La Terre secrète - Franck Guimonneau - E-Book

La Terre secrète E-Book

Franck Guimonneau

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Beschreibung

Quel est ce secret que l’on nous cache depuis des millénaires ?
La découverte de l’Amérique plongera le monde dans une ère nouvelle.
Quelles sont les réelles raisons qui ont poussé Christophe Colomb à déployer une telle énergie pour obtenir les moyens de lancer son expédition ?
Que lui ont révélé les notes mystérieuses de son beau-père Bartolomeu Perestrelo ?
Ce n’est qu’une partie des énigmes que devra résoudre Benoît Kluskap, jeune homme naïf et peu confiant.
Lorsque son grand-père lui dévoile qu’il est l’héritier de l’Ordre prestigieux des chevaliers du Temple, son existence bascule et des forces maléfiques se lancent à leurs trousses.


À PROPOS DES AUTEURS

Ancien gendarme, Franck Guimonneau partage à la fois son goût des enquêtes et sa passion pour les mystères historiques et archéologiques, qui l'ont naturellement poussé à révéler certaines découvertes inexpliquées. Actuellement à la tête d'une agence d'acteurs, lui-même passant parfois devant la caméra, il a compris l'importance de créer des histoires riches en émotions et en rebondissements. Il imagine ses écrits comme des scènes de films, qu'il espère voir un jour sur écran géant.

Issu du monde de la publicité, Hugo Wasersztrum a pu se rendre dans de nombreux pays qui ont forgé sa culture et son ouverture d'esprit. Ayant dévoré de nombreux romans, il a acquis une certaine aisance littéraire : il excelle dans l'art d'établir des profils psychologiques de personnages hauts en couleurs, en combinant ces mots d'ordre : philosophie, valeurs morales, souci du détail et humour.

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Franck Guimonneau& Hugo Wasersztrum

La Terre secrète

- I-Une rentrée mouvementée

Alors que la nuit se profilait, Benoît écoutait de la musique dans sa chambre. Stressé par la rentrée des classes qu’il allait devoir subir le lendemain, et par son arrivée dans le pensionnat de Minneapolis, il pensait que ça le détendrait. Pénétrer dans cet univers inconnu et devoir en intégrer les normes sociales l’angoissaitdéjà.

Michelle, sa mère, frappa à saporte

–Benoît Kluskap ! As-tu fini de préparer ta valise ?

Son casque audio l’empêchant d’entendre, il ne réagit pas. Michelle ouvrit alors la porte, et le surprit allongé dans sonlit.

–Enlève ces écouteurs, tu vas devenir sourd enfin !

–Mais quoi ! Qu’est-ce qui se passe ?

–Demain c’est le grand jour, tu as rangé tes affaires ?

–Oui, tout yest.

–Je vais vérifier quandmême.

Il leva les yeux au ciel, exaspéré.

–Tu as oublié ta brosse à dents. Tu vois, si je ne suis pas là, tu es perdu ! Comment survivras-tu seul sans ta maman ?

Il soupira. ‘’Tu me gonfles’’, aurait-il voulu lui répondre. Mais malgré ses vingt-et-un ans, en lui sommeillait toujours son âme de petit garçon, si bien qu’il ne pouvait imaginer commettre un tel acte.

Et pendant ce temps, Michelle continuait :

–Ho, mais tu n’as pas pris assez de chaussettes ! Et la machine à laver, tu sauras t’en servir là-bas ? Peut-être que ce ne sera pas le même modèle que celui que nous avons ici... Tu le sais,ça ?

–Ouiii, ouiii, ça ira ! répondit-il en cachant difficilement son agacement.

En réalité, il était littéralement terrifié par ce départ, mais ne voulait rien laisser paraître.

–Très bien, mets ton réveil et ne te couche pas trop tard, tu ne dois pas rater tonbus !

–Bonne nuit maman.

Il remit son casque après qu’elle eut fermé la porte, puis il s’endormit presque aussitôt.

–BENOIT ! Dépêche-toi !

Ce hurlement le poussa à se redresser d’un coup, la bouche pâteuse et les paupières lourdes.

–Tu ne t’es pas levé ! Tu n’as pas réglé ton alarme ! Mais QUAND vas-tu enfin devenir un homme responsable ?

Il observa l’heure tardive, et comprit immédiatement la gravité de la situation. En effet, s’il s’était réveillé plus tôt, il aurait pu prendre le bus qui l’aurait emmené directement de Kensington à Minneapolis. Il était malheureusement trop tard pour cela, par conséquent l’option suivante fut choisie : sa mère pouvait le déposer dans la ville la plus proche, Alexandria, et à partir de là, il pourrait prendre un autre bus qui le mènerait finalement à Minneapolis.

Néanmoins, cela obligeait Michelle à arriver elle-même en retard à son travail, mais son fils ne lui laissait guère de choix.

Tout en ramassant ses affaires en catastrophe, notre retardataire pestait intérieurement contre cette lubie familiale de vivre dans la petite bourgade de Kensington. Certes, c’était moins onéreux que de résider directement dans Alexandria ou à sa périphérie, mais dans ces moments d’urgence, accéder à temps à l’arrêt de bus relevait de l’exploit.

Après l’avoir sermonné durant tout le trajet sur la nécessité d’être plus consciencieux, Michelle déposa le jeune homme dans le centre-ville d’Alexandria.

Benoît courut ensuite prendre le bus qui devait le mener à Minneapolis. Un point de côté le faisait souffrir, la sueur lui piquait les yeux, et son cœur tambourinait dans sa poitrine. Pourquoi était-il ainsi ? Pourquoi fallait-il qu’il soit si étourdi, surtout la veille d’un jour aussi important ?

Comme il tirait sa valise en courant, et comme les tracas frappent toujours impitoyablement les voyageurs pressés, une des roulettes se prit dans une grille d’égout. Il voulut utiliser la force pour la décoincer, remède que privilégient les gens impatients, mais hélas la roulette se cassa.

Quand Benoît arriva à l’arrêt, le bus était déjà parti depuis cinq minutes. Il était frustré. Frustré d’être en nage et essoufflé pour rien. Frustré d’avoir endommagé sa valise. Et, surtout, frustré de devoir attendre deux heures pour prendre le prochain bus, et d’être très en retard le jour de la rentrée.

Il reçut un message sur son téléphone portable ; c’était sa mère : ‘’Es-tu dans le bus ?’’. Il répondit que oui, dans le but de ne pas créer de problèmes supplémentaires, mais en réalité, il s’en voulait d’être si négligent. Il eut alors l’idée de prendre un taxi, en utilisant son argent de poche.

Il fit un signe dès qu’il en vit un passer, et le chauffeur, une fois arrivé à son niveau, baissa la vitre :

–Excusez-moi monsieur, c’est combien pour aller à Minneapolis ?

–Deux-cent-quatre-vingt-dix dollars, mon p’titgars.

–Quoi ? Mais... Mais j’ai que trois cent cinquante dollars pour la semaine.

–Et en quoi est-ce mon problème ? Soit tu paies, soit tu marches, soit tu attends lebus !

Le taxi prit alors la route de Minneapolis, mais durant tout le trajet, le conducteur remarqua que l’anxiété de son passager devenait de plus en plus visible.

–T’inquiète pas mon bonhomme, moi le permis de conduire je l’ai raté sept fois. SEPT fois, tu imagines ? La preuve qu’on peut tous y arriver !

Plutôt que de le réconforter, cette information effraya davantage son client, qui attacha immédiatement sa ceinture, et s’accrocha à sa portière comme pour se rassurer.

Quand Benoît arriva dans la cour du pensionnat, celle-ci était vide. Tous les étudiants semblaient déjà être en classe, songea-t-il en se dirigeant vers l’accueil :

–Excusez-moi, je suis Ben Kluskap, je cherche ma salle de cours.

La secrétaire était une petite dame aux cheveux tirés en arrière, et dont les yeux fins se cachaient derrière d’épaisses lunettes. Le fait qu’elle ait froncé les sourcils avant même que le jeune homme n’ait terminé sa phrase ne présageait rien de bon.

–Remplissez ce formulaire, lui dit-elle de façon autoritaire en lui tendant une feuille de papier.

–Mais écoutez, je suis déjà très en retard.

–Et en quoi est-ce mon problème ? répliqua-t-elle sèchement. Soit vous remplissez le formulaire, soit vous rentrez chez vous séance tenante !

Le nouvel arrivant lut et s’exécuta en vitesse, mais il fut dans l’incapacité de présenter sa carte d’identité, comme l’exigea ensuite la secrétaire : ayant rassemblé ses affaires de manière décousue et précipitée quelques heures plus tôt, il l’avait oubliée chezlui.

–Vous tenez vraiment à vérifier mon identité, Madame ?

–Oui, biensûr.

–Mais pourquoi ?

Face à cette attitude, que l’employée interpréta comme étant immature, son caractère pugnace s’exacerba :

–J’aimerais savoir si vous avez l’âge minimum requis pour consommer de l’alcool, pour qu’on organise des soirées arrosées ?

–Mais... je....

–Mais non, gros bêta ! L’administration, ça vous dit quelque chose ? J’en ai besoin pour constituer votre dossier, voyons !

Face à une situation aussi inattendue que celle-ci, il perdit encore plus ses moyens.

–Heu... je l’ai pas... je l’ai oubliée ce matin, en partant de chezmoi.

–Dans ce cas, j’ignore qui vousêtes.

–Je vous l’ai dit ! Je me nomme Ben Kluskap !

–Oui, et moi je suis la reine d’Angleterre. Écoutez, si vous n’avez pas vos papiers sur vous, partez, sans quoi je me verrai dans l’obligation d’appeler la sécurité.

Elle se désintéressa de lui aussitôt, replongeant dans ses dossiers. Ne pouvant consentir à s’avouer vaincu, il pencha furtivement sa tête au-dessus du comptoir et aperçut son nom sur un cahier, inscrit dans une liste d’étudiants portant la mention ‘’Class 5 – Block C’’. Il fit alors mine de s’éloigner du guichet, tout en attendant que la dame détourne le regard.

Quand cela fut le cas, il en profita pour rejoindre discrètement sa classe, après avoir erré dans les couloirs pendant quelque temps.

Il ouvrit la porte et le professeur d’histoire, M. Erikson, suspendit son discours à la suite de cette apparition. L’homme arborait une barbe blanche et des cheveux hirsutes, portait un gilet vert, et de petites lunettes rondes étaient placées sur le bout de son nez. Le retardataire, embarrassé d’avoir interrompu l’enseignant, se présenta spontanément :

–Je suis Ben Kluskap, désolé d’être arrivé en retard monsieur.

–Pas de problème, répondit le professeur en inspectant la liste des étudiants. Tu es Kluskap donc, très bien. Klu..., Klu..., Klu..., murmura-t-il tout en continuant à lire la liste.

C’était sans compter sur Jared Salbar, dont la scolarité n’avait été qu’une longue suite de transgressions morales :

–Kluskap ? Hahahaha ! Hey, Glouglouglou ! fit-il en marchant avec la tête qui bougeait d’avant en arrière afin d’imiter une poule.

Une autre étudiante, Natasha Thorvald, leva les yeux au ciel devant un spectacle si pathétique.

–Kluuuuskap, Kluuuuskap, Kluskaaap... Ha ! Voilà, tu es Benouate Kluskap ! exulta M. Erikson, avec un léger sourire triomphant.

La classe éclata de rire.

–Noooon, Ben ! Je m’appelleBen !

Cette tentative désespérée d’insister sur ce diminutif était motivée par le fait qu’une oreille anglo-saxonne comprendrait aisément cette syllabe, mais au contraire buterait sur le prénom entier, de par son origine latine. Hélas, ce ne fut pas du goût de son professeur :

–Ha non, ce n’est pas ce que dit ma liste. Je lis Benouate... ou alors est-ce Beno-ït ?

–Ben Hur ! cria Jared.

–Big Ben tu t’es trompé de pays, on n’est pas à Londres ! enchaîna John Snatton, l’associé de Jared dans tous ses mauvais coups.

–Be-noix de coco ! surenchérit Vince Neal, un autre compère de la bande.

–Mais arrêtez de vous moquer de lui, intervint alors Natasha. Il s’appelle Ben, point !

–Hooo c’est trop mignoooon, c’est l’amour !, répondit Jared en se moquant.

–L’aaa-mouuur, reprit Vince.

–Violent ET débile, ton vrai prénom devrait être ‘’JarHead’’, pas Jared ! répliqua la jeune femme.

Le professeur n’en pouvait plus : lui qui avait pour simple ambition de donner un cours, et éventuellement de transmettre sa passion aux quelques étudiants qui ne somnolaient pas, le voici qui se trouvait à présent au beau milieu d’une cacophonie liée à quelques fauteurs de troubles. Il décida de couper court à l’agitation générale :

–Du calme, du calme, dit-il alors lentement. Jared, c’est bien ça ? Ça suffit, veuillez montrer un peu de respect à vos nouveaux camarades !

–Mais monsieur, c’est elle qui a commencé !

–Allons, cessez donc vos enfantillages. C’est votre premier jour dans ce pensionnat et nous sommes tous adultes, je veux donc voir du respect dans cette classe ! Vous allez devoir apprendre à vivre ensemble ! s’exclama-t-il avec autorité.

Jared, très remonté, se tut et esquissa un sourire de façade ; mais John et Vince savaient que ce n’était qu’une question de temps avant que l’orage n’éclate. En revanche, s’ils connaissaient son tempérament explosif, ils en ignoraient la cause profonde : le meneur de la bande souffrait d’un grave complexe lié à son physique. Il n’avait jamais abordé ce sujet avec ses deux sbires, principalement pour une raison de fierté masculine, mais aussi parce qu’il les savait incapables de manifester le moindre sentiment d’empathie. Toutefois, Jared ne réalisait pas qu’il s’inventait un problème : certes il avait quelques kilogrammes en trop, mais il se sentait surtout inférieur car il était systématiquement rejeté par la gent féminine. Il blâmait son apparence, pas assez convaincante à son goût pour réussir à séduire, et s'était renfermé sur lui-même. Il en voulait au monde entier et avait adopté un caractère hostile et une personnalité instable. Ces attributs psychologiques concouraient à créer une forme de carapace impénétrable aux affronts, et se traduisaient par des actes vengeurs.

Ainsi, son mal-être s’exprimait par le fait de s’en prendre aux plus faibles, mais aussi de chercher à rabaisser ceux qui, d’après lui, pouvaient lui faire de l’ombre. Benoît en était un parfait exemple selon ses critères, et Jared l’exécrait en raison de son apparence atypique, notamment sa silhouette élancée et ses yeux vairons. Cette particularité, même si elle avait valu des moqueries à Benoît durant son enfance, semblait être devenue un atout avec le temps. Ce fut certainement cette caractéristique singulière, combinée au fait que le nouveau venu subissait des railleries dès le départ, qui poussa Natasha à l’inviter à s’asseoir à ses côtés. Et rien n’aurait pu lui plaire davantage. Elle avait de longs cheveux blonds qui tombaient en cascade le long de ses épaules, de magnifiques yeux bleus azur, ce qui associé à son sourire lui procurait une intense sensualité. Mais, sa timidité légendaire le fit demeurer debout sur place, immobile.

–Heuuu... ça devient gênant, assieds-toi, je t’en prie !

Benoît réalisa alors que pendant un court laps de temps, il s’était perdu dans ses pensées ; il s’exécuta, son cœur battant la chamade. La ravissante blonde avait senti l’attrait qu’elle dégageait auprès de lui à la manière dont il la fixait, et, un peu gênée, elle recentra ses yeux vers le professeur, tout en créant une barrière protectrice à l’aide de son bras, prétextant remettre une mèche de cheveux derrière son oreille. C’était cependant assez pour que Jared saisisse l’occasion d’intervenir de manière puérile :

–Alors les deux tourtereaux, c’est pour quand le mariage ?

Le professeur, à bout de nerfs, choisit de les expulser :

–Bon, ça suffit, tous les trois vous SORTEZ ! On peut dire que vous commencez l’année en beauté !

Benoît, cible de ces attaques gratuites et répétées, ne comprenait pas la décision du professeur de les expulser lui et Natasha, tous deux victimes du gang de Salbar. Mais le jugement de M. Erikson devait être altéré par l’exaspération et par la perte de patience. À cela s’ajoutait que le nouvel arrivant n’avait pas le recul nécessaire pour réaliser que dans le milieu de l’éducation, les injustices sont parfois coutume : il arrive notamment que la victime soit sanctionnée pour s’être défendue, alors que le tricheur reste hélas souvent impuni.

L’agent de sécurité escorta ainsi les trois exclus jusqu’au bureau du principal.

–Vous deux, je vous jure que vous allez me le payer, menaça Jared.

–Silence ! gronda l’agent.

C’est alors que réapparut la secrétaire :

–Vous ! s’exclama-t-elle en fixant Benoît.

–Madame, laissez-moi vous expl...

–Taisez-vous ! reprit-elle avant de tourner la tête vers Natasha et Jared.

Elle inspira longuement, visiblement agacée d’avoir à gérer autant de fortes têtes dès le début de l’année scolaire, puis formula sa décision :

–Vous deux, c’est bon, retournez en classe ! ordonna-t-elle en faisant un geste à l’agent pour qu’il les reconduise auprès de leur professeur.

–Mais... et Ben ? demanda l’étudiante.

Jared ne prononça aucune parole, mais il toisa Natasha d’un air fier, et jubilait de manière évidente. Quant à Benoît, il se tourna vers celle qui l’avait soutenu avec solidarité en affichant une mine triste, puis marcha résigné vers le bureau du principal, M. Vanderbilt.

Une fois dans la pièce, un sermon en règle lui fut administré :

–Récapitulons : si je comprends bien, premièrement vous arrivez très en retard dès votre premier jour. Deuxièmement, vous accédez illégalement à votre classe – oui illégalement, je ne plaisante pas avec le règlement intérieur, sachez-le ! - et, comme si cela ne suffisait pas, vous créez des problèmes dès votre arrivée ?

Benoît essaya de prendre la parole, mais n’en eut pas le temps.

–Comme je ne suis toujours pas certain de m’adresser au véritable Benoît Kluskap, je vais vous inculquer ce qu’est la discipline et vous donner une bonne leçon : nous allons appeler la police pour signaler votre intrusion dans notre établissement. Ça vous apprendra à faire attention à apporter vos papiers la prochaine fois, et que cette expérience vous serve pour la suite !

–Ho non ! S’il vous plaît monsieur, c’est moiBen !

–Ben ou Benoît ? Enfin, qu’importe... Qui que vous soyez, nous le saurons bientôt !

Le principal composa alors le numéro de téléphone de la police.

–Mais que va dire ma mère ?

–Ce n’est pas mon problème.

–Écoutez, je peux retourner chez moi pour aller chercher ma carte d'identité, et je vous promets non seulement que je reviendrai avec, mais aussi que je ne ferai plus jamais de vagues !

Après cette supplication, il déglutit. Heureusement pour lui, M. Vanderbilt raccrocha.

–Bien, dans ce cas partez. Dès maintenant !

Très angoissé, Benoît tenta de relativiser, se disant que s’il récupérait ses papiers, les problèmes se calmeraient. Exaspéré par le coût du taxi à l’aller, il se résigna à prendre le bus pour retourner à Kensington. Perdre sa journée ainsi dans les transports acheva de le déprimer. Soudain, il vit le bus arriver au loin. Il se mit à courir pour l’attraper, mais le manqua de justesse, tout en se faisant copieusement éclabousser au passage.

À bout de nerfs après toutes ces péripéties, l’infortuné voyageur s’assit sur le banc de l’arrêt de bus, et se mit brusquement à pleurer. Il repensa alors à ce que lui ressassait sans cesse son grand-père Albert : ‘’Nous sommes issus d’une famille de héros’’. Mais de quels héros parlait-il ? Avoir un nom de famille que personne n’arrivait à prononcer, être à la fois timide et maladroit, accumuler les erreurs et fautes de comportement, était-ce une vie de héros ? Comment pouvait-il prétendre porter ce titre, qui revenait à ceux qui survivaient à la guerre, tandis que lui n’était même pas sûr de survivre à une rentrée ? Quel héros en effet, lui qui avait également réussi l’exploit de dilapider une grosse partie de son budget hebdomadaire en quelques heures, tout en laissant une terrible impression à la majeure partie du personnel administratif ainsi qu’à sa classe ! Tout en ruminant de telles idées noires, Benoît sentait de chaudes larmes couler sur ses joues.

Il rentra finalement chez lui, et eut la chance de pouvoir voyager en autobus cette fois-ci, ce qui lui permit d’économiser le reste de son argent.

Il se changea, puis récupéra sa carte d’identité, avant de faire un détour par la chambre de sa mère. Elle se faisait en permanence du mauvais sang à son sujet, c’est pourquoi elle imaginait qu’il pouvait se retrouver démuni à chaque instant. Si bien qu’elle lui laissait toujours quatre-vingts dollars, savamment dissimulés entre sa boîte à couture et son plaid écossais. Après avoir emprunté cette somme, Benoît repartit à Minneapolis. L’après-midi était déjà presque terminée.

En classe, M. Erikson accueillit cet étudiant surprenant comme nous pourrions l’imaginer, alors que le dernier cours de la journée allait s’achever :

–Eh bien, nous sommes heureux que Beno... hésita-t-il. Nous... Nous sommes heureux que TU nous aies enfin rejoints dans cette classe. À présent, Ben, lève-toi et présente-toi aux autres.

Benoît, peu confiant et exténué après cette journée intense, s’exécuta à contrecœur :

–Bonjour tout le monde, je viens de Kensington...

Il n’eut pas le temps de finir de se présenter, car le professeur l’interrompit en prenant son air le plus passionné, celui que seul le visage d’un pur académicien pouvait exprimer, avant de s’adresser à la classe :

–Eh bien, sachez qu’à Kensington se trouvait autrefois une chose, dont vous ne soupçonnez probablement même pas l’existence !

–Oh non, pas ça ! s’exclama le jeune homme.

–Quoi donc ? demanda Natasha.

–Puisque ça vous intéresse, nous allons faire un devoir sur ce sujet, ce qui occasionnera une sortie scolaire.

La sonnerie retentit. Désireuse d’en apprendre davantage, sa voisine de table partit en quête d’informations auprès de lui :

–Qu’y a-t-il à Kensington ?

–Rien de bien intéressant, juste une histoire de grosse pierre gravée. Mon grand-père adore en parler, mais c’est archéologiquement faux, et il a dépensé toute son énergie pour que notre famille s’installe là. Et c’est à cause de ça que j’ai grandi dans ce trou ! Je lui en veux tellement... Tout ça à cause d’un vieux fermier fou au XIXème siècle ! Mon grand-père y croit encore, mais c’est de la pure naïveté que de faire confiance à ce fermier débile !

–Je vois, moi aussi j’ai du mal à comprendre mes parents, ils sont passionnés par le Moyen-Âge et aimeraient que je m’y intéresse, mais je m’en fiche de leurs armures, de leurs catapultes et de toutes ces choses !

Jared intervint alors au milieu de leur conversation :

–Hey crétin, on va visiter ton trou perdu, tu m’invites dans ta piaule ? Comme ça, j’en profiterai pour me taper ta gonzesse !

–Hahaha, t’es le meilleur Jared !, déclara John en riant à gorge déployée.

–Pour information, la pierre n’est plus physiquement à Kensington, mais au musée d’Alexandria, donc non, nous n’irons pas dans mon ‘’trou perdu’’, comme tudis !

Benoît avait tenté de rectifier les faits, mais face à un interlocuteur à la fois antagonique et dépourvu de toute culture générale, c’était peine perdue :

–Ho, ho ! Mais c’est qu’il me donnerait presque un cours d’histoire le louveteau ! Il t’arrive quoi tout à coup ? Tu veux faire l’intéressant devant ta copine ?

–Viens Ben, laissons tomber cette bande de dégénérés.

Jared mima un baiser avec ses lèvres, et la regarda partir tout en admirant ses courbes généreuses.

Le lendemain, le professeur Erikson avait décidé de donner un cours sur la pierre runique qu’il avait évoquée la veille, avant que les étudiants n’effectuent le déplacement prévu.

En conséquence, la salle de classe fut transformée en salle de projection, et Jared était devenu tout excité à l’idée de s’asseoir dans le noir, et donc de pouvoir perturber sa nouvelle cible : Natasha.

Un documentaire fut projeté.

« Olof Öhman, un fermier d’origine suédoise, découvre une pierre gravée enchevêtrée dans les racines d’un peuplier vieux de 25 ans, et sur laquelle se trouvent des inscriptions qui ressemblent à de vieilles runes suédoises... »

Jared tenta de caresser la jambe de Natasha, mais celle-ci lui tapa sur la main. Elle lui chuchota discrètement ‘’Si tu n’arrêtes pas, je vais me lever et crier très fort, je vais faire le plus gros scandale que tu puisses imaginer et te coller la plus grosse honte de ta vie !’’ Intimidé, Jared choisit alors la voie de la prudence, et le documentaire se poursuivit.

‘’… d’après les traducteurs, les runes inscrites laissent apparaître ce texte : << [Nous sommes] huit Goths [Suédois] et vingt-deux Norvégiens en voyage d’exploration venant du Vinland par l’Ouest. […] Nous nous sommes absentés et avons pêché un jour. En revenant, [nous] avons trouvé dix hommes rouges de sang et morts. Ave Virgo Maria. [...] An 1362 >>...’’*

À la fin de la projection, M. Erikson répondit aux questions des élèves.

Amanda était intriguée :

–Qu’est-ce que le Vinland ?

–Eh bien, on en trouve la source dans les sagas d’Erik le Rouge, détailla le professeur. Les archéologues situent le Vinland à ‘’L’Anse aux Meadows’’, dans la province canadienne de Terre-Neuve-et-Labrador.**

–Ah, le Vinland était donc au Canada ? demanda Nick, qui semblait s’intéresser au sujet malgré sa léthargie apparente.

–Les Norvégiens ont donc découvert l’Amérique avant Colomb ? en conclut James, l’air surpris.

–Ces hommes étaient des Vikings, répondit l’enseignant, des Scandinaves partis d’Islande qui ont, entre autres, découvert le Groenland, et ils ont été les premiers à fouler le continent américain.

‘’Vin-land’’, découpa Brenda dans son esprit. Elle voulait gagner les faveurs de M. Erikson, et pour cela elle tenta sa chance en lançant la question suivante :

–‘’Vinland’’, ça veut dire ‘’Pays du vin’’ ?

–Bonne remarque, jeune fille ! l’apostropha-t-il, ce qui flatta la fierté de l’étudiante.

Puis il reprit :

–Vous savez, tout n’est pas très clair concernant cette période. Certains affirment que ‘’Vinland’’ se traduirait par ‘’pâturage’’. Ce qui serait logique, puisque le climat de Terre-Neuve n’est pas celui de Bordeaux ou de la Californie, et n’est pas propice à la viticulture. Admettons que cela fasse référence au vin ; quand bien même Erik aurait opté pour cette appellation incohérente, cela n’aurait pas été une première pour lui : il avait volontairement nommé le Groenland ‘’La terre verte’’ par exemple, alors que c’était un empire de glace blanche qui attendait les nouveaux arrivants.

–Mais pourquoi il choisissait ces noms trompeurs, alors ? réagit Samantha.

–Erik le Rouge ne se contentait pas d’être un simple explorateur, mais également un fin calculateur. Il était recherché par l’Islande pour meurtre, il n’avait alors pas d’autre choix que l’exil. *** Seulement, pour s’établir sur ces terres vierges, il avait besoin d’une main-d’œuvre qui se dévouerait gracieusement. En somme, on pourrait dire qu’il inventa le marketing touristique, en enjolivant ses découvertes pour que les futurs colons aient l’envie de s’y rendre.

–Mais dans ce cas, comment se fait-il que l’on nous ait ressassé partout que c’est Christophe Colomb qui a découvert l’Amérique ? demandaMatt.

–Eh bien, tout simplement parce que ces découvertes étaient l’apanage de certains clans, et ils gardaient cela secret afin de transmettre l’information uniquement aux membres de leurs lignées. Après eux, le Vinland est tombé dans l’oubli, et presque personne n’en a reparlé depuis.

–Monsieur, voulut savoir Natasha, de quand date la découverte du Canada dans les chroniques de M. Rouge ?

Éclat de rire général.

–Non, non, la saga d’ERIK LE ROUGE ! gronda le professeur. Vers 980, soit cinq siècles avant Christophe Colomb !

–Mais pourtant le documentaire parle de l’an1362.

–Très juste. Je suis ravi de constater qu’au milieu des visages encore ensommeillés et de certains téléphones cellulaires discrètement ouverts, il reste au moins quelques personnes qui suivent ! Pour tout vous dire, nous en sommes toujours à tenter de prouver l’authenticité de ces runes, et les chercheurs ne sont pas tous d’accord. Cependant il y a d’autres découvertes qui s’accumulent comme ‘’Le Penny du Maine’’, une pièce norvégienne frappée de l’effigie du roi Olaf Kyrre, qui daterait environ de 1070 ! **** Mais si le sujet vous passionne tant, est-ce que cela vous dirait que nous allions visiter le musée qui abrite la Pierre de Kensington ?

–Ho ouiii ! hurlèrent tous les étudiants.

Tous sauf Jared, qui profita du vacarme pour se tourner vers son souffre-douleur et lui mimer un égorgement, car il le tenait pour responsable de ce surplus de travail. Celui-ci passa ensuite le reste du cours à tâcher de se faire oublier aux yeux du voyou.

Vint ensuite la sonnerie, qui délivra nos étudiants. Natasha retrouva son camarade dans le couloir, et elle essaya de se confier à lui discrètement, sur le fait que Jared avait tenté de la toucher de manière inappropriée. En apprenant cela, il fut révolté. ‘’Le salaud, je voudrais bien le lui faire payer !’’, réagit-il d’une voix tremblante de colère. Hélas, Jared et sa bande étaient dans les alentours ; la voix de la brute retentit et glaça le sang de Benoît :

–Tu veux me faire payer, Ben Hur ? Ça y est, une vulgaire potiche te tourne autour, et tu te prends tout à coup pour un seigneur de guerre ? Je vais te montrer QUI fait la loi,ici !

–Jared, non ! gémit Natasha.

John et Vince agrippèrent alors la jeune femme, l’un par derrière autour de la taille, l’autre par devant en lui mettant la main devant la bouche. ‘’Noooon!’’ s’écria leur nouveau bouc émissaire. Exactement ce que Jared attendait : lui et ses complices n'en étaient pas à leur premier coup d'essai, et la diversion ayant eu lieu, le poing de Jared percuta le plexus du frêle jeune homme, qui s'effondra le souffle coupé et reçut un coup de pied dans les gencives une fois allongé. À la suite de quoi le pauvre Benoît fut traîné par les cheveux jusque dans les toilettes par son bourreau, sous les rires complices de John qui retenait l’étudiante, le tout étant filmé par Vince. Ce dernier, tel le citadin à l’affût de la moindre montée d’adrénaline, ne perdait pas une miette de ce sordide spectacle.

–Colis livré, rugit le meneur du trio, vous faites le S.A.V, gentlemen ?

–Avec plaisir, ricana Vince.

Lui et John plongèrent alors la tête de Benoît dans la cuvette tout en tirant la chasse, tandis que Jared gardait Natasha à distance en s’esclaffant :

–Alors abruti, tu fais moins le malin hein ? articula-t-il lentement, tout en serrant le menton de Natasha entre son pouce à gauche et ses autres doigts à droite. Alors ma jolie, il a quoi de plus que moi, ce bouffon ?

–Ah non au contraire, il a moins de kilos que toi, mais les siens ont l’avantage d’être au bon endroit !

Et elle accentua ces derniers mots en lui décochant un coup de genou entre les jambes. Jared s’écroula en poussant un couinement. John et Vince, stupéfaits, restèrent cloués sur place, et ne virent ni leur victime cracher un mélange d’eau et de sang, ni Natasha foncer chercher de l’aide. Quant à Benoît, il s’évanouit peu de temps avant l’arrivée de M. Erikson, qui lui prodigua les premiers secours en attendant l’ambulance.

* Laurence M. Larson, The Kensington rune stone, Minnesota Historical Society Press, 1936

** Birgitta Wallace, The North in Newfoundland: L’Anse aux Meadows and Vinland, Newfoundland and Labrador Studies, Vol 19:1, 2003

*** John Sephton, Eirik the Red’s Saga : A Translation Read before the Literary and Philosophical Society of Liverpool, January 121 1880, D. Marples, 1880

**** Svein H. Gullbekk, The Norse Penny Reconsidered: The Goddard Coin – Hoax or Genuine?, Eagle Hill Institute, 2017

- II-Révélations

Dans la salle d’attente des urgences, Michelle était minée par l’angoisse. Savoir son fils hospitalisé l’avait profondément dévastée : elle qui, en temps normal, s’inquiétait ne serait-ce que quand celui-ci se coupait le doigt avec une feuille de papier, elle était désormais au bord de l’effondrement.

L’atmosphère était d’ailleurs peu propice à la sérénité : une vieille dame gémissait en tenant une poche de glace contre sa joue, pendant qu’un patient à l’allure de cadre supérieur saignait abondamment du nez, en se plaignant du vol de son téléphone portable auprès d’une infirmière ; celle-ci semblait en réalité moins préoccupée par cette histoire, que par les gouttes de sang que versait l’homme sur le sol grisâtre de la pièce.

Cependant, Michelle n’avait pas le loisir d’observer ces éléments, car elle était elle-même en plein calvaire : en plus de perdre patience, sans nouvelles concernant la santé de son fils, elle avait reçu un appel de Guy Mauno, le père de Benoît. D’origine française, c’était l’archétype même de l’homme d’affaires qui ne savait pas concilier carrière et vie de famille ; mais en avait-il jamais voulu une ? Alors que Michelle s’était éprise de ce beau brun à la fine moustache, lui n’avait pas envisagé une relation sérieuse. Il batifolait et profitait de ses dons de séducteur, tel un épicurien. Dans ce contexte, il allait de soi qu’elle était tombée enceinte de manière fortuite, ce qui provoqua la défection de ce jeune éphèbe. De toute façon, il ne s’était pas réellement senti prêt à endosser le rôle de père. Il avait d’autres priorités, notamment sa carrière, dans laquelle il se jetait corps et âme dans le but de préparer ses interminables réunions de travail, voire de se perfectionner au golf, pour négocier ses contrats avec ses clients chinois, japonais ou russes, ainsi qu’organiser des voyages d’affaires aux quatre coins du monde entre Singapour, Rotterdam ou Buenos Aires. Il passait beaucoup plus de temps avec son assistante Monika qu’avec Michelle, au point d’avoir entretenu une liaison avec cette femme.

Benoît n’eut pas le privilège de grandir aux côtés d’un modèle paternel digne de ce nom. Au lieu de cela, il vécut exclusivement avec sa mère, celle-ci assumant toutes les responsabilités après la séparation du couple, lorsque leur unique enfant avait à peine deux ans.

Guy montra un intérêt soudain pour son fils, lorsque la santé de ce dernier fut mise en cause :

–L’établissement qu’il fréquente m’a contacté, heureusement qu’EUX y ont pensé !

La pauvre femme, exténuée, tenta de rendre coup pour coup :

–Oh, tout à coup Monsieur Mauno se soucie de... comment tu l’appelles déjà ? ‘’Petit chat’’ ? Eh bien tu sais quoi ? Il était temps !

–C’est toi qui m’as forcé à procréer, Madame ‘’je prends la pilule’’, alors maintenant qu’il est là, il faut assumer !

–Comment oses-tu ? Je te rappelle qu’il faut être deux pour...

–Donne-moi ce téléphone ! l’interrompit Albert, qui l’obligea à raccrocher.

Albert Kluskap, le père de Michelle, disposait d’un caractère bien affirmé, et même si certaines personnes, par esprit de compassion, voulaient parfois lui porter assistance en le voyant cloué dans son fauteuil roulant, il refusait et se montrait robuste comme un chêne. Ce n’était donc pas un géniteur égocentrique qui allait se permettre de manquer de respect à sa fille ! Après avoir coupé court à cet appel téléphonique, il la fixa ensuite dans les yeux, et s’exprima ainsi :

–Ce Guy est un félon, ne perds pas ton temps avec lui. Il fait partie de cette race de lâches et d’irresponsables, qui se séparent de leurs enfants comme nous changeons de chaussettes. Il y a bien mieux à faire. Concentre-toi plutôt sur notre chevalier, il a vraiment besoin de nous durant cette rude période !

Le médecin vint les chercher à ce moment précis :

–Vous êtes bien la famille Kluskap ?

–Ou...oui ?

–Tout va bien, son pronostic vital n’est pas engagé. Toutefois, il est encore très faible, et je n’autoriserai donc qu’une seule personne à lui parler.

Albert s’empressa de trancher :

–Ma fille chérie, je ne peux qu’imaginer ta frustration à l’idée d’attendre encore, mais nous avons besoin de recueillir des informations précises pour pouvoir déposer plainte, et j’ai peur que sous le coup de l’émotion, tu ne déformes ses propos.

–Oui je comprends, mais je dois voir comment ilva.

–Le médecin te l’a dit, son état s’améliore, mais plus que tout, nous devons coincer le sagouin qui lui a faitça !

Dépitée, la malheureuse acquiesça à contrecœur, et laissa sa place à son père, qui entra seul dans la chambre.

Le jeune homme était allongé, le regard hagard. Une sonde nasale l’aidait à respirer, son visage était gonflé, son teint jauni, et il restait des traces de sang séché autour de sa bouche.

–Benoît, ça va mieux ? s’inquiéta le vieil homme.

–Mmm... oui.., prononça-t-il difficilement, la voix encore marquée par l’épreuve subie.

–Mon garçon, tu as fait preuve d’un immense courage en venant en aide à cette fille. Je souhaite porter plainte, afin de mettre ces voyous hors d’état de nuire. Il me manque des éléments : connais-tu les noms de tous tes agresseurs ?

–C’est Jared et sa bande, malheureusement... je... je ne connais pas leurs noms...

–Je comprends. Tu sais au moins combien ils étaient ? Et le nom de famille de ce Jared, tu l’as ?

–Ils étaient trois au total, en le comptant. Mais non, je n’ai... que son prénom.

–Ah, ça ne va pas aider, mais ça devrait aller pour le moment. Repose-toi bien, et je vais me rapprocher de ton professeur pour plus d’informations.

L’homme était déjà sur le pas de la porte, quand Benoît s’écria ‘’Grand-père !’’. Il se retourna, et son petit-fils reprit :

–Je vous aime, maman et toi, et je m’excuse d’avoir parfois été difficile.

–Ne t’en fais pas. Je t’ai toujours dit que nous descendions d’une lignée de héros, et c’est précisément ce que tu viens de démontrer en aidant ton amie. Qui sait ce qui aurait pu lui arriver sans toi ?

Un sourire apaisé se dessina sur le visage du convalescent, qui ne se souvenait plus lui-même de ce qui s’était réellement déroulé. Quoi qu’il en soit, son grand-père le soulagea de sa crainte : sa camarade de classe était toujours en vie et semblait bien se porter.

En cherchant sa fille dans le couloir, Albert tomba justement sur Natasha, qui venait aux nouvelles.

–Il va bien, la rassura-t-il. Et toi-même ?

–Oui ça va, merci à vous !

–As-tu été mise en relation avec un psychologue ? Si ce n’est pas le cas, peut-être souhaites-tu que l’on discute de cet affreux événement ?

–Merci monsieur, mais mon père étant psychologue, il a su faire preuve d’écoute. Mes parents pensent que je devrais m’isoler avec Ben et passer un peu de temps avec lui. Il a surtout besoin de moi en ce moment, car c’est essentiellement lui qui a été éprouvé par ces sévices ! Il faut aussi que je recolle un peu les morceaux de l’histoire avec lui, pour qu’on puisse communiquer les mêmes éléments à la police, sans en oublier une miette.

–Hum, je comprends. Justement... À ce propos, saurais-tu par hasard les noms ou prénoms des complices de ce... Jared ?

–Oui, John Snatton et VinceNeal.

Michelle s’était absentée pour prendre un café au distributeur de boissons chaudes. Elle revint à ce moment, mais les laissa continuer sans les interrompre.

–Et le nom du ‘’cerveau’’ de l’opération, si j’ose dire, le connais-tu ?

–Salbar. C’est Jared Salbar.

Il écarquilla les yeux :

–Pardon, tu as dit Jared comment ?

–Salbar, c’est ainsi qu’il s’appelle. Il y a un problème, monsieur ?

Albert sursauta et son fauteuil roulant vacilla vers l’arrière, manquant de renverser les restes d’un plateau-repas posé sur un chariot ; il se tint la poitrine de la même manière que l’aurait fait une victime de crise cardiaque. Michelle, terrorisée, appela à l’aide en réclamant l’intervention d’un médecin, mais il se reprit immédiatement :

–Non c’est bon, ça va, mais je dois reparler à mon petit-fils de toute urgence.

–Il s’est endormi, profitez-en donc pour aller vous restaurer, suggéra le médecin que toute cette agitation avait attiré.

Sous le coup de l’émotion, Albert conserva le silence. Étant conduit à la cafétéria, il prétexta vouloir aller aux toilettes ; mais bien sûr, c’était un subterfuge destiné à retrouver son petit-fils dans sa chambre.

–Benoît ! Benoît ! Debout !

–Grand-père ? Qu’y a-t-il ? grommela le jeune homme, qui peinait à se réveiller.

–On doit absolument parler de ton agresseur. MAINTENANT !

–Que veux-tu savoir de plus ?

–Non, c’est toi qui vas m’écouter. Voilà, je suis un homme de secret, et je vous ai caché des choses, mais c’était pour vous préserver de ce fardeau.

Benoît était pendu à ses lèvres, abasourdi.

–Par exemple, sais-tu comment j’ai atterri dans ce fauteuil roulant ?

–Oui bien sûr, tu as eu un accident avec grand-mère Elsa, mais pourquoi en reparler ?

Le vieil homme, les yeux remplis de mélancolie, ne put s’empêcher d’esquisser un sourire triste :

–Eh bien, je sais que tu ignores des choses sur cet événement. Ta mère t’a sûrement raconté que ce dernier a causé la mort d’Elsa ?

–Oui.

–Sache qu’il y a de nombreux faits que tu ignores sur ta grand-mère. Quand j’ai rencontré cette femme remarquable, nous étions encore sur les bancs de l’université d’archéologie et de paléontologie. Notre Graal, si j’ose dire, était de découvrir un jour un squelette de dinosaure. Et, crois-le ou non, mais cela nous arriva : Au Nouveau-Mexique, nous avions découvert un raptor à plumes fossilisé, et nous nous apprêtions à révolutionner le monde scientifique ! Hélas, ce foutu accident survint : un satané serpent nous a surpris alors que je conduisais. Les cris d’Elsa et le fait de la voir se débattre avec le reptile m’ont distrait, et par conséquent j’ai perdu le contrôle de mon pick-up. L’accident qui a suivi, en plus de m’avoir retiré mes jambes et la femme de ma vie, m’a également privé de mon destin, car les os du raptor ont été détruits... Toutes mes raisons d’exister se sont volatilisées en une journée... toutes, sauf ta mère. Heureusement que ce jour-là, elle était gardée par mes regrettés parents Pauline et Herbert.

Submergé par l’émotion, il fondit en larmes. Benoît chercha à le réconforter.

–Grand-père, je comprends ta douleur, mais ne te sens pas obligé de porter ce poids sur tes épaules. Tu n’étais pas responsable. D’ailleurs j’ai moi-même une peur viscérale des serpents.

–Tu penses ? réagit-il en reprenant ses esprits. En fait, je te raconte tout ça parce qu’après l’accident, j’ai été transporté dans un centre de rééducation pour m’habituer à ce handicap, qui hélas allait désormais m’accompagner. J’y ai fait la rencontre de Marie, une femme inoubliable...