Le Jour où j'ai rencontré un ange - Brigitte Minne - E-Book

Le Jour où j'ai rencontré un ange E-Book

Brigitte Minne

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Beschreibung

Un vraie bouffée d’optimisme s’invite dans la vie de Thomas et Paul, et elle s’appelle Tilly !Depuis la mort de sa mère, Thomas, douze ans, et son papa artiste peintre se sont repliés sur eux-mêmes. Rien ne les fait sortir de leur chagrin et de leur solitude. Jusqu'à l'arrivée de Tilly et de ses parents, les nouveaux voisins. Tilly a quinze ans. Avec ses tresses et ses habits aux couleurs vives, elle ressemble à Fifi Brindacier. Mais Tilly n'est pas tout à fait comme les autres : elle est trisomique. Sa bonne humeur, sa vivacité, ses éclats de rire et son monde imaginaire vont redonner à Thomas et à son père le goût de vivre. Et les aider à accepter l'inacceptable.Un roman tendre, émouvant et drôle, sur une amitié entre deux enfants qui s'épanouit malgré leurs différences ou peut-être grâce à leurs différences… EXTRAITDepuis des jours et des jours, il fait un soleil de plomb. L’été est torride. Ma chambre est perchée tout en haut de la maison, juste sous le toit. La chaleur y est insupportable. Ici, il fait frais, heureusement. Les coussins du canapé sont doux… Je suis content d’être là.   Avant, il aurait été hors de question que je dorme dans l’atelier. À cause des relents de peinture qui y flottent en permanence et de mon père qui fume cigarette sur cigarette. Beaucoup trop malsain pour un enfant ! disait ma mère.Les cigarettes de mon père puent, d’accord, mais l’odeur de sa peinture est géniale. Le drap tiré jusqu’au menton, je l’observe à la dérobée. Il a perdu pas mal de cheveux, à ce que je vois. Son crâne apparaît çà et là. Et il a des pattes-d’oie sous les yeux. Je ne les avais jamais remarquées.Mon père regarde sa toile, ses tubes de peinture, puis sa palette toute barbouillée, à la recherche d’une couleur pour la culotte du pantin qui pend mollement à ses fils. Son personnage est d’une tristesse ! Étrangement, leurs deux visages se ressemblent beaucoup.A PROPOS DE L’AUTEUR Brigitte Minne, née à Bruges en 1962, est germaniste. Elle est l’auteur de plus de cent cinquante albums et romans traitant le plus souvent de thèmes psychologiques. Ses livres ont été couronnés à de nombreuses reprises par des jurys en Flandre, aux Pays-Bas et en France. Plusieurs de ses textes sont illustrés par Carll Cneut. Roodgeelzwartwit (Rougejaunenoireblanche, Pastel, 2002) a reçu en France le prix Octogone du meilleur livre d’illustration. Elle est également réalisatrice réputée d’émissions de télévision pour les enfants. Brigitte Minne a notamment publié La fée sorcière (Pastel, 2000), Le plus joli derrière (Mijade, 2002), Quand Pati pleure (Pastel, 2005) et Dors bien Rosalie (Pépin, 2005).

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CHAPITRE 1

LE PANTIN

Depuis des jours et des jours, il fait un soleil de plomb. L’été est torride. Ma chambre est perchée tout en haut de la maison, juste sous le toit. La chaleur y est insupportable. Ici, il fait frais, heureusement. Les coussins du canapé sont doux… Je suis content d’être là.

Avant, il aurait été hors de question que je dorme dans l’atelier. À cause des relents de peinture qui y flottent en permanence et de mon père qui fume cigarette sur cigarette. Beaucoup trop malsain pour un enfant ! disait ma mère.

Les cigarettes de mon père puent, d’accord, mais l’odeur de sa peinture est géniale. Le drap tiré jusqu’au menton, je l’observe à la dérobée. Il a perdu pas mal de cheveux, à ce que je vois. Son crâne apparaît çà et là. Et il a des pattes-d’oie sous les yeux. Je ne les avais jamais remarquées.

Mon père regarde sa toile, ses tubes de peinture, puis sa palette toute barbouillée, à la recherche d’une couleur pour la culotte du pantin qui pend mollement à ses fils. Son personnage est d’une tristesse ! Étrangement, leurs deux visages se ressemblent beaucoup.

Mon père laisse courir son regard sur les tubes de peinture en tirant sur sa cigarette avant d’expirer lentement la fumée. Des volutes bleues s’élèvent dans l’air. Par la fenêtre entrouverte, un petit vent pousse le nuage de fumée vers l’intérieur de la pièce et finit par le dissiper.

Mon père regarde au dehors. Le soir tombe, et je sais qu’il pense qu’il n’y a plus assez de lumière pour continuer à travailler. La culotte, ce sera pour demain. Un à un, il trempe ses pinceaux dans une vieille boîte de conserve remplie de térébenthine, il les sèche avec un chiffon, puis il effile les pointes à l’aide de son pouce et de son index humectés de salive et de colle à papier. Ensuite, il les range soigneusement dans leur bac de bois. Il a toujours été méticuleux avec ses pinceaux.

Étonnant car, pour le reste, mon père, c’est le roi de la pagaille ! Certains jours, ma mère disait qu’il allait la rendre folle. Quand il laissait traîner ses chaussettes sales sous le lit pour la centième fois… Ou quand il recouvrait le miroir de la salle de bains de mille et une éclaboussures blanches parce qu’il crachait de trop haut dans le lavabo en se brossant les dents… Ou quand il laissait traîner des tasses dans toute la maison et qu’il n’en restait plus une seule dans l’armoire à porcelaines…

L’année dernière, pour son anniversaire, elle lui avait offert une grande tasse accrochée à un collier. Quand il avait déballé son cadeau, il avait fait la tête, mais, après quelques verres de vin, le récipient se balançait sur son ventre. Maintenant, il n’oserait plus : il aurait bien trop peur de la casser, sa précieuse tasse ! Les objets qu’il a gardés de ma mère, c’est comme ses pinceaux : il y tient comme à la prunelle de ses yeux.

Ma mère riait aux éclats quand il se promenait avec cette drôle de chose pendue à son cou. Elle avait un de ces rires qui faisait qu’on ne pouvait s’empêcher de rire à son tour.

Quand elle était en colère, elle était vraiment en colère ! Ça se voyait, et ça s’entendait ! Elle claquait les portes à la volée et elle criait à en perdre la voix. Quand elle était triste, elle pleurait à chaudes larmes et elle utilisait des tonnes de mouchoirs.

Mon père et moi, on est plutôt du genre calme. Quand nous sommes fâchés, nous ne le montrons pas. Quand nous sommes tristes ou contents non plus.

CHAPITRE 2

LE CHIEN QUI MIAULE

D’habitude, je pose mes pieds nus sur les barreaux de la chaise pour éviter le contact de mes orteils avec le carrelage de la cuisine. Mais aujourd’hui, je les mets bien à plat sur le sol. Avec cette canicule, c’est délicieusement frais.

Le treillis de la chaise imprime des rainures sur mes fesses à travers mon pantalon de pyjama. Je verse du lait dans mon bol et les céréales se mettent à crépiter. Les picotis de la paille, les crr crr crr des corn flakes… Parfois, j’ai l’impression que c’est comme ça depuis toujours, mais ce n’est pas vrai. J’ai été un bébé lové sur les genoux de ma mère, j’ai tété le sein, puis j’ai pris mes bouillies à la cuiller dans ses bras… Cette idée, je la repousse très vite dans mon coin secret, le coin à maman. Parce qu’elle fait mal.

Mon père se tient debout devant la fenêtre, le bidon d’engrais à la main. Une grande ride barre son front. Il lit l’étiquette en soupirant. Plusieurs plantes dépriment : les feuilles brunissent sur les bords et se recroquevillent.

— Un bouchon par semaine, dis-je, mais pas en hiver.

— C’est l’été, marmonne-t-il en disparaissant dans la cuisine.

Oui, c’est l’été. D’après le calendrier, c’est aussi les vacances. Avant, ma mère avait toujours un tas d’idées : on allait au zoo, on pédalait jusqu’à la mer, on faisait du canoë, ou bien on se lançait à la chasse aux insectes dans les talus. On ne partait jamais en voyage – même pas chez mes grands-parents, en Espagne. Ça coûte beaucoup trop cher pour un pauvre artiste comme moi, disait mon père. Maintenant, les escapades, je peux aussi faire une croix dessus. Mon père est plus pantouflard qu’une marmotte. Il achète des montagnes de chips et d’esquimaux au supermarché – il croit sans doute que c’est ça, les vacances. Moi, ça ne m’embête pas. Ramasser des coquillages et des dents de requin sur la plage, c’est pas son truc. Partir à la chasse aux scarabées ou aux papillons, encore moins – sauf si c’est pour les dessiner. Si je lui demandais, il accepterait sûrement de faire comme si, mais je n’ai pas envie. Autant apprendre les bonnes manières à un singe ou demander à un chien de miauler !

Je conserve précieusement toutes les idées de maman dans un coin sombre de mon cerveau. C’est ma cachette secrète à moi. Parfois, je vais y fouiner à la recherche de souvenirs. Mais moi tout seul ! Personne d’autre ne doit venir y fourrer son nez !

— Maman, au moins, elle savait s’y prendre, bougonne mon père en revenant avec un arrosoir dans lequel il a versé un peu d’engrais. Elle avait la main verte…

Je fais oui de la tête. C’est vrai, les plantes étaient en bien meilleure forme quand elle s’en occupait. Leurs feuilles brillaient et elles donnaient des tas de fleurs.

Mon père commence à arroser, mais voilà qu’il en met trop ! Une soucoupe déborde, l’eau dégouline de l’appui de fenêtre et se répand sur le sol. Normal, de la part d’un chien qui miaule… Mon père jure entre ses dents (je me bouche les oreilles) avant d’essuyer l’eau avec un pan de sa chemise et de piétiner la flaque pour éponger l’eau sale avec ses chaussettes. Mieux vaut avoir les orteils mouillés toute la matinée que d’aller chercher un chiffon ou une serpillière ! C’est tout lui, ça !

Il dépose l’arrosoir dans la cuisine, se sert une tasse de café et s’assied en face de moi. Une chaise reste vide entre nous.

— Je vais au cimetière tout à l’heure, dit-il. Tu m’accompagnes ?

— Non.

Mon petit coin secret me suffit.

La tasse de mon père se baladera bientôt dans la maison silencieuse et, ce soir, je m’endormirai dans l’odeur de térébenthine. Les journées sont comme ces films dont on connaît le début et la fin.

CHAPITRE 3

LE RÊVE

Le lendemain, je suis éveillé par de lourds coups de marteau. C’est sûrement mon père qui fabrique un cadre pour un tableau. Mais pourquoi a-t-il besoin de faire ça justement maintenant ? ! J’étais plongé dans un rêve magnifique ! Ma mère et moi, nous ramions sur une rivière qui traversait une forêt de plantes d’appartement géantes. Nous étions assis tout près l’un de l’autre dans la barque, et elle avait posé sa main sur mon épaule. Sur la rive, plusieurs singes mangeaient des bananes avec un couteau et une fourchette. Des chiens se promenaient en miaulant, une tasse accrochée à leur collier. Ma mère venait d’éclater de rire. Son rire avait perlé sur mon visage comme les gouttes d’une averse rafraîchissante au cœur de la canicule.

J’étais si content de la voir, de l’entendre et de la sentir à nouveau si près de moi ! Parfois, j’ai peur d’oublier son visage. Alors, chaque matin, je me force à regarder sa photo sur ma table de chevet, pour qu’un jour son image soit gravée à jamais dans ma mémoire.

Je dévale les escaliers et je déboule dans la cuisine en râlant d’avoir perdu ce si beau rêve.

— Quel boucan !

— Ce n’est pas de ma faute, répond mon père. Ils sont en train de restaurer la ruine. Apparemment, on va avoir de nouveaux voisins.

Je le regarde, ébahi :

— C’est vrai ? !

Mon père hoche la tête.

La ruine, c’est la maison d’à côté. Ça fait des années qu’elle est vide. Les fenêtres sont presque toutes cassées, il y a d’énormes trous dans le toit (le vent s’en donne à cœur joie), la peinture s’écaille, les murs s’effritent… Le lierre qui court sur la façade entre et sort par toutes les ouvertures… De l’herbe aux verrues et des pissenlits poussent dans les chambres, à travers les fentes du carrelage, et la mousse a envahi les joints…

Ma mère et moi, on escaladait souvent la clôture. Ce n’était pas la ruine qui nous intéressait, mais le jardin : une jungle d’orties, de sureaux et de mûriers. En été, ça grouillait de papillons et d’insectes ! Ma mère confectionnait de la limonade avec les fleurs de sureau et de la gelée avec les fruits. Chaque année, on remplissait tout un panier de fleurs de tilleul, puis ma mère les séchait pour en faire du thé pour l’hiver. On cueillait aussi des passoires entières de mûres pour préparer des confitures, alors qu’il y a des tas de mûriers chez nous aussi.

— Il vaut mieux que tu n’ailles plus traîner dans ce jardin, dit mon père.

C’était bien mon intention. Qu’est-ce que j’irais y faire tout seul ? !

— Je vais bientôt voir maman. Tu as envie de m’accompagner ?

Je secoue la tête.

— Comme tu veux, dit-il en soupirant avant d’allumer sa première cigarette de la journée.