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Dans un monde où les dieux ne cessent de se battre pour le contrôle des cieux, les humains ne sont leurs pions dont ils disposent sans scrupules. La guerre s'apprête à déferler tel un raz-de-marée et tous seront emportés. Connor vivait loin de cette réalité jusqu'à ce qu'il sauve la vie de Sanya, messagère de la reine d'Eredhel. Décelant en lui un mystérieux pouvoir qui pourrait jouer en sa faveur, elle décide de l'emmener à la capitale pour qu'il soit former et qu'il puisse l'épauler le moment venu. Mais si l'empire est leur ennemi, les dieux tirent les ficelles. Connor et Sanya semblent avoir tous deux un rôle à jouer pour mettre fin à leurs dessins.
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Seitenzahl: 693
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Du même auteur :
Kiwa
L’Héritier
La Guerre des dieux :
1- Le Maître des Ombres
2- L’Enlèvement (à paraître)
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ISBN : 978-2-322-52346-7
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29
Chapitre 30
Chapitre 31
Chapitre 32
Chapitre 33
Chapitre 34
Les étoiles scintillaient dans une étendue noire que rien n’obstruait. Connor pénétra dans la forêt sans un bruit. Les herbes et le feuillage des arbres bruissaient au rythme de la brise, accompagnés par le hululement de quelques chouettes. Loin de craindre la nuit, le jeune homme se sentait dans son élément. Aussi étrange que cela ait pu paraître, l’obscurité était son allié. Il voyait dans le noir bien mieux que la plupart des gens. Nul besoin des lunes pour guider ses pas.
Prenant garde de ne pas faire craquer les branches, il marchait souplement, attentif au moindre son. La discrétion était sans doute sa plus grande qualité. Ses yeux verts fouillaient les environs, comme si rien ne pouvait leur échapper. La nature recelait d'indices pour qui savait les lire.
Il s'accroupit et toucha les empreintes d'une biche dans la terre. Il n'aimait pas la chasse, mais n'avait pas d'autres choix pour se nourrir. Depuis la mort de ses parents, lui et son frère, Faran, devaient travailler très dur pour gagner leur vie. Ce dernier était apothicaire et n’avait pas de temps à consacrer à l’exploitation agricole familiale. Ne pouvant s’en occuper seul, Connor avait été contraint de la vendre. Cela lui avait permis de se construire une petite maison à l'écart de la ville. Il faisait des petits travaux en fonction des besoins des habitants, et quand les revenus ne suffisaient pas à acheter des provisions, la chasse s'imposait. Quant à son frère, il préférait vivre à l'étage de sa boutique.
Alors qu'il se remettait en route, le jeune homme faillit trébucher sur une racine qui émergeait du sol. Comme souvent, il évita le piège de justesse. Cela faisait partie des phénomènes qu’il ne pouvait expliquer. Il avait l'impression d'anticiper, de sentir venir les évènements, ou du moins, quelque chose en lui les sentait et le prévenait. Le prendre par surprise était compliqué, il évitait instinctivement les attaques. Son frère prétendait qu'il maîtrisait une forme de magie, bien que Connor affirmât avoir seulement une meilleure réactivité que les autres.
Connor s'arrêta lorsqu'il entendit des sifflements derrière lui, mélodieux et envoûtants, bien différents de ceux des humains et des oiseaux. Une créature volait vers lui. Une femme, à peine plus petite que sa main !
Elle était toute fine, avec de longs cheveux couleur encre qui tombaient en cascade dans son dos. Sa robe était éclatante de couleurs, ce qui faisait ressortir la blancheur de sa peau de satin. Ses ailes de libellule battaient frénétiquement l'air dans un bourdonnement doux et apaisant. La fée commença alors par taquiner Connor, et il ne put rien faire pour l'arrêter. Elles étaient de loin les créatures les plus têtues qui puissent exister, des êtres qui ne pensaient qu'à s'amuser.
– Il'ika, ça suffit, tu vas nous faire repérer ! souffla-t-il en l'attrapant enfin dans sa main.
La petite femme lui adressa un sourire narquois avant de le laisser tranquille. Elle reprit sa propre route dans un ballet aérien, à la recherche d’autres êtres vivants à embêter. Sa capacité à voir des choses microscopiques faisait qu’elle ne s’ennuyait jamais.
Connor la connaissait depuis qu’il était enfant. Faran l'avait trouvée à moitié morte dans la forêt, attaquée par un puma, et il n'avait pas hésité une seule seconde à la ramener chez lui. Malgré son jeune âge, il l'avait soignée avec beaucoup de patience et de méticulosité. Personne, hormis son frère, ne l’avait su. Prise d'une adoration sans limites pour son jeune sauveur, la fée ne l’avait plus quitté depuis.
Connor ne mit pas longtemps à retrouver sa proie. Elle broutait en bas d'une pente, calme et insouciante. Sans un bruit, il fit un large détour pour se retrouver face au vent. Quand il fut en place, il attrapa son arc et encocha une flèche. Concentré, il ne voyait que la biche qui ne se doutait pas de sa présence. Il prit de grandes inspirations pour se détendre et ne songea qu'à sa cible.
Soudain, l’animal dressa la tête, paniqué, et détala dans une course folle. Le chasseur abaissa son arme, surpris, et jeta à un coup d’œil aux alentours.
Cette fuite n’était pas de son fait.
Il réalisa alors qu'un silence de mort régnait sur la forêt. La brise était devenue glaciale et les deux lunes s'étaient réfugiées derrière les nuages. Le jeune homme dut plisser les yeux pour distinguer ce qui l'entourait. Sa flèche toujours encochée, il fit lentement un tour sur lui-même. Il chercha Il'ika du regard, en vain. Il aurait voulu l'appeler, mais n'osa ouvrir la bouche, de peur d'être repéré. Par quoi ? Il n'en savait rien. Quelque chose n'allait pas. Que tous les animaux se soient tus n'était pas normal.
Il s’aplatit doucement dans l'herbe et observa autour de lui. Il sentit alors une présence, non loin de lui, une présence qui lui glaça le sang. Quand une branche craqua dans son dos, il fit volte-face, prêt à décocher. Ce n'était qu'une belette qui se réfugiait dans un terrier. Le silence l'oppressait.
Le jeune homme se sentit soudain faible et vulnérable, livré à lui-même. Sa respiration ne lui avait jamais paru aussi bruyante. Ce n'était pas son genre de céder brusquement à la panique, il n'avait pas souvent peur et savait se défendre. Peut-être n'était-ce que l'inquiétude, mais Connor avait cette désagréable impression d'être épié, et qu'on s'approchait, lentement, silencieusement...
Il'ika apparut précipitamment, désespérée. Sa présence parvint à chasser cette étrange sensation de panique qui l'avait pris, sans qu'il comprenne pourquoi.
La fée attrapa le col de son gilet et tira de toutes ses forces, effrayée au plus haut point. Elle tournait frénétiquement la tête dans tous les sens comme si elle était poursuivie. La peur l'avait rendue livide. Et une fée était difficile à impressionner...
– Quoi ? Qu'as-tu vu, mon amie ?
La petite femme siffla d’une telle façon que même un homme incapable de comprendre sa langue pouvait deviner qu'elle voulait fuir quelque chose qui la terrorisait. Connor l'emprisonna dans ses mains pour la forcer à se calmer.
– Dis-moi ce que tu as vu !
Un hurlement déchira le silence. Le jeune homme tressaillit, son sang se glaça d'effroi. De sa vie, jamais il n'avait entendu quelque chose d’aussi terrifiant. Ce cri n'appartenait à aucun animal de sa connaissance. Son cœur s'accéléra. La forêt lui parut alors encore plus sombre et oppressante.
– Qu'est-ce que... Il'ika, tu as vu cette chose ? souffla-t-il.
La fée hocha vivement la tête, et tira de nouveau le col de son ami.
– Est-ce qu'elle vient par ici ?
Il'ika ne voulut pas répondre, la seule chose qui comptait était de fuir le plus vite possible. Bien que tiraillé entre peur et curiosité, Connor décida qu’il était de son devoir d’en apprendre plus sur cette créature pour alerter son village.
Il ignora les protestations de la fée et partit au pas de course sans se retourner. Mais quand un deuxième rugissement déchira le silence, un frisson remonta le long de son dos. Il eut un moment d'hésitation, à ne pas savoir s’il devait continuer ou fuir à toutes jambes cet endroit de malheur.
Alors qu'il s'apprêtait à rebrousser chemin, il entendit un autre cri, plus faible, plus étouffé. Celui d'une femme !
Si quelqu'un était en danger, Connor devait prendre son courage à deux mains et l'aider malgré les risques encourus. Il repartit donc à vive allure.
Quand il arriva face à un talus de pierres, il s'empressa de l'escalader. Il s’aplatit brusquement par terre alors qu’il atteignait le sommet, et retint de justesse un cri de stupeur.
Se redressant suffisamment pour pouvoir observer en contrebas sans se faire repérer, il observa ce qui avait tant terrorisé Il’ika. Une créature d’à peu près la taille d’un cheval, semblable à un dragon sans ailes. Deux larges cornes ornaient son crâne reptilien, de puissants muscles saillaient sous ses écailles, et chaque mouvement les faisait rouler de façon inquiétante. Elle possédait des griffes aussi longues et larges que des couteaux de bouchers, des crocs luisants, et une queue hérissée d'épines qui fouettait bruyamment l'air. Mais ce n'était pas uniquement la physionomie de la créature qui suscitait tant de peur. Malgré une stature fière et majestueuse, son aura était écrasante, terrifiante ! C'était comme se retrouver face à la mort en personne.
Connor détourna rapidement le regard de la bête pour se calmer, et oublia presque sa présence quand il vit la femme.
Fière et droite, une dague dans chaque main, la femme incarnait la beauté, la grâce et la combativité. Elle semblait cependant à bout de force, et ne tarderait pas à succomber malgré sa détermination. Sa robe n'était plus que haillons qui laissait entrevoir son corps meurtri. Elle était tellement éclaboussée de sang de la tête aux pieds qu’il était difficile de savoir si elle avait les cheveux blonds ou rouges de nature.
Quelque chose pulsa alors en Connor, désireuse de se lier à la femme. Il sut alors ce qu’il devait faire.
Le jeune homme lutta contre l’envie dévorante de fuir, encocha une flèche et se redressa pour viser. Lorsqu’il décocha, elle émit un sifflement qui attira l’attention de la créature qui rugit de plus belle. Connor se décomposa lorsque sa flèche rebondit sur ses écailles sans lui infliger une égratignure.
La femme pivota vers lui et bien qu’à bonne distance, il sentit son regard le transpercer.
– Espèce de fou ! Va-t’en vite d'ici !
Malgré la fermeté de sa voix, Connor ignora son invective et encocha une seconde flèche. Il était hors de question de l’abandonner à son sort, il comptait bien se battre jusqu’au bout. À la recherche d’un point faible, il visa machinalement l’œil. Au moment où ses doigts allaient lâcher la corde, il croisa à nouveau le regard insistant de la femme. Sans qu'il puisse résister, ses bras s'abaissèrent d'eux-mêmes, comme si son corps était animé d'une vie propre. Le jeune homme poussa un cri terrifié, incapable de lutter. Était-il possédé ?
– Fuis !
La créature reporta son attention sur la femme et se jeta sur elle. Connor ne put voir la scène. Soumis et manipulé par une puissance qu'il ne comprenait pas, il tourna les talons et partit au pas de course. Il chercha à lutter, à rebrousser chemin, mais ce ne fut qu’au prix d’un terrible effort qu’il parvint à s'arrêter. La tension fit ruisseler la sueur sur son front. Tenter de bouger par lui-même était une torture, il n'avait plus la maîtrise de son propre corps. Il lutta tant bien que mal, refoula la douleur et serra les dents sous la pression de cette puissance inconnue. À bout de souffle, il parvint à remonter la pente, les poumons en feu. Alors, une peur viscérale s'insinua en lui pour réduire à néant son courage et sa détermination. Il ignorait, jusqu'à présent, pouvoir ressentir une telle terreur ! Et ce n'était pas normal, quelque chose n'allait pas. Non, il était parfaitement capable de contrôler ses peurs, il était donc manipulé, il...
La terreur le submergea et il abandonna toute résistance pour courir aussi vite que possible. Il en oublia le froid et ses poumons brûlants et respirait à peine, pressé de quitter les bois et de se ruer dans sa maison. Lutter était impossible. Pris de panique, ses réflexes l'abandonnèrent et il trébucha sur une pierre. Il roula le long d'une pente et poussa un gémissement. Quand il s'immobilisa, il retint de justesse un cri de douleur et serra fort son bras contre son torse, les mâchoires crispées.
Il ne s’apitoya pas longtemps. L'instinct de survie le remit sur pied, et il se força à oublier la douleur qui se répandait dans son bras. Il le pressa davantage contre sa poitrine, et reprit sa course, le visage couvert de sueur, de terre et de larmes.
Connor sortit enfin de la forêt et se précipita vers sa maison qui lui parut être un refuge, une forteresse même, capable de l'abriter et de le protéger. Il'ika le rejoignit à cet instant, pressée de se mettre à l'abri elle aussi. Il claqua violemment la porte derrière eux et s'y adossa, à bout de souffle. Comme si un sort venait d'être rompu, la peur le quitta et il fut à nouveau maître de son corps. Il resta éperdu un long moment, les yeux écarquillés, stupéfait. Mais que lui était-il donc arrivé ?
La jeune femme était toujours là-bas, en danger !
Alors que Connor s'apprêtait à retourner dans la forêt malgré ce qu’il venait de vivre, Il'ika se jeta sur lui pour attraper ses cheveux noirs et l'arrêter.
– Il'ika, lâche-moi ! cria le jeune homme. Elle a besoin d'aide !
La fée secoua la tête et débita des mots que son ami eut du mal à comprendre. L’un d’eux, pourtant, lui sauta aux oreilles, et il parvint à saisir le reste de sa phrase. Son bras retomba le long de son corps.
– Une magicienne ? Tu en es sûre ?
La fée hocha la tête et continua dans sa lancée.
– Même si elle m’a jeté un sort pour que je fuis, ce n’est pas une raison pour l’abandonner ! Je me fiche que les mages soient mal considérés, elle a besoin d’aide.
Avec plus de calme, Il’ika tenta de lui expliquer qu'il ne servait à rien de partir à son secours maintenant. Son bras blessé serait un handicap. De plus, mieux valait en apprendre plus sur cette créature avant de l’attaquer, peut-être que Faran, riche de connaissances, pourrait les aider.
Connor poussa un grognement résigné.
– Très bien, alors dépêchons-nous d’aller le voir pour qu’il me soigne, et nous donne quelques indications sur comment je peux affronter cette bête. Ensuite, je retourne dans la forêt !
La fée soupira. Rien ne ferait changer d’avis son ami, c’était peine perdue de tenter de le raisonner. Autant le suivre pour lui éviter plus d’ennuis.
Le ventre bizarrement noué à l'idée que sa belle inconnue périsse entre temps, Connor se dépêcha de récupérer son épée et prit le chemin d’Ebènne, le village qui l’avait vu grandir et s’épanouir.
Alors qu’il se hâtait, il redoutait de voir surgir la créature devant lui. Dans son état, il ne pourrait pas se défendre, mais il serra tout de même le pommeau de son arme. Elle ne ferait pas grand-chose face à une telle bête, il le savait, pourtant il était rassuré de la sentir contre lui.
Pour alimenter davantage ses angoisses, Connor craignait également de découvrir sa bourgade ravagée. Perdre des proches, et surtout son frère, serait une déchirure. Être le seul survivant serait encore pire.
Quand il arriva enfin, les lieux étaient plongés dans le silence. Toutes les lumières étaient éteintes et il n’y avait pas un chat dans les rues. Au moins, cela signifiait que tous dormaient tranquillement et qu’il n’était rien arrivé de grave. Connor s’empressa de rejoindre la boutique de son frère, et tambourina à la porte pour le réveiller.
Des bruits de pas se firent entendre, la porte se déverrouilla, et Faran apparut dans l’encadrement, les yeux embués de fatigue. La stupéfaction le saisit quand il vit l’état de son frère.
– Qu’as-tu fait encore ?
– Je n’ai pas le temps d’entrer dans les détails, répliqua Connor en s’engouffrant à l’intérieure. J’ai besoin de toi.
Être dans la boutique le rasséréna. Elle faisait fouillis, au premier regard, avec ses multiples d’étagères qui croulaient sous le poids de centaines d'herbes, d'os, de fioles remplies, et de choses que le jeune homme ne pouvait identifier. Malgré tout, elle était accueillante, voire même apaisante.
Faran soupira et referma derrière lui. Il'ika s’empressa de se serrer contre sa joue, soulagée d’être auprès de lui.
– Je suppose qu’il t’a encore attiré dans les ennuis, ma pauvre.
La fée perchée sur son épaule, il fit assoir son frère près de son établi et commença par défaire son bandage. Physiquement, les deux hommes ne pouvaient pas être plus différents l'un de l'autre. Faran était aussi blond et blanc de peau que Connor était brun et mate. Leur seule chose en commun était leur taille qu’ils tenaient de leur père, même s’ils présentaient une différence de carrure évidente due à leurs activités radicalement opposées. Mais là s'arrêtait la ressemblance.
Pourtant, jamais ils n'avaient douté de leur lien de sang, et leur complicité avait toujours était grande. De deux ans son aîné, Faran avait toujours veillé sur Connor dès leur plus jeune âge.
Avec douceur, l’apothicaire prit le bras de son patient dans ses mains et le palpa, le front plissé par la concentration. Il lui fit faire quelques mouvements pour établir un diagnostic.
– Ce n'est rien de grave. Tu as une entorse, ça passera vite. J'ai donné mon dernier remède hier, alors tu vas tout me raconter pendant que j'en prépare un nouveau.
– Je ne peux pas traîner, dépêche-toi s’il te plaît, une vie est en jeu !
– Tout doux, ne va pas plus vite que la musique. Expliquemoi déjà ce qu’il s’est passé.
Tandis que Faran écrasait des herbes dans un mortier, Connor lui narra toute sa mésaventure. L’apothicaire blêmit durant le récit, mais ne l'interrompit sous aucun prétexte. Quand ce fut fini, il était en train de masser délicatement le bras de son frère avec la pommade fraîchement préparée.
– Ce que tu me racontes est très troublant, souffla-t-il enfin.
– Tu sais ce qu'est cette créature ? s'écria Connor, alarmé par son regard terrifié.
– Je n'en suis pas sûr. J'ai une image, dans un livre, tu me diras si c'est bien elle. J'espère me tromper... Tu es complètement fou de t'être aventuré près d'elle ! Qu’est-ce qui t’a pris, tu ne réfléchis donc jamais ? Elle aurait pu te tuer !
– Cette femme avait besoin d’aide, je ne pouvais pas rester sans rien faire.
– Mort, tu lui aurais été d’une grande utilité, en effet. D’autant que d’après ta description, cette femme savait sûrement se battre. Donc, si elle n’a pas pu tuer cette bête, tu pensais vraiment en être capable ? Il est d’ailleurs étrange de croiser une magicienne dans le coin. Qu’est-ce qu’elle pouvait bien fabriquer par ici ?
Connor s’en fichait, seule comptait l’idée de repartir l’aider. Il refusait d’envisager le pire. Se soucier à ce point d’une inconnue n’était pas une habitude chez lui, mais il y avait quelque chose de différent, cette fois-ci.
– Je me devais d’essayer, au moins ! répliqua-t-il. Je dois vite y retourner, elle est peut-être encore vivante !
Faran secoua la tête.
– Tu es irrécupérable. Même si c’est une magicienne, elle était grièvement blessée. Elle doit déjà être morte à l’heure qu’il est. Tu ne vas pas retourner dans la forêt alors qu’un tel monstre se balade, c’est de l’inconscience !
– Aucune importance, dis-moi ce que tu sais et je repars immédiatement ! répliqua Connor en se redressant.
– C’est hors de question, tu ne repartiras pas en pleine nuit avec un bras blessé affronter un monstre pareil !
– Ta pommade me soulagera en chemin, ça ira. J’ai déjà perdu suffisamment de temps, je ne resterai pas sans rien faire. Tu ne pourras pas m’en empêcher.
– Laisse-moi au moins le temps de regarder dans mes livres pour identifier cette créature.
Tandis que le chasseur faisait les cent pas à se ronger les sangs, Faran quitta l’atelier pour se rendre dans sa bibliothèque. Ce n'était qu'une petite pièce mitoyenne, mais elle était remplie d'étagères qui ployaient sous le poids des livres. Pour quelqu'un de la campagne, Faran les collectionnait comme d'autres collectionnaient les pierres. Ses économies, ils les dépensaient dans l'achat de nouveaux ouvrages dès que l'occasion se présentait. De ce fait, il n'y avait personne, à des kilomètres à la ronde, qui pouvait prétendre avoir la moitié de son savoir. Il en revint avec un gros livre poussiéreux sur les bras. Il le feuilleta tandis que son frère grommelait d’impatience.
– C'est celle-là ?
Connor se pencha par-dessus son épaule et regarda la page en question. Du doigt, Faran tapota l'image d'un dragon sans ailes aux larges cornes. Connor tressaillit. Bien que l'image fût loin de la réalité, c'était bien la même créature qu'il avait vue dans la forêt tout à l’heure. Assise sur l'épaule du guérisseur, Il'ika étouffa un cri qui en dit long.
– C'est elle, confirma Connor. Qu'est-ce que ça dit ?
– Si tu avais bien voulu apprendre à lire, tu ne serais pas obligé de poser des questions à tout bout de champ !
– Je n’en vois pas l’utilité. Allez dépêche, je t’ai dit qu’une vie était en jeu !
– Comme je le redoutais, cette bête est un Ddraig. Il est dit que les Ddraigs sont des créatures divines qui descendent de la montagne Blanche lorsqu'un terrible danger guette les royaumes. Pour faire comprendre l'importance du danger, elles ont recours à une méthode radicale.
– Qui est ?
– Durant une nuit, elles tuent toutes les personnes qu'elles croisent, proches des villes et villages concernés par le danger. Cette nuit n'est pas forcément la même pour tous.
Connor se décomposa.
– Tu n'es pas sérieux, hein ?
– Malheureusement, je n'ai jamais été aussi sérieux. Et tu veux quand même y retourner ?
Le jeune homme se massa les tempes et arpenta la pièce de long en large.
– Des indications sur comment la tuer ?
– Personne n’a jamais réussi, il n’y a aucune note sur un éventuel point faible.
– J’aviserai dans ce cas, une flèche dans l’œil la calmera.
Alors que le jeune homme récupérait ses armes pour repartir, Faran s’interposa.
– Je ne te laisserai pas faire ! Cette créature est sûrement encore dans la forêt, je ne te laisserai pas y retourner pour une parfaite inconnue, qui plus est une magicienne !
Un sourire moqueur se dessina sur le visage de son frère.
– Parce que tu crois pouvoir m’en empêcher ?
Pour lui prouver le contraire, Connor l’écarta de son chemin d’une main sans qu’il ne puisse résister. Puis, son bras blessé pressé contre lui pour calmer la douleur, il partit en courant en direction de la forêt.
Paniqué, Faran tourna un moment dans sa boutique à chercher une solution. Il ne pourrait jamais rattraper Connor, cela ne servait à rien de se lancer à sa poursuite. De toute façon, il n’en aurait pas le courage. Alors, comment tirer son frère de là ?
Il’ika s’empressa d’attraper son visage pour qu’il se calme, et lui suggéra d’aller voir Mark, le chef du village. N’ayant pas de meilleure idée, l’apothicaire hocha la tête et partit au pas de course dans le village pour rejoindre la maison de Mark. Pourquoi fallait-il que Connor soit aussi têtu ?
Une fois arrivé, il eut un moment d’hésitation à l’idée de toquer. On était en plein milieu de la nuit, tout de même ! Il’ika l’encouragea d’une caresse et il prit son courage à deux mains. Il tambourina à la porte jusqu’à ce que Mark ouvre avec un grognement.
L’homme d’un certain âge était grand et bâti comme un ours, ce qui avait toujours intimidé Faran.
– Pourquoi tu frappes comme ça en pleine nuit ? Qu’est-ce qu’il se passe, une urgence ?
– C’est Connor ! Il chassait et il a rencontré une créature dans la forêt. Un Ddraig !
Mark se décomposa, figé sur place.
– Je connais la légende des Ddraigs. Ce n’est vraiment pas bon signe, ce que tu me dis. Heureusement, ils ne tuent que les gens qu’ils rencontrent, il ne nous arrivera rien tant que nous restons chez nous. Retourne vite chez toi te mettre à l’abri, nous en reparlerons demain pour analyser la situation. Tout cela ne sent pas bon.
– Tu ne comprends pas… Connor a aussi vu une femme, et il y est retourné pour l’aider !
– Il a fait quoi ? Et tu l’as laissé repartir ?
– Tu voulais que je fasse quoi, l’attacher ? Comme si j’avais une chance ! Mark, il est en danger.
Le colosse se passa une main sur le visage, troublé.
– Faran, je ne peux rien faire en l’état.
– Envoie des chasseurs le récupérer !
– Tu sais bien comment est Connor, s’il ne veut pas qu’on le ramène, personne ne lui mettra la main dessus. Et il connait la forêt comme sa poche. Si j’envoie des chasseurs, je mettrai des hommes en danger pour rien du tout. Je suis désolé Faran, je ne peux pas faire une telle chose. Les Ddraigs ne sévissent que la nuit. Dès les premières lueurs du jour, j’enverrai mes gars le chercher, mais pas en pleine nuit, c’est trop dangereux.
Faran était désespéré.
– Mais… il risque de se faire tuer !
– Ce n’est pas quelques chasseurs qui le sauveront, soit réaliste. Encore faut-il mettre la main sur lui. Navré Faran, je ne peux pas me permettre. Il faut espérer qu’il ne se mettra pas en fâcheuse posture.
– On parle de Connor, là !
– Faran, rentre te mettre à l’abri. Le jour se lève dans quelques heures, j’enverrai aussitôt des chasseurs, je te le promets. Pour l’instant, nous n’avons d’autre choix que d’attendre…
Connor avançait sans faire le moindre bruit, attentif. Il tenait son arc devant lui, une flèche déjà encochée. Son bras lui faisait encore un peu mal, mais le remède de son frère le soulageait suffisamment pour lui permettre de tirer en cas de besoin.
La forêt était toujours silencieuse, mais il n’y avait aucune trace du Ddraig. Pas plus que de la femme. Où avaient-ils bien pu partir ? Il retrouva finalement l’endroit où il était tombé sur eux un peu plus tôt.
Prudemment, il descendit le talus et inspecta les traces. Il découvrit les empreintes de la créature, énormes et profondes. Celles de la femme étaient visibles un peu plus loin, ainsi qu’un peu de sang sur des feuilles basses.
Quelque chose bougea dans les fourrés. Connor fit volteface, prêt à tirer, la respiration bloquée. Les branches s’écartèrent et un lièvre déboula. Quand il découvrit le chasseur, il dérapa et changea de direction à toute vitesse. Ce dernier relâcha son souffle.
Accroupi, il examina les traces de la femme afin de déterminer dans quelle direction elle était partie. La piste qu’il remontait était relativement déblayée par le passage du Ddraig, ce qui prouvait qu’il avait pourchassé sa proie un moment. Mais les traces finirent par s’arrêter nettes, comme si le monstre avait stoppé sa charge. La peur s’empara du jeune homme à l’idée de retrouver des empreintes de lutte, ou carrément des morceaux de la femme, mais c’était comme si elle avait tout bonnement disparu !
Le Ddraig avait changé de direction pour partir vers l’est, d’un pas sûrement plus tranquille, car la végétation était moins abîmée. Il semblait fouiller les lieux à la recherche de la magicienne, qui n’avait laissé aucune preuve de son passage. Pas de sang, pas de marques de chaussures, pas d’objets tombés… rien. Comme si elle n’avait jamais existé.
Connor s’interrogea. Aurait-elle pu effacer magiquement sa piste pour ne pas être retrouvée ? La bonne nouvelle était qu’elle avait probablement échappé au Ddraig. La mauvaise était qu’il allait avoir du mal à la retrouver. Encore fallait-il que le monstre ne lui tombe pas dessus entre temps.
Le jeune homme ressentit alors l’angoisse lui nouer le ventre. Si la créature et lui étaient à la recherche de la même personne, n’allaient-ils pas finir par se croiser ?
Le jour ne tardera pas, songea-t-il. Je dois tenir jusqu’au lever du soleil, ensuite, elle partira. Si les informations de Faran sont exactes…
Connor inspira à fond pour se calmer. Il était passé maître dans l’art de se cacher, s’il se montrait suffisamment prudent et discret, il pourrait arpenter la forêt les quelques heures qui restaient avant le jour, sans se faire repérer.
Refusant d’imaginer le danger qu’il courait, il repoussa toutes ses sombres pensées dans un coin de sa tête et continua sa traque, attentif aux moindres signes. Cette femme était quelque part, c’était obligé.
Il entendit alors des pas lourds, puis des craquements de branches qui venaient dans sa direction. Une peur viscérale le gagna, incontrôlable, et il sut que c’était le Ddraig. Paniqué et conscient qu’il n’aurait pas le temps de fuir sans se faire remarquer, Connor s’empressa de chercher une cachette de fortune. Pris de court, il eut juste le temps de se jeter dans un trou à peine dissimulé par une racine avant que la bête n’apparaisse. Il pria pour que cela suffise.
Le monstre venait dans sa direction et Connor se mit à trembler, se mordant la langue pour se contraindre au calme. Ne faire qu’un avec les ombres pour ne pas se faire voir, comme le lui expliquait sa mère quand elle lui apprenait à se cacher. Le jeune homme se répéta cette phrase dans sa tête et s’imagina être recouvert par les ombres. Quand il appliquait ce conseil, cela lui permettait parfois de se dissimuler efficacement.
Le Ddraig arriva à sa hauteur, et Connor serra les dents. De près, il était encore plus terrifiant ! Il avançait lentement tandis qu’il examinait ce qui l’entourait, comme s’il cherchait quelque chose. La femme, ou une nouvelle proie ? Il affichait des traces de lutte, certaines écailles étaient même délogées, mais cela ne semblait pas l’affecter.
La bête huma l’air au niveau de Connor, et promena son regard sur les environs.
Les ombres, pense aux ombres, songea le jeune homme. Je ne fais qu’un avec elles…
Les yeux de la créature se portèrent sur lui, mais ne semblèrent pas le voir. Il restait parfaitement immobile, à se demander si le son de son cœur n’allait pas le trahir. Au moins, la technique de sa mère semblait marcher, même s’il n’avait aucune idée de ce qui se passait réellement.
Finalement, le Ddraig reprit sa route sans se retourner.
Une fois qu’il fut suffisamment loin, le chasseur s’autorisa à relâcher son souffle et il trembla de plus belle. Heureusement que sa capacité à se cacher avait été la plus forte, même s’il ne comprenait pas comment cela fonctionnait. Avait-il réellement disparu ?
Connor attendit une bonne dizaine de minutes pour être sûr de ne plus rien risquer, avant de se lever et de continuer sa traque dans la direction opposée.
La Ddraig rôdait toujours dans le coin, mais où la magicienne avait-elle bien pu aller ?
Les heures s’écoulèrent lentement, mais bientôt, le chant des oiseaux se fit de nouveau entendre. Après avoir redressé la tête, Connor remarqua que le jour se levait. Il soupira de contentement. Cela voulait dire que le Ddraig allait partir, si ce n’était pas déjà le cas. Malheureusement, cela voulait aussi dire qu’il avait cherché pendant des heures la magicienne sans succès, ce qui réduisait ses chances de tomber sur elle.
Que faire maintenant ? Par où aller ? Et Faran, il devait être mort de peur. Et si le Ddraig avait attaqué son village durant la nuit ? Inquiet à l’idée de ce qui avait pu se produire en son absence, Connor décida de rentrer au village pour rassurer son frère et s’assurer que tout allait bien. Ensuite, il repartirait à la recherche de son inconnue, peut-être avec l’aide d’autres chasseurs.
Le retour lui parut interminable alors qu’il ne pouvait s’empêcher d’imaginer le pire. Quand il entendit enfin l'activité bourdonner dans Ebènne, toutes ses inquiétudes s'envolèrent. Soulagé, il fut ravi de voir que tous commençaient leur travail comme à leur habitude, et que les enfants jouaient et riaient aux éclats dans les rues. Qu'il était bon de voir du monde ! Il prit alors conscience que le quotidien avait le pouvoir de rassurer.
Son pain sous le bras, un enfant ne tarda pas à le voir et se précipita vers lui. Il s’agissait d’Ylahn, un garçon qui aimait Connor comme un frère et qui avait toujours de bonnes histoires à lui raconter. Maigrelet et pas bien grand, les cheveux ébouriffés, il était le petit chenapan du village.
– Connor ! Tu vas bien ? Les chasseurs sont partis à ta recherche !
– Comment ça ?
– Mark les a envoyés tôt ce matin en secret pour te retrouver. Je n’ai pas entendu les explications, mais Faran était là aussi. C’est à cause de la bête ?
Connor tiqua.
– Comment tu sais pour la bête ? Mark et Faran en ont parlé ? Et toi, qu’est-ce que tu faisais dehors ?
– Je les voyais de ma chambre. Et c’est Karl l’ivrogne qui parlait d’un monstre tout à l’heure ! Il disait qu’il avait vu une bête cette nuit dans la forêt, alors je me suis dit que c’était à cause d’elle que tout le monde te cherchait. Tu es allé la voir ?
– Si on veut. Ylahn, tu veux bien me rendre un service ?
– Oui, quoi ?
– Va trouver Faran, dis-lui que je vais bien et que je suis chez Karl.
Le garçon trépignait.
– Est-ce que c’est vrai ? Il y avait une créature dans la forêt ? Tu l’as vue ? Elle était comment ? C’est quoi ?
– Calme-toi, bonhomme. Transmets mon message à Faran, et je te raconterai tout.
– Ça marche !
Il partit au pas de course exécuter sa mission, ravi de l’histoire qui l’attendait. Quant à Connor, il devait aller voir Karl. Ce dernier était réputé pour inventer des histoires farfelues à cause de l’alcool, mais s’il avait vraiment vu le Ddraig, alors il pourrait avoir des informations sur la femme. Peut-être que cela donnerait au jeune homme des indications sur l’endroit où chercher. Toute piste était bonne à prendre.
Connor partit donc d'un pas décidé vers le seul endroit où il était possible de trouver le vieil homme à tout moment de la journée : la taverne. Habituellement, il était avachi à sa table préférée, une chope de bière dans la main. Cette fois-ci, pourtant, il n’était pas là. Surpris, Connor décida de se rendre à son domicile. Même s'il n'avait pas mis les pieds là-bas depuis longtemps, il se rappelait encore l'odeur épouvantable d'alcool et d'urine qui infestait la maison et dut refouler le dégout que cela lui inspirait.
Comme tous les enfants du coin, Connor et son frère adoraient voir Karl pour écouter ses histoires, quand ils étaient petits. Le vieil homme semblait toujours convaincu de ses récits d'aventures, et l'interdiction des parents les rendait encore plus fabuleux.
Arrivé devant la vieille maison délabrée, le chasseur frappa plusieurs fois à la porte, ce qui décolla des morceaux de peinture à chaque coup. Une voix étouffée lui ordonna d'entrer et il pénétra prudemment dans la maison. L'odeur d'alcool lui agressa les narines et il plissa le nez de dégoût. L’habitat de Karl était sombre et désordonné. Ce dernier était vautré sur un siège, une choppe dans la main, une pipe dans l'autre. Au moins, l'odeur de cette dernière était agréable, et Connor se concentra dessus pour ne pas vomir.
Loin du héros qu'il se plaisait à dépeindre, Karl n’était qu’un petit homme fripé avec des yeux exorbités, dont les cheveux fous grisonnants se dressaient comiquement sur son crâne. Sa peau laiteuse était visible à travers les trous de ses habits qui auraient mérité d’être jetés depuis des années. Quant à lui, être jeté dans une rivière ne lui aurait pas fait de mal non plus.
– Regardez donc qui voilà ? s'écria le vieil homme en se redressant un peu. Connor ! Ça faisait longtemps ! T'es d'venu un homme, maintenant. Quel âge que ça te fait ?
Comme son invité ne répondit pas, il but une grande rasade de bière, rota, et posa bruyamment sa chope sur la table.
– Tu viens écouter mon histoire comme les mômes ?
– En partie.
Connor prit place sur un fauteuil en face de lui et plissa le nez tant l'odeur de la maison était épouvantable.
– Vous dites avoir vu une créature, dans la forêt.
Le vieil homme hocha la tête, mais avant qu'il puisse ouvrir la bouche pour entamer son récit, le chasseur le devança :
– Non, je ne veux pas d'histoires. Juste un descriptif de la bête.
Karl se gratta la barbe et fuma un coup de sa pipe.
– Effrayante, qu'elle était ! Que les dieux me carbonisent si j'mens, je l'ai courageusement...
– Pas de mensonges ! coupa sèchement Connor. Racontez-moi la vérité et je m’engage à ne pas la dévoiler aux enfants. J'ai besoin de ces informations.
Son interlocuteur fuma encore pour se calmer. Au ton sans appel du jeune homme, il se décida à obéir.
– C'était énorme et terrifiant ! Jamais j'ai croisé un truc pareil ! Quand je l'ai vu, j'ai ressenti une peur que jamais, au grand jamais, j’avais ressentie. Y'avait pas un bruit, je te jure, et cette terreur était inexplicable. C'te chose... Elle était grande ! Ça ressemblait à un... enfin... tu sais un...
Il essaya de mimer en agitant comiquement les bras.
– Un dragon ?
– Voilà ! Un dragon ! Un dragon sans ailes. Elle avait des épines partout, une queue immense qui fouettait l'air, et des crocs plus longs que les couteaux du vieux boucher ! Et ses yeux… Des yeux épouvantables, qui terrorisent même les plus courageux. On aurait dit... la mort elle-même !
Connor se passa la main dans les cheveux.
– Quand étiez-vous dans la forêt ?
– Je sais plus trop... Quelques heures avant le lever du soleil.
Ce qui voulait dire qu’il avait croisé le Ddraig bien après Connor. Ses indications seraient donc plus récentes.
– Mais qu’est-ce que vous faisiez dehors à cette heure, pour commencer ?
Karl émit un rire mal à l’aise.
– Bah…
– Je ne dirai rien.
– Je… cherchais des animaux un peu particuliers.
– Vous braconniez vous voulez dire ?
– Non… Oui… Ne dis rien, je t’en supplie ! C’est mon seul gagne-pain.
– Promis. Avez-vous vu une femme durant votre expédition ?
Comme Karl le regardait avec surprise, il se fit plus précis :
– Cette bête chassait-elle une femme ?
Le vieil homme fronça les sourcils.
– Bah, j'ai bien vu quelqu'un courir. La bête la poursuivait avant de s'arrêter pour me regarder, et repartir. Mouais, je crois que c'était une femme...
Connor sentit l'espoir renaître. La magicienne avait visiblement semé son adversaire avant de se faire rattraper de nouveau. Ce qui voulait dire qu’elle avait pu le semer de nouveau !
– Se sont-ils battus ?
– Non, je...
– Vous a-t-elle paru grièvement blessée ?
– Qu'est-ce que j'en sais, je...
– Dans quelle direction est-elle partie, est-ce qu’elle...
– Connor !
La voix du vieil homme était plus assurée qu'il en avait l'air.
– Désolé mon garçon, la peur m'a fait fuir. J'ai vu c’te créature se jeter à la poursuite de la femme, elle avait peut-être une vingtaine de mètres d’avance, mais je ne sais pas ce qu'elle est d’venue.
Connor hocha la tête. Son cœur battait à tout rompre tant l’espoir l’envahissait.
– Où étiez-vous ? De quel côté ?
Karl caressa sa barbe.
– Dans la crête... vers la dent du loup. C'est ça !
– Merci, Karl, ce sera tout.
Le vieil homme hocha la tête. Connor le croyait, aussi n'insista-t-il pas pour le bombarder de détails. De toute façon, son invité n'était plus de ceux qui croyaient à tout et n'importe quoi.
Connor quitta la maison et prit une grande goulée d'air pour chasser l'odeur de l'alcool. Il avait une nouvelle piste à présent, il savait par où continuer ses recherches.
– Connor !
Faran accourait, Il’ika sur son épaule, l’air complément affolé. Il se jeta sur son frère pour le serrer fort dans ses bras !
– Espèce de crétin, tu sais la peur que j’ai eue ? Je me suis inquiété toute la nuit pour toi ! Mark n’a pas voulu envoyer les chasseurs avant l’aube, ils sont tous partis à ta recherche il y a de ça plus de deux heures ! Et tu reviens comme une fleur, en envoyant Ylahn me prévenir ?
– Je suis désolé Faran, mais je ne pouvais pas rester sans rien faire. Regarde, je vais bien, il ne m’est rien arrivé, et maintenant que la nuit est finie, le Ddraig est reparti. Si je ne t’ai pas prévenu, c’est que Karl avait des informations qui peuvent m’aider à retrouver la femme.
– Ne me dis pas que tu vas repartir de nouveau ?
– Bien sûr que si ! À la rigueur, je vais retrouver les chasseurs, ils pourront peut-être m’aider.
– Tu m’as fichu une de ces trouilles !
Connor sourit et le serra contre lui.
– Je vais bien.
– Et ton bras ?
– C’est supportable. Mais je ne dirai pas non à une autre dose de ta pommade.
– Allez, viens.
Ils retournèrent donc dans la boutique de l’apothicaire. En chemin, ce dernier expliqua à son frère que Mark et lui avaient décidé d’attendre un peu avant de prévenir les habitants de l’apparition des Ddraigs. Pour éviter la panique, ils préféraient réfléchir à comment leur annoncer. Hormis les chasseurs, personne n’était au courant.
– Entre Karl et les enfants qui vont colporter, cela va vite se savoir, répliqua Connor.
– On abordera le sujet dans la journée. Je voulais aussi attendre que l’on te retrouve… tu es le mieux placé pour en parler.
Une fois arrivés, Faran fit installer Connor sur une chaise pour s’occuper de son bras. Ce dernier se laissa faire, ses pensées entièrement tournées vers la magicienne.
Quelqu'un entra précipitamment dans la boutique, ce qui fit tinter la clochette. Ylahn, complètement terrorisé, bégaya, voulut parler, mais personne ne comprit ce qu'il tentait d'expliquer. Connor s'approcha et posa une main sur son épaule.
– Calme-toi, Ylahn. Respire lentement, voilà, comme ça. Maintenant, dis-nous tout.
Les deux frères redoutaient qu'il soit arrivé malheur. Qui sait ce qu’avait pu laisser le Ddraig dans son sillage.
– C'est horrible ! Connor, viens vite ! Faran aussi, on a besoin de toi, on a...
– Doucement, doucement. Dis-moi ce qui se passe.
– Des cadavres... Les chasseurs qui cherchaient Connor ont ramené des cadavres. Ils les ont mis dans le centre-ville dans l’attente de Faran.
Connor se décomposa. Du bout des lèvres, comme brûlé par les mots, il osa demander :
– Qui ?
– Je ne sais pas. Trois hommes... et une femme.
Le jeune homme sentit son cœur disparaître dans un abîme de douleur. Faran était tout aussi blême. La menace était donc réelle, quelle qu’elle soit. Sans vraiment avoir conscience de ce qu'ils faisaient, les deux frères se précipitèrent vers le centre-ville, Ylahn sur les talons. Connor avait le ventre noué d'angoisse. Il s'imaginait déjà voir le corps inerte de la magicienne. Cette femme si belle, sans vie sur le sol. Il serra les dents pour contenir ses larmes. Après tout, il ne la connaissait même pas, alors, pourquoi tant d'émotions ?
Quand ils arrivèrent au centre-ville, ils découvrirent tous les villageois rassemblés autour des quatre cadavres qu’une couverture cachait. Les gens les laissèrent se frayer un chemin dans la foule. Les deux frères s’empressèrent de rejoindre Mark qui attrapa Connor par l’épaule pour le sermonner.
– Espèce d’inconscient ! Qu’est-ce qu’il t’a pris de partir en pleine forêt malgré le danger ? Faran était mort d’inquiétude ! Tu aurais pu y laisser ta peau.
– Je vais bien, mais il y avait une femme blessée. Je devais retourner l’aider, mais je ne l’ai pas retrouvé…
Il porta un regard désespéré vers la couverture. Compatissant, Mark ne rajouta rien.
– Nos chasseurs viennent de les ramener. Faran, je crois qu’il va être temps de tout expliquer, murmura le chef.
– Il faut d’abord que je sache qui est la femme, souffla Connor.
– Nous l'ignorons. Je ne l'ai jamais vu. Pas plus que les hommes qui sont avec elle. Mais tu peux regarder si tu la reconnais… J’espère que tu as les boyaux bien accrocher.
Connor déglutit péniblement. Ses jambes menaçaient de céder. Son frère s'approcha et posa une main apaisante sur son épaule.
Lentement, il s'agenouilla près des quatre macchabées, Faran à ses côtés. L’hésitation le paralysa un moment, il n'osait soulever la couverture pour découvrir la magicienne. Non, il ne pouvait pas. Il ne voulait pas la voir. Pas morte...
Le jeune homme prit une grande inspiration. La vision presque brouillée par l'angoisse, il serra les dents, les yeux humides de larmes, et retira la couverture.
Son cœur faillit exploser !
Ses yeux étaient rivés sur le visage de la femme, comme s'il ne pouvait croire ce qu’il voyait.
Ce n'était pas elle !
Peut-être allait-on le trouver sadique ou cinglé de sourire face à une morte, mais Connor éprouvait un soulagement si intense qu'il se sentit presque coupable vis-à-vis de la malheureuse. Pour autant, cela ne voulait pas dire que son inconnue n'avait pas succombé quelque part. Elle n’avait peut-être juste pas été retrouvée.
– Je vois que ce n'est pas celle que tu cherchais, lança Mark.
– Non, ce n'est pas elle.
– Moi, je sais qui c'est, déclara Faran. Elle habitait dans le village voisin, je la voyais de temps à autre, dans la forêt, quand elle ramassait des plantes. En revanche, je ne connais pas les trois autres hommes, on dirait des soldats, des gardes, ou des mercenaires. Que pouvaient-ils bien faire ici ?
– Peut-être accompagnaient-ils la femme que Connor a vue.
Faran souleva un peu plus la couverture et retint de justesse son petit déjeuner qui menaçait de sortir. Les quatre corps étaient dans un état épouvantable ! Leur ventre était labouré, charcuté, et les tripes pendaient sur les côtés. Pour certains, il leur manquait un bras ou une jambe, parfois les deux. Les membres semblaient avoir été arrachés, et beaucoup d'os s'étaient disloqués. La femme avait même les chevilles brisées et un avant-bras en moins. Leurs vêtements étaient rouges de sang. De profondes griffures barraient leurs jambes, leurs bras et leur torse. Leur poitrine était perforée à plusieurs endroits.
L'armure des trois hommes avait été déchiquetée comme s'il s'agissait de tissu tout à fait banal. Faran eut du mal à définir quelles blessures avaient réellement tué ces malheureux.
Incapable de soutenir cette vision plus longtemps, l'apothicaire rabattit la couverture. Connor avait déjà vu des cadavres d'animaux, tués par un ours, un loup ou un puma. Même les prédateurs ne faisaient pas preuve d’autant de sauvagerie. Les deux frères se redressèrent pour s'éloigner, l'estomac révulsé.
– Je suis profondément navré de ce qui est arrivé, lança Faran.
– Qui les a tués ? beugla un homme.
– Nous allons lui faire payer à ce fils de chien !
Le brouhaha retentit et Faran se tordit nerveusement les mains. Il avait des choses à dire, mais ne savait pas comment faire pour se faire entendre. Il voulut ouvrir la bouche puis se ravisa. Dans ce tumulte, plus personne ne faisait attention à lui.
– Inutile de vous emporter, coupa Mark. Faran, je pense que tu es le plus compétent pour parler de ce qui nous arrive.
L’apothicaire se tordit les mains, le rouge aux joues. D’une voix tremblante, il annonça :
– Il s’agit d’un Ddraig.
Les plus vieux, qui connaissaient la légende des Ddraigs, pâlirent et poussèrent des cris terrorisés. Quant aux autres, ils cherchaient visiblement comment réagir à cette nouvelle.
– Les Ddraigs sont des créatures qui ressemblent à des dragons sans ailes, continua-t-il pas très assuré. Ils vivent dans les neiges éternelles de la montagne Blanche. Lorsqu'une catastrophe menace nos royaumes, ils viennent nous prévenir en tuant des personnes dans les villes et villages concernés.
Un murmure horrifié parcourut la foule.
– Si tu veux parler de la foutue histoire de Karl, alors sache que c'est faux ! tonna quelqu’un.
– Je l'ai vu, j’vous dis !
Karl s'approcha de sa démarche claudicante. Il avait abandonné sa pipe et sa chope de bière, au grand étonnement de tous. Il désigna Faran du doigt, ce qui le fit rougir de plus belle.
– La garçon dit vrai ! Il y a vraiment un monstre qui a tué tous ces malheureux.
– Tu dis n'importe quoi, vieil ivrogne, répliqua une femme.
– Non.
Tous se tournèrent vers Connor avec des regards surpris. Très sérieux et sûr de lui, il pointa Karl du menton.
– Pour une fois, il semblerait qu’il ne raconte pas n'importe quoi, reprit-il. J'étais dans la forêt cette nuit et j'ai vu cette chose. Il s’agit bien d’un Ddraig. Cette créature est maléfique. Je n'ai jamais rien vu d'aussi terrifiant. Elle était porteuse de morts. Elle existe, et elle est venue faire ce carnage, cette nuit même.
Les gens connaissaient très bien Connor, personne ne douta de sa sincérité. La terreur s'empara alors de chacun et ils s'empressèrent de poser des tonnes de questions à Faran qui ne savait plus où donner de la tête. Les femmes serraient leurs progénitures dans leurs bras, ou encore leur mari, désespérées à l'idée de les perdre. Les hommes serraient les poings. Seuls les enfants semblaient inconscients du danger.
Mark ramena le calme d'une voix autoritaire et laissa l'apothicaire s'exprimer. Ce dernier ne sentait pas du tout à l’aise face à tant d’attention.
– Le Ddraig est venu nous annoncer qu'un immense danger nous guette, et j'ignore quoi. Peut-être annonce-t-il un hiver meurtri, ou une épidémie. Peut-être une guerre. Nul ne le sait.
– Qu'est-ce qu'on va faire ? s'écrièrent plusieurs personnes.
– Ne pas paniquer. J'ignore ce que nous risquons, mais je vais me rendre à Val-les-eaux, une ville qui commerce avec la ville royale de Valong, pour en savoir plus. Sinon, je me rendrai à la capitale elle-même. Pour l’instant, soyez prudents, et entraidez-vous. Ne gaspillez rien, prenez soin de votre santé. J'ignore ce qui va se passer, il faudra être vigilant.
Mark s'approcha de Faran.
– Quand veux-tu partir, mon ami ?
– Dans une semaine, tout au plus. Il me reste pas mal de préparatifs et je dois organiser mes commandes. De plus, Connor m'accompagnera, et je préfère attendre que son bras aille mieux. Le voyage prendra bien trois jours.
– Bien. Que les esprits de nos ancêtres t'accompagnent.
– Merci.
Les habitants remercièrent chaleureusement l'apothicaire, soulagés de l'avoir avec eux. Il se donnait tellement de mal, c'était un point rassurant parmi tous les malheurs qui ne manqueraient pas de s'abattre.
Faran rattrapa alors son frère qui essayait de quitter Ebènne en se soustrayant à son regard. Il voulut lui saisir l'épaule, mais Connor se déroba sans même le regarder. Une fois de plus, l'apothicaire fut sidéré par les capacités de son frère.
– Où vas-tu comme ça ?
Un sourire éclata sur les lèvres du jeune homme.
– J’ai une nouvelle piste ! Il faut que j’y retourne.
– Tu...
– Je suis sûr qu’elle est toujours vivante !
– C'est impossible...
– Je le sens en moi... Écoute, je ne sais pas comment, je ne sais pas pourquoi, mais j'ai la conviction qu'elle est en vie et qu'il est important que je la trouve.
Faran aurait voulu oublier toute cette histoire, laisser le cadavre de la magicienne là où il était, mais il ne pourrait rien faire pour empêcher son frère d’y aller, il le savait.
– La créature est peut-être encore dans le coin, c’est trop dangereux, tenta-t-il néanmoins.
– Tu m’as dit toi-même qu’elle n’agissait que durant une nuit. Il n’y a plus rien à craindre.
– On ne sait jamais !
– Je ne peux pas me permettre d’attendre.
Faran soupira.
– Tu ne veux même pas prendre le temps de te reposer ?
– Non ! Je me reposerai quand elle sera en sécurité.
– Connor, je t'en prie, sois très prudent.
– Ne t'en fais pas. Il'ika, tu viens avec moi ? Tu ne risqueras rien.
La fée hocha la tête. Au moins pourrait-elle garder un œil sur son ami. Elle s'éleva dans les airs et se tint devant le visage de Faran. Elle caressa une mèche de cheveux blonds et lui sourit.
– Veille sur lui, tu sais comment il est. Il'ika, même si c’est impossible, surveille cette femme, si elle est en vie. C’est une magicienne. Et Connor est… et bien c’est Connor. Il voit toujours le bon, même là où il ne devrait pas…
Elle l'embrassa sur la joue et s'empressa de rejoindre son ami. Déterminé, Il'ika sur son épaule, Connor s’enfonça dans la forêt.
Le jeune homme ne trouva pas sa belle inconnue. Quand il rentra le soir, dépité, Faran se voulut réconfortant. Il expliqua aussi qu'en tant que magicienne, elle avait dû effacer toute trace de son passage. Il faudrait donc persévérer pour la retrouver, mais si elle avait eu la force de le faire, peut-être était-elle toujours vivante.
Mais l'apothicaire n'y croyait pas lui-même et en était secrètement ravi. Cela ferait un problème de moins à gérer.
Connor reprit donc ses recherches avec Il'ika. Il commença à croire que la magicienne était partie très loin d'ici, ou qu'elle était tombée dans la cascade.
Plusieurs jours passèrent, et tous les espoirs du jeune homme s'écoulèrent avec eux. L’inconnue avait disparu, et il ne la retrouverait jamais. Il aida donc Faran à préparer leurs affaires la veille de leur départ. Son bras allait beaucoup mieux, mais le sourire ne lui revint pas pour autant. Morose, il ne parla pas de la journée et son frère ressentit une profonde peine pour lui.
Le soir, il ne mangea pas non plus. Faran eut beau insister, il refusa de toucher son assiette. Même Il'ika ne parvint pas à l'égayer.
Alors que le repas se terminait, Connor voulut faire une dernière inspection avant de partir. Il n'avait pas d'espoir de trouver cette femme, pourtant il ne pouvait pas se coucher et partir le lendemain sans avoir essayé une dernière fois. Qui sait dans combien de temps il allait revenir...
Il ne chercha pas à être discret. Du bout de sa botte, il tapa dans les pierres, les mains dans les poches, les cheveux au vent. Il marcha longuement, sans savoir où il allait. Comme rien ne troublait la tranquillité de la nature, et que Connor ne sentait aucun danger, il décida de continuer. Marcher ne lui faisait pas de mal, bien au contraire.
Au bout de deux heures, il réalisa qu'il était parti assez loin. Il allait rebrousser chemin, bredouille, quand quelque chose capta son regard. Un éclat de lumière. Intrigué, Connor s'avança, le cœur battant à tout rompre. Il ne voulait pas se nourrir de faux espoirs, mais il ne pouvait s'empêcher d'espérer. De nouveau, il vit cet éclat, et il comprit qu’il s’agissait du reflet d'une des lunes sur une lame !
Son sang ne fit qu'un tour. Sans se soucier d'effrayer ou non le propriétaire de l'arme, Connor s'élança.
La jeune femme était allongée par terre, immobile, les yeux clos. Ses cheveux en pagaille se répandaient tout autour d'elle. Connor se précipita sur elle et s'agenouilla à ses côtés pour prendre sa main glacée dans la sienne. Son cœur se serra lorsqu'il découvrit son état.
Ses vêtements déchiquetés laissaient voir des bleus et de profondes entailles qui couraient sur ses épaules, ses bras, ses hanches et ses jambes. Du sang séché et de la terre la recouvraient. Délicatement, Connor écarta une mèche de cheveux de son visage. L'inconnue ne réagit pas. Il appuya deux doigts sur son cou, et découvrit qu'elle respirait encore. Très faiblement, mais elle respirait.
Il écarta les restes de sa robe pour voir si la créature lui avait lacéré le buste. Il retint un cri d'horreur ! Deux plaies profondes partaient du bas de son ventre, pour remonter jusqu'à ses côtes droites. Le sang avait coagulé avant de sécher. Au vu de l'état des blessures, elle avait tenté de les soigner, sans doute avec de la magie, ce qui lui avait permis de ne pas perdre tout son sang. Elle n'avait visiblement pas réussi à aller jusqu'au bout du processus, et si Connor n'intervenait pas, elle mourrait dans les prochains jours. Il fallait espérer que les organes n'aient pas été trop sévèrement touchés.
Le jeune homme se redressa et prit la magicienne dans ses bras comme si elle était de verre. Elle gémit de douleur sans pour autant ouvrir les yeux. Il la tint serrée contre lui et tout en se hâtant de rentrer, lui murmura des paroles réconfortantes et empreintes d'une douceur qu'il n'aurait pas soupçonnée. Malgré l’état critique de sa protégée.
Cette dernière gémit de nouveau et ses paupières s’entrouvrirent légèrement. Elle regarda son sauveur à travers ses cils sans vraiment le voir. Sa voix l'abandonna lorsqu'elle tenta de parler.
– Vous n'avez rien à craindre, souffla-t-il. Je suis là, et je vous protégerai.
La magicienne voulut lever la main, parler, mais son bras retomba mollement dans le vide et aucun son ne sortit de sa bouche. Alors elle ferma les yeux et sa tête bascula sur le côté. La seule preuve qu’elle vivait encore était sa poitrine qui se soulevait légèrement.
Connor hâta le pas. Elle était vivante. Il l'avait enfin retrouvée.
– Faran ! Ouvre-moi s'il te plaît !
Connor entendit l’apothicaire maugréer tandis qu’il dévalait les escaliers. La serrure se déverrouilla et la porte s'ouvrit.
– C’est une manie chez toi de...
Il se tut quand il découvrit la femme grièvement blessée qui reposait dans les bras de son frère.
– Entre vite !
Le jeune homme ne se fit pas prier davantage. Faran referma la porte à clé et s'empressa de débarrasser son établi pour que son frère puisse allonger sa protégée dessus.
– C'est... c'est elle ?
– Oui. Elle est dans un état critique, il faut l'aider.
Faran eut un moment d’hésitation. Il n’aimait pas l’idée d’avoir une mage chez lui. Mais il ne pouvait refuser ses soins à qui que ce soit. Professionnel jusqu'au bout des ongles, il entama donc son examen. Le front plissé par la concentration, il palpa tout le corps de l'inconnue en quête de fracture, puis étudia les blessures.
– C'est plus grave que je le pensais, souffla-t-il. Les deux plaies sur son ventre sont très profondes. Je ne sais pas si elle a réussi à soigner ses blessures internes, en tout cas, elle a perdu beaucoup de sang. Heureusement, elle a réussi à stopper l’hémorragie. Il y a aussi une infection plutôt grave et elle a une autre blessure à la cuisse qui nécessite un traitement puissant, et d'autres entailles sans trop de gravité. Elle a également deux côtes cassées. Enfin, les muscles et les tendons de son épaule gauche ont été sectionnés. C'est un miracle qu'elle soit encore en vie. Sa magie a dû lui permettre de survivre, mais elle était visiblement trop faible pour faire davantage.
– Faran, je t'en prie, dis-moi que tu peux le faire !
Le ton désespéré du jeune homme brisa le cœur de son frère.
– Je ne sais pas si mes remèdes seront assez puissants... Tu vas la nettoyer, pour éviter qu'une autre infection ne se déclenche. Je vais préparer de quoi lutter contre celle déjà présente, car c'est ce qu'il y a de plus grave. Dans son état, son organisme ne pourra pas lutter. Je vais également devoir trouver quelque chose qui pourra aider ses plaies à cicatriser, elles sont graves. Pour ce qui est des os, cela se ressoudera avec le temps... Ne perd pas de temps, nettoie-la complètement.
Connor déchira la robe de la jeune femme, ignora la beauté de ses courbes, et commença par la débarrasser du sang séché et de la terre avec un linge humide.
Non loin de lui, Faran se hâtait de préparer des remèdes, et jetait de temps en temps des coups d’œil sur les blessures que son frère nettoyait. Son front s'emperlait de sueur et ses mains tremblaient. Elle avait peut-être survécu jusqu'à présent, mais il craignait de ne pas pouvoir la sauver.
– Si tu sens que sa température augmente encore, préviens-moi, souffla-t-il.
Son frère hocha la tête. Il écouta attentivement le faible souffle de la blessée en même temps qu’il reprenait son travail.
Faran maugréa plusieurs fois alors qu’il cherchait ce qui lui manquait. Jamais il n’avait travaillé aussi vite et surtout avec autant de pression. Le moindre faux pas de sa part pouvait coûter la vie de sa patiente.
– Va chercher un oreiller et mets-le-lui sous la tête, ordonna-t-il à Connor.
Ce dernier s’exécuta et gravit les escaliers quatre à quatre. Il croisa Il'ika sur le retour, sûrement tirée de son sommeil par le boucan de ses deux amis. Intriguée, elle décida de venir voir ce qu’il se passait. Quand ils revinrent, Faran touillait une mixture verdâtre dans un récipient. Il'ika étouffa un cri de surprise. Elle comprit rapidement la situation et ne demanda aucune explication. Soucieuse de ne pas déranger, elle s'installa sur une étagère, prête à aider Faran en cas de besoin.