Le Monde de l'air - Arthur Mangin - E-Book

Le Monde de l'air E-Book

Arthur Mangin

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Extrait : "On ne doit s'attendre à trouver dans les plus riches collections ornithologiques et entomologiques, à plus forte raison dans les quelques pages qui vont suivre, qu'un faible aperçu du monde de l'air : monde infini comme celui de la mer, et qui, pour arriver à l'insecte et à l'oiseau, commence par des milliards de milliards de corpuscules invisibles, poussière impalpable qui se mêle aux molécules gazeuses."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Introduction

UNE PROMENADE À TRAVERS LE MONDE AÉRIEN

L’air est, pour tous les êtres répandus sur la surface du globe, le principe vital par excellence, puisqu’il peut seul entretenir chez eux la fonction essentielle de la vie, la respiration. Cette vérité fondamentale a été suffisamment établie dans notre volume sur l’air.

Les êtres aquatiques, ceux même qui peuplent les abîmes de l’Océan, ne laissent pas d’emprunter indirectement à l’air le gaz oxygène qu’ils respirent. Quant aux êtres terrestres, tous sans exception puisent incessamment et directement dans l’atmosphère qui les environne les éléments indispensables à leur conservation. D’où l’on voit qu’au point de vue purement physiologique, le monde aérien embrasserait l’universalité des animaux à respiration pulmonaire ou trachéenne, depuis l’homme jusqu’au dernier des insectes, et tous les végétaux communément appelés terrestres, depuis le chêne et le palmier superbes jusqu’aux plus imperceptibles cryptogames.

Mais si, laissant de côté les plantes, – invariablement fixées par leurs racines à la terre, dont elles vivent au moins autant que de l’air, – nous voulons nous en tenir au règne animal, nous trouverons dans ce règne des êtres pourvus d’ailes, c’est-à-dire d’organes spéciaux qui leur permettent de se soutenir dans l’air, de s’y mouvoir, d’y chercher leur proie, d’y vivre, en un mot, à peu près comme les poissons vivent dans l’eau. N’est-ce pas de ceux-là seuls qu’on peut dire que l’air est leur élément ? N’est-ce pas par eux que l’atmosphère est vraiment un monde ? – J’entends un monde animé, comparable sous ce rapport à l’Océan, et non simplement une masse de matière passive, soumise à la seule action des forces physiques et chimiques, et d’où les forces organiques seraient bannies.

On a coutume de regarder ces êtres comme des privilégiés de la création. C’est à tort : l’idée de privilège implique celle d’exception ; et si les animaux volants sont l’exception parmi les mammifères, ils sont, en revanche, la règle parmi les insectes et les oiseaux : on compte dans ces deux classes leurs espèces par milliers.

Est-ce à dire que nous nous proposions de passer en revue toutes ces espèces, d’en suivre de point en point la classification et la nomenclature, de pénétrer, à l’aide du scalpel et du microscope, dans les minutieux détails de leur organisme ? Non certes ; notre entreprise est à la fois plus modeste, et, si l’on peut ainsi dire, moins austère.

Ce livre n’est donc pas, comme le lecteur pourrait le craindre, un traité d’entomologie et d’ornithologie ; c’est une causerie familière sur ce monde ailé qui nous montre dans le libre espace la vie avec ses énergies multiples, ses couleurs bigarrées, ses formes infiniment variées, ses industries merveilleuses, ses luttes tragiques et son immense travail de production et de destruction.

J’aurais pu l’intituler, un peu longuement, Relation pittoresque d’une promenade à travers le monde de l’air ; et ce titre n’eût pas été une fiction. J’ai réellement fait, en compagnie de mon excellent collaborateur M. W. Freeman, cette intéressante promenade, d’où nous avons rapporté, lui, les nombreux et charmants dessins d’après nature que l’on va voir ; moi, les impressions et les descriptions que l’on va lire.

Je vois d’ici, lecteur, l’étonnement et l’incrédulité se peindre sur votre visage. Aussi je me hâte d’ajouter qu’il n’y a dans ceci ni illusion ni sortilège ; que nous n’avons point attaché à nos épaules les ailes d’Icare, ni emprunté à je ne sais plus quel héros des contes orientaux l’anneau magique qui permet de se transporter instantanément d’un lieu dans un autre, en voyant tout sans être vu ; que nous n’avons pas même eu recours au magnétisme, ni à ces breuvages narcotiques qui font, dit-on, voir en rêve ce qu’on ne pourrait voir les yeux ouverts. Nos pieds n’ont point quitté le sol ; nous sommes restés éveillés et dans la pleine possession de nos facultés, dont, Dieu merci, nous jouissons encore à l’heure présente.

Enfin il ne tient qu’à vous de suivre, quand il vous plaira, notre exemple, de refaire après nous la même excursion, de la faire même beaucoup plus complète.

Je vais, sans plus de mystère, vous indiquer le chemin.

Il existe à Paris un établissement que tout le monde connaît : c’est le muséum d’histoire naturelle. Là se tient une sorte d’exposition universelle et permanente des œuvres de la nature. On peut signaler dans cette exposition plus d’une lacune regrettable ; telle qu’elle est cependant, elle offre à la curiosité des amis de la science de quoi se satisfaire largement. Outre ses vastes jardins botaniques, ses serres, sa ménagerie, sa bibliothèque, ses riches collections minéralogiques, le muséum comprend un vaste bâtiment situé dans sa partie méridionale, le long de la rue Geoffroy-Saint-Hilaire : ce sont les galeries de zoologie, où se trouvent réunis les représentants du règne animal tout entier, depuis les grands singes anthropomorphes et les gigantesques pachydermes, jusqu’aux zoophytes et aux infusoires.

Les salles des étages supérieurs sont consacrées aux habitants de l’air : aux oiseaux et aux insectes. Cette collection est irréprochable. Les animaux y sont préparés et conservés avec un art et un soin qui leur laissent toutes les apparences de la vie. Ils sont groupés par familles, par genres et par espèces, dans des vitrines parfaitement éclairées, et chacun d’eux porte ses noms génériques et spécifiques inscrits lisiblement en latin, souvent même en langue vulgaire, sur une carte numérotée. C’est en parcourant, M. Freeman et moi, cette nécropole du monde aérien, que nous avons pu recueillir les matériaux de notre travail.

Quelques lectures ont complété mes études directes sur les types qui avaient fixé notre attention.

PREMIÈRE PARTIELes insectes ailés
CHAPITRE ILe monde aérien invisible. – L’insecte

On ne doit s’attendre à trouver dans les plus riches collections ornithologiques et entomologiques, à plus forte raison dans les quelques pages qui vont suivre, qu’un faible aperçu du monde de l’air : monde infini comme celui de la mer, et qui, pour arriver à l’insecte et à l’oiseau, commence par des milliards de milliards de corpuscules invisibles, poussière impalpable qui se mêle aux molécules gazeuses, et qu’on aperçoit lorsqu’un faisceau de rayons solaires pénètre par une étroite ouverture dans une chambre close. Le rôle de ces corpuscules dans l’économie générale de la nature paraît être considérable, bien que l’imagination de quelques auteurs l’ait peut-être exagéré. Beaucoup de ces corpuscules ne seraient, d’après une théorie récente, autre chose que des germes, des sporules d’infusoires et de cryptogames microscopiques, qui, tombant dans l’eau, s’introduisant dans les liquides et dans les tissus des animaux et des plantes, s’y développeraient et s’y reproduiraient avec une prodigieuse rapidité, refaisant la vie partout où la vie s’éteint ou faiblit, déterminant une multitude de phénomènes restés longtemps inexplicables : la fermentation, la germination, – la végétation même, si l’on en croit certains micrographes, – et occasionnant plusieurs de nos maladies. Nous absorbons ces germes avec l’air que nous respirons ; ils se répandent, dit-on, dans nos organes et jusque dans nos vaisseaux circulatoires pour corrompre notre sang, pour nous dévorer. Ils restent improductifs tant que les forces vitales persistent, tant qu’elles conservent leur énergie et leur équilibre ; mais la moindre perturbation de l’organisme peut leur livrer notre corps, et ils s’en emparent sans conteste dès que la mort survient. De telle sorte que notre grande affaire serait de réagir à tout instant contre ces causes, toujours et partout présentes, de destruction ; ce qui, notons-le en passant, justifierait la définition que Bichat a donnée de la vie : « l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort, » et confirmerait même jusqu’à un certain point dans son principe, sinon dans ses applications, la célèbre théorie nosologique de feu Raspail.

Il est probable, d’ailleurs, que la plupart des mouches et des moucherons vivent en grande partie des corpuscules de nature animale et végétale tenus en suspension dans l’atmosphère, bien qu’ils empruntent souvent aussi leur nourriture, soit aux plantes, soit à des animaux beaucoup plus forts qu’eux ; car dans le monde des insectes, au contraire de ce qu’on voit communément, c’est plutôt le plus petit qui vit aux dépens du plus grand que le plus grand aux dépens du plus petit. À la classe des insectes appartiennent en grande partie ces légions de parasites qui s’attachent aux animaux de toute espèce pour vivre de leur substance. C’est un préjugé fort répandu parmi le peuple, qu’il y a imprudence à débarrasser trop tôt les enfants de la vermine qui presque toujours les envahit à un certain âge. Je serais presque tenté de voir dans ce préjugé une sorte de résignation instinctive à la loi du parasitisme qui semble peser sur la nature entière. Le fait est que les plus petits animaux y sont soumis comme les plus grands ; la mouche, le puceron, les moindres insectes ont leurs parasites, et il y a lieu de croire que ces parasites, déjà imperceptibles, sont eux-mêmes les victimes d’autres parasites tellement petits que nos meilleurs instruments ne nous permettent pas de les apercevoir.

Les parasites ne forment point un ordre distinct dans la série entomologique. Un grand nombre ne sont même pas des insectes, mais des annélides. Quelques-uns sont des larves, qui plus tard auront des ailes et une existence plus honorable. Plusieurs enfin appartenaient jadis à l’ordre des aptères (ὰ privatif, et πτερόν, aile), c’est-à-dire des insectes sans ailes, que les naturalistes modernes ont supprimés, et dont ils ont distribué les membres, disjecta membra, dans les deux ordres des diptères (insectes à deux ailes) et des hémiptères (insectes à demi-ailes).

Les autres ordres aujourd’hui reconnus sont ceux des hyménoptères (ailes membraneuses), des névroptères (ailes à nervures), des coléoptères (ailes à étuis), des orthoptères (ailes droites) et des lépidoptères (ailes écailleuses).

On voit que, suivant cette classification, tous les insectes complets sont censés avoir des ailes, bien que beaucoup en soient absolument dépourvus. Il ne m’appartient point de discuter les motifs, très sérieux sans doute, qui ont décidé les entomologistes à ranger la punaise et le pou (sauf votre respect) parmi les insectes à demi-ailes (hémiptères), et la puce parmi les insectes à deux ailes (diptères). Heureusement ces affreuses bêtes ne peuvent avoir rien de commun avec le monde aérien, et nous sommes dispensés de nous en occuper.

Ce n’est pas qu’il ne faille, pour étudier de près les insectes, même ailés, réprimer certaines répugnances dont peu de personnes sont exemptes. J’avoue que, quant à moi, les insectes m’inspirent une aversion invincible. Les plus incontestablement beaux, ceux que la nature a parés des teintes les plus splendides, des reflets les plus brillants, trouvent à peine grâce devant cette antipathie involontaire. Je les regarde, je les admire ; mais je ne les touche pas volontiers. Cela tient, je crois, à ce qu’ils sont trop loin de nous sous le rapport de l’organisation, et plus encore à ce que presque tous sont réellement pour nous des ennemis. Ceux qui ne nous attaquent pas personnellement nous incommodent par leur contact, par leur bourdonnement, ou s’en prennent aux produits de nos cultures, dévorent nos moissons, nos plantations, nos bois. Il en est qui vivent d’immondices, de chair morte ; ceux-là peuvent avoir leur utilité dans les contrées sauvages où, sans eux, sans leurs puissants collaborateurs, les corbeaux et les vautours, rien ne s’opposerait à l’infection de l’air par les cadavres et les charognes abandonnés au hasard dans les champs, dans les bois et sur les chemins. Mais ces insectes, à raison même de leur rôle, de leur genre de vie, n’en sont que plus dégoûtants, et nous qui savons sans eux enterrer nos morts, nettoyer nos routes et nos rues, nous avons bien le droit de les repousser.

Reste le petit nombre de ce qu’on peut appeler les insectes industriels, tels que la cochenille et le ver à soie. Je n’en veux point médire. Il faut avouer cependant que s’il y a quelque chose d’admirable, c’est que des choses aussi belles que la couleur de pourpre et la soie nous viennent de si vilaines bêtes.

Je sais bien qu’aux yeux du naturaliste la laideur ou la beauté d’un animal ou d’une plante est chose très secondaire, et dont il a peu de souci. Que lui importent le plus ou moins d’élégance des formes, la vivacité ou l’agencement des couleurs ? Ce qui le captive avant tout, c’est la structure et le jeu des organes, l’harmonie des fonctions. Il se passionnera pour des recherches anatomiques à instituer ou à compléter, pour une lacune à combler dans la série des genres ou des espèces ; et sous l’empire de ces préoccupations, il sera capable d’oublier, pour quelque insecte réputé à bon droit immonde ou malfaisant, les plus graves intérêts.

Le savant Latreille, – celui qu’on a nommé le prince de l’entomologie française, – arrêté à Bordeaux en 1793, jeté en prison et près de subir devant le tribunal révolutionnaire un jugement qui, selon toute probabilité, devait être un arrêt de mort, – Latreille aperçoit un jour dans son cachot une nécrobie à collier roux, un petit coléoptère qui, comme son nom l’indique, ne se nourrit que de cadavres. Aussitôt l’entomologiste oublie tout, jusqu’à l’échafaud, pour ne plus songer qu’à sa trouvaille.

Il en parle avec enthousiasme au médecin des prisons, et le prie de remettre de sa part ce précieux échantillon « à quelqu’un qui soit digne de l’apprécier ». Le médecin porte l’insecte à Bory de Saint-Vincent. Celui-ci, en apprenant le danger de Latreille, met ses amis en campagne et parvient à obtenir du proconsul Tallien l’élargissement de son confrère. Un autre que Latreille eût écrasé l’innocente bête, qui fut pour lui un instrument de salut, et dont il ne parlait plus, dans la suite, qu’avec reconnaissance. « Cet insecte m’est bien cher, dit-il dans son grand ouvrage Genera crustaceorum et insectorum ; car dans ces temps malheureux où la France gémissait, accablée de toutes les calamités à la fois, avec l’aide amicale de Bory de Saint-Vincent et de Dargelas, de Bordeaux, ce petit animal fut, par une circonstance miraculeuse, l’occasion de mon salut et de ma liberté. »

Il avait pris pour épigraphe de ce même ouvrage la phrase latine suivante, empruntée à la Faune suédoise de Linné : Quod alii venationibus, confabulationibus, tesseris, chartis, lusibus, compotationibus insumunt, illud ego tempus insectis indagandis, colendis, contemplandis impendo.

Il faut bien que les insectes aient quelque chose d’intéressant, pour que des Linné et des Latreille, qui certes n’étaient pas de petits esprits, aient préféré le plaisir de les étudier à tous ceux que le commun des hommes recherche avec tant d’avidité. Je pourrais ajouter à ces exemples celui d’un des plus éminents écrivains de ce siècle, qui a su trouver dans l’Insecte le sujet d’un livre émouvant, dramatique, presque d’un poème. Sachons donc, nous aussi, surmonter des répugnances puériles, d’orgueilleux mépris, et ne craignons pas d’entrer en commerce avec ce peuple étrange, d’organisation à part, de mœurs actives et laborieuses. Qui sait si, une fois familiarisés avec lui, mieux instruits de ses faits et gestes, nous ne le quitterons pas avec regret ?

CHAPITRE IIUn peu d’anatomie et de physiologie

À première vue, on se fait de l’organisation des insectes une idée très incomplète, partant très fausse. On analyse assez aisément leur structure extérieure (je parle des insectes complets et d’une certaine taille). On distingue leur tête, leur thorax, leur abdomen, leurs pattes et leurs ailes. En y regardant de près, on aperçoit leurs yeux et leur bouche : cette dernière, en général, très compliquée. Mais on se demande comment tout cela fonctionne et vit. Écrasez un insecte, vous voyez sortir de son corps une sorte d’humeur épaisse, de couleur indécise ; à peine pouvez-vous croire que ce soient là des viscères, des intestins, des muscles, un ensemble d’appareils digestifs, sensitifs, circulatoires, respiratoires, locomoteurs. Tout cela cependant existe bel et bien. Les insectes ont même un squelette. Seulement il se confond chez eux avec la peau. C’est, comme chez les crustacés, un squelette extérieur, quelquefois flexible et mou, mais le plus souvent de consistance dure et cornée, couvrant l’animal d’une armure solide, admirablement composée et articulée, qui laisse au corps et aux membres toute leur souplesse et leur élasticité. C’est à cette division de leur charpente en un certain nombre d’anneaux s’emboîtant les uns dans les autres, que les insectes doivent leur nom. Leur corps est partagé en trois segments principaux : la tête, le thorax et l’abdomen.

La tête paraît faite d’une seule pièce ; mais elle se compose en réalité de plusieurs petits anneaux, plus ou moins exactement soudés ensemble. Elle porte d’ailleurs trois sortes d’organes très importants, sur lesquels je reviendrai tout à l’heure : les yeux, les antennes et les appendices buccaux.

Le thorax, région moyenne du corps, est formé de trois anneaux, souvent difficiles à distinguer. L’anneau antérieur est appelé prothorax ; le moyen, mésothorax ; le postérieur, métathorax. À la partie inférieure de chacun de ces anneaux est fixée une paire de pattes. Les ailes sont attachées à la partie supérieure du mésothorax et du métathorax, ou du mésothorax seul.

L’abdomen est ordinairement la partie la plus volumineuse du corps de l’insecte. En tout cas, c’est celle qui comprend le plus grand nombre d’anneaux, puisque ce nombre s’élève quelquefois jusqu’à neuf. Son extrémité postérieure porte souvent des appendices qui sont pour l’animal tantôt des organes supplémentaires de locomotion, tantôt des armes offensives, tantôt de véritables instruments de travail.

Les insectes ont des sens fort développés. Ils sont notamment très bien partagés sous le rapport des organes de la vision. Leurs yeux sont de deux espèces : simples et composés. Les yeux simples sont appelés aussi stemmates, ocelles, et encore yeux lisses, par opposition aux yeux composés ou à réseau, qui présentent des facettes très nombreuses. Ces facettes correspondent à autant de tubes, dont chacun est véritablement un œil distinct, qui ne reçoit que les rayons lumineux parallèles à son axe. Le nombre des tubes accolés dont se compose, par exemple, l’œil du hanneton, est de neuf mille. Chez quelques espèces, il dépasse, dit-on, quinze mille. Certains insectes, tels que les coléoptères, n’ont que des yeux composés ; d’autres, tels que les hémiptères, ont à la fois des yeux lisses et des yeux à facettes.

Il ne paraît pas douteux que l’ouïe et l’odorat existent chez les insectes ; mais les organes de ces sens ne sont pas exactement déterminés. Plusieurs anatomistes pensent que l’ouïe et l’odorat ont également leur siège dans les antennes. Ces organes sont généralement placés en avant et au-dessus de la bouche. Ils jouissent d’une extrême mobilité, due à la multiplicité des pièces dont ils sont composés. Leur forme et leurs dimensions sont d’ailleurs très variables. Les antennes sont tantôt droites, tantôt coudées ou brisées. Dans l’un et l’autre cas, elles peuvent être filiformes, c’est-à-dire partout de même épaisseur ; sétacées, ou terminées en pointe ; claviformes, ou en massue, c’est-à-dire terminées par des articles plus gros ; dentées en scie ou en peigne ; plumeuses foliacées, etc. Très courtes chez quelques espèces, elles atteignent chez d’autres une longueur démesurée. Certains coléoptères de grande taille, tels que l’énoplocère épineux, l’acrocine longimane, l’omacanthe géant, sont surtout remarquables par l’énorme longueur de leurs antennes.

Omacanthe géant (2/3 de grandeur naturelle)

C’est encore dans les antennes, et aussi dans les pattes et dans les palpes, que réside le sens du toucher. Les palpes font partie des appendices buccaux ; car la bouche est, chez les insectes, un organe très complexe. Sa conformation diffère selon le mode d’alimentation de l’animal. On a divisé, sous ce rapport, les insectes en deux classes : celle des broyeurs, et celle des suceurs. Chez les premiers, la bouche est destinée à couper, à mâcher les substances dont l’animal se nourrit. Les pièces dont elle se compose sont au nombre de six. Ce sont : le labre ou lèvre supérieure, la lèvre inférieure ou simplement la lèvre, les deux mandibules ou mâchoires. Aux mâchoires et à la lèvre inférieure s’attachent les palpes, qu’on distingue, pour cette raison, en palpes maxillaires et palpes labiaux, et dont l’insecte se sert pour prendre ses aliments et les maintenir tandis qu’il les broie avec ses mandibules. Les mâchoires prennent, chez quelques espèces, un développement extraordinaire, et se recourbent en pinces puissantes, dentelées et acérées, qui, pour des coléoptères d’ailleurs robustes et défendus par une solide cuirasse, tels que le macrodonte cervicorne et le lucane cerf-volant, sont des armes offensives redoutables.

Acrocine longimane (1/2 de grand. nat.)
Macrodonte cervicorne (2/3 de grand. nat.)

Chez les insectes suceurs ou haustellés (du latin haustellum, petite pompe), les appendices buccaux ont subi des modifications qui les rendent méconnaissables. Les mâchoires se sont prolongées de manière à constituer une sorte de trompe tubulaire, garnie souvent à l’intérieur de filaments aigus qui remplissent l’office de lancettes ; les autres pièces de la bouche, au contraire, se sont atrophiées, et n’existent plus qu’à l’état rudimentaire. Comme type des insectes suceurs on peut citer les papillons, dont la trompe très longue s’enroule à l’état de repos, et se déroule lorsque l’animal veut pomper le suc des fleurs. Les hyménoptères sont pourvus d’une trompe comme les haustellés ; mais leur labre et leurs mandibules sont les mêmes que chez les broyeurs, et leur servent soit à tuer les petits animaux dont ils sucent ensuite les humeurs, soit à diviser et à préparer les matériaux dont ils construisent leur nid. La plupart des insectes paraissent capables de sentir la saveur des corps ; on croit que l’intérieur de leur bouche est tapissé d’une membrane gustative.

Le tube intestinal des insectes s’étend dans toute la longueur du corps, et présente une structure assez compliquée. Tantôt il est droit, tantôt il forme des replis plus ou moins nombreux. Dans tous les cas, on y remarque des renflements et des rétrécissements successifs, que les entomologistes ont reconnus être des organes distincts, dont chacun a sa fonction spéciale.

C’est ainsi qu’on accorde aux insectes un pharynx ou arrière-bouche, un œsophage, trois estomacs, un gros intestin, etc., et jusqu’à des glandes salivaires ! On trouve en outre, à la partie inférieure de l’abdomen de certains insectes, d’autres organes sécréteurs, qui distillent une liqueur âcre et fétide. L’insecte lance au dehors cette liqueur ou l’introduit dans les piqûres qu’il fait avec son aiguillon, pour blesser ou tuer un ennemi ou une proie. « Les sécrétions des insectes sont très variées, disent MM. P. Gervais et Van Beneden. Certaines odeurs répandues par ces animaux sont dues à des follicules arrondis situés sous l’enveloppe cutanée. Les glandes anales de différents carabes donnent une liqueur explosive ; d’autres glandes sont phosphorescentes, comme celles des élaters et des lampyres ou vers luisants. La cire des abeilles est fournie par des cryptes placées sous leurs articles abdominaux ; celle des pucerons et des cochenilles transsude de toute la surface de leur corps. »

M. le docteur Chenu, dans sa grande Encyclopédie d’histoire naturelle, donne de très curieux détails sur la liqueur explosive des carabes du genre brachin. Ce genre compte plus de cent espèces, les unes petites, les autres d’assez grande taille. Les brachins vivent sous les pierres en sociétés parfois très nombreuses. « Ils ont, dit M. Chenu, la singulière propriété de lancer par l’anus, lorsqu’ils sont inquiétés, une vapeur blanchâtre, avec détonation, et qui laisse après elle une odeur forte et pénétrante, analogue à celle de l’acide nitrique. D’après l’expérience qu’on en a faite, cette liqueur est, en effet, très caustique, rougit le bleu de tournesol, et produit sur la peau la sensation d’une brûlure… » D’après M. Léon Dufour, le brachinus diplosor peut produire consécutivement jusqu’à douze décharges avec détonation.

L’appareil respiratoire des insectes diffère entièrement de celui des animaux vertébrés. Il est infiniment plus simple, et consiste en un système de tubes déliés appelés trachées, dans lesquels l’air pénètre par des orifices nommés stigmates et disposés de chaque côté de l’abdomen. On aperçoit dans certaines familles, notamment chez les orthoptères, des mouvements respiratoires ; on voit l’abdomen se dilater et se contracter alternativement, comme la poitrine des animaux supérieurs. « Les espèces qui volent le mieux, disent MM. P. Gervais et Van Beneden, sont celles dont la respiration montre le plus d’activité, et l’on voit certains de ces animaux se gonfler d’air au moment où ils vont prendre leur essor. »

Le sang des insectes est en général incolore ; quelquefois cependant il est verdâtre ; il est rouge dans les larves des chironomes. On a soutenu que ce sang ne circulait point Cuvier croyait que les trachées, pénétrant dans toutes les parties du corps, suffisaient à le vivifier sur place. Cependant Swammerdam, Malpighi et d’autres anatomistes du XVIIe siècle s’étaient déjà fait une idée suffisamment exacte de la circulation du sang dans le corps des insectes ; et depuis Cuvier, plusieurs observateurs, M. Carus entre autres, ont démontré que le célèbre naturaliste s’était trompé.

L’agent central du système circulatoire, le cœur, est un vaisseau qui règne sur toute la longueur du corps, et qu’on nomme le vaisseau dorsal. Ce vaisseau se termine en avant par une aorte dite céphalique, dans laquelle il chasse le sang. Celui-ci passe ensuite dans les espaces lacunaires laissés entre les organes, et forme plusieurs courants qui reviennent sur les côtés du corps d’avant en arrière, pénètrent aussi dans les organes appendiculaires, et rentrent dans le vaisseau dorsal par la partie postérieure de ce dernier. La circulation est plus active chez les larves que chez les sujets adultes. Quelques espèces ont des organes pulsatiles disséminés. (Van Beneden et P. Gervais.)

Fulgore porte-lanterne (2/3 de grand. nat.)

La circulation et l’oxygénation du sang chez les insectes sont assez actives pour dégager de la chaleur, qui devient sensible lorsque les individus sont réunis en grand nombre, comme, par exemple, les abeilles dans leurs ruches. Un autre phénomène plus remarquable et qu’on s’explique moins aisément, c’est la propriété phosphorescente dont plusieurs espèces sont douées, et qu’on pourrait peut-être appeler proprement une faculté, puisqu’elle semble, en maintes circonstances, dépendre de la volonté de l’insecte. C’est le cas de nos lampyres, auxquels le vulgaire donne le nom de vers luisants, et qui sont des coléoptères parfaitement caractérisés, dont le pouvoir lumineux ne se manifeste que lorsqu’ils sont à l’état d’insectes parfaits.

Les grandes cigales de l’Inde, de la Chine et de l’Amérique méridionale, les fulgores sont aussi des insectes ailés, que la nature a gratifiés du don de lumière, mais seulement pendant une partie de leur vie, qui n’est pas bien longue. La fulgore porte-lanterne est ainsi nommée parce que, au dire de plusieurs voyageurs, sa tête énorme et proéminente répand dans l’obscurité une lueur très vive. Cette grande cigale au corps peu élégant, à la tête difforme, est pourvue de larges ailes diaphanes, agréablement variées de jaune et de roux, avec une tache en forme d’œil à l’extrémité de chaque aile postérieure. C’est sans doute à la forme allongée de sa grande corne frontale que la fulgore porte-chandelle doit son nom. Cet insecte est propre à la Chine. Ses élytres sont vertes, tachées de blanc ; ses ailes sont jaunes à la base, et noires aux extrémités.

Fulgore porte-chandelle (grand nat.)

Il me reste, pour achever l’anatomie interne des insectes, à dire quelques mots de leur système nerveux. Ce système, qui est propre à tous les animaux articulés, offre plus d’analogie qu’on ne l’a cru longtemps avec celui des vertébrés. Il est sans doute beaucoup moins développé et moins centralisé ; on y retrouve cependant deux appareils distincts, dont l’un paraît être affecté à la vie animale ou de relation, et l’autre à la vie purement organique ou végétative.

Le premier consiste en une double série de ganglions reliés entre eux par des cordons longitudinaux. Les plus volumineux, qui ont leur siège dans la tête, donnent naissance à des cordons qui se rendent aux divers organes et appendices de cette partie de l’animal. Les pattes et les ailes sont mues par des filets qui partent des ganglions thoraciques. Le second appareil a son origine dans les gros ganglions cérébraux. Sa structure est analogue à celle du précédent, mais les ganglions qui le composent sont plus petits. Il se ramifie dans les divers organes internes, et principalement dans le système digestif.

Les organes locomoteurs des insectes sont, comme chacun sait, les pattes et les ailes. J’en ai indiqué plus haut la position. Les pattes sont formées de trois parties articulées entre elles : la hanche, la cuisse et la jambe ; plus une sorte de doigt appelé tarse, qui se termine ordinairement par deux crochets. Les ailes, habituellement au nombre de quatre, comme chez les névroptères, les hyménoptères, etc., – quelquefois de deux seulement, comme chez les diptères, se composent d’une double membrane, soutenue à l’intérieur par des nervures longitudinales ou ramifiées. Elles sont tantôt minces et transparentes, comme chez les hyménoptères, les névroptères, les diptères ; tantôt recouvertes, comme chez les lépidoptères, d’une poussière colorée. Dans beaucoup d’espèces à quatre ailes, les supérieures sont opaques et dures, et servent d’étui, de couverture aux deux autres (coléoptères). Ces ailes-étuis sont appelées élytres lorsqu’elles sont entièrement transformées, et hémilytres lorsque la partie supérieure seule est dure et opaque, et que la partie inférieure est restée molle et transparente. Chez les diptères, qui n’ont qu’une seule paire d’ailes, la paire absente est représentée par deux filets mobiles insérés sur le métathorax, et qu’on nomme balanciers.

La particularité, sans contredit, la plus curieuse de l’organisation des insectes, ce sont les changements, disons mieux, les révolutions qu’elle subit à trois reprises, chez la plupart d’entre eux. On peut dire que, dans le court espace de temps qui leur est accordé, – deux à trois ans pour les plus favorisés, – ils naissent et meurent deux fois. Entre la naissance proprement dite et les deux morts, l’une temporaire, l’autre définitive, auxquelles la nature les condamne, ils ont deux vies bien différentes : l’une obscure, triste, pénible, toute de labeur ; l’autre active aussi, mais gaie, joyeuse et facile. Entre les deux ils dorment ; ils se rendent spontanément à la nature, qui recommence en eux son travail, les refait, les métamorphose.

Dans l’œuf ce n’est pas encore la vie. L’animal sort de cette première enveloppe à l’état de larve, de ver, de chenille. Il rampe alors ou marche péniblement. Beaucoup, comme s’ils avaient conscience de leur laideur et de leur impuissance, se cachent, s’abritent sous la terre, se creusent des demeures inaccessibles, et vivent de racines, comme des anachorètes. D’autres se construisent des nids qu’ils ne quittent que la nuit pour aller chercher leur nourriture : grave affaire, car leur estomac a de terribles exigences. Leur voracité les rend incommodes et malfaisants, en même temps que la mollesse de leur tissu et l’absence d’armes offensives ou défensives les livre à la merci de leurs ennemis. Bref, beaucoup de peines et de dangers, et point de jouissances : ainsi peut se résumer cette première phase de leur existence, qu’ils doivent voir s’achever, j’imagine, sans de bien vifs regrets.