La Tâna - Virginie Amatis - E-Book

La Tâna E-Book

Virginie Amatis

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Beschreibung

Lorsque Thécia, une jeune journaliste travaillant pour un magazine de décoration d’intérieur, tombe par hasard sur une correspondance datant de la Seconde Guerre mondiale, évoquant un trésor mystérieux, elle est loin de se douter que sa vie est sur le point d’être bouleversée.

Sous couvert de rédiger un article sur l’architecture montagnarde, la jeune femme compte bien enquêter discrètement.

Qui sait ? Peut-être parviendra-t-elle à trouver une piste permettant de restituer des œuvres spoliées à leurs propriétaires légitimes.

Malgré l’essor touristique, les traditions restent ancrées dans la vie des Savoyards. Plongée au cœur de conflits intergénérationnels, Thécia découvre une région profondément marquée par son histoire étroitement liée à celle de l’Italie fasciste.

De la rudesse de la vie d’un contrebandier du début du 20e siècle aux enjeux du développement du thermalisme, ses investigations l’entrainent bien au-delà d’une simple affaire de spoliation.

Entre phases de découragement et découvertes étonnantes, la jeune femme parvient à remonter la piste de ce fameux trésor, bien loin de tout ce qu’elle avait pu imaginer. Un dénouement inattendu aux conséquences lourdes pour la plupart des protagonistes.

Une fin laissant présager d’un impact bien plus effrayant encore à l’échelle de l’humanité.


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Virginie AMATIS

LaTâna

Virginie AMATIS

Après des études supérieures en Lettres modernes et journalisme, Virginie Amatis a vécu sur la côte sud de l’Angleterre pendant 5 ans.

De retour en France, elle a travaillé pour l’office de tourisme de Bourg Saint Maurice/LesArcs.

Son parcours personnel l’a amenée, par la suite, à quitter la vie palpitante des stations de ski pour s’installer dans la Drôme dont elle est originaire. Elle a alors repris des études dans le Marketing et la Communication avant de se lancer dans l’écriture de son 1er roman, LaTâna.

À ma fille,

Source d’énergie inépuisable

Et de remise en question permanente.

« Le passé est un héritage dont le présent a toutes les charges, sans pouvoir réclamer le bénéfice d’inventaire. »

–Gustave VAPEREAU – L’homme et la vie (1896)

« Il y a toujours un moment où la curiosité devient un péché, et le diable s’est toujours mis du côté des savants. »

–Anatole France – Le jardin d’Épicure (1894)

LaTâna

PROLOGUE

Lyon, 6e arrondissement, avenue Foch, 17/06/2002

Soline Moreau ne quitta pas ce monde paisiblement. Pourtant, aux yeux de tous, elle avait eu une vie plus qu’honorable, un mariage heureux avec un notaire respectable, deux beaux enfants, une grande maison bourgeoise. Elle avait volontiers obéi aux convenances propres aux nantis. Son rang social était devenu, au fil des années, une seconde peau. Son existence était conforme à celle de feu son mari, normalisée par un milieu cossu où les apparences priment sur la personne, où la forme importe plus que le fond. On ne peut y survivre qu’en adoptant ses codes et Soline s’y était pliée, méthodiquement, jusqu’à oublier ses années de jeunesse.

Il y avait plus de trente ans déjà un événement était venu perturber la sérénité de sa famille. Personne n’avait réellement compris l’ampleur de sa détresse à l’époque. Personne ne le pouvait. Leur belle maison bourgeoise avait fini par attirer les convoitises et avait été cambriolée. Les coupables ainsi que leur butin n’avaient jamais été retrouvés.

Soline n’était ni sentimentale ni matérialiste. Elle aimait le pouvoir que conférait l’argent, le confort qu’il procurait. Elle évoluait avec aisance au milieu des objets de valeur qui ornaient sa demeure, mais était prête à s’en défaire sans une once de remords si cela pouvait servir ses intérêts. Seule la préservation de son image et de son rang lui importait. À une exception près. Une chose qui lui appartenait depuis qu’elle avait tourné le dos à tout un pan de son histoire. Un objet sans réelle valeur, symbole d’une vie qui bascule dans la norme. Un objet qui renfermait un secret. Et ce bien si précieux à ses yeux lui avait été arraché. Ce souvenir douloureux ne l’avait jamais quittée, même si, au fur et à mesure que les années s’égrenaient, il était devenu moins présent. Aujourd’hui, à l’heure de sa mort, c’était son passé tout entier qui revenait la hanter.

Elle refusa la présence de ses proches lorsqu’elle sentit sa dernière heure arriver. C’était une femme de poigne peu portée sur les effusions, mais ses enfants en furent néanmoins surpris. Était-ce par pudeur ? La volonté de leur mère ne connaissait pas de limite, elle tenait à rester digne jusque dans la mort. Ils en étaient conscients. Elle ne souhaitait visiblement pas d’adieux et cette pensée leur fut difficile.

Personne ne comprenait Soline. Les méandres de son esprit leur resteraient à jamais inconnus. Une vie passée à ses côtés sans jamais avoir réussi à percer l’essence même de son être. En réalité, son besoin d’isolement recelait bien plus que de la pudeur. Une angoisse terrible la saisissait à l’idée de laisser échapper une phrase malencontreuse alors même que son esprit s’éteignait peu à peu. Perdre le contrôle lui était intolérable. Son secret devait disparaître avec elle. Les faux-semblants de cette existence qu’elle s’était créée allaient enfin prendre fin. Elle avait su, au prix d’innombrables sacrifices préserver le silence autour de l’indicible.

Elle accepta uniquement la présence de son confesseur. Elle ne craignait pas de partir seule. Elle était simplement fatiguée de sentir l’inquiétude de son entourage face à son envie de solitude. Quitte à subir une présence, autant que ce soit celle d’un homme dont les lèvres resteraient à jamais closes par le secret de la confession.

CHAPITRE 1

Lyon, 1er arrondissement, Quartier des pentes de la Croix-Rousse, 25/02/2019

L’air vicié des ordures se mêlait à l’odeur alléchante des viennoiseries, paradoxe des grandes villes où le sublime côtoie quotidiennement l’innommable. Des artisans boulangers reconnus comme appartenant à l’élite de la profession travaillaient à quelques mètres d’une poubelle abandonnée par un individu indélicat.

Thécia fronça le nez. Le quartier était pourtant bien coté.

Elle accéléra le pas, hésitant à couper par la traboule qu’elle empruntait habituellement pour se rendre chez son amie. Si des suppôts de Bacchus avaient festoyé dans les environs au point d’abandonner les rebuts de leur soirée en pleine rue, c’était peut-être prendre un gros risque. Après une certaine heure, il n’était pas rare que des personnes peu scrupuleuses confondent ces sites pittoresques avec des lieux d’aisance. Fort heureusement la plupart des traboules de Lyon n’étaient plus accessibles au public la nuit. Ces passages piétons traversant les cours d’immeuble afin de passer rapidement d’une rue à une autre, étaient nombreux dans la capitale des gaules. Ils contribuaient à l’attrait touristique du Vieux Lyon et du quartier des pentes de la Croix Rousse. Parfois considérés comme de véritables œuvres d’art, la plupart n’étaient que de simples couloirs ouverts sur la rue aux deux extrémités.

Thécia décida de rester à l’air libre, quitte à faire un détour. Zalmée n’étant pas elle-même un modèle de ponctualité, elle ne pourrait se permettre de se montrer trop sévère sur son retard. La journée était belle, le doux soleil de fin février réchauffait à peine l’air, mais il réconfortait pourtant les cœurs alanguis par l’hiver et la grisaille. Tant pis si son amie trépignait d’impatience. Ce qu’elle avait à lui montrer ne datait pas d’hier. Un quart d’heure de plus ou de moins ne ferait pas une grande différence.

Elle bifurqua enfin dans la petite rue en pente menant chez Zalmée et jeta un bref regard à l’atelier de jeunes artistes au bas de l’immeuble.

Habituellement elle prenait le temps d’étudier le bric-à-brac hétéroclite exposé derrière la verrière. Rester à l’affût des nouvelles tendances faisait partie de son métier. Après une brève incursion dans le domaine de l’architecture d’intérieur, elle avait finalement opté pour une carrière de journaliste en décoration. Depuis quatre ans déjà, elle rédigeait des articles pour un célèbre magazine et espérait bien un jour créer le sien. L’esprit d’innovation et l’envie de repousser toujours plus loin les limites du possible l’avaient dans un premier temps poussé à s’orienter vers la création d’espaces de vie. Elle était douée. Malgré cela elle avait bien vite réalisé que ce métier demandait trop de présence sur le terrain et Thécia détestait la phase de gros œuvre et toutes les étapes salissantes qui s’ensuivaient. Son extrême maniaquerie ne lui permettait pas de s’épanouir dans ce métier. Il eût fallu qu’elle puisse projeter son imaginaire directement dans un produit fini. Sa reconversion dans le journalisme avait été un choix par défaut dans un premier temps. Puis elle avait pris conscience des opportunités qui s’offraient à elle. Certes, elle ne créait plus, mais c’était son expertise et sa sensibilité qui ouvraient les voies de la consécration aux ouvrages de ses paires. Elle avait le pouvoir de valoriser ce qui méritait de l’être et de laisser glisser dans les méandres du néant le banal et la médiocrité. En théorie. Son champ d’action était large, mais pas infini. La ligne éditoriale du magazine se dressait parfois au travers de sa route, réductrice et frustrante. Ce n’étaient ni l’argent ni la gloire qui la poussaient à devenir son propre patron mais plutôt son désir d’indépendance et d’autonomie.

Elle sonna à l’interphone et grimpa d’un pas léger les quatre étages sans ascenseur. Zalmée patientait sur le pas de la porte.

–Je ne t’attendais plus !

–Tu passes ton temps à me poser des lapins. Pour une fois que je peux te faire poireauter tout en sachant que tu ne t’envoleraspas…

–Rentre vite ! Ne me fais pas languir plus longtemps.

–Tu ne comptes tout de même pas m’accueillir sans une tasse de café ?

Zalmée se précipita dans la cuisine pendant que Thécia prenait place dans le canapé, près de la fenêtre.

Elle n’avait pas donné beaucoup de détails à son amie au téléphone et elle comprenait son impatience.

Sa chère grand-mère paternelle l’avait quitté il y a quelques semaines. Son absence lui semblait encore irréelle. Odéna Castel avait accompagné sa petite fille dans toutes les étapes importantes qui jalonnent une vie. Se projeter sans elle était douloureux. Issue d’une famille soudée et entourée d’amis fidèles, Thécia arrivait désormais à faire face à sa disparition. Elle avait enfin trouvé le courage de trier les objets dont elle avait hérité. Parmi ces reliques du passé chargées de souvenirs se trouvait une machine à coudre.

Elle était avec sa grand-mère lorsque celle-ci l’avait acheté sur une brocante. Elle était enfant à l’époque. C’était une belle pièce de collection sans véritable valeur, mais joliment travaillée. Sa grand-mère avait eu envie, après la mort de son mari, de changer l’intérieur de sa maison lui rappelant trop de souvenirs. Grande couturière, elle s’était entichée de cette vieille machine et lui avait trouvé une place de choix dans son séjour. Elle ne l’utilisait pas pour coudre, lui préférant une machine plus moderne et fonctionnelle. C’était un symbole identitaire, réminiscence d’une époque révolue. Sa grand-mère aimait l’authenticité de l’ancien et sa demeure baignait dans un charme suranné.

Cet héritage méritait une place de choix dans l’appartement de Thécia. La décoration moderne et minimaliste ne faciliterait pas l’intégration d’un objet aussi vintage, mais avec un peu d’imagination elle était certaine que le résultat serait probant. Elle devait bien reconnaître qu’il manquait chez elle cette petite touche décalée qui faisait l’originalité et la convivialité d’un vrai chez soi. Elle ne supportait pas la poussière et la saleté. Les lieux encombrés, mal aérés, avaient toujours été synonymes de répulsion. Son appartement était le miroir de cette aversion. Des lignes épurées, une décoration choisie avec goût, mais réduite au strict minimum, le ménage pouvait et devait être fait méticuleusement quotidiennement.

Bien décidée à rendre à la vieille machine à coudre toute sa prestance, elle avait entrepris de la lustrer jusque dans les moindres recoins, ce qui n’était pas une mince affaire. C’était un modèle à pédalier. La tablette usée pouvait être remplacée, transformant le tout en un petit bureau ou un meuble d’entrée très pratique pour déposer ses clés. Armée d’un cruciforme, Thécia avait donc commencé à séparer le plateau du socle. A sa grande surprise elle avait découvert cachées dans un double fond une dizaine de lettres manuscrites jaunies par le temps.

CHAPITRE 2

Lyon, 1er arrondissement, Quartier des pentes de la Croix-Rousse, 25/02/2019

Lettre datée du 28/05/1945, poste restante

Ma tendre aimée,

Tous ces bouleversements, ces chamboulements me semblent irréels. Il y a cinq ans déjà, ton regard croisait le mien. J’aurais aimé qu’ils restent unis à jamais. Ton absence m’est insupportable. Mon existence est devenue insipide.

Comment en sommes-nous arrivéslà ?

La chute est tellement douloureuse lorsque l’on a frôlé les sommets. Nos destinées ne sont que les métaphores de celles de ces nations dont l’Histoire a été tronquée. L’Alliance a anéanti tout espoir de résurrection. Après des siècles d’attente, l’Italie avait enfin à sa tête un homme capable de rétablir la grandeur nationale. Les montagnes entre nos deux pays n’ont jamais été une frontière. Les terres savoyardes sont depuis toujours étroitement liées à ce pays de cocagne qui t’a vu naître. Le Duce rêvait d’unification et de grandeur. La France avait besoin d’un visionnaire pour s’extraire de ce marasme idéologique qui la plombait. Nos nations sont sœurs et leurs avenirs inextricablement unis, jamais je ne l’oublierai mon amour. La chute du fascisme ne sonne pas la fin de notre combat.

Ce que nous avons accompli au nom de la grandeur de nos patries ne tombera jamais entre des mains ennemies. Je veille ma douce amie. Je suis maintenant le gardien de cet héritage inestimable. Notre trésor est à l’abri de l’avidité des impurs.

Je te le promets.

Aucun son ne parvenait à franchir les lèvres de Zalmée. Thécia en fut presque amusée. Mais l’attente la rendait fébrile. Elle voulait connaître l’opinion de son amie sur l’importance de cette correspondance mentionnant un trésor de guerre. Malheureusement les lettres restaient toutes très évasives et anonymes. À part quelques lieux, peu d’informations filtraient au travers desmots.

Elle n’avait qu’une certitude, sa grand-mère ne pouvait être la destinataire. Outre le fait qu’Odéna Castel n’avait absolument pas le profil d’une fasciste ayant participé activement à l’ascension de Mussolini durant la Seconde Guerre mondiale, elle était originaire du Bordelais et n’avait emménagé à Lyon qu’à la fin des années 50 à la suite d’une mutation professionnelle de sonmari.

–Je t’en prie, cesse de te prendre pour un poisson rouge. Ferme la bouche et dis-moi ce que tu en penses.

–Pardon. Mais je ne m’attendais pas du tout à ce que ma meilleure amie mette la main sur une correspondance datant de la fin de la Seconde Guerre mondiale en customisant une vieille machine à coudre !

–Pourtant ça doit arriver régulièrement ? Tu as déjà rencontré des cas similaires,non ?

–Bien sûr. Mais c’est comme la rubrique des faits divers. Tu te dis que ça n’arrive qu’aux autres.

Zalmée travaillait pour le service de « protection des biens français à l’étranger » depuis de nombreuses années. Elle n’avait jamais voulu exercer un autre métier. Depuis toujours ses origines juives lui dictaient son avenir. Elle était devenue la personne qu’elle souhaitait incarner depuis son enfance, une justicière œuvrant pour défendre les intérêts des opprimés et des spoliés. Son poste au service des restitutions était l’aboutissement de longues années d’études et d’une volonté defer.

Thécia admirait profondément son amie. Personne n’imaginait que derrière cette apparence fragile se cachait autant de droiture et de détermination. Cette femme-enfant coiffée à la garçonne détonnait quelque peu dans ce milieu bureaucratique et traditionnel. Mais elle avait su conquérir le cœur de tous. Son esprit affûté et sa vivacité avaient bousculé les habitudes et pourtant elle était parvenue à gagner l’estime de ses confrères.

Son insouciance et sa désinvolture n’étaient qu’un vernis. En grattant un peu, Thécia avait bien vite découvert la vraie Zalmée alors qu’elles étaient toutes deux collégiennes. Contrairement à la plupart des personnes que l’on croise tout au long d’une vie, leur amitié ne s’était jamais étiolée.

–Alors ? Comment fait-on ? Je te laisse toutes les lettres ? Tu penses que je pourrais en garder une copie quand même ?

–Attends, attends. Ce n’est pas si simple. Cette correspondance est anonyme et reste très floue sur ledit trésor de guerre. On ne sait quasiment rien, ni sur son contenu ni sur sa provenance. Généralement nous ouvrons un dossier à la demande des propriétaires d’origine ou lorsque nous avons retrouvé des œuvres signalées comme disparues. Le bureau croule déjà sous les demandes.

–Alors on ne fait rien ?

–Tu te sens capable de ranger ces lettres au fond d’un tiroir et de reprendre ton train-train quotidien comme si rien ne s’était passé ?

–Non, mais tu viens de dire que nous ne pouvons rien faire !

–J’ai dit que le bureau ne ferait rien à moins d’avoir plus de détails… mais toi et moi ne sommes pas un département d’État croulant sous la paperasse et les procédures ! On part la montagne. Vive les vacances !

Zalmée se mit à sautiller de joie. Ses yeux noisette brillaient d’excitation et ne lâchaient plus ceux de Thécia. Cette dernière savait que lorsque son amie s’enthousiasmait de la sorte, il devenait impossible de la faire changer d’avis.

–Tu veux te rendre sur place ?

–Non. Je veux que nous nous rendions sur place !

–Mais ça ne s’organise pas aussi facilement.

–J’ai des vacances à prendre et toi tu n’as qu’à proposer à ton magazine un reportage sur les chalets à la montagne. C’est moi qui paie l’hébergement. De sacrées économies pour tes patrons… ils ne peuvent pas dire non. Tu fais d’une pierre deux coups, un bel article et une enquête captivante avec ta meilleure amie. Ça ne se refusepas.

–Tu crois vraiment que l’on va découvrir un trésor, des chefs d’œuvre disparus pendant la guerre ? demanda Thécia, dubitative.

–Arrête avec ton scepticisme. Je te propose avant tout des vacances dans un lieu magnifique. Le reste, on verra. Tu préfères laisser cette correspondance te trotter dans la tête ? Même si l’on ne trouve rien, nous reviendrons avec le sentiment du devoir accompli.

–Tout de suite les grands mots… Et tu comptes t’y prendre comment une fois sur place ?

–Tu seras mon sésame ! La promesse d’un article dans un magazine ouvre bien des portes. Nous pourrons ainsi discuter avec les gens du coin. Et tu le sais comme moi, observer l’intérieur d’une maison c’est comme plonger dans l’âme de nos semblables…

–C’est bon, tu m’as convaincu. Mais là, tu en fais un peu trop ! Tu ne prends jamais rien au sérieux.

–Je suis très sérieuse lorsque je dis que ça te fera le plus grand bien. Tu vas pouvoir te changer un peu les idées. Tu en as besoin.

Thécia savait qu’elle avait raison. Même si elle se remettait doucement de la perte de sa grand-mère, ses pensées restaient moroses.

En quittant l’appartement de son amie, elle prit une grande bouffée d’oxygène et se sentit plus légère qu’à son arrivée. Zalmée avait ce pouvoir sur les gens. Elle rayonnait et soulageait de leurs tourments ceux qui avaient la chance de la connaître.

Une semaine plus tard, Thécia bouclait ses valises, et rangeait soigneusement son billet de train pour la petite ville pittoresque de Bourg Saint Maurice. Les deux amies loueraient ensuite une voiture pour se rendre jusqu’au village de Peisey Vallandry, l’un des rares lieux mentionnés explicitement dans les lettres. Elles avaient opté pour des chambres d’hôtes plutôt qu’une résidence hôtelière, loger directement chez des particuliers leur permettrait de pouvoir échanger avec des gens du cru beaucoup plus facilement.

Comme l’avait prédit Zalmée, tous les propriétaires des plus beaux chalets de la Tarentaise avaient accepté avec joie de la recevoir. L’amour-propre était décidément un excellent passe-partout.

La sonnerie de son portable la tira de ses rêveries. Pourquoi son amie l’appelait-elle ? Elles devaient se retrouver à la gare Lyon Part-Dieu dans une heure. S’était-elle trompée sur l’horaire ?

Thécia décrocha avec le sombre pressentiment que tout ne se déroulerait pas comme prévu.

–J’ai glissé sur une plaque de verglas en descendant chercher des croissants ce matin, gémit Zalmée. Je me suis cassé la jambe. Je suis en compagnie d’un adorable infirmier qui pourra te le confirmer si tu veux. Quelle bénédiction ces antidouleurs, tout le monde me paraît charmant, mais cet infirmier l’est deux fois plus que les autres. C’est que ça doit être vrai.

–Comment, bredouilla Thécia sous le choc. Mais, tu es sûre que ça va ? Tu ne t’es pas cogné la tête au passage ? C’est vraiment pas de veine. Et dire que l’on était sur le départ… Je m’occupe de l’annulation, ne t’inquiètepas.

–Je ne veux pas d’excuses ! Tu pars quand même, intima Zalmée d’un ton péremptoire. L’hébergement est réservé, ton billet de train non remboursable et tu as un tas de rendez-vous avec les propriétaires des plus beaux chalets du coin. Tu vas revenir avec un article sensationnel et qui sait ? Peut-être une piste concernant ton fameux trésor…

–Mais…

–Pas de « mais » qui tienne, tu pars à la montagne.

CHAPITRE 3

Alpes du Nord, Haute Tarentaise, Peisey Vallandry, 04/03/2019

Le regard tourné vers les cimes enneigées, Thécia se demandait encore pourquoi elle s’était laissé convaincre. Le bon côté des choses c’est qu’elle ne manquerait pas d’occupation. Contrairement à la plupart de ses confrères, elle travaillait en solo. Elle gérait la rédaction et la photographie. Elle aimait cette indépendance. Même si trimballer son équipement au sommet des montagnes s’avérait fastidieux, elle gardait ainsi les pleins pouvoirs sur le contenu de son article.

Lorsque la forêt devenait moins dense, la route tortueuse laissait entrevoir les paysages majestueux de la Haute Tarentaise. De charmants hameaux se lovaient entre monts et vallées. La rudesse des hivers et les reliefs accidentés avaient pendant longtemps préservé ces territoires isolés. Mais l’empreinte de l’homme était aujourd’hui présente partout.

La ruée vers l’or blanc des années 60 avait donné naissance à de nombreuses stations de ski afin de répondre à la demande croissante d’une clientèle enthousiasmée par l’organisation des Jeux Olympiques d’hiver à Grenoble. Boostés par la volonté gouvernementale de multiplier les lieux de villégiature, les promoteurs étaient montés à l’assaut de ses forteresses de roche et de glace, modifiant en profondeur le visage des Alpes ainsi que le mode de vie de ses habitants. Il ne faisait aucun doute que la région était largement impactée par le tourisme de masse. Cependant certaines destinations avaient opté pour un développement à taille humaine, préservant ainsi un cadre de vie mêlant tradition et respect de l’environnement. Situé au cœur du Parc National de la Vanoise, le village de Peisey oscillait entre folklore et mondialisation. Sa volonté farouche de sauvegarder son patrimoine culturel et naturel était constamment mise à l’épreuve par la renommée internationale du domaine skiable auquel il était rattaché, le Paradiski.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, ce contexte était favorable à la rédaction d’un article de qualité. Notoriété rime bien souvent avec argent. Depuis quelques années les tendances en décoration d’intérieur prônaient pour un retour aux sources et un habitat plus respectueux de son environnement. Les grandes tours bétonnées n’étaient plus en vogue. L’identité culturelle de ces régions montagneuses attirait de plus en plus de fortunés prêts à investir massivement dans des chalets traditionnels en y apportant confort et modernité.

Thécia n’oubliait pas qu’elle était aussi à la recherche d’indices laissant supposer que des biens spoliés durant la Seconde Guerre mondiale avaient transité dans la région et s’y trouvaient peut-être encore. Cependant la perspective de découvrir les plus beaux chalets de la Tarentaise n’était pas pour lui déplaire.

Le village de Peisey apparu au détour d’un lacet. Encore quelques kilomètres et elle arriverait enfin à destination. Elle séjournait à Plan Peisey, un hameau sur les hauteurs, dans un chalet tenu par un frère et une sœur d’une soixantaine d’années, originaires de la région.

Thécia se gara et commençait à peine à déposer ses valises sous le porche lorsqu’une femme souriante vint à sa rencontre.

–Vous devez être Thécia Castel. Je suis Ancélia Desbois. Nous sommes ravis de vous accueillir. Laissez-moi vous aider.

–C’est très aimable à vous, mais ne vous donnez pas cette peine. Je vais m’en sortir.

–Je n’ai peut-être plus votre jeunesse, mais l’air de la montagne fait des miracles. Une véritable source de jouvence ! Vous verrez d’ici quelques jours, vous aussi vous sentirez un vrai regain de vitalité. Vous venez de Lyon n’est-ce pas ? Une ville magnifique, mais on ne respire pas le même airici.

Sur ces mots, elle empoigna les deux plus grosses valises comme si elles ne pesaient pas plus lourd qu’une plume. Son apparence ne laissait en rien deviner une telle énergie. Une silhouette élancée, un port de tête altier couronné d’une magnifique chevelure d’un blanc éclatant, des gestes gracieux, Thécia l’imaginait plus dans un château sur les bords de la Loire à l’époque de la Renaissance qu’en montagnarde pure souche. Les apparences étaient parfois trompeuses.

La chambre décorée avec goût bénéficiait d’une vue superbe sur la montagne, un flot de lumière inondait l’espace occupé par un lit double confortable, une large penderie et un petit bureau faisant office de desserte. La salle de bain était moderne et impeccable. Thécia se sentit tout de suite à l’aise.

–Vous avez de quoi boire un thé dans votre chambre, mais si vous désirez profiter du salon, ne vous privez pas. Nous louons seulement trois chambres. Votre amie ayant annulé son séjour, nous n’avons qu’une seule autre réservation pour cette semaine, un jeune couple sans enfant. Vous ne serez pas embêtée par le bruit.

–C’est parfait. Je vous remercie. Si je peux me permettre d’abuser un peu de votre temps. Je travaille pour un magazine de décoration d’intérieur et je suis ici pour réaliser un article sur les chalets de montagne. J’ai déjà pris contact avec les propriétaires des chalets les plus connus de la Tarentaise, mais si vous avez des recommandations je suis à votre écoute. J’aimerais sortir un peu des sentiers battus et apporter une vision moins stéréotypée des habitats de la région.

–Je me disais aussi que vous aviez beaucoup de valises ! Oui, bien sûr. Laissez-moi y réfléchir. J’en parlerai également à mon frère. Nous sommes nés et avons grandi ici, mais les propriétaires des plus belles demeures ne sont pas toujours originaires de la Savoie. Néanmoins, si nous pouvons vous fournir quelques informations utiles, nous le ferons avec plaisir.

Ancélia prit congé et Thécia s’allongea voluptueusement sur le lit. Décidément, ce séjour se présentait sous les meilleurs hospices. Il était trop tôt pour se prélasser dans un bain chaud. Elle avait encore le temps pour une promenade. Le cadre enchanteur ne devait pas lui faire oublier qu’elle avait deux missions à remplir, l’article et la quête de renseignements sur les activités controversées de certains habitants du coin pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle doutait fortement d’obtenir des résultats probants sur ce dernier point. Les gens restaient secrets sur des sujets aussi délicats que la spoliation de biens et les années avaient passé. Quels souvenirs restait-il réellement de cette époque chaotique que beaucoup préféraient laisser derrièreeux ?

Elle enfila ses bottes, sa parka et un bonnet chaud. Son reflet dans le miroir lui renvoya l’image d’une jeune femme élégante. Pas question de se laisser aller, même en dehors du monde citadin. Thécia avait toujours attiré les regards. Ses cheveux blonds illuminaient un visage aux traits fins. Ses grands yeux bleus et sa bouche en cœur savaient se faire charmeurs lorsqu’elle en avait besoin. Elle n’était pas superficielle, mais savait qu’un joli minois pouvait parfois être un avantage. Satisfaite de son apparence, elle dévala les marches et se retrouva dans le hall d’entrée.

Un homme à la mine joviale s’entretenait avec un autre, visiblement plus jeune. Ce dernier était de dos, mais sa carrure laissait devinait une activité sportive régulière. Tous deux se retournèrent à son arrivée. Le plus âgé vint à sa rencontre.

–Bonjour, je suis Enélius Desbois et voici mon fils Azuel. La chambre vous convient-elle ? N’hésitez pas à venir nous trouver si vous avez besoin de quoi que ce soit. C’est mon fiston qui prépare les repas du soir. Il nous les apporte chaque jour. Un sacré chef ! Vous allez repartir avec quelques kilos supplémentaires !

–Papa, je ne suis pas sûr que la prise de poids soit un argument en la faveur de ma cuisine. Tu devrais arrêter d’en abuser d’ailleurs ou alors prends exemple sur Ancélia et mets-toi aux raquettes !

Son air moqueur et la mine faussement renfrognée de son père à l’évocation d’une pratique physique régulière témoignaient de la complicité qui liait les membres de la famille. Thécia se sentit soudain nostalgique. Il fallait vraiment qu’elle prenne le temps de rendre visite plus souvent à ses parents. Elle aurait pu aussi partir dans le Bordelais, chez son frère, plutôt que de se lancer dans cette aventure rocambolesque. Ses chances de retrouver la trace d’un trésor de guerre semblaient tellement minces, presque inexistantes, alors que Bordeaux était une ville superbe et qu’elle aurait enfin eu l’opportunité de passer un peu de temps avec ses neveux et nièces.

Zalmée, dans quoi m’as-tu encore entraînée ?

En toute bonne foi, elle devait reconnaître que ce n’était pas la faute de son amie si elle avait quelque peu négligé sa famille ces derniers temps. Sa carrière et la vie trépidante de la cité avaient fini par cloisonner son existence. Il était temps d’y remédier. Elle se promit d’accorder une place plus importante à ses proches. Et même si un air de vacances l’enveloppait depuis son arrivée, elle n’était pas en congé. Son employeur attendait d’elle un reportage accrocheur.

Le regard inquisiteur qu’Azuel posait sur elle l’arracha à ses pensées.

–J’ai hâte de tester votre cuisine. Je m’apprêtais justement à prendre l’air afin de me mettre en appétit.

–Mon fils possède aussi un restaurant d’altitude sur les pistes. Il faudra absolument vous y rendre avant la fin de votre séjour.

–Mais si vous désirez un avis plus objectif sur la région et les sites à ne pas rater, l’office de tourisme se trouve à Vallandry. Vous avez traversé le village en venant ici. Peisey, Plan Peisey, Vallandry, tout est collé à présent. Ce sont plus des quartiers de la station que des hameaux distincts. Vous pouvez vous y rendre à pied ou en navette. Nous avons des dépliants dans le salon sur les horaires de passage.

–Pourquoi m’interromps-tu, s’insurgea Enélius. Tu ne veux pas que je parle de ton restaurant à nos clients ?

–Mais si, papa. Je t’en remercie. Mais tout le monde ne se contente pas d’un repas copieux et d’un grand cru pour passer de bonnes vacances.

–Et moi je dis que ça compte ! Mademoiselle Castel en jugera par elle-même ce soir. Mais nous restons bien entendu à votre disposition si vous avez d’autres questions ma chère.

Ne désirant se positionner ni pour l’un ni pour l’autre Thécia les remercia et se dépêcha de prendre congé. Le ton était resté chaleureux entre les deux hommes. Azuel ne semblait pas réellement embarrassé par l’empressement de son père à glorifier ses qualités culinaires, mais se retrouver aussi soudainement plongée dans la vie d’une famille était quelque peu déstabilisant. Elle s’était habituée à vivre seule. Partager l’intimité d’un foyer s’avérait plus déroutant qu’elle ne l’aurait imaginé.

L’air vif de la fin d’après-midi rosit immédiatement ses pommettes, lui donnant des airs de poupée de porcelaine.

Elle avait rassemblé une documentation fournie sur l’architecture savoyarde durant la semaine précédente. Le trajet en taxi lui avait permis d’entrevoir d’authentiques chalets qu’elle avait bien l’intention d’aller admirer de plus près maintenant qu’elle en avait l’opportunité. Sa première visite était programmée pour le lendemain. Elle souhaitait s’imprégner de l’atmosphère si particulière de ces villages d’antan transformés en stations de sports d’hiver avant de s’y rendre. Rien de tel que l’expérience du terrain pour savoir trouver les mots justes dans un article.

Cette visite lui paraissait particulièrement prometteuse. Le chalet avait été évalué récemment et faisait partie des plus chers de la région. Le propriétaire était réputé pour ses goûts luxueux et son besoin incessant d’exhiber ostentatoirement sa fortune dès qu’il en avait l’occasion. Un personnage haut en couleur que Thécia pensait pouvoir manœuvrer sans difficulté. La qualité de ses reportages n’était pas uniquement le fruit de son talent de photographe et de ses capacités rédactionnelles. Son excellent sens de l’observation lui permettait de comprendre le fonctionnement de la nature humaine. Elle savait adapter son approche afin d’instaurer un climat de confiance propice à l’échange. Une faculté qui présentait un avantage indéniable dans sa profession. Cependant elle ne l’utilisait généralement pas aux dépens de ses interlocuteurs, mais plutôt pour les aider à exprimer clairement le message qu’ils souhaitaient lui communiquer. Cette approche bienveillante avait fait sa réputation.

Mais cette fois, ce serait différent.

Elle n’avait pas l’intention de se montrer aussi charitable qu’à son habitude. Le chalet était clairement mentionné dans les lettres et elle comptait bien amener son propriétaire, Monsieur Lenoir, à lui révéler tout ce qu’il savait sur son histoire, quitte à faire une entorse à son sens de l’éthique.

CHAPITRE 4

Alpes du Nord, Haute Tarentaise, Valezan, 05/03/2019

Lettre datée du 15/06/1945, poste restante

Ma douceamie,

Je t’en prie, pardonne mon chagrin.

Si mon dernier message t’a paru sombre et mélancolique, c’est parce qu’il est le miroir de mon désespoir. Je n’oublie pas tout ce que nous avons partagé. Comment le pourrais-je ? Cependant, ces souvenirs, même les plus heureux, me laissent un goût amer en me rappelant que cette époque est révolue, à jamais. Pourtant, il me semble encore sentir ton parfum dans la chambre lorsqu’enfin Morphée parvient à m’attirer dans les limbes d’un sommeil tourmenté. Privés de ta présence, mes sens me jouent des tours. Je me réveille parfois en sursaut, cherchant désespérément ton corps allongé à côté du mien, envain.

Tu m’as reproché de n’être qu’une âme en peine depuis ton départ. Tu me voudrais fort et reconnaissant de ce bonheur que nous avons partagé, même furtivement. Ne m’en veux pas mon amour. Je me sens comme une bête blessée, à l’agonie. Tu faisais partie de mon être. Ton absence est une meurtrissure dont je ne sais si je pourrais me remettre.

Tu ne voulais pas que notre correspondance se transforme en une longue plainte languissante. Notre histoire reste un hymne à l’amour dans ta bouche alors que désormais je ne suis qu’amertume. Tu as raison, comme toujours. Notre amour est une œuvre d’art que rien ne doit venir entacher.

Te souviens-tu du premier coup de pinceau sur cette toile encore nue ? Ce n’était pas notre première rencontre, mais celle où nous avons su voir en l’autre une âme sœur. Quel jour mémorable ! Un bel après-midi d’été, épargné par les affres de la guerre. Une oasis de calme et de sérénité dans un désert hostile. Un souffle rafraîchissant dans le brasier qui enflammait nos existences précaires.

Les personnes présentes autour de nous ne comptaient plus. Pourtant nous étions nombreux ce jour-là, rassemblés autour d’un repas champêtre, tentant d’oublier un instant les vicissitudes des conflits. Le jardin du Chalet des Praz était jonché de nappes colorées. Certains discutaient, d’autres se prélassaient en admirant la vue sur Rosuel de l’autre côté de la vallée. Et moi, je ne pipais mot et n’avais d’yeux que pour toi. Lorsque ta main a frôlé la mienne, j’ai su que mes sentiments étaient partagés. Mon cœur s’est gonflé d’une joie que je ne pensais ne plus pouvoir ressentir. Tu es devenue mon phare dans la nuit, mon guide, la promesse d’atteindre un jour le rivage et de retrouver la sérénité.

Je m’endors ce soir avec le tendre souvenir de tes doigts posés furtivement sur les miens, aussi légers qu’un battement d’ailes de papillon.

À toi, pour toujours.

En garant la voiture de location devant le chalet des Praz, Thécia laissa échapper un sifflement admiratif. Habillé de pierre et de bois, couronné d’une belle épaisseur de neige, il avait fière allure. Composé de plusieurs blocs de tailles différentes, chacun vêtu de balcons richement ouvragés, l’ensemble s’étageait sur plusieurs niveaux en suivant la pente naturelle du terrain. La propriété était entourée de jardins en terrasses bordés par des bosquets d’épineux. Située sur les hauteurs de la commune de Valezan, elle bénéficiait d’une vue panoramique sur les sommets et le village en contrebas. La journée était parfaite, le ciel d’un bleu éclatant, l’air pur et cristallin, la visibilité exceptionnelle. La première impression était à couper le souffle. Thécia ne doutait pas que l’attention portée aux détails serait tout aussi remarquable à l’intérieur.

La porte d’entrée s’ouvrit, visiblement sa venue était attendue avec impatience. Cette pensée la réconforta. Les informations que lui fournirait Monsieur Lenoir lui seraient-elles réellement utiles ? À cet instant précis, elle n’en savait rien. Elle notait simplement que l’empressement de ce dernier à son égard était flagrant et que, de toute évidence, il ferait tout pour rester dans ses bonnes grâces afin de pouvoir se glorifier de figurer dans un magazine réputé. Un péché d’orgueil qui aiderait certainement à lui délier la langue. Elle se para de son plus charmant sourire et descendit de la voiture.

–Monsieur Lenoir ! Quel plaisir de faire enfin votre connaissance. Depuis que nous avons pris rendez-vous, je comptais les jours. C’est vraiment très aimable à vous de me recevoir. Votre demeure est somptueuse.

–Je vous en prie, appelez-moi Orvil. Le plaisir est pour moi. Entrez, entrez.

Le regard appréciateur qu’il posa sur elle quand elle passa devant lui conforta Thécia dans l’opinion qu’elle s’était faite du personnage. Sa réputation de Don Juan semblait amplement méritée.

–Un petit-déjeuner nous attend. Mais vous souhaitez peut-être faire le tour de la propriété avant de vous restaurer.

–Quelle charmante attention ! Il ne fallait pas vous donner cette peine. Si cela vous convient, j’aimerais effectivement commencer par une visite rapide afin d’avoir une vision d’ensemble. Nous pourrions ensuite échanger sur les différentes approches que je souhaite privilégier, puis j’explorerai plus en détail le chalet et m’attellerai à la prise de vue photographique. Pour finir, nous ferons le point sur les clichés à valoriser et je vous poserai quelques questions subsidiaires. Est-ce que cela vous convient ?

–Je suis à votre entière disposition ma chère.

Il portait un gilet à grosses mailles, négligemment ouvert sur un pull jacquard. Un pantalon chino beige venait compléter sa tenue aux tendances résolument rétro. Assurément, Orvil portait une attention toute particulière à son apparence. Il maîtrisait parfaitement l’art de paraître chic tout en restant décontracté. Thécia lui donnait entre quarante et quarante-cinq ans. Son front commençait à se clairsemer malgré le soin apporter à la coupe de cheveux afin de masquer les premiers signes du passage du temps. Un ennemi redoutable pour une personnalité telle que la sienne.

–Par où voulez-vous commencer Thécia, les pièces de vie, la partie nuit ? Savez-vous que le chalet est équipé d’une piscine intérieure, d’un sauna et d’un jacuzzi ? Pourquoi ne pas les tester ?

–Je n’ai pas prévu de tenue adaptée malheureusement.

–Je suis sûr que je peux dénicher quelque chose à votre taille !

Thécia réprima un sourire. L’existence d’une collection de maillots de bain féminins amassée par Orvil au rythme du va-et-vient de ses innombrables conquêtes ne la surprenait qu’à moitié. En revanche, enfiler les effets de la dernière d’entre elles ne la tentait absolument pas. Elle déclina poliment, affichant une mine faussement déçue.

Ils passèrent en revue chaque pièce. L’insistance d’Orvil sur son implication personnelle dans la conception des espaces et la décoration était cocasse. Thécia savait qu’une armée d’architectes et de décorateurs d’intérieur avait travaillé sur le projet de rénovation. Il y avait un point sur lequel il fallait toutefois lui rendre hommage. Le chantier avait duré presque deux ans et avait coûté une véritable petite fortune.

La folie des grandeurs accompagnée d’un portefeuille bien garni est à l’origine de bien des chefs-d’œuvre, autant dans le domaine artistique qu’en architecture. Ces mécènes à l’indécente opulence ayant jalonné l’Histoire, qu’ils soient restés dans l’ombre ou qu’ils soient montés sur les plus hautes marches du pouvoir, sont les pères de notre patrimoine. Thécia se promit de noter cette pensée dans son article.

Alors que le maître des lieux continuait à palabrer, elle tentait de déterminer si, parmi toutes les pièces de collection exposées, certaines représentaient un intérêt particulier. Indubitablement, Orvil avait une préférence pour l’art contemporain. Aucune des œuvres qu’elle eut l’occasion d’admirer ne laissait deviner un lien potentiel avec le trésor mentionné dans la correspondance. Mais comment pourrait-il en être autrement ? Son hôte était, certes, futile et infatué, mais pas idiot. Qui exposerait dans une maison attirant tous les regards des objets acquis illégalement ? Il arrivait parfois que les descendants ignorent tout de l’origine douteuse de leur héritage, mais Thécia était certaine que l’ensemble des biens présents dans le chalet était connu et répertorié par les services du fisc. S’il cachait quelque chose, ce ne serait pas au milieu de son salon d’apparat ou accroché au mur de l’une de ses innombrables chambres d’amis.

Le tour du propriétaire touchant à sa fin, Orvil la guida jusqu’à une magnifique véranda surplombant la vallée. Sur le versant opposé, on pouvait contempler les célèbres stations des Arcs, de Peisey et de la Plagne, formant le grand domaine skiable du Paradiski. Cumulant quatre cent vingt-cinq kilomètres de pistes avec une altitude maximale de trois mille deux cent cinquante mètres, il garantissait à toute la région notoriété et prospérité. Le Vanoise express, reconnu comme étant le plus grand téléphérique au monde, étincelait, suspendu à son fil, funambule de fer et d’acier. La Savoie comptait de nombreuses stations d’hiver à la renommée internationale. Rien d’étonnant à ce que l’immobilier soit aussi prospère dans les Alpes duNord.

Thécia quitta du regard le panorama qui s’offrait à elle et le plongea avec gourmandise dans la contemplation non moins plaisante de la table chargée de victuailles.

–Que préférez-vous, ma chère ? Plutôt café ou thé ? Connaissez-vous le café indonésien Kopi Luwak ? Le meilleur, le plus rare et le plus cher au monde. Les excréments de la civette asiatique, qui consomme les cerises du caféier, sont récupérés afin de produire ce breuvage aux arômes exceptionnels. Soyez sûre que je veille personnellement à ce que ce café provienne d’animaux d’origine sauvage et non d’élevage.

–Je n’en doutepas…

–Vous préférez peut-être l’Esméralda Geisha du Panama ou bien le Blue Mountain de Jamaïque ? Vous hésitez ? Je comprends. Moi-même, je ne sais que choisir chaque matin.

Si tout le monde pouvait avoir les mêmes préoccupations, ne put s’empêcher de penser Thécia, mais elle ne laissa rien paraître de son amusement. Il ne faudrait pas que son hôte prenne la mouche et se referme comme une huître.

–Vous êtes plutôt thé ? Je vous conseille le Long Jin ou bien le Pi Lo Chun si vous aimez le thé vert chinois ou bien un thé de Ceylan. C’est un classique, mais une valeursûre.

–Un café sera parfait, merci. Le Blue Mountain ?

C’était le seul nom qu’elle avait retenu et elle tenait à éviter le café aux excréments de civette.

–Souhaitez-vous un petit-déjeuner anglo-saxon ou continental ?

Son babillage incessant l’horripilait, mais elle parvenait à conserver son sourire faussement extatique et son regard admirateur.

–Ces viennoiseries me semblent délicieuses. Et si nous entrions dans le vif du sujet ? J’aimerais orienter l’article sur le décalage entre l’ancienneté de la structure d’origine du chalet et la mise en valeur de votre collection d’œuvres d’art résolument contemporaines. Ce parti-pris audacieux apporte une originalité remarquable à l’ensemble. Ce choix s’est-il imposé à vous dès le départ ? Vous n’avez jamais envisagé d’intégrer des éléments de décoration plus traditionnels ?

–Mes parents n’étaient pas aussi aventureux et mes grands-parents avant eux, encore moins. Voyez en moi le vilain petit canard de la famille ou bien plutôt le rebelle, celui qui ne craint pas de casser les codes. J’ai relégué leurs vieilleries aux oubliettes. Place à la modernité ! Il faut savoir faire preuve d’ambition, n’êtes-vous pas d’accord ?

–Tout à fait. Néanmoins, pensez-vous pouvoir me dévoiler quelques-unes de ces antiquités ? Je pourrais ainsi montrer le chemin parcouru depuis leur époque et mettre en exergue l’importance de votre implication dans le projet. Avoir accès à ces objets serait idéal, mais si vous possédez de vieux clichés sur lesquels on peut voir l’ancienne décoration, je saurai m’en contenter.

–La plupart des toiles ont été récupérées par mes parents et d’autres membres de la famille. Pour le reste, je n’ai pas la moindre idée de l’endroit où nous les avons entreposées.

Évidemment ! Ça aurait été trop facile. Tomber sur une collection de toiles de maître dissimulée au fond de la cave… Il ne fallait pas rêver.

–Vous avez mentionné vos grands-parents. Cette propriété est dans votre famille depuis longtemps ?

–Mes ancêtres sont savoyards pure souche sur de nombreuses générations. Le chalet a été acquis autour de la Seconde Guerre mondiale par mes aïeuls, de simples propriétaires terriens à l’époque. Puis ils ont investi dans l’électrométallurgie lors de la révolution de la houille blanche au début du vingtième siècle. Nous avons su nous diversifier par la suite, bien entendu. Mais pour répondre à votre question, oui, les racines de la famille Lenoir sont ici. C’est à cette terre et à son histoire que nous devons notre réussite.

Quel patriotisme… Cocorico ! Mais vos ancêtres étaient-ils des industriels honnêtes et travailleurs ou bien ont-ils profité de la chasse aux sorcières menée contre certaines minorités pour s’enrichir impunément ?

–Merci d’avoir pris le temps de me répondre. Je reviendrai vers vous après les prises de vue si vous êtes toujours d’accord. Elles me donneront de la matière. Nous pourrons aborder plus en détail les différentes inspirations présentes dans chaque pièce.

–Je vous en prie, faites ! Je reste à votre disposition. Vous n’avez qu’un mot à dire s’il vous manque quoi que cesoit.

Thécia retourna jusqu’à la voiture de location se munir de son matériel. Orvil s’était installé dans son bureau afin de se donner une contenance. Il ne tenait pas à passer pour un indolent, vivant grassement des rentes générées par les investissements fructueux effectués par sa famille. Ce n’était pas le manque de compétences qui l’empêchait de s’impliquer dans les affaires familiales, mais la recherche constante du plaisir. Il profitait sans limites de tous les délices qui s’offraient à lui, évitant soigneusement les situations contraignantes. Un hédoniste des temps modernes. Mais s’il assumait pleinement son attrait pour le luxe, il n’en allait pas de même concernant son oisiveté.

Enfin seule, Thécia put se plonger entièrement dans l’exploration de l’immense propriété. Elle commença par le jardin en terrasse, exploitant les prises avec vue sur la vallée et les massifs enneigés. Elle prit le temps de découvrir tous les détails architecturaux de la bâtisse. Se retrouver ainsi à l’extérieur lui permettait d’échapper à la présence étouffante d’Orvil. Elle dut néanmoins se résoudre à poursuivre à l’intérieur. À sa grande surprise, son hôte ne vint pas l’importuner. Peut-être attendait-il patiemment qu’elle prenne quelques photos de la piscine pour faire son apparition dans le plus simple appareil, ne put-elle s’empêcher de penser, moqueuse.

Le chalet, à lui seul, méritait qu’un reportage entier lui soit consacré. Chaque pièce était unique et digne d’intérêt. Thécia allait devoir se montrer très sélective dans le choix des clichés à conserver. Elle avait déjà suffisamment de matière. Cependant, lors de la visite guidée, ils étaient passés rapidement sur la partie nuit. Elle n’avait pas encore eu le temps de découvrir chacune des six suites, une tâche considérable, mais elle ne pouvait se permettre de bâcler une zone aussi importante de la maison. Les photos de linge de lit de qualité et de salles de bains luxueuses rencontraient toujours un vif succès. Les lecteurs avaient l’impression de rentrer dans l’intimité de cette élite qu’ils ne pourraient jamais côtoyer.

Elle débuta par la chambre d’Orvil. Ses volumes étourdissants ne la rendaient pas pour autant froide et impersonnelle. Les pentes de toit et les alcôves créaient des espaces plus intimes, dressing, coin lecture et home cinéma escamotable. Sa salle de bain avec jacuzzi et douche à hydrothérapie appelait à la détente. Décidément, il ne se refusait aucun luxe. Il avait mentionné une salle de massage à côté de la piscine et du spa. Cet homme était l’incarnation même de Ploutos, dieu de l’abondance. Sa vie n’était qu’une succession de plaisirs. Mais elle ne put s’empêcher de penser que tous ses artifices devaient peu à peu perdre de leurs saveurs. « La rareté du fait donne du prix à la chose.* » Jusqu’où pouvait l’emmener son penchant pour le raffinement et l’opulence ? Certains étaient capables de transcender cette pulsion de possession en une quête plus profonde, mais était-ce le cas pour Orvil ?

Elle quitta ce fastueux boudoir, décidant de passer rapidement en revue les autres chambres, par acquit de conscience. De toute évidence, le maître des lieux occupait la plus cossue. Toutes étaient dignes de figurer dans le reportage, mais comme elle pouvait s’y attendre, aucune n’égalait celle d’Orvil. Elle s’apprêtait à rejoindre ce dernier lorsque son attention fut attirée par une porte anodine au fond de la dernière chambre. Elle ne donnait visiblement accès ni à la salle d’eau ni au dressing puisqu’elle les avait déjà visités. Thécia, intriguée, traversa rapidement la pièce et posa sa main sur la poignée. Fermée à double tour. C’était la seule porte close qu’elle avait trouvée dans tout le chalet.

Un raclement de gorge se fit entendre.

–Un simple débarras. Rien qui mérite votre attention, ma chère. Vous savez ce que c’est. Chaque maison a besoin de ces pièces fourre-tout.

–Je vois. Je ne voulais pas me montrer indiscrète. C’est que le moindre recoin de votre demeure est digne d’intérêt. Vous avez apporté tellement d’attention au moindre détail, je ne voulais pas en perdre une miette.

–C’est très flatteur. Je suis ravi que mon humble logis ait trouvé grâce à vos yeux. Voulez-vous que nous nous installions dans mon bureau pour faire le point sur les clichés que vous avez pris ?

Il venait de lui signifiait avec politesse, mais sans ambiguïté que la visite touchait à safin.

Thécia fit bonne figure malgré sa frustration. Cette porte avait piqué sa curiosité à vif. S’était-elle méprise sur lui ? Il tenait peut-être plus de Barbe bleue que du pacifique Ploutos ? Sa bonhomie était-elle feinte ? Que cachait-il ainsi ?

Ils s’installèrent dans le bureau. Orvil avait retrouvé son affabilité. En apparence. Son sourire légèrement crispé laissait deviner la gêne qu’avait occasionnée l’épisode de la porte. Thécia savait qu’elle n’obtiendrait rien de plus. Ils s’accordèrent sur la sélection des photos. Elle lui posa quelques questions supplémentaires et prit rapidement congé.

Elle pourrait toujours le recontacter et demander à revenir prendre de nouveaux clichés avec une luminosité différente. Mais il était peu probable d’Orvil relâche son attention et la laisse accéder à cette mystérieuse pièce lors de sa seconde visite. Elle ne savait même pas ce qu’elle renfermait. Peut-être est-ce réellement un placard à balais. Elle appellerait Zalmée en rentrant. Cette piste était la seule à exploiter dans l’immédiat. Et c’était mince. Pas suffisant pour déclencher l’ouverture d’une enquête. On la prendrait, à juste titre, pour une parano et elle perdrait toute crédibilité. Décidément, elle faisait une piètre détective.

* Pétrone, Le Satiricon

CHAPITRE 5

Alpes du Nord, Haute Tarentaise, Peisey Vallandry, 05/03/2019

De retour dans sa chambre, elle trouva un mot posé contre la porte. Enélius et Ancélia lui proposaient de les accompagner à l’inauguration d’une résidence haut de gamme le soir même. Elle avait demandé à ses hôtes de la conseiller sur les chalets qui mériteraient son attention. Une résidence hôtelière de luxe ne répondait pas vraiment aux critères recherchés, mais c’était une occasion parfaite pour rencontrer les habitants de la station. Elle descendit au salon, espérant y trouver l’un des membres de la famille afin de les remercier et de confirmer sa venue.

–Ancélia, je vous cherchais. Merci infiniment pour l’invitation de ce soir. Je vous accompagnerai avec grand plaisir.

–Je me doutais bien que vous seriez intéressée. Lizius Lecomte est le promoteur immobilier à l’origine de ce projet. Certains n’apprécient pas que l’on continue à construire et voudraient préserver un peu plus l’authenticité du village, mais qu’on adhère ou non, cette nouvelle résidence devrait nous amener une clientèle aisée et dynamiser la commune. La famille Lecomte habite ici depuis toujours. Leur demeure est splendide. C’est une belle occasion pour vous de faire leur connaissance.

–Les stations de sport d’hiver pullulent d’investisseurs étrangers. Que des enfants du pays gardent la main sur l’exploitation de leur territoire est une bonne chose.

–Oui, certainement. Mais je ne suis pas sûre que tout le monde voie leurs affaires florissantes d’un aussi bon œil. La famille Lecomte a toujours su tirer son épingle du jeu, croyez-moi. Nous vous les présenterons ce soir. Rendez-vous à la réception à dix-sept heures. Nous avons le repas du soir à servir ensuite. Enélius et moi ne nous attarderonspas.

–Parfait. À tout à l’heure.

Thécia avait encore un peu de temps avant de se préparer. Elle voulait commencer à trier les clichés pris chez Orvil Lenoir. Les artistes et concepteurs, que ce dernier avait exposés au travers de son vaste chalet, étaient nombreux, certains déjà célèbres, d’autres moins. Tout bon mécène qui se respecte cherche à se montrer avant-gardiste et à dénicher des étoiles montantes. Si des pistes s’avéraient prometteuses, elle pourrait interviewer ces jeunes créateurs dans un prochain article. Même si elle ne découvrait jamais l’identité des auteurs des lettres en sa possession, elle n’avait pas perdu son temps en rencontrant Orvil.

Quand elle releva le nez de son écran, deux heures s’étaient écoulées. Il était temps de se préparer.

Trente minutes plus tard, elle sortit à contrecœur du bain moussant dans lequel elle se délassait et enfila une robe en laine d’apparence très sage, mais mettant discrètement ses formes en valeur. Elle laissa ses cheveux tomber librement sur ses épaules et appliqua un maquillage discret. Satisfaite de l’image que lui renvoyait le miroir, elle chaussa des bottes fourrées. Elles étaient suffisamment chics pour l’occasion tout en restant adaptées à la rudesse du climat. Il ne manquerait plus qu’elle dérape et rejoigne Zalmée sur son canapé avec une jambe cassée.

Enélius et Ancélia l’attendaient à la réception.