Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Extrait : "ARABELLE. Quel temps fait-il ? JULIE. Le temps que Madame voudra. ARABELLE. Tu es une sotte. Ouvre les rideaux. JULIE. Tiens il fait du soleil ! ARABELLE. Ah ! Quel beau temps... J'ai envie d'aller déjeuner dans la serre... As-tu donné à manger aux oiseaux ?"
À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :
Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :
• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 225
Veröffentlichungsjahr: 2016
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Presque toutes les Scènes qui composent ce volume ont été publiées dans La Vie Parisienne.
La première édition du Médecin des Dames a paru en 1865, tirée à petit nombre et rapidement épuisée. Elle contenait neuf Scènes et deux Comédies. Nous avons remplacé les deux Comédies par dix Scènes du même genre, ce qui donne à l’ensemble plus de variété et d’harmonie.
Nous espérons qu’à vingt ans d’intervalle, la Nouvelle édition trouvera le bienveillant accueil fait par le public à ces fantaisies légères et sans prétention.
Paris. – Juin, 1885.
CH.J.
LE DOCTEUR.
ARABELLE.
JULIE : femme de chambre.
Amies d’Arabelle.
Onze heures du matin. – La chambre à coucher d’Arabelle. – Lendemain de bal. – Désordre pittoresque. – Ameublement Louis XV : satin bleu broché et frangé d’argent. – Arabelle vient de prendre une tasse de chocolat glacé.
Arabelle, Julie
Quel temps fait-il ?
Le temps que Madame voudra.
Tu es une sotte. Ouvre les rideaux.
Tiens, il fait du soleil !
Ah ! Quel beau temps… J’ai envie d’aller déjeuner dans la serre… As-tu donné à manger aux oiseaux ?
Oui, Madame… Madame, j’entends la voix du docteur. Exit.
Arabelle, Le docteur
Ah ! docteur, comme vous êtes aimable… Asseyez-vous donc, je vous en prie. Avec terreur. Pas là, docteur, pas là ! mon chapeau, un rêve de vapeur. Terreur redoublée. Mon chat ! ! ! Docteur, au nom du ciel, s’il vous reste un sentiment de pitié au cœur, ne vous asseyez pas sur Kabyle… Pauvre chat blond… L’adorable bête a l’habitude, voyez-vous, de dormir dans mes environs
Son sort fait des jaloux.
Comme vous êtes fade. Il y a des jours où vous êtes spirituel comme une carafe d’orgeat… Je vous en supplie, docteur, daignez me faire la grâce de vous asseoir. Quand je vous vois ainsi planté au milieu de la chambre, il me semble que vous allez vous en aller.
Je ne demande pas mieux que de m’asseoir.
Non ! non ! pas sur le canapé !
Ah ! diable ! des plantations d’épingles… En effet, chère madame.
Comment se porte madame d’Argine ?
Mais… oui… je suppose… que…
Que quoi ?
Qu’elle se porte bien.
Docteur ?
Madame ?
Voyons, asseyez-vous, faites cela pour moi, j’ai mille choses à vous dire.
À moins de m’asseoir à l’orientale…
Voyez donc ce qu’il y a sur ce coin-de-feu… là… à gauche… non, l’autre… oui… Si vous pouviez ôtez un peu…
Il y a d’abord un bournous… avec des houppes de soie… Très joli, ce bournous-là…
C’est une amie qui me l’a rapporté de Londres…
Ceci m’a l’air d’être une robe… Non, ce n’est qu’une jupe…
Pardon, c’est ma robe.
Où est donc le corsage de cette robe-là ?
Comment ? vous ne voyez pas ?
Je ne vois rien du tout.
C’est que vous êtes myope.
Ah ! oui, voilà le corsage… Très bien… ces corsages-là me rapportent une vingtaine de mille francs par an.
Vous avez donc des fonds chez les couturières ?
Non, mais ces vêtements-là sont excellents, l’hiver, pour fluxions de poitrine, rhumes, bronchites, grippes, pleurésies, catarrhes…
Fi donc ! Est-ce qu’on a de ces choses-là ?
Il en faut.
Bien obligée… Si vous ne voulez pas vous asseoir, allez-vous-en.
Un corset de satin blanc… Souvenez-vous-en, souvenez-vous-en…
Vous êtes gai, docteur, ce matin.
Hélas !… Voici une chevelure opulente… Est-ce que vous scalpez dans le monde, Madame ?
Donnez-moi donc ça, voulez-vous ?… Docteur, vous savez, ma petite tortue, qui se promenait là, sur la fenêtre… C’est hideux, ces bêtes-là… Je l’aimais beaucoup… Elle est morte.
Vous avez recueilli son dernier soupir…
Vous êtes sans cœur… Donnez-moi mes cheveux, je les veux.
Voilà le trophée… Un jupon… et un, ça fait deux… Troisième jupon… encore un, quatre… et même cinq… À part. L’assaut doit être long.
Vous dites ?…
Tiens, qu’est-ce que ceci ?
C’est ma coiffure.
Ça ?
Mais certainement… on la pose en travers, sur le côté… Mettez-la donc ?
Non, Madame.
Êtes-vous taquin… Pouvez-vous vous asseoir ?…
Un écran chinois… une mule de velours cerise… C’est à vous, ce pied-là ?
J’en ai un autre qui va avec.
Un journal à images… Tiens, c’est pas mal décolleté, ces images-là… Un éventail Watteau… une bonbonnière… un carnet de bal.
N’ouvrez pas, on vous en prie… Ne regardez donc pas mon carnet…
Si vous avez dansé avec tous les saints de ce calendrier-là, nous en recauserons.
Mais vous êtes d’une audace sans nom !…
Mademoiselle Chérubin… Est-ce gentil ça ?…
C’est très sérieux…
Je crois que je puis m’asseoir… Il y a bien encore quelques petites choses…
Asseyez-vous, allez.
Volontiers… Et alors, chère madame, à tout de suite les affaires sérieuses… Nous avons des gros bobos… Au bal, hier soir, n’est-ce pas ?
Jusqu’à sept heures du matin.
À la bonne heure… Nous disons donc : migraine, vapeurs, atonie, engourdissement, pas faim et idées vagues de suicide.
Oh ! oui, oui.
Prenez un bonbon.
C’est pas mauvais, ces bonbons-là. Ça fait froid dans la bouche
C’est anglais – et à la menthe.
J’en enverrai prendre.
Inutile. J’en ai apporté deux sacs… Ils sont là-dessous… J’ai entassé burnous sur Pélion et jupons sur Ossa.
C’est enchanteur… Julie les trouvera bien… Où donc est Kabyle ? Kabyle ! sotte bête, où êtes-vous ?
Par ici, dans ma poche ; il ne paraît pas mécontent de son sort… Nous continuons les entretiens mystérieux ?
Je veux bien, mais ne grondez pas… Le docteur fait entendre un petit sifflement particulier. En arrivant, j’avais un peu de fièvre.
Oui ssss… on a pris de l’essence de café avant de partir pour faire briller les yeux.
Vous supposez des choses…
Allez toujours.
Vers quatre heures du matin, j’ai senti un peu de faiblesse dans les bras et comme un étourdissement.
Quand l’Aurore aux doigts de roses entrouvre les portes de l’Orient vermeil, ça fait cet effet-là aux jeunes personnes qui ne sont pas dans leur lit.
Je me suis regardée dans une glace…
Taches jaune pâle au-dessus des sourcils, yeux ombrés, nez pincé, lèvres très rouges, un peu gonflées, langueur générale… et puis, une glace ou un sorbet, une valse, et c’est passé ssss… Nous allons bien.
Et le bout du nez tout rose.
Ah ?
Oui…
Faut prend’garde à ça… z’avez soupé ?
Mais, docteur, mon nez… Ce serait horrible !
T’-à-fait ssss… soupé ?
Oui.
Défendu.
Oh ! docteur, une fois… par hasard…
Nez rouge, ssss…
Docteur…
Cramoisi, ssss…
Docteur…
Qu’est-ce que ça me fait, à moi ?… Continuez… je nage dans la félicité suprême…
Mais enfin, à mon âge, j’ai le droit d’avoir faim !
Mangez des écrevisses, je vous y autorise.
Oui, j’en ai mangé…
Buvez du Johannisberg !… C’est froid, ces vins-là… ça rend le nez pâle…
Ah ! le Johannisberg ?…
Comme les écrevisses… cuites, bien entendu… Appelez donc Kabyle, chère madame, ce chat dévore mon habit.
Kabyle !… bête impertinente !… créature sauvage ! Kabyle bondit à travers la chambre comme une balle élastique.
Battez, chère madame, battez cette odieuse petite bête ; elle a mangé des écrevisses, des piments rouges, elle a bu du champagne après la bisque, frappez-la sans pitié. Elle le mérite.
Enfin, cher docteur, quand je dîne avec vous, il me semble que vous me laissez faire, et même vous me poussez…
Ah ! quand je suis là, c’est différent.
C’est-à-dire que je n’ai pas le droit d’être bien portante sans votre permission ? Puisqu’il en est ainsi, racontez-moi les nouvelles politiques, et que ma santé vous soit indifférente.
C’est-à-dire que vous voulez couper les chiens, et vous criez très fort et longtemps pour ne pas entendre les ordonnances. Eh bien, les voici :
Non !
D’abord…
Non ! non ! non ! Elle se bouche les oreilles.
Vous avez au coude, Madame, une petite fossette charmante, et je vois que vous entendez parfaitement bien ce que je vous dis.
Docteur, laissez-moi tranquille. Vous voulez que je meure de faim ; eh bien, je veux manger autant que vous, et Dieu sait !
Pour en revenir à notre lièvre, animal mélancolique, mais dont la chair est assez échauffante…
Savez-vous mon âge ?
Mieux que vous.
J’ai vingt-six ans.
Depuis quand ?
Depuis l’année dernière… Vingt-sept… Êtes-vous content ?
Quant au nez rose dont vous avez bien voulu me parler tout à l’heure, détail inutile, puisqu’à l’œil nu je puis apprécier toute l’étendue du sinistre…
Alors, que venez-vous faire ici, chez moi, dans ma chambre, si vous ne pouvez pas empêcher une chose aussi épouvantable.
Je viens suivre la marche du mal, et vous encourager dans cette voie.
Avez-vous vu la gorge de madame d’Argine ?
Je crois bien, c’est moi qui l’ai faite.
Réellement, docteur, vous dites des choses folles.
Pas le moins du monde… L’ordre de la nature est que les femmes soient pourvues de cet ornement.
Alors pourquoi est-ce un spectacle si rare ?
Parce qu’on soupe.
Ah !… docteur… Je consens à être sage, si vous voulez m’indiquer le fameux moyen. C’est bien vrai, n’est-ce pas ? que c’est à vous que madame doit… la faveur… enfin, elle est bien heureuse.
Oui, c’est comme pour les ananas… il y a des soins… une marche… la nature se laisse aider par une culture suivie… Serez-vous très sage ?
Oh ! oui.
Vous avez déjà des aptitudes. Avec de l’exercice, des douches, un régime de viandes noires…
Grands dieux !… Ce doit être affreux… madame d’Argine mange de ces choses-là ?… souvent ?
Trois fois le jour, et du fer.
Des choses noires et du fer !
Savez-vous seulement ce que c’est que des viandes noires ?
Je n’en ai pas la moindre idée.
C’est tout simplement du bœuf ou du mouton.
Mais je veux bien… Je respire… et le fer ?
C’est une espèce de confiture qui se prend dans les pains enchantés.
J’en prendrai par kilos, si vous l’exigez… Mais enfin, docteur, je mange souvent de la viande noire, comme vous dites ; c’est peut-être que je n’en mange pas beaucoup.
Il y a aussi les écrevisses dont l’effet…
Il est convenu que j’y renonce.
Il faudra aussi prendre garde à un autre danger ; on a vu des exemples majestueux, à la suite du traitement.
J’espère que vous me surveillerez… Engraisser… c’est à faire frémir, quand je pense à madame de Valbrun… À propos, cher docteur, il m’est venu un petit bouton près de l’œil.
Rougeur, rien du tout… Il tire un petit flacon de sa poche et en verse une goutte sur le coin d’un mouchoir. Là… c’est fini.
Maintenant, je vais me lever… Dans le petit salon, vous allez trouver des journaux et des brochures.
Deux visites.
Pas du tout, je vous garde à déjeuner.
J’ai ma voiture en bas. Voyons, 7 minutes pour aller et 10 pour bavarder, 17 et 15, 32 minutes ; 10 minutes d’arrêt 42, 42 et 15 pour revenir, 57. Donnez-moi une heure ?
Soit ; alors, partez tout de suite, j’ai déjà faim.
Le docteur sort.
Arabelle, Julie
Madame a sonné ?
Oui.
Une lettre pour Madame
Donne… Ah ! oui, je sais, c’est pour le bal de ce soir.
La couturière passera à deux heures.
Bien, cache cette invitation ; le docteur va revenir. Cet homme-là a un œil qui lit au fond des tiroirs.
Si on écoutait les médecins, on ne mettrait pas un pied devant l’autre.
Oui ; mais, vois-tu, Julie, si le docteur ne venait pas me voir trois fois la semaine…
Madame s’ennuierait trop.
Arabelle, Le docteur, Julie.
Je n’ai fait qu’une visite ; tant pis pour l’autre. On n’en mourra pas.
Au contraire.
Elle sort.
Cher docteur, dites-moi…
Un instant, vous allez au bal, ce soir, chez madame de Valbrun.
Elle donne un bal… ce soir ?
Oui, les invitations sont en retard.
Je n’irai pas.
Si, vous y allez.
Vous me permettez ?
Si je le défendais, ce serait la même chose. Seulement, pas d’essence de café et rentrez sur les trois… quatre heures. Comme la lettre est ici…
La lettre ?
Je l’ai vu remettre à votre femme de chambre en m’en allant.
Docteur, nous allons déjeuner dans la serre, c’est plus gai.
Et c’est plein d’araignées.
Vous avez vu madame d’Argine ?
Mais ça pousse…
Ils sortent en causant.
Ameublement chêne et ébène, velours vert. Dans les cadres, fixés aux murs en plan incliné, des reproductions de tableaux à la gravure. Au fond, deux consoles sur lesquelles s’élèvent des plantes exotiques. Entre les consoles, un piano et ses accessoires. Au milieu de la salle, une grande table ovale couverte d’un tapis de velours vert à franges de soie. Sur la table, des livres illustrés, des keepsakes, des albums de photographies renfermant les célébrités des théâtres, des arts et des lettres. Des journaux et des brochures pêle-mêle. Sièges uniformes.
Il est deux heures de l’après-midi. D’intervalle en intervalle, on entend le bruit d’une voiture, puis un coup de timbre. Un domestique en livrée noire entre dans le salon prévenir, par ordre d’arrivée, les personnes qui attendent leur tour.
TROIS DAMES entrent ensemble et s’installent près de la haute croisée ouverte à deux battants et de plain-pied avec le parquet. On a vu sur un jardin ombreux, où les oiseaux jacassent autour d’un jet d’eau dont le panache d’écume s’élève presque à la hauteur de la fenêtre.
Entre ARABELLE, seule. Elle va droit au groupe et s’assied en échangeant quelques paroles à voix basse. On entend de petits rires étouffés. Papotages.
– Comment vous portez-vous ?
– Très bien, – mais oui, – pas trop mal, et vous ? – Mais très bien aussi, je suppose.
– Alors, chère belle, dites-moi, si nous nous portons si bien ?…
– C’est ce que je disais, qu’est-ce que nous venons faire ici ?
Mais voir ce cher docteur. Je ne peux pas m’en défendre. C’est une habitude. Il est sur mon chemin ; je ne voudrais pas passer à sa porte sans entrer lui donner le bonjour. Il est si amusant.
– Pas toujours.
– Et puis, c’est un endroit pour se voir.
– Sans lui, moi qui vis comme une recluse, je ne saurais jamais la moindre des choses.
– À propos, il faut se défier de ses confidences. Imaginez-vous que je voulais savoir la maladie de madame de Valbrun. Le docteur m’a dit cela en latin. Comme je n’étais pas plus avancée, il me l’a dit en français. Un gros rhume.
– Eh bien ?
– Ce n’était pas vrai. Je me suis informée. C’était dans l’oreille.
Coup de timbre ; on entend un frou-frou. Au bout d’une minute, entre une dame vêtue d’une robe de soie mate gris d’argent, avec un volant. Cachemire noir brodé, garni de deux rangs de guipure. Chapeau entièrement composé de violettes de Parme. Elle s’assied près de la table et prend un livre au hasard.
– Connaissez-vous cette dame ?
– Non.
– Moi non plus.
– D’où sort ce chapeau-là ?
– Les marchandes de modes sont comme le docteur ; elles bâtissent des bijoux de chapeaux en violettes de Parme à la sourdine et voilà un évènement.
Pendant cette conversation, le domestique est entré plusieurs fois. Les arrivants se succèdent.
Entre une autre dame. Robe de mousseline brodée sur un des sous de taffetas rose, casaque pareille. Chapeau de paille de riz entièrement couvert de boutons de roses. Elle va prendre place au fond.
– Elle a le teint un peu trop jaune pour les couleurs printanières.
– Elle a tout un jardin sur la tête.
– Quel bonbon vient-elle de manger ? etc.
Troisième dame. Type créole. Robe d’étoffe légère et soyeuse gris perle. Casaque semblable sans garniture, à l’exception de deux rangs de losanges de nacre en triangle isocèle. Chapeau de crin blanc, garni de tulle gris et orné de branches de jasmin qui tombent jusqu’aux épaules. – Physionomie jeune et pensive.
– Et où allez-vous cette année, chère amie ?
– En Touraine. Je suis condamnée à quatre mois de Touraine tous les ans.
– C’est très fertile, par là.
– Oh ! oui, c’est un pays très agréable pour les troupeaux.
– Moi, je ferai un voyage en Italie.
– Je trouve que l’Italie est un pays bien passé de mode.
– C’est comme la Suisse.
– Ou Bade.
– Il y a Trouville.
– C’est un peu mêlé.
– À moins d’aller aux Indes, ou à Enghien.
– Il y a Vichy.
– L’année dernière, je suis allée en Écosse.
– Mais voilà un vrai pays de sauvages.
– J’aime beaucoup l’Écosse.
– À l’Opéra-Comique.
– Dites-moi, chère belle, on m’a affirmé que, dans ce pays-là, les hommes ne portaient pas de pantalons.
– Qui donc ?
– Moi, je l’ai lu dans un roman de Walter Scott.
– Vous lisez des romans anglais ?
– Toutes les héroïnes sont des anges.
– Qui s’envolent quelquefois.
– Ce dernier hiver a été si triste…
– Et maintenant, il fait si chaud qu’on ne peut plus même aller au théâtre.
– J’ai eu le courage d’aller voir la nouvelle pièce.
La conversation est interrompue.
Paraît une dame vêtue d’une robe de taffetas violet, casaque serrée à la taille par une ceinture, épaulettes et garniture de grelots de paille. Chapeau de tulle noir, brodé de paille, dont le fond est en forme de filet et renferme un kilo de cheveux blonds cendrés. Bottes de cuir verni et taffetas violet comme la robe.
Entre un chapeau de paille de riz garni de narcisses blancs à cœur jaune. Sous les narcisses un minois chiffonné.
Autre chapeau de paille de riz garni de feuilles de lierre.
Entre encore une robe de soie noire mate à garniture d’acier, emprisonnant une femme de quarante ans qu’on peut déclarer majestueuse.
Chaque toilette est analysée, critiquée et jugée en trois mots. Le domestique vient couper court aux commentaires par un avertissement discret.
Puisque nous n’avons pas de secrets à confier au docteur, si nous entrions ensemble ?
– Mais certainement, il sera enchanté. Elles se lèvent.
– Vous n’étiez pas à la Madeleine, dimanche dernier ?
Je l’ai bien regretté ; mais ma couturière m’a manqué de parole, et je n’ai reçu ma robe qu’à deux heures.
Elles traversent l’antichambre et font irruption dans le cabinet du docteur. À peine la porte refermée, elles se mettent à parler toutes les quatre à la fois.
Ameublement de palissandre et velours groseille. Deux corps de bibliothèques. Table encombrée.
Le docteur est un homme de trente-cinq à quarante ans, au visage frais. Favoris blonds et rares. Œil caressant. La bouche affecte une torsion légèrement ironique. Physionomie souriante et distinguée. Embonpoint naissant. Mains soignées. Tout en causant, le docteur regarde ses ongles et laisse échapper de temps en temps son petit sifflement de lèvres particulier. Quand les quatre amies sont assises, il roule un fauteuil, s’assied en face d’Arabelle, lui prend le pouls et la regarde dans les yeux.
Le docteur, Arabelle et ses amies.
Vous savez que nous attendons depuis une bonne demi-heure.
Oui, oui, ssss… L’égalité des femmes devant la médecine… ssss… Ah çà ! chère madame, nous n’avons rien du tout.
J’étais venue vous demander une petite consultation pour Kabyle. Figurez-vous, cher docteur, que cette malheureuse chatte est comme possédée.
Ah ! ah !
Je crois qu’elle a des convulsions.
C’est très grave, ssss, très grave. À la voisine d’Arabelle. Et vous, chère madame, vous voilà épanouie comme un lys ?
– Je ne dors plus ; je ne mange plus Avec un soupir. Je languis, docteur.
Je vous avais dit d’aller à Auteuil à six heures du matin, et de revenir à pied. – J’y suis allée en voiture.
Tout à fait différent. Si vous croyez que les chemins de fer remplacent la promenade…
– C’est que je n’aime pas marcher.
Tant pis. Il lui prend le pouls. Voilà un joli bracelet.
– Oui, c’est une mode. Quel autre remède y a-t-il ? Je ne peux pas me lever tous les jours à cinq heures du matin.
Buvez de l’eau sucrée. Voulez-vous des pilules de mie de pain ? C’est très bon, ces remèdes-là ; ça ne tue personne.
– Eh bien, j’irai à Auteuil à pied.
Une douche de pluie glacée ; par là-dessus, une douche mobile, retour à pied, et vous aurez faim. Pas mal imité, le bracelet.
– Ce sont des médailles romaines trouvées dans les ruines de Pompéi.
Ça ?
– Sans doute. C’est le bijoutier qui me l’a dit.
Elles viennent par caisses en droite ligne de Naples, qui a le monopole des fabriques d’antiquités, et qui fait le commerce d’exportation pour toute l’Europe. Il prend une figurine de bronze sur une étagère. Vous voyez bien ce petit monstre ? C’est un confrère qui me l’a rapporté des Indes comme curiosité du pays. Birmingham en expédie des cargaisons aux adorateurs de Brahma.
– Je crois que le docteur a raison. L’année dernière, je suis allée à Séville et j’ai voulu rapporter des éventails pour faire des cadeaux. Je demande à la marchande si elle n’a pas d’autres modèles, et elle me répond : Oh ! Madame, c’est ce qu’il y a de mieux. Nos éventails viennent de Paris.
Eh bien, docteur, que faut-il faire pour les convulsions de Kabyle ? je crois qu’elle devient folle.
Quelle est la vie de cette chatte infortunée ? Sort-elle ?
Sortir ? jamais, par exemple.
Eh bien, laissez-la courir la nuit sur les toits.
Y songez-vous, docteur ?
Au printemps, tous les chats qui ne sortent pas ont des convulsions comme Kabyle. Il faut laisser courir Kabyle. Les bonnes mœurs en gémiront ; mais, pour les chats, la santé avant tout. Ce sont des animaux dépravés, et, quand on contrarie leurs passions, ils se livrent à des miaulements horribles, à des extravagances de caractère, et ils engraissent à vue d’œil.
À propos, docteur, dites-moi donc pourquoi les Turcs engraissent les femmes ?
C’est apparemment qu’ils les préfèrent ainsi. L’amour est souvent une question de latitude.
Et pourquoi n’est-ce pas la mode en France ?
Ah ! sans doute parce que les Turcs emploient ce moyen pour leur satisfaction personnelle ; tandis que les Français se donneraient peut-être beaucoup de peine pour le plaisir des autres.
– Eh bien, c’est assez impertinent, ce que vous dites là, docteur.
Chère madame, je fais la part des exceptions.
– Vous êtes trop aimable. Et puis, vous m’avez fait encore un bon conte, la semaine dernière.
À quel sujet ?
– Au sujet de madame de Valbrun. Vous me dites qu’elle est enrhumée quand elle a mal à l’oreille.
– Oui, le docteur invente des maladies pour ne pas dire la bonne.
– Est-il vrai qu’elle n’entend plus que d’un côté ?
– Pour les compliments qu’elle reçoit, c’est suffisant.
– C’est une chose horrible que de devenir sourde.
– Et de s’entendre crier dans l’oreille avec un cornet : Madame, vous êtes charmante !
Docteur, nous nous en allons ; vous êtes un homme affreux. Je vais demander un chat en mariage pour Kabyle.
– Et moi, docteur, ne m’ordonnez-vous rien ?
Si. Est-ce que vous n’allez pas bientôt à la campagne ?
– Dans une quinzaine.
Eh bien, il faudra emporter beaucoup de robes, beaucoup de chapeaux… et puis, si la mode l’exige, vous verrez à suivre un autre régime.
Il les reconduit
DORINE : comédienne.
FALCONEY : poète.
DESMARET : coiffeur du théâtre.
CAMILLE : tragédienne.
ERNESTINE : habilleuse.
La pièce d’entrée est un petit salon, divisé par un rideau formant ainsi une espèce d’antichambre. Les draperies et l’ameublement sont en reps vert à rayures de soie bouton d’or. Le papier de tenture est blanc à losanges d’or mat. En entrant, on a en face de soi la fenêtre ; à droite est une cheminée, munie de deux appliques mobiles à trois branches. La place de la pendule est occupée par un coffret à bijoux. En face de la cheminée, devant une glace qui va du plancher au plafond, est une petite table supportant un miroir bizeauté. Le tapis est couleur groseille à fleurs jaunes.
Une porte de communication donne accès dans un cabinet de toilette où sont les armoires renfermant des costumes. C’est là que s’habille la Dorine de Tartufe, la Suzanne du Mariage de Figaro.
DORINE devant sa toilette. Physionomie vive et ouverte, geste décidé, grands yeux bleus hardis. Elle parle d’une voix nette, sonore, vibrante, et les mots se suivent avec la rapidité d’une volée de flèches.