Le Mékong - Louis de Carné - E-Book

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Louis de Carné

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Beschreibung


Louis de Carné nous plonge dans la réalité des dangers auxquels s'exposent les explorateurs de son époque

Seul civil de l’expédition du Mékong, Louis de Carné (1844-1871) livre au public cette version non officielle de l’exploration, avant de succomber, à vingt-sept ans, aux fièvres contractées en Chine.
Son récit témoigne de ces grands périls que les explorateurs ont rencontrés en traversant dans la misère, sous des pluies torrentielles, la jungle du Laos birman.

La saison des pluies dans le Laos birman est extrait de L’exploration du Mékong publié en feuilleton dans la Revue des deux mondes en 1869.

Une autobiographie saisissante et riche d'humanité

EXTRAIT

La ville de Luang Prabang avait été pour nous ce qu’est une oasis pour une caravane fatiguée d’une longue marche. Nous y avions fait une halte d’un mois, au sein d’une abondance relative. Passer les nuits sous le même toit et s’asseoir deux fois par jour à la même table, ce sont là des jouissances, dont pour la première fois depuis Bassac, il nous avait été donné de savourer la douceur. La vie nomade est contraire à la nature de l’homme, qui s’attache aux lieux par mille liens invisibles, comme l’arbre s’incorpore au sol par ses racines. Les peuplades même, vivant sous des tentes que leur indifférence dresse chaque soir pour les replier chaque matin, se font une patrie du désert dont elles connaissent toutes les sources ou de la forêt dont elles vénèrent tous les vieux arbres.

A PROPOS DE LA COLLECTION

Heureux qui comme… est une collection phare pour les Editions Magellan, avec 10 000 exemplaires vendus chaque année.
Publiée en partenariat avec le magazine Géo depuis 2004, elle compte aujourd’hui 92 titres disponibles, et pour bon nombre d’entre eux une deuxième, troisième ou quatrième édition.

A PROPOS DE L’AUTEUR

Louis-Marie de Carné, comte de Carné Marcein, né le 17 février 1804 à Quimper et mort le 11 février 1876 à Plomelin, est un diplomate, homme politique, journaliste et historien français, membre de l'Académie française. Il a été fait chevalier de la Légion d'honneur.

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LA SAISON DES PLUIES DANS LE LAOS BIRMAN

Présenté par Émilie Cappella

Aux débuts de la colonisation française en Indochine, les Français n’occupent encore que Saï Gon, francisé en Saigon, quand l’empereur d’Annam cède la Cochinchine à la France. Un an plus tard, en 1863, l’amiral de La Grandière, qui gouverne cette province, décide de placer le Cambodge sous protectorat français pour le soustraire aux ambitions du Siam – la Thaïlande – qui risque de l’absorber. Le chargé de mission auprès de Norodom Ier, roi du Cambodge, est un jeune officier de marine énergique, le capitaine Doudart de Lagrée. Son succès facile engage la France à chercher une expansion vers le nord et un accès au marché chinois. Après la première exploration du Mékong, en 1861, par le naturaliste Henri Mouhot, jusqu’à Luang Prabang, au Laos, le fleuve paraît une voie propice aux échanges commerciaux. En avril 1865, le ministre de la Marine, le marquis de Chasseloup-Laubat, décide de faire explorer le Mékong pour étudier cette possibilité. Ce grand fleuve sacré pourrait-il devenir une route commerciale reliant la Cochinchine et la province chinoise du Yunnan, région mystérieuse aux richesses inexploitées ?

Un an plus tard, la Commission d’Exploration du Mékong est constituée à Saigon, dirigée par Ernest Doudart de Lagrée.

L’expédition navigue jusqu’à Vientiane, au Laos, sur les traces d’Henri Mouhot, jusqu’au 2 avril 1867. La navigation devient alors très pénible, au point qu’à Luang Prabang, on abandonne des caisses de livres devenues trop encombrantes. Aux rapides de Tang Ho, enfin, le fleuve devient impraticable et les embarcations sont renvoyées. L’expédition continue à pied, dans la misère, en proie aux fièvres sous des pluies torrentielles.

Le 7 octobre 1867, les hommes se rendent à l’évidence : le fleuve n’est pas navigable jusqu’à sa source. Ils s’éloignent alors du Mékong pour se diriger vers l’ouest. Ils atteignent deux jours plus tard Sze Mao, une région totalement inconnue du sud-est de la Chine. À leur délabrement, s’ajoutent le choléra et la neige. Le jour de Noël, l’expédition moribonde arrive enfin à Yunnan, puis à Toug Tchouen, sur un affluent du Yang-Tsé-Kiang. Le voyage continue cependant. Le 12 mars 1868, le chef de la mission, Doudart de Lagrée, succombe à la fatigue et aux fièvres, à l’âge de quarante-cinq ans. Le lieutenant Francis Garnier le remplace et conduit l’expédition en jonques sur le fleuve Bleu, le Yang-Tsé-Kiang. Les Français rejoignent Hankeou le 6 juin. De là, un navire américain les emmène à Shanghai. Ils y embarquent pour Saigon où ils arrivent le 29 juin 1868. Le voyage a duré deux ans.

Seul le récit de Francis Garnier a touché le public et été plusieurs fois réédité à ce jour, bien qu’il existe une relation moins officielle qui témoigne plus précisément des épreuves qu’a dû traverser l’expédition du Mékong. Il s’agit du récit d’un jeune homme, Louis de Carné (1844-1871), neveu « pistonné » de l’amiral de La Grandière. Attaché au ministère des Affaires étrangères, le jeune homme obtient par son oncle un rôle dans la mission du Mékong. Le ministère le charge d’étudier les problèmes politiques et commerciaux des pays traversés. Seul civil de l’expédition, Louis de Carné souffre de l’hostilité de ses compagnons et de l’autoritarisme du lieutenant Francis Garnier qui le considère comme « un parasite venu chercher la Légion d’honneur en Chine ». Le capitaine Doudart de Lagrée ne l’épargne pas non plus lorsqu’il l’appelle « un fils d’académicien à prétentions incroyables ». Pourtant le jeune homme accomplit consciencieusement sa mission à travers le Cambodge, le Laos et la Chine du sud jusqu’en 1868, trouvant héroïque de « servir la science ». L’injustice de ses compagnons est d’autant plus flagrante que, loin d’obtenir la Légion d’honneur à son retour, il succombe à la maladie contractée en Chine et meurt à l’âge de vingt-sept ans, sans avoir le temps d’achever son récit auquel il a consacré sa dernière énergie. C’est son père, le comte de Carné, qui se charge de la publication du livre, paru en 1872 et aussitôt traduit en anglais.

« L’Exploration du Mékong », récit vivant et riche en renseignements sur les contrées traversées, les villages d’étapes aux noms si ressemblants que le lecteur parfois s’y perd, est cependant publié partiellement en feuilleton dans La Revue des deux mondes en 1869. Le titre du chapitre que nous publions, « La saison des pluies dans le Laos birman », annonce d’emblée les épreuves que les explorateurs vont endurer : des orages d’une violence inouïe s’abattent sur les hommes et rendent les routes impraticables, dans une région où les mandarins birmans et laotiens se disputent la préséance sous la pression de l’Angleterre. Cet épisode est le plus cruel du périple : les explorateurs ont dû renoncer à remonter le Mékong jusqu’à sa source, mais sont forcés de poursuivre leur chemin vers la Chine par la voie terrestre. Découragés, soumis aux caprices des mandarins qui exigent des cadeaux, accablés par la misère et la maladie, ils n’ont plus qu’un seul but : survivre.

Toujours proches du Mékong, mais dans l’absurdité de cette marche forcée à travers la jungle, les missionnaires se chargent sous sa plume d’une dimension tragique : « Marcher sans cesse devant soi, être assuré que jamais on ne reverra la terre que l’on foule, les hommes avec lesquels on échange d’affectueuses paroles, cette vie de Juif errant provoque une impression d’insurmontable tristesse, et fait songer malgré soi à ce type immortel du malheureux et du maudit. »

Pourtant, malgré la fatigue et la misère, le jeune Louis de Carné ne manque pas d’humour lorsqu’il évoque le troc auquel ses compagnons et lui se livrent pour ne pas mourir de faim : « Nous écoulons de la sorte des médailles et des images de religieuses destinées aux chrétiens des missions que nous n’avions pas rencontrés jusqu’alors : saint Antoine de Padoue pour un potiron, saint Pancrace pour un panier de patates, sainte Gertrude pour trois concombres. » De même, pendant la terrible traversée de la jungle, il trouve assez de ressource pour entretenir une légère ironie littéraire : « Dieu me garde de contester jamais les sublimes beautés de ces vastes forêts que n’a pas déflorées la main de l’homme, mais il y a des moments où la poésie fait regretter la prose. Pour arracher à la nature sa virginité trop bien défendue, il faut se résigner à des souffrances peu compensées par des jouissances tardives ».

Amer, son sourire est encore un sourire qui lui donne la force de résister aux fièvres et de franchir les épreuves de l’exploration.

Extrait de « L’Exploration du Mékong », publié en feuilleton dans La Revue des deux mondes en 1869.

LE MÉKONG

La ville de Luang Prabang avait été pour nous ce qu’est une oasis pour une caravane fatiguée d’une longue marche. Nous y avions fait une halte d’un mois, au sein d’une abondance relative. Passer les nuits sous le même toit et s’asseoir deux fois par jour à la même table, ce sont là des jouissances, dont pour la première fois depuis Bassac, il nous avait été donné de savourer la douceur. La vie nomade est contraire à la nature de l’homme, qui s’attache aux lieux par mille liens invisibles, comme l’arbre s’incorpore au sol par ses racines. Les peuplades même, vivant sous des tentes que leur indifférence dresse chaque soir pour les replier chaque matin, se font une patrie du désert dont elles connaissent toutes les sources ou de la forêt dont elles vénèrent tous les vieux arbres. Marcher sans cesse devant soi, être assuré que jamais on ne reverra la terre que l’on foule, les hommes avec lesquels on échange d’affectueuses paroles, cette vie de Juif errant provoque une impression d’insurmontable tristesse, et fait songer malgré soi à ce type immortel du malheureux et du maudit. Nous avions, il est vrai, l’espoir de servir la science en ajoutant par nos recherches aux données qu’elle met en œuvre, et cette ambition valait sans doute celle qui poussait les chevaliers hors de leurs castels pour redresser des torts ou suivre le cours d’amoureuses rêveries ; mais nous avions surtout dans le cœur une image aussi brillante que l’étoile des rois, l’image de la France, dont chaque pas allait nous rapprocher désormais. L’idée de mourir loin d’elle et de reposer dans une tombe abandonnée, cette triste pensée qui s’imposait à mes réflexions au début du voyage, avait cessé de me traverser l’esprit ; le passé me garantissait l’avenir. Nous touchions d’ailleurs aux limites du pays mal famé du Laos, et ce Minotaure calomnié n’avait dévoré personne. Les objections que le roi de Luang Prabang avait tenté d’opposer à notre départ pouvaient sans doute avoir leur source dans quelque arrière-pensée politique, mais les manifestations sympathiques de la population étaient pures de tout soupçon de cette nature ; il était impossible même aux plus défiants d’y voir autre chose que les marques d’une inquiétude inspirée par un intérêt sincère. Nous en étions émus sans en être effrayés et, le 25 mai 1867, nous montâmes en pirogues pleins d’ardeur et de confiance, presque joyeux des sacrifices qui réduisaient à une couverture de voyage le bagage personnel de chacun de nous. Le commandant de Lagrée laissait seul percer les préoccupations qui l’obsédaient : il voyait à l’horizon une barre sombre, et sentait qu’il était l’Œdipe dont les réponses décideraient du sort de tous ses compagnons.

Le Mékong, qui ralentit sa course et s’épanouit en face de Luang Prabang dans un lit dégagé d’obstacles, reprend non loin de cette ville ses allures impétueuses et son aspect tourmenté. Une colossale statue de Bouddha assise à l’entrée d’une caverne semble contempler impassible les flots qui passent, image de la vie dont les changements perpétuels attristèrent le grand révélateur au point de le pousser à placer l’éternel bonheur dans l’éternelle stabilité. La caverne est transformée en pagode ; mais les bonzes ont eu la maladresse de gratter les stalactites qui ornaient la voûte et les murailles. Plus loin, au sein d’une immense roche à pic plongeant dans l’eau, une seconde grotte est également consacrée au culte. Elle est ornée d’un balcon dentelé, et l’on y monte par un escalier en briques dont les derniers degrés sont lavés par le fleuve. En face de ce temple pittoresque, dont la porte ressemble de loin à une déchirure du rocher, le Mékong reçoit sur sa rive gauche un affluent considérable. Le Nam Ou, avant de se perdre dans ce grand fleuve, coule au milieu d’une vaste prairie verdoyante, limitée par une muraille verticale haute au moins de trois cents mètres, et qui semble cannelée. Pour indiquer le niveau d’une crue extraordinaire, les habitants y ont tracé une ligne rouge qui est maintenant à dix-neuf mètres au-dessus de nos têtes. Nous regardons avec quelque curiosité cette rivière qui semble venir du nord-est car, s’il ne réussit pas à entrer en Chine par la voie du Mékong, M. de Lagrée a résolu d’y pénétrer en remontant le Nam Ou.