Le combat d’une vie - Laure Thibaut - E-Book

Le combat d’une vie E-Book

Laure Thibaut

0,0

Beschreibung

Cet ouvrage est une vision croisée du parcours de deux cadres. Confrontés aux dysfonctionnements de la société actuelle, Laure et Michel se sont attachés à y faire face tout en conservant leurs valeurs. Comment être une femme cadre supérieure ? Comment concilier vie professionnelle et vie privée ? Comment lutter contre l’emprise des réseaux en privilégiant les compétences ? Autant de questions qu’ils illustrent avec leur vécu, tout en proposant des pistes de réflexion et d’amélioration.


À PROPOS DES AUTEURS

Ingénieurs de Polytechnique et de la Ville de Paris, Laure et Michel Thibaut sont mariés. Première génération de leurs familles à atteindre de tels niveaux de responsabilité, ils ont dû gérer la distorsion entre leurs aspirations et la société d’aujourd’hui. Leur objectif est de permettre au lecteur de mieux comprendre ses propres difficultés et de l’aider à trouver des idées pour résister, voire lutter contre le système actuel.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 283

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Laure & Michel Thibaut

Le combat d’une vie

Ou comment être polytechnicienne

et mère, et s’affranchir des réseaux

© Lys Bleu Éditions – Laure & Michel Thibaut

ISBN : 979-10-377-9213-6

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Livre I

Le vécu de Laure

La prépa

1er choc « culturel » : originaire d’une école privée qui venait d’ouvrir une terminale C depuis 2 ans, issue d’une classe unique de filles avec 16 élèves, je me retrouve à 16 ans, avec 2 ans d’avance, au lycée Louis le Grand, dans une classe à 40 élèves avec 5 filles.

2e choc « culturel » : je me retrouve là, car ma mère est arrivée un jour au secrétariat avec mes bulletins sous le bras en demandant s’il était envisageable que je fasse une prépa. La secrétaire lui a répondu que c’était dommage, que si elle était venue plus tôt dans la matinée, elle aurait eu la réponse tout de suite, mais que si elle pouvait revenir en fin d’après-midi, une deuxième commission se réunissant, elle pourrait avoir la réponse. Quand ma mère est rentrée à la maison, elle m’a annoncé que j’étais prise dans une filière inconnue de mes parents qui avait seulement le bac pour ma mère et qui ne l’avait pas eu pour mon père. Je me retrouve donc le jour de la rentrée tout intimidée, m’asseyant à côté d’une rare fille près de la porte. Un élève passe la tête, demande si c’est bien là la HX2. Je lui réponds que non, qu’ici c’est math sup 2 ; il rigole, je ne connais pas le vocabulaire, car c’est la même chose.

Ensuite, les ennuis commencent. Je sors d’un lycée de niveau bac et je découvre une classe où les élèves qui s’en sortent ont déjà quasiment fait la première année de prépa en terminale. Pour la première fois de ma vie, je ne comprends rien aux cours de maths qui en plus durent 4 heures d’affilée. Me levant chaque matin pour prendre le train de 7h 04 à Versailles pour arriver à 8 h en cours, je lutte pour ne pas dormir et recopie sans comprendre les pages que je retravaillerai le soir pour me coucher après minuit. Résultat : mes notes plongent en maths de 18/20 à 2,5/20 pendant 6 mois. Ceci étant, je ne suis pas la seule ; plus de la moitié de la classe est dans mon cas.

Ma mère, inquiète de me voir tant travailler, me dit que je pourrais bifurquer en fac ; je suis fâchée qu’elle ne me fasse pas confiance. Je me suis engagée dans cette voie, je dois faire face. Je m’accroche et un jour cela paie ; je m’en souviens encore aujourd’hui comme d’une grande victoire : 6,25/20 ; la 12e note de la classe. Mes camarades, cherchant qui avait les meilleures notes, n’auraient jamais pensé à moi et sont tout étonnés. Je suis enfin sortie d’affaire.

Avec une moyenne d’un peu moins de 10 sur l’année en maths et en physique, je passe en deuxième année en P’. À l’époque, dans l’ordre de niveau, il y avait M’ (dominante maths), P’ (dominante physique), M et P, Louis le Grand n’ayant pas de spé P dans son établissement. Au milieu de l’année, ma mère va voir ma prof de physique pour lui demander comment elle envisageait mes résultats au concours. Sa réponse : sûrement Centrale et si elle a de la chance Polytechnique. J’ai eu de la chance…

Quand le professeur de sports nous accueille au début de l’année, il nous dit qu’il nous salue, mais qu’il sait qu’il ne nous reverra pas de l’année. Mais je sais que je suis très mauvaise en athlétisme et qu’il y a une épreuve de sports au concours de l’X avec une note éliminatoire de 5/20. Pendant toute l’année, je vais courir toute seule au milieu de la cour pendant l’heure qui était prévue pour le sport dans mon emploi du temps. Les élèves me regarderont des coursives des étages supérieurs, mais je sais que la note éliminatoire va être difficile pour la distance la plus longue à courir en 12 minutes.

Les concours

Je découvre cet univers : les salles immenses pour le concours des Mines avec des centaines d’élèves. Je fais le calcul : on sera 1,3 à intégrer ; ce n’est pas possible que ce soit moi.

Au concours de Polytechnique, à la première épreuve de maths, c’est la première fois de ma vie que je ne comprends strictement rien à ce qu’on nous demande. J’aurai 5,5/20. Par contre, la veille de la première épreuve de physique, alors que j’étais couchée, je me dis qu’il y a un sujet que je n’ai pas assez revu. Je décide de me lever ; il tombera le lendemain et me permettra d’avoir 17,5/20.

Le jour des résultats de l’écrit, je suis chez moi, j’attends devant mon minitel… Ma meilleure amie m’appelle, elle a eu les résultats avant moi, je suis admissible à Polytechnique ; je tombe dans le canapé, ce n’est pas possible… Mais c’est pour le petit o (petit oral). À l’époque, les élèves tangents avaient 2 oraux (un en math et en physique) avant d’être éventuellement admis aux vraies épreuves orales (grand o). Je me retrouve donc pour la première fois dans les locaux de l’école polytechnique dans mon tailleur rose du haut de mes 18 ans. L’examinateur de maths regarde ma pièce d’identité et me dit : « vous avez l’air d’une pin-up là-dessus ». J’essaie de retrouver mes esprits et démarre mon exercice. En physique, cela se déroule plutôt bien ; je déroule tout mon raisonnement ; le tableau est plein. L’examinateur qui n’avait rien dit se tourne vers moi et me signale qu’il n’obtient pas le même résultat. Je revérifie, je ne trouve pas d’erreurs. Les minutes passent, longues. Et tout d’un coup, il me dit de modifier une donnée de départ ; la pression retombe.

Je suis finalement admissible au grand o. En français, l’examinateur me demande si j’accepte qu’un futur candidat assiste à mon oral pour voir comment cela se passe. Je donne mon accord. Quand on passe aux questions de culture générale, qu’il me demande de citer des villes de la Creuse et qu’il cherche à m’aider en disant les tapisseries de… de… ils seront deux à rire quand je sors « des Gobelins », car j’étais passée devant le matin. L’examinateur me dira alors : « c’est pas mal, vous y étiez presque, on se reverra l’année prochaine ». En anglais, ma LV2, après le résumé du texte, vient une discussion avec l’examinateur. Vers la fin, il me demande la dernière fois que je suis allée en Grande-Bretagne. Je bredouille, je m’excuse que ce soit en seconde, mais c’est ma LV2 et la prépa n’était pas simple pour moi. Ce n’est qu’avec la note, 18/20, que je comprendrai a posteriori qu’il a trouvé mon accent étonnamment bon pour ne pas avoir été comme il l’imaginait sans doute fréquemment à l’étranger. Pour une des deux épreuves de maths, j’apprends que je tombe avec un des examinateurs réputés les plus durs. On raconte qu’un élève n’a pas ouvert la bouche, est resté pendant des minutes sans aide, qu’il lui a demandé de tracer un trait à la craie, de continuer jusqu’à la porte et de la prendre. J’arrive angoissée, je découvre un sujet que je ne sais pas faire ; je démarre tout haut un début de raisonnement et il m’aide. Au final, c’est avec lui que j’aurai ma meilleure note en maths au concours : 14/20.

Mon admissibilité en poche pour les 3 concours que j’avais passés, l’X, Centrale et les Mines, j’ai fait le tour des secrétariats des écoles pour leur demander leur programme d’enseignement. J’ai vu à la tête de la secrétaire des Mines de Paris qu’aucun élève n’avait dû venir lui demander une chose pareille ; c’est la réputation qui devait sans doute être le seul critère pour les autres. Mais pour moi, sans référence familiale, je voulais continuer sur une voie qui allait me plaire. Si j’avais le choix, je privilégierais l’aspect pluridisciplinaire de Centrale ou de l’X avec une préférence pour l’X avec la diversité des matières scientifiques (biologie, chimie…) et surtout le programme d’humanités sciences sociales avec un choix entre psychologie avec E. Badinter, architecture avec P. Chemetov ou initiation aux problèmes institutionnels, économiques et politiques avec J. Attali.

L’épreuve de sports de l’X me réserve la difficulté attendue en athlétisme. Ma mère reste dans les tribunes pour l’épreuve tant redoutée d’endurance et entend 2 professeurs parler entre eux : « tu as vu la jeune fille qui court, elle fait de gros efforts, mais elle ne va pas aller loin… » Après tant d’effort et malgré un entraînement toute l’année, je récolterais un petit 32/100, mais au-dessus de la barre d’élimination à 25/100.

C’est le jour des résultats pour l’X, je me retrouve avec ma mère et mon père dans le hall où on va afficher la liste. Nous ne sommes pas les seuls, la liste arrive, mon père se fraye un chemin, ma mère et moi étant restées en retrait. Il revient vers nous, la mine triste ; je pense que j’ai échoué. Mon père nous expliquera plus tard que par égard à tous ceux qui n’avaient pas réussi, il ne voulait pas faire éclater sa joie que j’étais classé 49e. Ensuite, le doute, où se trouve la barre avec précision ? Je pensais 50, mais est-ce bien cela ? J’en suis trop près pour ne pas vérifier. Nous voyons à côté de nous un Monsieur d’un certain âge qui a l’air d’être de l’école ; nous lui exposons notre problème. Il nous rassure : « la barre est à 52 et ne vous inquiétez, ce qui compte ce n’est pas le classement, mais d’être pris ». J’apprendrai par la suite qu’il s’agit du directeur de l’école, un polytechnicien, modeste.

Ma position dans le classement d’entrée à quelques points de la barre, le fait qu’avec la meilleure note de sport, j’aurais été 2e du classement me feront relativiser à la part de chance qui me vaut d’intégrer.

Mes premiers pas à l’X

Le premier jour, je me retrouve à la cantine à côté de deux élèves que je ne connais pas et qui vont discuter pendant tout le repas de théories mathématiques dont je ne comprends pas le premier mot. Je verrai plus tard qu’ils finiront dans les 10 premiers du classement de sortie. En attendant, je me demande pourquoi je suis arrivée là, que c’est dû à la chance, que je n’ai pas le niveau et que je vais me retrouver dernière du classement de sortie avec ma 49e place du 52 à l’entrée dans la filière la moins cotée.

Je suis une des 30 filles sur 330 élèves. On dit pour rigoler : une promo de 330 avec 30 filles plus 30 étrangers, devinez qui sont les étrangers ?

La première fois que je recroise des camarades qui étaient avec moi en première année de prépa à Louis le Grand, mais qui étaient partis en M’, meilleure filière que moi, ils me snobent en ne me disant même pas bonjour. Ils avaient des noms à particule. Je comprends qu’ils ne me considèrent pas comme alter ego. Je m’inquiète de savoir avec quel mépris ils traiteront dans la vie professionnelle des bac+2…

Je découvre les bâtiments de l’école sur le site de Palaiseau : un hall monstrueux, deux amphis gigantesques… Lors de notre premier amphi, le directeur de l’école nous fait un discours : « vous avez un X gravé dans le dos qui ne s’enlèvera jamais ». Le soir, j’appelle mes parents et je leur raconte ce que je considère comme une hérésie. Bien des années après, je comprendrai ce qu’il a voulu dire et combien il avait raison ; comment j’ai acquis durant ces années l’ambition de jouer un rôle dans la société, d’avoir une utilité sociale qui sera frustrée de ne pas avoir les moyens de faire évoluer la société pour aider à grande échelle mes concitoyens.

À la fin de ce premier rassemblement, nous allons un par un signer notre engagement. Je croyais que l’année de service militaire serait adaptée pour les filles. J’allais bientôt découvrir qu’il n’en est rien.

Je découvre et m’extasie de tout le trousseau militaire qu’on me donne : soutien-gorge, trousse de couture, treillis. Je décide de me couper les cheveux pour ne pas les abîmer avec la tresse qu’on nous demande en permanence quand nous serons sur le terrain. Je trouverai cela moins drôle quand je partirai pour mes 3 semaines de classe avec un sac à dos presque plus gros que moi ; quand je me suis éloignée, mes parents n’ont plus vu de moi que 2 jambes sous un sac à dos.

C’est le moment du départ en train pour la Courtine. Une mère d’un camarade de promo déclare sur le quai de gare : « tiens une fille, je ne savais pas qu’il y en avait ; elle a pris la place d’un de tes collègues ».

Les 3 semaines de classe

C’est à ce moment que j’ai découvert qu’il n’y a aucun traitement particulier pour les filles : 3 semaines de classe à la Courtine, camp militaire dans la Creuse, en treillis, rangers à crapahuter et faire le parcours du combattant. Il n’y a que trois éléments dont nous sommes dispensées : le mur de 2 mètres, la fosse de 2 mètres sur 2 et la planchette irlandaise à 2 mètres.

Je vois vite que les sous-officiers qui nous encadrent ne savent pas qu’on peut avoir de vraies limites physiques ; pour eux, quelqu’un qui n’y arrive pas est un fainéant. Un des adjudants finit par comprendre que ce n’est pas mon cas et que je vais au bout de mes possibilités. Mais ce sont vraiment 3 semaines de souffrance. D’autant plus que mes camarades garçons ne font rien pour me soulager ; au contraire, je récupère fréquemment la pelle de la section qui alourdit encore mon sac à dos pendant les marches.

Lorsque je remets pour la première fois mes habits civils, cela me fait tout bizarre. Et la première pomme que je mange quand je peux enfin faire des courses en dehors de la caserne est un vrai délice.

Heureusement, il y a quelques cours théoriques et je me découvre un grand intérêt pour le tir. La première fois que je tire, allongée avec un FSA (fusil semi-automatique), on ne me prévient pas assez du recul et je me prends l’arme dans l’œil. J’en garderai à vie une mouche qui passe devant mon champ de vision. Je me révèle assez bonne dans cette discipline.

Au final, je ne me retrouve pas si mal positionnée dans le classement de sortie.

C’est le moment de s’orienter pour les écoles d’officiers de réserve dans les 3 armes : terre, mer et air. Compte tenu de mes limites physiques et de la durée des classes (4 mois dans l’armée de terre, 2 mois dans la marine et 1 mois dans l’armée de l’air), j’espère pouvoir choisir l’armée de l’air. Mais, mes camarades de promo m’expliquent qu’on ne fera pas jouer le classement, car la tradition veut qu’on s’entende. Dans le cas où il y a trop de mêmes demandes, on tire au sort. On m’explique que si je ne respecte pas cette tradition, je serais mis au ban de la promo pendant toute ma scolarité à l’école. Hélas, comme souvent, le sort ne m’est pas favorable.

Un des moments les plus cornéliens de ma vie a été le jour où, appelé un à un dans l’ordre du classement, je me suis approchée et ai prononcé le choix « armée de terre » alors qu’il y avait encore des places vacantes dans l’armée de l’air et que je savais que j’allais encore souffrir physiquement 4 mois et en plein hiver.

L’École d’Officiers de Réserve (EOR)

Je me retrouve à Montargis pour 4 mois d’EOR dans les transmissions et malheureusement comme prévu je souffre physiquement. Là encore, mon encadrement ne comprend pas au début que ce n’est pas du tire au flanc.

Mais un matin d’hiver, alors que nous faisons un cross chronométré dans la neige, je m’évanouis presque dans les bras de mon commandant à l’arrivée. À partir de cet instant, avant chaque épreuve physique, il me demandera si je veux la faire, car il a peur qu’il m’arrive un pépin de santé dont il aurait la responsabilité. Je lui demande si je serai dispensée ou bien si j’aurai un zéro à l’épreuve ; comme il me dit que j’aurai un zéro, je la ferai pour ne pas obérer le classement de sortie qui définira le lieu d’affectation pour le reste de mon année de service militaire.

Les garçons sont beaucoup plus sympathiques que mes camarades de l’X ; finie la pelle en plus. Au contraire, certains vont m’aider à finir certaines épreuves physiques en portant mon sac à dos en plus du leur. Un groupe de 10 : 9 garçons, une fille. Les pauvres lors du parcours du combattant en groupe où je dois passer les 3 obstacles dont nous sommes dispensées quand nous sommes seules. Mais certains me poussent, d’autres tirent et on franchit ensemble tous les obstacles.

L’épreuve la plus terrible est la marche de 60 kilomètres autour de Donzy, dans la Nièvre en plein hiver. Le problème n’est pas de faire 60 kilomètres sous la neige, le problème vient des règles du jeu qui sont ajoutées : on fait comme en temps de guerre ; des camions sillonnent la campagne et si notre groupe de 10 est repéré, on recule de quelques kilomètres. Il faut donc se déplacer, à couvert, de préférence de nuit. On rampe dans les fossés, on finit par avoir les doigts blancs, gonflés d’eau et remplis d’épine de ronce.

Cela va durer plusieurs jours. Un soir, nous demandons l’hospitalité pour dormir quelques heures dans la grange d’un couple d’agriculteurs. Ils nous accueillent, nous offrent une boisson chaude. Je fais le choix de ne pas retirer mes vêtements avant de m’enfouir dans la paille, car j’ai trop peur de la difficulté de remettre mes habits gelés qui n’auront pas eu le temps de sécher en quelques heures ; au moins, ils garderont ma chaleur corporelle. Et fort m’en a pris, car quelques minutes plus tard, après avoir eu le temps à peine de nous assoupir, nous sommes réveillés : le fermier nous a dénoncés ! Sa femme est furieuse et moi, je me dis que cela devait être terrible pendant une vraie guerre de voir ainsi la lâcheté humaine.

Je n’ai jamais vu la fin de cette marche, car le commandant, qui faisait le tour de tous les groupes m’en retirera en demandant au camion infirmerie de me ramasser quand il me trouvera dans un état de délire léger. Ce jour-là, à l’infirmerie, j’ai savouré chaque morceau de la ration qu’on m’a donnée alors que c’était en réalité vieux et mauvais.

On m’avait dit à l’époque qu’un jour cela deviendrait un bon souvenir ; on avait tort, encore aujourd’hui cela fait partie des pires moments, le seul intérêt étant que je peux dire que ce jour-là, j’ai atteint mes limites physiques et que je sais donc ce que c’est.

À la Courtine, j’ai découvert mon intérêt pour le tir ; à Montargis, je découvre les transmissions et la mécanique des jeeps. Dans ces matières, mes notes sont bonnes, ce qui fait qu’au final, mon classement de sortie ne sera pas mauvais.

Il y a aussi des moments mémorables : le tirage au sort que je perds quasi systématiquement et qui fait que je suis de garde entre 2 h et 4 h du matin. Le jour, où étant de garde devant la porte de la caserne, un couple passant, la femme recule et s’exclame « tiens, c’est une fille ! ». Le plaisir de découvrir les pralines, spécialités de Montargis. Le jour où je refuse l’entrée à l’un des gradés du régiment, car il ne respecte pas la consigne qu’on m’a demandé d’appliquer : il n’a pas sa pièce d’identité. Il est furieux, mais le commandant me donnera raison.

Enfin, une activité vers la fin des EOR où j’étonne mon commandant : il s’agit de descendre en rappel la façade du bâtiment en passant par la fenêtre des toilettes du dernier étage en montant sur le radiateur. Des garçons, bons d’habitude dans des épreuves physiques, renoncent.

Quand vient mon tour, mon commandant me rappelle que je ne suis pas obligée ; quel sera son étonnement, quand je franchis sans trop de difficultés le bord de la fenêtre et que je prends même un certain plaisir dans la descente. C’est normal, car la difficulté n’était pas du ressort physique, mais psychologique et qu’une faiblesse dans l’un n’est pas synonyme de faiblesse dans l’autre.

C’est l’heure du classement de sortie. Je ne veux pas à nouveau me retrouver dans une affectation qui ne me conviendra pas. Comment pourrais-je faire pour encadrer 10 soldats, leur demander de faire le parcours du combattant que je ne sais moi-même pas faire ? Il faut savoir/pouvoir montrer l’exemple. Une place est offerte à l’Etat-Major de Saint-Germain en Laye. Il faut absolument que je l’aie. Une de mes camarades mieux placée que moi veut cette place. Je vais pour la première fois de ma vie user de stratégie. Je fais semblant de vouloir une autre affectation pour qu’elle la veuille aussi. Et cela marche, je me retrouve affectée à l’Etat-Major de la 1ère région militaire, mais qui n’est pas dans l’endroit prévu, mais dans l’hôtel des Invalides.

La fin de mon service militaire dans l’hôtel des Invalides

La fin de mon service militaire va être étonnante et sympathique.

Étonnante, car j’arrive tous les matins en civil, je me change dans mon bureau et je suis en militaire (aspirant) toute la journée avant de rentrer chez moi de nouveau en civil : une pause militaire dans un monde civil.

Je deviens le 2e adjoint du colonel Foliot, responsable des relations publiques du Général, chef de la 1ère région militaire. Je vais donc devenir pendant les 7 mois restants de mon service militaire une sorte de journaliste, pour la communication externe et interne.

Je découvre aussi qu’il y a un stand de tir à 25 m dans les sous-sols ; je vais avoir le plaisir de m’y entraîner une fois par semaine. Après chaque séance, une feuille circule avec les scores de chacun en pointant celui d’entre nous qui a fait le meilleur tir. Le 1er adjoint, lieutenant-colonel proche de la retraite, qui ne me voit déjà pas d’un très bon œil dans mes fonctions, s’étrangle le jour où c’est moi qui fais le meilleur score. Que je le concurrence dans les relations publiques, il n’apprécie déjà pas, mais j’ai l’excuse de mes études ; mais que je lui sois supérieure dans une compétence militaire, là c’en est trop pour lui…

J’apprécie de pouvoir tirer, mais ce que je fais le reste de la journée aussi est intéressant. Alors que le français n’a jamais été ma matière de prédilection, je développe ma compétence d’écriture : des communiqués de presse, des articles…

Deux épisodes me font m’éloigner de Paris et rejoindre pendant une petite semaine un attachement militaire standard.

Pour le premier, je me retrouve dans un régiment de Fontainebleau. Comme ils n’ont pas l’habitude d’avoir des filles et encore moins officier, même si je ne suis encore qu’aspirant pendant un an, je me retrouve logée dans une grande salle de classe transformée en chambre pour l’occasion. Je vais avoir l’occasion de passer mon permis de conduire, militaire certes, mais qui se transformera sans soucis en permis civil. Après quelques cours théoriques, je passe sans encombre une épreuve de code. Pour la conduite, c’est avec une jeep et mes rangers sur un circuit dans un terrain clos. Parce que c’est une vieille jeep, il est obligatoire pour ne pas caler de débrayer dès le début d’un freinage. C’est ainsi que la première fois que je voudrai m’arrêter à un passage piéton avec une voiture civile, je le ferai 50 m trop loin ; heureusement que ce n’était qu’un exercice… L’épreuve pratique est encore plus surréaliste que le code ; quand je vais demander aux instructeurs la note qu’ils m’ont donnée, ils me répondent que comme je suis officier comme eux, j’ai forcément réussi. C’est pour cette raison que revenue à la vie civile, j’ai tenu à reprendre des cours dans une auto-école ; je me souviens de la surprise du moniteur quand je lui ai dit que j’avais mon permis et son incompréhension devant ma volonté de prendre des cours. Il a compris après ma tentative d’arrêt au premier passage piéton.

Pour le second, il s’agit de passer une semaine dans un régiment et d’observer un travail d’officier encadrant 10 soldats du rang. Je choisis Épinal et je retrouve quelques camarades de promo qui ont eu cette affectation. Je prends alors conscience de deux choses : ce que signifie le terme NG0 et comment être polytechnicien ne préserve pas de devenir un abruti. Quand on rentre à l’armée, un soldat du rang fait un test pour évaluer son niveau général (NG) et reçoit une note, la plus basse étant 0. C’est dans ce régiment que j’ai pu me rendre compte concrètement ce que signifiait une personne avec un niveau général de 0. Je dois avouer que je n’aurais pas pu l’imaginer sans le voir.

Mais ce qui m’a le plus choquée, c’est de voir mes camarades de promo reproduire en poste ce que nous avions tant critiqué pendant nos classes : rentrer sans s’annoncer dans une chambrée, critiquer un élément, passer un savon à l’un des soldats, voire lui donner une punition injuste et s’écrouler de rire une fois la porte refermée. Je leur ai alors demandé comment ils pouvaient être si stupides alors qu’intellectuellement, ils étaient censés avoir du répondant.

La couverture du 14 juillet, puisque mon colonel est chaque année dans le camion des journalistes de télévision qui commentent le défilé, va m’apporter deux grandes opportunités.

La première consiste à élaborer un vrai journal : certes en interne à l’armée puisqu’il est destiné aux militaires qui participent au défilé, mais avec des vraies techniques de professionnel. Je construis tout du début jusqu’à la fin : les idées, les textes, les photos, la mise en page et la reprographie. Ces deux dernières phases me conduisent au Maine Libre qui a accepté de mettre ses outils à notre disposition. Une fois dans ma vie, j’ai eu l’occasion de produire un vrai journal !

La seconde me conduira à participer à la gardenparty organisée par le Président de la République à l’issue du défilé. Quel souvenir ! Un jour, mon téléphone de bureau sonne ; je décroche et mon Colonel me demande si j’ai envie d’aller à l’Élysée. Je lui réponds que ce n’est pas sympa de se moquer de moi, mais il me répond qu’il ne plaisante pas ; il a plusieurs invitations et si cela m’intéresse, il m’emmène. J’accepte sans hésitation. Et me voilà, en tenue militaire, rentrant à la Présidence de la République, toute timide. Puisqu’on est arrivé en avance, mon colonel me fait visiter la salle du Conseil des ministres ; je suis impressionnée surtout pas la pendule qui trône au milieu de la pièce. Ensuite, nous nous retrouvons dans les jardins ; je dois avouer que cela n’a pas été agréable, mais quelle étude de mœurs j’ai pu faire. Habituellement, j’ai toujours du mal à me frayer un chemin vers les plats quand je suis à un cocktail. Là, c’est pire que d’habitude, les gens se ruent sur les petits fours, je m’attendais à ce que le « gratin » soit particulièrement poli et c’est l’inverse. Impossible pour moi d’atteindre la nourriture.

Donc je reste planter au milieu du gazon de l’Élysée et j’observe. Mon colonel me présente à mes camarades d’école, venus en grand U, qui me regardent d’un mauvais œil, car cet honneur est normalement réservé aux majors (les meilleurs de la promo) et ce n’est pas mon cas.

Je me rends compte qu’il y a deux attroupements dans deux endroits du jardin ; je verrai plus tard que le Président Mitterrand est au centre du premier et Gainsbourg au centre du second. Plus tard, Gainsbourg sera en grande discussion avec des légionnaires. J’étais donc là en cet instant où l’idée de la chanson « aux armes, et cetera », fameuse Marseillaise revue par Gainsbourg, est née.

Je commence à m’ennuyer ; je me retrouve à côté d’un Général de l’Armée de Terre 5 étoiles qui a l’air de s’ennuyer autant que moi. En fait, j’observe que les discussions entre deux personnes n’en sont pas vraiment ; on voit que l’une a l’air manifestement de demander quelque chose à l’autre, qui ne semble pas être intéressé et qui regarde autour de lui s’il n’y a pas quelqu’un qui l’intéresse pour aller lui-même lui faire une requête. Bref, une somme de discussions en sens unique sans vrai échange. Pour mon voisin, Général 5 étoiles, son ennui vient du fait qu’il n’attend plus rien de personne, étant arrivé au plus haut de la hiérarchie, et que tous ceux qui viennent le voir le font par intérêt. Je commence à entamer une conversation qui devient très sympathique, car il est tout content de pouvoir discuter avec quelqu’un qui n’attend rien de lui et avec qui il a des points communs : son fils est en prépa…

Je finis donc en beauté mon service militaire, la tête remplie de souvenirs avant de réintégrer l’école pour mes deux années de scolarité.

Mes deux années de scolarité à l’X

Quelles années j’ai passées ! Quelle chance j’ai eu d’avoir à portée de main autant de compétences, de nourriture intellectuelle ! Dans tous les domaines, nous avons face à nous des esprits brillants : Lionel Stoléru en économie, Alfred Grosser pour nous parler de l’Allemagne, Marc Ferro pour l’URSS. Moi qui n’ai jamais été une grande littéraire, je bois leurs paroles. Les matières scientifiques ne sont pas simples pour moi, mais je m’accroche : un trimestre, 4 matières aussi différentes que l’analyse hilbertienne, la mécanique des fluides, la physique quantique et la biologie et à la fin du trimestre, nous sommes censés avoir le niveau pour continuer dans n’importe laquelle en doctorat. Ce n’est qu’à la fin du trimestre que j’ai l’impression que je commence à comprendre le sujet et trop tard, on passe au suivant en redémarrant à zéro. Le trimestre termine par un grand contrôle de 4 heures, chacun dans nos chambres avec nos adjudants qui font le gué dans les couloirs pour vérifier que nous y restons bien. Il s’agit d’un vrai sujet de recherche pour lequel nous pouvons puiser dans tous nos livres et dont la note servira pour notre classement de sortie. C’est dans la matière qui est la plus éloignée de moi : l’analyse hilbertienne que j’obtiens ma meilleure note, en ayant cherché à remplacer la compréhension par la logique de l’utilisation de techniques apprises. C’est à ce moment que ce que j’ai découvert pendant mes années de prépa se confirme : j’étais bonne en maths et physique au lycée, mais en fait je n’aime pas ces matières dès qu’elles deviennent trop théoriques, trop abstraites, sans lien direct avec la réalité. En fait, j’aime le concret, l’humain. La biologie est la seule matière dans laquelle j’aurais eu plaisir à poursuivre des études avec les langues étrangères, mais mes choix m’ont conduite ailleurs.

Même nos temps libres sont de qualité ; viennent à nous, sur le plateau, dans nos amphis de grands noms que je n’avais pas l’occasion de croiser dans mon quotidien. C’est ainsi que j’ai assisté bouche bée à un spectacle de Raymond Devos.

La campagne électorale pour élire nos représentants est un grand moment de notre deuxième année avec les folies imaginées par chacune des équipes en compétition : un dromadaire en plein amphi, un catamaran déposé comme par magie en plein milieu d’un puits de lumière alors qu’il n’y avait apparemment aucune ouverture latérale, une voiture taxi qui faisait des allers et retours entre nos chambres et le bâtiment des études. Mais ce qui m’a le plus impressionné, c’est le dernier geste de l’équipe qui a finalement remporté la victoire : lors d’un contrôle de classement, ils ont pris une demi-heure de leur temps, risquant ainsi des conséquences négatives sur leurs propres notes et donc leur place dans le classement de sortie pour distribuer à tous les autres élèves des boissons chaudes pour nous donner du cœur à l’ouvrage. J’ai moi-même été touchée par cet altruisme.

En plus du travail que me donne le tronc commun, je multiplie les cours qui sont autant d’opportunité de développer mes compétences : en plus de l’allemand LV1 et de l’anglais LV2, je démarre le chinois avec deux cours par semaine, seule LV3 possible, car les cours sont positionnés le soir. C’est ainsi qu’entre la 2e et la 3e