Le Misanthrope - Molière - E-Book

Le Misanthrope E-Book

Moliere

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Beschreibung

Le Misanthrope est une comédie de Molière en cinq actes et en vers représentée pour la première fois le 4 juin 1666 sur la scène du Palais-Royal.
Molière critique les mœurs de la Cour, l’hypocrisie qui règne dans cette société du paraître où les comportements frisent la parodie.
Présentation
Alceste hait l’humanité tout entière, en dénonce l’hypocrisie, la couardise et la compromission. Mais il aime Célimène, coquette et médisante, jusqu’à ce qu’il se rende compte de ce qu’elle est réellement…
|Source Wikipédia|

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SOMMMAIRE

NOTICE

PERSONNAGES

ACTE I

ACTE II

ACTE III

ACTE IV

ACTE V

Notes

MOLIÈRE

LE MISANTHROPE

COMÉDIE EN CINQ ACTES.

1669

Texte établi par Charles Louandre Charpentier, 1910 (2, pp. 170-239)

Raanan Éditeur

Livre numérique 458 | édition 2

NOTICE

Un biographe de Molière très-accrédité, malgré de nombreuses erreurs, Grimarest, qui écrivait en 1705, a dit que le Misanthrope avait été, lors de la première représentation, froidement accueilli du public. La Harpe, voulant expliquer ce fait sans en vérifier l’authenticité, a dit à son tour que Molière, dans cette pièce, s’était tellement élevé au-dessus des idées du vulgaire, qu’on ne la comprit pas, qu’elle fut retirée à la quatrième représentation, et que pour la faire accepter ensuite, l’auteur fut obligé de faire jouer en même temps le Médecin malgré lui.

En remontant jusqu’aux témoignages contemporains, en contrôlant cette anecdote, MM. Taschereau et Bazin en ont reconnu sans peine la fausseté. « Tous les éditeurs de Molière, dit M. Taschereau, tous les auteurs sifflés ou peu applaudis, pour donner une preuve convaincante de l’injustice du parterre, se sont accordés à faire valoir la courte faveur qu’obtint cette production, ou plutôt l’accueil glacial qu’elle essuya dès la troisième représentation, et la nécessité où se trouva l’auteur, pour la soutenir, de l’appuyer du Médecin malgré lui. Ce petit trait d’histoire littéraire, d’ailleurs fort piquant, et par conséquent sûr d’être accueilli sans autre examen, a cela de commun avec beaucoup de traits de l’histoire proprement dite, qu’il est original, mais controuvé. Le registre de la Comédie fait foi que, représenté vingt et une fois de suite, nombre de représentations auquel un ouvrage atteignait difficilement alors, si l’on en excepte toutefois les tragédies de Thomas Corneille, le Misanthrope, seul, sans petite pièce qui l’accompagnât et malgré les chaleurs de l’été, procura au théâtre dix-sept recettes productives et quatre autres de bien peu moins satisfaisantes. Quant aux obligations qu’il avait, dit-on, contractées envers le Médecin malgré lui, elles sont faciles à reconnaître, puisque ce ne fut qu’à la douzième représentation de cette farce qu’on la donna avec ce chef-d’œuvre, et cela cinq fois seulement. »

Il suffit, pour reconnaître la justesse de cette rectification, de recourir au témoignage de de Visé, qui s’était montré jusqu’alors l’un des adversaires les plus ardents de Molière, et à celui de Subligny, qui, au moment même des premières représentations, constatait l’immense succès de la pièce dans ces vers de la Muse dauphine :

Une chose de fort grand cours Et de beauté très singulière Est une pièce de Molière. Toute la cour en dit du bien. Après son Misanthrope, il ne faut plus voir rien : C’est un chef-d’œuvre inimitable.

Quant à de Visé, il composa une sorte de préface apologétique qui fut imprimée en tête de la première édition.

Les personnages qui figurent dans le Misanthrope, ont été de la part des commentateurs l’objet de nombreuses suppositions. On s’est mis à chercher des clefs, et l’on a cru reconnaître le type de ces personnages, d’un côté dans la cour de Louis XIV, de l’autre dans l’entourage même de Molière. Timante, a-t-on dit, n’était autre que M. de Saint-Gilles, l’antagoniste de La Fontaine ; Oronte, c’était le duc de Saint-Aignan ; Célimène, c’était la duchesse de Longueville, qui suscita entre son amant et celui de madame de Montbazon, afin de se venger de cette dernière, un duel qui eut lieu sur la place Royale, et auquel elle assista cachée derrière une jalousie ; Alceste, c’était le duc de Montausier, et si l’on s’en rapporte à une note ajoutée par Saint-Simon sur le manuscrit du journal de Dangeau, ce dernier point de ressemblance aurait donné lieu à une scène assez bizarre :

« Molière fit le Misanthrope ; cette pièce fit grand bruit et eut un grand succès à Paris avant d’être jouée à la cour. Chacun y reconnut M. de Montausier, et prétendit que c’était lui que Molière avait eu en vue. M. de Montausier le sut et s’emporta jusqu’à faire menacer Molière de le faire mourir sous le bâton. Le pauvre Molière ne savait où se fourrer. Il fit parler à M. de Montausier par quelques personnes ; car peu osèrent s’y hasarder, et ces personnes furent fort mal reçues. Enfin le roi voulut voir le Misanthrope ; et les frayeurs de Molière redoublèrent étrangement, car Monseigneur allait aux comédies suivi de son gouverneur. Le dénouement fut rare ; M. de Montausier, charmé du Misanthrope, se sentit si obligé qu’on l’en eût cru l’objet, qu’au sortir de la comédie il envoya chercher Molière pour le remercier. Molière pensa mourir du message, et ne put se résoudre qu’après bien des assurances réitérées. Enfin il arriva toujours tremblant chez M. de Montausier qui l’embrassa à plusieurs reprises, le loua, le remercia, et lui dit qu’il avait pensé à lui en faisant le Misanthrope, qui était le caractère du plus parfaitement honnête homme qui pût être, et qu’il lui avait fait trop d’honneur, et un honneur qu’il n’oublierait jamais. Tellement qu’ils se séparèrent les meilleurs amis du monde, et que ce fut une nouvelle scène pour la cour, meilleure encore que celles qui y avaient donné lieu. » L’authenticité de cette anecdote est révoquée en doute, de la manière la plus formelle, par M. Taschereau. Que le public ait trouvé de la ressemblance entre Alceste et le duc de Montausier, rien de plus exact, le fait étant attesté par les témoignages de plusieurs contemporains ; mais cela ne prouve pas que le duc ait réellement fourni à Molière le portrait d’après lequel il traça le principal caractère de sa pièce. M. Bazin se montre plus défiant encore que M. Taschereau pour toutes ces clefs, « pour toutes ces applications, aux personnages nommés dans l’histoire, de tous les traits que l’on rencontre dans les livres… Quel homme de cette époque, dit M. Bazin, se serait avisé de reconnaître dans Oronte, dans ce faquin de qualité tout au plus, qui prétend que « le roi en use honnêtement avec lui, » le duc de Saint-Aignan, mauvais poète sans doute, comme tout grand seigneur de l’Académie française, homme d’esprit pourtant et du plus exquis savoir-vivre, le Mécène d’alors, respecté de tous, tendrement aimé du roi, comblé de ses plus hautes faveurs, cité partout pour « le modèle d’un parfait courtisan ? » Dans ce temps aussi, qui aurait seulement pensé que Célimène pût être la duchesse de Longueville, la sœur de monsieur le Prince, vouée depuis treize ans aux pratiques de la religion la plus austère ? En songeant que de pareilles sottises ont été dites et sont répétées, on se sent prêt à écouter plus patiemment un dernier commentateur qui veut que Molière ne soit pas allé chercher si loin et si haut ses modèles, qu’il les ait pris tout simplement dans sa maison, dans sa troupe, dans son entourage. » Le commentateur auquel il est fait allusion dans ce passage, est M. Aimé Martin ; suivant lui, Alceste n’est autre que Molière lui-même. Et il ajoute : « Pour peu que ses habitudes, sa société, ses passions, nous fussent connues, nous retrouverions aussitôt mademoiselle Molière sous les traits de Célimène, mesdemoiselles du Parc et de Brie sous ceux d’Arsinoé et d’Éliante. Acaste et Clitandre s’offriraient à nous avec la grâce et la tournure des comtes de Guiche et Lauzun ; nous saisirions dans Oronte les ridicules que le siècle avait signalés dans le duc de Saint-Aignan ; enfin, le caractère de Philinte nous rappellerait cet aimable Chapelle, ami trop léger, qui, sans souci des choses de la vie, savait prendre le temps comme il vient, et les hommes comme ils sont. Ces premiers types des principaux caractères du Misanthrope se retrouvent ici tels que Molière les dessina dans l’Impromptu de Versailles ; car il avait préparé son chef-d’œuvre en le crayonnant comme un peintre prépare un grand tableau par des esquisses. »

Ici encore, on le voit, les critiques et les commentateurs sont à l’affût des moindres circonstances. À quelque point de vue qu’ils se placent, à Versailles ou dans la maison même de Molière, ils se trompent sans doute dans un grand nombre de leurs suppositions. — Et comment ne pas se tromper, quand on en est réduit aux conjectures ? — Mais cette curiosité si vivement éveillée, sur ce que nous appellerons le côté réel et vivant de la pièce, n’en est pas moins l’hommage le plus éclatant qui ait été rendu au génie du poète. Ne fallait il pas, en effet, une bien grande puissance d’observation, un talent profondément humain, pour que les réalités vinssent de la sorte se placer sans cesse à côté des fictions, pour que le public qui écoute, et le critique qui annote, en suivant le développement des caractères, aient pris ces caractères pour de véritables signalements, et traduit les noms de théâtre par des noms connus de tout le monde ?

Le Misanthrope, que l’Europe, suivant la juste remarque de Voltaire, regarde comme le chef-d’œuvre du vrai comique, n’en a pas moins essuyé quelques critiques violentes. La plus célèbre est celle de Rousseau, et pour en faire connaître le véritable sens, nous ne pouvons mieux faire que de reproduire ici cette piquante appréciation de M. Génin : « J. J. Rousseau, dans sa Lettre à d’Alembert. veut établir que le théâtre corrompt les mœurs. Prenons, dit-il, la meilleure de toutes les comédies, la plus morale ; je vous prouverai qu’elle attaque la vertu, et il s’ensuivra à fortiori que toutes les autres sont également ou plus dangereuses, corruptrices et perverses. Il choisit pour cette expérience le Misanthrope… Cette pièce lui fournit l’occasion d’entretenir le public de lui-même. Il s’identifie avec Alceste, et peu s’en faut qu’il ne regarde la pièce de Molière comme une personnalité contre Jean-Jacques. Sa longue argumentation n’est qu’un tissu de sophismes, de contradictions et de puérilités. Molière a composé le Misanthrope « pour faire rire aux dépens de la vertu, — pour avilir la vertu ; » et cette intention, Molière ne l’a pas eue seulement dans le Misanthrope, mais le Misanthrope « nous découvre la véritable vue dans laquelle Molière a composé tout son théâtre. » — « On ne peut nier, dit-il, que le théâtre de Molière ne soit une école de vices et de mauvaises mœurs, plus dangereuse que les livres mêmes où l’on fait profession de les enseigner. » Peut-être, en écrivant ces dernières paroles, la pensée de Rousseau se reportait à la Nouvelle Héloïse. Qu’il y pensât ou non, la flétrissure est plus applicable à ce roman qu’au Misanthrope et à tout le théâtre de Molière.

Deux pages plus loin, vous lisez : — « Dans toutes les autres pièces de Molière,… on sent pour lui au fond du cœur un respect…, etc. » Du respect pour un professeur de vices et de mauvaises mœurs ! pour celui qui tâche constamment d’avilir la vertu ! Jean-Jacques n’y pensait pas !

Si Molière a voulu, dans le personnage d’Alceste, avilir la vertu, il a bien mal réussi ; car il n’est pas d’honnête homme qui ne fût charmé de ressembler au Misanthrope.

Le portrait que Rousseau se complaît à tracer du véritable Misanthrope est évidemment, dans son intention, le portrait de Jean-Jacques, c’est-à-dire de l’homme parfait… Il aurait fallu que Molière devinât Rousseau, et fit son apologie anticipée en cinq actes ; qu’au lieu d’Alceste et de Célimène, il peignît Jean-Jacques et Thérèse. C’est peut-être exiger beaucoup. »

Geoffroy, Chamfort, La Harpe, M. Nisard, en un mot, tous nos critiques les plus éminents, sont de l’avis de M. Génin contre Rousseau. « Si jamais, a dit Chamfort, auteur comique a fait voir comment il avait conçu le système de la société, c’est Molière dans le Misanthrope. C’est là que, montrant les abus qu’elle entraîne nécessairement, il enseigne à quel prix le sage doit acheter les avantages qu’elle procure ; que, dans un système d’union fondé sur l’indulgence naturelle, une vertu parfaite est déplacée parmi les hommes et se tourmente elle-même sans les corriger : c’est un or qui a besoin d’alliage pour prendre de la consistance et servir aux divers usages de la société. Mais en même temps l’auteur montre, par la supériorité constante d’Alceste sur tous les autres personnages, que la vertu, malgré les ridicules où son austérité l’expose, éclipse tout ce qui l’environne ; et l’or qui a reçu l’alliage n’en est pas moins le plus précieux des métaux. »

Ce sentiment est aussi celui de Geoffroy : « Ce n’est point le ridicule de la vertu que Molière a joué ; il est difficile de s’exprimer d’une manière moins exacte et plus impropre, c’est le ridicule d’un homme d’ailleurs estimable par quelques vertus. On peut être franc et brutal, on peut avoir de la probité sans avoir ni douceur, ni modération, ni prudence ; on peut être bon et dur, et frondeur atrabilaire, et censeur indiscret… Le but du Misanthrope de Molière est la tolérance sociale. C’est, de tous ses ouvrages, celui où il a représenté d’une manière plus générale les travers de l’humanité ; il est sorti dans cette pièce, plus que dans les autres, du cercle étroit des ridicules et des mœurs de son siècle ; il y a peint tous les siècles, puisqu’il y a peint le cœur humain. » — Malgré leur justesse, les observations que nous venons de rapporter n’ont pu cependant détruire dans tous les esprits l’effet produit par les paradoxes de Rousseau. Fabre d’Églantine a repris ces paradoxes en sous-œuvre dans le Philinte de Molière. Mais si cette comédie a gardé auprès du public quelque réputation, elle le doit moins à son mérite réel, qu’à la renommée même de l’œuvre immortelle en face de laquelle elle s’élevait comme une protestation, et suivant le mot de Geoffroy, elle est au Misanthrope ce que l’anarchie est à un bon gouvernement.

PERSONNAGES

Alceste, amant de Célimène 1,Philinte, ami d’Alceste 2,Oronte, amant de Célimène 3,Célimène, amante d’Alceste 4,Éliante, cousine de Célimène 5,Arsinoé, amie de Célimène 6, 

Acaste 7, Clitandre,marquis 

Basque, valet de Célimène,

Un garde de la maréchaussée de France 8,Dubois, valet d’Alceste 9. 

 

 

La scène se passe à Paris, dans la maison de Célimène.

 

 

ACTE I

Scène première

PHILINTE, ALCESTE. 

 

 

PHILINTE 

Qu’est-ce donc ? Qu’avez-vous ?

 

ALCESTE, assis. 

Laissez-moi, je vous prie.

 

PHILINTE 

Mais encor, dites-moi, quelle bizarrerie…

 

ALCESTE

Laissez-moi là, vous dis-je, et courez vous cacher.

 

PHILINTE 

Mais on entend les gens au moins sans se fâcher.

 

ALCESTE

Moi, je veux me fâcher, et ne veux point entendre.

 

PHILINTE 

Dans vos brusques chagrins je ne puis vous comprendre ;

Et, quoique amis enfin, je suis tous des premiers…

 

ALCESTE, se levant brusquement. 

Moi, votre ami ? Rayez cela de vos papiers.

J’ai fait jusques ici profession de l’être ;Mais, après ce qu’en vous je viens de voir paraître, Je vous déclare net que je ne le suis plus, Et ne veux nulle place en des cœurs corrompus.

 

PHILINTE 

Je suis donc bien coupable, Alceste, à votre compte ?

 

ALCESTE

Allez, vous devriez mourir de pure honte ;

Une telle action ne saurait s’excuser, Et tout homme d’honneur s’en doit scandaliser. Je vous vois accabler un homme de caresses, Et témoigner pour lui les dernières tendresses ; De protestations, d’offres, et de serments,Vous chargez la fureur de vos embrassements : Et quand je vous demande après quel est cet homme, À peine pouvez-vous dire comme il se nomme ; Votre chaleur pour lui tombe en vous séparant, Et vous me le traitez, à moi, d’indifférent !Morbleu ! c’est une chose indigne, lâche, infâme, De s’abaisser ainsi jusqu’à trahir son âme ; Et si, par un malheur, j’en avais fait autant, Je m’irais, de regret, pendre tout à l’instant.

 

PHILINTE 

Je ne vois pas, pour moi, que le cas soit pendable ;

Et je vous supplierai d’avoir pour agréable, Que je me fasse un peu grâce sur votre arrêt, Et ne me pende pas pour cela, s’il vous plaît.

 

ALCESTE

Que la plaisanterie est de mauvaise grâce !

 

PHILINTE 

Mais, sérieusement, que voulez-vous qu’on fasse ?

 

ALCESTE

Je veux qu’on soit sincère, et qu’en homme d’honneur

On ne lâche aucun mot qui ne parte du cœur.

 

PHILINTE 

Lorsqu’un homme vous vient embrasser avec joie,

Il faut bien le payer de la même monnoie, Répondre, comme on peut, à ses empressements,Et rendre offre pour offre, et serments pour serments.

 

ALCESTE

Non, je ne puis souffrir cette lâche méthode

Qu’affectent la plupart de vos gens à la mode ; Et je ne hais rien tant que les contorsions De tous ces grands faiseurs de protestations,Ces affables donneurs d’embrassades frivoles 10, Ces obligeants diseurs d’inutiles paroles, Qui de civilités avec tous font combat, Et traitent du même air l’honnête homme et le fat. Quel avantage a-t-on qu’un homme vous caresse,Vous jure amitié, foi, zèle, estime, tendresse, Et vous fasse de vous un éloge éclatant, Lorsque au premier faquin il court en faire autant ? Non, non, il n’est point d’âme un peu bien située Qui veuille d’une estime ainsi prostituée ;Et la plus glorieuse a des régals peu chers Dès qu’on voit qu’on nous mêle avec tout l’univers : Sur quelque préférence une estime se fonde, Et c’est n’estimer rien qu’estimer tout le monde. Puisque vous y donnez dans ces vices du temps,Morbleu ! vous n’êtes pas pour être de mes gens ; 

Je refuse d’un cœur la vaste complaisance Qui ne fait de mérite aucune différence ; Je veux qu’on me distingue ; et, pour le trancher net, L’ami du genre humain n’est point du tout mon fait.

 

PHILINTE 

Mais quand on est du monde, il faut bien que l’on rende

Quelques dehors civils que l’usage demande.

 

ALCESTE

Non, vous dis-je ; on devrait châtier sans pitié

Ce commerce honteux de semblants d’amitié. Je veux que l’on soit homme, et qu’en toute rencontreLe fond de notre cœur dans nos discours se montre, Que ce soit lui qui parle, et que nos sentiments Ne se masquent jamais sous de vains compliments.

 

PHILINTE 

Il est bien des endroits où la pleine franchise

Deviendrait ridicule, et serait peu permise ;Et parfois, n’en déplaise à votre austère honneur, Il est bon de cacher ce qu’on a dans le cœur. Serait-il à propos, et de la bienséance, De dire à mille gens tout ce que d’eux on pense ? Et quand on a quelqu’un qu’on hait ou qui déplaîtLui doit-on déclarer la chose comme elle est ?

 

ALCESTE

Oui.

 

PHILINTE 

Quoi ! vous iriez dire à la vieille Émilie

Qu’à son âge il sied mal de faire la jolie ? Et que le blanc qu’elle a scandalise chacun ?

 

ALCESTE

Sans doute.

 

PHILINTE 

À Dorilas, qu’il est trop importun ;

Et qu’il n’est à la cour, oreille qu’il ne lasse À conter sa bravoure et l’éclat de sa race ?

 

ALCESTE

Fort bien.

 

 

PHILINTE 

Vous vous moquez.

 

ALCESTE

Je ne me moque point.

Et je vais n’épargner personne sur ce point. Mes yeux sont trop blessés, et la cour et la villeNe m’offrent rien qu’objets à m’échauffer la bile ; J’entre en une humeur noire, en un chagrin profond, Quand je vois vivre entre eux les hommes comme ils font ; Je ne trouve partout que lâche flatterie, Qu’injustice, intérêt, trahison, fourberie ;Je n’y puis plus tenir, j’enrage ; et mon dessein Est de rompre en visière à tout le genre humain.

 

PHILINTE 

Ce chagrin philosophe est un peu trop sauvage.

Je ris des noirs accès où je vous envisage, Et crois voir en nous deux, sous mêmes soins nourris,Ces deux frères que peint l’École des maris, Dont…

 

ALCESTE

Mon Dieu ! laissons là, vos comparaisons fades.

 

PHILINTE 

Non : tout de bon, quittez toutes ces incartades.

Le monde par vos soins ne se changera pas : Et puisque la franchise a pour vous tant d’appas,Je vous dirai tout franc que cette maladie, Partout où vous allez donne la comédie ; Et qu’un si grand courroux contre les mœurs du temps Vous tourne en ridicule auprès de bien des gens.

 

ALCESTE

Tant mieux, morbleu ! tant mieux, c’est ce que je demande.

Ce m’est un fort bon signe, et ma joie en est grande. Tous les hommes me sont à tel point odieux, Que je serais fâché d’être sage à leurs yeux.

 

PHILINTE 

Vous voulez un grand mal à la nature humaine.

 

ALCESTE

Oui, j’ai conçu pour elle une effroyable haine 11. 

 

PHILINTE 

Tous les pauvres mortels, sans nulle exception,

Seront enveloppés dans cette aversion ?

Encore en est-il bien, dans le siècle où nous sommes…

 

ALCESTE

Non, elle est générale, et je hais tous les hommes :

Les uns, parce qu’ils sont méchants et malfaisants,Et les autres, pour être aux méchants complaisants 12, Et n’avoir pas pour eux ces haines vigoureuses Que doit donner le vice aux âmes vertueuses. De cette complaisance on voit l’injuste excès Pour le franc scélérat avec qui j’ai procès.Au travers de son masque on voit à plein le traître ; Partout il est connu pour tout ce qu’il peut être ; Et ses roulements d’yeux, et son ton radouci, N’imposent qu’à des gens qui ne sont point d’ici. On sait que ce pied-plat, digne qu’on le confonde,Par de sales emplois s’est poussé dans le monde, Et que par eux son sort, de splendeur revêtu, Fait gronder le mérite et rougir la vertu. Quelques titres honteux qu’en tous lieux on lui donne, Son misérable honneur ne voit pour lui personne :Nommez-le fourbe, infâme, et scélérat maudit, Tout le monde en convient, et nul n’y contredit. Cependant sa grimace est partout bienvenue ;On l’accueille, on lui rit, partout il s’insinue ; Et s’il est, par la brigue, un rang à disputer,Sur le plus honnête homme on le voit l’emporter. Têtebleu ! ce me sont de mortelles blessures, De voir qu’avec le vice on garde des mesures ; Et parfois il me prend des mouvements soudains De fuir dans un désert l’approche des humains. 

 

PHILINTE 

Mon Dieu ! des mœurs du temps mettons-nous moins en peine,

Et faisons un peu grâce à la nature humaine ; Ne l’examinons point dans la grande rigueur, Et voyons ses défauts avec quelque douceur. Il faut, parmi le monde, une vertu traitable ;À force de sagesse, on peut être blâmable ; La parfaite raison fuit toute extrémité, Et veut que l’on soit sage avec sobriété. Cette grande raideur des vertus des vieux âges Heurte trop notre siècle et les communs usages ;Elle veut aux mortels trop de perfection : Il faut fléchir au temps sans obstination ; Et c’est une folie à nulle autre seconde, De vouloir se mêler de corriger le monde. J’observe, comme vous, cent choses tous les jours,Qui pourraient mieux aller, prenant un autre cours ; Mais quoi qu’à chaque pas je puisse voir paraître, En courroux comme vous, on ne me voit point être ; Je prends tout doucement les hommes comme ils sont ; J’accoutume mon âme à souffrir ce qu’ils font,Et je crois qu’à la cour, de même qu’à la ville, Mon flegme est philosophe autant que votre bile.

 

ALCESTE

Mais ce flegme, Monsieur, qui raisonnez si bien 13,