Rencontre dans le désert - Christelle Dumarchat - E-Book

Rencontre dans le désert E-Book

Christelle Dumarchat

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Beschreibung

Partie en Égypte pour assister à des conférences, Annie Clément est loin d'imaginer le bouleversement que ce voyage pour le travail va entraîner dans sa vie. En effet, elle va faire la rencontre au Caire d'un homme hautain et étrange, le Cheikh Kassem Ben Khamsin. Son comportement va piquer sa curiosité, sans compter l'attirance qu'elle ressent envers lui. Mais elle ne se doute pas que cette décision va avoir un très grand impact sur son existence.

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Seitenzahl: 378

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Sommaire

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

Chapitre 25

Chapitre 26

Chapitre 27

Chapitre 28

Chapitre 29

Chapitre 30

Épilogue

20 mois plus tard

Chapitre 1

L’avion pique du nez.

Nous arrivons enfin.

L’Égypte, Le Caire. Une destination de rêve…

Mais le smog qui entoure cette ville est si dense que je n’essaye même pas de voir les pyramides.

Je n’oublie pas non plus que je suis avant tout ici pour le travail. Pourtant, je suis heureuse, car j’ai tant souhaité un jour découvrir ce pays !

Du reste, Éric et Stéphane sont aussi impatients que moi.

Lorsque nous descendons de l’avion, une bouffée d’air chaud et sec nous prend à la gorge. Des volutes de sable, venant du désert que nous pouvons distinguer entre les bâtiments, dans le lointain, virevoltent sur le tarmac. Nous pénétrons dans le grand hall envahi de valises et de voyageurs. Des groupes de touristes peu discrets font entendre leur voix au milieu de personnes vêtues en costumes locaux. Cet ensemble disparate forme un brouhaha continu, entêtant et épuisant après un périple si soudain.

Toutefois, ici, il fait frais. Un air climatisé, appréciable en contraste avec l’atmosphère qui nous a accueillis nous octroie un peu de fraîcheur. Le mois de juillet n’est pas un des plus froids dans ce pays. Néanmoins, nous n’avons pas eu non plus le choix de la date !

Après les contrôles, pendant que mes compagnons de route règlent la paperasse, je m’avance dans le hall, cherchant la sortie du regard.

Mal m’en prend !

Je bute sur une des valises et je sens venir la chute, comme au ralenti.

Subitement, une main ferme jaillit, me rattrape et m’empêche de tomber.

Levant les yeux, je croise des prunelles d’un vert intense. Émeraude.

Soudain, je ressens quelque chose dont je n’ai jamais fait l’expérience avant. Une forte émotion. Une chaleur immédiate. Je ne peux que rester le regard plongé dans celui de l’inconnu.

J’ai le sentiment de discerner de l’étonnement chez cet homme au visage mat, à la chevelure brune. Cependant, il se reprend très vite et détourne ses yeux des miens, ensuite il relâche mon bras lentement. Immobile, sous le coup de l’émotion, je n’arrive à balbutier que quelques mots de remerciement en français. À son air surpris, je pense qu’il ne m’a pas comprise. Quelle idiote ! J’aurais dû le faire en anglais.

Mes amis me retrouvent alors.

— Ça va ? s’inquiète Stéphane. Nous t’avons vue de loin.

— Oui, réponds-je d’une petite voix.

Je me retourne vers l’homme à la haute stature vêtu d’un costume noir qui nous observe avec une certaine arrogance, pourtant, il me semble identifier dans ses yeux une étincelle d’amusement. Je lui renouvelle mes remerciements en anglais cette fois-ci. Je peux à ce moment-là remarquer qu’un sourire ironique s’esquisse sur ses lèvres, puis il incline la tête, ne prononçant aucune parole, pour finalement s’écarter de nous. Les trois hommes habillés d’une gandoura brune, qui se trouvent près de lui, paraissent là pour veiller sur sa personne, car ils le suivent aussitôt qu’il claque des doigts. Leurs lunettes noires dissimulent leur regard, mais ils donnent l’impression de ne rien rater de ce qui se passe autour d’eux. Il s’agit probablement d’une personne importante, et d’ailleurs tout dans son comportement l’indique. Il possède l’assurance de quelqu’un qui doit considérer que tout lui est dû. Il rejoint d’un pas rapide et égal un autre groupe d’hommes qui portent des dishdasha et des keffiehs blancs, et une discussion s’engage entre eux en arabe, calme.

Je me soustrais à la vision de cette scène, j’attrape ma valise, et nous partons vers la sortie, espérant trouver un taxi.

Tout au long de notre parcours, je sens un regard sur moi, toutefois, je n’ose pas jeter un coup d’oeil en arrière, parce que je sais avec exactitude d’où il vient. Il me pèse et me suit jusqu’aux portes coulissantes.

Dehors, de nouveau, la chaleur accablante nous saisit.

Nous vérifions l’adresse de l’hôtel où nous sommes tenus de résider pour cette semaine. Cependant, nous avons une certaine appréhension à son sujet. Notre précédente aventure espagnole nous a servi de leçon parce que nous étions tombés sur un endroit insalubre, très éloigné de la capitale, peu desservi par les bus.

Dès lors, nous avions été dans l’obligation de faire appel à des amis qui avaient gentiment contacté des membres de leur famille pour qu’ils nous hébergent en catastrophe. Heureusement, cela avait rendu les circonstances beaucoup plus agréables et plus chaleureuses, puisque nous avions alors fait l’expérience de la vie madrilène, surtout celle nocturne, ainsi que les plats familiaux. Néanmoins, dans ce pays, ce ne serait pas possible d’opérer une telle rectification, étant donné que nous ne connaissons personne.

Nous réussissons à attraper un taxi et nous lui donnons l’adresse. Le vieux véhicule s’élance au milieu de l’embouteillage, avec un bruit de pétarade et un grand nuage noir.

Déjà, en France, je n’apprécie pas la vie urbaine et je ne me rends en ville que par obligation, dès lors le fait que notre université soit excentrée me convient vraiment. Céans, tout paraît dense, envahissant et oppressant. Par conséquent, si l’on ajoute les émanations des pots d’échappement, cela ne me donne pas envie d’en voir plus…

Cette année avait été difficile, compliquée, et même si elle incarne l’aboutissement de beaucoup d’années de travail, je suis loin de tout cela en cet instant. Je dois aussi commencer sans doute à ressentir la fatigue, à être lasse de tout. Au fond, prendre une année sabbatique me tente de plus en plus.

Ce voyage, qui est loin d’être d’agrément, est donc arrivé à temps. Une vraie bouffée d’oxygène. Bien que repose sur nos épaules le fait d’être dans l’obligation de représenter à nous trois les connaissances en civilisation antique de notre université, cela m’apaise, car j’ai la sensation de faire quelque chose de différent. Nous suppléons en urgence Mme Lapierre qui s’était cassé la jambe juste avant le départ et M. Aubert. La femme de ce dernier étant très malade, il a décidé sans prévenir de mettre un terme à sa longue carrière, souhaitant passer du temps avec elle. L’université a été forcée de trouver des remplaçants à ces deux éminents spécialistes promptement. Heureusement, les deux professeurs nous ont donné tous leurs documents, leurs notes, et avec ce que nous avions déjà, cela devrait aller. L’Égypte et la romanité : ici, ce sujet prend tout son sens. De surcroît, ce défi n’est pas non plus pour nous déplaire, et surtout un excellent moyen de faire nos preuves.

Pendant le trajet dans ce taxi bruyant et inconfortable, je reste silencieuse. Mes compagnons doivent mettre cela sur le compte de la lassitude, parce qu’ils me laissent tranquille, échangeant à voix basse leurs impressions.

Je repense à la rencontre fortuite de l’aéroport.

Je revois le regard émeraude.

Fascinant.

Fascinée encore par l’allure élégante et féline de cet homme. Je songe à ces princes du désert qui avaient hanté mes lectures adolescentes et qui m’avaient aussi donné le désir de découvrir les vastes étendues de dunes blondes. Je m’en rapproche de manière inattendue. J’espère pouvoir observer de près ces grandes immensités sableuses qui me font envie depuis que petite fille j’avais vu ces photos dans un des magazines de mon père.

Mais je cesse de gamberger à ce sujet et je me concentre sur notre parcours. Le taxi avance à vitesse réduite, car les rues sont encombrées et la circulation est compacte. En effet, des véhicules de toutes sortes et de toutes époques roulent de manière anarchique. Des cris viennent jusqu’à nous. Au milieu des automobiles, des ânes et des vélos tentent de passer. Des odeurs, des parfums se faufilent à travers les vitres ouvertes. De la poussière aussi. La chaleur suffocante pénètre à l’intérieur de ce véhicule où la climatisation est absente. Nous sommes loin des paysages photographiés sur papier glacé. Toutefois, nous ne nous lassons pas de ce spectacle : il est si inattendu et si vrai.

Le Caire se révèle être une métropole surprenante. Et le désir de voir les pyramides est là, même si je sais que la ville tentaculaire s’en rapproche graduellement. Cette atmosphère est réellement dépaysante. Cependant, la pollution mine cette vaste ville. Le nuage qu’elle produit nous a d’ailleurs empêchés de l’apercevoir durant notre descente en avion, et il nous est possible de distinguer, lorsque nous roulons dans le dédale des rues, des immondices.

Pour la suite des conférences, nous devons nous rendre dans une semaine à Louxor, et je n’attends que cela ! Le musée, Karnak, découvrir les vestiges de Thèbes… Je souhaite qu’après ce voyage, ce ne soit plus pour moi uniquement des photos, mais que cela devienne des réminiscences agréables.

Finalement, après un temps interminable passé dans le taxi et son étouffante moiteur, nous arrivons devant notre hôtel.

Une fois descendus, nous ne pouvons que nous regarder, stupéfaits.

Une façade décrépite, une enseigne qui clignote par intermittence. Et cette ruelle étroite et sale…

Nous sommes loin d’un orient rêvé !

Cela recommence ! Un hôtel minable !

Stéphane et moi, nous récupérons nos bagages pendant qu’Éric paye le taxi qui déguerpit assez vite, non sans avoir projeté un nouveau panache sombre et malodorant derrière lui.

Pour un premier contact, c’est un premier contact !

Nous pénétrons dans l’établissement. Dans le hall, un tapis oriental, qui ne doit en porter que le nom tellement il est défraîchi et élimé, recouvre le sol dallé. Les murs sont dans le même état que la façade, c’est-à-dire d’un écru qui a dû être blanc il y a longtemps. Pourtant, l’ensemble est propre, une odeur florale est perceptible, et je ne vois aucune poussière nulle part. Manifestement, le ménage est fait assez souvent. Lors de notre trajet d’arrivée, il m’avait semblé que la poussière paraissait omniprésente dans cette métropole surpeuplée et polluée.

L’hôtelier, un homme d’un certain âge, assis derrière un comptoir de bois où un bouquet de fleurs fraîches est posé, s’adresse à nous dans un anglais approximatif et avec un salut un peu triste. Il nous donne les clefs, puis nous conduit à nos chambres en traînant des pieds comme s’il portait le monde sur ses épaules ! Toutefois, il se montre affable et gentil quand il nous explique le fonctionnement de son établissement. Nous apprenons alors que nous serons dans l’obligation de prendre nos repas à l’extérieur et qu’ils ne fournissent pas le petit déjeuner. Prévoyants, nous avons fait suivre une bouilloire, étant des accros au café pour les garçons et au thé pour moi, ce qui nous permettra au moins d’avoir des boissons.

Les deux chambres sont côte à côte et, par chance, dans le même état de propreté que l’hôtel avec une peinture plus récente, dans des tons vert clair très doux, et des rideaux opaques permettent d’obturer les fenêtres. Un joli tapis orne le sol et l’ameublement est sommaire : un lit, une table de chevet, une commode, un fauteuil, très peu de décorations. Une des chambres possède un lit à deux places et l’autre deux petits. Mes deux compagnons de voyage se regardent.

— Bien, je pense que c’est simple, dit Stéphane.

— Ouais, j’espère que Cédric ne sera pas jaloux ! rétorque Éric avec un sourire en coin.

— Ça va, il comprendra, et Laura fera la même chose. Et puis, tu n’es pas mon type d’homme ! Choupette, tu dormiras dans la chambre avec le grand lit ! À moins que tu ne veuilles passer la nuit avec l’un d’entre nous ! me suggère-t-il avec un clin d’oeil.

— Le choix est judicieux ! En tout cas, si vous devez partager la chambre, vous avez au moins une douche ! Moi, je n’ai qu’un lavabo, déclaré-je en riant.

— Quand tu en auras besoin, tu nous le diras. Nous resterons dans ta chambre pour te laisser ton intimité. Il n’y a pas de souci. À la guerre comme à la guerre ! Nous pouvons nous reposer un moment aussi si tu veux, vu que tu as vraiment l’air harassé, propose Éric.

— Non, il vaut mieux que nous sachions où nous devons aller et effectuer des achats pour nous nourrir, si c’est possible, affirmé-je.

— Choupette, tu es une mère pour nous ! s’exclame Stéphane. Je ne songeais pas à cela ! Mais il est certain que nous n’allons pas exploser notre budget dans ce domaine. Manger sur le pouce me convient. En revanche, nous allons quand même tenter de dénicher un petit resto sympa, puisque j’ai aussi envie de découvrir la cuisine locale. Bon, alors à tout de suite, nous te laissons.

Ils entrent dans leur chambre.

Je connais Éric et Stéphane depuis la seconde. Tous deux férus de cultures anciennes, ils m’avaient pris sous leurs ailes au lycée comme j’avais un an de moins qu’eux, dans la mesure où j’avais sauté une classe en primaire. Internes, nous avons pu partager notre passion commune, et depuis nous ne nous sommes plus quittés. Si nous n’étions pas dans la même classe, au moins l’option latin nous réunissait. Nous avions poursuivi nos études ensemble. Étant donné que les choses ont toujours été claires entre nous, notre amitié est devenue très solide. Éric va être papa dans six mois, et Stéphane coule des jours heureux auprès de son compagnon Cédric depuis trois ans, après avoir traversé des moments très difficiles, ses parents ayant du mal à se faire à son choix, bien qu’il n’ait jamais caché son orientation.

Nous nous installons dans nos chambres respectives où le ventilateur du plafond brasse de l’air chaud. Avec soulagement, il est toutefois possible de voir que les portes et les fenêtres ferment bien. J’espère pouvoir recharger mon PC et mon téléphone à l’unique prise assez désuète. L’eau du robinet est plus que tiède, néanmoins pour se nettoyer de la poussière et de la fatigue du voyage, elle suffit amplement. Je refais mon chignon et je rejoins les garçons.

Nous sortons après avoir vu sur le plan fourni par le professeur Lapierre juste avant notre départ que l’université se trouve à deux rues de celle où nous logeons. Par chance, cette dernière avait déjà eu l’occasion de venir au Caire et nous avait remis quelques documents. Nous décidons donc de nous y rendre à pied afin de repérer les lieux. En outre, le transport en taxi avait aussi eu un certain coût, et nous ne pouvons pas nous le permettre tout le temps, car même si nos frais seront remboursés, ce ne sera pas de si tôt ! Nous ne sommes pas non plus désireux d’emprunter les transports en commun, préférant nous familiariser avec cette métropole, la découvrir à notre rythme.

Certes, je n’apprécie pas la ville, cependant la curiosité l’emporte et maintenant, n’étant plus sur le coup de la lassitude du voyage, je souhaite en voir davantage. De plus, après ce long voyage assis, un peu de marche ne peut qu’être bénéfique, et la chaleur extérieure n’est pas pire que celle que nous éprouvons à l’intérieur.

Pendant notre cheminement au milieu de la foule bigarrée, nous parlons de cette arrivée.

— Je suis quand même déçu ! s’insurge Stéphane.

— Tu n’es pas le seul ! lui répond Éric, en secouant sa tête rousse.

Son regard bleu clair protégé par des lunettes noires cache mal sa mauvaise humeur, puisqu’il nous est possible de ressentir la tension qui habite tout son corps.

— Je téléphone demain à l’université ! Cet hôtel est correct, mais ce n’est pas la première fois que nous avons droit à ce type de logement. Enfin, au moins cela nous permet de découvrir la véritable Égypte, loin des clichés touristiques ! ajoute mon ami blond.

Ses yeux gris sont pleins d’étincelles. S’il fait cinq centimètres de moins qu’Éric, il est plus impressionnant, son corps ayant été modelé par une pratique intensive de la boxe.

— Je suis certain que pour M. Aubert et Mme Lapierre ils auraient trouvé une autre solution ! s’exclame Éric.

— C’est clair, ils ont dû vouloir faire des économies ! résumé-je, en haussant les épaules.

— Je crois que nous arrivons, annonce Éric.

— Je commence à avoir faim, dit Stéphane.

— Stéphane ! m’écrié-je, moqueuse.

— Oui, je sais, je ne pense qu’à manger… Bon, au boulot ! Il y aura peut-être une cafétéria ! dit-il avec un clin d’oeil.

Je me contente de lever les yeux au ciel en soupirant et nous pénétrons sur le campus.

Tenues occidentales et orientales se mêlent dans les couloirs où nous retrouvons l’ambiance à laquelle nous sommes habitués. Nous nous sentons dans notre élément, même si notre présence semble attirer l’attention. D’habitude, j’aime bien les tenues assez bohèmes, pourtant aujourd’hui j’ai opté pour une jupe tailleur de couleur grège – que je ne porte que très rarement – et un chemisier classique marron. Néanmoins, mes sandales tropéziennes, ainsi que mon sac gibecière tranchent un tantinet sur cet ensemble. Ma soeur cadette, lorsqu’elle m’a cousu ce dernier, a quelque peu abusé sur les perles ! Mon chignon a pour but de me vieillir, car malgré mes vingt-six ans, j’ai toujours l’air assez juvénile, ce qui ne me sert pas dans ma profession. Ma petite taille n’arrange pas non plus les choses. Éric, avec sa passion pour les chemises hawaïennes, ne donne pas non plus l’idée attendue d’un professeur de littérature classique. La stature athlétique de Stéphane et son jean délavé non plus. Heureusement, notre entrevue avec le doyen se passe bien, notre réputation de sérieux et de compétence nous précédent. Notre connaissance du programme des conférences sur le bout des doigts semble l’impressionner. Je commence demain la première intervention et j’espère que tout ira bien. Le doyen nous confie à un étudiant chercheur, Hussein, qui nous fait visiter les lieux et je vois que l’amphithéâtre prévu pour le colloque est assez vaste, confortable et moderne.

Nous bénéficions d’une autorisation de consulter la bibliothèque. En outre, nous trouvons une cafétéria où nous nous restaurons, ce qui ne peut que réjouir Stéphane. Depuis notre départ hier soir, la collation matinale dans l’avion est déjà oubliée, et moi aussi je commence à sentir la faim. Ce repas de sandwichs et de salades nous est donc agréable. Nous profitons de la fin de l’après-midi pour améliorer nos notes pour le lendemain. À un moment, Éric se rend au secrétariat pour téléphoner à l’université, afin d’avoir des explications à propos de notre logement, tout en exposant nos doléances. On se contente de lui répondre que c’était la seule chose qu’ils avaient trouvée de disponible et que sa proximité avec le campus avait été aussi la raison de la réservation. Lorsqu’il nous relate cette conversation, nous ne pouvons que râler pour la forme.

À la fermeture de la bibliothèque, nous rentrons à l’hôtel. Les garçons restent dans ma chambre le temps que je me douche, puis nous nous quittons sur un bonsoir enjoué.

Chapitre 2

La journée a été longue et éprouvante.

D’abord, il y a eu le vol, et avec l’escale à Istanbul, onze heures au total, cela fait beaucoup, malgré la bonne compagnie et la lecture. Ensuite l’arrivée dans ce pays fascinant entre déception et joie. Et toute la précipitation du départ puisque nous avons dû nous organiser en catastrophe.

Alors, après m’être préparé pour la nuit, je me jette sur le lit avec bonheur. Puis je prends mon portable et j’appelle Hélène. Ma soeur doit se faire du souci, et avec son début de grossesse difficile, je n’ai pas envie qu’elle s’en fasse outre mesure.

Par chance, elle décroche assez vite : entendre sa voix est un vrai plaisir.

— Coucou, ma puce, l’interpellé-je.

— Ça va ? demande-t-elle.

— Oui, nous sommes bien arrivés.

— Et pas de mauvaise surprise ?

— Le vol a été long, mais pas inconfortable. L’hôtel est plus correct que celui de Madrid ! Vieillot, mais propre, même si je n’ai pas de douche dans ma chambre. Galamment, les garçons sont prêteurs de la leur.

— Et sinon ?

— Nous n’avons pas encore vu grand-chose. L’université est récente et très bien agencée. Nous avons été chaleureusement accueillis. Et toi, tout va bien ?

— Oui.

— Et les petits ?

— Tom et Lyne restent à la maison. Mon chéri ira constater demain si tout se passe bien pour eux. Tu es informée de quand les résultats tombent ?

— Pour le Bac, cette semaine, mais je ne sais pas si je vais pouvoir avoir les résultats.

— Cela devrait être positif !

— J’espère !

— Bien. Je suis consciente que communiquer à l’étranger coûte cher, alors je te laisse ! Tiens-nous au courant s’il y a quoi que ce soit, et surtout n’hésite pas à nous envoyer des photos par mail ! Je serais ravie de voir ce pays ! Sinon tu nous montreras à ton retour.

— J’espère seulement que j’aurais le temps et la possibilité de visiter la ville un peu, car il y a beaucoup de travail qui nous attend !

— Bisous ma grande.

— Bisous à vous tous.

Je ferme mon portable, et les yeux.

Un regard intense, émeraude, s’impose alors dans mon esprit.

La fatigue m’empêche de penser à autre chose et je m’endors avec la vision de ce beau visage à la peau mate, aux lèvres bien ourlées et à l’épaisse chevelure brune où l’envie d’y passer les doigts me surprend, étant donné que je ne le reverrai jamais…

Un coup frappé à la porte me réveille brusquement. Malgré le bruit et la chaleur, je me suis assoupie. Le matin est là, la lumière solaire recouvre déjà la pièce, la touffeur ambiante n’est pas encore présente.

— Annie !

Je me lève, ensommeillée, et j’ouvre le battant.

C’est Éric, habillé, un grand sourire sur les lèvres et décidément en pleine forme !

— Petit déjeuner dans notre chambre ? me propose-t-il.

— Je me prépare et j’arrive.

Je fais une toilette rapide. Heureusement que le soir précédent j’ai pu profiter de la douche des garçons, et même si la nuit a été lourde, je suis quand même un brin reposée. Néanmoins, je dormirai bien un peu plus. Les draps sont propres et la literie est correcte. C’est donc avec un grand soupir de regret que j’en détourne mon regard.

Je brosse mes longs cheveux blonds que je réunis dans un chignon bas. Avec cette chaleur, ce sera plus pratique ! Je passe un pantalon marron clair ample et fluide, acquis en catastrophe pour le voyage, avec une blouse de coton liberty – je me permets cette petite touche de couleur pour m’encourager –, puis je prends mon sac et ferme la porte. Je n’ai qu’à pousser celle de la chambre de mes amis, laissée entrouverte.

La bouilloire, qui nous accompagne partout lorsque nous nous déplaçons, est pleine, les pâtisseries achetées hier soir et les oranges sont sur le lit, étalées sur une serviette. Avec un thé pour moi et un café pour les garçons, c’est un déjeuner convenable. Je rince les gobelets récupérés à la cafétéria le jour précédent pour la prochaine fois, pendant que mes compagnons de route rangent.

Ensuite, nous partons de nouveau à pied. La foule me semble plus dense que le jour d’avant, sans doute à cause de la relative fraîcheur matinale. Nous prenons notre temps et observons ainsi des petites saynètes typiques : une marchande de fruits à côté de sa carriole bariolée, un groupe de femmes qui portent sur leur tête un grand panier en osier débordant de choses diverses, des vélos surchargés de marchandises qui se frayent tant bien que mal un chemin dans la circulation toujours aussi luxuriante, et des hommes en dishdasha ou en costume.

Une fois à l’université, le trac me submerge subitement.

Ce n’est pas la première fois que je donne une conférence, mais la responsabilité de représenter notre université pèse sur mes épaules. C’est moi qui dois tout organiser, bien que nous nous partagions le travail. M. Aubert, ayant été mon directeur de thèse, a souhaité qu’il en soit ainsi.

Je pénètre dans l’amphi bondé par un accès extérieur, la peur au ventre, même si mes deux compères m’ont promulgué avec force leurs encouragements, en me rappelant qu’ils seront présents, d’autant plus que je connais le sujet sur le bout des doigts. Toutefois, passer la première est loin d’être évident, je suis consciente que je n’ai pas droit à l’erreur.

Je m’assois à la table installée au milieu de l’estrade et je commence doucement, veillant à ma prononciation et regardant mes feuilles avec attention, tout en conservant un contact visuel avec le public. Si mon anglais est plus que correct, j’appréhende pourtant un peu les fautes de grammaire ou de syntaxe, et notamment les instants où le français va vouloir reprendre sa place. Mon exposé est entièrement rédigé en anglais, néanmoins, je redoute le moment où je risque de m’en écarter, poussée par une digression, par le trac.

Subitement, j’ai l’impression que tout se brouille, que les mots dansent sur le papier. La tension atteint son paroxysme, mais je sais comment réagir face à cela. Je respire posément, je me lève de ma chaise et passe devant le bureau. Posant mes notes à portée de main, je reprends mon discours.

Je me sens plus à l’aise, car il s’agit de ma façon habituelle de donner des cours, moins solennelle et plus personnelle. J’entends parfois quelques murmures, toutefois personne n’interrompt mon allocution. Les étudiants m’écoutent avec attention, visiblement captivés. À un moment, je croise le regard d’Éric, assis au dernier rang avec Stéphane, qui lève un pouce avec un grand sourire.

Et je poursuis. Je suis dans mon élément. J’aime tant faire ce partage de connaissances. La littérature latine et grecque, l’Antiquité, c’est une vraie passion chez moi depuis que j’ai commencé à faire du latin en cinquième. En fait, exercer mon métier est un bonheur, échanger davantage. Je conclus mon développement avec un texte appris par coeur. Alors quelques mains se lèvent et je réponds aux questions du mieux que je peux, tâchant de ne pas me laisser déborder par mon enthousiasme, restant rigoureuse.

Je quitte l’amphi pour céder la place à un autre professeur qui me serre la main, même si j’ai du mal sur le moment à retenir son nom, encore plongée dans mon exposé. Alors que je suis toujours dans ma bulle, dans le couloir de sortie, je croise le doyen qui parle avec un groupe d’hommes habillés du costume blanc local et d’un keffieh rouge et blanc. Il se dirige vers moi, me salue d’un signe de tête, puis il se tourne vers les hommes. Là, mon coeur se met à battre avec force à l’instant où je reconnais l’un d’entre eux.

L’homme au regard émeraude.

Ce même regard qui a hanté ma nuit. Un regard où il m’est possible de lire fugitivement de la surprise, pourtant, manifestement, il n’est pas homme à montrer son étonnement. Ce qui n’est pas mon cas !

Je dois rougir, sentant le feu sur mes joues. Et avec ma carnation, c’est loin d’être discret !

Le doyen ne semble rien remarquer de mon malaise :

— Professeur Clément, je me permets de vous présenter Monseigneur le cheikh Kassem Ben Khamsin, ainsi que son frère le cheikh Khalid.

Le cheikh Kassem s’incline devant moi, un petit sourire au coin des lèvres, manifestement amusé par mon embarras. Il me fait de cette manière comprendre qu’il m’a reconnue.

— Mademoiselle, dit-il dans un français parfait malgré un léger accent.

Ma stupéfaction est à son comble. Je frise franchement le ridicule. Il parle français, et moi qui pensais qu’il ne m’avait pas comprise à l’aéroport.

L’art d’être une idiote en dix leçons !

Son frère se contente d’un signe de tête pour me saluer.

Le doyen continue :

— Le professeur Clément est au Caire pour effectuer quelques conférences dans le cadre d’un échange interuniversité.

— J’espère que vous vous plaisez ici ? s’enquiert pour lors l’homme au regard émeraude avec un soupçon d’ironie dans la voix.

L’arrivée de mes compagnons m’évite de discuter, et au fond cela m’arrange. Le doyen les présente à leur tour, et ce sont eux qui répondent aux questions. Moi, j’en suis incapable. Le cheikh Kassem ne me quitte pas des yeux, et cette inquisition visuelle me déconcerte. Je n’ose porter mon attention dans sa direction, même si c’est impoli. Finalement, le doyen et ces hommes nous laissent, le premier reprenant son exposé interrompu sur les lieux.

Je les regarde s’éloigner, encore sous le choc de cette nouvelle rencontre. Ensuite nous partons dans le couloir à notre tour.

— C’est bien le type de l’aéroport ? demande Stéphane.

— Oui, réponds-je d’une toute petite voix.

Il m’observe avec un drôle d’air, puis s’exclame :

— Beau mec en plus !

— Stéphane !

— Quoi, ce n’est pas parce que je suis au régime que je n’ai pas le droit de lire le menu ! Sans compter que ce sont de purs hétéros, alors ils ne risquent rien avec moi. Cependant…

— Quoi ?

— J’ai vu la façon dont celui qui t’a aidée à l’aéroport t’a regardée. Tu as une touche ! ajoute-t-il sur un ton goguenard.

— Stéphane, arrête, répliqué-je en levant les yeux au plafond, tant il peut être à certaines occasions impossible.

— Ma puce, tu es une jolie jeune femme, intelligente, avec du caractère, mais comment l’exprimer sans te mettre en rogne ? Parfois, tu peux être très…

— … coincée, c’est cela ? repliqué-je.

— Je dirais plutôt qui se laisse trop envahir par ses responsabilités, qui ne profite pas assez…, continue-t-il en fronçant le nez.

— Et monsieur me conseille quoi maintenant ? Je te rappelle que c’est un cheikh, declaré-je, agacée.

— Comment ? s’exclame-t-il, sidéré.

— Eh oui, vous n’étiez pas là quand le doyen les a présentés. Alors, qu’ajoutes-tu ? ironisé-je.

— Bon sang, tu tombes sur un type qui te plaît et c’est l’équivalent d’un prince ! s’écrie-t-il.

Heureusement, nous parlons en français et nous avons de cette manière moins de chance que notre conversation soit comprise, car les étudiants commencent à nous regarder bizarrement.

— Qui t’a dit qu’il me plaisait ? m’enquis-je, toujours autant énervée.

— Je te connais, c’est tout, conclut-il en haussant les épaules, visiblement peu atteint par mon ton de voix.

— Je confirme, il te plaît, enchérit Éric, malicieusement.

Je secoue la tête. Si mes amis me connaissent bien, et que leurs propos ne sont pas si éloignés de la vérité, je trouve quand même qu’ils exagèrent. De plus, nous sommes là pour le boulot, et je ne suis pas venue pour marivauder avec le premier homme intéressant croisé, qu’il soit prince ou pas.

Nous rejoignons Hussein qui nous attend dans la pièce qui nous a été réservée aujourd’hui afin que nous puissions être au calme. Pour le repas de midi, il nous conseille un petit restaurant local situé à quelques rues et pas très cher, tenu par un ami. J’avoue que ce repas me fait du bien. Le cadre est assez épuré, avec juste la touche orientalisante qui suffit pour mettre dans l’ambiance. Assurément, c’est un endroit qui ne désemplit pas. Le taboulé est simplement parfait, ainsi que les kofta que nous découvrons avec plaisir. Ces boulettes de viande hachée sont excellentes ! Cela nous change des sandwichs.

Pendant que nous savourons ce moment, à Hussein, qui s’est joint à nous, nous demandons des éclaircissements sur les deux cheikhs. Ou plutôt, Stéphane se livre à un véritable interrogatoire, poussé par sa légendaire curiosité. Hussein se révèle être un informateur de première classe et nous comprenons mieux pourquoi cette université est si bien aménagée. Les Ben Khamsin font partie des donateurs privés.

Une fois notre repas achevé et de retour à l’université, Éric révise son exposé rapidement dans la petite pièce afin de préparer son intervention sur le culte d’Isis à Rome qui a lieu dans deux jours. La fin de la journée s’écoule comme la précédente par un détour à la bibliothèque, néanmoins je les quitte assez tôt, souhaitant me reposer seule.

Au bout d’une heure, plongée dans la lecture de mes notes, j’entends un bruit sec au battant. Je me lève du lit où j’étais assise en tailleur – la pièce étant dépourvue de bureau – et j’ouvre la porte.

Un homme inconnu, vêtu d’une ample gandoura brune, se trouve sur le seuil.

Il s’incline devant moi, restant silencieux.

— Vous désirez ? demandé-je en anglais, assez perplexe face à cette présence muette.

— Mon maître vous envoie ceci.

— Pardon ?

Il me tend une enveloppe beige épaisse, avec un dessin sur le coin gauche où il me semble distinguer un cheval et un oiseau de proie, ainsi qu’une longue boîte rectangulaire noire que j’identifie comme un écrin. Je saisis le pli, mais pas la boîte, ayant envie en premier lieu de savoir de quoi il en retourne, puis je la décachette et lis rapidement la missive rédigée en français. L’écriture est élancée, les lettres bien tracées.

Mademoiselle,

Veuillez recevoir ce présent.

Je souhaiterais aussi vous inviter à dîner ce soir à vingt heures.

Cheikh Kassem.

Alors que je boue à l’intérieur, je replace le billet dans l’enveloppe avec calme et la rends à l’homme.

— Veuillez rapporter ceci à votre maître, dis-je en insistant bien sûr le dernier mot.

Celui-ci semble un instant interloqué par mon geste, mais il demande quand même :

— Quelle réponse dois-je donner à mon maître, mademoiselle ?

— Que je ne suis pas intéressée, toutefois je le remercie, répliqué-je avec ironie.

L’homme est visiblement embarrassé. Il ne paraît pas comprendre que ma répartie est une fin de non-recevoir. Les yeux grands comme des soucoupes, il ne doit pas être accoutumé à ce genre de réaction, et il commence :

— Mais Mademoiselle…

Bien que ce soit impoli, je le coupe :

— Et faites-lui bien savoir que je ne mange pas de ce painlà. Je refuse donc l’invitation. Désolée pour le dérangement.

Je lui dis au revoir avec sourire courtois. Après tout, il n’est que le commissionnaire, il n’est nullement responsable de l’impudence de son maître.

Une fois la porte refermée, je repense à ce qu’Hussein nous a appris au sujet de cette famille : la famille Ben Khamsin se compte parmi les plus puissantes en Égypte. Propriétaires de plusieurs centaines d’hectares de terres et de désert, avec également beaucoup de sociétés diverses, ils sont milliardaires et possèdent aussi des liens avec l’Arabie Saoudite depuis que le père du Cheikh Kassem a épousé en secondes noces une princesse issue de ce pays. En outre, Kassem jouit d’une réputation de séducteur en Europe et aux États-Unis, en même temps que d’être un homme d’affaires avisé et un ingénieur reconnu.

Je fulmine. Que croit-il ? Qu’il va m’accrocher à son tableau de chasse ?

J’ai du mal à me replonger dans mon travail, cette visite et surtout cette demande impromptue n’arrivant pas à sortir de mon esprit.

Une nouvelle heure est passée lorsqu’à nouveau on toque à ma porte.

Je l’ouvre, toujours autant énervée par ce qu’il s’est produit tout à l’heure. Et je retrouve cet homme sur le seuil.

La moutarde me monte au nez et je l’interpelle vivement :

— Que voulez-vous cette fois-ci ?

Il me tend encore une lettre :

— Mon maître me demande une réponse écrite.

— Vous ne lui avez pas transmis mon message oral ?

Il émet un petit soupir penaud.

— Je vois, vous avez peur de le fâcher ! compris-je.

Je saisis l’enveloppe et je lis le mot glissé à l’intérieur.

Mademoiselle,

Je pense que vous vous êtes méprise sur mes intentions.

Je souhaite juste vous inviter à dîner ce soir.

Merci de me dire à quelle heure nous pouvons venir vous chercher.

Cheikh Kassem

Non mais, il se moque de moi ! À dîner ! Pourquoi pas une invitation à plonger direct dans son lit ! Il me prend réellement pour une idiote !

Il veut une réponse, il va l’avoir !

Je saisis un stylo dans ma trousse et note au dos de la missive :

Monsieur,

Comme j’ai pu précédemment le dire à la personne chargée de m’apporter votre billet, ma réponse est non.

Sachez aussi que parfois il vaut mieux faire les choses par soi-même.

Je ne signe pas et n’ajoute aucune formule de politesse. Je n’ai pas pour habitude d’agir ainsi ; toutefois, le fait qu’il passe par quelqu’un m’insupporte assez. À lui de comprendre à mots couverts mon message. Manifestement, il est coutumier de ce qu’on lui obéisse en un clin d’oeil. Avec moi, il va tomber sur un os.

Je donne l’enveloppe à l’homme qui la saisit dans une courbette, puis il repart dans le couloir où il croise mes amis qui reviennent de l’université après avoir effectué quelques achats sur le chemin pour notre repas du soir. Ceux-ci me rejoignent sur le palier et me demandent ce qu’il se passe. Je leur explique tout. Ils sont d’abord assez surpris par cette façon de faire, puis leur côté moqueur ressort et les plaisanteries fusent face à cette nouvelle mésaventure.

Si nous n’avons pas encore pu visiter quoi que ce soit dans cette ville si riche, le séjour se révèle très intéressant pour eux, surtout en ce qui me concerne. Moi et mon absence de vie sentimentale ! Je me retrouve prise dans une entreprise de séduction assez inédite qui devient pour eux un prétexte pour se gausser un brin de moi. Et manifestement, ils adorent cela !

Nous mangeons les kebabs qu’ils ont achetés, avec des fruits, et après avoir discuté du programme du lendemain, revu certaines de nos notes, nous nous séparons et je me prépare cette fois-ci pour la nuit.

Dehors, il y a toujours autant de bruit, et sans compter la tiédeur ambiante, j’ai le pressentiment que je ne vais pas dormir énormément.

Chapitre 3

Aujourd’hui, nulle conférence n’est prévue pour nous, cependant nous sommes dans l’obligation d’écouter celles des autres dans le but d’en rédiger un résumé à destination de Mme Lapierre. Nous nous partageons les exposés pour ne plus avoir par la suite qu’à réunir nos notes. Nous profitons de la bibliothèque avec l’intention de peaufiner nos travaux et effectuer des recherches demandées par nos collègues. Et aussi, en ce qui me concerne, afin de fureter un brin et dénicher un livre que je ne connais pas, bien que je sois assez fatiguée après une nuit blanche passée à m’interroger sur cette invitation impromptue, ainsi qu’à trouver un peu de fraîcheur.

Dans l’après-midi, de retour à l’hôtel, j’utilise la douche des garçons, puis ceux-ci repartent, me laissant le soin de mettre au propre nos notes et pour que je me repose un peu.

Après un thé vite bu, je m’installe devant mon travail. Même si mon ordinateur portable commence à vieillir, il me rend toujours service, et au moins pour ce type de tâche, il ne rame pas trop.

Je ne vois pas le temps passer, absorbée dans nos notes manuscrites.

À un moment, j’entends frapper à la porte. Imaginant que les garçons, de retour, ont quelque chose à me demander, j’ouvre sans aucune arrière-pensée…

… Pour me retrouver face à lui ! Je m’immobilise.

Il me salue avec déférence, ainsi qu’avec un très large sourire un peu moqueur :

— Bonsoir !

— Que faites-vous ici ? interrogé-je assez rudement, me montrant très impolie.

Ma mauvaise humeur ne semble nullement le troubler, car il me répond avec un calme olympien assez agaçant :

— Eh, bien votre message a été clair. Donc, je suis venu en personne.

Alors là !

J’avais malgré tout espéré qu’il comprendrait que je ne souhaitais pas le revoir. Il ne renonce pas facilement. Désire-t-il jouer à un jeu avec moi dont je ne connais pas les règles ?

— Que voulez-vous ?

— Vous inviter. Je considère que ma lettre était suffisamment intelligible.

Il sourit, mais cette fois-ci avec une touche de charme qui me désarçonne.

— Pardon ? demandé-je.

— Je suis venu afin de vous convier à partager mon repas de ce soir, répète-t-il en détachant bien les mots.

— Mais pourquoi ?

— Je pense qu’il vaut mieux que nous en discutions ailleurs que sur ce seuil, affirme-t-il.

— Non, rétorqué-je.

— Comment ?

— C’est non, je refuse. J’ai du travail et je souhaite me coucher tôt. Alors… Et puis comment connaissez-vous mon adresse ?

— Je n’ai eu qu’à demander au doyen sous un prétexte quelconque. Même si la mention de l’hôtel m’a quelque peu surpris !

— Mon université cherche à faire des économies. D’habitude, ils font appel à un autre établissement, cependant à cette date, il n’y avait plus de place…, expliqué-je.

— Je vois. Mademoiselle, en ce qui concerne mon invitation, ne vous méprenez pas sur mes intentions. Je m’engage à vous ramener de bonne heure.

— Ah oui !

Je dois sûrement avoir l’air d’une idiote ! Pourtant, indubitablement, mon refus l’a déstabilisé. Il ne doit pas être habitué à en essuyer.

— Accordez-moi ce repas. Je vous promets que vous n’avez rien à craindre de ma conduite. J’estime… que vous êtes suffisamment explicite !

Je suis plutôt troublée. Son comportement m’horripile foncièrement. Cette conversation me gêne. J’ai vraiment du mal à comprendre son intérêt pour moi. Pourtant, je suis assez désireuse d’en savoir plus.

Toujours est-il que je ne sais quel petit démon intérieur me pousse à dire :

— Bon, j’accepte.

Il semble soulagé par mon consentement et un sourire franc illumine ses yeux, puis il incline la tête en m’affirmant :

— Je vais veiller à ce que tout soit prêt. Hassan viendra vous chercher dans une heure.

— Ce soir ?

— Je sais que vous n’êtes pas ici pour longtemps, et demain soir, cela ne m’est pas possible.

C’est si soudain, toutefois il est inconcevable que je me dédise.

— Je serais prête.

— Je n’en doute pas. À tout à l’heure.

Il me salue, puis s’engage dans ce couloir à la peinture vieillie et au parquet élimé où sa présence, vêtue d’un pantalon noir à la coupe parfaite et d’une chemise bleue, semble totalement incongrue. Il se retourne au moment où j’allais fermer ma porte pour me poser cette question :

— Ah, au fait ! Mon présent ne vous a pas plu ?

— Celui qui se trouvait dans la boîte ?

— Oui…, hésite-t-il.

— Je ne peux vous le dire, je ne l’ai pas ouverte, déclaré-je.

— Pourquoi ?

— Ma mère m’a toujours dit de ne pas accepter des cadeaux d’inconnus, lancé-je avec ironie.

Il émet un petit rire :

— Je comprends.

Je le vois rejoindre deux hommes qui se trouvent au bout du couloir vêtus de la gandoura de la même couleur qu’Hassan, puisque je suis désormais informée du nom de cet homme.

Je ferme le battant et m’y adosse. Je n’en reviens pas…

J’ai dit oui !

Bon sang ! Dans quoi vais-je me lancer ?

Je dois être pour lui un défi, je ne peux pas expliquer autrement l’intérêt qu’il porte à une petite enseignante de littérature classique française. Sans vouloir me jeter des fleurs, je suis jolie, pourtant je ne l’ai pas toujours été, ayant connu une adolescence fil de fer et appareillage dentaire, et depuis longtemps je sais que je ne réussirai qu’en travaillant. Nonobstant le fait que depuis l’âge de dix-neuf ans, j’ai d’autres préoccupations que ma vie sentimentale… En une soirée, je fais fi de toutes les règles que je me suis fixées depuis tant d’années.

Mais je n’ai pas l’intention de me mentir, je n’ai jamais éprouvé cela. Une telle attirance, une telle manière de ressentir la présence de l’autre. Voire peut-être du manque… Il ne s’agit pas seulement d’une réaction de mon corps, j’ai l’impression que mon coeur et mes pensées sont aussi engagés. Cette prise de conscience est relativement douloureuse. De même que la confusion qui envahit mon esprit. Il faut que j’en parle. Je ne peux pas garder cela pour moi. J’entends un bruit de pas dans le couloir, et la porte qui est située à côté de la mienne s’ouvre : les garçons sont rentrés.

Attendu que mon rendez-vous est pour dans une heure, je me hâte de sortir et d’aller frapper à leur porte. Éric ouvre tout de suite, et aussitôt en entrant je leur narre les derniers faits. J’ai besoin d’avoir leur ressenti et notre amitié est telle que je sais que je peux leur en toucher un mot sans que cela ait une quelconque incidence. Ils ont toujours été là, dans les meilleurs moments comme dans les pires. Je suis aussi sûre qu’ils ne me jugeront pas.

— Tu as accepté ! s’exclame Stéphane, à la fin de mon récit.

— Oui.

— Eh bien, Choupette, t’es mordue, analyse-t-il avec tact.

— Oh, arrête !

— On ne t’a pas vue comme cela depuis l’épisode avec ce crétin, et encore, tu étais beaucoup moins troublée.

— Je fais une bêtise, c’est cela ?

— Pour cela, on verra quand tu seras revenue, déclare Stéphane.

— Je ne vais…

— Nous ne t’avons jamais connue ainsi. Il te plaît, c’est indéniable. Soit, nous sommes au courant des raisons de ton célibat. Mais nous sommes en Égypte, loin de chez toi, de tout ce qui fait que tu t’interdis de nouer une relation amoureuse. Tes études sont achevées, tu possèdes moins de responsabilités. Et cet homme, tu n’auras sans doute jamais l’occasion de le revoir. Alors…

— Vous ne me dites pas de… coucher, d’avoir une aventure, quand même ?

— Tu prendras la décision qui te semble la meilleure. Néanmoins, honnêtement, personne n’est jamais mort d’avoir eu une passade, énonce avec un clin d’oeil Stéphane.

— Merci pour le réconfort, rétorqué-je d’un ton boudeur.