Le Livre des convalescents - Ernest Coquelin - E-Book

Le Livre des convalescents E-Book

Ernest Coquelin

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Extrait : "Un jeune homme, très distingué et ancien polytechnicien, voulait épouser la demoiselle de comptoir d'un établissement humanitaire et inodore à 0,15c. La directrice, mère de la jeune fille, ne voulait pas dire oui. C'était une grande maison, comme qui dirait la Belle Jardinière de cette industrie ; — elle avait pour enseigne : A la libération ! On y faisait d'immenses affaires, les ventres s'en donnaient à cœur-joie là-dedans ; les clients se succédaient en abondance."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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À MON AMI LE Dr BENI-BARDE

PRÉFACE

C’est certainement un grand honneur qu’a fait à ma vieille amitié l’auteur de ce livre en me confiant le soin d’en écrire l’avant-propos. Mais c’est, en même temps, une justice qu’il m’a rendue s’il a pensé, comme je l’espère, que nul n’y prendrait plus de plaisir que moi.

Nous vivons, en effet, dans un temps si particulièrement morose que ceux-là me semblent faire une bonne action qui, se souvenant que « rire est le propre de l’homme, » s’efforcent à dérider ce grand lac d’ennui et à en illuminer la surface d’un clair rayon de beau soleil. Et ce ne sont pas seulement de braves gens qui savent qu’un peu de joie est quelquefois une aumône ; mais ce sont aussi de bons citoyens, qui se rappellent que la gaîté fut une des gloires de l’esprit français, qui sentent, au fond de leur cœur, qu’avec elle, nous perdrions un nouveau lambeau de la Patrie.

Et, je le crois comme je le dis : ils ont montré autant de courage que de belle humeur ceux qui, – au lendemain de nos derniers revers, ayant combattu jusqu’au bout le bon combat, le fusil au poing, – devant la France humiliée, trébuchant dans les ruines, mais pleine encore des sèves sacrées de l’espérance, ayant la conscience de ses immortels destins, ont poussé dans le sillon le chant de l’alouette saluant l’aurore même sur les champs de bataille !

Eh morbleu ! ne m’en veuillez pas si je le prends ainsi de si haut et avec cette ardeur. Ma foi est absolue sur ce point. Après l’envahissement brutal qui nous a pris deux provinces, j’ai redouté, je l’avoue, un envahissement lent, mais non moins fatal. Après les canons qui avaient déchiré de leurs roues le sol natal, j’ai craint que les lourdes théories d’outre-Rhin n’en vinssent écraser les dernières fleurs, en étouffer les printanières renaissances. C’était avec du sérieux que l’Allemand nous avait vaincus ! Nous portions le châtiment de notre inguérissable légèreté ! Il fallait devenir graves comme ces hommes. Et c’était un affolement partout, un mot d’ordre dans les hautes sphères. En même temps qu’on copiait les uniformes de l’ennemi pour nos soldats, on lui voulait emprunter jusqu’au poids longtemps raillé de ses pensées. Un seul, – celui qui n’avait jamais désespéré dans la lutte, celui dont le nom symbolisera glorieusement dans l’avenir une héroïque défense, – Gambetta continuait d’arborer le large rire gaulois comme un dernier lambeau du drapeau.

Il avait cent fois raison. En vérité, ce n’était pas seulement la terre où furent nos berceaux et où nous voulons nos tombes qu’il s’agissait de garder comme un pieux héritage ; c’était aussi le patrimoine intellectuel que nous firent les aïeux à travers les âges et à travers les épreuves, les aïeux qui se nomment Rabelais, Molière et Voltaire, aussi bien que Bossuet, Corneille et Pascal, race à la fois brillante et profonde, famille auguste où le génie sut être à la fois illuminé de rire et plein de fécondes méditations. Hors de cette double tradition, nous ne serions plus nous-mêmes et peu importerait vraiment au reste de l’humanité que nos fils occupent le même territoire que ceux qu’ils auraient si mal imités !

C’est que nous roulons, dans nos veines, avec notre sang, le sang vermeil et chaud, pétillant et pourpré de nos vignes et que c’est la belle chanson du vin qui nous monte aux lèvres, non pas les lourds hoquets de la bière, comme aux fumeurs de pipes en porcelaine sous les treilles de houblon. Arrachez les ceps de nos coteaux et nous verrons ensuite ! Peut-être alors préférerons-nous Hégel et Kant à Montaigne et à Diderot. Les géographies pourront continuer à nous appeler comme elles le voudront. Je soutiens, moi, que nous ne serons plus Français.

J’ai dit que ce beau trésor de gaîté originelle, nos pères nous l’avaient conservé, non pas seulement à travers le temps, mais à travers de continuels combats. Ils n’ont donc pas lu l’histoire de notre pauvre et glorieux pays, ceux qui le voudraient condamner à de mortelles gravités. Qu’ils y jettent les yeux ! Depuis l’Anglais que Villon railla de toute sa verve cynique jusqu’à l’Allemand dont se moqua Banville jusque sous le feu des obus, ils trouveront à chaque page quelque revers nouveau suivi de quelque admirable relèvement, la patrie foulée aux pieds de l’étranger, mais prenant d’éclatantes revanches, des abîmes s’ouvrant devant nos destins, puisse fermant sous des apothéoses, et toujours, partout, impérissable, relevant les courages, la gaîté française, l’immortelle gaîté cueillant le long du chemin des herbes folles qui se transformaient en lauriers.

Je ne voudrais pas cependant enfler le ton outre mesure pour présenter au public un livre qui s’offre à lui sous un titre aussi modeste que celui-ci : Le Livre des Convalescents. Mais je n’ai pu résister à l’occasion qui m’était donnée de dire ce que j’ai sur le cœur, quand je vois les gens graves de profession qui se sont fait du sérieux une pose et un moyen de parvenir infiniment moins gai que celui de notre cher Béroalde de Verville, traiter avec un certain dédain une littérature légère, je le veux bien, mais qui, du moins, a le mérite de voler, par cela même, un peu plus haut que nos têtes, tandis que la leur nous couche tout de notre long à terre en nous assommant. Je sais cependant tel mot de Rivarol qui a vécu plus longtemps que de lourds volumes, et la seule excuse de l’ennui c’est qu’il n’a jamais été un chemin vers l’immortalité.

D’ailleurs, le Livre des Convalescents dépasse la mesure très humble de son épigraphe. J’entends que tout le monde est plus ou moins convalescent aujourd’hui et qu’il ne s’adresse pas seulement à ceux que vient de victimer l’art de M. Purgon compliqué de l’art de M. Fleurant. C’est moins le corps que l’esprit que nous avons malade et ce sont moins les fluctuations désorientées des saisons qui nous remuent la bile que le beau vent d’ineptie qui souffle un peu de partout, du monde de la finance aussi bien que du monde de la politique. La lutte des ambitions et des cupidités soulève comme une tempête où les pauvres passagers, comme nous gens de bien qui ne convoitons rien et n’entendons dépouiller personne, sommes secoués et pris d’un invincible mal de mer. C’est à nous tous que Coquelin cadet a pensé, ayant certainement conçu le généreux but de nous distraire un instant de ce spectacle écœurant autant qu’effroyable, un peu comme on fait aux enfants qui pleurent en leur montrant une mouche sur la vitre ou un oiseau dans le ciel, quelque chose d’ailé en tout cas.

Et je soutiens, mordieu, qu’il y réussira. Car sa fantaisie a des ailes. Elle bourdonne comme l’insecte ; elle fend l’air comme l’hirondelle. Mais elle n’a pas d’aiguillon comme l’abeille, et, comme la voyageuse que Gustave Mathieu a si bien peinte de ce seul vers :

Petits pieds noirs avec deux grandes ailes,

elle revient toujours dans un rayon de soleil. La chronique contemporaine a souvent cherché et trouvé l’esprit dans l’âpre malice des personnalités. Des imbéciles en ont conclu qu’il était facile d’être spirituel en étant méchant, ce qui est une grande erreur. Car il est toujours difficile d’être spirituel. Mais c’est, à mon avis, un mérite de plus que de l’être en demeurant inoffensif et la gaîté bonne enfant est celle que je prise le plus au monde. C’est celle qu’on trouvera dans ce livre dont je dirai qu’il est « de bonne humeur » comme Montaigne disait du sien qu’il était « de bonne foy. » Ce m’est tout un, en somme ; car le dernier mot de la bonne foi c’est de se montrer tel qu’on est, sans afféterie et de dire un peu ce qui vous passe par la tête. Encore un moyen aisé d’avoir de l’esprit, pensent les gâteux de la solennité. Mais qu’ils disent donc ce qui leur passe par la tête à eux ! Ce sera comme le bruit d’un soufflet qui se vide, sans même allumer de feu ! Car nous le savons, nous, ce qu’il y a au fond de ces outres sonores, de ces vessies qu’ils portent au-dessus des épaules et sur lesquelles ils posent leurs chapeaux.

Fantaisiste à outrance et joyeux sans méchanceté, tel est « le bon compaignon, » comme disait Panurge, que je vous présente. « Compaignon » de toutes les heures, des heures souriantes où l’on aime à entendre une pensée répondre à l’unisson à la sienne ; des heures mélancoliques aussi, – les plus nombreuses celles-là, – où l’on sait gré à qui déchire le voile de spleen où le cerveau est comme sous l’oppression d’un brouillard. « Compaignon » de veille et « compaignon » de chevet ; fidèle durant les jours de brume et durant les nuits d’insomnie. Pour demeurer toujours dans l’esprit de son titre, l’auteur y a dosé savamment le caprice et l’hilarité, pour que les partisans de l’homéopathie y trouvent leur compte aussi bien que ceux des doctrines hippocratiques. Vous en prenez, si vous le voulez, trois lignes, trois pages, trois chapitres à votre choix et suivant la gravité de votre état. Mais l’effet est toujours sûr. Accourez donc à lui, convalescents de tous les âges et de tous les maux. C’est un excellent viatique pour les personnes à qui les eaux sont recommandées. Son sel naturel se combine merveilleusement avec celui de la mer et nous le trouverons certainement cet été sur toutes les plages.

Et je m’en réjouis pour la santé publique, – j’entends la santé morale aussi bien que l’autre, – car le jour où il sera reconnu, comme le démontre ce volume, que l’esprit est un remède, ce sera un grand malheur pour les apothicaires, mais un bienfait considérable pour la gaîté française dont le salut vaut bien les intérêts du Codex.

ARMAND SILVESTRE.

16 mai 1885.

PRÉFACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION

Soirards très illustres et vous, constipés très précieux (car à vous non à aultres, sont dédiés ces escrits…)

C’est ainsi – non aultrement – qu’il convient, je crois, de présenter au public ce livre destiné à remettre dans leur état normal les tripes et boyaux de nos contemporains.

Pirouette peut d’autant mieux emprunter cette formule à l’auteur de Pantagruel, que cela ne sortira pour ainsi dire pas de la famille, car il a évidemment dans les veines quelques gouttes du sang de Rabelais, notre maître à tous.

Il est vrai qu’étant né à Boulogne-sur-Mer, c’est-à-dire presque aussi près de l’Angleterre que deChinon, Pirouette a tenu, – par reconnaissance sans doute, – à être un tantinet aussi le petit-neveu de Swift.

Qu’il n’en rougisse pas, le croisement a été bon, puisqu’il lui doit –reliées par une verve toute parisienne (troisième cadeau de sa patrie d’adoption) –cette gaieté robuste et grasse qui est bien gauloise, et cette fantaisie baroque et froide qui est bien anglaise.

Je n’ai pas à redire ce que je pense de ces histoires que les gens bégueules trouveront peut-être quelquefois un peu salées, puisqu’elles ont presque toutes subi la censure du Tintamarre, qui passe pour être assez bonne fille.

C’est là un genre de… naturalisme dont je raffole,on le sait ; car j’ai toujours pensé qu’il fallait cent fois plus d’esprit pour péter à propos, que pour parler sans raison, et qu’un pet bien plein valait mieux qu’une phrase creuse.

TOUCHATOUT.

Janvier 1880

JOYEUSETÉS FANTASQUES
LA VIE ÉLÉGANTE

Un jeune homme, très distingué et ancien polytechnicien, voulait épouser la demoiselle de comptoir d’un établissement humanitaire et inodore à 0,15 c. La directrice, mère de la jeune fille, ne voulait pas dire oui.

C’était une grande maison, comme qui dirait la Belle Jardinière de cette industrie ; – elle avait pour enseigne : À la libération !

On y faisait d’immenses affaires, les ventres s’en donnaient à cœur-joie là-dedans ; les clients se succédaient en abondance : le Tout-Paris des premières s’y donnait rendez-vous.

L’ex-polytechnicien, pour voir son adorée, venait tous les jours et simulait une envie qu’il ne réalisait pas. Il montait sur le trône, imitait les bruits ridicules avec une petite trompette, pour donner le change à la mère qui prêtait une oreille attentive ; – mais il ne laissait rien – rien ! – (pas même une carte de visite), à cause de la fille.

Un an se passa de cette manière, sans action, – dans le rêve ! Tant de constance, de passion et de constipation ne touchaient pas la mère. Influence des milieux ! Ce jeune homme devenait blanc comme un clair de lune !

Soudain l’héroïne fut guérie de son amour. – Un jour, un gommeux s’amouracha d’elle, apprit la passion des deux tourtereaux, en devint jaloux ; et pour perdre le polytechnicien dans le cœur de sa nymphe des cabinets, il se glissa un beau soir d’été, en cravate rouge, un camélia blanc à la boutonnière, dans la cellule que venait de quitter le bien-aimé, déposa rapidement sur la planche luisante un souvenir immense (exécrable économie de trois jours !) et s’enfuit sans être vu, comme un malfaiteur, empoisonnant pour toujours le cœur de la délicieuse enfant !

Elle, comme d’habitude, vint pour déblayer le soi-disant résultat ; à la vue de cette épouvantable faute de goût, elle crut à la guérison de son ami ; sans explication, renonça à son amour et se retira dans un couvent.

Le gommeux s’est suicidé, le polytechnicien inguérissable a épousé la mère… et tient aujourd’hui l’établissement.

*
Oh ! cette compagnie des omnibus !

Cette Compagnie des omnibus sacrifie tout au luxe ! Le troisième cheval, qui a été ajouté aux attelages des omnibus, va servir aux amazones qui commencent et qui ont peur. Ce sera très joli à voir !

Et comme le cheval sera loué à l’amazone, la Compagnie retrouvera son déboursé.

*
MYSTICISME

En province, une personne dévote et asthmatique vivait confite dans sa dévotion, comme dans un pieux bocal ; vierge à l’excès, elle ne voulait accepter les hommages terrestres, à cause du ciel et de son gros rhume ; mais un jour, à force de religieuses amabilités et de jujube, le cousin d’un bedeau, fort joli garçon, très distingué, le fut par la béate beauté.

La personne dévote et asthmatique oublia l’Univers et Veuillot (circonstance atténuante), tomba dans les bras du cousin du porte-verge en négligeant son asthme, et en gémissant, comme une colombe exténuée, ce vers de romance célèbre :

Mon asthme à Dieu ! mon corps à toi !
*
Plus de guillotine !

Plus de guillotine ! Elle donne au cou du condamné une impression de fraîcheur qui est un des graves inconvénients de cet ustensile. Les guillotinés se sont plaints de rhumes de cerveau qui les faisaient éternuer dans l’autre monde !

Je viens de découvrir une recette excellente qui supprime guillotine et rhume de cerveau.

Un jeune médecin, ad hoc et français, sera chargé de s’emparer d’une quantité suffisante d’anévrismes ; – en province, à l’étranger, en Italie, à Brest, au théâtre de la Porte-Saint-Martin. – Il casera tous les anévrismes, étiquetés, dans une grande armoire.

Toutes les fois qu’un assassin, ou un innocent, suivant que la justice aura eu la main heureuse, sera condamné à être diminué, le médecin ad hoc arrivera avec un anévrisme, tout frais, dans une grande seringue, contrôlée par l’État, et l’introduira dans le misérable.

On mettra ensuite le condamné dans une prison très cellulaire, et quelques jours après, un juge entrera soudain dans la cellule, et annoncera au cher anévriste que la justice, touchée de son repentir, lui fait grâce, et que la liberté lui est rendue accompagnée d’une croix d’honneur, pour le récompenser de ses remords… Ici (saluez tous !) l’immense sensation de joie tirera la ficelle de l’anévrisme, et foudroiera net l’heureux gaillard !

De cette façon, il mourra en bénissant la société, au lieu de la maudire, et il ne souffrira pas ! ! ! j’en réponds ! – Je peux dire que la Providence m’a touché au front et que voilà une rude inspiration !

Maintenant, j’attends la visite du Sénat.

*

À ceux qui vont à âne

Moi qui connais beaucoup d’ânes, je recommande aux écuyers de ces animaux indolents et récalcitrants de se mettre bien en garde contre la malice de l’âne. Oh ! que c’est sournois !

Dans l’écurie, quand on sangle le coursier biblique, il se gonfle outre mesure pour faire croire à un embonpoint extraordinaire. Vous l’enfourchez, vous partez et, au bout de cinq minutes, le baudet se dégonfle soudain, la selle tourne et vous tombez le nez sur les cailloux.

Méfiez-vous toujours de la bedaine des ânes dans l’écurie, elle est jouée.

*
Nouveau Clyso

Il y a à Paris des maisons remplies de gens constipés. Ce ne sont pas les plus gaies, parce que tous les locataires sont toujours aux water-closets à essayer inutilement.

Pour remédier à ce déplorable état de choses, un grand mécanicien, le Giffard de cette partie-là, vient d’inventer un immense appareil à lavements qui sera placé chez le concierge de la maison des constipés ; des tuyaux correspondant à ce fameux clyso monteront comme le gaz à tous les étages. Ce seront d’énormes clystères que l’on prendra par ce moyen : on touchera le bouton d’une sonnette électrique quand on voudra se lavementer, et le concierge fera marcher l’appareil.

Il y aura plusieurs tuyaux par appartement : au son, au ricin, à l’huile, au sel, à la guimauve (tout un clavier).

C’est là une grande idée qui fera bénir de bien du monde le philanthrope qui l’a eue !

*

Dans un conseil de révision :

LE CHIRURGIEN-MAJOR. – Vous avez le bras long.

LE JEUNE HOMME tout nu (vivement). – Je suis exempté ?

LE CHIRURGIEN-MAJOR.. – Non, très bon ; le bras long, vous deviendrez colonel.

*

De M…, vieux beau, se teint les cheveux, mais il est avare et malin, et il ne teint seulement que les deux côtés de sa tête, le derrière reste blanc.

Quelques amis lui en faisaient l’observation, et lui disaient : « Vous avez tort de garder blanc votre derrière de tête, ça se voit dans les rues. »

– Que m’importe ! répondit le vieux beau ; on ne s’en aperçoit que quand je suis passé.

*
VIVIER

Vivier est dans un omnibus ; il a l’air navré et pâlit à vue d’œil, au milieu d’un tas de grosses femmes qui ont des paniers à la main.

Vivier pousse un énorme soupir ; on regarde le corniste. Il pousse un second énorme soupir ; les conversations s’arrêtent ; tous les yeux sont fixés sur Vivier. Alors il murmure :

– Oh ! que j’en ai assez de la vie ! Que je souffre, oh ! que je souffre !

Les voyageurs l’écoutent avec intérêt. Au bout d’une minute, Vivier murmure :

– C’est trop souffrir vraiment, c’est impossible, je ne peux plus vivre comme ça !

L’omnibus est attristé de voir un pareil malheureux.

– Que la société me pardonne, j’aime mieux mourir ! crie Vivier en proie à une exaltation horrible. Il tire brusquement un pistolet de sa poche et l’arme. Les grosses femmes frémissent et lâchent leurs paniers ; une sœur de charité, placée en face du mystificateur, se précipite sur le pistolet, et dit à Vivier :

– Mon frère, vous n’avez pas le droit de vous ôter la vie, Dieu seul peut le faire !

Le corniste la regarde d’un air vague, et a l’air de revenir à la réalité. Il met le pistolet dans sa poche, et dit, en souriant tristement :

– Vous avez raison, ma sœur… et puis dans un omnibus ce serait bête !

Tout le monde est soulagé. Cinq minutes se passent, Vivier pousse un nouveau soupir, et paraît plus accablé que jamais.

– Est-ce qu’il va recommencer ? pensent les voyageurs.

Vivier retire avec frénésie le pistolet de sa poche, et crie, les yeux presque hors de la tête :

– Je ne peux plus ! Je ne peux plus ! c’est impossible ! c’est trop souffrir ! Cette fois-ci je meurs dans l’omnibus ; adieu, mes amis !

D’un geste tragique il pose le pistolet sur son front et met le doigt sur la détente de l’arme homicide… Un grand cri sort de toutes les poitrines, plusieurs grosses femmes s’évanouissent, la sœur tombe à genoux. Tout à coup Vivier s’arrête et regarde tout le monde d’un air excessivement étonné. Il montre son pistolet à ceux qui l’entourent : c’est un pistolet en chocolat.

Il le casse en autant de morceaux qu’il y a de personnes, et en distribue les morceaux ; puis donne l’adresse de l’armurier (Perron), et descend, après avoir embrassé le conducteur, et lui avoir donné le chien du pistolet, et après avoir laissé l’omnibus complètement ahuri.

*
AU VIOLON

Un ivrogne est conduit au poste.

– Qui êtes-vous ?

– J’sais pas.

– Qui êtes-vous ?

– Pas.

– Voulez-vous répondre, ou on vous flanque à l’eau.

– « Eh ben, allez voir au coin de la rue des Martyrs si y a un marchand de marrons, si y en a un, je sais pus qui je suis. »

*

Un surnom.

Le peintre Z… est un coloriste adorant également les fonds bleuâtres et le trapèze.

Henri Pille l’a surnommé : Léotard de Vinci.

*

X… est un avare insupportable, surtout quand il offre des cigares à ses amis. Il a un porte-cigares à deux compartiments : dans le premier, il y a des londrès de six sous (pour lui) ; dans le second, des voyoutados d’un sou (pour les amis).

De X… offre ses cigares en mettant, sur les londrès, un pouce énorme qu’on ne peut soulever. On est réduit à prendre les cigares d’un sou. Ce qui est pour l’avare un chagrin cuisant.

L’autre jour, on lui a pris tous ses londrès, malgré le pouce. C’est épouvantable ce que ce pauvre de X… a souffert !

*

Chez le médecin :

LE MALADE. – Voilà quinze fois que je viens chez vous, vos ordonnances sont insuffisantes ; vous m’avez donné inutilement un tas de drogues pour faire circuler mon sang.

LE MÉDECIN. – Il ne circule pas ?

LE MALADE (furieux). – Non.

LE MÉDECIN. – Je ne peux pourtant pas vous faire avaler un sergent de ville pour dire à votre sang : Circulez !

*
Pas drôle !

Une chose vraiment désagréable, c’est d’aller se soulager dans un Rambuteau à trois compartiments, quand ces gens qu’on appelle des placiers, et qui portent des boîtes vernies sur le dos, occupent les deux compartiments de l’entrée.

Il ne reste que celui du milieu, ce qui vous oblige, si vous êtes pressé, à vous accroupir pour passer sous les boîtes des placiers : cela vous met juste à la hauteur du derrière de ces messieurs, qui en profitent pour vous envoyer malicieusement un gaz en pleine figure.

*
SOUS LE LIT

Un mari de Bordeaux, d’une jalousie ultra-othelloesque, se croit horriblement cornard et voit des amants partout.

Il rentre l’autre soir, chez lui, vole, avec un doute affreux dans l’âme, à la chambre de son épouse, il entre à pas de jaguar ; sa moitié dort. Il la regarde sous le nez, la bougie dans une main, le pistolet dans l’autre ; la femme ne bouge pas.

Il fouille dans les armoires et serre au collet plusieurs chemises accrochées, les prenant pour des amants en bannière, puis il monte sur une chaise et regarde au-dessus de l’armoire à glace ; il furète dans la table de nuit (il est de petits amants !) il grimpe dans la cheminée, en descend noir, plus Othello que jamais !

Soudain, une inspiration infernale le fait chercher sous le lit. Malheur ! il y a quelqu’un ! Le jaloux tire sur l’amant ; la femme se réveille en sursaut :

– Qu’y a-t-il ?…

– Amélie, vous me trompez, il y a un homme chez vous.

– Imbécile ! crie la femme, regarde.

L’Othello se met à plat ventre et voit une malle sous le lit. Il avait pris le dos de la malle pour la poitrine d’un amant velu !

*

Professions invraisemblables pour malheureux sans ouvrage :

Architectes pour châteaux en Espagne ;

Charron pour roue de la Fortune ;

Constructeur de ballons pour voyager dans le ciel des rêves ;

Marchand de chiens de berger pour moutons de la mer ;

Serrurier pour clef des cœurs ;

Fabricant de paratonnerres pour éclairs de regards foudroyants.

En Bretagne

Un aveugle mange une soupe avec son fils. Celui-ci sort sans bruit pour aller chercher du cidre, le chien de l’aveugle profite de cette absence pour laper la soupe à la barbe de son maître.

L’aveugle, qui entend un bruit de langue inaccoutumé, allonge le bras pour savoir qui fait ça, passe la main sur la tête du chien, et dit :

– Tiens, mon lieu a ôté son chapeau et il mange sans cuiller !

*

Hier, dans un salon, M. Prudhomme disait avec onction :

– Le mot biche n’étant plus à la mode, si Henri IV revenait au monde, cet aimable monarque serait obligé de changer son juron favori et de dire : Ventre d’horizontale !

*

– Qu’a donc ce garçon ? Il a l’air préoccupé.

– Il y a un terrible mystère dans sa vie.

– Ah !

– Oui, il a reçu un coup de pied au derrière, une nuit, et n’a jamais su qui le lui avait donné.

– Ça devait être une vengeance occulte.

*

Je connais un membre très chauve de la Société protectrice des Animaux qui se met du sucre en poudre sur le crâne pour régaler les mouches.

*
PLUS DE GUÉRITE

Il est sérieusement question au ministère de la guerre de supprimer la guérite.

On la remplacerait par un vêtement en bois que porteront les soldats lorsqu’ils seront factionnaires.

Les guérites tiennent de la place dans les rues et empêchent le soldat de se promener de long en large quand il pleut.

À l’avenir, une immense redingote en bois peint en vert recouvrira le factionnaire ; elle sera percée d’un trou à l’épaule pour laisser passer la baïonnette.

Avec cette guérite portative, si des chiens viennent mouiller la sentinelle, ce sera sans inconvénient ; et, dans les combats avec les malfaiteurs, si le brave soldat a le trac, il aura la consolation d’être cuirassé. Pour les factionnaires à cheval, on remplacera la redingote par un long mac-farlane en bois qui descendra jusqu’à terre

Ce sera très commode.

*

Au ciel. On frappe à la porte du Paradis.

SAINT PIERRE. – Qui frappe ?

UNE VOIX. – C’est moi.

SAINT PIERRE. – Qui vous ?

LA VOIX. – Moi, la Perfection !

SAINT PIERRE (avec horreur). – Vous devez être Bouguereau… on n’entre pas ! ! !

*

Lu sur un prospectus d’un entrepreneur de pompes funèbres.

– Location de nègres pour enterrements riches.

*

Affreux !

La femme du célèbre navigateur *** a non seulement un estomac déplorable, mais un langage impossible. Elle disait, l’autre soir, à la baronne de K… : – Pour les aigreurs de mon estomac, il n’y a qu’une chose qui me réussisse, c’est une liqueur que m’a recommandée mon mari marin : L’eau de mer tisse des calmes.

*

Sur le boulevard.

Une dame d’une rotondité extraordinaire s’arrête devant un kiosque pour lire les affiches de théâtres. Un gavroche guigne la grosse dame et tourne autour avec curiosité.

– Dites donc, galopin, dit la femme colosse, d’un air méprisant, quand vous aurez fini de faire le tour du monde !

*

Entre femmes mariées :

– Comme porte-veine, j’ai un cochon à mon bracelet.

– Moi, au mien, j’ai la photographie de mon mari.

*

Entre bébés :

JULES. – Tiens, mange ça.

ZOÉ, crachant. – Pouah ! c’est un hanneton !

JULES. – Bête ! c’est en chocolat.

ZOÉ, avalant. – Ah ! il est bon.

JULES. – Oh ! la sale, c’est un vrai !

*

Impression campagnarde.

Un paysan descend d’omnibus, on lui demande ce qu’il pense de ce genre de véhicule :

– C’est admirable d’avoir à soi une guimbarde à trois chevaux pour trois sous – ça fait un sou par cheval, c’est pas cher !

*

Soirée fantastique.

Quelques très mauvais amateurs jouent la comédie dans un salon devant toute la magistrature assise.

Le public est glacial ; – on dirait qu’il médite une sentence de mort. – Les amateurs qui ne décrochent pas un effet perdent la tête, au point que l’un d’eux, pris de vertige, se met à crier :

– Riez donc !

Une voix de basse sort d’un spectateur, et répond sépulcralement :

– Impossible ! nous vous jugeons !

*
OH ! LES PIANISTES !

L’autre soir, dans le salon de Léon Bienvenu, un pianiste myope est resté au piano de 10 heures du soir à 4 heures du matin. C’est effrayant ce qu’il a joué !

À minuit, tout le monde s’est retiré, consterné, sans avoir le courage de déranger le pianiste myope, qui est resté tout seul.

À 4 heures du matin, le pianiste myope s’est levé du piano, s’est essuyé, a salué profondément le public, qu’il a trouvé froid, et est allé se coucher.

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Scène de la vie rustique :