Le Duel à travers les âges - Gabriel Letainturier-Fradin - E-Book

Le Duel à travers les âges E-Book

Gabriel Letainturier-Fradin

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Extrait : "Avant de rechercher quels peuples de l'antiquité ont connu le duel, et quels autres l'ont dédaigné, il importe de bien définir le mot et la chose. Par duel, on doit entendre le combat consenti spontanément entre deux hommes qui règlent, avec des armes égales et au péril de leur vie, un différend survenu entre eux sur une question d'honneur, de cœur ou même simplement d'intérêt — préférant ainsi cette solution à l'accommodement."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Veröffentlichungsjahr: 2016

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CE LIVRE EST DÉDIÉ

À MONSIEUR A. HENRY

PRÉFET DES ALPES-MARITIMES

EN TÉMOIGNAGE

DE RESPECTUEUX ATTACHEMENT

ET

DE PROFOND DÉVOUEMENT

NICE, MAI 1892.

Autrefois, les duels étaient une bataille ;

À côté des tenants, les parrains se mettaient ;

Tout seuls et sans public, les deux groupes luttaient

Pour la vie, en frappant d’estoc comme de taille.

Ni cuirasse de fer, ni casque avec ventaille ;

L’épée et le poignard aux mains, ils se jetaient,

Et, dans leurs corps à corps quand ils se charcutaient,

Ils chargeaient sans merci, comme sur la piétaille.

Leur point d’honneur venait de haines de Maisons,

Ou bien de rien du tout, tantôt pour des raisons

Futiles, et tantôt pour des injures graves ;

Si, sous le coup du fer, longuement empourpré,

Plus d’un, digne de vivre, est resté sur le pré,

Leur folie était haute, et leurs lames très braves.

2 Mai 1892.

ANATOLE DE MONTAIGLON.

Préface

Chez mon excellent maître Charles Ruzé, – mon véritable initiateur en cet art admirable des armes, – dans cette coquette salle de la rue de la Bienfaisance où j’ai passé, le fleuret en main, de si bonnes heures, j’aperçus un jour, prenant sa leçon avec Adolphe Ruzé le fils cadet de mon vieux maître, un tout jeune homme qui « plastronnait » avec ardeur. Élancé et bien pris, en sa culotte noire demi-collante, il se « fendait » sur l’indication du professeur, avec ce bel élan qui n’indique pas seulement une irrésistible détente de jarrets, mais qui décèle la véritable passion des armes dont le siège est bien plutôt dans le cerveau que dans les jambes. Le jeune élève commençait à m’intéresser. Le professeur en vint à compliquer et à « raffiner », si je puis dire, sa leçon : après les coups droits, les « dégagés » et les « une-deux » il demanda à son élève de « tromper le fer » dans toutes les lignes de « doubler » et « dédoubler ». Tous ces mouvements si difficiles à bien exécuter et qui exigent avec beaucoup de retenue du corps, infiniment de « doigter » furent rendus par l’élève avec cette facilité et ce brio qui décèlent un « sujet », un de ces rares élus, construits au physique et au moral (il faut autant de ceci que de cela) pour faire un véritable escrimeur. Décidément le petit jeune homme à la culotte collante m’intéressait tout à fait.

« Papa Ruzé » s’en aperçut et me le montrant du coin de l’œil avec une certaine satisfaction : « vous regardez mon jeune élève, il va bien, hein ?

– Il va même très bien.

– Je compte sur lui.

– Vous avez joliment raison. Comment s’appelle-t-il ?

– Gabriel Letainturier-Fradin.

– Son nom est un peu long, mais il est rudement "vite" sous les armes. »

On l’a deviné, le petit jeune homme qui faisait si bien des armes et qui a « continué », c’est l’auteur de ce livre, devenu aujourd’hui, depuis la douzaine d’années que date notre première présentation, un grand jeune homme, très solide, mais toujours élancé et ayant su, grâce à sa passion pour la noble science des armes qu’il cultive quotidiennement, se préserver du fâcheux embonpoint.

En raison de la spécialité à laquelle je me suis voué, l’auteur de ce livre m’a demandé d’être son préfacier.

M. Letainturier-Fradin n’avait nul besoin de présentation auprès du public très renseigné auquel s’adresse son intéressant ouvrage – il est connu de tous ceux qui de près ou de loin s’occupent d’escrime – mais j’ai accepté tout de même, avec plaisir, ce qu’il me demandait avec tant de bonne grâce ; car outre que j’ai conservé beaucoup de sympathie pour lui en souvenir des nombreux assauts que nous avons faits ensemble, je suis heureux d’être en quelque sorte le parrain d’un enfant aussi bien venu que celui qu’il vient de confier à mon éditeur et ami Flammarion.

Et puis, il y a encore une autre raison ; mon jeune ami Fradin a exactement vérifié le pronostic que nous avions fait, les Ruzé et moi, à savoir qu’il deviendrait un excellent escrimeur. Et il est toujours flatteur pour notre amour-propre de voir l’évènement vérifier notre prophétie.

Écoutez plutôt.

Et d’abord, en manière de reconnaissance à l’égard de l’enseignement de ses excellents maîtres, M. Fradin a été le premier lauréat très remarqué des assauts entre collégiens à Paris, organisés par la Société d’Encouragement à l’escrime.

Son excellente tenue sous les armes, sa vitesse de main, ses attaques rapides bien conçues et habilement exécutées, avaient tout de suite impressionné favorablement le jury.

Quelques années après, il entreprenait avec Adolphe Ruzé un voyage en Italie, prenait part au tournoi International de Turin, en 1884 et malgré sa jeunesse – il avait 19 ans – remportait, en même temps que son professeur, une brillante récompense hautement méritée.

Depuis, M. Letainturier-Fradin n’a point cessé de cultiver assidûment les armes, à Paris et en cette belle ville de Nice où il a fixé sa demeure et où le retiennent ses fonctions.

Il n’est que juste de reconnaître que c’est lui qui a fait aimer l’escrime à Nice, qu’il a contribué à en propager le goût dans toute la région en organisant de très intéressants assauts auxquels il prenait part pour la plus grande satisfaction du public, heureux d’applaudir un tireur à la fois correct, élégant et fort.

Tout récemment, et pour prouver qu’il n’a rien perdu de son « entraînement » et de sa belle ardeur, il a pris part au tournoi International de San Remo : il y a remporté la première médaille d’or et a été tout simplement classé premier.

Tout ceci pour prouver que l’auteur de ce livre n’est pas seulement un théoricien, un laborieux capable de consacrer quatre années à réunir les documents les plus précieux, c’est encore et surtout un exécutant qui possède pratiquement les questions d’escrime et de duel, qu’il traite avec tant de variété et d’une façon si complète dans son bel ouvrage « Le Duel à travers les âges ».

Je n’ai nul besoin d’analyser le livre de M. Fradin dont le but est clairement exposé dans l’introduction si nette, si sincère qui accompagne cette préface.

Je dirai seulement à tous ceux qui me font l’honneur de me lire depuis de longues années « lisez avec confiance cet ouvrage d’un homme de bonne foi, très compétent en la matière et vous vous en trouverez bien, vous tous qui de près ou de loin vous attachez aux choses de l’escrime et du duel. »

Le livre est intéressant d’un bout à l’autre, bien documenté, élégamment écrit par un historiographe extrêmement consciencieux – enfin il trouve le moyen de dire des choses nouvelles sur ce sujet toujours neuf et toujours vieux : le duel.

C’est dire que l’habile auteur-escrimeur a su « toucher » le lecteur au bon endroit.

Paris, le 8 mai 1892.

ADOLPHE TAVERNIER.

Introduction

Voici sur le duel un livre de plus, qui souhaite de prendre place à côté de tous ceux qu’on a déjà publiés sur le même sujet. Si je l’ai écrit, ce n’est pas cependant pour le vain plaisir de traiter, après tant de maîtres, des questions qui m’intéressent passionnément, et dont j’ai acquis une certaine pratique, – ou de voir figurer mon nom dans la nouvelle édition de la Bibliografia generale della Scherma de Gelli, qu’on ne manquera pas de donner bientôt (avec une traduction française meilleure) ; – si je l’ai écrit, c’est qu’il m’a semblé que, conçu comme je l’avais rêvé, il pourrait réellement être utile et, dans une certaine mesure, nouveau.

J’ai remarqué que, parmi tant d’excellents livres qu’a inspirés l’escrime ou le duel, aucun ne formait à lui seul, un traité d’ensemble de la matière. Chaque écrivain, jusqu’ici, s’est enfermé volontiers dans la partie du sujet pour laquelle il avait de particulières prédilections : c’est ainsi, – pour n’en citer que quelques-uns, – que M. Émile Mérignac a fait une Histoire de l’escrime parfaite, et M. A. Tavernier, dans son Art du duel, un code non moins excellent du duel sur le terrain. L’Essai sur le duel, de Châteauvillard, paru en 1836, et qui contient de très bons chapitres, faisant toujours autorité, est cependant aujourd’hui un peu démodé. Il existe aussi de fort bonnes monographies de MM. Legouvé, Mauroy, du Verger-Saint-Thomas, Scholl, Vallée, du baron de Vaux, etc., etc., sur le duel et l’épée, mais ce ne sont encore que des monographies.

Tel que je l’ai conçu, mon livre a l’ambition, – un peu grande peut-être, – de constituer un traité complet du duel, depuis ses origines, qui, heureusement, ne se perdent pas dans la nuit des temps, jusqu’à notre époque, jusqu’au duel d’hier, – j’allais dire jusqu’au duel de demain, – car en le terminant par un exposé aussi précis que possible des règles du duel, c’est aux rencontres futures que j’ai songé, et non plus à celles du passé.

La première partie de ce volume a trait à l’histoire et à la législation du duel. Pour en réunir les matériaux, je n’ai pas ménagé mes soins et ma peine. Le vrai moyen d’y être nouveau était de s’adresser aux sources : aussi ai-je interrogé ou fait interroger de très nombreux documents, encore inédits, que les historiens précédents avaient laissé sommeiller un peu trop dans leur lit de vénérable poussière, aux Archives nationales, au fond des bibliothèques publiques et particulières, ou parmi les vieilles chroniques, et dont les notes indiquent pour chacun la provenance. Il fallait ne rien dire que d’exact, et être, autant que faire se peut, complet. J’espère donc que ces chapitres offriront quelque intérêt, du moins aux curieux, qui aiment à savoir comment nos ancêtres pensaient, agissaient, et quelle distance nous sépare de leurs habitudes, de leurs mœurs.

Peut-être me saura-t-on aussi quelque gré d’avoir fourni des indications générales sur le « duel international », et montré comment les divers peuples civilisés l’envisagent, le pratiquent et le punissent.

Les duels célèbres, qui forment la seconde partie, ont été bien souvent déjà racontés, et plusieurs fois par de brillants écrivains ; mais, pour beaucoup d’entre eux, une légende s’est formée, et si bien accréditée, que le récit en est devenu un pur roman. Là aussi, j’ai eu, avant tout, la préoccupation de présenter les faits sous leur vrai jour, et, dût-elle être parée de moins vives couleurs, de remplacer la légende par la vérité.

Enfin, dans la troisième partie, je me suis efforcé de prévoir et d’exposer toutes les conditions d’une rencontre : constitution des témoins, qualité d’offensé, choix des armes, attitude, sur le terrain, de chacun des acteurs de cette fâcheuse, mais trop souvent inévitable solennité que l’on nomme un duel. Ici, la matière a été traitée si complètement et par tant de maîtres, que ma tâche n’a guère été que de présenter à nouveau les règles qui désormais font loi. J’ai terminé en réclamant instamment la mise en pratique d’une idée, bien ancienne déjà puisqu’elle remonte à Louis XIV et au tribunal des Maréchaux de France, l’idée d’un jury appelé à prononcer en dernier ressort sur toutes les affaires d’honneur. Il n’est pas douteux que son fonctionnement régulier aurait le résultat que doivent souhaiter tous les hommes de cœur : une notable diminution dans le nombre des duels qui se produisent si souvent pour des causes trop futiles, où l’honneur n’est nullement engagé.

Si ce livre a été écrit plus spécialement pour ceux qui font de la science des armes leur étude de prédilection, il s’adresse également aux gens du monde restés étrangers aux choses de l’escrime et à l’histoire du duel : son auteur sera largement récompensé de ses efforts si, après l’avoir lu, on y reconnaît au moins le souci constant de l’exactitude et de la conscience.

Un mot encore pour dire que ce même souci a présidé au choix des illustrations : il n’en est pas une qui n’ait été empruntée à la source pure, ou du moins restituée, aussi habilement qu’il a été possible, d’après les documents les plus authentiques.

PREMIÈRE PARTIEHistoire et législation du duel
ILes origines

LE DUEL JUDICIAIRE

Avant de rechercher quels peuples de l’antiquité ont connu le duel, et quels autres l’ont dédaigné, il importe de bien définir le mot et la chose. Par duel, on doit entendre le combat consenti spontanément entre deux hommes qui règlent, avec des armes égales et au péril de leur vie, un différend survenu entre eux sur une question d’honneur, de cœur ou même simplement d’intérêt, – préférant ainsi cette solution à l’accommodement que, dans la plupart des cas, pourraient leur fournir les lois de leur pays.

Il est remarquable que ni les Grecs, ni les Romains n’ont fait usage du duel pour terminer les querelles particulières, celles surtout où l’honneur est en jeu. Ces peuples, si braves et si belliqueux pourtant, jugeaient indigne d’eux de laver un outrage dans le sang de l’insulteur, alors au contraire que, dans nos idées, le ridicule s’attache à ne pas le faire. Duellum, en latin, signifie : combat entre deux factions, par opposition à bellum, dont le sens est : guerre entre deux nations. Le célèbre combat des Horaces et des Curiaces ne saurait être considéré comme un duel, quelque ressemblance qu’il puisse avoir avec les rencontres telles qu’on les pratiquait au XVIme siècle ; en effet, ces vaillants combattants ne réglaient entre eux nulle question d’honneur ni de cœur : bien loin de là, puisque des liens étroits de famille et d’amitié les unissaient ; ils furent simplement les représentants de leurs deux nations, qui s’en remettaient à eux de leurs destinées, – un peu comme l’on se confie au hasard, – car ils étaient d’égale force et d’égal courage.

Le duel a une origine germanique. Les peuplades barbares qui conquirent la Gaule et une partie de l’Europe pendant le Vme siècle le pratiquèrent beaucoup, parce qu’elles professaient autant de mépris de la mort que de répugnance à rester sous le coup d’un affront. Chez elles, le combat s’effectuait publiquement, devant toute la tribu, et ne se terminait que par la mort d’un des deux adversaires. À côté de ce duel, meurtrier toujours, les Germains en introduisirent un autre fondé sur la superstition et l’exagération du sentiment religieux. Ils admirent que dans un combat décidé pour le règlement d’intérêts privés, l’issue devait être nécessairement fatale à celui des deux champions qui n’aurait pas le bon droit de son côté : c’était le jugement de Dieu. Leurs codes mêmes consacrèrent cette étrange doctrine et on la retrouve inscrite dans les lois des Saliens, des Ripuaires, des Lombards, etc. Gondebaud, roi des Bourguignons, la justifiait ainsi dans son code, appelé loi Gombette : « C’est, dit-il, afin que nos sujets ne fassent plus de serments sur des faits obscurs, et ne parjurent point sur des faits certains. »

Quand la Gaule eut été au pouvoir des Germains, les prêtres chrétiens ne réussirent pas à déraciner cette pratique ; vainement en signalèrent-ils le danger et la barbarie ; ils durent renoncer à la combattre, et furent même forcés bientôt, non seulement de la subir, mais encore de la faire exercer par des champions pour le propre compte de l’Église.

C’est ce qu’on appelle le duel judiciaire, qui fut si répandu en France pendant le haut Moyen Âge, et que l’on employait plus volontiers dans les procès que tout autre genre de preuve, la preuve par témoins ou par l’eau bouillante, etc.

Mabillon rapporte qu’en 775, un différend s’éleva entre l’évêque de Paris et l’abbé de Saint-Denis. Le duel judiciaire ayant été accepté par les parties, deux champions furent désignés. Devant une croix, pendant qu’on célébrait la messe pour donner plus de solennité à l’acte, ils se placèrent, les bras étendus, et celui des deux qui se lassa le premier de cette attitude pénible et laissa retomber les bras, fit perdre son client. Ce fut l’abbé de Saint-Denis qui gagna.

Mais l’issue du duel n’était pas toujours aussi douce aux champions. La plupart du temps, l’épreuve consistait en un véritable combat où la victoire restait au champion qui avait mis son adversaire hors d’état de tenir une arme. Même, sous Louis le Débonnaire, au IXme siècle, on poussa si loin la férocité qu’un champion vaincu avait le poing coupé : « Et campioni qui victus guerit, propter perjurium quod ante pugnam commisit, dextera manus amputetur », tel est le texte formel d’un capitulaire de ce temps.

Il en était encore ainsi plus de deux cents ans après. En 1098, deux abbayes du diocèse de Tours eurent une contestation pour la possession d’un prieuré. Tous les moyens amiables ayant été épuisés, il fallut bien recourir au duel judiciaire, et une charte fort authentique du temps nous fournit les curieux détails de la rencontre qui se produisit. Les deux champions, vêtus d’une chemise d’étoupes recouverte d’une tunique en drap rouge, apparurent, la tête découverte, les cheveux taillés en rond et les pieds nus. Leur bras gauche portait un bouclier de bois, couvert de cuir rouge, et leur main droite était armée d’un bâton long de trois pieds. Avant le combat, ils entendirent la messe et affirmèrent tous deux, la main sur le missel, qu’ils combattaient pour le bon droit. Par suite, chacun dit à l’autre qu’il en avait menti, comme imposteur et parjure.

Et ils entrèrent dans le champ-clos.

Un crieur le parcourait, annonçant les châtiments les plus sévères pour quiconque favoriserait l’un ou l’autre des combattants, soit par gestes, soit par paroles. Le juge du duel, nommé le sire de la Roche, dit alors aux deux champions : « Allez, et faites du mieux que vous pourrez ! »

Les coups de bâton commencèrent aussitôt de pleuvoir, et bientôt le champion de l’abbaye de Marmoutiers renversait sur le sol son adversaire. Celui-ci dut s’avouer vaincu et ses clients, les moines de Talmont, quittèrent le théâtre du duel, « le deuil peint sur le visage ». Tous les témoins, au nombre de trente-six, apposèrent leur signature au bas d’un procès-verbal en forme de charte, rédigé pour la circonstance afin de constater le résultat du combat et le droit réel qu’il venait ainsi de conférer aux religieux de Marmoutiers.

IIPremiers essais de règlements

Ces pratiques superstitieuses et ridicules subsistèrent jusqu’à la seconde moitié du XIIIme siècle. C’est à saint Louis qu’appartient l’honneur de les avoir proscrites, du moins dans le domaine royal. En effet, l’un des chapitres de ses célèbres Établissements, le véritable code de la France à cette époque, est tout entier consacré à l’abolition du duel judiciaire. En voici les principales dispositions, que nous traduisons ici en français moderne, laissant en note le texte original :

« Nous interdisons les batailles sur tout notre domaine pour toutes les querelles, mais nous ne proscrivons ni les instances, ni les réponses, ni les ajournements, ni tous les autres usages qui ont été jusqu’à maintenant en vigueur devant les tribunaux laïcs, suivant la coutume des différents pays, si ce n’est que nous en supprimons les batailles, auxquelles nous substituons la preuve par témoins et par chartes. Et de même, nous ne supprimons pas les autres preuves bonnes et loyales qui ont été, jusqu’à ce jour, en usage devant les tribunaux laïcs.

Nous ordonnons que, lorsqu’un homme veut en appeler un autre pour un fait de meurtre, il soit entendu, et, qu’au moment de déposer sa plainte, on lui dise : Si tu veux appeler pour meurtre, tu seras entendu, mais il faut que tu t’engages à subir la peine que ton adversaire souffrira. Et sois informé que tu n’auras pas le droit de te battre, mais qu’il te faudra faire la preuve par des témoins jurés. Il convient que tu en aies deux bons, au moins, et amènes-en, pour faire la preuve, autant qu’il te plaira et qu’il te paraîtra nécessaire. C’est cela qui te servira comme cela doit te servir, car nous ne supprimons aucune preuve admise jusqu’ici en cour laïque, mais seulement les batailles, et sache bien que ton adversaire pourra répliquer contre les témoins.

Et quand on aura ainsi parlé à celui qui veut appeler, s’il ne persiste pas, il le peut sans peine et sans danger ; s’il persiste, il fera son appel suivant la coutume du pays et aura ses délais et ajournements. Et celui qu’il appellera aura ses défenses et ajournements suivant la coutume du pays. Et lorsqu’on en sera au point où il y avait lieu à bataille, celui qui prouvait par bataille prouvera désormais par témoins. Et les juges feront venir les témoins aux frais de celui qui les requiert.

C’est de cette façon qu’on agira pour toutes les affaires de trahison, de rapt, d’incendie, de larcin et de tous crimes où il y ait danger de perdre la vie ou un membre, là où autrefois on se servait du duel. Dans tous les cas, si quelqu’un est accusé devant un bailli, celui-ci entendra l’exposé de la querelle jusqu’au moment de faire la preuve. À ce moment, il nous en saisira, et, pour entendre les preuves, il fera venir un de ceux que nous envoyons pour rendre les jugements.

Si quelqu’un est convaincu de faux témoignage dans un procès de ce genre, il sera à la disposition de la justice. Donc, nous supprimons pour toujours les batailles dans notre domaine, et pour tout le reste, nous voulons que les choses se passent comme il a été dit plus haut, de façon à ce que nous puissions ajouter, diminuer et modifier quand il nous plaira, si nous voyons que ce soit utile » .

On l’aura remarqué : dans cette ordonnance, le roi ne défendait l’usage du duel que sur l’étendue de son domaine, et d’ailleurs il ne pouvait en être autrement, car les autres parties du royaume étaient gouvernées chacune par un seigneur qui était maître souverain et réglementait à sa guise. C’est pour cela que l’on constate l’usage encore existant du duel judiciaire, longtemps après le règne de saint Louis, dans des provinces toutes voisines du domaine royal, en Orléanais ou en Anjou, par exemple. Même sur les terres du roi, la prohibition ne fut jamais absolument respectée et chose bizarre, on voit, en 1269, un duel judiciaire avoir pour témoin l’un des dignitaires du Chapitre de la Cathédrale de Paris.

Une preuve, plus péremptoire encore, que le duel judiciaire n’avait pu disparaître complètement, est que Philippe le Bel dut édicter une nouvelle ordonnance, en 1296, pour l’interdire dans ses États, tant que la guerre durera. Voici la traduction de cet acte, rédigé en latin :

Notre sire le Roi a décidé, pour le bien de tous et les nécessités de son royaume que, tant que la guerre durera, il n’y aura aucune autre guerre dans le royaume ; s’il y en avait une déjà commencée, ceux qui l’auraient entreprise devront faire des trêves et se donner des gages devant être valables un an, suivant l’usage des pays ; puis, l’année finie, ils reprendront leurs hostilités… Tant que la guerre durera, il ne sera pas admis que l’on donne de gages de batailles et l’on ne plaidera que dans les cours royales et les justices inférieures, seulement par la voie ordinaire… Tant que la guerre durera, il ne se fera ni tournois, ni joutes, ni chevauchées.

Au mois de janvier 1303, cette ordonnance fut de nouveau promulguée, dans des termes à peu près identiques, qui nous dispensent de la reproduire. Les défenses demeuraient, sans doute, lettre close, ou plutôt étaient constamment violées, si bien que trois ans plus tard, le mercredi après la Trinité de 1306, Philippe le Bel « attempéra » lui-même les ordonnances qu’il avait rendues, et autorisa le duel dans les cas avérés « d’homicide, trahison ou autres griefs, violences ou maléfices ». Une sorte de code des combats singuliers fut rédigé en conséquence, la même année ou l’année suivante, et il est indispensable d’en faire connaître les plus curieuses dispositions :

L’appelant doit se présenter le premier sur le champ à l’heure de midi, et le défendant avant l’heure de none (c’est-à-dire à trois heures de l’après-midi) ; si l’un des deux manque à cette prescription, il est considéré comme défaillant et jugé. Puis, un héraut ou roi d’armes vient à cheval à la porte des lices, et pousse trois appels ou cris, après lesquels il fait les recommandations suivantes : « Or oez (entendez), or oez, seigneurs, chevaliers, escuyers et toutes manières de gens que nostre souverain seigneur, par la grâce de Dieu roy de France, vous commande et deffend, sur peine de perdre corps et avoir, que nul ne soit armé, ne porte espées ne autres harnois quelconques, si ce ne sont les gardes du champ et ceux qui, de par ledit Roy nostre sire, en auront congié. Ainçois (mais), le Roy, nostre souverain seigneur, vous défend et commande que nul, de quelconque condition qu’il soit, durant la bataille ne soit à cheval, et ce aux gentilhommes, sur peine de perdre le cheval, et aux roturiers sur peine de perdre l’oreille. Et ceux qui convoyeront (conduiront) les combatans, eux descendus devant la porte du champ, seront tenus de incontinant renvoyer leurs chevaux, sur la peine que dit est. Ainçoys, le Roy nostre sire vous commande et deffend que nulle personne, de quelconque condition qu’il soit, ne entre au champ, sinon ceux qui seront députés, ne ne soient sur les lices, sur peine de perdre corps et biens. Ainçoys, le Roy nostre sire commande et deffend à toutes personnes, de quelconques conditions qu’ils soient, qu’ils se assient sur banc ou sur terre, afin que chacun puisse voir les parties combatre, et ce sur peine du poing. Ainçois, le Roy nostre sire vous commande et défend que nul ne parle, ne signe, ne tousse, ne crache, ne crie, ne fasse aucun semblant, quel qu’il soit, sur peine de perdre corps et avoir. »

Des « pavillons » ou tribunes sont élevés sur le champ clos, où prennent place les juges du combat appelés « maréchaux de camp » et les amis des deux parties, chacune ayant son pavillon séparé. Puis, l’appelant vient le premier, à pied, la visière haute, armé de toutes ses armes et, devant un crucifix, il prête serment : « J’ay certainement juste et bonne querelle et bon droit d’avoir, en ce gaige de bataille, appellé tel N. comme faux et mauvais, traistre, meurtrier. » Un prêtre est là qui reçoit les serments et admoneste les combattants. « Et quand tout sera en point, lors le maréchal part en criant trois fois : Laissez-les aller, laissez-les aller, laissez-les aller ! Et ces paroles dites, jette le gant, et alors, qui veut se monte prestement à cheval… Voulons et ordonnons que le vainqueur se parte des lices honorablement à cheval, par la forme qu’il y est entré, s’il n’a essoine (blessure) de son corps, portant le baston duquel il aura desconfit son adversaire en sa dextre main, et lui seront ses pleiges (gages) et hostages délivrés… Item, voulons et ordonnons que le cheval, comme dit est, du vaincu, et généralement toutes les autres choses que le vaincu aura apportées au champ, soient et appartiennent de droit au connestable, mareschaux ou mareschal du camp qui, pour ce jour, en auront eu la charge et la garde ».

IIILes duels de chevaliers

Jusqu’ici, nous n’avons encore parlé que du duel judiciaire, ayant pour objet de trancher, par l’adresse d’un champion ou le hasard des armes, une question litigieuse. Il est temps maintenant d’en venir au véritable duel, celui qui a pour mobile l’honneur, pour but la réparation d’une offense morale, et non plus la solution d’un procès ; le code du combat, réglé par Philippe le Bel en 1306, et que l’on vient de lire, est une transition toute naturelle entre ces deux espèces de duels, car, on l’a remarqué, il s’y agissait déjà de rencontres entre deux hommes défendant personnellement leurs intérêts, matériels ou moraux, tandis qu’auparavant, ce soin était laissé à des combattants gagés.

Du XIme au XIIIme siècle, c’est-à-dire pendant tout le temps que dura la chevalerie, le duel pour l’honneur fit partie intégrante des mœurs ; il est permis de dire qu’il fut l’âme de la chevalerie. Ouvrez n’importe laquelle de ces chansons de gestes, de ces épopées si nombreuses que vit éclore le règne des premiers Capétiens et dont les guerres de la dynastie précédente, de Charles Martel, de Charlemagne et des autres rois « à la barbe fleurie » étaient le sujet ; il n’en est aucune qui ne contienne le récit d’un ou de plusieurs duels héroïques. Prenons-en une, au hasard, Otinel, par exemple, où est racontée une expédition de Charlemagne, en Lombardie, contre les Sarrasins, commandés par le roi Marsile. Otinel est l’ambassadeur de ce dernier ; il vient sommer Charlemagne d’abjurer la foi chrétienne ; mais, à la suite d’un duel avec Roland, motivé par une insulte violente du païen, Otinel se convertit, combat désormais contre les infidèles, et y gagne la main de l’infante Belisent avec la couronne de Lombardie.

Dans ce poème naïf, le récit du duel entre Otinel et Roland occupe une très large place, près de 500 vers. Nous allons essayer de l’analyser rapidement, en en donnant quelques extraits. Les douze pairs amènent Roland et le revêtent eux-mêmes de ses armes :

Si l’ont armé bel et cortesement ;
Ou dos li vestent un haubert jaserant ;
Grosse est la maille et derrière et davant,
Ou chiefli lacent un vert hiaume luissant
Ai col li pendent un fort escu pesant,
Paint à azur et à or, gentement.

Enfin on lui apporte Durandal, la fameuse épée, et la selle est posée sur Blanchart, le bon destrier courant. Roland s’y élance sans toucher de l’éperon et va faire un élai vers « Karles le puissant » (Charlemagne), qui lui dit : « Jhésu te soit aidant ! » Son adversaire, Otinel, est de même équipé ; lui aussi fait son élai sur son cheval Migrados devant l’empereur, mais celui-ci s’écrie :

Jhésu te soit nuisant,
Car moult me fais courrourcé et dolant !

Le guerrier va saluer alors la belle qui l’a armé, Belisent, pour laquelle il va faire des prodiges de valeur, et le combat s’engage après que Roland a poussé le cri de guerre :

Je te défie dès ici en avant !
Dit Otinel : Et je toi ensement !

Et le combat s’engage.

Ce samble foudre qui du ciel voist chéant.
Les lances tindrent li chevalier vaillant,
Li gonfanon vont au vent ventelant.
Grands cous se donnent en leurs escuz devant,
Rompent les guiges de paile d’Orient
Flours ne painture n’i pot avoir garant,
Mais li haubert ne vont mie faussant,
Tant furent fort nen i va nul rompant,
Sur les petrines ploient li fer tranchant
Outre s’en passent andri si quitemant
Que l’un ne l’autre n’i a perdu niant.
« Diex, dit li rois, or voit merveille grant
Que cil païens s’est tenus vers Rollant ! »
Dit Bellissant : Bon sont mi garnement,
Cil qui les porte ne va pas couardant
Et Rollans tint Durendal la trenchant ;
Fiert Otinel sur son hiaume lussant,
Que le nasal li a trenché devant.
 

Otinel tombe de son cheval, mais il s’y remet prestement, et les coups terribles continuent de pleuvoir de part et d’autre sur les armures. Durandal, l’épée de Roland, et Courecousse celle d’Otinel, font merveilles, qui arrachent à Charlemagne des cris d’admiration :

Dieu ! dit le roi, com cist coup est pesant !
Sainte-Marie, garissez-moi Rollant !

Puis, un peu plus tard :

Diex ! dit le Roi, tretot le cuer me mant !

C’est-à-dire : le cœur me manque.

Cependant, entre deux reprises, le comte Roland s’écrie : « Otinel, si tu veux abandonner Mahomet, si tu veux croire en Dieu qui souffrit la passion, tu en recevras une grande récompense : c’est Belisent, la fille du roi Charles, ma cousine germaine ; je te la donnerai, sans nulle trahison, et toi et moi nous serons compagnons. Aussi, nous conquerrons et châteaux et donjons ». Mais Otinel le traite de félon, et le menace de le frapper si bien que désormais il ne puisse plus dire ni oui ni non. Cette fois, la lutte reprend, sans merci. Heaumes et hauberts sont rompus et peu s’en faut que la vaillante Durandal elle-même ne se brise. Les Français ont peur pour Roland :

Durement prient le père tot puissant
Qu’il le garisse contre le mescreant,
Et qu’il n’i soit vaincu ne reveant.

À ce duel épique, il fallait un dénouement surnaturel. Une colombe vient voler au-dessus de la tête d’Otinel ; c’est le Saint-Esprit qui descend, par ordre de Jésus-Christ, pour convertir le cœur du païen ; celui-ci s’écrie alors qu’il renie Mahomet et Apollon et Jupiter, qu’il croit en Dieu. En même temps, il jette son épée sur « l’erbe verdoiant » et tombe dans les bras de Roland qui lui donne l’accolade :

Les bras tendus se vont entrecolant.

Nous nous sommes un peu étendus sur le récit de ce duel ; c’est qu’en l’analysant nous avons du même coup analysé tous ceux que fournissent en si grand nombre les chansons de Gestes. Le duel d’Otinel et de Roland s’y retrouve, avec de légères variantes, et dans le roman de Fierabras et dans Girart de Roussillon et dans Huon de Bordeaux. Le nom de l’un des combattants y change chaque fois ; l’autre héros est presque toujours invariable : c’est le vaillant Roland, armé de sa fière Durandal. Notre grand poète Victor Hugo a admirablement traduit tous les épisodes de ces combats de géants dans la pièce de la Légende des Siècles qui porte pour titre : Le Mariage de Roland, et qui a pour sujet le duel prodigieux, durant trois jours et trois nuits, de Roland et du jeune Olivier. Comme dans Otinel, l’issue du duel est un mariage :

C’est ainsi que Roland épousa la belle Aude.

À coup sûr, de pareilles rencontres, héroïques, homériques, n’ont pu se produire que dans l’imagination des poètes, mais il est bien certain que les duels entre chevaliers étaient très fréquents et, nous le répétons, inhérents à la chevalerie même. On sait que, vers le XIIe et le XIIIe siècle, il exista toute une catégorie de guerriers, appelés chevaliers errants, dont la profession pour ainsi dire, était de mettre flamberge au vent à tout propos, car ils juraient que quiconque avait seulement effleuré leur manteau devait se mesurer avec eux.

Nous avons retrouvé parmi les manuscrits de la Bibliothèque Nationale un très curieux règlement du duel des chevaliers au Moyen Âge. Cet ouvrage a été rédigé au XVIe siècle par un auteur inconnu, mais il est visiblement inspiré par la tradition, et les renseignements qu’il nous fournit méritent toute créance. Il débute par de longues et subtiles distinctions sur le provocateur et le provoqué. Pour éviter que ce dernier puisse se cacher et se dérober au combat, il faut que « les lettres provocatoires soient portées par messager féal au domicile d’icelluy provoqué, et affigées et attachées par les places et lieux où il souloit avoir fréquentation, ou bien soit patentement appelé ».

Le duel peut être refusé quand le provocateur est infâme, entaché d’un déshonneur, ou bâtard, ou qu’il a déjà été vaincu, ce qui signifie qu’il aurait refusé un duel antérieur.

Il est défendu de provoquer en combat singulier les clercs (prêtres) ou les vieillards (qu’on se rappelle le romancero du Cid, où Corneille a puisé le sujet de sa tragédie) ; le beau-fils ne doit pas se battre en duel avec son beau-père ; un homme brave, s’il est de condition médiocre ou roturière, ne peut provoquer un duc, un marquis ou un comte.

Le manuscrit indique que la plus grande liberté est laissée pour le choix des armes : épées, dagues, piques, hallebardes, pertuisanes, corcesques, lances, masses, coutelas, épieux, etc. Quand le combat est engagé, si l’un des deux adversaires vient à être désarmé, l’autre n’est nullement tenu de lui laisser reprendre son arme : « il luy est honnestement loysible à l’heure luy donner sa charge, s’il peult, ce qui est pareillement licite à combatans à cheval ».

Enfin, notre traité contient une formule de cartel que nous transcrivons fidèlement :

« Seigneur, toutes et quantes fois que vous avez dict, faict dire, escript ou faict escripre allencontre et au préjudice de mon honneur, aultant de foys avez par la gueule menty, et le nyant avez semblablement menty. Par escript je ne veulx user d’injurieuses vilanies, comme chose plus convenable à vile et envieuse personne que à chevalier, me réservant si ce n’est par vostre deffault, parler à vous les armes au poing. En foy de quoy, etc. ».

On peut rapprocher ce cartel du défi suivant, qui nous est fourni par le dernier éditeur de Brantôme, d’après un autre manuscrit :

« Monsieur, vous estes si peu de chose que, n’estoit l’insolence de vos parolles, je ne me souviendrois jamais de vous. Ce porteur vous dira le lieu où je suis, avec deux espées dont vous aurez le choix. Si vous avez l’asseurance d’y venir, je vous osteray la peine de vous en retourner ».

Le Tournoy où le Roy Henry II fut blessé à mort le dernier de Juin 1559

On ne peut guère, en s’occupant de l’histoire du duel, passer sous silence ce qui a trait aux tournois. En réalité, pour le Moyen Âge, le duel était au tournoi ce qu’il est, dans nos habitudes, à l’assaut d’armes, c’est-à-dire que dans un cas on cherchait à blesser, à tuer même, tandis que dans l’autre cas il ne s’agissait, comme maintenant dans l’assaut, que de s’exercer la main ou de montrer son habileté et ses « prouesses » (c’était le mot consacré) devant une nombreuse et brillante assemblée. Cependant, au Moyen Âge, le tournoi se confondit fort souvent avec le duel proprement dit. Soit qu’il y ait eu accident, soit que l’ardeur du combat ait fait oublier aux combattants le véritable but de leur rencontre, qu’ils aient vu rouge, en un mot, il arriva très fréquemment que les tournois eurent un dénouement meurtrier. Plus les armures étaient solides, plus les chevaliers étaient bardés de fer, ne laissant rien apparaître de leur visage ou de leur corps, et plus les coups frappés étaient violents. Quoi de surprenant, dès lors, si la pointe d’une lance lancée avec trop de vigueur pénétrait au défaut de la cuirasse et mettait à mal quelque brillant jouteur ! Le souvenir de Henri II, tué ainsi dans un tournoi par Montgommery est présent à toutes les mémoires. Au surplus, les règles du tournoi et celles du duel étaient identiques. Pour l’un comme pour l’autre, un champ-clos était nécessaire, champ-clos fermé de lices, orné de tribunes où prenaient place de nombreux spectateurs ; dans les deux cas, il y fallait des juges de camp pour prononcer sur la valeur des coups portés, des hérauts d’armes pour veiller à ce que rien ne se passât que correctement. Était-ce un tournoi ou un duel que cette rencontre qui eut lieu en 1383, près de Saint-Martin des Champs à Paris, entre le chambellan du roi Guy de la Trémouille et un chevalier anglais, Pierre de Courtenay ? Nous ne saurions l’affirmer, mais du moins il nous a paru utile de reproduire la pièce suivante, jusqu’ici inédite, et qui montre avec quelle solennité furent réglés les moindres détails de l’engagement :

« Charles, par la grâce de Dieu roy de France, à noz ames et feaulx les generaulz conseillers ordonnez sur les aides pour le faict de la guerre, salut. Nous avons ordonné certaines lices et autres ouvrages estre fais devers St-Martin des Champs à Paris pour la bataille ou entreprinse de nostre amé et feal chevalier et chambellan Guy de la Trémouille, et de Pierre de Courtenay, chevalier anglais. Si voulons et vous mandons que sans reffus ou aucun delay vous faictes bailler et délivrer, par Bertault à la Dent, receveur général des dits aides, argent et finance qui pour ce sera nécessaire à Me Raymon, maistre maçon et à Me Jacques, maistre charpentier de nos œuvres…

Donné en nostre palais royal à Paris le 8e jour de juillet fan de grâce 1383 et de nostre règne le tiers, soubz nostre scel ordonné en l’absence du grant » .

Ne quittons pas le Moyen Âge sans emprunter à Froissart, le brillant chroniqueur des chevaliers et de leurs hauts faits d’armes, le récit imagé de l’un de ces tournois qui étaient, en réalité, de véritables duels. Si celui-ci ne fut pas suivi de mort d’homme, il faut convenir que ce n’était pas la faute des combattants, mais bien parce que les armures étaient d’une trempe singulière :