donna une fille, Myrtille, mais celle-ci a toujours ignoré les hautes fonctions de son père et elle ne connaît pas sa mère. Le comte de Valois, oncle du roi, avait séduit une jeune fille de la cour de Bourgogne, Anne de Dramans. Un fils, Jehan, naquit que Marguerite de Bourgogne, par haine amoureuse, décida de faire supprimer. L’homme chargé de cette mission, Lancelot Bigorne, hésita au dernier moment et sauva l’enfant.

Des années ont passé depuis : Jehan – Buridan – est devenu un homme, Myrtille une jeune fille. Les deux jeunes gens s’aiment sans soupçonner leur lourd passé. La haine que se vouent l’un à l’autre Enguerrand de Marigny et le comte de Valois est un obstacle à leur amour. Quant à Marguerite de Bourgogne, elle dédaigne celui de Philippe d’Aulnay, un ami de Buridan. C’est Buridan qu’elle aime, mais il reste fidèle à Myrtille ; la haine de la reine est tenace : ils mourront tous les deux.

Pourtant, Louis X soupçonne qu’on le trahit. Il se rend à la Tour de Nesle, trouve des papiers, s’en saisit... Mais Philippe d’Aulnay surgit, prend des mains du roi les papiers compromettants, les enflamme à une torche... Buridan est à son côté. Philippe d’Aulnay a sauvé l’honneur de la femme qu’il aime, mais il reste prisonnier des archers du roi, tandis que Buridan et ses amis se réfugient dans la cour des Miracles.

Conduit par Bigorne, le roi retrouve son oncle, le comte de Valois, dans la salle basse de la Tour de Nesle.

Valois, en voyant entrer son neveu et roi, poussa un cri de joie et se précipita vers Louis, qui l’étreignit dans ses bras en disant :

« Il faut donc que ce soit moi qui vienne vous tirer des mains des Philistins ?

– Ah ! Sire, cria Valois, dussé-je vivre plusieurs siècles, jamais je n’oublierai que c’est à vous que je dois la liberté et peut-être la vie. Cette vie, mon cher Sire, vous pouvez en disposer, elle vous appartient désormais ! »

En parlant ainsi, dans un mouvement de réaction, après les heures d’angoisse et de terreur qu’il venait de subir, le comte de Valois éclata en sanglots. En ce moment, il était sincère dans sa reconnaissance et une sorte d’enthousiasme lui venait à la pensée que le roi lui-même l’aimait assez pour avoir pris la peine de venir lui-même le délivrer.

« Mais, fit-il après les embrassades et effusions qui suivirent le premier moment, mais, Sire, comment avez-vous pu savoir ?...

– Mais, reprit à son tour le roi, dites-moi, mon digne oncle, comment avez-vous pu vous laisser prendre, tel un renard forcé par la meute ?

– Sire ! dit Valois, je vous avouerai qu’avant tout, j’ai hâte de me retrouver à l’air libre... et que je meurs de faim. »

Une demi-heure plus tard, l’oncle et le neveu s’installèrent devant une table splendidement servie.

« Maintenant que nous sommes seuls, Valois, raconte-moi comment t’est arrivée cette prodigieuse aventure d’être saisi dans ton hôtel, malgré la garnison de trois cents gardes... »

Valois, en peu de mots, fit le récit de ce qui s’était passé dans son hôtel et raconta comment Buridan et Lancelot Bigorne, profitant de l’obscurité qui régnait dans le couloir où avait lieu la bagarre, avaient pu pénétrer dans l’hôtel. Quant à dire pourquoi il s’en garda, tenant à liquider lui-même ce point avec Simon Malingre.

« Sais-tu, fit le roi avec admiration, que ce sont là de rudes hommes !

– Oui, Sire ! dit Valois, d’une voix sombre, rudes et redoutables. Ils seraient seuls qu’il n’y aurait pas à s’en préoccuper, sinon pour les faire pendre. Mais, Sire, le malheur est que ces gens sont inspirés par un homme plus redoutable encore, dont ils ne sont que les instruments. Cet homme a juré ma perte. Cet homme, enfiellé de jalousie, exaspéré de haine contre l’oncle du roi, veut vous priver de votre meilleur conseiller, de votre serviteur le plus loyal, le plus dévoué, le plus désintéressé...

– De qui veux-tu parler, Valois ? fit le roi chez qui déjà la colère commençait à bouillonner.

– De qui voulez-vous donc que je parle, Sire, sinon de celui qui, après avoir ruiné mon frère, Philippe IV, cherche à vous ruiner vous-même ? De qui voulez-vous que je parle, sinon de celui qui me hait parce que j’ai surpris ses dilapidations, parce qu’il sait que je le surveille, parce qu’il a besoin d’ombre et de silence, et que je suis, moi, le flambeau qui éclaire, la parole qui accuse ? De qui voulez-vous que je parle, sinon du seul homme qui ait intérêt à ma disparition ?...

– Crois-tu donc, gronda le roi, crois-tu que Marigny oserait...

– Ah ! Sire, vous voyez bien que c’est vous qui prononcez son nom, son nom maudit ! C’est Marigny, Sire, qui m’a dépêché cette bande de truands avec mission de m’assassiner ! Les truands n’ont pas osé aller jusqu’au bout. Ils n’ont pas osé porter la main sur moi. Mais ils m’auraient laissé mourir de faim et de soif dans ce cachot d’où mon roi est venu me tirer comme l’ange envoyé par Dieu.

– Par Notre-Dame, balbutia le roi, chez qui la fureur se déchaînait, si j’en étais sûr, je ferais saisir Marigny, je le ferais jeter dans un cachot où je le laisserais pourrir ou, plutôt, je le ferais pendre, oui, pendre, tout mon premier ministre qu’il est, pendre à ces fourches de Montfaucon qu’il m’a offertes comme don de joyeux avènement. »

À ce moment, Valois comprit qu’il jouait sur un coup de dé sa puissance et, peut-être, sa liberté et sa vie.

Il sentit qu’entré dans la voie de l’accusation, il lui fallait aller jusqu’au bout, il lui fallait écraser à jamais son rival sous une des formidables accusations dont on ne se relève pas.

Son visage se fit plus sombre, sa voix se fit plus fielleuse :

« Sire, dit-il, si je vous disais la vérité tout entière, si je vous disais pourquoi, depuis quelques jours, Marigny, qui a toujours souhaité ma perte, s’est résolu à me tuer enfin, après avoir longtemps hésité...

– Parle ! je te l’ordonne, fit le roi en voyant que Valois s’arrêtait.

– Si Enguerrand de Marigny n’avait visé que le comte de la Marche, ou le comte de Poitiers, pardonnez-moi, Sire ! mais j’aurais laissé faire Enguerrand de Marigny ! »

Le roi tressaillit et pâlit en voyant deviner ses pensées les plus secrètes.

« Car alors, continua Valois de sa voix sifflante, j’aurais pensé que c’était Dieu même qui armait le bras de Marigny contre deux hommes qui attendent avec une trop visible impatience leur tour de monter sur le trône ! Mais je vous ai dit plus haut, cherchez plus haut encore !... Je vous vois pâlir, je vois que vous avez compris ! Oui, Sire ! c’est de vous qu’il s’agit ! C’est vous que Marigny ose menacer directement. Et si Buridan n’est que l’instrument de Marigny, qui sait si Marigny lui-même n’est pas l’instrument de vos deux frères ? »

Le roi réfléchissait. Et Valois, avec le sourire de la haine satisfaite, le regardait réfléchir. Cette fois, Louis Hutin ne s’abandonnait pas à une de ces fureurs aussi vite apaisées que déchaînées : cette fois il songeait. Un pli dur barrait son front, ordinairement poli et sans rides comme un front d’enfant qui n’a pas encore connu le souci de la vie. Ses yeux, d’un bleu gris qui, généralement ne reflétaient que la joie de vivre, étaient devenus mauvais.

« Marigny est perdu ! » songea le comte de Valois avec un rugissement de joie intérieure.

Le roi releva longtemps la tête, jeta un regard autour de lui, comme pour s’assurer que l’ombre de Marigny n’était pas là pour le surveiller, et demanda :

« Comment ferons-nous ?... »

C’était la condamnation d’Enguerrand de Marigny.

« Sire, dit Valois, si Votre Majesté veut me confier la direction de cette affaire, je me fais fort de trouver pour les juges un prétexte suffisant sans qu’il soit besoin d’instruire le peuple de la vérité, c’est-à-dire du danger qui a menacé vos jours. Les prétextes ne manquent pas ! Nous ferons fouiller les caves de l’hôtel Marigny et nous trouverons qu’elles regorgent d’or, alors que les coffres du roi sont presque vides. Nous lui demanderons d’où vient cet or. Nous l’accuserons d’avoir pillé et forfaité les deniers destinés à Bertrand de Goth1. Nous l’accuserons, avec preuves, d’avoir reçu de l’argent des Flamands pour trahir la cause du roi de France... Et enfin. Sire, nous l’accuserons d’un crime plus horrible qu’aucun des crimes qui aient jamais été conçus. »

Le roi frissonna.

Il s’imprégnait de ce fiel que lui versait le sinistre rival d’Enguerrand de Marigny. Et ce fut avec un frisson d’épouvante qu’il entendit la dernière accusation.

« Vous savez, Sire, que vous avez été menacé par les maléfices d’une sorcière, d’une fille d’enfer qui, le doute n’est plus permis, a fait pacte avec Satan. »

Le roi esquissa un signe de croix et murmura rapidement une forme d’exorcisme destinée à écarter de lui les démons ou spectres invisibles.

« Vous savez, continua Valois, que moi-même, Sire, j’ai saisi le maléfice qui, par une suprême insulte, avait été placé dans un bénitier. Oui, c’est là, dans la chambre même de la sorcière, c’est là, dans ce bénitier profané, que, de mes propres mains, j’ai saisi la statuette de cire faite à votre image et percée au cœur d’une épingle, afin que votre cœur, à vous, éclatât et se brisât dans votre poitrine. Ce sortilège, vous l’avez vu, je vous l’ai apporté...

– Je me souviens, murmura le roi livide, je me souviens de cette affreuse soirée...

– Eh bien, Sire, souvenez-vous donc aussi, pendant que vous y êtes, souvenez-vous de l’attitude de Marigny ! N’avez-vous pas remarqué son trouble, sa pâleur ? N’avez-vous pas remarqué qu’il a insisté pour aller lui-même arrêter la sorcière ? Et pendant qu’à la Courtille-aux-Roses je sauvais mon roi, n’est-il pas vrai que Marigny s’est jeté à vos pieds, lui, l’orgueil en personne ! Que voulait-il dire ? Quelle supplication était dans son cœur et n’a osé monter jusqu’à ses lèvres ? Vous êtes-vous demandé tout cela, Sire ? Vous êtes-vous demandé le secret de ce trouble ?...

– Je n’y ai pas songé ! dit naïvement le roi. Mais maintenant, par Notre-Dame ! l’horrible vérité éclate à mes yeux : la conscience de Marigny était bourrelée de remords !

– Non, Sire ! pas de remords, mais d’épouvante ! Marigny avait peur, entendez-vous bien ? et il avait peur parce que cette sorcière, cette fille démoniaque qui préparait votre mort...

– Eh bien ? haleta le roi.

– Eh bien, c’est sa fille.

– Sa fille ! fit le roi avec un accent de terreur insensée.

– Sa fille ! sa complice ! pauvre innocente, peut-être, car elle n’a agi que sous l’inspiration de son père. »

Hagard, tremblant, les cheveux mouillés de sueur, affaissé dans son fauteuil, Louis entendit à peine ces dernières paroles par lesquelles Valois amorçait déjà la justification de Myrtille.

Le roi évoquait l’image de cette sorcière qu’il avait vue dans les cachots du Temple et qu’on lui disait être la fille de Marigny.

« Par le Ciel ! grommela-t-il en lui-même, comment Marigny, qui peut avoir quarante-quatre ans, a-t-il une fille qui paraît bien tout près de quarante-cinq ans ? »

Soudain, il se frappa le front et murmura :

« J’ai compris !... »

Alors, il se passa une scène d’un comique funèbre.

Il y eut une façon de quiproquo sinistre, le roi songeant à Mabel, et Valois songeant à Myrtille, toutes les deux ensemble figurant à ce moment de l’entretien la seule et unique sorcière qui avait fabriqué le maléfice.

« Valois ! s’écria tout à coup le roi d’un air de triomphe, as-tu revu la sorcière depuis que tu l’as arrêtée à la Courtille-aux-Roses et enfermée au Temple ? Es-tu descendu dans son cachot ?

– Sire... balbutia Valois.

– Tu l’as revue, n’est-ce pas ? reprit avec impétuosité le roi. Et, dis-moi, elle est jeune ? Elle ne peut être que jeune, puisqu’elle est la fille de Marigny. Elle peut avoir de vingt à ving-cinq ans ?

– Dix-sept à peine ! murmura sourdement Valois, dont l’angoisse croissait d’instant en instant. Mais, Sire, je vais vous... »

Le roi considéra Valois d’un regard de pitié.

« Ainsi, dit-il, non seulement elle t’a paru jeune, mais encore elle t’a semblé belle ? Eh bien, écoute, Valois ! Voici qui prouve bien que nous avons affaire à une véritable sorcière : devant moi, elle a pris le visage d’une femme vieille et affreuse !... »

Valois demeura si stupéfait, qu’un instant il se demanda si le roi ne jouait pas avec lui un jeu effrayant.

« Sire, bégaya-t-il, je ne comprends pas !

– Mais, moi, je comprends ! s’écria Louis, triomphant. Bigorne m’a tout dit : cette fille, Valois, ce n’est pas seulement une sorcière, c’est aussi une fée.

– Bigorne !... une fée !... murmura Valois, effaré, en passant sa main sur son front mouillé de sueur.

– Eh bien, répéta Louis Hutin, une fée ! c’est-à-dire un de ces êtres qui ont le pouvoir de prendre toutes les formes, afin, sans doute, de pouvoir échapper à la vengeance des chrétiens. Au surplus, ajouta-t-il en se levant brusquement nous allons la voir ensemble ; mais qui sait la nouvelle figure qu’elle aura prise ! En tout cas, je la défie bien de t’apparaître jeune et jolie en même temps qu’elle m’apparaîtra vieille et laide. Viens, Valois ! nous allons la voir et contrôler l’une par l’autre notre double vision.

– Elle est donc ici ? balbutia Valois épouvanté.

– J’ai donné l’ordre à Trencavel de me l’amener. Elle doit être ici depuis cette nuit. »

En même temps, le roi se précipita vers sa chambre à coucher, suivi de Valois, titubant, vacillant et se demandant déjà à quelle catastrophe il marchait.

Dans l’antichambre, le roi s’arrêta un instant. Là, Hugues de Trencavel, l’épée nue, se tenait devant la porte et douze gardes montaient la faction avec lui.

« Tu as mis la sorcière dans ma chambre ? demanda le roi.

– Non, Sire, répondit Trencavel, j’ai cru mieux faire en la mettant dans le cabinet où il n’y a ni portes ni fenêtres par où elle puisse s’échapper.

– Tu as bien fait, mon brave Trencavel. »

Et le roi, toujours suivi de Valois, qui se raidissait, pénétra dans la chambre à coucher. Là, il y avait six gardes sous le commandement d’un officier.

Les six gardes étaient placés en rang devant la porte du cabinet où avait été enfermée Mabel.

Le roi les écarta d’un geste et ouvrit la porte du cabinet.

« Je suis perdu ! » murmura Valois.

À ce moment retentit un grand cri.

Ce cri, c’était le roi qui venait de le pousser en entrant dans le cabinet. Tous se précipitèrent pour lui porter secours, et tous purent constater que le cabinet était vide !...

« Vide ! » cria le roi, d’une voix qui tremblait.

« Vide ! » répéta en lui-même Valois, avec le rugissement de joie du condamné qui se voit sauvé à la dernière minute.

Et alors, tandis que le bruit de cet incroyable événement se répandait à travers le Louvre avec la rapidité de l’éclair, tandis qu’on accourait de toutes parts pour constater que la sorcière avait été bel et bien enlevée par quelque diable, le roi, simplement, disait à Valois :

« Je te l’avais bien dit que cette fille n’est pas seulement une sorcière, mais aussi une fée ! »

II

Les émeraudes

Vers le moment même où Lancelot Bigorne, Guillaume Bourrasque et Riquet Haudryot, ces deux derniers déguisés en ours et le premier dans la peau d’un singe, apparaissaient au Suisse qui veillait à la porte du roi, tandis que les trois compères entamaient avec Louis X l’entretien auquel nous avons assisté, Marguerite de Bourgogne allait et venait dans sa chambre.

Vêtue d’une robe de laine blanche aux plis harmonieux, les cheveux dénoués, la figure pâle, la démarche lente et silencieuse, elle eût pu elle-même passer pour une de ces fées dont nous parlions.

Puis, brusquement, elle se relevait, respirait violemment dans une cassolette contenant des parfums destinés à la calmer, mais qui, en réalité, ne faisait que la surexciter.

Puis elle frappait, avec un marteau d’argent, sur une sorte de petit tambour en métal qui rendait un son frémissant. À cet appel, accourait alors une jeune fille aux yeux malicieux, légère, svelte comme une anguille. Cette servante possédait les secrets et la confiance de sa maîtresse. C’était la Stragildo femelle du Louvre – avec la méchanceté en moins. C’était Mabel avec la jeunesse en plus.

« Juana, dit la reine, le jour vient-il enfin ? Cette longue nuit s’achève-t-elle ? Lève ces rideaux et dis-moi si tu surprends enfin quelque sourire dans le ciel !...

– Hélas ! madame, fit la jeune fille en secouant sa tête brune, le visage du ciel est fermé encore. Les nuits semblent longues à qui rêve tout éveillé. L’aurore est encore loin. »

La reine poussa un soupir.

« Pourquoi, madame, reprit Juana, ne pas appeler le sommeil à votre secours ?

– Tu m’ennuies, dit la reine, va-t’en ! »

La servante, vive et légère, fit une rapide révérence et se dirigea vers la porte.

« Reste ! » cria Marguerite.

La soubrette exécuta une nouvelle révérence et revint.

« Et toujours aucune nouvelle de Mabel ?

– Aucune, madame ! Mais pourquoi vous tourmenter ? Elle reviendra, soyez-en sûre...

– À quoi donc es-tu bonne ? gronda Marguerite.

– Oh ! madame, allez donc trouver quelqu’un qui se cache dans cet immense Paris, qu’on dit la plus grande ville du monde et qui, sûrement, est grand dix fois comme Florence. J’ai cherché, mais en vain ; Stragildo a cherché aussi, et vous savez pourtant que c’est un fin limier !

– Pas de nouvelles de Mabel ! murmura la reine. Donc, pas de nouvelles de Myrtille ! Oh ! qu’elle revienne, ajouta-t-elle. Et elle verra de quoi est capable ma vengeance ! La misérable s’est jouée de moi ! Son philtre est un philtre imposteur. Il n’a donné à Buridan ni l’amour... ni la mort !... Oh ! jouée, bafouée, méprisée par ces hommes !... Si tu savais ce qui s’est passé dans l’enclos aux lions, Juana ! Si tu savais ce qui s’est passé dans les souterrains de la Tour de Nesle !

– Leur tête est mise à prix, madame !... Pauvres jeunes gens. Il en est un surtout dont vraiment vous devriez avoir pitié, puisque sans lui vous seriez morte. Et de quelle mort ! Broyée, lacérée, dévorée par ce lion monstrueux !...

– Ce Philippe d’Aulnay ! Je le hais plus que tous les autres ensemble. J’aime encore mieux la haine de Buridan que l’amour de Philippe !... Ce Philippe d’Aulnay, quand j’y songe, c’est la malédiction de ma vie ! Et Valois ! reprit Marguerite avec un grondement. Qui sait ce qu’il est devenu ! Qui sait ce qu’ils en ont fait après l’avoir enlevé de son hôtel ?

– Vous vous intéressez donc bien à l’oncle du roi, madame ?

– Je le méprise ! Mais il sait des choses terribles. Je le hais plus encore que Marigny. Ah ! j’ai été trop faible... Ces deux hommes devraient déjà être hors de mon chemin... »

Elle passa sur son front pâle comme un beau marbre une main nerveuse et fiévreuse.

« Que fait le roi ? reprit-elle tout à coup.

– Le roi ? Sans doute il dort, madame ?

– Va t’en assurer, Juana... »

La jeune fille s’élança. Marguerite, demeurée seule, poursuivit sa lente promenade escortée de spectres dans les tressauts de son esprit qui allaient de l’épouvante au défi, de la haine à la passion d’amour.

Un éclat de rire crispa soudain ses lèvres. Et il y avait dans ce rire un mépris intense, le plus intense et le plus parfait des mépris : le mépris de la femme qui n’aime pas, pour l’être auquel malgré soi-même est liée sa destinée.

« Le roi dort ! dit-elle. Le roi !... Mon époux !... Mon maître !... Un homme, ce roi ? Allons donc ! même pas un roi !... Pauvre hère, qui ne comprend pas encore à quel sommet l’a porté le hasard de sa naissance !... Triste roi ! que les Flamands, un peuple de manants, insultent et provoquent ! Quand il a tué un sanglier, le roi croit avoir fait œuvre de roi. Quand il a étonné les plus rudes mangeurs par quelque énorme ripaille, il croit avoir fait œuvre d’homme ! Et puis il dort !... Ses frères songent à le déposer et il dort ! Heureusement, je les tiens tous deux par mes sœurs !... Marigny le réduit à la ruine, et il dort ! Valois guette l’occasion de prendre d’assaut ce trône, et il dort !...

– Madame ! Madame ! haleta Juana, en entrant précipitamment, le roi est sorti du Louvre !...

– Sorti du Louvre ? fit dédaigneusement Marguerite. Sans doute pour aller à la rue du Val-d’Amour ; c’est sa Tour de Nesle, à lui !

– Non, madame ! pour aller...

– Eh bien, achève, folle !...

– À la Tour de Nesle !... »

Marguerite étouffa une clameur d’épouvante.

« Courage, madame ! courage ! fit Juana en la soutenant. Le roi ne peut trouver nul indice...

– Malheureuse ! rugit Marguerite. Je suis perdue... La malédiction de Gautier est sur moi !... »

Ses yeux, agrandis par l’horreur, exprimèrent un paroxysme d’effroi.

« Madame !... revenez à vous... le roi ne peut rien savoir, rien trouver...

– J’ai écrit ! bégaya la reine dans un hoquet de terreur.

– Écrit !... Oh ! et vous avez laissé les papiers là-bas ?

– Oui !... Une bravade ! une folie ! une inspiration des démons acharnés à ma perte !... J’ai écrit !... écrit à Buridan !... Des lettres insensées !

– Peut-être le roi ne les verra-t-il pas, madame !

– Malheureusement ! S’il ne voit pas les lettres, il verra mon manteau d’hermine, et les deux émeraudes qu’il m’a données !...

– Quelle imprudence, madame !

– Dis folie ! Dis plutôt l’inspiration de la vengeance divine ! Dis plutôt que le Ciel est las de mes crimes ! Dis plutôt que la Tour de Nesle est habitée par des spectres qui m’ont soufflé des pensées de bravade imbécile ! Dis plutôt que la malédiction de Gautier d’Aulnay commence à produire son effet... »

Marguerite de Bourgogne se renversa sur le plancher, en proie à une crise de nerfs.

*

Lorsqu’elle revint au sentiment des choses, elle se vit sur son lit, où la frêle Juana avait eu la force de la transporter. Juana était penchée sur elle, guettant anxieusement son réveil.

« Madame, rassurez-vous, le danger est passé !...

– Le roi n’a donc pas été à la tour ?

– Si fait, madame ! mais il est de retour. Il rit. Il mange d’excellent appétit. Toutes choses que le roi ne ferait pas s’il avait trouvé le moindre indice à la tour.

– C’est vrai, c’est vrai ! murmura la reine dans un long soupir de soulagement. Mais alors, qu’a-t-il été faire à la Tour de Nesle ? Et qui a pu lui donner l’idée d’y aller, lui qui a toujours refusé d’y mettre les pieds depuis qu’un nécromant l’a prévenu qu’un grand malheur l’y attendait ?

– Oui, madame, jamais le roi ne va à la Tour de Nesle, et vous savez que nous avons tout fait pour augmenter cette horreur et cette crainte qu’elle lui inspire. Il a donc fallu un puissant motif pour le décider...

– Et ce motif ? interrogea la reine avec angoisse.

– Un homme le lui a apporté : Lancelot Bigorne !

– Lancelot Bigorne !... gronda la reine, reprise de toute son épouvante. Tu vois bien, Juana, que je suis dans la main de la fatalité ! Tu vois bien que Buridan a juré ma perte !... Mais comment Lancelot Bigorne, dont la tête est mise à prix, a-t-il pu parler au roi ?...

– C’est cela qui doit vous rassurer, madame ! Lancelot Bigorne, pour une raison que nous ne pouvons soupçonner, est venu dénoncer son maître, Jean Buridan. J’ai tout entendu, madame !... Il a prévenu le roi que le comte de Valois avait été enfermé à la Tour de Nesle !... Le roi a été y chercher son oncle, et maintenant tous les deux sont ensemble, à table...

– Ainsi, fit Marguerite, qui, les yeux élargis par l’étonnement, avait écouté ce récit, ces hommes ont eu l’audace de venir à la tour ?...

– Et sans aucun doute, madame, ne sachant pas que le roi a délivré le comte, ils y reviendront !... »

Marguerite, quelques minutes, réfléchit, muette, frémissante, calculant, combinant...

« Juana, reprit-elle enfin, il est sûr que le roi, en sortant de table, voudra se rendre dans sa chambre à coucher, comme il fait toujours quand il a bien dîné. Va à ton poste et reviens me prévenir... Si le roi s’endort comme d’habitude, je suis sauvée ! »

Juana s’élança.

Mais, presque aussitôt, Marguerite la rappela...

« Reste ! dit la reine d’une voix agitée. Je veux voir et entendre par moi-même ! Donne la clef... »

Juana obéit, et la reine, sortant de sa chambre, suivit un long couloir. C’était celui-là même que Louis, escorté de Bigorne, de Guillaume et de Riquet, avait suivi en sens inverse pour sortir du Louvre. Nous avons dit que ce couloir était secret, c’est-à-dire qu’il n’était connu que du roi, de la reine, des serviteurs intimes, et qu’il faisait communiquer l’appartement de Louis avec celui de Marguerite. Nous avons vu que le roi, parvenu vers le milieu de ce couloir, avait pris un escalier qui lui avait permis de descendre dans les cours du Louvre. Marguerite passa devant cet escalier sans s’y arrêter. Vingt pas plus loin, il y avait un renfoncement, ou plutôt une sorte de niche dans laquelle avait été placée une statuette représentant sainte Geneviève, sainte à qui la reine Marguerite faisait de préférence ses dévotions. La statuette était en bronze et solidement fixée au socle qui la supportait. Mais Marguerite, ayant saisi la sainte par les deux épaules, la fit tourner sur elle-même. Ce mouvement découvrit une sorte de serrure dans laquelle elle introduisit une clef spéciale qu’elle venait de reprendre à Juana, et alors tout un pan de mur parut s’ouvrir. Sainte Geneviève et sa niche se mirent en mouvement et découvrirent un étroit passage dans lequel la reine s’engagea.

Ce passage était réellement secret, vu que la reine, Mabel et Juana étaient les seules à le connaître.

Il aboutissait à un cabinet, où il accédait par une porte invisible. Le cabinet lui-même donnait sur la chambre du roi et, par une sorte de judas habilement aménagé, on pouvait regarder et entendre.

C’est dans ce cabinet que Juana s’était rendue. C’est de là qu’elle avait surpris l’étrange entrevue de Bigorne avec le roi, et c’est dans ce cabinet que se rendait Marguerite au moment où nous reprenons ce récit.

Marguerite étant donc arrivée jusqu’au cabinet, fit jouer le ressort de la porte secrète et entra. Au même instant, elle recula, en étouffant un cri. Il y avait quelqu’un dans l’étroite pièce, ce quelqu’un était une femme, et cette femme, c’était Mabel.

La reine la reconnut sur-le-champ ; mais, par une sorte de pressentiment, elle renfonça les questions et les exclamations qui se pressaient sur ses lèvres.

Quant à Mabel, elle ne manifesta aucun étonnement : on eût dit qu’elle s’attendait à cette visite. Elle mit un doigt sur ses lèvres, comme pour recommander le silence à Marguerite, stupéfaite. Puis, saisissant la reine par une main, ce fut elle-même qui l’entraîna hors du cabinet dont elle referma la porte. Marguerite se laissait faire, dans cet état de stupeur où elle se trouvait. Rapidement, Mabel franchit le passage secret, rajusta elle-même sainte Geneviève dans sa niche et entraîna la reine jusqu’à sa chambre à coucher.

« Toi ! s’écria alors Marguerite, toi enfin ! toi dans le cabinet secret ! Comment ? Pourquoi ?

– Vous allez le savoir, ma reine ! dit Mabel ; mais, avant toute chose, il ne faut pas que votre royal époux puisse me reconnaître si, par hasard, il vient ici. Il ne m’a vue qu’un instant au fond d’un cachot...

– Au fond d’un cachot ! toi !

– Moi-même ! Et si peu qu’il m’ait vue, il m’a assez regardée pour avoir remarqué mon costume. »

La reine conduisit rapidement Mabel dans une pièce tout autour de laquelle régnaient de vastes armoires. Elle en ouvrit une, et Mabel sourit. Quelques minutes plus tard, elle était entièrement transformée et Valois lui-même n’eût pu la reconnaître. D’ailleurs, le masque qu’elle portait sur le visage la rendait encore plus impénétrable.

« Explique-moi maintenant, reprit la reine, comment et pourquoi tu sors d’un cachot où tu dis que le roi t’a vue ? Comment et pourquoi je te retrouve dans le cabinet secret ? Et surtout comment et pourquoi le philtre que tu m’as donné et que j’ai fait verser à Buridan n’était nullement un élixir d’amour ? Comment et pourquoi cet élixir que tu m’as dit ensuite être un poison foudroyant, n’a nullement empoisonné Buridan ? Je t’en préviens, ma digne Mabel, ajouta la reine avec une fureur croissante, un mensonge de plus peut te coûter la vie. Tu sais que je ne suis pas de celles qu’on peut tromper !

– Oui ! dit froidement Mabel, vous êtes de celles qui trompent. Mais, écoutez, ma reine. Si j’ai cessé de vous plaire, vous avez un moyen bien simple de vous débarrasser de moi : tout à l’heure encore, j’étais dans un cachot dont je ne devais sortir sans doute que pour être menée au bûcher. En ce moment, l’antichambre et la chambre du roi sont pleines de gardes apostés pour m’empêcher de m’enfuir du cabinet où ils m’ont mise. Reconduisez-moi dans ce cabinet. Vous savez que de l’intérieur la porte invisible n’en peut être ouverte. Et mon sort sera réglé ! Il est probable qu’au point du jour je serai brûlée vive. »

Marguerite réfléchit, sans doute, que Mabel ne se laisserait pas brûler sans parler. Peut-être, se dit-elle, ces paroles que prononcerait Mabel, avant de mourir, seraient sa condamnation à elle. Ou peut-être avait-elle réellement trop besoin des services de Mabel pour se passer d’elle à tout jamais. Quoi qu’il en soit, elle se radoucit.

« Explique-toi d’abord, et nous verrons ensuite.

– Voyons, dit Mabel, procédons avec ordre, ma reine. Que voulez-vous savoir ?

– Tout !...

– Madame, dit-elle, je vous avais promis un élixir d’amour, vous l’avez eu.

– Mais tu as dit que c’était un poison mortel...

– Mon élixir est un poison. J’ai dit la vérité...

– Mais Buridan n’est pas mort !...

– Et qui vous dit qu’il ne l’est pas à cette heure ? »

La reine frémissait.

Et Mabel songeait :

« Ô mon fils, tu es sauvé ! Tant que l’infâme ribaude te croira mort, tu es à l’abri du mortel amour qu’elle t’a voué ! Mais qu’est-il devenu mon Jehan ? Que s’est-il passé après mon départ de la Tour de Nesle ? »

« Ma chère reine, reprit-elle tout haut, sans doute, vous l’avez fait saisir ? Sans doute, vous le tenez dans quelque cachot du Louvre ?

– Tu ne sais donc rien ! gronda Marguerite. Tu ne sais donc pas qu’ils m’échappèrent ! qu’ils ont failli me tuer à la Tour de Nesle ! que Philippe et Gautier d’Aulnay sont vivants, qu’ils ont voulu me faire dévorer par mes lions, et qu’enfin ils se sont emparés de Valois ! »

« Emparés de Valois ! murmura sourdement Mabel, qui pâlit sous son masque. Pourquoi Buridan a-t-il voulu s’emparer de Valois... Est-ce que Myrtille ?... »

« Madame, continua-t-elle, je ne sais rien. En sortant de la Tour de Nesle, j’ai été saisie par une bande d’archers et conduite au Temple. Là, on m’a dit que j’étais accusée de sorcellerie... le roi est venu en personne m’interroger...

– Et tu n’as rien dit ? fit anxieusement Marguerite.

– Qu’aurais-je pu dire !... La nuit, j’ai vu la porte de mon cachot s’ouvrir tout à coup, comme je songeais au moyen de vous prévenir que j’étais au Temple, que le roi avait peut-être quelque soupçon, puisqu’il fait surveiller la Tour de Nesle...

– Oui, oui !... c’est sûr... il a des soupçons... Tu me sauveras, Mabel ! Toi seule peux me sauver !

– Ne craignez rien ! J’ai donc été emmenée et conduite dans la chambre du roi, puis enfermée dans ce cabinet secret dont je serais sortie si la porte s’ouvrait de l’intérieur. J’étais persuadée qu’on allait me conduire au bûcher dès que le jour paraîtrait, et je me résignais de mon mieux lorsque vous m’êtes apparue... mais...

– Mais quoi ? Parle, ma chère. As-tu quoi que ce soit à me demander ?... C’est vrai, Mabel, je te voulais la male mort parce que je me croyais trahie par toi... et je suis heureuse de t’avoir retrouvée... »

Mabel put mesurer à ce moment toute l’influence qu’elle avait acquise sur l’esprit de la reine.

« Madame, reprit-elle, pouvez-vous au moins me dire ce qu’est devenu Lancelot Bigorne ?

– Je vais te le dire. C’est Bigorne qui a enlevé le Valois. Et c’est Bigorne qui, lui-même, vient de faire délivrer Valois par le roi. Pourquoi ? C’est ce que je me demande en vain...

– Je le saurai, moi ! dit Mabel. Ma chère reine, je vois que, pendant mon absence forcée, il s’est passé d’étranges événements. Je sens que vous êtes menacée... il était temps que je m’occupe de vous sauver... »

En disant ces mots, Mabel s’éloigna rapidement, laissant la reine à la fois rassurée et inquiète.

Quant à Mabel, elle tremblait de l’effort qu’elle avait dû faire pour parler de Buridan avec la même indifférence qu’autrefois.

Elle tremblait parce qu’elle se posait cette question :

« Pourquoi Buridan s’est-il attaqué à Valois ? Est-ce donc que Valois, malgré son serment, aurait enlevé Myrtille ? Et Buridan l’aurait-il appris ? Mais par qui ? Et comment ? »

Mabel était sortie de l’appartement de la reine par la porte officielle, afin que chacun pût constater sa présence.

À la porte, elle se heurta à un archer qui semblait guetter.

« Que fais-tu là, toi ? demanda-t-elle rudement.

– J’attends madame la reine, dit le soldat.

– Et que veux-tu à la reine ? La reine est fatiguée. Elle ne paraîtra pas de la journée hors de ses appartements.

– Je voulais lui remettre ceci, dit l’archer en montrant dans sa main ouverte un paquet minuscule.

– Donne ! je le lui remettrai moi-même.

– C’est que madame la reine devait me donner une forte récompense... du moins, le gentilhomme qui m’a chargé de remettre ce paquet me l’a assuré.

– N’est-ce que cela ? Tu seras récompensé, va. Mais qu’est-ce que ce gentilhomme ?

– Il m’a dit s’appeler Philippe, seigneur d’Aulnay. »

Mabel tressaillit, demeura quelques instants rêveuse, puis, fouillant dans son escarcelle, en tira deux ou trois pièces blanches qu’elle remit au soldat.

L’archer fit la grimace et murmura :

« Le gentilhomme a été plus généreux !

– Écoute. Ceci n’est que ma récompense à moi. Mais la reine te fera remettre autant de pièces d’or que je viens de t’en donner en argent. Seulement, si tu as le malheur de dire un mot de cette commission que tu as acceptée, je sais bien la récompense que te servira la reine.

– Et quelle est cette récompense ?

– Une bonne corde ! dit Mabel.

– Je ne dirai rien, pas même à mon confesseur ! » affirma le soldat avec force protestations que Mabel n’entendit pas, car déjà elle s’était rapidement éloignée.

Hors du Louvre, Mabel défit le paquet.

« Deux émeraudes ! murmura-t-elle. Les deux émeraudes qui garnissaient l’agrafe du manteau de Marguerite ! Et c’est Philippe d’Aulnay qui les envoie à la reine !... »

Mabel plaça les émeraudes dans son escarcelle et reprit sa course vers le Logis hanté du cimetière des Innocents.

Bientôt elle y arriva...

« Myrtille ! » appela-t-elle en montant.

Aucune voix ne lui répondit.

« Myrtille ! » répéta Mabel avec une angoisse mêlée de rage, en parcourant le logis de haut en bas.

Mais bientôt, elle dut se rendre à l’évidence : Myrtille n’était plus dans le Logis hanté !...

« Comment, réfléchit-elle, ai-je pu m’attacher ainsi à cette jeune fille ?... Et comment surtout, ajouta-t-elle avec un sourire funèbre, ai-je pu être assez folle pour croire à un serment de Valois ? Le misérable, après m’avoir emmenée, a fait enlever la pauvre petite, c’est sûr ! Je vois les choses comme si j’y avais assisté !... Pauvre enfant ! Pauvre petit Jehan, qui adore cette petite à en mourir, si elle lui est enlevée... Oh ! rassure-toi, mon Jehan ! Ta mère est là ! Ta mère veille sur ton bonheur !... Étrange destinée, poursuivit-elle, qui met le père en lutte avec le fils !... Que se passera-t-il dans le cœur de Valois quand je lui dirai : « Ton fils est vivant ! Et ton fils, c’est Buridan... »

Qu’eût dit Mabel, si elle avait su que Bigorne avait déjà fait cette révélation ! Et en quelles circonstances elle avait été faite au comte ! Et de quel cœur Valois l’avait accueillie !

Si vil et si misérable qu’elle supposait Valois, elle le jugeait encore d’après son propre cœur et ne pouvait imaginer que le père de Buridan n’ouvrirait pas ses bras à son fils !...

L’espérance entrait donc à flots dans l’âme de Mabel.

*

Cependant les heures s’écoulaient au Louvre, et Marguerite, dans une mortelle inquiétude, envoyait à tout instant Juana pour savoir des nouvelles.

Que faisait, que disait le roi ? Que s’était-il passé à la Tour de Nesle ? Que complotait-il, enfermé avec Valois ?

Le roi, simplement, complotait la perte d’Enguerrand de Marigny et ne songeait guère à la reine.

Vers quatre heures, Marguerite avait fini par se rassurer à peu près, lorsque Juana entra précipitamment en disant :

« Madame ! Voici le roi qui vient !... »

Marguerite ne jeta pas un cri, ne prononça pas un mot. Mais, dans le même instant, elle se trouva dans l’embrasure de la fenêtre, la quenouille à la main, le pied posé sur la pédale qui mettait en action le rouet...

« Le roi ! Place au roi ! » annonça la voix forte de l’huissier de service.

Louis entra avec son impétuosité ordinaire, cherchant des yeux Marguerite, et à l’instant il s’arrêta, un sourire heureux sur les lèvres, ses yeux pleins d’amour contemplant avec émotion le suave tableau qu’il avait devant lui.

La poitrine du roi s’oppressa, ses yeux se voilèrent de larmes d’amour.

« Comment, murmura-t-il, comment, dans une minute infernale, ai-je pu soupçonner cet ange ? Quelle folie m’a saisi d’imaginer un instant que cette figure que j’ai vue au tableau de la Tour de Nesle, c’était la figure de Marguerite !... »

Il s’approcha doucement, saisit une main de la reine et y déposa un long baiser.

Marguerite poussa un léger cri de surprise heureuse.

« Ah ! mon cher Sire, c’est donc vous... Hélas ! je ne vous attendais plus de la journée !... Je vous vois si peu... Vous voyez, je cherchais à me consoler et à me distraire en filant une quenouille, comme on dit que faisait dame Pénélope attendant le retour de son époux...

– Pardonnez-moi, Marguerite, fit Louis tout attendri. Nous autres rois, voyez-vous, chère aimée, nous avons des soucis d’État qui nous forcent à être malheureux même quand il n’y a que du bonheur autour de nous. Quand nous voudrions aimer, nous devons haïr. Quand l’amour nous appelle auprès d’une femme chérie, nous devons écouter la voix de nos conseillers, chercher à sauver l’État et punir la trahison...

– Sauver l’État ! Punir la trahison ! fit Marguerite qui frémit. Vous m’effrayez, mon cher Sire...

– C’est pourtant là l’affaire qui m’a retenu tout le jour loin de vous. Un misérable a comploté ma mort...

– Qui donc, Sire, a pu avoir l’âme assez scélérate ?...

– Vous le saurez, Marguerite, dit le roi fidèle aux engagements qu’il venait de prendre avec Valois. L’heure n’est pas venue de prononcer tout haut le nom du traître. Quand son nom sera prononcé, c’est que le châtiment réservé à son crime l’atteindra du même coup...

– Ces choses-là sont-elles vraiment possibles ! déjà vous m’avez parlé d’une trahison...

– Oui ! fit le roi. Je vous ai dit qu’une femme me trahissait et je vous ai demandé de m’aider à la trouver...

– Hélas, Sire, je n’ai rien trouvé !... dit la reine en se raidissant contre l’inquiétude qui grandissait en elle.

– Le malheur, reprit Louis, c’est que la seule femme qui pouvait me renseigner a disparu aujourd’hui même...

– Disparu ! Et comment cela, Sire ?

– La sorcière que j’avais fait enfermer au Temple...

– Eh bien, dit la reine en réprimant un sourire.

– Eh bien, j’ai voulu l’interroger à nouveau sur cette trahison que sa science infernale lui avait permis de deviner et de me révéler. Je l’ai donc fait amener au Louvre, cette nuit. On l’a mise dans un cabinet attenant à ma chambre, d’où vous savez qu’il est impossible de sortir. Trencavel avait placé des gardes dans l’antichambre et jusque devant la porte du cabinet... et savez-vous ce qui est arrivé, madame ?... Non, vous ne pourriez jamais le supposer.

– Vous m’effrayez, Sire !...

– J’avoue qu’il y a de quoi être effrayé. Et moi-même qui me vante d’avoir quelque courage, j’en ai la chair de poule ! Figurez-vous que lorsqu’on a pénétré dans le cabinet, la sorcière n’y était plus...

– Voilà un étrange événement, Sire, et qui prouve bien une fois pour toutes l’incroyable puissance des démons à qui Dieu permet de venir effrayer les chrétiens. Du moins, ce sont les Saintes Écritures qui nous l’apprennent.

– Vous avez lu cela dans les Saintes Écritures ? demanda Louis. Eh bien, il n’en faut plus douter, cette sorcière a été enlevée par quelque démon, qui aura voulu ainsi la soustraire au châtiment qui l’attendait... Mais cette disparition me laisse dans un cruel embarras.

– À quel sujet, Sire ?

– Au sujet de la trahison dont je suis menacé. Et pourtant, cette nuit même, j’ai failli mettre la main sur l’homme qui sait le nom de celle dont la trahison me menace.

– Et quel est cet homme, Sire ?...

– C’est l’un de ces audacieux truands qui ont failli vous mettre à mal dans l’enclos aux lions et qui ont eu l’audace d’enlever de son hôtel mon bon oncle Charles, que j’ai heureusement délivré.

– Le bruit de cet événement est venu jusqu’à moi, fit Marguerite, dont le cœur battait avec violence.

– Vous savez donc que je me suis rendu à la Tour de Nesle où, en effet, j’ai pu arracher le comte aux truands qui le détenaient prisonnier. »

Cette fois, Marguerite ne put s’empêcher de pâlir.

« Ainsi, dit-elle, ces gens avaient fait de la Tour de Nesle leur repaire ?

– Il est à croire, fit le roi, qu’ils s’y étaient installés depuis longtemps. Mais là n’est pas la chose intéressante pour moi. Ces gens seront tôt ou tard saisis et pendus. Ce qui m’intéresse et ce qui doit aussi vous intéresser, madame, c’est que j’ai failli trouver à la Tour de Nesle le secret de la trahison et que, sans ce Philippe d’Aulnay...

– C’est donc Philippe d’Aulnay qui vous a empêché de savoir le nom de la femme qui vous trahit ! »

Et Marguerite, devenue plus pâle, tomba dans une sorte de rêverie profonde, tandis que le roi continuait :

« Jugez-en, ma chère Marguerite : au dernier étage de la tour, aménagé comme pour des orgies secrètes, j’ai trouvé dans une table des papiers qui avaient été écrits par celle qui se livre à ces débauches... celle qui me trahit !

« Ces papiers, continua le roi, je les tenais dans mes mains. (Marguerite, d’un violent effort, parvint à ne pas s’évanouir.) J’allais les lire ! Tout à coup, cet homme, ce Philippe d’Aulnay, s’est précipité sur moi par traîtrise, m’a arraché les papiers, et tandis que j’étais maintenu en respect par une douzaine de ses compagnons, il les a brûlés ! »

Un soupir gonfla le sein de la reine, qui murmura :

« Sauvée... »

Et telle était la puissance de cette femme sur elle-même, que pas un pli de sa physionomie ne décelait l’épouvantable émotion qu’elle éprouvait en ce moment.

Mais déjà le roi continuait :

« Il me reste, chère Marguerite, à vous demander pardon d’un véritable crime que j’ai commis contre vous.

– Contre moi ?

– Oui, hélas ! vous, l’ange de la pureté ! vous, que le peuple appelle Marguerite la vertueuse, comme il m’a appelé Louis le Hutin, j’ai osé un instant vous soupçonner...

– Me soupçonner ! fit Marguerite d’une voix si basse et rauque. Et de quoi, grand Dieu !... »

Dans cette tragique seconde, Marguerite fut admirable d’audace, de décision et de sang-froid. Elle se leva précipitamment, s’assit, ou plutôt se jeta sur les genoux de Louis, étreignit sa tête dans ses deux bras, colla ses lèvres à ses lèvres, et, avec un accent de passion vraiment sublime :

« Parle, mon roi, mon Louis bien-aimé ! Parle ! décharge ton pauvre cœur des peines qui l’accablent ! Confie-moi le secret de ton tourment ; dusses-tu, tiens, dusses-tu m’accuser moi-même, dussé-je entendre que tu m’as soupçonnée ! et dussé-je mourir à l’instant de savoir que Louis a soupçonné sa Marguerite !

– Pardonne, chère Marguerite ! Pardonne ! murmura le roi, ivre de passion. Oui, il faut que tu saches tout, et ce sera mon châtiment ! Eh bien, je me figurais un instant, dans une minute de folie furieuse, je me suis figuré que toi-même tu t’étais rendue à la Tour de Nesle et que, là, un peintre t’avait portraiturée dans l’attitude où j’ai vu la femme au tableau ! »

Marguerite frissonna jusqu’à l’âme.

Car ces paroles du roi étaient le reflet de la vérité.

« Et ce n’est pas tout ! continua le roi. Dans ma folie, j’avais peut-être une sorte d’excuse... car figure-toi qu’ayant ouvert une armoire, j’y ai trouvé des robes imprégnées de ton parfum favori... »

Marguerite se sentit mourir.

« J’y ai trouvé, continua le roi, un manteau agrafé par deux émeraudes... Oh ! deux émeraudes toutes pareilles à celles que je t’ai données !... »

Marguerite eut le soupir atroce du condamné à qui on vient annoncer que l’heure de mourir est arrivée. Livide, la tête baissée, elle semblait attendre le coup fatal.

« Il fallait vraiment, poursuivit le roi avec un rire strident que le démon m’eût soufflé je ne sais quelle funeste inspiration. Car quoi de plus simple que de te dire : « Marguerite, ces émeraudes que je t’ai données, montre-les-moi, ne fût-ce que par pitié ! » Alors, n’est-ce pas, tu m’eusses montré tes émeraudes et mon soupçon fût tombé du coup ! »

Le roi s’arrêta.

Il attendait... quoi ?... Il attendait que la reine allât chercher les émeraudes et les lui montrât.

La reine ne bougeait pas.

« Par Notre-Dame ! murmura le roi, qu’attends-tu, Marguerite ? Quoi ! après ce que je viens de dire, ces émeraudes ne sont pas encore là, sous mes yeux ? »

Le roi s’était levé, et il apparut à Marguerite si pâle, si terrible dans son immobilité, qu’une sorte de folie monta à son cerveau. Elle se leva à son tour, prête à hurler : « C’est vrai ! C’est vrai ! La femme au tableau... c’est moi ! Les émeraudes, ce sont les miennes ! C’est moi, moi, Marguerite de Bourgogne, qui suis la ribaude de la Tour de Nesle. »

« Madame ! fit une voix calme, je vous apporte votre manteau dont les agrafes ont besoin d’être réparées. »

La reine demeura immobile, pétrifiée.

Le roi jeta un rugissement et se rua sur Mabel qui venait d’entrer, tenant dans ses bras le manteau royal.

« Oh ! pardon, Sire, murmura Mabel. J’ignorais la présence du roi chez la reine. Sans quoi j’eusse choisi un autre moment pour venir parler de ces détails domestiques. Je me retire, et...

– Donne ! » hurla le roi en arrachant le manteau à Mabel et en l’examinant avidement.

Marguerite, de son côté, jeta sur ce manteau un regard de détresse vertigineuse.

Et alors, elle s’effondra, tomba à la renverse, sans connaissance, foudroyée par une indicible stupeur, par une joie plus effrayante que sa terreur passée.

Elle venait de voir les émeraudes fixées à leur place ordinaire !

*

Marguerite, revenue à elle, était assise dans son fauteuil. Une heure s’était écoulée. Le roi avait beaucoup crié, beaucoup sangloté et imploré un pardon que la reine, pressée de se retrouver seul, lui avait accordé avec une hâtive générosité.

Une fois bien pardonné, une fois bien soulagé par ses larmes et ses cris, le roi était parti heureux, tapageusement joyeux, criant qu’il lui fallait absolument célébrer sa joie par un dîner auquel il prétendait faire assister le soir même tous ses chevaliers. Alors, Mabel avait raconté à la reine comment elle avait pu intervenir à temps pour sauver sa chère maîtresse. La reine la serra dans ses bras et la combla de ses caresses.

« Bien ! songea Mabel, plus que jamais, je jouis de la confiance de Marguerite. Plus que jamais, je suis maîtresse de la situation. »

« Mais, reprit Marguerite, tu dis que c’est un de mes archers qui t’a remis ces deux émeraudes ?

– Oui, ma reine ! et ce brave attend sa récompense dans votre antichambre. »

Alors, Marguerite leva les yeux sur Mabel et prononça sourdement :

« Il n’y a que les morts qui ne parlent pas. »

Mabel approuva d’un signe de tête.

« Mais, reprit alors la reine, tu ne m’as point dit comment cet homme se trouvait posséder mes deux émeraudes.

– Quelqu’un les lui avait données pour vous les remettre, fit Mabel. Et ce quelqu’un les avait arrachées de votre manteau, dans le placard de la Tour de Nesle.

– Et qui est-ce, ce quelqu’un ? demanda Marguerite, frémissante.

– Il s’appelle Philippe d’Aulnay !... »

*

La reine était tombée dans une rêverie profonde.

En elle, pas d’émotion. Mais maintenant que le danger était passé, elle voulait éviter de revivre l’heure d’angoisse et d’épouvante qu’elle venait de vivre. Sans doute, sa résolution se trouva prise, car elle fit rappeler l’officier qui se tenait constamment dans les antichambres.

« Monsieur, lui dit-elle, est-ce fait ?

– L’homme est en ce moment au numéro six et il n’en sortira que sur les épaules du geôlier, qui jettera son cadavre au fleuve.

– Vous êtes un fidèle et précieux serviteur, dit Marguerite, et le premier grade vacant sera pour vous. »

Marguerite réfléchit quelques instants, hésita peut-être et se décida :

« Vous allez prendre douze ou quinze de vos archers les plus robustes et surtout les moins bavards. Vous allez vous rendre à la Tour de Nesle, vous la fouillerez de fond en comble. Vous y arrêterez tout ce que vous y trouverez, hommes ou femmes, et vous viendrez me rendre compte de ce que vous aurez fait. Il s’agit d’une bande de truands qui ont attenté à la vie du roi. »

L’officier partit.

Une heure plus tard, il était de retour.

« Madame, lui dit-il, la bande était sans doute sur ses gardes, car nous n’avons pu trouver qu’un seul de ces sacripants. Je l’ai arrêté de mes propres mains et l’ai fait mettre dans l’un des cachots du premier sous-sol en attendant qu’il vous plaise d’en disposer.

– Savez-vous qui est celui que vous avez pu arrêter ?

– Moi, je ne le connaissais pas, mais l’un de mes hommes qui l’a vu à Montfaucon l’a reconnu. C’est l’un de ceux dont la tête est mise à prix. C’est le sire Philippe d’Aulnay. »

Marguerite pâlit légèrement.

« Que faut-il en faire, madame ? » reprit l’officier.

Marguerite, d’une voix sourde, demanda :

« Où avez-vous mis l’archer de tout à l’heure ?

– Dans le numéro six, madame.

– L’un de ces deux cachots dont on ne sort que pour être jeté à la Seine, n’est-ce pas ? reprit Marguerite d’une voix plus basse et plus sourde encore.

– Oui, madame ! Le numéro six est pris, mais il reste le numéro cinq.

– Eh bien, dit Marguerite, mettez-y Philippe d’Aulnay... »