La vengeance de Ralph - . Delly - E-Book

La vengeance de Ralph E-Book

Delly

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Beschreibung

Il va être lord. Elle est belle, de bonne naissance mais pauvre et persécutée par une vilaine marâtre, il l'épouse pour se venger, il hérite, elle devient lady à sa grande surprise, mais il ne l'aime pas. Après moult péripéties et turpitudes, ils s'aimeront cependant pour toujours dans le bonheur, la plénitude et entourés de petits angelots voletant. Bien évidemment, la main de Dieu s'est abattue sur les méchants. Pardonnés par leurs victimes victorieuses.

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La vengeance de Ralph

Pages de titreIIIIIIIVVVIVIIVIIIIXXXIXIIXIIIXIVXVXVIXVIIXVIIIXIXXXPage de copyright

La Vengeance de Ralph

Delly

I

Mme de la Ridière entra dans la salle à manger, où Serena achevait de couvrir des pots de confitures et demanda :

– Avez-vous bientôt fini ?... Léonie vous attend pour que vous l’aidiez à étendre le linge dans le pré.

La jeune fille tourna vers l’arrivante son délicat visage ambré, aux grands yeux noirs veloutés qu’ombraient de longs cils bruns.

– J’ai encore trois pots de gelée, madame. Ce sera fait dans un instant.

– Dépêchez-vous ! Il faut profiter de ce rayon de soleil. Je crois que vous flânez beaucoup, ainsi que me le faisait remarquer Simonne.

La jeune fille ne répliqua rien et posa d’une main tranquille, sur un pot de gelée d’orange, le papier préalablement humecté de blanc d’œuf.

Mme de la Ridière l’enveloppa d’un coup d’œil hostile, et ses lèvres s’ouvraient pour une remarque désagréable quand, derrière elle, surgit une grande fille blonde, vêtue de blanc, une raquette de tennis à la main.

– Je pars, grand-mère. À ce soir !

– Bon. Amuse-toi bien, Simonne.

Une moue plissa la grande bouche aux lèvres trop fortes.

– Les Gilliet ne seront pas là. Aline joue comme une mazette, et le petit Gazier est assommant, avec ses prétentions à l’esprit.

– M. Morel viendra-t-il ?

– Je ne crois pas. Il doit être aujourd’hui à Rouen, pour la succession de son oncle.

– Le voilà devenu un bon parti, maintenant. Il faudrait tâcher que, de simple flirt, il se transforme en prétendant.

– On fera son possible, grand-mère !... La situation serait assez belle, en effet. Nous irions habiter une grande ville, naturellement... peut-être Paris...

Les yeux bleus s’animaient à cette perspective.

– ... Évidemment, il est d’une origine assez ordinaire. Mais, enfin, il faut bien passer sur quelque chose !

Mme de la Ridière approuva, d’un ton de résignation héroïque :

– Oui, hélas ! Il le faut ! Les temps sont difficiles, ton père ne peut te donner une grosse dot. Donc, il est nécessaire de faire quelque sacrifice...

Un sourire léger vint aux lèvres charmantes de Serena, qui continuait sa besogne d’une main diligente.

En entendant parler ainsi Mme de la Ridière, qui se fût douté qu’elle était la fille d’un gros fermier bien pourvu d’écus, épousée pour son argent par un hobereau normand aux trois quarts ruiné ? Son humble origine semblait lui être sortie complètement de la mémoire, et nul, dans tout le pays, n’avait plus de prétentions.

Simonne fit observer, en passant un doigt court, garni de bagues trop lourdes, dans les cheveux ondulés avec art qui encadraient un visage coloré aux traits forts :

– Félix Morel est le seul parti sortable, pour le moment.

– En effet... Il y a bien Sézailles ; mais on dit que la fortune est mince. Jardoux est fiancé à cette petite dinde d’Amélie. Quel goût peut-il avoir pour choisir ce bout de femme trop brune, sans acquit mondain, alors qu’on a sous les yeux une belle fille comme toi !

Orgueilleusement, l’aïeule considérait Simonne, qui sourit complaisamment.

– C’est le cas de dire : des goûts et des couleurs... À propos, j’ai aperçu ce matin le nouvel ingénieur de M. Sorbin, cet Anglais... Il m’a paru joliment bien !... Grand, mince, très chic... S’il avait quelque fortune, ce pourrait être encore un prétendant, celui-là !

– Je le saurai facilement par Mme Sorbin... Allons, pars, ma belle, et bon après-midi !... Moi, je vais aller prendre le thé chez les Gigoux, pour me distraire un peu. Armandine doit me montrer un nouveau modèle de peignoir, très élégant. Mlle Loutre pourrait me faire quelque chose dans ce genre pour remplacer cette vieillerie.

Sa main grasse et molle, chargée de bagues, tapotait d’un geste dédaigneux l’étoffe bleu vif de sa robe d’intérieur, étrennée deux mois auparavant et déjà couverte de taches, tandis que pendillaient les dentelles blanches déchirées.

Car Mme de la Ridière unissait le plus complet désordre à une coquetterie que l’âge n’avait pu diminuer. Sur son large visage aux traits vulgaires, le fard et les couleurs s’assemblaient, en un artistique mélange, pour dissimuler le terrible outrage des ans. Les cheveux restaient blonds, comme au temps où Eulalie Barboux avait accordé sa main à Auguste de la Ridière ; mais, selon les caprices de la mode, ils changeaient de nuance, passant du blond ardent au plus parfait acajou. En ce moment, ils avaient une teinte safranée fort réussie et, mêlés à des postiches, formaient sur cette tête de vieille femme le plus ridicule assemblage de rouleaux, bouclettes, torsades, qui se fût jamais vu !

Comment, ayant à s’occuper tellement d’elle-même et toujours en quête de distractions chez les uns, chez les autres, Mme de la Ridière eût-elle pu veiller à son intérieur ?

Tout allait à la débandade, et son gendre en gémissait secrètement, sans avoir l’énergie de se soustraire au joug qu’elle faisait peser sur lui depuis le jour où, pour son malheur, il avait épousé Yolande de la Ridière.

Yolande était une assez jolie fille, mais froide, inintelligente, molle et tout entière sous la domination de sa mère. Celle-ci s’était installée aussitôt chez le jeune ménage, régentant, imposant ses goûts, faisant sonner bien haut que la fortune était à elle... car Yolande ne recevait qu’une pension de deux mille francs. Et Charles Beckford, nature bonne, mais déplorablement faible, n’avait pas osé secouer dès ce moment-là une tyrannie qui, par la suite, n’avait fait que s’implanter.

La jeune femme mourut en donnant le jour à son troisième enfant. M. Beckford, à cette époque, venait d’être nommé directeur de l’usine d’électricité de Quévrigny, située à quelques kilomètres de la petite cité manufacturière d’Échanville. Mme de la Ridière, en cette occurrence, n’abandonna pas « son cher gendre », comme elle l’appelait en roulant des yeux pâmés. Elle vint habiter avec lui, afin d’être la mère des orphelins. Et, pendant un an, elle posa, dans ses voiles de crêpe, pour l’inconsolable.

Puis, au bout de ce temps, le deuil s’éclaircit considérablement, on vit le jais scintiller à ses corsages, les plumes orner ses chapeaux, le blanc, le lilas, se glisser dans ses toilettes, jusqu’au jour proche où les couleurs voyantes, qui lui étaient chères, réapparurent triomphalement.

Telle était cette femme, cette aïeule : égoïste, autoritaire, sans bonté, ignorant les plus élémentaires délicatesses morales, pétrie de la plus ridicule vanité, n’ayant aucune conscience des responsabilités qui lui incombaient dans l’éducation de ses petits-enfants. Ceux-ci s’étaient élevés comme ils avaient voulu, encouragés dans leurs défauts par la coupable indulgence de la grand-mère. Eustache, le dernier, insupportable garçonnet d’une douzaine d’années, demeurait son préféré. Quant à la cadette, légèrement contrefaite et de nature plus douce, elle avait été mise au couvent par l’aïeule, qui ne l’aimait pas.

De cet intérieur désordonné que lui faisait sa belle-mère, M. Beckford s’évadait le plus qu’il pouvait. Et, dans son cruel égoïsme d’être faible, qui veut avant toute chose s’épargner les ennuis, il abandonnait au joug si lourd de Mme de la Ridière sa jeune cousine et pupille, Serena Dochrane.

Vingt ans auparavant, un de ses parents, Reginald Dochrane, appartenant à une excellente famille de la bourgeoisie anglaise et correspondant à Paris d’un grand journal de Londres, avait épousé une jeune fille d’origine espagnole, de vieille race noble, orpheline, fort jolie et sans fortune.

De cette union naquit Serena. Peu après mourut la jeune femme. Dévoré par le chagrin, Reginald partit pour l’Amérique du Sud afin d’y chercher à la fois la fortune et une diversion à sa douleur. La petite fille avait été mise en nourrice, et M. Beckford, sincèrement attaché à son cousin, promettait de l’aller voir souvent.

Mais la santé de Reginald était atteinte. En outre, il s’aperçut – trop tard – que son associé, un compatriote, n’était qu’un aigrefin. Ruiné par lui, affaibli physiquement, il ne put surmonter tant d’épreuves. À trois ans, Serena se trouvait orpheline.

M. Beckford l’aurait volontiers accueillie sous son toit. Mais Mme de la Ridière déclara, en pinçant ses grosses lèvres, qu’elle ne pouvait assumer la tâche d’élever tous les enfants sans famille et sans le sou qu’il plairait à son gendre de recueillir. Ce qu’elle offrait magnanimement, c’était de chercher une pension pour cette petite, quand elle aurait l’âge d’y être reçue. Jusque-là, on la laisserait chez sa nourrice, qui serait fort satisfaite de l’aubaine.

Une fois de plus, M. Beckford abdiqua devant l’omnipotente personne et, dès ce jour, Serena tomba sous l’autorité de Mme de la Ridière.

À cinq ans, elle fut mise en pension dans un couvent dont les prix étaient modestes, car, ainsi que Mme de la Ridière devait le lui répéter plus d’une fois, elle n’avait qu’un pauvre petit revenu de douze cents francs, qui faisait d’elle presque une miséreuse.

Aux grandes vacances, elle sortait chez son tuteur. Dure épreuve ! L’enfant fine, vibrante, à l’âme délicate et aux instincts élevés, souffrait dans ce milieu où tous, sauf M. Beckford, toujours bon à son égard, mais insouciant, et Émilienne, malheureuse elle aussi, se montraient à l’envi désagréables pour elle.

Au couvent, elle travaillait avec ardeur, et ses maîtresses, s’émerveillaient de son intelligence, de sa vive compréhension, tandis que les charmaient sa nature affectueuse et la délicate bonté de son jeune cœur où s’épanouissaient à l’aise toutes les vertus.

À dix-sept ans, elle passa brillamment son brevet supérieur. Peu après, on vit apparaître au couvent Mme de la Ridière. Elle venait, déclara-t-elle, chercher la pupille de son gendre, dont les études étaient terminées. Maintenant, il convenait qu’elle s’initiât aux soins de l’intérieur, à la tenue d’un ménage, afin que, à sa majorité, elle fût munie d’un bagage suffisant pour lui permettre de gagner sa vie, de façon ou d’autre.

En réalité, il s’agissait simplement de ceci : l’été précédent, la vieille dame s’était aperçue que Serena était fort adroite, très laborieuse, et elle avait trouvé ce moyen pratique de se donner sans frais une seconde servante.

Car Serena n’était pas autre chose, dans la maison de son tuteur. Elle raccommodait tout le linge, faisait une partie de la cuisine et du ménage et ne paraissait jamais quand Mme de la Ridière recevait des étrangers.

Pour la remercier, la vieille dame ne trouvait que des réflexions blessantes. Simonne, jalouse de cette beauté qui s’affirmait chaque jour plus délicieuse, lui témoignait une malveillance agressive, et Eustache, enfant mal élevé, dépourvu de cœur, se plaisait à la faire admonester, sans douceur, par sa grand-mère, sous le moindre prétexte.

Dans cette atmosphère hostile, l’âme tendre, profonde de Serena se repliait. À l’extérieur, la jeune fille donnait peu de signes de sa souffrance. Fière et courageuse, elle la cachait dans le secret de son cœur et ne la confiait qu’à Dieu. Car elle était sérieusement, ardemment pieuse... Ceci encore déplaisait à Mme de la Ridière, qui n’admettait qu’un minimum de religion et entendait que l’on se conformât à ses idées sur ce point-là comme en toutes choses.

Ainsi donc, l’existence de Serena était bien peu heureuse, et la jeune fille ne pouvait songer sans effroi que trois ans la séparaient encore de sa majorité.

Quant à s’adresser à son tuteur pour obtenir qu’il fît cesser cette tyrannie domestique, elle savait, pour l’avoir éprouvée une fois, l’inanité d’une telle démarche. M. Beckford promettait, fort sincèrement, mais il redoutait si bien les récriminations de sa belle-mère que le courage lui manquait avant d’avoir entamé la lutte.

Cet après-midi-là, quand Mme de la Ridière et Simonne furent sorties, Serena alla rejoindre à la buanderie la servante, Léonie, grosse fille rustique et travailleuse, tout récemment entrée au service des Beckford, qui changeaient fréquemment de personnel, ces dames n’ayant pas le caractère facile et montrant de nombreuses exigences. Toutes deux mirent le linge de la dernière lessive dans une large corbeille, qu’elles prirent chacune par une anse ; puis elles se dirigèrent vers le pré, situé à cinq minutes de là, pour l’étendre au soleil.

L’usine d’électricité se trouvait à une courte distance du village de Quévrigny, en pleine campagne. Des prairies, des vergers l’entouraient. Des fermes se montraient entre des bouquets d’arbres. Et, juchée sur une petite élévation de terrain, au-dessus du pré appartenant à l’usine, se dressait, à l’ombre de vieux hêtres, l’antique chapelle de Notre-Dame-des-Grâces.

Le soleil coulait entre les branches, où paraissaient à peine quelques feuilles et se répandait le long des murs noircis, jusque sur le sol couvert d’une herbe fine. Un jeune homme était assis là et dessinait d’une main sûre, en s’interrompant souvent pour songer, ses yeux bruns aux vifs reflets oranges fixés sur la chapelle. Il avait de beaux traits à la fois affinés et virils, une physionomie froide, distinguée et fort intelligente. En le voyant, on songeait aussitôt : « Celui-ci n’est pas le premier venu. »

Il eut un mouvement d’impatience quand, du pré, parvint jusqu’à lui la grosse voix un peu éraillée de Léonie :

– Là, on va avoir une belle lessive, mademoiselle !... Pourvu qu’il ne pleuve pas avant demain !...

Le jeune homme dit entre ses dents :

– Allons, voilà ma solitude finie !... Aussi bien, il est temps que je rentre...

Il ferma l’album posé sur ses genoux et se leva, en développant avec souplesse sa taille svelte et vigoureuse. Un rayon de soleil l’enveloppa, dora ses cheveux châtain clair, fins et soyeux... Le jeune homme se baissa pour prendre son chapeau déposé sur l’herbe, le mit sur sa tête et s’avança vers le petit sentier qui, partant de la chapelle, traversait le pré pour aboutir à la route.

Il s’arrêta un moment, en jetant un coup d’œil au-dessous de lui. Serena et la servante s’occupaient activement à étendre le linge. Mais précisément à cet instant, un jeune chien de Terre-Neuve s’élançait dans le pré et, en gambadant, venait poser sur le linge bien blanc ses grosses pattes maladroites.

Léonie glapit. :

– Oh ! malheur ! Cette sale bête !... Veux-tu bien t’en aller !

La voix pure et harmonieuse de Serena s’éleva :

– Truc, va-t’en vite !... Oh ! le vilain chien !... Non, Léonie, ne lui faites pas de mal !

– Plus souvent que je vais lui laisser salir mon linge !... Ah ! voilà M. Eustache !... Dites donc, monsieur, appelez-le, votre chien !

À l’entrée du pré apparaissait un garçonnet à la mine arrogante. Il rit avec mépris, en répliquant :

– Je le rappellerai si ça me plaît !

– Ah bien ! en voilà du joli !... regardez-moi ça !... Il va falloir que je relave tout mon linge ! Attends un peu, mauvaise bête !

Et, le poing levé, Léonie s’élança vers le chien.

Eustache bondit sur elle, s’agrippa à son bras en criant :

– Je vous défends d’y toucher !... C’est moi qui suis le maître, et je vous défends...

Un mot grossier sortit des lèvres de la servante. Mais déjà Serena avait réussi à saisir par son collier le chien, qui passait à sa portée, et l’emmenait hors de la zone d’étendage.

Eustache, lâchant Léonie, cria d’un ton rageur :

– Laisse-le !... Ça ne te regarde pas !

Elle dit fermement :

– Il ne faut pas compliquer la besogne de Léonie. Sois raisonnable, Eustache.

– Tu me barbes ! Mêle-toi de ce qui te regarde, sotte que tu es !

Il s’élança vers la jeune fille et, brutalement, détacha les fins petits doigts du collier de cuir. Truc, libéré, s’empressa de retourner vers ce linge qui l’attirait, aux cris de fureur de Léonie.

À ce moment, l’étranger, qui considérait avec un intérêt nonchalant cette petite scène, descendit le sentier en quelques bonds souples et vint jusqu’aux deux cousins. En levant son chapeau pour saluer Serena quelque peu interdite, il dit d’une voix brève, s’adressant à Eustache qui le considérait avec surprise :

– Rappelez donc ce chien. Il est inutile qu’il continue ses dégâts.

À l’exemple de leur aïeule, les petits-enfants de Mme de la Ridière pratiquaient la tyrannie à l’égard de tout ce qui était faible ou dépendant, mais se montraient fort souples et obséquieux dès qu’ils avaient affaire à une force ou à une supériorité quelconque. Or l’étranger avait en ce moment un regard dur et autoritaire, qui fit juger prudent à Eustache de baisser pavillon. D’une voix maussade, il appela :

– Truc, viens ici.

Mais Truc piétinait avec délices le linge de Léonie et n’obéit pas à cette injonction.

Le jeune homme dit avec une froideur impérative :

– Allez donc le chercher, cela vaudra mieux.

Eustache obéit, de mauvaise grâce, et, au passage, se donna le plaisir de poser à son tour, sur le linge, ses souliers pleins de poussière.

L’étranger leva les épaules, en murmurant avec une dédaigneuse impatience :

– Une bonne correction ne serait pas de trop pour ce garçon-là.

Puis il tourna son regard vers Serena, en ajoutant. :

– Je crois que toute votre lessive sera à refaire, mademoiselle.

– Je le crains aussi, monsieur :

Elle rougissait en baissant un peu ses cils soyeux.

Le regard de l’étranger n’était ni hardi ni insolent, comme certains qui s’étaient parfois arrêtés sur elle au passage. Néanmoins, elle éprouvait quelque gêne de l’attention très vive qui éclairait ces yeux, fort beaux, tandis qu’ils la considéraient discrètement.

Truc, en gambadant pour échapper à la molle poursuite de son maître, s’en allait vers l’extrémité du pré. Eustache l’y suivit... Le jeune homme dit avec un sourire qui adoucit légèrement sa physionomie froide :

– J’espère que vous voilà débarrassée de ce garnement, mademoiselle.

Il s’inclina courtoisement et s’éloigna d’un pas ferme et souple.

Serena le suivit un instant des yeux, puis se rapprocha de Léonie, qui se lamentait devant son linge maculé.

– Voyez ça, mademoiselle ! La moitié de mon ouvrage à refaire, au moins !... Mais, si ça recommence, je lâche tout ! C’est pas possible de travailler dans ces conditions-là !

– Je vous aiderai, Léonie. Ce ne sera pas très long.

La servante grommela :

– C’est pas une place agréable, pour sûr ! On me l’avait bien dit... Ce garçon aurait besoin d’être mené ferme... Si le jeune monsieur-là était le maître, qu’il le ferait marcher droit, allez !

Son doigt s’étendait dans la direction où s’éloignait la silhouette élégante de l’étranger.

Serena demanda :

– Qui est-il ? Le savez-vous ?

– C’est le nouvel ingénieur à M. Sorbin, une moitié d’Anglais...

– Comment, une moitié d’Anglais ?

– Oui, parce que sa mère était Française, à ce que m’a dit la cuisinière de Mme Sorbin. C’est un jeune homme très bien, mais plutôt fier, et pas causant. Pourtant les ouvriers ne se plaignent pas de lui, parce que, s’il les tient ferme, il est juste pour tout le monde, et puis ils reconnaissent qu’il s’y connaît joliment dans son affaire.

Serena se souvenait, en effet, d’avoir entendu son tuteur, quelques jours auparavant, parler de ce nouvel ingénieur, Ralph Hawton, dont M. Sorbin, le manufacturier, se montrait fort satisfait.

Évidemment, il avait la physionomie d’un homme sachant se faire obéir, et il paraissait fort certain qu’Eustache, mis sous son autorité, aurait dû plier coûte que coûte.

Malheureusement il n’en était rien !... Et son intervention d’homme impatienté par la grossière méchanceté de cet enfant mal élevé n’avait obtenu qu’un demi-résultat.

Un quart d’heure plus tard, Serena, précédant la servante, rentrait au logis par la petite porte du jardin. Comme elle passait devant la fenêtre du salon, la voix de son tuteur l’appela. Elle vint jusqu’au seuil de la porte vitrée où apparaissait M. Beckford.

– Te voilà enfin !... Cette maison est déserte ; je sonnais en vain... Veux-tu nous apporter le thé, ma petite ?

– Oui, mon cousin, tout de suite.

Qui recevait M. Beckford ? Serena, peu curieuse, ne s’attarda pas à le chercher. Elle prépara soigneusement un plateau et se dirigea vers le salon. Quand elle y entra, un homme assis en face de son tuteur se leva pour la saluer, et elle reconnut le jeune étranger de tout à l’heure.

M. Beckford présenta :

– M. Hawton, l’ingénieur de la maison Sorbin... Ma jeune cousine et pupille, miss Dochrane.

Ralph dit d’un ton de surprise :

– Mademoiselle est Anglaise ?

– Par son père et Espagnole par sa mère.

– Ah ! Espagnole !... Oui, surtout Espagnole.

Son regard, discrètement, s’attachait de nouveau au charmant visage auquel montait une teinte rose.

M. Beckford approuva :

– Oui, elle en a le type... Sers-nous le thé, Serena... Vous verrez, elle le fait excellent, monsieur Hawton.

Du regard, Serena cherchait où déposer son plateau, La table à thé avait disparu, employée par Mme de la Ridière ou Simonne à quelque usage hétéroclite. Sur la grande table de palissandre, Mlle Beckford avait étalé des cahiers de musique, pêle-mêle avec les bibelots qui l’encombraient d’ordinaire...

Ralph se leva, en disant :

– Permettez-moi, mademoiselle...

En un instant, ses mains fines et nerveuses avaient adroitement écarté des cahiers, refoulé de menus objets, de telle sorte qu’une place suffisante était faite pour le plateau.

En tout cela, M. Hawton n’avait mis que la courtoisie d’un homme bien élevé devant l’embarras d’une femme, sans qu’on pût discerner chez lui aucun empressement s’adressant à la beauté de Serena.

Mais la jeune fille, si peu accoutumée aux égards dans cette demeure, et si bien tenue à l’écart, ressentit de cette simple attention une surprise mêlée d’émoi... Quand, un peu plus tard, elle se trouva installée devant sa corbeille de raccommodages, elle continua de penser à l’étranger, dont l’allure distinguée, la haute mine et surtout les yeux si beaux l’avaient vivement frappée.

Au dîner, M. Beckford parla de la visite de Ralph Hawton.

– M. Sorbin médite une nouvelle installation électrique, et il m’envoyait son ingénieur pour conférer avec moi à ce sujet. Ne m’ayant pas trouvé à l’usine, le jeune homme est venu jusqu’ici. Je lui ai offert le thé, naturellement...

Simonne l’interrompit :

– Comment le trouvez-vous, papa ?

– Oh ! très, très bien !... Remarquablement intelligent, cela se voit aussitôt, d’esprit vif et pondéré à la fois. Avec cela, un fort beau garçon, qui a des allures de grand seigneur...

– N’est-ce pas ? Je l’avais remarqué, le jour où je l’ai croisé, dans le village.

M. Beckford eut un gros rire, qui gonfla ses joues colorées d’homme très sanguin.

– Ah ! tu l’as déjà remarqué, toi ? Eh ! il est évident que nos jeunes gens du pays – en y comprenant même le beau Morel – feront petite figure près de lui... Ce serait un très chic prétendant pour toi, Simonne.

– Oui, s’il avait un peu de fortune. Avec sa position, qui est susceptible de s’améliorer, cela pourrait aller... Informez-vous donc près de M. Sorbin, papa.

Mme de la Ridière intervint :

– Je m’en occuperai. Ton père est trop maladroit et ne saurait pas tirer des Sorbin tous les renseignements utiles.

– Je crois cependant...

Sans laisser à son père le temps d’achever sa phrase, Simonne déclara :

– Il faudra l’inviter pour le tennis. Pensez-y, papa, dès que vous aurez occasion de le revoir.

– Mais, ma chère, il faudrait auparavant qu’il vous eût fait une visite.

– Eh bien ! engagez-le à la faire ! C’est tout indiqué.

M. Beckford passa lentement la main sur sa barbe blonde, en murmurant :

– Hum !... Je ne sais s’il y sera disposé. Il a un air de froideur, de fierté, qui n’invite pas aux avances...

Mme de la Ridière redressa superbement la tête.

– Comment cela ? Ce petit ingénieur aux gages de Sorbin ne nous trouverait pas dignes de sa visite ? Vous plaisantez, je pense, monsieur Beckford ?

– C’est une supposition. Il est possible qu’au contraire il soit enchanté d’une occasion de se distraire.

Eustache, jusque-là, avait écouté en silence, tout en avalant goulûment deux tranches de gigot. La bouche pleine, il déclara :

– Moi, je ne veux pas qu’il vienne ici, cet Anglais ! Il me déplait !

Sur ce, s’ensuivit une discussion très aigre entre le frère et la sœur. M. Beckford, après avoir essayé de les faire taire, dut se renfermer dans le silence. Mme de la Ridière s’absorbait avec sérénité dans la dégustation d’un plat de légumes, supérieurement réussi par Serena. Simonne et Eustache se turent quand ils le voulurent bien, ainsi qu’ils en avaient coutume.

Et Serena, involontairement, évoqua, dans ce milieu, la froide et hautaine physionomie de l’ingénieur, son élégante distinction, son regard éclairé d’une si profonde intelligence...

Non, vraiment, elle ne se l’imaginait pas trouvant quelque plaisir à des rapports avec Mme de la Ridière et Simonne !

II

Deux jours plus tard, Mme de la Ridière, au retour d’une visite à Mme Sorbin, rapportait les renseignements désirés.

Ralph Hawton, qui appartenait à une excellente famille – sa mère était la dernière descendante d’une vieille maison noble d’Auvergne – n’avait aucune fortune, en dehors de son traitement d’ingénieur. Orphelin, sans parents proches, il vivait seul avec un domestique dans le pavillon affecté à l’ingénieur, près de la fabrique. Mme Sorbin vantait ses qualités sérieuses, mais reconnaissait qu’il existait chez lui une réserve hautaine qui tenait à distance, comme s’il eût souhaité qu’aucune intimité ne s’introduisît dans son existence.

– Donc, comme mari, c’est réglé, conclut Mme de la Ridière. Tu peux faire un mariage autrement bien que ça, au point de vue argent !

– Oui... mais c’est dommage... Enfin, on s’en consolera !

– Tu tâcheras de prendre Morel dans tes filets, quand il reviendra.

– Eh ! Il est capable de faire le difficile, maintenant qu’il a hérité !

M. Beckford, qui écoutait en silence, car cette conversation avait lieu encore pendant le dîner, hocha la tête.

– C’est fort probable. Tes cinquante mille francs de dot lui paraîtront pauvre fretin.

Mme de la Ridière dit aigrement :

– Pourquoi découragez-vous à l’avance cette pauvre petite ? Avec de l’habileté, elle peut fort bien arriver à ses fins.

– Je ne dis pas non... Mais je dois avouer que ce jeune Morel n’est pas le gendre rêvé.

Sa belle-mère l’écrasa d’un regard de dédain.

– Vraiment ?... Vos raisons ?

– C’est un poseur, un paresseux, et on le dit joueur, de mauvaise conduite...

Mme de la Ridière leva les épaules.

– On dit !... on dit ! S’il fallait croire tous les racontars !... Enfin, si celui-là ne vous plaît pas, cherchez pour Simonne un autre bon parti, dans le pays. Où le trouverez-vous ?

– Je ne sais... Mais rien ne presse...

– Ah ! Vous trouvez cela ?... Mais Simonne est d’un tout autre avis, n’est-ce pas, ma petite ? À vingt-quatre ans, on souhaite se trouver casée...

– Certainement, grand-mère, et si Morel me demandait en mariage, je ne ferais pas la fine bouche !

M. Beckford n’objecta plus rien. Au bout d’un instant, il demanda :

– Alors, vous ne tenez plus à la visite de l’ingénieur, maintenant ?

– Mais si, papa ! Avec son grand genre, il fera très bien, comme relation. Et puis, s’il est fort au tennis, ce sera une recrue superbe...

– Je dois le voir demain. J’essayerai donc de lui laisser entendre que vous seriez satisfaites de...

Mme de la Ridière lui coupa la parole, selon sa coutume.

– Tâchez de le faire adroitement, sans avoir l’air de trop y tenir. Je crains que vous ne sachiez pas du tout vous y prendre, mon pauvre ami !

Il est probable, cependant, que M. Beckford se montra bon diplomate, car, la semaine suivante, Ralph Hawton se présentait, vers la fin de l’après-midi, pour rendre visite à Mme de la Ridière.

Précisément, la vieille dame et Simonne, à peine rentrées d’une cérémonie de mariage à Échanville, se trouvaient encore en grande toilette. Cette heureuse coïncidence ravit Mme de la Ridière et lui fit passer sur la froideur passablement altière du jeune Anglais.

Quant à Simonne, elle se montra fort aimable et invita avec insistance l’ingénieur à venir se joindre, aux joueurs de tennis, dans le court installé à dix minutes de l’usine.

Ralph fit une réponse dubitative. Sa visite fut courte, bien que Simonne, décidément conquise, cherchât à le retenir. Mme de la Ridière lui dit en minaudant :

– J’espère que nous aurons la satisfaction de vous revoir quelquefois, monsieur ? Tous les jeudis, j’offre le thé à nos amis, et je compte que vous voudrez bien parfois venir en augmenter le nombre.

– Je suis fort occupé, madame, ce qui me privera malheureusement de ce plaisir...

Il y avait, dans l’accent du jeune homme, dans le sourire qui entrouvrait ses lèvres, une forte dose d’ironie. Mais ni l’aïeule ni la petite-fille ne s’en aperçurent. Mme de la Ridière protesta :

– Oh ! il faut prendre quelques distractions... À votre âge ! L’existence n’est pas déjà si gaie, dans ce petit pays !

Après le départ de l’ingénieur, Mme de la Ridière résuma par ces mots son impression sur lui :

– On ne peut pas dire qu’il soit très aimable... mais il est si bien qu’il fera bon effet, au milieu de nos amis. Qu’en dis-tu, Simonne ?

– C’est aussi mon avis, grand-mère. Il a un chic !... Morel va faire un nez, en le voyant ! Il est affreusement jaloux de tous ceux qui sont mieux que lui.

Mme de la Ridière songea un moment, en tapotant du bout de ses gros doigts les cheveux jaunes qui tombaient en bandeaux sur ses oreilles.

– En faisant des avances à cet étranger, tu le piquerais peut-être au jeu, Morel, de façon qu’il se déclare ?

– Oui, ce serait à essayer... Et puis, je veux le rendre plus aimable, ce bel ingénieur ! Il a des yeux superbes, avez-vous remarqué, grand-mère ?... Par exemple, je le soupçonne de n’avoir pas une nature très facile ! Et peut-être que, en tant que mari, il n’aurait pas été fort agréable.

Après un instant de songerie, Simonne conclut :

– Dommage, vraiment !... tout à fait dommage !

Sur la route conduisant de l’usine à la fabrique Sorbin, Ralph marchait sans hâte, la mine pensive. Autour de lui, la lumière déclinante quittait les prés déserts, les vergers où paraissaient les premières feuilles. L’horizon prenait des tons de lilas pâle, et la fraîcheur se faisait plus humide à l’approche du crépuscule.

Une lueur d’intérêt apparut tout à coup dans le regard songeur de Ralph. Sur le chemin qu’il suivait se montrait une fine silhouette de femme, à la démarche singulièrement harmonieuse. À mesure qu’elle approchait, l’ingénieur distinguait mieux la robe très simple, bien coupée, mais dont l’étoffe était fanée, le chapeau garni d’un nœud posé avec goût, le visage ambré, d’une si délicate pureté de traits, et ces yeux noirs aux douceurs de velours, qui eussent suffi, à eux seuls, pour attirer les regards sur Serena Rochrane.

Elle portait un panier qui semblait assez lourd. Au passage, elle rougit légèrement, en répondant au salut de l’ingénieur. Celui-ci, du même pas tranquille, continua sa route. Près de la fabrique, il croisa Mme Sorbin, une femme d’une cinquantaine d’années, dont les cheveux, prématurément blanchis, encadraient un visage doux et bon.

Elle dit aimablement, en tendant la main à Ralph :

– Vous revenez de promenade, monsieur ?

– Non, d’une visite, madame. J’ai été voir la belle-mère de M. Beckford.

– Ah ! bon !... Eh bien ! vous plaît-elle ?

Ralph eut un léger rire de raillerie dédaigneuse.

– J’ai vu des vieux tableaux mieux réparés que celui-là...

Mme Sorbin rit à son tour.

– Je devine que vous êtes comme mon mari, qui ne peut la souffrir... Moi non plus, d’ailleurs, je n’ai pour elle aucune sympathie. Rien n’est plus odieusement ridicule que ces coquettes surannées. En outre, elle a élevé déplorablement ses petits-enfants, et, ainsi que je vous le disais l’autre jour, quand vous m’avez interrogée au sujet de cette famille, elle se montre fort mauvaise à l’égard de la charmante pupille de son gendre, qu’elle traite en subalterne et oblige à un travail continuel, sans la moindre distraction.

– Sur ce point, le tuteur a sa large part de responsabilité.

– Oui, évidemment. Je le lui ai donné à entendre, un jour. Il a fait celui qui ne comprend pas, et je n’ai pas osé insister.

– Vous voyez quelquefois cette jeune fille, madame ?

– Oui, parfois, à l’église. Je lui adresse quelques mots, en sortant, et il arrive que nous fassions route ensemble. Elle est ravissante ! Intelligence, bonté, délicatesse du cœur, elle paraît posséder tout cela.

– En ce cas, elle doit souffrir près des deux femmes que je viens de voir ! De ces qualités d’esprit et de cœur que vous énumérez, Mme de la Ridière et sa petite-fille paraissent n’avoir pas la moindre trace.

– Je le crains, en effet !... Et il est bien certain que la pauvre petite – qui ne se plaint cependant pas – est très malheureuse... Je voudrais la marier pour l’enlever à ce milieu. Elle fera une compagne si parfaite, pour l’homme heureux qui la choisira !

Ralph eut un sourire d’ironie froide en ripostant :

– Elle serait peut-être comme tant d’autres : coquette, inconstante, affamée de luxe et de plaisirs, se jouant sans pitié de celui qui lui donnerait son cœur.

Une vive surprise apparut dans le regard de Mme Sorbin.

– Oh ! monsieur !... êtes-vous donc si défiant à l’égard des femmes ?

– Très défiant, madame.

– Mais c’est fort triste !... Cependant, il en est de bonnes, de dévouées jusqu’à la mort...

– Oh ! Je le reconnais !... Mais il en est d’autres aussi, et, malheureusement, quand on a rencontré de celles-là, on ne peut plus retrouver ses illusions ni sa confiance...

Sur ce, il s’inclina pour prendre congé de Mme Sorbin et s’éloigna, suivi des yeux par la femme du manufacturier, qui songeait :

« Il a eu quelque déception sentimentale, évidemment. Il faudrait qu’il pût aimer de nouveau... une jolie créature comme cette petite Serena, par exemple. Mais elle est trop pauvre, malheureusement, pour lui qui n’a pas de fortune !... Et puis, la rendrait-il heureuse ? Après tout, je ne connais de lui que ce qu’il veut bien en laisser voir. Je crains qu’il soit de caractère froid, autoritaire... peut-être un peu dur... Et, de son existence antérieure, nous ne savons que bien peu de chose, car il garde, sur tout ce qui le touche personnellement, une réserve infranchissable. »

*

La semaine suivante, Ralph Hawton parut au tennis.

Morel était revenu de recueillir l’héritage de sa tante. Il arborait un costume nouveau, à rayures blanches et noires, la dernière nouveauté, et toisa avec quelque dédain l’ingénieur, vêtu d’un complet de flanelle qui n’en était pas à son premier nettoyage.

Néanmoins, la partie féminine de l’assemblée accorda aussitôt toute son attention au bel Anglais, qui portait ce costume fané avec la plus aristocratique aisance... Et ce fut de l’emballement quand on vit de quelle façon magistrale jouait le nouveau venu.

Morel qui, jusque-là, récoltait tous les succès blêmissait de rage. Simonne, s’en apercevant, affecta encore davantage de n’avoir d’yeux que pour l’ingénieur, près duquel ses amies rivalisaient d’empressement. Ralph recevait toutes ces amabilités avec une réserve courtoise, mêlée de quelque ironie. La partie terminée, il accepta d’aller prendre le thé à la maison Beckford, où Mme de la Ridière, en robe de foulard groseille, l’accueillit avec la plus flatteuse amabilité. Serena ne parut pas. Mais la table dressée dans la salle à manger avait été préparée par ses soins, et le bouquet qui en ornait le centre était l’œuvre de ses mains adroites... Ce qui n’empêcha pas Simonne, comme une de ses amies l’admirait, de déclarer qu’elle en était l’auteur.

Aussitôt Morel, désireux de reprendre avantage sur cet Anglais hautain, déclara d’un ton de componction :

– Vous êtes une fée, mademoiselle !

III

Chaque année, pour son anniversaire de naissance, Mme de la Ridière donnait un grand dîner.

Il y avait, à ce propos, branle-bas plusieurs jours à l’avance, et Serena, pour l’avoir expérimenté l’année précédente, savait quel surcroît de fatigue lui apporterait encore ce repas de cérémonie.

Mme de la Ridière, gourmande et vaniteuse, entendait ne regarder à rien pour ce jour-là. Elle discutait longuement le menu avec Simonne et Eustache – M. Beckford n’ayant au chapitre qu’une voix sans influence – et finissait par faire sur sa liste un amalgame de plats dont le chef de l’Hôtel des Normands, qui confectionnait le dîner, éliminait pour le moins la moitié.

Naturellement, des toilettes neuves étaient de rigueur pour l’aïeule et la petite-fille. Elles étaient combinées longtemps à l’avance, mais ces dames ne se décidaient complètement qu’à la dernière limite, ce qui provoquait un affolement et un travail fiévreux, de jour et de nuit, dans l’atelier de Mlle Loutre, la meilleure couturière d’Échanville.

Cette année, Mme de la Ridière choisit une soie jaune d’or à rayures violettes, d’un goût plus que douteux, et Simonne jeta son dévolu sur un des modèles les plus excentriques qui se trouvât dans la collection des gravures de Mlle Loutre.

Sur la liste des invités, ces dames inscrivirent le nom de Ralph Hawton, à la vive surprise de M. Beckford.

– Comment, lui ?... Mais vous le connaissez à peine. Il ne vous a fait qu’une seule visite...

– Qu’importe ! À la campagne, il n’y a pas besoin de tant de cérémonies ! déclara Mme de la Ridière. Ce jeune homme fera très bien parmi nos invités.

– S’il accepte.