Annabelle : Les clans obscurs, tome 1 - Christelle Dumarchat - E-Book

Annabelle : Les clans obscurs, tome 1 E-Book

Christelle Dumarchat

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Beschreibung

Toutes les familles sont différentes, mais celle adoptive d'Annabelle l'est encore plus. C'est au cours des vacances de Noël qu'elle va se rendre compte que ce qu'elle connaît de ses parents n'est que la partie immergée de l'iceberg, car elle va faire la rencontre d'autres membres de sa famille. Toutefois, ce n'est malheureusement pas tout : menaces et faits étranges vont ponctuer son séjour. Et une fois revenue chez elle pour son travail, ce ne sera pas fini. Le danger rôde, et Annabelle va se retrouver au milieu d'une guerre vraiment spéciale, où le soutien de ses parents, et surtout l'amour de Tomas, lui seront d'un grand secours.

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Seitenzahl: 396

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Sommaire

Je remercie…

I

Chapitre I : Connaissances

Chapitre II : Une révélation difficile

Chapitre III : Calme…

Chapitre IV : Des vampires

Chapitre V : Une veille de Noël vraiment particulière !

Chapitre VI : Des vacances réellement singulières…

Chapitre VII : Une nouvelle venue

II

Chapitre VIII : Rendez-vous

Chapitre IX : Lien

Chapitre X : Explications

Chapitre XI : Invitée

Chapitre XII : Des événements graves

Chapitre XIII : Chez Tomas

Chapitre XIV : Peur nocturne

Chapitre XV : Unis

Chapitre XVI : Communion

III

Chapitre XVII : Cela se confirme

Chapitre XVIII : Nouvelles rencontres

Chapitre XIX : Magie noire

Chapitre XX : Attaqués !

Chapitre XXI : Nouvelles menaces

Chapitre XXII : Nouvelle attaque psychique

Chapitre XXIII : Enlevée !

Chapitre XXIV : Prisonnière

Chapitre XXV : Libre ?

Chapitre XXVI : Affrontement

Épilogue

Je remercie…

Merci aux deux lectrices courageuses qui ont acceptées de se plonger dans les pages de ce roman en voie de réalisation : Betty Bouteiller, collaboratrice pour les illustrations de « Un drôle de voleur », notre histoire pour enfants, et Mélody, du blog La danse des livres. Leurs remarques et leurs corrections sans fard m’ont permis d’avancer dans cette histoire et ainsi qu’elle soit publiée pendant cinq ans chez Something Else Éditions, même si cette édition présente a connu quelques corrections.

Merci aussi à tous mes autres lecteurs qui me donnent envie de continuer avec cette saga.

I

Dans l’expectative, la silhouette enveloppée d’une grande cape noire se noyait aisément dans la végétation ambiante. De cet endroit dégagé, il lui était possible d’observer tout ce qu’il se passait dans la vaste demeure, avec une vue à la fois sur une partie de la façade et sur le chemin qui y menait.

Il restait tranquille.

Mais à un moment, il émit un grognement qui brisa le silence environnant, accompagné d’un ricanement sardonique, et prononça ces étranges paroles :

— Alors, c’est là que tu vis ! Et tu as même adopté une humaine ! Décidément, tu es loin de suivre nos lois. Tu vas regretter l’affront que tu as fait à notre famille ce soir-là !

Il cessa de parler pour regarder les différentes voitures qui pénétraient dans l’allée, puis avec véhémence il recommença ses récriminations :

— Tu les as fait venir, néanmoins cela ne suffira pas ! Rien ne m’arrêtera ! Je briserai cette vie d’opérette… Je demeurerai le seul !

Un nouveau bruit sinistre et rauque sortit de sa gorge. Brusquement, il disparut, laissant derrière lui une singulière odeur…

Chapitre I : Connaissances

Depuis au moins deux bonnes heures, la nuit couvrait de son drap noir le paysage alentour. La neige tombait de plus en plus fort, tourbillonnant dans une valse incessante. Même si ce coton duveteux était très beau à voir, j’étais surtout enchantée de le faire d’une fenêtre, devant un chaleureux feu de bois ! N’aimant pas conduire dans ces conditions climatiques, je n’étais pas mécontente d’arriver bientôt. La route avait été difficile et je ressentais une certaine lassitude. Soulagée, je regardais le rectangle sombre percé de carrés lumineux qui s’accroissait au fur et à mesure que je m’en approchais. J’empruntai donc avec joie le chemin gravillonné qui menait jusqu’à la vaste habitation, malgré la lueur faible des phares. Celle-ci était d’ailleurs occultée, pour une grande part, par les flocons de neige qui chutaient sans discontinuer depuis le début de cet après-midi.

Mes parents choisissaient toujours d’anciennes demeures de style, dans un coin un peu reculé, évitant autant que possible un voisinage trop proche – et pour cause ! Enfin, pour quelqu’un qui ne connaissait pas cet endroit, avec un temps pareil, ce bâtiment possédait vraiment une dimension impressionnante. Il s’agissait d’une maison de maître, avec un vaste garage et une dépendance où il était possible d’héberger quelques personnes. Sa majestueuse silhouette se profilait dans le noir du ciel et, si on y ajoutait l’obscurité de la forêt d’un côté et les champs vides de l’autre, cela conférait un caractère assez menaçant à cet ensemble. Heureusement, ils avaient installé des guirlandes lumineuses qui égayaient l’aspect général de cette bâtisse massive et austère. Les deux sapins qui encadraient le portail d’entrée grand ouvert en étaient aussi recouverts. Ces décorations colorées clignotaient comme pour me souhaiter la bienvenue. Même si j’avais grandi, ils avaient conservé cette habitude. À mon avis, ils accordaient trop d’importance à ces choses… Mais je savais également que c’était pour eux un moyen de paraître normal.

J’arrêtai mon véhicule à côté d’une des portes du garage. Avec étonnement, je compris que je n’étais pas la seule personne conviée, ayant été obligée de passer au milieu de voitures alignées le long du sentier de pierres qui commençait à être enseveli sous ce blanc nuageux. Cela me laissa perplexe, car lors de mon dernier appel, ma mère ne m’avait pas parlé de la présence d’autres invités.

Je sortis de mon véhicule, donnai un tour de clef, puis me dirigeai vers la porte d’entrée. Celle de la cuisine, qui se trouvait à côté du garage, était déjà fermée. Je n’en avais pas le double, l’ayant oublié chez moi. Les lumières du salon qui avait vue sur la pelouse, à gauche, étaient toutes allumées et la neige étincelait. Progressivement, celle-ci recouvrait les traces de mes roues sur le chemin. De même, je remarquai que plusieurs fenêtres de l’étage étaient éclairées.

Arrivée devant la grande porte surmontée d’une vitre ovale, je tapai mes pieds sur le seuil de pierre. Ce geste permit d’évacuer la neige s’étant déposée sur mes bottines. Ensuite, je poussai le lourd battant. J’abandonnai mon sac sur le sol carrelé, en décidant que j’irais chercher mes autres affaires un peu plus tard dans le coffre de ma voiture.

Des voix venaient du salon. Si beaucoup m’étaient inconnues, j’en reconnus deux parfaitement.

— Papa ! Maman ! appelai-je.

Un homme brun, de haute stature, jaillit de la pièce. Avec un grand sourire, mon père se dirigea vers moi et me prit dans ses bras avec beaucoup de chaleur.

— Ma puce ! Tu es enfin arrivée ! s’exclama-t-il de cette voix à l’accent si familier et si agréable à mes oreilles. Il avait beau le contrôler, lors de moments d’émotions il ressortait.

— Désolée pour le retard. Il y avait beaucoup d’embouteillages ! Et cette neige n’arrange rien. J’ai dû faire attention tout le long du trajet.

Il me tint contre lui un instant, puis il s’écarta un tantinet, le visage sérieux, et dit en me regardant dans les yeux :

— Annabelle, nous avons des invités.

Son intonation avait une certaine gravité en prononçant cette phrase.

— Ah, bien. De qui s’agit-il ? demandai-je, un peu confuse à cause du ton inhabituel qu’il avait employé.

— D’anciens amis…

— Je les connais ?

— Non. Tu n’as jamais eu l’occasion de les rencontrer.

Il cessa de parler quelques secondes, et j’en profitai pour accrocher mon manteau et mon écharpe multicolore en laine à la patère disposée sur le mur à côté de l’entrée.

— Je préfère te prévenir avant que tu n’entres avec moi, continua-t-il, posant sa main sur mon épaule.

— De quoi ?

— Ils sont comme nous.

Un silence pesant s’installa momentanément.

M’ayant lâchée, mon père restait coi, guettant ma réaction.

Depuis qu’ils m’avaient dit la vérité à leur sujet, je m’attendais à une rencontre de ce type. Mais honnêtement, j’aurais souhaité qu’ils me parlent de cette visite avant, afin que je puisse me préparer à cette confrontation.

— Comment cela ? interrogeai-je finalement.

— Maman a repris contact avec son frère dernièrement. Tu sais, cela faisait plus de vingt ans qu’elle ne l’avait pas vu. Pour résumer, c’est une longue histoire… Elle a appris que son père était mort et Zoltan lui a alors proposé de revenir dans leur pays. Et par la même occasion, elle lui a parlé de toi !

— Et…

Cette explication me semblait étrange. Mon père avait l’air mal à l’aise en me la donnant, et son regard tourné vers le battant paraissait éviter de croiser le mien. Me cachait-il quelque chose ?

— Il souhaite te rencontrer, continua-t-il.

J’eus alors un moment d’hésitation, puis je me dirigeai vers la porte du salon derrière laquelle j’entendis beaucoup mieux ces voix inconnues. Elles résonnaient avec des sonorités graves, chantantes, séduisantes pour la plupart.

— Je comprendrais si tu désires attendre… me fit savoir mon père avec une pression légère sur mon bras. Et eux aussi…

— Non, ça va aller. Je savais que cela arriverait. De plus, ce serait impoli de ne pas les saluer et contraire à ce que vous m’avez toujours dit.

J’éprouvai l’impression que ma dernière phrase s’achevait sur une note ironique, révélatrice de mon inquiétude. Je respirai un grand coup puis, passant devant lui, j’entrai dans la pièce.

Les conversations cessèrent alors brusquement.

J’aperçus six personnes se lever devant moi. Ces inconnus étaient tous plus beaux les uns que les autres, et sans doute âgés… Très âgés… Ils me considéraient attentivement, pourtant sans aucune animosité, plutôt avec de la curiosité. Je me sentis sur le moment comme oppressée par cette soudaine observation, d’ailleurs réciproque. Je pensai : « Ma fille, tu peux le faire, tout va bien. Tu es chez toi, ce sont des amis de tes parents. Alors, ne t’inquiète pas : ils n’oseront rien te faire. »

Pendant que je me disais cela, un homme à l’épaisse chevelure brune aux reflets mordorés, très grand, aux larges épaules, vêtu d’une chemise et d’un pantalon noirs, s’avança vers moi la main tendue. Ce qui me frappa le plus chez lui, en plus de son allure à la fois distinguée et assurée, fut ses prunelles d’un bleu clair perçant qui semblaient me jauger, toutefois dépourvues de méchanceté.

— Bonsoir, Annabelle. Enchanté de vous connaître. Je suis Zoltan Dorovan, le frère aîné de Lara.

Sa poignée de main fut franche et son sourire paraissait sincère, appuyant ses paroles avec un accent beaucoup plus présent que chez ma mère :

— Je suis heureux de pouvoir enfin vous rencontrer, Lara m’a beaucoup parlé de vous. Il est vrai que je ne m’attendais pas à une pareille surprise, pourtant je serais très honoré de vous considérer comme une nièce.

Ne sachant quoi répliquer, je tournai la tête pour regarder ma mère qui venait vers moi pour me prendre dans ses bras. De taille moyenne, elle avait des yeux d’un vert étincelant et les cheveux châtains coiffés avec son habituelle tresse. Elle murmura :

— Ma puce…

Cela n’avait pas changé ! Il y avait toujours autant de douceur et d’amour dans ses gestes et dans le son de sa voix. Qui pourrait penser… Je chassai vite cette idée de mon esprit et profitai de sa tendresse. Je savais qu’elle était vraiment heureuse de me voir. Bien que je ne sois que leur fille adoptive, notre lien était très fort. Ensuite, je regardai cette « famille » que je n’avais jamais rencontrée avec une note de curiosité et un soupçon d’appréhension.

Mon père entama les présentations :

— Bien, tu connais maintenant Zoltan, mon beau-frère. Et, à côté, c’est Mariah, sa petite sœur, et donc ta tante.

Se tournant du côté de la porte-fenêtre, il me désigna un groupe de trois hommes qui se trouvaient debout devant l’ouverture. Il me montra d’un geste ensuite une femme qui devait avoir à peu près mon âge qui s’était réinstallé sur le canapé, après un sourire accueillant à mon égard.

— Voici Fabrizio De Lucca et ses fils, Tomas et Federico, des amis de longue date. Et la jeune fille assise là est Léna, leur cousine.

Entourant mes épaules de son bras et m’attirant contre lui, il dit :

— Notre fille, Annabelle.

En énonçant cette phrase lapidaire, il insista bien sur le mot « fille ».

Un nouveau silence gêné s’instaura pendant lequel j’observai plus attentivement les personnes présentes.

Les De Lucca étaient tous les trois grands et bruns. Néanmoins, même si Fabrizio semblait nettement l’aîné, car des fils argentés se mêlaient à son abondante chevelure, j’avais du mal à l’imaginer père des deux autres tant il paraissait avoir la quarantaine et ses fils la trentaine. La différence d’âge s’avérait si peu importante ! Enfin, j’en connaissais l’explication…

Tomas retint plus particulièrement mon attention. Soit, il avait beaucoup de charme et des prunelles d’un gris stupéfiant, cependant il avait l’air froid d’un premier abord. Pourtant, je ne pus m’empêcher de percevoir un petit quelque chose d’indéfinissable qui venait de lui et qui m’embarrassa étrangement. De son côté, il me jeta un coup d’œil rapide et se détourna très vite de moi, ce qui ne manqua pas de me surprendre et de m’attrister brièvement. Son frère semblait plus spontané et son sourire fut franchement plus chaleureux. Un sourire qui se retrouvait dans ses iris verts, les mêmes que ceux de son père. Leur cousine avait un regard sombre rempli de vivacité, de longs cheveux châtains et était légèrement plus grande que moi. Elle fut la seule à m’adresser la parole, avec un bonsoir poli, auquel je répondis dans un murmure à peine distinct, intimidée.

Ensuite, je me focalisai sur Mariah qui était brune, avec des prunelles d’un chocolat très doux, petite, néanmoins très jolie. Elle vint vers moi pour me déposer un baiser sur la joue en me disant les mêmes mots que Zoltan. Toutefois, je n’osais pas répliquer, incertaine sur ce qu’il fallait faire en leur présence. Souhaitant que je connaisse sa famille, ma mère m’avait parlé d’eux il y avait quelque temps. Mon oncle était un homme important dans leur communauté, il dégageait d’ailleurs une grande force et l’on sentait aussi ce charisme chez ma tante.

Pourtant, il n’y avait pas que cela qui m’embarrassait. Il possédait cette beauté statuaire commune à tous. Même si je savais d’où cela leur venait et surtout quel était le but de cette dernière, j’éprouvais un certain malaise face à des êtres tellement singuliers. Je me trouvais fade, prenant conscience avec amertume que vivre avec mes parents ne m’avait pas préparée à une pareille rencontre. Cependant, je ne percevais aucune menace qui émanait d’eux. Il s’agissait plutôt de gentillesse, ou, à défaut, de tolérance. Et sur ce constat, je sentis que ma respiration s’améliorait.

Peu après les présentations, les hommes s’étaient rassis et avaient repris leur conversation, mon père se joignant à eux. Léna s’était rapprochée de moi, et, avec Mariah, elles entreprirent de me poser des questions sur ma route et ce que j’avais pu faire dans la journée. Elles se montrèrent amicales, et dans ce grand salon avec son confortable canapé en cuir marron, sa cheminée en pierre où brûlait une belle et douce flambée, cela conférait un caractère très cordial et aussi familier – pour ne pas dire familial – à cette réunion. Je m’étais assise sur le sofa, à côté de Mariah. Au bout d’un moment, je m’aperçus que ma mère était partie à la cuisine, et connaissant ses talents culinaires, je savais que l’on avait du souci à se faire.

Mon père vint d’ailleurs vers moi pour m’informer :

— Annabelle, je crois que maman va avoir besoin de toi. Il est préférable que tu la rejoignes.

J’eus un grand sourire qui lui fit comprendre que je n’étais pas dupe. Je m’y attendais.

— J’arrive, dis-je, soulagée par ce prétexte pour retrouver un cadre un peu plus habituel.

La cuisine de mes parents ne servait vraiment que lorsque j’étais à la maison. Je me levai rapidement, ravie pour un temps de m’éloigner un peu de ces inconnus et plus que tout de cette pression que je ressentais.

Mariah s’exclama alors :

— Parce que Lara s’occupe du repas !

— Plus ou moins, c’est pour cette raison que nous avons besoin d’Anna pour arranger les choses ! répondit mon père avec humour.

— Je vois, rétorqua Mariah, avec un sourire en coin.

Je me rendis à la cuisine.

À peine en avais-je franchi la porte que je pus déjà sentir et apercevoir les dégâts. Une odeur de brûlé vint jusqu’à moi, caractéristique des tentatives de maman.

J’allais avoir du pain sur la planche pour en faire un véritable repas. De plus, ma mère avait prévu juste ce qu’il fallait : après tout, ce n’était pas leur nourriture principale.

— On mange ans combien de temps ? lui demandai-je.

— Une heure, me répondit-elle en secouant la tête.

Elle était visiblement un peu gênée.

— Bien, peux-tu me laisser ? J’y arriverai mieux seule. Vous n’avez pas changé les ustensiles de place depuis la dernière fois ?

— Non.

— Alors je devrais me débrouiller. Rejoins tes invités. Je m’occupe de tout.

J’avais heureusement une longue habitude des expériences culinaires de maman. Si elle excellait dans d’autres domaines, étant une pianiste confirmée, celui-ci n’était pas son fort.

Je m’attelai à la tâche avec diligence, ayant quelques idées en tête pour sauver le dîner.

Je sortis le rôti de bœuf du four, j’en ôtai ce qui était carbonisé. De la pointe d’un couteau, je pus voir que le cœur en était quasiment cru. Je l’entourai d’une pâte feuilletée, puis le remis à cuire à feu doux. Les pommes dauphines étaient toutes écrasées dans la friteuse, car ma mère oubliait toujours de les secouer. Il me fallait rapidement trouver une idée pour les remplacer. Des pommes de terre furent placées dans une casserole remplie d’eau pour bouillir. Tant pis pour une préparation plus élaborée ! Pour l’entrée, je battis des œufs avec des oignons et quelques herbes, et tentai d’en faire deux omelettes présentables : une aux champignons, l’autre avec des dés de jambons et quelques tomates séchées.

Cela n’allait pas être le repas gastronomique attendu, mais au moins il aurait un goût correct. Le plateau de fromages compléterait la salade à laquelle j’ajouterai quelques cerneaux de noix et des raisins secs. Pour le dessert, je trouvai une omelette norvégienne dans le congélateur.

Au bout d’un moment, ma mère vint me voir dans le but de savoir où j’en étais, je lui dis qu’elle allait pouvoir mettre la table. Je les retrouvai assez satisfaite de mon travail.

Comme pendant ce temps-là, les invités de mes parents avaient pris l’apéritif, ils attaquèrent avec appétit les omelettes. Le rôti fut un succès et les pommes de terre revenues au beurre et relevées avec un soupçon d’épices durent plaire, puisque le plat se vida rapidement. Ma mère me fit un grand sourire afin de me signifier ses remerciements et les autres se joignirent à elle. Ils appréciaient la cuisine, ce qui pouvait sembler surprenant, connaissant leur vraie nature. Je savais que mes parents aimaient les bons plats, mais je ne m’attendais pas à ce que ce soit pareil pour les autres.

Comme il se trouvait à côté de moi, Zoltan dut remarquer ma perplexité, parce qu’il m’en demanda la raison. Je lui livrai alors mes interrogations. Il m’expliqua patiemment que même si la nourriture ne leur était pas vitale, le sens gustatif était infiniment développé chez eux, ainsi que l’odorat qui jouait un grand rôle dans l’appréciation des aliments. Ils étaient donc capables de savourer un plat. J’étais au courant pour l’ouïe et la vue, toutefois je ne pensais pas que ce sens connaissait aussi cette acuité chez eux.

Ce repas fut intéressant en tous points, car bien qu’il y eût des échanges avec mon oncle et Léna, je passais quand même beaucoup de temps à les observer, curieuse.

Seul Tomas restait en retrait, dans une attitude figée. Il ne me regardait jamais, ou, si nos regards se rencontraient, il tournait la tête aussitôt. Je ne manquais pas de m’interroger sur cette attitude, puisque les autres se comportaient normalement à mon égard. Évidemment, leur discussion portait sur des individus que je ne connaissais pas, mais je découvrais parallèlement des éléments sur mes parents. D’après ce que j’entendais, je compris que leur monde était assez important : ils se révélaient beaucoup plus nombreux que je ne l’imaginais et exerçaient des activités professionnelles très diverses. Mes parents ne m’avaient pas tout dit. C’était la première fois que je me trouvais confrontée à autant d’individus qui appartenaient à leur communauté. Jusqu’à maintenant, ils avaient toujours veillé à m’en tenir éloignée. C’était une véritable découverte de leur milieu. Les voir évoluer avec cette aisance au sein de leurs congénères me montrait d’eux une nouvelle facette. Avec les parents de mes amis ou auprès des autres personnes qu’ils côtoyaient, ils n’avaient jamais été aussi naturels !

Une fois le dîner achevé sur l’omelette norvégienne que mon père fit flamber avec beaucoup de talent, ma mère alla s’occuper du café, qu’elle savait heureusement très bien faire. Elle avait pris l’habitude du coin d’ajouter une cuillère de chicorée qui amenait un petit plus très agréable au goût, enlevant un peu d’amertume. Elle revint à la salle à manger où sur la grande table en chêne elle posa le service à café en porcelaine ancienne aux fleurs violettes d’une finesse exquise que j’appréciais tant.

Pourtant je ne restais pas avec eux. Sur une excuse, je préférais me rendre dans la cuisine. Le besoin de respirer se faisait de nouveau sentir d’une manière incompréhensible. La tension que j’éprouvais semblait s’être intensifiée.

Je m’assis à la table, essayant de me reprendre dans cette pièce familière et chaleureuse. En définitive, ce repas m’avait paru très long. Bien sûr, il avait été convivial, cependant je n’avais pas réussi à m’y sentir totalement à l’aise. Cette sensation de percevoir leurs regards posés sur moi ne m’avait pas quittée et elle me donnait mal à la tête. Ils avaient apprécié ce sauvetage un peu laborieux, mais je songeais que tous devaient être habitués à une cuisine beaucoup plus apprêtée. Cela se voyait dans leur façon d’être, dans leurs attitudes, dans leurs vêtements. Comment mes parents avaient-ils supporté de rester en dehors de cet univers pendant tant d’années ?

Je me pris la tête entre les mains.

Ils étaient là, dans le grand salon. Six qui n’étaient pas mes parents. Savoir leur vraie nature était réellement perturbant.

La tension s’accumulait. J’avais maintenant l’impression que mon crâne allait exploser. Et puis l’attitude de Tomas était si… déconcertante.

Au bout d’une dizaine de minutes, la porte s’ouvrit et Zoltan entra dans la pièce. S’avisant sans doute de ma position, il s’enquit d’un ton soucieux :

— Tout va bien ?

— Oui, répondis-je en murmurant.

Je me demandais ce qu’il faisait là.

— Je me doute que vous devez vous sentir un peu perdue. N’estce pas ?

Il n’attendit pas mon consentement pour continuer avec calme :

— Vous savez, je me répète, mais ma sœur m’a beaucoup étonné. Bien sûr, je la connais, pourtant vous adopter ! Nous venons juste de l’apprendre, et si l’on pense que cela remonte à vingt-cinq ans maintenant, c’est vraiment une surprise. Nous comprenons aujourd’hui pourquoi nous ne les avions pas vus depuis si longtemps. Le comportement de notre père n’était pas seulement à mettre en cause. Vos parents souhaitaient simplement vous protéger, que vous deveniez une adulte avant d’affronter notre monde, expliqua-t-il, d’une voix assurée.

Il prit place en face de moi. Mon visage devait refléter mon incompréhension sur le motif de sa présence, car il me fit un sourire et me demanda :

— Je peux mettre au point quelque chose ?

Je haussai les épaules et rétorquai :

— Oui, bien sûr.

— Votre père songe aussi qu’avec nous, vous ne risquez rien : nous avons des valeurs semblables et un grand respect de l’existence humaine. En tant que chef de clan, comme Fabrizio, j’ai notamment une image et une réputation à défendre, et je conçois que cette façon de raisonner est adaptée à la vie moderne. Lara le sait, sinon elle ne m’aurait pas laissé venir ici, seul. Il y a, il est vrai, un fossé entre penser et mettre en œuvre, toutefois les circonstances font que désormais, j’ai une nièce, et que vous faites donc partie intégrante de notre clan. De ce fait, vous êtes sous ma responsabilité de chef de clan.

Je l’avais écouté calmement, cependant en entendant ces derniers mots, je me mis brusquement debout.

— Pardon ? m’écriai-je.

— C’est de cette façon que cela fonctionne, dit-il posément.

Je posai mes deux mains sur la table et le regardai dans les yeux pour lui dire avec un ton que je souhaitais assuré :

— On va être clair : j’ai une vie, un métier, des parents. Je n’ai pas besoin de quiconque en plus qui s’occupe de moi. Que vous vous considériez comme mon oncle n’y change rien. Je ne suis pas comme vous, les seules personnes que j’écouterai sont mes parents. Et encore, ainsi que vous l’avez dit, je suis une adulte, j’ai le droit de choisir ma vie. Mais pour le reste…

— Annabelle, laissez-moi vous expliquer, m’interrompit-il.

Pendant ma tirade colérique, il n’avait pas esquissé un geste et était resté d’un calme souverain, nullement impressionné par la petite humaine que j’étais.

— Je veux seulement dire que quoi qu’il se passe, quelles que soient vos décisions, vous pouvez compter sur moi et sur ma sœur. C’est uniquement cela. Je n’entends pas avoir une quelconque ingérence dans votre vie, que vous menez visiblement comme il se doit. Je respecte le choix de Lara et je la comprends aussi, étant donné qu’elle nous a raconté les conditions de votre adoption. Pour ma part, je ne sais pas si j’aurais eu le courage de vous élever moi-même. Honnêtement, je pense que j’aurais fait au mieux pour vous trouver une famille bien. Pourtant, je reconnais que cette envie d’enfant est parfois la plus forte. Et je ne peux que la féliciter pour la manière dont elle vous a élevée avec Tylan ! Vous êtes une jeune femme équilibrée, jolie, intelligente. Je souhaite que vous puissiez prochainement venir chez moi, car Mariah serait heureuse de vous faire découvrir le domaine, la ville et notre pays. Lara le reverrait avec bonheur, après tout ce temps. Notre père n’étant plus là, plus rien ne l’empêche d’y venir avec son époux.

— Je ne pense pas que ce soit une bonne idée.

— Vous savez, c’est une ville moderne et au printemps, c’est un très bel endroit. En hiver, le froid rend les choses plus compliquées, les conditions de vie sont rudes. Actuellement, je réalise beaucoup de projets pour que celles-ci soient non seulement plus aisées pour les humains, et également pour nous adapter à cette époque. Je suis informé du fait que Lara vous a parlé de notre père et de la raison de sa fuite. Depuis sa mort, je fais au mieux pour ne pas reproduire ses erreurs. Notre contrée est devenue très agréable, surtout pour les humains qui ne sont plus asservis ou soumis, mais désormais libres.

— Je ne sais vraiment pas…

Depuis ma réaction violente, mon mal de tête n’avait fait qu’amplifier et je me sentais aussi très lasse. Je me levai pour me préparer une infusion, ne trouvant rien à rétorquer.

Qu’il aille rejoindre les autres et me laisse un peu tranquille !

Il dut comprendre cela, car il se mit debout à son tour. Cependant au lieu de s’en aller comme je le pensais, il me retrouva devant l’évier où je remplissais la bouilloire, posa une main sur mon épaule et dit :

— Annabelle, vous êtes ce que vous êtes et nous ne changerons rien à cela. Pourtant, peut-être que nous pouvons espérer nous entendre ? Je ne veux pas que notre présence ici soit gênante pour vous ni qu’elle vous rende cette maison – qui est la vôtre – étrangère. Nous sommes différents de vous, toutefois nous ferons au mieux pour que tout aille bien. Nous avons quelques jours à passer ensemble. Autant faciliter les rapports d’un côté et de l’autre…

Entre-temps, j’avais posé la bouilloire.

Je pivotai vers lui, tentai de voir s’il était sincère, et comme cet homme me paraissait intègre, je lui répondis dans un murmure :

— Oui, on peut essayer.

Avec un grand sourire, il inclina le chef et sortit de cette démarche quasi royale qui le caractérisait, comme j’avais pu le remarquer au salon. Une fois devant le pas de la porte, il se retourna vers moi et énonça ces mots qui me stupéfièrent :

— Ah ! Ne vous inquiétez pas : votre mal de tête n’est que mineur. Il est probablement dû à la fatigue. Notre présence n’arrange pas cela non plus.

Devant mon air interloqué, il referma le battant sur un surprenant éclat de rire.

Je restai un moment à le regarder, puis je me ressaisis et attrapai un sachet de tilleul menthe dans le placard, le mis à infuser, ensuite je me rassis à la table. Je bus ma boisson lentement, plongée dans mes pensées, après je décidai d’aller directement me coucher. Tant pis si je me montrais impolie auprès des invités de mes parents.

Je posai la tasse dans l’évier et quittai la pièce.

Arrivée devant l’escalier, je vis ma mère sortir du salon :

— Ça va ? me demanda-t-elle.

— Oui, je me sens juste très fatiguée.

— Je comprends. Alors, va te coucher, nous ferons attention quand nous irons dormir, moi et ton père. Zoltan et Lara occuperont les chambres d’amis, et les De Lucca séjourneront dans l’annexe.

— Bien. À demain, maman. Bonne nuit.

Je commençai à monter les marches, puis je me ravisai et l’appelai avant qu’elle ne referme la porte du salon :

— Maman ?

— Oui ?

— Peux-tu les saluer de ma part et m’excuser ?

Son regard s’éclaira :

— Bien sûr ! Bonne nuit, ma puce.

Je grimpai les degrés doucement. Sur le palier du couloir qui desservait les chambres, j’allai directement à la salle de bains attenante à la mienne pour me passer un peu d’eau sur le visage, puis je pris un cachet afin de soulager cette migraine de plus en plus forte. Je n’attendis pas que le médicament agisse, car j’étais épuisée. Je me glissai sous les draps qui sentaient bon la lavande. Cette vieille habitude de ma mère était très apaisante après une journée aussi remplie.

Chapitre II : Une révélation difficile

Malgré cette soirée plutôt particulière, je passai une nuit assez sereine. Par bonheur, le mal de tête n’était plus là à mon réveil. Zoltan devait avoir raison, même si je m’interrogeais quelque peu sur la modalité avec laquelle il avait pu déterminer avec exactitude ce que je ressentais. Je restais pelotonnée sous ma couette un moment, entendant au rez-de-chaussée l’agitation des invités. Ils étaient visiblement en pleine forme, ou ils n’avaient pas dormi du tout, ce qui était envisageable. J’avais appris par mes parents leur résistance physique.

Je profitai alors de cette solitude, laissant mes pensées vagabonder. Les souvenirs affluaient. Je me rappelais ce jour de mai si particulier. J’avais quinze ans et après le dîner, j’étais allée lire dans ma chambre. Mon père était venu m’y rejoindre pour me demander de me rendre au salon, car ils souhaitaient me dire quelque chose.

Une fois dans cette pièce, ils m’avaient intimé de m’asseoir sur le canapé, puis ils s’étaient installés de chaque côté de moi avec un air sérieux, presque solennel que je ne leur connaissais pas. Même les fois où ils se fâchaient, ils n’avaient pas cette attitude-là. Que se passait-il ? En y repensant maintenant, je comprenais que la révélation qui allait suivre n’était non seulement pas évidente à faire, mais aussi qu’elle serait décisive pour notre avenir commun.

C’était mon père qui avait commencé à prendre la parole :

— Bien, es-tu prête à nous écouter ? Ce que nous avons à te dire est vraiment important.

Sa voix était très grave, avec des inflexions que je ne lui avais jamais entendues. Je me contentais de lui répondre un petit oui, dans l’attente de la suite.

— S’il te plaît, ma puce, ce n’est pas facile, alors écoute-moi. Nous avons déjà eu l’occasion de t’apprendre comment nous t’avons rencontrée et décidé de t’adopter. Cependant, ce n’est pas tout. Voilà, je pense que le moment est venu de te révéler… une affaire qui nous concerne. Toutefois, avant d’aller plus loin, je souhaite que tu saches avant tout que nous t’aimons, affirma-t-il avec douceur.

— Papa, je suis au courant de cela…

— Laisse-moi continuer sans m’interrompre, m’avait-il enjoint soudainement d’une voix calme, néanmoins un peu sèche.

J’avais alors vu mon père prendre une profonde respiration. Venant de lui, qui dégageait toujours une si grande assurance, c’était vraiment étonnant.

Il avait poursuivi après un moment de silence :

— Ta mère et moi, nous nous sommes rencontrés il y a… très longtemps, et malheureusement, comme tu le sais déjà, nous n’avons pas pu avoir d’enfant. Cette fameuse nuit de mars, tu es arrivée dans notre existence. Cela a été un vrai bouleversement, non pas seulement parce que décider d’assurer la vie d’un enfant n’est pas un acte à prendre à la légère, mais d’autant plus que… tu es humaine, et que nous ne sommes pas semblables à toi.

J’avais eu alors un geste d’incompréhension. Mon père, en posant sa main avec fermeté sur mon bras, son regard rempli de tendresse, m’avait fait comprendre que je devais le laisser poursuivre :

— Ma puce, nous sommes différents de toi, déjà parce que nous pouvons vivre très longtemps. Je sais également que depuis quelque temps tu t’interroges sur le fait que nous ne changeons pas physiquement, puisque tu as fait une remarque sur ce sujet il y a peu. Nous ne sommes jamais malades non plus. Et je me doute aussi que tu te demandes pourquoi, parfois, l’un ou l’autre nous disparaissons la nuit. Nous avons toujours veillé à te laisser dans l’ignorance de ce côté-là de notre vie, car nous pensions jusqu’alors que tu ne pourrais pas comprendre. Mais maintenant, il devient important que nous te disions tout afin que tu n’ailles pas te faire de fausses idées… Voilà, si nous partons parfois la nuit, c’est que nous allons chasser.

Afin de voir ma réaction, il avait effectué une nouvelle pause.

Je n’osais rien dire, suspendue à ses prochains mots, ne comprenant pas du tout où il voulait en venir. Dans ma tête les questions s’enchaînaient, tournaient, s’accumulaient et je redoutais ce qui allait suivre. J’avais la sensation que cela n’allait pas me plaire. En quoi consistait cette chasse nocturne ? Et puis, pourquoi m’avait-il qualifiée par l’adjectif « humaine » ? N’en était-il pas un aussi ?

Il avait continué ainsi :

— Si nous ne possédons pas une constitution semblable à la tienne, nous avons beaucoup d’éléments communs avec ta race, car nous sommes issus de la même origine. Pourtant un jour, nos ancêtres ont connu une évolution génétique différente. Nous avons alors perdu en fertilité et en humanité ce que nous avons gagné en robustesse, en longévité, en vélocité et dans bien d’autres particularités… Mais la conséquence de tout cela, c’est que nous nous nourrissons d’une manière singulière. S’il est vrai que nous consommons les mêmes aliments que toi, ils ne nous sont pas nécessaires. Ce qui est vital chez nous… c’est le sang.

Immédiatement, je n’avais pu m’empêcher de me lever et de m’exclamer avec une certaine virulence :

— Ce n’est pas possible ! C’est quoi cette histoire ?

D’une voix douce, mais ferme, ma mère avait pris le relais :

— Ma puce, c’est la réalité. Nous appartenons à ce que l’imaginaire commun des humains appelle des vampires.

Alors là ! Je m’attendais à beaucoup de choses, mais pas à cela !

Après être restée quelques secondes dominée par la stupeur, j’avais crié avec autant de force que précédemment :

— Quoi ? Arrêtez ! Vous me racontez des bêtises ! Vous dites n’importe quoi ! Les vampires n’existent pas. Cela appartient aux légendes, et celles-ci relatent qu’ils ne sortent que la nuit, car le jour peut les détruire, et ce n’est pas votre cas. Ils ne pensent qu’au sang, ils tuent… et puis vous m’avez vu grandir, saigner, me blesser de diverses façons… et puis vous allez au soleil ! Enfin… Des vampires ! Non… cela n’est pas possible…

Je m’étais de nouveau assise, interrompant mes propos avant qu’ils ne deviennent trop incohérents. J’étais décontenancée, anéantie, les regardant alternativement. C’était si soudain ! Si incroyable…

Pelotonnée sous mes draps, je me rappelais encore ce moment avec exactitude, je le revivais avec une intensité similaire, malgré ces dix années écoulées.

— Je ne comprends plus rien… avais-je finalement murmuré.

Ma mère avait posé sa main sur la mienne et expliqué plus précisément :

— Les créatures dont tu parles existent réellement. Ce n’est pas une légende, toutefois ils ont été créés, c’est-à-dire mordus. Nous non, nous sommes des vampires nés. Nous sommes issus tous les deux de l’union de deux vampires eux aussi nés. Notre mère nous a portés et mis au monde, de la même manière que pour toi. C’est seulement à partir de notre premier âge adulte que nous avons amorcé une croissance beaucoup moins rapide que celle d’un humain. Avant, nous avions connu un rythme semblable. Le besoin de boire du sang se fait sentir chez nous à cette même période, mais celui-ci n’est pas incontrôlable comme chez les vampires créés, puisque nous sommes préparés dès l’enfance à l’éprouver. En ce qui nous concerne, ton père et moi, nous avons suffisamment d’expérience pour pouvoir résister à toute tentation et plus que tout, nous avons un immense respect pour la vie humaine. De plus, si nous pensions ne pas être capables de le faire, nous n’aurions pas choisi de t’adopter. Cependant, sache que nous n’avons jamais eu à le regretter. Tu es la plus belle chose qui nous soit arrivée, même si nous nous doutions qu’un jour nous aurions cette difficile conversation. Tu es notre fille, ma puce, et cela rien ne le changera. Tu n’as jamais couru aucun risque auprès de nous. Toucher à un enfant est d’ailleurs impossible, puisque pour nous, il s’agit d’un acte méprisable ! Si nous sommes physiquement différents de toi, en revanche nos sentiments, notre amour sont semblables à ceux que peut éprouver un humain. Cela peut même être plus intense.

Petit à petit, comme ce qu’elle me disait faisait son chemin dans mon esprit encore stupéfait, je n’avais pu m’empêcher de poser cette question :

— Vous tuez des humains ?

Alors mon père m’avait répondu avec beaucoup de douceur :

— Non, jamais. Et à l’époque où nous nous nourrissions de cette façon, nous ne prenions que ce qu’il nous était nécessaire puisque nous disposons d’un moyen de persuasion pour hypnotiser – en quelque sorte – qui permet de le faire sans que la personne sur laquelle nous nous abreuvons ne puisse s’en rendre compte, et notamment qu’elle ne s’en souvienne pas. À la différence des vampires créés qui sont confrontés directement à ce besoin une fois transformés, nous apprenons dès l’adolescence, quand le besoin de sang se fait sentir, à le maîtriser. Nous vivons en osmose avec les humains depuis si longtemps que personne ne se doute de rien, étant donné que nous ne désirons pas nuire. Vivre paisiblement est notre souhait. Dans ce but, nous avons dorénavant choisi un autre procédé pour nous alimenter, respectueux et surtout très discret.

Il m’avait saisi la main, cherchant mon regard, mais j’avais baissé la tête, assommée par ces propos :

— Annabelle, je devine que cela doit être difficile à croire. Nous allons faire au mieux pour répondre à toutes tes interrogations. Cependant, je peux déjà te dire que quand nous partons chasser, c’est que nous allons nous sustenter avec du sang animal et nous ne tuons jamais nos victimes. Nous ne nous nourrissons plus depuis belle lurette avec celui d’un humain… Annabelle, tu me comprends…

— Je…

C’était si extraordinaire !

J’avais relevé la tête et les avais observés tour à tour.

— Comment avez-vous fait pour me cacher cela pendant si longtemps ? demandai-je, perplexe.

— Je te l’ai dit : nous savons vivre normalement, faire attention. Cela nous est rendu possible parce que déjà physiquement nous ne sommes pas distincts de toi, et aussi car nous avons suffisamment d’expérience auprès des humains.

— Vous ne faites vraiment aucun mal ?

J’avais franchement eu besoin d’être rassurée sur ce fait : si mon père m’avait déclaré l’inverse à ce moment-là, cela aurait réellement produit une cassure irréversible.

— Pas le moins du monde. Enfin, pas nous, pas ceux qui vivent de la même manière, et nous sommes quelques-uns à avoir cette philosophie de vie.

— Pourquoi ? D’autres ne l’ont pas ? avais-je demandé.

— Non, pas tous et évidemment pas ceux qui ont créé des vampires.

— Parce que vous pouvez le faire aussi ?

— Oui, bien sûr. Cependant, nous ne l’avons jamais souhaité. En outre, créer un vampire, c’est permettre à une forme de dégénérescence d’exister. L’être ainsi créé peut vite devenir ingérable si son besoin de sang n’est pas maîtrisé, car il n’a plus rien d’humain, m’avait expliqué mon père, toujours avec beaucoup de patience.

— Mais comment cela se passe-t-il ?

— Par une morsure et un échange de sang, m’avait-il répondu avec laconisme.

— Ce que l’on raconte est donc vrai ?

— En tout cas pour une certaine partie.

Ensuite, je lui avais posé cette question qui m’était venue à l’esprit, même si encore aujourd’hui je n’en avais jamais eu la preuve :

— Et vous avez de grandes dents ? Enfin, je veux dire…

— Oui, nos canines s’adaptent pour que nous puissions nous nourrir, néanmoins ne me demande pas de te les montrer.

— Oh, cela ne risque pas !

Le silence s’était imposé de nouveau pendant quelques secondes. Il m’avait fallu digérer tout cela, et encore présentement, je n’en revenais pas de mon comportement lorsque toutes ces révélations m’avaient été dites. J’avais réagi avec beaucoup de calme, parce que, au fond de moi, je m’y attendais. J’avais souvent trouvé que mes parents avaient quelque chose de différent, même si je ne comprenais pas d’où me venait cette certitude. J’avais à plusieurs reprises noté cette force peu commune qu’ils possédaient tous les deux, leur physique toujours si parfait, leurs connaissances qui renvoyaient avec une grande exactitude à des événements qui paraissaient sur le moment comme vraiment vécus et tellement d’autres faits…

— Et pour moi, maintenant que vous m’avez dit cela, qu’est-ce que cela va modifier dans nos rapports ? avais-je posé comme question, rompant le silence.

— Rien, tu restes avec nous. Que croyais-tu ? Nous avons simplement voulu mettre les choses à plat. C’est tout. Cependant, en ce qui te concerne, cela ne change rien pour nous.

— Et…

— Oui ?

Puis cette question me vint brusquement :

— Vous allez me mordre un jour ?

En ce matin, comme si la scène se déroulait de nouveau devant mes yeux, je revis mon père se lever, s’accroupir en face de moi, plongeant ses pupilles tellement familières de ce marron foncé si intense et chaleureux dans les miennes, et déclarer :

— Non, jamais : tu es et tu resteras humaine. En t’adoptant, nous avons décidé d’élever un enfant de ton espèce, pas d’en faire un monstre.

— Un monstre ?

— Oui, car pour nous c’est ce qu’ils sont. Bien sûr, certains ont choisi de se nourrir de sang animal et arrivent à vivre au grand jour s’ils sont assez âgés. D’autres continuent de le faire avec du sang humain, mais toujours en respectant la personne qu’ils considèrent plus comme un donneur – même involontaire – qu’en guise de proie, ne les tuant pas. Envers ces derniers, nous avons de l’estime. En revanche, ceux qui ne craignent pas de commettre un meurtre et qui salissent ce que nous sommes, nous les abhorrons.

— Et il y en a beaucoup ?

— À l’échelle de la population humaine, heureusement très peu, cependant pour nous, ils sont trop nombreux, avait répliqué ma mère, avec une intonation cassante, surprenante chez elle, mais révélatrice de la manière dont elle les considérait.

— Et ils ne peuvent pas avoir d’enfants ?

— Non, car en les mordant, on arrête leur évolution. Nous, les vampires nés, nous nous développons encore, nous vieillissons et des enfants peuvent naître, si les femmes sont assez fertiles. Néanmoins, c’est de plus en plus rare.

Elle s’était levée et avait déposé un baiser sur ma joue, toutefois en restant un peu en retrait, comme si elle avait redouté ma réaction. Puis, après m’avoir bien observée, elle m’avait dit :

— Bien, écoute. L’heure du repos approche. Nous allons pour le moment laisser là la conversation afin de te donner le temps de bien comprendre ce que nous venons de t’expliquer. D’accord ?

— Euh, oui. Mais comment dois-je me comporter avec vous maintenant ?

— Comme te l’a dit ton père, rien n’a changé, sauf que désormais tu sais qui nous sommes, ou plutôt ce que nous sommes. Si tu juges que tu ne veux plus habiter avec nous, tu peux choisir de t’éloigner. Nous pouvons te trouver un pensionnat.

Sa voix avait semblé assurée, cependant je me doutais à présent qu’évoquer cette éventualité pour elle avait dû être difficile.

— Comment ? Mais non, je n’ai aucune intention de partir. Bref, il faut que je réfléchisse à cela, avais-je alors répondu.

Je ne savais plus quoi faire. Je voyais mes parents sous un œil si différent !

— Ma puce, nous t’avons élevée en connaissance de cause. Nous étions conscients qu’un jour tu devrais connaître la vérité. Pourtant nous comprendrions si cela te fait peur… si nous te faisons peur.

Sur ces mots, son intonation avait été moins affermie. Elle avait aussi pris une grande inspiration, puis avait continué :

— Ce n’est pas que nous ne voulons plus de toi. Nous souhaitons simplement que tu sois informée que tu as le choix : rester ou t’éloigner. Néanmoins, quel qu’il soit, nous serons toujours tes parents, même adoptifs.

Dans sa voix, j’avais pu ressentir une réelle émotion.

Ma décision était visiblement très importante à ses yeux. En outre, elle devait la redouter.

— Mais vous savez que je vais mourir un jour ? avais-je demandé.

Cette idée n’était pas si incongrue !

— Oh, que oui ! Nous avons craint pour toi suffisamment de fois ! Cependant, nous savons qu’un être humain est fragile en soi. Alors… Les parents humains vivent très bien avec cette réalité, même si l’on n’est jamais prêt à affronter une telle perte. De plus, bien que nous soyons des vampires, nous aussi nous mourons un jour. Nous ne sommes pas immortels, nous avons juste la capacité de vivre très longtemps et sans souffrir de maladie, ou d’autres pathologies. Néanmoins, il est vrai que tu… partiras sans doute avant nous.

Comme je ne savais plus quoi dire ni penser, j’étais retournée dans ma chambre, plongée dans mes réflexions.

Je me rappelais peu les moments qui avaient succédé, excepté que le matin suivant la nuit qui avait été blanche, je leur avais dit que je souhaitais rester avec eux.

Dix ans après, je ne regrettais toujours pas cette décision, même maintenant que je me trouvais dans cette grande maison où mes parents vivaient depuis environ cinq ans. Ils avaient préféré quitter leur résidence précédente, une fois que j’étais partie à l’université. Leur évolution physique étant constamment au même point, les gens se posaient de plus en plus de questions à propos de ces deux professeurs qui demeuraient invariablement aussi jeunes. Cela avait été le quatrième déménagement depuis qu’ils m’avaient adoptée, et ultérieurement à leur révélation, j’avais mieux compris la raison de ces changements.

Et pour ces quelques jours, cette vaste habitation était devenue un lieu de séjour pour plusieurs vampires, dont deux, par leur attachement aux valeurs familiales, étaient et surtout se considéraient comme mon oncle et ma tante, même si, dans l’immédiat, Zoltan et Mariah me semblaient très loin de ma vie. Malgré leur attitude amicale à mon égard, les autres avaient une part inconnue pour moi. Si j’étais au courant de la vérité sur mes parents, je ne les avais jamais vus sous leur apparence vampirique. Il y avait toujours une indubitable pudeur sur ce sujet de leur côté ou bien la volonté de ne pas me choquer. Depuis cet aveu, je savais ce qu’ils allaient faire la nuit, et quand j’étais là, ils n’hésitaient plus à se rendre à la chasse ensemble. Mais je demeurais ignorante du reste – de l’aspect physique –, et cela me convenait tout à fait.