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Extrait
| I
Dans la salle du Chapitre, elles étaient toutes réunies autour de l’abbesse, les religieuses en robe blanche, en long manteau noir. Par les fenêtres étroites et longues, haut placées dans les embrasures profondes, la lumière des jours d’été entrait, en se colorant de rose vif, d’ocre pâle, d’azur et de vert ardent, au passage des vitraux du seizième siècle, œuvre d’un artiste anonyme. Des feuillages, agités au dehors par une forte brise, déplaçaient sans cesse ces clartés multicolores qui semblaient se jouer sur le pavement de la salle, sur les bancs de chêne noirci, sur les robes et les visages des religieuses. L’abbesse était enveloppée d’une rayonnante auréole couleur d’espérance, la sainte Mère Marguerite de l’Incarnation, dont les yeux angéliques semblaient déjà contempler la cité divine, baignait dans l’azur, et le doux visage recueilli de Mère Marie-Madeleine de la Croix apparaissait environné d’une pourpre éblouissante.
Toutes attendaient avec un émoi secret la communication qui allait leur être faite. Elles en pressentaient la nature. Et la physionomie altérée de l’abbesse, cette façon de les regarder, longuement, avec des yeux d’angoisse et de tendresse, leur disait, avant que les lèvres eussent parlé :
– C’est fini. Mon dernier espoir s’est évanoui.
Oui, c’était fini. Elles devaient se séparer, chassées de ce couvent, leur bien, par une loi spoliatrice. Elles devaient s’en aller, comme des bannies, pauvres femmes dont plusieurs n’avaient plus de toit qui pût les recevoir. Et, parmi les autres, combien seraient accueillies à contrecœur, comme une gêne, un fardeau ?..|
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Veröffentlichungsjahr: 2020
I
II
III
LA VOIE DIVINE
DELLY
LA VOIE DIVINE
roman
Raanan Editeur
Livre 647 | édition 1
Dans la salle du Chapitre, elles étaient toutes réunies autour de l’abbesse, les religieuses en robe blanche, en long manteau noir. Par les fenêtres étroites et longues, haut placées dans les embrasures profondes, la lumière des jours d’été entrait, en se colorant de rose vif, d’ocre pâle, d’azur et de vert ardent, au passage des vitraux du seizième siècle, œuvre d’un artiste anonyme. Des feuillages, agités au dehors par une forte brise, déplaçaient sans cesse ces clartés multicolores qui semblaient se jouer sur le pavement de la salle, sur les bancs de chêne noirci, sur les robes et les visages des religieuses. L’abbesse était enveloppée d’une rayonnante auréole couleur d’espérance, la sainte Mère Marguerite de l’Incarnation, dont les yeux angéliques semblaient déjà contempler la cité divine, baignait dans l’azur, et le doux visage recueilli de Mère Marie-Madeleine de la Croix apparaissait environné d’une pourpre éblouissante.
Toutes attendaient avec un émoi secret la communication qui allait leur être faite. Elles en pressentaient la nature. Et la physionomie altérée de l’abbesse, cette façon de les regarder, longuement, avec des yeux d’angoisse et de tendresse, leur disait, avant que les lèvres eussent parlé :
– C’est fini. Mon dernier espoir s’est évanoui.
Oui, c’était fini. Elles devaient se séparer, chassées de ce couvent, leur bien, par une loi spoliatrice. Elles devaient s’en aller, comme des bannies, pauvres femmes dont plusieurs n’avaient plus de toit qui pût les recevoir. Et, parmi les autres, combien seraient accueillies à contrecœur, comme une gêne, un fardeau ?
Dans la grande salle ensoleillée, la sentence, attendue cependant, fit frissonner toutes les victimes. Un silence d’effroi et de douleur y répondit d’abord. Puis on entendit un sanglot. Mère Cécile de Jésus, dont la profession datait de quelques mois seulement, n’avait pu contenir le chagrin de son cœur de vingt ans qui s’était donné à l’Époux divin.
Alors toutes entourèrent l’abbesse. Elles pleuraient et demandaient :
– N’y a-t-il plus rien à faire, ma Mère ?
– Hélas ! non, mes pauvres enfants ! Il ne nous reste qu’à prendre les meilleures dispositions possibles pour chacune de vous.
Un peu à l’écart se tenaient Marie-Madeleine et Marguerite de l’Incarnation. Celle-ci, immobile, regardait le grand Christ suspendu au-dessus du fauteuil abbatial. Elle ne pleurait pas. Son visage trop blanc, émacié par les souffrances d’une maladie de cœur, frissonnait un peu, et ses yeux priaient :
– Seigneur, emmenez-moi avec vous !
Sur les joues de Marie-Madeleine, des larmes glissaient, tombaient ensuite sur la guimpe empesée. La jeune religieuse avait pris son chapelet à deux mains, et sur lui elle joignait ses doigts tremblants. Dans ses yeux, d’un bleu lumineux de beau ciel d’été, une détresse infinie passait. Elle murmura :
– Partir !... Partir ! Ô mon Dieu !
*
Successivement, ce jour-là, chaque religieuse fut appelée dans la cellule de l’abbesse. Il fallait prendre les dispositions nécessaires, écrire aux familles, pour celles qui en avaient, voir à trouver un asile pour les autres. Une des dernières, Marie-Madeleine entra dans la petite pièce blanchie à la chaux, où l’abbesse se tenait assise, très pâle, se raidissant pour dominer sa souffrance afin de mieux consoler celle de ses filles et de les fortifier. D’un geste doux, elle posa sa main sur la tête de Marie-Madeleine qui s’agenouillait en levant vers elle ses yeux douloureux.
– Relevez-vous, ma chère fille. Il faut être courageuse. Dieu sera toujours avec vous...
Un sanglot vint à la gorge de la jeune religieuse.
– Ô ma Mère, quitter notre couvent !... Vous quitter !... C’est impossible !
– Dieu le permet. Il nous donnera les grâces nécessaires pour ne pas défaillir, pour rester fidèles à notre sainte vocation... Allons, ma chère enfant, regardons bien en face l’avenir, et voyons ce que nous pouvons faire pour vous. Ces cousins du Jura, votre seule famille ?
Marie-Madeleine eut un mouvement d’effroi.
– Ô ma Mère, je ne puis leur demander quelque chose ! M. de Bertrave a été si dur, si indifférent pour ma pauvre mère, sa cousine ! Bien souvent, elle me l’a dit. Et je ne le connais pas.
– Vous n’avez pas le choix, ma pauvre enfant. Votre avoir est peu de chose, en admettant encore qu’on puisse le retirer des griffes du liquidateur, ce qui demandera un certain temps. On parle bien de nous faire une pension ; mais je n’y compte guère. Donc, il faut de toute nécessité vous adresser à ces parents, qui sont riches, m’avez-vous dit.
– Mais ne puis-je travailler ? Je brode assez bien, je peins...
– La concurrence est si grande ! Une pauvre petite sans expérience, comme vous, serait écrasée dans cette lutte pour la vie. Et puis, votre santé est frêle, Marie-Madeleine. Il faut encore compter avec cela. Croyez-moi, écrivez à votre parent. Selon le ton de sa réponse, nous déciderons alors.
Marie-Madeleine appuya ses mains contre sa poitrine, comme pour comprimer un sursaut de son cœur, et dit d’une voix tremblante :
– J’écrirai, ma Mère.
*
Michelle de Gazan était la fille unique née du mariage d’Agnès de Bertrave avec le baron de Gazan. Celui-ci, jeune officier sans fortune et cerveau brûlé, eut tôt fait de dissiper au jeu la belle dot de sa femme. Mme de Gazan, après huit ans de mariage, se trouva veuve, le brillant capitaine ayant fait une chute mortelle à un concours hippique. Elle vécut dès lors petitement, en se consacrant à l’éducation de sa fille. Michelle venait d’avoir seize ans lorsque la santé de sa mère, très altérée à la suite de soucis de tous genres, s’affaiblit de telle sorte qu’elle lui inspira les plus vives inquiétudes. Mme de Gazan se sentait perdue. Réunissant ses dernières forces, elle écrivit à une vieille tante de son mari, religieuse à l’abbaye de Sainte-Thècle, pour lui confier sa fille. Après cela, elle mourut, résignée, en bénissant Michelle.
Mère Thérèse ayant répondu qu’elle attendait la jeune fille, celle-ci partit aussitôt, laissant le soin de régler ses minces intérêts à un ami de son père, car l’unique parent de Mme de Gazan, le vicomte de Bertrade, ne s’était pas dérangé pour les obsèques et refusait la tutelle. Dans la calme atmosphère de l’abbaye, la douleur de Michelle s’apaisa peu à peu. Elle goûta très vite la paix du cloître, la douceur du renoncement, de la piété, des louanges qui s’élèvent vers le Seigneur, pendant les longs offices et les oraisons. Un jour, – elle venait d’avoir dix-sept ans, – elle demanda la faveur de prendre rang parmi les moniales de Sainte-Thècle. Après l’épreuve du noviciat, elle fit profession, quelques jours avant que Dieu rappelât à lui la bonne vieille Mère Thérèse, tout heureuse d’avoir vu les noces mystiques de sa chère petite-nièce avec le Seigneur dont elle-même avait été la fidèle servante depuis sa jeunesse. Six ans avaient passé, six ans de calme, de joie pure, de ferveur heureuse. Jamais un regret n’avait effleuré l’âme de Michelle, devenue Marie-Madeleine de la Croix. Le Dieu auquel elle s’était donnée sans réserves lui rendait au centuple tous ses sacrifices, ainsi qu’il l’a promis.
Mais ce bonheur était fini. Marie-Madeleine se trouvait rejetée dans le monde, seule, sans expérience. Il lui fallait quitter le cloître paisible, ses Sœurs si chères et cette Mère qui l’avait guidée dans la vie religieuse avec tant d’affectueuse fermeté.
À la lettre qu’elle avait écrite à M. de Bertrave, une réponse fut faite presque aussitôt. Elle était conçue en ces termes :
« Ma chère cousine,
« Je n’ai pas à vous dissimuler – mais peut-être le savez-vous ? – que j’ai eu de graves dissentiments avec votre mère, au moment de son mariage. Il s’ensuit donc que j’ai peu de raisons d’être bien disposé à votre égard. Cependant je reconnais impossible de laisser une parente dans le besoin. Mais mes moyens pécuniaires, fort réduits, ne me permettent autre chose que de vous offrir le gîte et le couvert, dans ma vieille maison de Serpignade, avec une modeste somme pour votre entretien. Si cela vous convient ainsi, venez quand vous le voudrez. Je vis là avec ma petite-fille et mes trois arrière-petits-enfants. Nous sommes des solitaires, et vous n’aurez à craindre aucune dissipation.
« Mais, par exemple, – de ceci je dois vous avertir loyalement, – vous ne trouverez autour de vous que des incroyants. Personne, chez nous, ne fréquente l’église. Naturellement, vous resterez libre d’agir à votre guise sur ce point-là et de pratiquer toute votre religion, car nous ne sommes pas des sectaires, comme ceux qui vous renvoient.
« Voici tout ce que je puis vous offrir, ma chère cousine. Ayez l’amabilité de me faire savoir si vous acceptez et m’écrire deux jours à l’avance la date de votre arrivée.
« Veuillez croire, je vous prie, à mes sentiments dévoués.
« Ludovic de Bertrade. »
Le premier mouvement de Marie-Madeleine fut de s’écrier :