Le bonheur se cache sous le sable - Christelle Dumarchat - E-Book

Le bonheur se cache sous le sable E-Book

Christelle Dumarchat

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Beschreibung

Khalid Ben Khamsin a tenu sa promesse et a épousé Julie afin que son frère aîné Kassem puisse se marier avec Annie. Mais cette jeune femme, qu'on lui avait décrite comme terne et peu intéressante, se révèle pleine de surprise. Le bonheur est-il à la clé de leur histoire ?

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Seitenzahl: 238

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Sommaire

Prologue

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Épilogue

Prologue

Je le rencontre enfin.

Cela fait quelques jours que j’attends et redoute cet instant. Cependant, je n’ose lever mes yeux vers lui. On m’a tant répété que je devais être respectueuse, me tenir correctement, ne parler que si j’en avais l’autorisation… Comme si j’étais encore une gamine !

Il est clair que je n’ai aucun désir de me marier de cette manière. Je souhaite vraiment toute autre chose qu’une union arrangée qui ne bénéficiera qu’à mon beau-père, en l’alliant avec cette prestigieuse et ancienne famille égyptienne. Toutefois, je ne peux rien y faire. Et surtout, je n’ai pas mon mot à dire. D’ailleurs, je n’ai plus mon mot à dire depuis longtemps !

— Julie ! Je suis heureux de vous rencontrer.

Sa voix est amicale, mais son visage l’est-il ? Je n’ai vu de lui que des représentations avec le costume traditionnel, et rarement de près. Je sais qu’il est brun, mais pour le reste… Je suis face à un total inconnu.

— Moi aussi, murmuré-je, alors que mon cœur bat la chamade.

Je le dévisage enfin pour croiser un regard très doux, d’un chocolat intense dans un visage mat et… très beau. La photo que j’ai pue voir de lui ne lui rend pas justice. Néanmoins, que va-t-il penser de moi ? J’espère ne pas trop le décevoir. J’ai appris, par une allusion d’une de mes duègnes, qu’il était à l’initiative de cette première rencontre, l’ayant donnée comme condition à ce mariage. Certes, je sais que je suis assez jolie avec mes longs cheveux châtains, qui pour le moment sont retenus dans un sévère chignon, et mes prunelles grises, mais somme toute je me trouve quand même quelconque. Je n’ai pas non plus une taille très grande. Pourtant, son regard pétille et son sourire est toujours présent, il s’est même élargi devant le mien hésitant.

— Venez, je vais vous conduire auprès de votre future bellesœur. Nous ne pouvons pas faire attendre la mariée ! déclare-til d’un ton allègre.

Sa haute silhouette nous précédant, Khalid nous oriente vers un groupe de femmes. La future mariée, reconnaissable à sa robe chamarrée, adresse un grand sourire à mon fiancé. Elle est vraiment ravissante et le bonheur transparaît sur son visage, son regard étincelle. En cet instant, je l’envie un peu. Après tout, elle va épouser l’homme qu’elle aime ! Un homme qu’elle a choisi et qui la également choisit.

Elle me salue en anglais et son attitude est très amicale. Lorsqu’elle me tend la main, je n’ose répondre à son geste, craignant la réaction des suivantes diligentées par mon beaupère. Khalid fait les présentations, et je me rends vite compte qu’il apprécie beaucoup sa future belle-sœur, car il y a une grande affabilité dans sa voix quand il lui parle. Sur le moment, au fond de moi, j’espère que nous nous entendrons bien. Après tout, elle est française comme moi, et même si je n’ai pas revu ma patrie depuis plus de dix ans, en converser pourrait nous rapprocher sur un point commun.

J’ai déjà été en mesure de rencontrer mon futur beau-père et ma future belle-mère à mon arrivée à l’aéroport, où leur accueil a été très cordial. Rahma m’a paru très compréhensive. Elle aurait d’ailleurs souhaité que je dorme au palais de Louxor, afin que je voie cette demeure où je vais résider et pour qu’elle puisse mieux me connaître, ainsi que Khalid par la même occasion. Cependant, mes duègnes avaient refusé et avaient préféré un hôtel, prétextant qu’elles avaient des ordres en ce sens, mon beau-père ayant réservé.

Après une nuit pleine d’incertitude, sous bonne garde, je suis soulagée d’être là, et plus seulement avec ces deux femmes qui sont le plus souvent mutiques envers moi, mais dont le regard pesant suffit à doucher mon enthousiasme ou à m’intimer de rester silencieuse.

Nous nous séparons de la jeune femme pour rejoindre les personnes présentes à la cérémonie dans cette vaste cour du lieu de résidence de l’oncle de Khalid, à Al Kharga.

Comme mes deux suivantes commencent à nous talonner, mon fiancé se tourne vers elles et leur dit d’un ton coupant :

— Je pense que votre rôle s’arrête ici. Ma promise ne court aucun risque. Merci !

— Mais Monseigneur, on nous a ordonné de ne pas la quitter ! s’offusque Noura.

Mes deux suivantes ne savent plus sur quel pied danser face à l’attitude de Khalid, car je vois mon fiancé se hausser de toute sa taille et leur asséner d’une inflexion qui ne souffre aucune réplique :

— Suffit ! Cette jeune femme est sous la protection de mon oncle, le chef de notre famille, dans sa demeure. Et je n’ai pas non plus envie qu’Annie soit observée comme un rat de laboratoire en ce jour festif, puisque je me doute que c’est aussi votre rôle. Donc je vous renouvelle mes remerciements, et je vous fais également la promesse de vous ramener ma fiancée dès que la cérémonie sera achevée à l’hôtel. J’avais été clair : je souhaitais qu’elle puisse rencontrer tout le monde, et aujourd’hui tous les membres de ma famille et mes amis seront présents. Laissez-nous !

Elles ne peuvent qu’obéir, comme statufiées face à l’autorité qu’il dégage en cet instant.

C’est la première fois que j’entends quelqu’un intervenir en ma faveur depuis longtemps. Et je ne suis pas mécontente de cela. Mes duègnes commencent sérieusement à me taper sur les nerfs depuis le début du voyage. Elles sont toujours derrière moi à me dire de ne pas faire ceci ou cela, de me comporter ainsi, enfin de ne pas faire honte à la famille de mon beau-père. Face à leur expression stupéfaite, j’ai envie de réagir comme une enfant, mais leur tirer la langue ne serait pas de bon goût, surtout un jour de mariage.

Et de ce mariage, l’amour transpire.

Je connais la réputation de Kassem, le frère de mon fiancé Khalid. J’avais eu l’occasion de voir les couvertures de magazines qui contaient son parcours de play-boy, et lorsqu’on m’avait annoncé que je me marierais avec lui, cela m’avait inquiétée. C’est un homme d’affaires à la renommée intraitable, et surtout un séducteur. Néanmoins, je peux constater qu’il aime cette jeune femme sincèrement. Il y a tant de tendresse dans la façon dont il la regarde, tant de prévenance dans ses gestes envers elle. Cette union est tout sauf un caprice, comme le pense mon beau-père. C’est une évidence pour toutes les personnes présentes.

Après l’arrivée traditionnelle des fiancés, la cérémonie est chargée d’émotion, même si ce ne sont que quelques mots prononcés par l’imam. Elle me touche, car elle me renvoie à mon avenir, sachant que dans mon cas, il n’y aura rien de tout cela.

Une fois que les mariés partent, je suis obligée de faire de même, bien que mon futur beau-père ait émis le désir que je reste un peu plus. Je suis remplie de regret de laisser de côté la bonne ambiance derrière moi et de ne pas mettre à profit ces instants pour mieux connaître mon fiancé, car celui-ci n’a pas le droit de m’accompagner sur le chemin de l’hôtel, me doutant que le but est aussi de nous empêcher de discuter plus amplement. D’ailleurs, à peine entrée dans ma chambre, je trouve mes affaires prêtes. Je comprends que nous n’attendrons pas davantage pour partir.

Sur le trajet qui mène à l’aire d’atterrissage, après que nous nous soyons changées à l’hôtel, je prends conscience que pour mon mariage, ce sera différent.

Très différent…

La tristesse m’envahit.

Ainsi que la solitude.

Chapitre 1

Dans ce jet qui me mène à Louxor, je ne sais que penser.

Je suis mariée.

La cérémonie a été rapide et réduite au minimum. Pas de fête, pas de robe, rien… Un morceau de papier signé, et un échange d’alliances prompt, puis expédiée sans paquet cadeau.

Et maintenant, je vole vers mon nouveau destin.

Le constat est amer, cependant mon beau-père est dorénavant débarrassé d’un objet devenu trop encombrant.

J’ai cru comprendre que cette façon de faire n’avait pas été du goût de ma belle-famille dont l’inclination allait vers quelque chose de plus familial. Ils auraient également voulu repousser le mariage pour que leur fils aîné et son épouse soient présents, ceux-ci étant en voyage de noces. Mais ils n’avaient pas pu faire valoir leur préférence en la matière. Pour Rachid, mon beau-père, tout était organisé et il ne souhaitait rien modifier à ce qu’il avait prévu. Déjà que je ne m’unissais pas avec le fils aîné comme cela aurait dû être le cas ! Alors changer la date de la cérémonie était impensable pour lui. De plus, j’avais aussi entendu des mots très durs au sujet d’Annie, la conjointe de Kassem, française et enseignante. Pour ma part, j’ai en tête l’image d’une jeune femme jolie et aimable, très différente de la femme veule dont ils brossaient le portrait.

Les Ben Khamsin avaient conservé une attitude polie tout au long de leur rapide séjour. Pourtant, à voir l’expression de l’oncle de mon époux, Sharif, le chef de cette famille, j’avais compris qu’il était de très mauvaise humeur. Néanmoins, chaque fois qu’il m’adressait la parole, c’était toujours avec gentillesse. Cet homme savait faire la part des choses et avait conscience que je n’étais nullement responsable de cet état de fait, que je subissais également les conjonctures. Sans compter que mon attitude renfermée était assez explicite sur ce que je ressentais.

Rahma n’avait vraiment pas apprécié non plus, et si elle n’avait rien dit, la froideur avec laquelle elle avait de temps à autre répondu à mon beau-père, ou à ma mère, était révélatrice de ses sentiments. De son côté, Khalid avait été tel que je l’avais vu la première fois. Aussi gentil et prévenant. Lorsqu’il avait passé l’alliance à mon doigt, il m’avait souri, et la chaleur de sa paume m’avait apporté du réconfort.

Cela avait été pareil au Caire où nous avions passé une nuit dans la maison qu’il y possédait. Je n’avais pas vu grand-chose de cette demeure, car j’étais épuisée. Toutes ces nuits blanches à penser à cette future nouvelle vie et avoir subi un tel ascenseur émotionnel étaient la cause de cet état. Manifestement, cela avait été visible, puisque je n’avais même pas terminé le repas que l’on m’avait conduite dans cette chambre aux coloris rose pâle et écru. J’y avais dormi seule, ne sachant que spéculer de ce refus émanant de mon mari, avec lequel je n’avais échangé que quelques mots, de partager avec moi son lit, bien qu’au fond, j’en aie été soulagée. Il y avait ensuite eu ce voyage supplémentaire en avion pour Louxor qui concluait ce périple et ces deux derniers jours.

Je soupire et pose ma tête contre le dossier.

— Tout va bien ?

Je me tourne vers ma belle-mère, assise à côté de moi. Cette femme est vraiment adorable ! J’ai aussi compris qu’elle avait eu droit à un mariage similaire, mais manifestement cela avait abouti à une union réussie. C’est sans doute pour cette raison qu’elle se montre tellement bienveillante à mon égard.

— Oui, murmuré-je.

— Nous sommes bientôt arrivés. Tu pourras te reposer.

Depuis notre départ, elle avait opté directement pour le tutoiement avec moi, souhaitant probablement me donner une place dans cette famille. Et les deux sœurs de Khalid avaient vite fait de même. Elles étaient si vives ! Mon beau-père avait été choqué par leur comportement gai et turbulent qu’il avait jugé malséant. Pour moi, elles étaient juste jeunes, et de toute façon elles s’étaient promptement calmées en croisant le regard de leur père, plus amusé que désapprobateur. Pendant le voyage de retour, elles étaient redevenues fidèles à ellesmêmes, bavardant et plaisantant. Toutefois, comprenant ma lassitude, elles m’avaient laissée tranquille sur quelques mots pleins d’amabilité.

Oh ! Ce n’est pas mon premier vol en jet, mais cette fois-ci c’est différent : je vais vivre avec un homme que je ne connais pas, ou si peu, et dans un pays totalement étranger, ne pouvant pas considérer que notre rencontre pendant le mariage de Kassem m’en a donné une idée précise. Et encore moins mes recherches dans les livres. Par son histoire, Louxor est une ville fascinante. Il y a tout le côté carte postale et archéologique, seulement là je ne m’y rends pas en touriste, mais je vais devoir y trouver ma place dans une famille que je découvre très unie, alors que je ne suis qu’une pièce rapportée imprévue. Durant le reste du trajet, je demeure donc silencieuse, pensive.

À Louxor, notre groupe se partage en trois : Sharif et son épouse partent dans un gros 4X4, mon beau-père et sa famille dans une limousine, alors que mon mari me guide vers une berline marine d’où sort un chauffeur, m’expliquant qu’ils ont des achats à faire dans la ville. Cependant, je devine qu’ils souhaitent uniquement nous laisser seuls.

Et nous nous mettons en route. Tous les deux, ensembles pour la première fois, seuls pour la première fois.

En silence, nous traversons la ville, puis nous bifurquons dans une rue qui mène vers le désert. Les demeures qui nous entourent sont assez luxueuses et d’une autre époque pour la plupart. Il s’agit manifestement d’un quartier aisé. Ensuite, la voiture ralentit à l’abord d’un haut mur blanc percé de moucharabiehs.

Comme Khalid m’avait expliqué que nous vivrions dans son appartement pendant le voyage, je suis plutôt surprise lorsque nous passons sous une arcade pour nous approcher d’un groupe de bâtiments très anciens, ocre pour une grande part, qui pour moi doit constituer la résidence, ou plutôt le palais de son père.

— Où allons-nous ? m’enquiers-je.

Khalid me répond avec affabilité :

— Chez mon père.

Cette assertion me déstabilise :

— Vous aviez parlé d’un appartement !

— Tu as parlé… Il sera plus simple de nous tutoyer, affirme-t-il avec douceur et un léger sourire. Le vouvoiement me paraît un peu… obsolète dans un couple. Enfin, pour en revenir à ma demeure, avec mon frère, nous avons décidé, il y a quelques années, de transformer l’ancien harem, qui ne servait plus depuis fort longtemps, en trois logements. Nous occupons chacun un côté, celui du milieu est réservé aux invités, ou à notre cousin.

— L’ancien harem ! m’exclamé-je avec stupéfaction.

— Oui, mon arrière-grand-père ne l’utilisait déjà plus au siècle dernier, explique-t-il avec un sourire qui s’élargit. Donc, comme cela faisait un certain nombre d’années que ce bâtiment ne servait plus à rien, nous en avons fait notre lieu de vie. Kassem partage son existence entre le désert, où il possède une oasis, et ici. Pour ma part, je suis propriétaire de l’appartement du Caire dans lequel nous avons fugacement résidé hier soir et qui est un pied-à-terre commode pour mes affaires. Nous y reviendrons d’ailleurs la semaine prochaine, et tu pourras ainsi le découvrir plus amplement. Nous avions aussi envie de laisser notre père tranquille au palais. De plus, si nos petites sœurs sont adorables, elles sont parfois envahissantes. Elles viennent nous rendre visite, mais ici elles frappent !

Ayant été confrontée à ces jeunes filles, je comprends ce qu’il veut dire.

— Je vois, murmuré-je.

— Enfin, nous ne resterons que peu de temps au Caire. Lors des prochains mois, j’ai des affaires à régler avec mon père et Kassem.

— Pourquoi ?

— Mon père commence à partager ses biens. Alors nous devons nous occuper de cela avec mon frère. Sans compter qu’il faut que nous gérions aussi les parts que vont recevoir nos sœurs.

— Elles vont recevoir des parts ? m’écrié-je.

— Bien sûr ! Jihane entame ses études cette année. En outre, cela leur apportera une indépendance financière lorsqu’elles se marieront. Leurs maris n’auront aucun droit dessus, nous verrouillerons les contrats dans ce sens. Mon oncle a fait la même chose avec mes cousines.

Entre-temps, la voiture s’arrête dans un immense garage et Khalid descend le premier, puis il m’aide à faire de même. Dans ce lieu, beaucoup de véhicules de marques diverses se trouvent. Avec surprise, j’en découvre un très différent des autres par sa taille et sa simplicité. Bleu marine et français.

Comme Khalid s’aperçoit que je m’attarde un moment dessus, il me pose cette question :

— Qu’y a-t-il ?

— Rien. Je me demandais juste à qui appartenait cette voiture, car elle est…

―… plus petite que les autres, ou encore un peu moins sportive, c’est cela ?

Son ton est quelque peu railleur lorsqu’il énonce cette réflexion.

Je hoche la tête.

— C’est celle d’Annie. Kassem la lui a offerte avant le mariage. Il savait qu’elle ne souhaiterait pas d’une plus sportive, expliquet-il en haussant les épaules.

— Ah, d’accord !

— D’ailleurs, tu as le permis ?

Avec cette question, il réveille un regret en moi, toutefois je fais encore une fois bonne figure.

— Non, mon beau-père n’a jamais voulu. Mais j’ai parfois conduit un peu, en cachette, avoué-je dans un murmure.

— Tu pourrais peut-être le passer ?

Je n’en reviens pas !

— Ce serait possible ?

— Oui, même si Djamel et Mourad, nos deux chauffeurs, sont à ta disposition, ainsi que moi-même. Par contre, tu souhaiterais peutêtre de pouvoir te déplacer à ta convenance. Enfin, tu décideras si tu veux le faire. Cela ne s’apprend pas en un jour !

Pendant cette discussion, nous traversons une grande cour grouillante de vie, et beaucoup le saluent d’une inclination de la tête à laquelle il répond d’un mot ou d’un geste, pour arriver devant un bâtiment.

Celui-ci est d’aspect ancien, même si les ouvertures y sont récentes, ainsi que la porte en face de laquelle nous nous arrêtons. L’homme qui portait nos bagages pousse le battant et nous laisse passer, puis il se dirige dans un couloir où, derrière un rideau pourpre entrebâillé, je peux distinguer des portes grises de chaque côté. Lorsqu’il revient vers nous, il se penche devant mon époux qui le remercie, puis il fait de même avec moi. Ensuite, Khalid ferme le battant après nous.

Je regarde alors autour de moi avec attention. Je me sens tout de suite à l’aise. Il y a une vaste pièce centrale, avec dans un coin un bureau et dans un autre un réfrigérateur sous une petite étagère pourvue d’une cafetière, d’une bouilloire et d’un service à thé. Si le palais de son père est très grand vu de l’extérieur, ici ce n’est pas le cas. Les carreaux d’époque ont été conservés, ainsi que les ouvertures exiguës et les moucharabiehs ajourés donnant sur la rue, mais Khalid a opté pour un ameublement moderne et simple. Un ancien harem ! Cela me laisse encore pantoise. Toutefois, c’est aussi plutôt rassurant sur la façon dont cette famille considère le mariage. Et cela ôte une part de mes craintes. Enfin une part quand même infime.

Mettant fin à mon observation des lieux, une main se pose dans mon dos. Je tâche immédiatement de ne pas réagir trop violemment à ce contact.

— Je te conduis à la chambre afin que tu puisses te rafraîchir si tu le souhaites. Puis nous dînerons, déclare Khalid qui ne paraît pas avoir relevé ma réaction. Ou sinon, il n’en montre rien en ôtant sa main lentement.

Il me guide vers la chambre, ensuite il s’efface devant la porte pour que je puisse y pénétrer.

―À tout de suite ! me dit-il, puis il repart dans le couloir.

La pièce est spacieuse et assez moderne, même si la table en cuivre, les rideaux chamarrés bleus et verts et les fenêtres à croisillons donnent une touche orientale. Il y a une odeur musquée agréable qui se dégage de ce lieu que je reconnais comme étant le parfum de mon époux. Le pavage, avec ses arabesques qui s’entrelacent à des motifs géométriques, doit être d’origine, et quelques carreaux se retrouvent aussi sur les murs de la salle de bains, sans doute ceux encore intacts. Le bassin qui est situé contre un côté devait déjà servir à une époque antérieure, étant donné que le marbre est visiblement ancien. La robinetterie est en revanche très contemporaine, ainsi que le lavabo et la douche bleus qui sont placés à l’autre extrémité.

Je me glisse rapidement sous le jet chaud qui m’aide à me délasser, veillant à ne pas rester trop longtemps dessous, ne souhaitant pas non plus faire attendre plus que nécessaire mon mari, ou qu’il me surprenne. La grande serviette bleue dont je m’enveloppe à la sortie est douce sur ma peau. Je m’assois sur un tabouret de bois et respire lentement, l’appréhension au ventre, prenant conscience que je me retrouve seule avec un homme que je ne connais pas, ou si peu, et qui a le droit de faire de moi ce qu’il veut.

Je tente de me rassurer en me disant que jusqu’à maintenant Khalid a toujours adopté un bon comportement à mon égard. Puis je le rejoins, après m’être vite habillée. Il a changé son costume pour se vêtir d’une tenue plus traditionnelle. Pour ma part, j’ai passé une robe occidentale que je m’étais achetée sur un coup de cœur. À l’encolure sage et de couleur rose pâle, elle possède une ligne fluide qui pour moi met en valeur ma silhouette. Manifestement, mon époux approuve mon choix, car le regard qu’il pose sur moi est admiratif, mais loin d’être libidineux, et inexplicablement j’en suis heureuse.

Sur la petite table, qui se trouve devant le canapé en L, du même coloris pourpre que le rideau de séparation, je peux voir que le repas a été apporté. Nous dînons tranquillement, Khalid me parlant de cette demeure qui a plus de cinq siècles et qui a toujours appartenu à leur famille.

— J’y ai passé mon enfance avec mon demi-frère, déclare-til.

Je relève immédiatement cette information qui me surprend, car je ne m’y attendais pas du tout :

— Demi-frère ?

— Oui, Kassem.

— C’est ton demi-frère ? répété-je.

Il opine du chef avant d’expliquer :

— Mon père s’est marié deux fois. Sa première épouse était la mère de Kassem. Mais comme ils ne s’entendaient plus, ils ont divorcé. Et Père s’est uni à ma mère.

— J’ai cru comprendre que ce mariage avait été… enfin…

Je m’interromps. Le mot a vraiment du mal à sortir de ma bouche, et Khalid le fait à ma place, laconiquement :

— Arrangé ? Oui.

— Ah !

— Et maintenant, ils sont inséparables, conclut-il.

Il prend ma main et affirme doucement, plongeant son regard dans le mien :

— J’espère que cela nous arrivera.

Je ne parviens qu’à hocher la tête, l’esprit traversé de diverses émotions. Le repas se poursuit en silence, ne sachant qu’ajouter pour relancer la conversation.

Lorsque nous l’achevons, je m’aperçois qu’il est déjà assez tard et la fatigue m’étreint. Quand mon mari me propose d’aller dormir, j’accepte. La journée a été suffisamment difficile et chargée entre ce nouveau voyage et la découverte de ce lieu pour que je ne souhaite pas rester plus longtemps éveillée.

Ce n’est qu’une fois entrée dans la chambre que ce qu’il va se passer ce soir m’arrive à l’esprit avec fulgurance. Mais j’essaye de ne rien révéler de mon malaise grandissant à mon mari. De son côté, celui-ci va tranquillement prendre une douche.

Pendant son absence, je regarde un long moment ce lit à deux places. Et, finalement, je m’assieds au bord. L’appréhension au ventre, je sens aussi une sorte de nervosité me gagner, faisant tourner autour de mon annulaire mon alliance, que je fixe un instant. En or rose, elle est simple, il y a seulement à l’intérieur l’initiale du prénom de mon marin et la date du mariage, et je sais que pour la sienne c’est mon initiale. Cependant, cette pensée suffit à faire refluer mes craintes.

J’ai entendu tant de choses sur ce type de noces non désirées, ayant vécu dans cet environnement, mais jusqu’à ce dernier mois, je n’imaginais pas en faire l’expérience, car bien sûr Rachid m’avait tenue éloignée de ses projets, et il ne m’en avait avisée qu’au dernier moment, me mettant devant le fait accompli quinze jours avant ma rencontre avec Khalid, sans tenir compte de mon indignation, attendu que je n’aspirais pas du tout à cela. Je tente de me rassurer en pensant surtout à ce que j’avais eu la possibilité d’observer lors de ces deux jours.

J’ai cru comprendre que Khalid n’est pas un homme méchant, mais est-ce une apparence devant les autres ? J’ai aussi pu remarquer l’attitude de Kassem envers son épouse lors de leur mariage. Ainsi que celle de Sharif et de mon beau-père : il y a un grand respect à l’égard de leurs conjointes, et manifestement leurs avis sont pris en compte. Pourtant, dorénavant, nous sommes devant le fait accompli. Qu’attend mon mari de moi ?

Le jet de la douche s’arrête, et Khalid sort, enveloppé dans un peignoir vert olive, la chevelure humide, puis il s’avance vers moi lentement :

— Tout va bien ?

Je me risque juste à secouer la tête négativement, optant pour l’honnêteté. Tant pis s’il me juge mal ! Mais d’après ce que j’ai pu comprendre de lui en observant son comportement envers moi, je sais qu’il est en mesure de m’écouter, même si dans l’immédiat les mots rencontrent des difficultés à franchir mes lèvres.

Il s’accroupit devant moi, puis pose sa main sur une des miennes :

— Julie, écoute-moi. Et surtout, regarde-moi.

Je lève les yeux vers lui. Ses prunelles sont attentives et douces quand il m’assure avec gravité :

— Nous sommes mariés, mais nous avons le temps de nous connaître, avant de… enfin, nous allons dormir dans le même lit, car c’est également un moyen d’apprendre des choses l’un sur l’autre, de voir comment nous pouvons vivre ensemble, de parler. Toutefois, ce sera tout dans l’immédiat. Je peux juste te promettre que je ferai au mieux pour que tu ne sois pas malheureuse, mais pour cela, il faut aussi je te découvre, que je sache ce que tu aimes… D’ailleurs, pour tout te dire, j’ai déjà l’impression que ce dont on m’a fait part à ton sujet n’est pas tout à fait vrai.

— Comment cela ? m’enquiers-je en penchant la tête sur le côté, un peu déstabilisée par cette déclaration.

— On m’a affirmé que Rachid souhaitait ce mariage parce que ton comportement était excessivement occidental ! Et comme tu n’avais plus de famille paternelle pour te prendre en charge, ils pensaient que ce mariage t’assagirait. Enfin, c’est ce que mon père a compris grâce à des allusions. Cependant, je peux voir que tu es une jeune femme sociable et respectueuse, très loin de l’image donnée.

Je préfère jouer cartes sur table dans ma réponse et affirme sans prendre de gants :

— Je ne suis que sa belle-fille. Et de toute façon, j’ai été en pension jusqu’à mes dix-huit ans. Je n’ai jamais été considérée comme un membre de la famille. Rachid n’a nullement cherché à me connaître, et encore moins après la naissance de mes demi-frères, et les trois dernières années, j’ai toujours vécu en retrait. Mes parents sont français, je suis née en France, affirmé-je, et pour moi, c’est une grande part de ma personnalité.

Il prend place à côté de moi sur le lit et déclare :

— Je suis au courant pour ta nationalité. Tu as perdu ton père assez jeune, n’est-ce pas ?

— J’avais six ans quand il a eu son accident. Puis ma mère a épousé Rachid qu’elle avait rencontré alors qu’elle accompagnait l’avocat d’affaires dont elle était la secrétaire à une réunion concernant une de ses sociétés. Et notre vie a changé, surtout après la naissance de mes trois petits frères.

J’ajoute ensuite, souhaitant être honnête avec lui :

— Je ne préfère pas te cacher que j’ai eu du mal à me plier aux exigences de Rachid, car j’ai toujours voulu rester moimême. J’ai un grand regret : celui de ne pas avoir pu faire d’études.

Dubitatif, il hausse un sourcil :

— On m’a dit au contraire que tu n’avais pas désiré en poursuivre.

— Je voulais faire des études en histoire de l’art, mais cela n’a pas plu, alors on m’a tout fait arrêter, rectifié-je.

— Eh bien !

— Je suis une femme…

Il me coupe d’un signe de la main :

— Tu sais, mon oncle Sharif a accepté que ma tante fasse les études d’économie qu’elle a toujours souhaitées, et à l’époque elle était enceinte de ma première cousine.

— Quoi ?

Il sourit :

— Eh oui ! Elle aimait cela, et elle avait envie d’aider son mari dans ses affaires. Alors, pourquoi pas !

— Mais en histoire de l’art, pour Rachid, ce n’était pas sérieux ! Et cela n’avait aucune utilité.