La teigne et les cheveux - Damien E. Zomahoun - E-Book

La teigne et les cheveux E-Book

Damien E. Zomahoun

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Beschreibung

Guidé par une obstination à nier l’égalité des sexes, l’homme s’enferme dans un égoïsme destructeur qui l’enfonce dans un désir permanent d’asservissement de la femme. Découvrez "La teigne et les cheveux", une œuvre poignante qui dévoile les réalités brutales auxquelles de nombreuses femmes africaines sont inévitablement confrontées dans leur quotidien.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Sur la base de ses propres expériences, Damien E. Zomahoun explore les obstacles entravant l’épanouissement complet de l’humain. À travers "La teigne et les cheveux", il examine de manière critique les souffrances éprouvées par les femmes, exposant ainsi les atrocités qu’elles endurent.

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Damien E. Zomahoun

La teigne et les cheveux

Roman

© Lys Bleu Éditions – Damien E. Zomahoun

ISBN : 979-10-422-0562-1

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Chapitre I

Du zénith, le soleil lynchait impitoyablement le village. Un ciel brillant et brûlant, un ciel de plomb, une fournaise remuée par l’astre solaire s’écroulait en ruines pressées pendant que les nuages dormaient dans de sourds murmures. Un faisceau de rayons rutilants s’infiltrait par la déchirure des minces couches de nuées avant de consumer le village. Rien ne caracolait sous ce ciel balayé et tranchant sans le moindre risque. Les villageois doutaient presque d’en être jamais délivrés avant la tombée de la nuit parce que la pâle clarté formée au-dessus de leur tête disparut quelques minutes plus tard, laissant le mystérieux astre dicter sa loi. Les visages se recroquevillaient. Les paysans naturellement défavorisés par ce climat rude exprimaient leur morosité jusqu’au moment où l’astre aborda sa dernière pente après avoir déambulé au plus haut niveau dans le ciel. Le long des sentiers, on voyait des arbres presque dépourvus de feuilles, et les arbrisseaux qui n’avaient pas pu échapper à l’acharnement du soleil se rapetissaient. Les nids d’oiseaux ensevelis dans les branches se repéraient. Il était quatre heures et le calvaire des villageois semblait s’apaiser. Perdue dans le ciel, comme un point invisible en un mouvant désert de nuages, une aventurière d’apparence fluette passait, errant dans l’étendue sans côtoyer son frère qui achevait plaisamment son parcours.

Comme un jardin offert à un château ou encore un collier octroyé à une femme, le soir serein et beau se précisait avec des nuages désenchaînés et mouvants même si, à travers leurs ombres, brille encore le soleil désarmé aux rayons affaiblis, échouant misérablement sur les sombres gazons. Les murmures et ronronnements peu à peu disparurent lorsqu’ils s’aperçurent que l’ennemi cessait de leur saper le moral.

Le jour baissait doucement et le ciel, à l’ouest, dressait déjà le lit du soleil épuisé, laissant derrière lui, le village étouffé par la poussière provoquée par le retour des animaux. L’heure d’assumer les devoirs de la soirée sonna. Après avoir saisi, chacune, une calebasse noircie par les ans, les jeunes filles prirent le sentier de la fontaine où elles s’accroupirent tour à tour, attendant une eau rare, et leur calebasse à la main, elles s’entretenaient du jour. La lune, comme l’étincellement d’une chrysolithe, s’affichait progressivement dans un ciel sombre. Une gloire de plus luit sur le village. Des enfants presque nus, maigres et ventripotents s’attroupèrent devant la paillote des rencontres pour le fameux jeu de cache-cache. Ces gamins maigres se constituèrent en deux groupes égaux, dirigés chacun par les plus âgés. Après une demi-heure de distraction, ils rebroussèrent chemin.

La nuit s’abattit sur le village. Les repas furent servis et mangés. Devant les huttes envahies par la chaleur malgré la fraîcheur de la nuit éclairée par une lune éblouissante et pleine, on apercevait les enfants en train de se gratter le ventre avec l’auriculaire, attentifs à l’appel du chef de famille pour un nouveau conte. Au signal, ils se rassemblèrent et s’assirent en cercle sur des nattes, les pieds joints, autour du narrateur et le fixèrent de leurs gros yeux alourdis par la panse mal remplie. Le vent se mit à caresser les crânes rasés. Les lèvres du narrateur s’entrouvraient et actualisaient le passé révolu. Intéressés, tous suivaient d’un regard passionné les gestes du chef de famille dont les bras frétillants accompagnaient la narration. Les minutes s’égrenaient. Ils commencèrent à bâiller. Ils s’étiraient. En avant comme en arrière, ils jetaient leur tête. Enfin, soûlés par le sommeil, les plus petits s’allongèrent doucement les uns après les autres. S’en étant aperçu, le narrateur les renvoya, chacun dans sa cahute.

Ils étaient obligés de pénétrer dans les chaudières très peu aérées qu’ils lorgnaient comme un adversaire sur un champ de bataille. Sur les paillasses, ils cherchaient le sommeil en vain, car les corps non lavés ou mal lavés ruisselaient de sueur. Des étirements se succédèrent. Des bruissements s’enchaînèrent presque en sourdine. Tout ceci, naturellement accompagné par le merveilleux orchestre des moustiques où toutes les partitions se distinguaient.

Dans la case située devant le grand iroko, il se passait quelque chose de bien étrange. Une femme déchirait la natte de raphia avec des mouvements mal définis par Raoul et Gérard. Ces gestes ne durèrent pas longtemps quand soudain un cri s’éleva ; celui de Kami. Ils comprirent aussitôt que cette gesticulation impétueuse qui se renouvelait traduisait inexorablement une acarophobie. Raoul se précipita avec une rapidité déconcertante vers sa femme qui venait d’accoucher d’un garçon. La femme fut emmenée par un moyen de fortune à la maternité.

Elle fut accablée par les menaces qu’exerçait cet engin à deux roues, au point qu’elle s’en évanouit. Les admonestations d’une saison capricieuse qui parlait tout bas et du pousse-pousse qui chantait au rythme des pneus dégonflés se joignaient aux douleurs persistantes de la femme qui, tout d’un coup, se sentit privée de toute force. Tout semblait s’éteindre en elle en un temps record. Tout son être peu à peu s’enfouissait dans un monde bien étrange. Kami se défendait toujours.

Après le geste, la sage-femme s’aperçut qu’il en restait encore. Aussitôt, le désespoir s’installa. Kami saignait abondamment après la sortie d’un pied du second enfant dans ce centre délabré, entouré de hautes herbes où les serpents forçaient les malades à honorer précocement l’invitation au pays des allongés.

La case construite en terre battue et ses pailles quelquefois réduites en paillettes et dispersées dans la cour sous l’effet des intempéries étaient incapables de résister à la moindre goutte d’eau. Par son embrasure étriquée où était suspendu un rideau en chaume, les jeunes filles, usées par l’ambition précoce de devenir mère, guignaient afin d’avoir une idée sur cet effarant mystère qui les attendait. Mais ces pimbêches essayaient de rattraper leur ventre à l’apparition de la chicote d’Anne. Dans cette cabane noirâtre, causée par la fumée de la lampe à huile, se trouvaient deux nattes de raphia qui avaient fini par adopter la couleur noire et sous l’image de celle qui a porté Celui qui porte tout, était suspendue une épitaphe avec l’inscription « Notre Mère de la maternité, priez pour nous ».

Un missionnaire en tournée de prospection fut surpris par la nuit. Il demanda à son chauffeur de se garer. Bien leur en prit de s’arrêter, car le serviteur de Dieu se rendit compte que Dieu voulait qu’il soit là pour sauver des âmes. Ils défirent les nattes pour achever la nuit dans ce village quand la sage-femme accompagnée de Raoul alla les solliciter. C’est ainsi que monseigneur Steinmetz, pris de pitié, leur accorda cette faveur. Il demanda à son chauffeur de les emmener.

Ils quittèrent le village à deux heures du matin. Ils espéraient bien arriver à Dassa avant un quart d’heure, car ils n’avaient que quinze kilomètres à parcourir. Hélas ! Ils n’avaient pas compté avec les sentiers caillouteux. Ceux-ci se multipliaient, provoquant d’interminables secouements. Le nouveau-né aussi était embarqué dans la fourgonnette dont le bruit assourdissant de la carrosserie s’ajoutait aux déflagrations du moteur marqué par les ans. Pour comble de malchance, le chauffeur s’aperçut alors que ses phares refusaient tout service, seul un code éclairait parcimonieusement la piste. Le temps passa, ponctué par les chutes brutales dans les trous de blaireaux cachés dans les hautes herbes. Quelques mètres plus loin, le chauffeur comprit qu’il n’arrivait plus à maîtriser la voiture. Il s’arrêta soudain et descendit pour voir ce qui pourrait en être la cause. À sa grande surprise, il constata qu’un pneu arrière était crevé. Il appela Raoul à l’aide. Celui-ci alla couper un gros bois qui leur permit de maintenir la voiture en équilibre. Le chauffeur desserra le pneu. Il s’appliquait à placer le pneu de secours quand soudain une pluie battante déferla sur eux avec un vent violent qui arrachait les arbres. Les oiseaux qui juchaient sur les arbres en étaient effrayés et se dispersèrent dans la nature. Les animaux se sauvaient dans tous les sens comme s’ils flairaient la présence d’un prédateur. Le tonnerre grondait. Dans le ciel, des traînées d’éclairs déchirèrent les nuages noirs comme le charbon. Le vent soufflait de plus en plus fort. Le chauffeur s’aperçut que leur vie était en danger. Il demanda à Raoul de vite monter dans la voiture. Les deux montèrent à peine lorsqu’un vent puissant déracina le baobab qui était au bord du sentier où ils se trouvaient. Malgré la mésaventure, aussi angoissante soit-elle, une lueur de chance accompagnait les voyageurs, car le grand arbre n’était pas tombé du côté de la voiture. Dans sa chute, il entraîna avec lui trois autres arbres, provoquant ainsi un grand tremblement de terre. La pluie tombait plus que jamais. C’était comme si le ciel déshabillait la terre d’un regard fulminant. Avait-elle un compte à lui rendre ? Quelques minutes plus tard, les passagers constatèrent que la voiture bougeait. Le conducteur ouvrit la porte. Il donna ensuite un coup de botte au pneu et s’écria : « Merde, la voiture s’enfonce. On s’est garé sur un sol argileux. »

— Que faire maintenant ? demanda Raoul.
— Il faut vite partir d’ici.

Raoul le rejoignit. Les deux hommes comprirent aussitôt que le pire n’était pas loin. Ils se dépêchèrent et après avoir placé le pneu de secours, ils coupèrent des branches d’arbre qu’ils étalèrent sous les quatre pneus. Le chauffeur monta dans la voiture et la démarra.

— Au signal, pousse-la de toutes tes forces.
— D’accord, répondit Raoul.

Il passa la première vitesse et un bruit se fit entendre. Le bruit était si sec que Raoul avait l’impression que la boîte à vitesse s’extirpait du moteur. Mais le chauffeur, connaissant bien sa fourgonnette, cria d’une voix forte : « Pousse fort ! » Raoul poussa la voiture de toutes ses forces. Celle-ci se leva et retomba dans les mêmes trous.

— Essayons maintenant avec la reverse, proposa Raoul.
— OK.

Le chauffeur toucha le levier de vitesse, le caressa, et comme s’il s’adressait à quelqu’un, lui dit : « Je te l’ordonne, lève-toi et marche ! ». Il passa la vitesse et fit à nouveau signe à Raoul. Celui-ci s’appuya contre le capot avec une grande détermination. Très concentré, il avait le corps tendu, les muscles contractés et le regard fixe. Il poussa la voiture et celle-ci bondit.

— Monte vite !

Raoul sauta dans la voiture, et le voyage se poursuit de plus belle. Ce fut un grand soulagement. On voyait le sourire dévorer leur visage taché de boue. Mais la joie ne dura pas longtemps. Pour comble de malchance, le chauffeur s’aperçut alors que ses phares refusaient tout service, seul un code éclairait parcimonieusement la piste. Le temps passa, ponctué par les chutes brutales dans les trous causés par le débordement des eaux. Arrivés à Gomé, il sonnait trois heures. La piste se réduisait à un sentier tracé par des gens qui se rendaient d’un village à un autre, coupé par mille autres sentiers partant vers les champs de manioc ou vers les marigots. Les voyageurs s’arrêtèrent pour se renseigner. Pas une seule lumière, pas un seul bruit. Le chauffeur joua du klaxon et voici qu’apparurent des silhouettes. Celles-ci, peu habituées à voir leur piste fréquentée par des voitures, furent intriguées et même effrayées par cette visite nocturne. Les visages se firent plus accueillants et ce fut une troupe qui s’empressa pour les mettre sur la piste en leur donnant quelques points de repère avec les villages qu’ils devaient traverser et leur distance approximative par rapport à Gomé.

Kami gémissait toujours, la tête penchée sur la poitrine de Raoul qui était calme et serein dans la voiture. Elle était comme dans une tour, si profonde du côté de la terre et si haute du côté du ciel, que sa vie semblait devoir consumer à monter et à descendre. Elle était moulée et pétrifiée, si monstrueusement éprise, si furieusement anéantie et si stupidement essorée par le découragement. Un silence de mort régnait dans la fourgonnette. Le chauffeur qui ne connaissait pas le chemin, et qui venait de perdre ses phares, avait toute son attention focalisée sur la route. Le seul mot qui échappait de ses lèvres toutes les fois que la voiture tombait brutalement dans un trou caché sous les hautes herbes était : « pardon ». Derrière la voiture, il semblait qu’une force repoussait les deux esprits, mais le visage de la femme s’illumina lorsque, pour la première fois depuis le début du voyage, l’homme lui adressa une parole, et cette parole fut accompagnée d’un geste audacieux auquel elle ne s’attendait point. « Encore un peu de courage et ça va passer, ma chérie », murmura-t-il en la serrant contre lui. Quelle joie pour Kami d’avoir entendu cette parole, car elle croyait reposer sa tête sur un glacier ! C’était le prélude de sa guérison parce que déjà ses forces s’étaient épuisées, et elle se sentait comme rattrapée par les ondes furieuses de la mort. L’épreuve à laquelle elle était soumise semblait venir à son terme. Ces escaliers sans nombre qu’elle se fatiguait à descendre ou à gravir, et qui n’étaient rien d’autre que des illusions qui embarrassaient sa pensée disparurent. Quel remède ! Il a fallu une parole pour redonner vie à celle qui s’en allait au milieu des amertumes saumâtres.

La vieille voiture repartit. Mais la piste devenait de plus en plus incertaine. De petites collines étaient plus fréquentes dans ce qu’ils sauront, plus tard, s’appeler le lit de Dassa. Le voyage devint très dur. De guerre lasse, il faisait jouer de nouveau le klaxon et, une fois de plus, la chance leur sourit : une silhouette s’avança, faisant de grands gestes, pour leur signifier que la piste était plus au nord. Guidés par cet homme, ils se rendirent à Dassa.

On introduisit Kami dans la salle d’urgence où le personnel de garde, averti par le bruit de la fourgonnette, s’était rassemblé. Les va-et-vient du nombre restreint d’agents essorés et épinglés par une journée ardue contrastaient avec l’étrange nonchalance du personnel de garde. Le sommeil planait sur eux comme un démon qu’on ne peut exorciser par une simple prière. Leurs gros yeux lourds et rouges brinquebalaient sous d’épaisses paupières tombées à demi. Kami soupira profondément et s’immobilisa. Mais le cœur qui gesticulait, affalement dans le grabat, rassurait les amis dans ce combat décisif contre l’ennemi juré des hommes : tout le monde veut aller au paradis, mais personne ne veut mourir.

Une bourrasque se mit à parcourir rapidement la cime des grands acacias. Un infirmier se précipita désespérément hors du bloc et se mit à flageoler. Le bruit du silence le poursuivit au-dehors de sa poursuite et son être exprima sa faiblesse face à ce débordement. Alors, de la véranda derrière la porte, Raoul sombra dans le désarroi après avoir porté son regard sur l’infirmier.

— Que s’est-il passé ? demanda-t-il.

— Hum ! Rien de grave. Votre femme et vos deux bébés se portent à merveille. Mais ça n’a pas été de la tarte.

Raoul se leva et s’étira comme s’il venait de travailler tout le jour dans le champ de manioc.

— Nous venons d’assister à un miracle, continua le chirurgien. Le pied du bébé qui était dehors disparut aussitôt. L’enfant tourna et sortit la tête. C’est du jamais vu. J’ai eu peur, c’est pourquoi j’ai détalé, laissant les autres dans le bloc.

Il parlait ainsi, mais, dans le fond de son cœur, il était aussi préoccupé du sort de ses collègues et surtout de son chef ; cet homme qui avait pris la liberté, dès son arrivée de la Corée, de lui expliquer les réalités auxquelles il serait confronté et lui avait appris les lois de l’équilibre, en l’incitant à plus de courage.

Chapitre II

Cependant, le jour avançait. Le soleil, comme la flèche, montait dans le ciel clair et profond, comme s’il dédaignait les plaisirs de la terre. L’esprit de l’infirmier travaillait plus que jamais. La peur le précipita à la porte. Il sentait la mort prête et flairait dans le bloc la présence d’un esprit obituaire. Tout son corps tremblotait et sa voix rayée par la peur grinçait des sons à peine audibles. Ce stress prémonitoire l’avait bouleversé.

Raoul se leva comme il en avait l’habitude et après avoir contourné la petite colline qui lui servait de rempart, il s’en alla subrepticement. Comme le poltron n’apercevait pas toujours le nez de ses collègues, il s’introduisit enfin dans ce bloc qu’il esquivait. Pour lui, Kami était une sorcière, car les insondables réalités africaines le faisaient trépider au point que tout ce qui lui paraissait manifeste était baptisé sorcellerie. Il s’approcha pour remarquer l’état comateux de la femme qui s’enlisait dans un tournant où le désespoir et la consternation se donnent rendez-vous.

Les jours passaient sans amélioration, mais le courage et l’endurance du personnel rétablissaient l’espoir. Le troisième jour, Kami revint enfin du long voyage après qu’elle eut échappé à la fureur des ondes de la mort. Une infirmière au visage joyeux la serra contre elle. Kami afficha un large sourire. Elle lui serra ensuite la main avant de se mettre à l’étudier du regard. L’infirmière lui dit : « C’est moi qui m’occupe de vous. »

— Merci, dit-elle doucement.

Ce fut une grande joie dans l’hôpital. Les agents se disaient les uns aux autres : « Créés à l’image de Dieu par Dieu, nous sommes capables de redonner la vie par Dieu comme Dieu. »

Six jours plus tard, les évidences rassurantes se rejoignirent et Kami reçut l’autorisation de rentrer. Ce matin, elle se présenta dans le bureau du médecin qui lui tendit un petit carnet. Après avoir goûté ensemble à un long moment de silence, il demanda à la fille de salle de lui servir de traductrice. La misérable se mit à le supplier.

— Madame, c’est vous qui allez rembourser cette somme ? demanda-t-il.

— Oui, reprit-elle d’une voix suppliante. Au retour, je me renseignerai auprès des grands fermiers et s’ils ont des champs à labourer ou à sarcler, je le ferai et dans trois semaines, je reviendrai rembourser ma dette. Présentement, je n’ai que mille francs. Disant cela, Kami dénoua le bout de son pagne et sortit un billet noir et froissé, et après avoir tendu un bras décharné, elle dit : « Prenez d’abord ceci ! »

Le médecin, après avoir fixé ses yeux lourds et larmoyants, ses bras efflanqués et implorants, regarda la croix glorieuse suspendue au mur où l’ombrage est opaque. Il secoua la tête, balaya une seconde fois de son champ visuel la jeune femme aphasique. Le vent matinal qui courait souleva le rideau de la chambre, et du paysage ensoleillé naissaient mille chants d’oiseaux.

— C’est vraiment pitoyable, reprit le médecin. Et votre mari ?

Un silence s’installa. Kami baissa la tête sur la table et fondit en larmes puisqu’elle n’entrevoyait pas ce qui pouvait la délivrer de cette spirale de malheur qui l’écrasait. Dépassé, l’homme la releva et lui dit : « Ne pleurez pas, madame. Je comprends tout. Je vous autorise à rentrer chez vous. Et que Dieu vous protège ! »

— Merci et infiniment merci. Vous avez ma parole. Je reviendrai.

— Non, Madame, ne vous dérangez pas. Je vous en fais grâce.

Elle le remercia avant de prendre la route du village. Qui l’eût vue s’éloigner eût entendu la miteuse plainte d’une âme damnée et rabougrie qui attend impatiemment une consolation rare dans un monde guidé par l’intérêt où, dans nos misères, ceux qui veulent bien nous servir s’accrochent au dessein formé de nous fuir et nous laissent en proie à la solitude. Mais dans nos disgrâces, ils sont impatients de faire connaître l’envie qu’ils en ont et leur générosité épargne à un honnête homme la peine secrète qu’on sent toujours expliquer ses besoins. Elle s’avançait exsangue. Elle s’assit d’un côté du chemin après quelques mètres, récupéra et en faisant « hum », elle se mit à nouveau en route. À un moment de son périple, quand elle comprit qu’elle n’en pouvait plus, elle bifurqua, cueillit des mangues non mûres et après les avoir grignotées, elle continua son calvaire. Sous un acajou, elle fit une halte, allaita ses enfants qui pleuraient et se releva d’un coup, car il était tard. Mais l’enfant qu’elle portait sur son dos pleurnichait toujours. Ne pouvant deviner ce qui engendrerait un malaise intempestif, la jeune maman le reprit dans ses bras. Elle l’allaita, l’enfant se tut aussitôt et expira. Elle le secoua…