Les jardins : histoire et description - Arthur Mangin - E-Book

Les jardins : histoire et description E-Book

Arthur Mangin

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  • Herausgeber: DigiCat
  • Kategorie: Lebensstil
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2022
Beschreibung

Arthur Mangin's book, Les jardins : histoire et description, is a comprehensive study that delves into the history and detailed descriptions of various gardens. Mangin's writing style is characterized by its meticulous attention to detail, providing readers with a rich literary experience that transports them to the lush landscapes he describes. The book is a valuable resource for understanding the evolution of garden design and the cultural significance of gardens throughout history. Mangin's scholarly approach to the subject matter offers readers a deeper appreciation for the artistry and craftsmanship involved in creating these botanical masterpieces. Arthur Mangin, a renowned botanist and horticulturist, brings his expertise to the forefront in Les Jardins. His passion for gardens and dedication to botanical research are evident in the book's thorough exploration of garden history. Mangin's background in botany and natural history lends credibility to his work, making it a must-read for anyone interested in the intersection of nature, culture, and art. I highly recommend Les jardins : histoire et description to all lovers of botanical beauty and history. Mangin's insightful observations and detailed descriptions make this book a captivating read for anyone looking to learn more about the fascinating world of gardens.

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Arthur Mangin

Les jardins : histoire et description

 
EAN 8596547426134
DigiCat, 2022 Contact: [email protected]

Table des matières

PRÉFACE
LIVREI LES JARDINS DE L’ANTIQUITÉ
CHAPITREI INTRODUCTION–ÉLOGE DES JARDINS
CHAPITRE II LES JARDINS MERVEILLEUX–LES CHAMPS-ÉLYSÉENS –LE PARADIS DE MAHOMET
CHAPITRE III LES JARDINS MERVEILLEUX (SUITE) –L’ÉDEN –LA TERRE PENDANT L’AGE D’OR–L’ILE DE CALYPSO– LE JARDIN DES HESPÉRIDES –LE PARADIS DE QUETZALCOATL
CHAPITRE IV LES JARDINS PRIMITIFS–JARDINS ANCIENS DE LA CHINE ET DE L’INDE
CHAPITRE V PARADIS DES PERSES–JARDINS SUSPENDUS DE BABYLONE –LES JARDINS CHEZ LES JUIFS
CHAPITRE VI JARDINS ÉGYPTIENS
CHAPITRE VII JARDINS GRECS ET LATINS –UN JARDIN ROMAIN AU TEMPS D’AUGUSTE– JARDINS DE LA DÉCADENCE
LIVRE II LES JARDINS DU MOYEN AGE ET DE LA RENAISSANCE
CHAPITREI LE MOYEN AGE–MONASTÈRES ET CHATEAUX
CHAPITRE II LES JARDINS DE PARIS AU MOYEN AGE
CHAPITRE III LE CHATEAU ET LE JARDIN DE HESDIN –LA GALERIE AUX JOYEUSETÉS
CHAPITRE IV LES MORES D’ESPAGNE, LEURS PALAIS ET LEURS JARDINS L’ALHAMRA ET SES FONDATEURS: MOHAMMED-ABU-AL-HAMAR ET YUSUF-ABU-AL-HADJEDJ
CHAPITRE V JARDINS DE L’ALHAMRA: LE GÉNÉRALIFE; LES COURS INTÉRIEURES –L’ALCAZAR DE SÉVILLE– PALAIS ET JARDINS DE LA GALIANA; LÉGENDE DE LA GALIANA ET DE KARL LE GRAND
CHAPITRE VI LES JARDINS DE L’ANCIENNE AMÉRIQUE –LES JARDINS MEXICAINS–LES CHINAMPAS OU JARDINS FLOTTANTS LES JARDINS D’OR DE JAUJA–LES JARDINS DES INCAS
CHAPITRE VII LA RENAISSANCE –LES JARDINS EN ITALIE, AUX XV e ET XVI e SIÈCLES– ORIGINE DES JARDINS BOTANIQUES ET DES SERRES
CHAPITRE VIII LA RENAISSANCE EN FRANCE –FRANÇOIS I er – CHATEAUX ET JARDINS FRANÇAIS DE LA RENAISSANCE CHAMBORD–FONTAINEBLEAU
CHAPITRE IX CHATEAUX ET JARDINS FRANÇAIS DE LA RENAISSANCE (SUITE) SAINT-GERMAIN-EN-LAYE–MADRID–BLOIS –RAMBOUILLET–MONTARGIS–CHENONCEAUX– AZAY-LE-RIDEAU
CHAPITRE X CHATEAUX ET JARDINS DE LA RENAISSANCE (SUITE) ANET–LES TUILERIES –LE COURS-LA-REINE–LE LUXEMBOURG– RICHELIEU
CHAPITRE XI COUP D’ŒIL GÉNÉRAL SUR LES JARDINS ET SUR L’HORTICULTURE PENDANT LA RENAISSANCE –LES MAITRES DE L’ART– LES MOLLET–BERNARD PALISSY OLIVIER DE SERRES
LIVRE III LES JARDINS FRANÇAIS–LES JARDINS ANGLAIS
CHAPITREI ANDRÉ LE NOTRE
CHAPITRE II LES TUILERIES ET LES JARDINS DE PARIS SOUS LOUIS XIV –LA QUINTINIE–
CHAPITRE III VAUX–SCEAUX–MEUDON–CHANTILLY –SAINT-CLOUD–
CHAPITRE IV VERSAILLES
CHAPITRE V LES EAUX DE VERSAILLES–PIERRE DE FRANCINE –LE GRAND TRIANON–CLAGNY–
CHAPITRE VI MARLY
CHAPITRE VII LES JARDINS SYMÉTRIQUES EN EUROPE AUX DIX-SEPTIÈME ET DIX-HUITIÈME SIÈCLES –ANGLETERRE–HOLLANDE–ALLEMAGNE–ESPAGNE–ITALIE–
CHAPITRE VIII ORIGINE DES JARDINS ANGLAIS–LES JARDINS CHINOIS –WILLIAM KENT–
CHAPITRE IX LES JARDINS ANGLAIS DANS LES ILES BRITANNIQUES AU XVIII e SIÈCLE –TWICKENHAM–CLAREMONT–KENSINGTON–BLENHEIM– STOWE–KEW, ETC.
CHAPITRE X LES JARDINS ANGLAIS EN FRANCE AU XVIII e SIÈCLE –LE GOUT PASTORAL–R. DE GIRARDIN ET DELILLE–TIVOLI– MONTREUIL–L’ERMITAGE–ERMENONVILLE–MORFONTAINE –MÉRÉVILLE–GUISCARD–LE PETIT TRIANON– LA MUETTE–BAGATELLE–MONCEAUX–LA MALMAISON
CHAPITRE XI LES JARDINS ANGLAIS EN ALLEMAGNE ET EN RUSSIE AU DIX-HUITIÈME SIÈCLE –RHEINSBERG–SANS-SOUCI–VŒRLITZ–TZARKOE-SELO–PÉTERHOF–PAWLOWSK– GATCHINA–ORANIENBAUM–LA TAURIDE–NEU-WALDEGG –L’ARCADIE–PULHAVI–
LIVRE IV LES JARDINS DE NOS JOURS
CHAPITREI L’ART DES JARDINS AU XIX e SIÈCLE–LES THOUIN –PÉRILS ET TRIOMPHE DU STYLE PAYSAGER– PROGRÈS DE L’HORTICULTURE–LES PLANTES NOUVELLES –LES ANIMAUX–
CHAPITRE II LES JARDINS PARTICULIERS FRANÇAIS
CHAPITRE III JARDINS PARTICULIERS ÉTRANGERS –GRANDE-BRETAGNE ET IRLANDE–BELGIQUE– PAYS-BAS–RUSSIE–ALLEMAGNE–ITALIE
CHAPITRE IV LES JARDINS PUBLICS FRANÇAIS
CHAPITRE V LES JARDINS PUBLICS ÉTRANGERS–ILES BRITANNIQUES PAYS-BAS–BELGIQUE–ALLEMAGNE–RUSSIE
CHAPITRE VI LES JARDINS PUBLICS ÉTRANGERS (SUITE) –ITALIE ESPAGNE ET PORTUGAL–NOUVEAU MONDE
CHAPITRE VII LES JARDINS SCIENTIFIQUES FRANÇAIS
CHAPITRE VIII LES JARDINS SCIENTIFIQUES ÉTRANGERS –ILES-BRITANNIQUES–PAYS-BAS–BELGIQUE– ALLEMAGNE–ITALIE–BRÉSIL
CHAPITRE IX LES SERRES ET LES PLANTES DE SERRES

TOURS

ALFRED MAME ET FILS, ÉDITEURS

M DCCC LXVII

PRÉFACE

Table des matières

L’art des Jardins a été, plus qu’aucun autre peut-être, enseigné, discuté, célébré. C’est par centaines qu’il faudrait compter les volumes de tout format publiés seulement depuis un siècle, en France et à l’étranger, en prose et en vers, en langage technique et en style sentimental, sur cet art «innocent et doux» et sur les diverses spécialités qu’il embrasse. Mais personne encore ne s’est occupé d’en retracer l’histoire. Dans les ouvrages même les plus considérables, par exemple dans la grande Encyclopédie de Loudon, l’histoire des Jardins ne figure qu’à titre d’introduction, et sous une forme qui n’a rien d’attrayant ni de bien instructif.

J’ai donc entrepris une œuvre nouvelle, en étudiant, sous un point de vue trop négligé jusqu’ici, un sujet qui peut d’ailleurs passer pour rebattu.

Les amateurs de jardins, les horticulteurs ne doivent point chercher dans ce livre des instructions techniques sur le choix et l’emploi du terrain, la disposition des parterres et des bosquets, l’entretien, la ultiplication et la fabrication (le terme est reçu aujourd’hui, et il est exact) des fleurs, des plantes ornementales et potagères et des arbres fruitiers. Ces matières sont traitées dans un grand nombre d’ouvrages spéciaux et par des hommes spéciaux, avec une compétence que je ne possède point.

Ce que j’offre aux gens du monde, aux artistes, à tous les esprits curieux de connaître dans leurs développements successifs et sous leurs formes diverses les créations du génie de l’homme, ce sont des récits, des descriptions, et aussi quelques considérations que je puis bien appeler philosophiques; car l’histoire des Jardins a, comme toute autre, sa philosophie, sa moralité. Elle se rattache par des liens étroits à l’histoire des arts, des sciences, des institutions civiles, politiques et religieuses, des mœurs, de la civilisation en un mot, et, de plus, à l’ensemble des phénomènes inhérents au climat de chaque pays et à la nature de ses productions. D’où l’on voit que son champ est, en définitive, très-vaste, que ses aspects sont très-variés, et qu’un tel sujet peut bien, sans être épuisé à beaucoup près, remplir un gros volume.

Ma tâche était sans doute attrayante, mais néanmoins laborieuse. difficile et, en quelques points, très-délicate. Les matériaux que j’avais à employer se trouvaient en partie disséminés dans une multitude d’ouvrages et d’opuscules de toutes sortes, d’où j’ai dû les extraire «à grand renfort de besicles», à peu près comme les chercheurs d’or extraient de masses énormes de sable et de gravier le précieux métal objet de leur convoitise. J’ai partout, dans le cours de ce livre, cité scrupuleusement mes auteurs, et je puis, en conséquence, me dispenser de les nommer ici.

Une autre partie des matériaux n’existait, pour ainsi dire, qu’à l’état élémentaire: il fallait non-seulement les trouver, mais les découvrir, les dégager de leur gangue, les rectifier les uns par les autres. J’ai dû, pour cette partie ardue de mon travail, recourir aux lumières de plusieurs personnes vouées particulièrement, soit à la pratique de l’art des jardins ou à la science botanique, soit à la recherche assidue des curiosités historiques, et m’approprier les souvenirs des voyageurs et des touristes qu’il m’était permis d’interroger.

Je dois surtout de vifs remercîments, pour leur bienveillant concours, à MM. Barillet-Deschamps, Bühler aîné et Eugène Bühler, si justement célèbres comme architectes-paysagistes; à M. Houllet, le savant directeur des serres au Muséum d’histoire naturelle de Paris; à M. J. Lesage, voyageur agronome, qui a parcouru en observateur attentif presque toute l’Europe et une partie du nouveau monde; à M. Charles Durier, littérateur et touriste, qui a vu et bien vu les beaux jardins de la belle Italie; à M. H. Giacomelli, qui n’est pas seulement un dessinateur charmant, mais un véritable érudit en matière d’art; à M. Ferdinand Denis, qui m’a ouvert généreusement les trésors de son savoir, et a bien voulu révéler lui-même à mes lecteurs les merveilles disparues des jardins de l’ancienne Amérique.

Qu’il me soit permis enfin de ne pas omettre, dans l’expression de ma gratitude, mes excellents éditeurs et les artistes éminents auxquels ce livre doit, avec ses attraits extérieurs, une grande partie de son intérêt. Je me suis efforcé d’en faire une œuvre historique et littéraire: y ai-je réussi? Ce n’est pas moi qui puis le dire. Ils en ont fait, eux, une œuvre d’art. A ce titre du moins les Jardins n’auront à redouter, je l’espère, ni les jugements sévères, ni l’indifférence du public.

ARTHUR MANGIN.

Paris, février1867.

LIVREILES JARDINS DE L’ANTIQUITÉ

Table des matières

CHAPITREIINTRODUCTION–ÉLOGE DES JARDINS

Table des matières

SI j’avais à définir les jardins, je dirais qu’ils sont le chef-d’œuvre du génie de l’homme, inspiré par le chef-d’œuvre de la nature. En effet, soit que l’on considère les jardins naturels ou les jardins artificiels, on voit que ce qui constitue les uns et les autres n’est rien de moins que l’harmonieux assemblage des objets les mieux faits pour charmer nos sens et plaire à notre esprit.

J’appelle jardins naturels ces paysages, ces sites pittoresques, qui revêtent, selon les contrées et les climats, les caractères les plus variés: ici riants et coquets; là sauvages et grandioses; partout formés des mêmes éléments: l’azur du ciel, les feux du soleil, les contours argentés ou dorés des nuages, les collines ondoyantes ou les montagnes abruptes, les eaux, les prés fleuris, les arbres couverts de feuilles, les oiseaux au brillant plumage, au gazouillement joyeux. Or chacune de ces choses, prise isolément, nous ravit de plaisir et d’admiration. Qu’est-ce donc lorsqu’elles sont réunies dans un tableau qu’on dirait composé par un artiste sans rival, et qui nous montre à la fois toutes les merveilles de la création!

Ai-je besoin maintenant de démontrer qu’en perfectionnant, en embellissant encore ce que la nature elle-même avait fait de plus beau, l’art a réalisé à son tour la plus heureuse de ses conceptions? Il me suffira d’invoquer ici le consentement universel, juge irrécusable en pareille matière. Et j’entends par consentement universel, non l’opinion, toujours suspecte, du plus grand nombre, mais un sentiment unamime, d’autant plus affirmatif qu’il est plus réfléchi et plus éclairé.

Interrogeons les habitants des campagnes. Il n’est pas un paysan qui ne tienne au petit carré de terre où il cultive quelques pieds de fleurs et quelques arbres fruitiers, presque autant qu’au champ qui le fait vivre. La villa du bourgeois aisé n’aurait point de raison d’être si elle n’était entourée d’un jardin. On en peut dire autant du château, depuis que les châteaux ont cessé d’être des forteresses pour devenir des habitations de plaisance. Le château, comme toute maison de campagne, emprunte sa plus grande valeur au jardin ou au parc qui l’environne. C’est dans cette partie de son domaine que l’homme de goût se complaît; c’est à l’embellir qu’il met tous ses soins et qu’il n’épargne point la dépense; c’est là qu’il se sent libre et heureux et qu’il savoure dans leur plénitude les priviléges de l’aisance ou de la richesse. Et si j’osais emprunter le langage des mathématiciens pour exprimer ma pensée, je dirais que, dans une résidence champêtre bien entendue, la magnificence des jardins doit être au moins en proportion géométrique avec celle des édifices; ce qui signifie qu’un grand château avec un jardin de peu d’étendue ou médiocrement planté serait une anomalie, tandis qu’on ne sera jamais choqué de rencontrer une habitation modeste au milieu d’un vaste enclos plein de verdure et de fleurs. En d’autres termes encore, le jardin est le principal, la maison est l’accessoire, ou, si l’on veut, le pis-aller. On y rentre le soir le plus tard possible, et le matin, on n’a rien de plus pressé que d’en sortir. Le sommeil, les repas, des occupations indispensables, le mauvais temps,–ce qui se traduit par ce mot fatal, la nécessité, a seul le pouvoir de vous rappeler dans les appartements; encore faites-vous en sorte de ne point perdre de vue le jardin; et dès que vous le pouvez, vous vous échappez pour y retourner. Le jardin est le vrai temple de l’hospitalité. Quel salon peut lui être comparé? Quelles tentures, quel ameublement valent ces corbeilles de fleurs, ces rideaux de verdure, ces tapis de gazon? Un visiteur nouveau survient-il, votre premier plaisir comme votre premier devoir est de lui faire les honneurs du jardin, de le promener dans les allées, dans les serres, autour de la pièce d’eau, de lui faire admirer, des points culminants, les campagnes environnantes. Et si ce visiteur est un convive, vous vous gardez bien de le retenir à l’intérieur après le déjeuner ou le dîner. Le café ne se prend pas ailleurs qu’au jardin, tout au moins sur la terrasse ou sous la vérandah.

O fortunatos nimium, sua si bona norint...

Heureux s’ils savent apprécier les bienfaits de la fortune, heureux ceux qui possèdent un jardin, fût-il des plus modestes, lorsque ce jardin a pour cadre la campagne même le jardin de la naturel! Ceux-là sont un objet d’envie pour le citadin. Heureux: ce dernier–heureux relativement–si le Ciel lui permet d’habiter une de ces villes que n’étrangle pas une étroite ceinture de murailles, et dans lesquelles la population accumulée n’oblige pas d’honnêtes gens à s’empiler les uns au-dessus des autres afin d’économiser le terrain. Là encore chaque famille a pour elle sa maison, et avec la maison un jardin proportionné à ses ressources. Mais ce qui est de règle et, pour ainsi dire, de droit commun dans ces charmantes cités, devient l’exception dans les grandes fourmilières où la politique, l’industrie, le commerce attirent et retiennent captive lu foule besogneuse des gens en place, des solliciteurs, des spéculateurs, des négociants, des fabricants, des ouvriers et des mendiants. Ici les jardins privés disparaissent rapidement pour faire place à des rues, à des boulevards, à des constructions énormes et uniformes.

«Telle est, dit Loudon dans l’introduction de son Traité sur la formation et l’amélioration des résidences champêtres, telle est la supériorité des occupations et des plaisirs de la campagne, que le commerce, l’industrie, les grandes agglomérations d’hommes et les cités populeuses peuvent être justement déclarées contre nature.» Cependant la nature ne perd point ses droits, ni les jardins leur irrésistible prestige. Savez-vous, en effet, quelle est la pensée qui anime et soutient tous ces gens rivés à la chaîne d’un travail ingrat et dévorant? Eh! oui, vous le savez, lecteur; car cette pensée est la vôtre, si pour votre malheur vos intérêts vous forcent à vivre à Paris ou à Lyon, à Londres ou à Manchester, à New-York ou à Boston. Cette pensée, c’est de gagner quelques mille francs de rente et de se retirer en province, à la campagne. quelque part où il y ait du soleil, de l’air et de la verdure, et d’y «planter ses choux,» c’est-à-dire d’y cultiver un jardin. Du plus riche au plus pauvre, du plus humble au plus élevé en dignité, chacun en est plus ou moins tourmenté. «Il est évident, dit encore Loudon, que de tels sentiments sont innés dans l’esprit humain. Tous les hommes, même ceux qui sont nés dans les villes, ont les mêmes idées, qui, si elles ne sont pas oblitérées par la misère ou la maladie, les poursuivent durant tout le voyage de la vie.» On sait l’histoire de l’empereur Dioclétien qui, descendu du trône le plus puissant qui fut jamais et réfugié dans une humble retraite, repoussait avec effroi ceux qui venaient le supplier de reprendre la pourpre. «Ah! s’écriait-il, si vous voyiez les belles laitues que je cultive dans mon jardin, vous ne me parleriez plus du pouvoir suprême!»

Ce n’est pas tout: si fières que soient les grandes villes de leurs édifices publics, de leurs églises, de leurs palais, de leurs théâtres, leurs plus beaux joyaux, ceux dont elles font le plus de cas et qui excitent le plus l’admiration des étrangers, ce sont les grands jardins dont elles ont été dotées par la munificence des princes ou par la sollicitude intelligente de leurs édiles.

L’immense majorité des Parisiens connaît à peine les monuments et les musées de Paris, et s’en soucie fort peu. Il n’en est pas un qui n’affectionne son jardin:–chacun appelle ainsi celui qui est le plus près de sa demeure.–Hiver comme été, dès qu’un rayon de soleil illumine la grand’ville, les jardins des Tuileries, du Luxembourg, des Plantes, le bois de Boulogne, le parc de Monceaux et les squares nouvellement créés dans plusieurs quartiers se remplissent d’une foule joyeuse. La même chose se passe à Londres, et certainement à Vienne, à Saint-Pétersbourg, à Madrid; car toutes ces grandes capitales ont des jardins publics, objets de leur prédilection. Quand parut, vers la fin de1865, le décret qui autorisait l’administration municipale à livrer aux terrassiers et aux maçons une partie considérable des jardins du Luxembourg, ce ne furent pas seulement les habitants des rues environnantes, ce fut la population de Paris tout entière qui se sentit atteinte et qui protesta contre cette décision. La question du Luxembourg a occupé pendant plusieurs mois l’opinion publique et les grands pouvoirs de l’État, à l’égal des plus graves questions de politique intérieure ou extérieure. Je dirai plus loin comment elle a été résolue.

Otez à Paris ses monuments de pierre; supposez que les églises, les musées, les académies, les théâtres soient des bâtiments peu ou point différents, à l’extérieur, des maisons qui bordent les rues et les boulevards, et que le chef de l’État, au lieu d’avoir pour demeure un palais immense, se contente d’un hôtel confortable: Paris sera encore une des plus belles villes du monde; les sciences, les lettres, les arts, l’industrie, le commerce, continueront d’y fleurir, et la gaieté française, d’y régner comme auparavant. Mais supposez que quelque mauvais génie changeant un beau jour en démence la sagesse du gouvernement, lui inspire l’idée de remplacer partout les jardins par des rues ou des places pavées ou macadamisées, avec des trottoirs de bitume, des colonnes à gaz et des maisons à cinq étages. Plus de Tuileries ni de Champs-Élysées, ni de Luxembourg, ni de Jardin des Plantes, ni de squares; plus d’arbres, plus de fleurs, plus de verdure! Évidemment le séjour de Paris deviendrait impassible. Ea peu d’années, l’ennui, le spleen, la démoralisation, la désertion, peut-être des maladies inconnues jusque-là transformeraient en un désert cette reine des cités. Le monarque lui-même, fut-il un Louis XI, qui aurait accompli cette abomination, ne voudrait pas rester quinze jours aux Tuileries. La cour, les ministères, les chambres émigreraiemt en masse à Versailles, qui redeviendrait, comme au siècle dernier, la capitale effective de l’empire! Là, du moins, on retrouverait ces jardins auxquels la ville de Louis XIV doit de subsister encore à l’état de chef-lieu de départememt, et qui, plus que son splendide musée, y attirent les Parisiens et les étrangers. Je dis Versailles comme je dirais Saint-Germain, ou Saint-Cloud, ou Fontainebleau; mais à coup sûr, c’en serait fait de Paris.

Delille, qui a si bien chanté les jardins, s’est rendu coupable d’une sorte d’hérésie en les définissant «le luxe de l’agriculture.» Quoi! rien de plus? Mais les jardins sont le luxe par excellence, le luxe universel, le luxe du pauvre et celui du riche, des simples citoyens et des potentats, des individus et des nations; et ils sont encore bien plus le luxe des villes que celui des campagnes, et des peuples civilisés que des peuples primitifs. Le nombre, l’étendue, l’arrangement, la culture des jardins privés et des jardins publics donnent la mesure exacte du degré de prospérité d’un État, de la sagesse de ses institutions, de l’aisance et de la moralité des citoyens, de leur goût, de leurs lumières et du degré de faveur qu’ils accordent aux sciences, ou* lettres et aux arts. J’aurai l’occasion de revenir sur ces considérations, et de montrer partout l’art des jardins progressant et se propageant avec la civilisation, avec la liberté, avec la richesse, avec la paix au dehors et la concorde au dedans, en un mot, avec tout ce qui fait vraiment la gloire et le bonheur des nations.

Parmi les châteaux dont je disais plus haut qu’ils ne sauraient exister sans jardins, il faut comprendre les châteaux en Espagne, ces demeures imaginaires que la fée du logis, d’un coup de sa baguette, fait surgir à nos yeux quand nous rêvons tout éveillés, et qui sont les seuls où rien ne manque de ce qui peut flatter nos goûts et satisfaire nos moindres caprices. J’affirme hardiment que tout château en Espagne a son jardin, petit ou grand selon l’ambition de l’architecte.

J’en appelle à vous tous qui me lisez. A moins que, dès votre enfance, la Fortune n’ait épanché sur vous les trésors de sa corne d’abondance, et jonché de fleurs devant vos pas les chemins de la vie, vous avez fait plus d’une fois des châteaux en Espagne; vous avez rêvé pour votre jeunesse, votre âge mûr ou votre vieillesse, un palais, une maison, une chaumière où vous vivriez à votre guise, oisif ou livré au travail, dans le silence de l’isolement ou parmi les doux bourdonnements d’êtres chéris, ou encore au milieu des fêtes et des plaisirs bruyants. Eh bien! n’est-il pas vrai que cette demeure vous est toujours apparue avec un joli jardin, sinon même avec un grand parc, dont les allées, les bosquets et les plates-bandes vous étaient aussi familiers que si vous les eussiez parcourus cent fois?.......

On a vu par le monde certains philanthropes qu’on a nommés utopistes, parce qu’ils passaient leur vie à bâtir des châteaux en Espagne, non pour eux, mais pour l’humanité (utopie et château en Espagne sont des expressions équivalentes). Ces honnêtes gens ont construit sur le papier des cités idéales, où les hommes, unis sous la sainte loi de la fraternité, doivent goûter un bonheur parfait. De vastes jardins bien ombragés et bien fleuris occupent la place d’honneur sur les plans de ces communes-modèles, de ces phalanstères, dont les hôtes fortunés les cultiveront en chantant des hymnes à la Nature. C’est là que les cénobites de l’avenir se reposeront de leurs travaux, et que, couronnés de fleurs, ils célébreront les fêtes de la famille et de la patrie nouvelle. J’affirmerais volontiers que la perspective de posséder un jardin, même en participation avec quelques centaines d’associés, a gagné aux écoles socialistes de nombreux. adeptes parmi les malheureux plébéiens des grandes villes, condamnés à vivre dans des logements sans air, sans lumière, sans soleil, et à entretenir furtivement sur le rebord de leur lucarne un rosier et une giroflée. Si les bonnes gens des petites villes et les paysans ont été moins empressés de se ranger sous la bannière des réformateurs, c’est qu’ayant à eux des jardins qu’ils arrangeant à leur guise, et au delà de ces jardins la campagne, ils se souciaient médiocrement d’échanger de tels avantages contre les bienfaits de la communauté égalitaire en de la phalange harmonienne.

Le prestige des jardins est tel, qu’il se fait sentir jusque dans les choses les plus ordinaires de la vie. Combien d’établissements publics ou privés qui, soit dit e. passant, ne sont pas sans analogie avec les communautés et les phalanstères: hospices, couvents, maisons de santé, de retraite ou d’éducation, casinos, pensions bourgeoises, hôtelleries, asiles ouverts à la douleur, à la piété, à la vieilesse, écoles pour l’enfance, lieux de repos pour les voyageurs ou de plaisir pour les oisifs et les viveurs de tout étage,–et dont le principal mérite est de posséder un jardin!

Mais quoi! lorsque l’heure des adieux suprêmes a sonné, un dernier asile nous attend, et cet asile est encore un jardin: triste jardin, il est vrai, avec sa bigarrure de pierres blanches et de croix noires ombragées par les longs rameaux du saule pleureur et par la cime rigide des cyprès. D’autres arbres au part plus dégagé, au feuillage moins sombre, et les fleurs que des mains pieuses cultivent alentour des tombeaux, viennent cependant tempérer la mélancolie de cette austère décoration. Le soleil, d’ailleurs, y projette ses rayons; les oiseaux y chantent au printemps; les papillons y voltigent; les roses, les œillets et les violettes y mêlent leurs effluves embaumées à la senteur résineuse des arbres verts. Et lorsque ceux qui sont demeurés viennent apporter à ceux qui sont partis le tribut de leurs souvenirs et de leurs larmes, cet épanouissement de la vie sur la terre des morts les raffermit et les console. Ils se persuadent que quelque chose des êtres aimés qui dorment là a passé dans la séve des arbres et dans le parfum des fleurs; et le murmure du vent, le chant de l’oiseau, le frémissement de l’insecte, leur semblent autant de voix qui disent: La Mort n’est qu’un vain fantôme; la Vie est éternelle!

CHAPITRE IILES JARDINS MERVEILLEUX–LES CHAMPS-ÉLYSÉENS –LE PARADIS DE MAHOMET

Table des matières

IL est si vrai que les jardins symbolisent pour l’homme le beau et le bon dans leur plus haute expression et dans leur alliance la plus intime, que lorsque les voyants, les prophètes, les poëtes, les instituteurs des peuples ont voulu donner une idée du séjour de la félicité suprême, ils n’ont jamais imaginé autre chose qu’un jardin paré des merveilles de la nature et embelli par les chefs-d’œuvre de l’art. Toutes les mythologies antiques donnent pour demeure d’outre-tombe aux héros, aux sages, aux justes, des jardins. Les Champs-Élyséens des Grecs et des Latins ne sont pas autre chose. Virgile y fait descendre le pieux Énée, conduit par la sibylle, auprès de son père Anchise, pour s’entretenir avec lui des destinées futures de sa race. Le héros troyen traverse d’abord le sombre Ténare, où les méchants subissent la peine de leurs forfaits; puis il pénètre dans les lieux enchanteurs réservés aux âmes des gens de bien.

Devenere locos lætos et amœna vireta

Fortunatorum nemorum, sedesque beatas.

Là, sur de verts gazons, parmi des bois de myrtes et de lauriers, les Élyséens se livrent aux plaisirs de la palestre, de la lutte, de la danse, de la musique.

Pars in gramineis exercent membra palæstris,

Contendunt ludo, et fulva luctantur arena:

Pars pedibus plaudunt choreas, et carmina dicunt.

Ce sont ceux qui ont conservé leur innocence et servi modestement les dieux; ceux qui sont morts en combattant pour la patrie; ceux qui ont doté l’humanité d’arts agréables et d’industries utiles; ceux enfin qui ont laissé sur terre le souvenir de leurs bonnes actions.

Hic manus ob patriam pugnando vulnera passi,

Qui que sacerdotes casti dum vita manebat,

Quique pii vates et Phœbo digna locuti,

Inventas aut qui vitam excoluere per artes,

Quique sui memores alios fecere merendo.

Une partie du bienheureux séjour est réservée aux âmes qui, après avoir bu avec les eaux du fleuve Léthé l’oubli profond du passé, doivent revoir la lumière du jour et prendre part de nouveau aux luttes de la vie terrestre. Les Élyséens errent d’ailleurs à leur fantaisie dans leur immense domaine, inondé de lumière par un soleil et par dès astres qui lui sont propres;–on sait que, pour les anciens, les astres n’étaient que des flambeaux fixés à la voûte du ciel, et dont l’existence pouvait, par conséquent, se concevoir au-dessous aussi bien qu’au-dessus du sol que foulent les mortels.–A quoi bon des demeures, des abris, là où l’air est d’une éternelle sérénité, là où nul n’a rien à cacher de ses actes à ceux qui l’entourent? Lorsque Énée s’adresse au poëte Musée et lui demande en quel endroit il pourra trouver Anchise, il en reçoit cette réponse:

Nulli certa domus. Lucis habitamus opacis,

Riparumque toros et prata recentia rivis

Incolimus.

Des idées analogues touchant la destinée des âmes vertueuses après la mort se retrouvent chez la plupart des peuples de l’antiquité, et en particulier chez les Égyptiens, à qui les Grecs avaient emprunté leurs principaux mythes. Toutefois des dogmes empreints d’un caractère plus spiritualiste semblent avoir dominé de tout temps dans une grande partie de l’Orient. La métempsycose des Hindous ne présente elle-même les transmigrations des âmes que comme une série plus ou moins longue d’épreuves que le principe immatériel doit traverser, pour se purifier de plus en plus et retourner finalement au sein de la Divinité.

LES CHAMPS-ÉLYSÉENS

Ce que la religion des mages et l’idolâtrie sabéenne, qui étaient, avant la venue de Mahomet, les deux cultes les plus répandus parmi les Arabes, enseignaient de la vie future, était ou trop vague ou trop abstrait pour être goûté par ces barbares ignorants, farouches et sensuels. Aussi le prophète n’eut-il pas de peine à s’assurer leur dévouement en promettant son paradis à ceux qui suivraient sa loi et qui sauraient au besoin combattre et mourir pour elle. Rien, en effet, ne pouvait sembler plus enviable à de pauvres nomades errant à travers les sables arides du désert et sous les feux dévorants du soleil; et l’on conçoit que nul effort, nul sacrifice ne leur coûte pour mériter une telle récompense. On parle si souvent du paradis de Mahomet, que mes lecteurs me sauront peut-être gré de donner ici l’esquisse des félicités qui, d’après le Koran, attendent au delà du tombeau les fidèles musulmans. Je passe sur les festins interminables auxquels ils seront conviés, sur les costumes éblouissants dont ils seront revêtus, sur les prévenances dont ils seront l’objet de la part des légions de serviteurs auxquelles ils commanderont, et je m’arrête seulement aux merveilles du pays enchanté dont ils seront citoyens. La description qu’on va lire est empruntée aux Observations historiques et critiques sur le mahométisme, du savant orientaliste anglais G. Sale.

Selon les musulmans orthodoxes, le paradis est situé dans le septième ciel, immédiatement au-dessous du trône de Dieu; et, pour en exprimer l’aménité, ils disent que la terre en est de la plus fine farine de froment ou du musc le plus pur, eu, selon d’autres, de safran; que ses pierres sont autant de perles et d’hyacinthes; que les murailles de ses édifices sont enrichies d’or et d’argent; que le tronc de tous ses arbres est d’or, et qu’entre ces arbres le plus remarquable est l’arbre appelé Tûba, ou l’arbre du bonheur. Ils disent que cet arbre est dans le palais de Mahomet, mais qu’une de ses branches s’étendra dans la maison de chaque vrai croyant; qu’il sera chargé de grenades, de raisins, de dattes et d’autres fruits d’une grosseur surprenante et d’un goût inconnu aux mortels; de sorte que si quelqu’un désire manger d’un fruit d’une espèce particulière, il lui sera présenté sur-le-champ. Ils ajoutent que les branches de cet arbre s’abaisseront d’elles-mêmes vers les mains de ceux qui voudront cueillir ses fruits, et que non-seulement il fournira aux bienheureux leur nourriture, mais encore qu’ils y trouveront des habits de soie, des animaux sellés et bridés, couverts de riches harnais, pour leur servir de monture, et que cet arbre est si grand que le cheval le plus léger mettrait plus de cent ans à sortir de son ombre, quand il irait au galop.

L’abondance des eaux étant une des choses qui contribuent le plus à rendre un lieu agréable, le Koran parle souvent des rivières du paradis comme en faisant un des principaux ornements. Quelques-unes, dit-il, sont des rivières où coule de l’eau; dans quelques autres coule du lait; dans d’autres, du vin; dans d’autres, du miel. Toutes prennent leur source des racines de l’arbre Tûba. Deux de ces rivières sont l’Al Kanthar et la Rivière de vie; mais de crainte qu’elles ne soient pas suffisantes, le jardin est encore arrosé d’une infinité de sources et de fontaines, doit les cailloux ne sont que rubis et émeraudes, dont les lits sont de camphre et de musc, et les bords de safran. Les plus remarquables portent les noms de Sal-Sabil et de Tasnim.

Mais toute cette magnificence est effacée par l’éclat de ces ravissantes filles du paradis, appelées, à cause de leurs grands yeux noirs, Hûr al oyûn (dont, par corruption, nous avons fait Houris), et qui feront la principale félicité des fidèles. Elles ne sont pas, disent-ils, créées d’argile comme les femmes mortelles, mais de musc pur. Elles sont exemptes, comme le Prophète l’affirme souvent dans le Koran, de toutes les infirmités humaines; leur modestie égale leur beauté; elles ont pour gynécées des pavillons faits de perles creuses de telles dimensions, qu’une seule pourrait couvrir quatre parasanges (mesure de superficie en usage chez les Orientaux), ou soixante milles tant en longueur qu’en largeur. Des tentes de perles, de rubis et d’émeraudes seront aussi la demeure des croyants, dont chacun ne possèdera pas moins de soixante-douze femmes prises parmi les filles du paradis, sans préjudice de celles qu’il aura eues sur terre et qui lui seront fidèlement rendues avec tout l’éclat de la jeunesse.

«Le nom que les mahométans donnent ordinairement à cet heureux séjour, ajoute notre auteur, est al Djannat, ou le Jardin; quelquefois aussi Djannat al Jerdaws, le Jardin du Paradis; Djannat Eden, le Jardin d’Eden, quoiqu’ils interprètent communément le mot Éden, non suivant le sens du mot hébreu, mais selon la signi fication qu’il a en leur propre langue, dans laquelle il signifie: une habitation fixe ou perpétuelle; ils le nomment encore Djannat al Mawa, le Jardin de la retraite; Djannat al Naïm, le Jardin du plaisir; outre plusieurs autres noms semblables.»

CHAPITRE IIILES JARDINS MERVEILLEUX (SUITE)–L’ÉDEN –LA TERRE PENDANT L’AGE D’OR–L’ILE DE CALYPSO– LE JARDIN DES HESPÉRIDES –LE PARADIS DE QUETZALCOATL

Table des matières

LE christianisme a dégagé de toute volupté charnelle le bonheur des élus dans la Jérusalem céleste, et orsque la Bible parle de celui dont jouissaient avant leur désobéissance le premier homme et la première femme, elle ne le fait consister en rien de semblable aux voluptés insensées, aux orgies perpétuelles, au luxe extravagant du paradis musulman. Adam et Ève sont de chair et d’os comme nous; ils sont beaux; ils s’aiment d’un amour chaste et tendre, que ne troublent ni les soucis de la vie matérielle, ni les perplexités de l’âme; ils sont innocents plutôt que vertueux, puisqu’ils ignorent le mal, puisque rien autour d’eux ne peut le leur révéler, puisqu’une paix profonde règne parmi les créatures de Dieu. Ils ne sont point vêtus d’étoffes somptueuses, ils n’habitent point des palais de pierreries; ils ont pour voile leur chasteté inaltérée, pour palais la voûte azurée du ciel, pour abris des toits de feuillage. Leur demeure est un jardin, l’Éden, et c’est à le contempler, à le parcourir, à le cultiver, qu’en dehors des épanchements de leur gratitude envers le Créateur et de leur mutuelle tendresse, ils trouvent les joies les plus vives.

«God almighty first planted a garden, dit Bacon, and indeed it is the purest of human pleasures: Dieu tout-puissant a le premier planté un jardin; et, en vérité, c’est le plus pur des plaisirs humains.»

Un poëte du siècle dernier, un émule de Delille, s’exprime ainsi dans son poëme sur la Nature champêtre:

Lorsque Dieu, seul encore avec l’éternité,

Fit éclore du temps l’espace limité;

Lorsqu’il dit au néant: Existe, sois le monde,

11voyait déjà l’homme, et sa bonté féconde

Au roi qu’à l’univers destinait son amour

De l’Éden fortuné prépara le séjour.

De toutes les beautés ô céleste assemblage,

Éden, serait-ce à moi de peindre ton image?

Milton seul, empruntant d’immortelles couleurs,

Sut te peindre en des vers aussi purs que tes fleurs.

C’est donc à Milton et au plus célèbre, sinon au plus heureux de ses traducteurs, que j’emprunte la description du Paradis terrestre.

«... Satan poursuit sa route et approche de la limite d’Éden. Le délicieux paradis, maintenant plus près, couronne de son vert enclos, comme d’un boulevard champêtre, le sommet aplati d’une solitude escarpée; les flancs chevelus de ce désert, hérissé de buissons épais, capricieux et sauvages, défendent tout abord. Sur sa cime croissaient, à une insurmontable hauteur, les plus hautes futaies de cèdres, de pins, de sapins, de palmiers: scène sylvaine; et comme leurs rangs superposaient ombrages sur ombrages, ils formaient un amphithéâtre de forêts de l’aspect le plus majestueux. Cependant, plus haut encore que leurs cimes montait la muraille verdoyante du paradis... Et plus haut que cette muraille, qui s’étendait circulairement au-dessous de lui (de Satan, je suppose), apparaissait un cercle des arbres les meilleurs et chargé des plus beaux fruits. Les fleurs et les fruits dorés formaient un riche émail de couleurs mêlées; le soleil y imprimait ses rayons avec plus de plaisir que dans un beau nuage du soir, ou dans l’arc humide, lorsque Dieu vient d’arroser la terre.

L’ÉDEN.

«Ainsi charmant était ce paysage. A mesure que Satan s’en approche, il passe d’un air pur dans un air plus pur qui inspire au cœur des délices et des joies printanières, capables de chasser toute tristesse, hors celle du désespoir. De douces brises, secouant leurs ailes odoriférantes, dispensaient des parfums naturels, et révélaient les lieux auxquels elles dérobèrent ces dépouilles embaumées...

«Satan s’envola, et sur l’arbre de vie (l’arbre du milieu et le plus haut du paradis) il se posa semblable à un cormoran... Au-dessous de lui, avec une nouvelle surprise, dans un étroit espace, il voit renfermée pour les délices des sens de l’homme toute la richesse de la nature; ou plutôt il voit un ciel sur la terre, car ce bienheureux paradis était le jardin de Dieu, par lui-même planté à l’orient d’Éden... Sur ce sol agréable Dieu traça son plus charmant jardin; il fit sortir de la terre féconde les arbres de la plus noble espèce pour la vue, l’odorat et le goût. Au milieu d’eux était l’arbre de vie, haut, élevé, épanouissant son fruit d’ambroisie et d’or végétal. Tout près de la vie, notre mort, l’arbre de la science croissait...

«Au midi, à travers Éden passait un large fleuve: il ne changeait pas de cours, mais sous la montagne raboteuse il se perdait engouffré; Dieu avait jeté cette montagne comme le sol de son jardin élevé sur le rapide courant. L’onde, à travers les veines de la terre poreuse qui l’attirait par une douce soif, jaillissait, fraîche fontaine, et arrosait le jardin d’une multitude de ruisseaux. De là ces ruisseaux réunis tombaient d’une clairière escarpée et rencontraient au-dessous le fleuve, qui ressortait de son obscur passage; alors, divisé en quatre branches principales, il prenait des routes diverses, errant par des pays et des royaumes fameux, dont il est inutile ici de parler.

«Disons plutôt, si l’art le peut dire, comment, de cette fontaine de saphir, les ruisseaux tortueux roulent sur des perles orientales et des sables d’or; comment, en sinueuses erreurs sous les ombrages abaissés, ils épandent le nectar, visitent chaque plante et nourrissent des fleurs dignes du paradis. Un art raffiné n’a point arrangé ces fleurs en couches ou en bouquets curieux; mais la nature libérale les a versées avec profusion sur la colline, dans le vallon, là où le soleil du matin échauffe d’abord la campagne ouverte, et là où le feuillage impénétrable rembrunit à midi les bosquets.

«Tel était ce lieu; asile heureux et champêtre, d’un aspect varié; bosquets dont les arbres riches pleurent des larmes de baumes et de gommes parfumées; bocages dont le fruit, d’une écorce d’or poli, se suspend aimable et d’un goût délicieux. Fables vraies de l’Hespérie, si elles sont vraies, c’est seulement ici. Entre ces bosquets sont interposés des clairières, des pelouses rases, des troupeaux paissant l’herbe tendre, ou bien des monticules plantés de palmiers s’élèvent; le giron fleuri de quelque vallon déploie ses trésors: fleurs de toutes couleurs, et la rose sans épines.

«D’un autre côté sont des antres et des grottes ombragées qui servent de fraîches retraites; la vigne, les enveloppant de son manteau, étale ses grappes de pourpre, et rampe élégamment opulente. En même temps les eaux sonores tombent de la déclivité des collines; elles se dispersent, ou, dans un lac qui étend son miroir de cristal à un rivage dentelé et couronné de myrtes, elles unissent leurs cours. Les oiseaux s’appliquent à leur chœur; des brises, de printanières brises, soufflant les parfums des champs et des bocages, accordent à l’unisson les feuilles tremblantes, tandis que l’universel Pan, dansant avec les Grâces et les Heures, conduit un printemps éternel.»

Il faut convenir que Pan, les Grâces et les Heures arrivent assez inopinément dans le Paradis terrestre. Ceci nous met en plein paganisme, et nous fournit l’occasion de remarquer que la mythologie grecque a aussi son Éden. Sous le règne du vieux Saturne, à cette époque heureuse que les poëtes ont nommée l’Age d’or, temps de paix, d’innocence et de félicité sans mélange, les hommes, ignorant les arts de la civilisation, en ignoraient aussi les vices et les fléaux; tout souriait autour d’eux, et la terre n’était qu’un immense et délicieux jardin, où régnait un éternel printemps. Ovide a peint en quelques traits de son pinceau magistral cet âge fortuné où d’eux-mêmes, sans lois, sans, tribunaux, sans armées, les hommes vivaient fraternellement; la misère et la richesse, la crainte et l’ambition leur étaient inconnues.

Mollia securæ peragebant otia gentes;

Ipsa quo que immunis, rastroque intacta, nec ullis

Saucia vomeribus, per se dabat omnia tellus;

Contentique cibis nullo cogente creatis,

Arbuteos fœtus, montanaque fraga legebant,

Gornaque, et in duris hærentia mora rubetis,

Et quæ deciderant patula Jovis arbore glandes.

Ver erat seternum, placidique tepentibus auris

Mulcebant Zephyri natos sine semine flores;

Mox etiam fruges tellus inarata ferebat,

Nec renovatus ager gravidis canebat aristis.

Flumina jam lactis, jam flumina nectaris ibant,

Flavaque de viridi stillabant ilice mella.

Avant de quitter le domaine de la fiction, jetons encore un coup d’œil sur quelques-uns des jardins que les poëtes ont donnés pour demeures aux divinités terricoles. Les îles de Chypre et de Cythère, où la blonde Aphrodite aimait à se retirer avec son fils Éros, en compagnie des Grâces, des Ris et des Jeux, étaient de délicieux jardins, où fleurissaient les myrtes, les rosiers et mille autres plantes parfumées. L’île de Calypso, dont les délices ne purent faire oublier au sage Ulysse son aride rocher d’Ithaque, non plus que la beauté de la Nymphe ne put effacer de son cœur le souvenir de la fidèle Pénélope, cette île était encore une sorte de paradis, un jardin d’où un homme moins vertueux que le fils de Laërte ne se fût pas arraché sans d’amers regrets.

«Mercure touche à l’île éloignée, dit Homère, et, s’élevant du noir domaine des mers sur la rive, marche vers la grotte spacieuse qu’habitait la belle Nymphe. Elle était dans sa demeure. La flamme éclatante de grands brasiers y consumait le cèdre et le thym odorants, et ces parfums se répandaient dans l’île. Tandis que, formant un tissu merveilleux, la déesse faisait voler de ses mains une navette d’or, la grotte retentissait des sons harmonieux de sa voix. Cette demeure était environnée d’une antique forêt toujours verte, où croissaient l’aune, le peuplier, le cyprès qui embaume l’air. Là, au plus haut de leurs branches, avaient bâti leurs nids les rois du peuple ailé, l’épervier impétueux, l’oiseau qui fend les ombres de la nuit, et la corneille marine qui, poussant jusqu’au ciel sa voix bruyante, se plaît à parcourir l’empire d’Amphitrite. Une vigne fertile étendait ses pampres beaux et flexibles sur tout le contour de la vaste grotte, et brillait de longues grappes de raisin. Quatre fontaines voisines roulaient une onde argentée, et, se séparant et formant divers labyrinthes sans se confondre, allaient au loin la répandre de toutes parts. Et l’œil, tout alentour, se perdait dans de vastes prairies où l’on reposait mollement sur un doux gazon émaillé par la violette et les fleurs les plus aromatiques. Telle était la beauté de ces lieux, qu’un dieu même ne pouvait s’y rendre sans arrêter ses pas, saisi d’un charme ravissant.»

On se rappelle qu’un des douze travaux d’Hercule fut d’enlever les pommes d’or du jardin des Hespérides; ce qui signifierait, d’après certains auteurs, que le héros grec aurait le premier acclimaté les orangers en Grèce. Selon la Fable, ces fameuses pommes d’or avaient été données par Junon à Jupiter, le jour de son mariage avec le père des dieux et des hommes. Les Hespérides, à qui celui-ci les avait confiées, les faisaient garder par un dragon terrible, qui ne dormait jamais. Après qu’Hercule eut vaincu ou endormi ce dragon et dérobé les pommes d’or, Minerve les lui reprit pour les restituer à ses protégées, les Hespérides. Le géographe Hylax, qui vivait six cents ans avant l’ère chrétienne, a décrit avec détails le jardin des Hespérides, et en a même donné les dimensions exactes. Il le place en Afrique, au pied du mont Atlas, ou dans la Cyrénaïque. On y voyait, outre les arbres à pommes d’or ou les orangers, des amandiers, des oliviers, des grenadiers et une foule d’autres arbres et arbrisseaux. Ce jardin était-il une création de pure fantaisie, ou une allégorie sous laquelle les poëtes anciens ont voulu cacher quelque enseignement; ou enfin, y aurait-il eu réellement autrefois, en Afrique, un vaste jardin spécialement affecté à la culture des orangers, et appartenant à quelque prince ou princesse qui le faisait garder avec un soin jaloux? Cette dernière hypothèse n’est pas la moins vraisemblable des trois, et l’histoire des plantes utiles offre plus d’un exemple de ces prohibitions sévères, qui ont toujours fini par être violées par quelque audacieux aventurier.

PARADIS DE QUETZALCOATL.

Je ne puis clore ce chapitre sans produire un dernier et frappant témoignage de l’unanimité du genre humain à proclamer l’horticulture le premier, le plus divin des arts, et le jardin le séjour le plus digne de l’homme en qui le génie s’unit à la vertu. Ce témoignage nous vient de l’autre côté de l’Océan, du cœur même du nouveau monde. L’Osiris, le prophète civilisateur des anciens Mexicains, était, dit le savant Torquemada, un jardinier favorisé des dieux. Les Indiens le vénéraient comme un dieu sous le nom de Quetzalcoatl. Il avait fixé sa résidence sur la montagne de Tzatzitepec, non loin de l’antique Tula, et, mettant à profit la diversité des climats et la bonté naturelle du sol, il s’y était créé un vrai paradis terrestre. Les épis de maïs y étaient si magnifiques, qu’une seule tête de ce blé des Indes faisait la charge d’un homme, et qu’on eût pu se rassasier avec un de ses grains dorés. Les cotonniers y donnaient naturellement une toison de pourpre éclatante. Je fais grâce au lecteur de la savante nomenclature des végétaux merveilleux réunis dans cet Éden: nos oreilles ne s’habituent pas aisément aux consonnances bizarres des mots mexicains. Qu’il nous suffise de savoir, par la dénomination des oiseaux chanteurs de ce délicieux jardin, ce qu’étaient ces rossignols et ces fauvettes: le xiutolotl, le tlanquechol, le zuguan y faisaient retentir incessamment les échos de leurs ritournelles champêtres. L’un des plus beaux arbres du Tzatzitepec était le cacaoyer. Son tronc était gigantesque; il portait des fruits énormes, dont l’écorce, aux teintes mélangées d’or et de pourpre, était le digne ornement de ce splendide végétal. Or il arriva que Quetzalcoatl ne put jouir de ces délices sans désirer l’immortalité. Un malin nécroman, envieux de son bonheur, parvint à lui persuader qu’au moyen d’un certain breuvage le privilége qu’il demandait aux dieux lui serait accordé. Mais, ô douleur! la coupe fatale fut vidée, et la raison du prophète s’égara; dans sa démence il changea en plantes inutiles ou vénéneuses ces beaux arbres qu’il avait fait croître avec tant de soin; le cacaoyer lui-même fut changé en mitzquitl (sans doute quelque plante aux propriétés funestes). Le demi-dieu s’enfuit de Tula, et ne revit jamais son paradis. Par une grâce suprême, les dieux voulurent lui épargner le tourment des regrets. En perdant son bonheur, il en perdit aussi le souvenir.

CHAPITRE IVLES JARDINS PRIMITIFS–JARDINS ANCIENS DE LA CHINE ET DE L’INDE

Table des matières

LORSQUE, négligeant dans l’histoire les événements superficiels et bruyants qui captivent seuls l’attention du vulgaire, on étudie les phénomènes plus profonds et plus intimes de la vie sociale des peuples; lorsqu’on examine et que l’on compare les di verses manifestations de leur activité morale et intellectuelle, œuvres littéraires, artistiques et scientifiques, édifices et constructions, costumes, armes, institutions, entreprises militaires, industrielles ou commerciales, on ne tarde pas à se convaincre que tous ces actes d’une même individualité collective ont entre eux certains caractères fondamentaux communs, et portent comme une empreinte indélébile du génie qui les a produits.

Cette solidarité, que la théorie indique à priori et que l’observation confirme, est d’un précieux secours pour les difficiles recherches de l’historien philosophe; elle peut être justement comparée à la corrélation constante que l’anatomie et la physiologie ont reconnue entre les diverses parties des êtres organisés. Qu’un naturaliste retrouve dans le sol quelques ossements d’un animal dont l’espèce a disparu de la surface du globe depuis des milliers d’années: il pourra dire à quelle classe, à quel ordre, à quelle famille, à quel genre appartenait cet animal; quels étaient son habitat, son mode de locomotion, son régime alimentaire; s’il était aérien, terrestre ou aquatique, marcheur ou grimpeur, carnassier ou herbivore; il pourra décrire la structure, non-seulement du squelette complet, mais du corps même auquel ce squelette servait de charpente. De même, avec les débris épars d’une civilisation éteinte, l’érudit habitué à interroger les ruines du passé peut restituer cette civilisation, la faire revivre dans son intégrité. La tâche devient accessible à tout esprit attentif et réfléchi et n’exige pas une science vaste et profonde, lorsqu’il s’agit seulement de combler, à l’aide de l’analogie et de l’induction, les lacunes que peut offrir le tableau, d’ailleurs bien connu, des grandes civilisations.

Ainsi, encore bien que les écrits des auteurs anciens ne nous apprennent pas directement de quelle manière l’art des jardins fut pratiqué par les principaux peuples de l’antiquité, et bien que les jardins n’aient pu nulle part se conserver à travers les siècles comme beaucoup de monuments de marbre, de granit ou de briques, il n’est pas impossible de remonter à l’origine probable de cet art, d’en suivre les évolutions et d’indiquer les formes les plus caractéristiques de son développement au sein des sociétés anciennes.

Et d’abord, si nous recherchons le principe, la cause génératrice de l’art des jardins, nous apercevons sans peine qu’il procède à la fois de deux sentiments, de deux besoins auxquels se rattachent également les plus importantes créations de l’esprit humain. Ce sont: la notion et l’amour du beau (qui ne sont qu’une seule et même chose, puisqu’on ne saurait aimer le beau sans le connaitre, ni le cnnnaîfee sus l’aimer), et le sentiment ou le besoin du bien-être: c’est tout un encore. La création des jardins suppose donc préalablement chez l’homme l’éclosion du sens esthétique, l’intelligence des beautés et, si l’on pouvait ainsi dire, des bontés ou des utilités de la nature. Elle suppose en outre une demeure fixe, de la sécurité, de l’aisance, des loisirs: autant d’avantages qui ne peuvent se trouver que dans un état social déjà perfectionné. Elle suppose enfin des connaissances de quelque étendue en botanique, des rudiments de l’art du dessin et de l’architecture, Donc, point de jardins chez les peuples plongés dans l’ignorance et la barbarie, ni même chez ceux qui sont encore adonnés à la vie nomade et pastorale. Cela se voit fort bien à notre époque, où tous les degrés de la barbarie et de la civilisation sont encore représentés dans les diverses parties du monde. Les sauvages de l’Afrique, de l’Amérique, de l’Océanie, n’ont point de jardins, non plus que les Kirghiz et les Mongols des steppes, non plus que les Arabes du désert.

UNE OASIS DU SAHARA.

Les jardins n’apparaissent que là où les hommes ont déjà formé des agglomérations sédentaires, bâti des villages et appris à cultiver le sol. A ce point de vue, on peut dire avec Delille qu’ils sont le luxe de l’agriculture. Les oasis du Sahara nous offrent aujourd’hui le spécimen des jardins primitifs, où l’utile encore domine l’agréable, et qui sont plutôt des potagers ou des vergers que des jardins d’agrément. La composition et la culture sont commandées par le climat, par la nature du sol et de ses productions; mais le caractère est uniforme comme celui de toutes les œuvres rudimentaires de l’homme. Les types ne se dessinent que plus tard, sous les influences combinées des causes physiques inhérentes à chaque contrée, et du génie propre à chaque race et à chaque peuple.

On s’accorde généralement à considérer l’Asie comme le berceau des sciences et des arts, et la civilisation paraît avoir fait d’abord de très-rapides progrès dans l’extrême Orient et dans l’Asie méridionale. Il est certain que plus de deux mille six cents ans avant l’ère chrétienne, alors que tout l’univers était encore plongé dans la barbarie, les Chinois étaient déjà parvenus, sous l’empereur Koang-Ti, à un état social régulièrement organisé; que le peuple était divisé en castes, et l’empire en provinces; qu’ils avaient des villes, des tribunaux, des écoles; qu’ils pratiquaient l’agriculture et la navigation; qu’ils construisaient des routes et creusaient des canaux.

Il serait peu intéressant de rechercher ce que furent à cette époque reculée les jardins chinois. Nous verrons plus loin ce qu’ils sont de nos jours. Or on sait que la mobilité est le moindre défaut des peuples du Céleste-Empire, et que, depuis une longue suite de siècles, les arts, l’industrie, la science n’ont accompli chez eux que des progrès insignifiants. Il est donc très-plausible d’admettre que leurs jardins n’ont pas plus changé que leurs palais, leurs maisons, leurs costumes et le reste, et que l’origine du style chinois, tel qu’on le connaît présentement, est contemporaine des commencements mêmes de leur civilisation.

Si la civilisation chinoise est restée stationnaire, elle s’est du moins maintenue, grâce à la force d’inertie, à la ténacité singulière qui, à défaut d’autres vertus, distingue cette race étrange. Il n’en est point de même des autres civilisations orientales. L’Inde et l’Indo-Chine, la Perse, l’Asie Mineure, l’Égypte, n’offrent plus que les lambeaux ou les ruines des grands empires dont la puissance et la splendeur étonnaient autrefois l’univers. Ces empires ont succombé, les uns sous les coups des barbares envahisseurs; les autres sous les armes des nations intelligentes de l’Occident; d’autres seulement aux atteintes profondes de ces maladies sociales dont tous étaient plus ou moins infectés, et qu’on nomme la servitude, la paresse, l’ignorance, la superstition et l’immoralité. On sait que dans toutes leurs conceptions, dans toutes leurs œuvres, les Orientaux visent au grandiose, ou plutôt au gigantesque; qu’ils cherchent à éblouir, que dis-je? à s’éblouir eux-mêmes. Ces tendances ont donné de tout temps à leurs monuments un caractère facile à reconnaître, et qui n’a guère varié tant que les arts ont été florissants en Asie et en Égypte. On connaît, d’autre part, l’indolence et la sensualité proverbiales de ces peuples. Ces éléments, joints à ceux qui sont donnés par la nature au sein de laquelle les arts ont pris naissance et se sont développés, permettent de suppléer à la pénurie des renseignements relatifs aux anciens jardins de l’Orient, dont il ne reste aujourd’hui que peu de vestiges.

Dans ces contrées, où les richesses, ainsi que le pouvoir, étaient concentrées aux mains de tyrans absolus; où le faste tenait lieu d’élégance; où l’accumulation des objets précieux était la suprême expression de la magnificence; où des troupeaux d’esclaves étaient employés à travailler pour quelques maîtres orgueilleux et débauchés, les ardins devaient être rares, mais vastes et somptueux; ils devaient étonner par leur faste, plutôt que charmer par leur beauté. Nous avons dans la peinture du paradis de Mahomet, que j’ai reproduite précédemment, l’idéal d’un jardin tel que peuvent le concevoir des hommes à imagination puissante, avides de voluptés excessives, et aspirant, sous les feux du soleil, à la fraîcheur des ombrages verts et des fontaines parfumées. On conçoit que, dans leurs créations en ce genre, les Orientaux se soient efforcés de réaliser ces délices surnaturelles, de se donner, en attendant le paradis céleste, des paradis terrestres, et d’y réunir autant qu’il était en eux toutes les jouissances qui constituent à leurs yeux le bonheur parfait.

C’est sans doute aux empereurs, aux khans, aux rajahs de l’Indoustan qu’il fut donné d’approcher le plus de l’idéal rêvé. Ils avaient à leur disposition toutes les richesses minérales et végétales de leur admirable pays. Pour bâtir et décorer des palais, des vérandahs, des pavillons, des terrasses, des péristyles, ils avaient le granit, le marbre, le porphyre, le jade, la malachite, les bois de teck, de fer, de santal; pour former des bosquets, des allées, des massifs, des berceaux, ils avaient d’innombrables plantes au port majestueux, au feuillage élégant et toujours vert, aux fleurs magnifiques et parfumées, à l’écorce aromatique; pour remplir les bassins, pour arroser le sol, pour rafraîchir et embaumer l’air, ils avaient les eaux des fleuves sacrés, qu’ils pouvaient charger des senteurs du musc, de l’ambre, du benjoin et des essences; pour peupler et animer leurs jardins, ils avaient les charmantes gazelles, les chèvres du Tibet, les singes agiles, objet de leur vénération, et des légions d’oiseaux au plumage éclatant, au ramage mélodieux. On voit encore à Delhi les ruines des jardins du grand Mogol, plantés d’orangers séculaires, ornés de kiosques, de terrasses et d’escaliers de marbre, et de bassins aujourd’hui envahis par la mousse et par les herbes sauvages, d’où s’élançaient autrefois des jets d’eau parfumée.

JARDINS DU GRAND MOGOL.

JARDINS DE BABYLONE

CHAPITRE VPARADIS DES PERSES–JARDINS SUSPENDUS DE BABYLONE –LES JARDINS CHEZ LES JUIFS

Table des matières

L’HISTOIRE authentique des Perses ne commence qu’à Cyrus, environ cinq cent cinquante ans avant Jésus-Christ. Tous les rois ses prédécesseurs, mentionnés dans les traditions persanes, sont des personnages fabuleux, dont chacun, s’il fallait en croire ces traditions, aurait vécu et régné pendant plusieurs siècles. Xénophon, qui écrivait quatre cents ans avant l’ère chrétienne, parle du goût des rois de Perse pour les jardins, qu’ils appelaient, dit-il, paradis, et dans lesquels on cultivait à la fois des plantes d’ornement et des végétaux à fruits comestibles. «Dans toutes ses résidences et dans toutes les parties de ses domaines qu’il visite, dit l’historien grec, le roi veille à ce que ses jardins soient pourvus de toutes les choses agréables et utiles que le sol peut produire.» Plutarque, de son côté, rapporte que Lysandre trouva Cyrus le Jeune dans son jardin ou paradis de Sardes, et que, le général spartiate en ayant loué la beauté, Cyrus déclara l’avoir planté lui-même. Cyrus avait à Célènes un autre paradis très-vaste, où l’on entretenait une foule de bêtes sauvages, et dans lequel il put passer en revue les forces grecques auxiliaires, qui s’élevaient à trente mille hommes.

CYRUS A CÉLÈNES

Le poëte anglais G. Mason donne la description d’un ancien paradis, qui était situé, disait-on, dans l’île de Panchæa, près de la côte d’Arabie, et qui était encore dans toute sa splendeur au temps des premiers successeurs d’Alexandre, c’est-à-dire trois cents ans environ avant Jésus-Christ. Ce paradis dépendait, selon Diodore, d’un temple de Jupiter Triphylus. On y voyait d’abondantes sources, qui se réunissaient en une large rivière coulant dans un lit de maçonnerie sur une longueur d’un mille, et qui servait ensuite à l’irrigation. Ce jardin offrait du reste les ornements accoutumés: bocages, arbres à fruits, gazons et fleurs.

Strabon parle d’un jardin situé sur la rivière Oronte, et qui, de son temps, avait neuf milles de circonférence. Ce même jardin, suivant Gibbon, était principalement planté de cyprès et de lauriers, dont le feuillage formait, au cœur de l’été, une ombre impénétrable aux plus ardents rayons du soleil. Des centaines de ruisseaux, de l’onde la plus pure, s’échappaient de toutes les collines et entretenaient incessamment la verdure du sol et la fraîcheur de l’air. L’oreille était charmée par des sons harmonieux, et l’odorat, par des parfums exquis. Ce délicieux séjour était consacré «à la Santé, au Plaisir et à l’Amour.»

Pline et quelques autres auteurs latins donnent d’ailleurs, sur la composition des jardins de moindre importance chez les Perses, des renseignements assez précis. Ils nous apprennent, par exemple, que le dessin en était régulier, que les arbres étaient plantés en rangées rectilignes, et que les allées étaient bordées de touffes de roses, de violettes et d’autres fleurs odoriférantes. Parmi les arbres, c’étaient les essences résineuses, le platane d’Orient, et, ce qui est digne de remarque, l’orme à feuilles étroites (appelé maintenant orme anglais, mais, d’après le docteur Walker, originaire de la Terre-Sainte), qui occupaient les places d’honneur. Des pavillons de repos, des fontaines, des volières peuplées d’oiseaux de choix, enfin des tours du haut desquelles on pouvait contempler l’ensemble du paysage: tels étaient les accessoires dont les Perses aimaient à orner leurs paradis.

JARDIN PERSE

Des jardins de la Perse à ceux de l’Assyrie et de la Babylonie la transition est naturelle, et la différence était sans doute peu sensible, si du moins on ne considère, de part et d’autre, que les jardins du second et du troisième ordre. Mais ceux que les rois assyriens firent établir à grands frais, moins sans doute pour leur agrément personnel ou pour l’ornement de leur capitale que pour léguer à la postérité un souvenir de leur richesse et de leur puissance, accusent le goût particulier de ces princes pour les constructions gigantesques. Il ne leur suffisait pas, en effet, que leurs plantations occupassent une immense étendue de pays: ils voulurent les élever au-dessus des plus hauts édifices, non en profitant des accidents du terrain, mais en renouvelant, pour ainsi dire, l’œuvre des géants, qui tentèrent d’escalader la demeure des dieux. Les jardins de Babylone, bien connus sous le nom de jardins suspendus, et rangés au nombre des sept merveilles du monde, étaient le spécimen le plus remarquable de ce genre d’architecture; mais il est probable qu’ils n’étaient pas le seul, bien que la plupart des historiens ne parlent que de celui-là.

On attribue communément à Ninus et à Sémiramis la construction de ces jardins, ainsi que des remparts, des temples et des autres monuments de Babylone. Cependant plusieurs historiens, entre autres Diodore de Sicile et Quinte-Curce, l’attribuent à un roi syrien postérieur à Sémiramis, et qui aurait accompli ce prodige afin de plaire à sa femme ou à sa concubine. Celle-ci était née en Perse, dans un district fertile et accidenté; elle y avait passé son enfance, et, ne pouvant s’accoutumer à l’aspect monotone de la campagne qui environnait Babylone, elle supplia le roi, dit la légende, de lui faire faire un jardin qui lui rappelât les collines de sa belle patrie. Le roi n’hésita pas à tenter, pour satisfaire aux désirs de celle qu’il aimait, une œuvre que beaucoup d’autres à sa place eussent sans doute jugée impossible.

Quoi qu’il en soit, on voit encore aux environs de Hellah, sur la rive gauche de l’Euphrate, les ruines des jardins suspendus, ou du moins de leurs fondations. «A mon avis, dit Niebuhr, on trouve des restes de la citadelle et du célèbre jardin suspendu à environ trois quarts d’un mille d’Allemagne au nord-nord-ouest de Hellah, et tout près du rivage oriental du fleuve; le tout ne consiste qu’en de grandes collines pleines de décombres. Les murailles qui se trouvaient au-dessus du sol ont été emportées il y a longtemps; mais les murailles du fondement s’y trouvent encore, et moi-même j’ai vu ici des gens occupés à tirer de ces pierres pour les transporter à Hellah. Au lieu que dans toute la contrée, depuis le golfe Persique jusqu’à Kerbeleh, on ne trouve presque pas d’autres arbres que des dattiers, on rencontre entre les collines de ces ruines, çà et là, des arbres fort vieux. On voit d’ailleurs, dans toute cette contrée, sur les deux rives de l’Euphrate, de petites collines pleines de morceaux de briques.»

JARDINS SUSPENDUS DE BABYLONE

Si l’on veut savoir en quoi consistaient ces fameux jardins, c’est aux deux historiens que j’ai nommés plus haut, à Diodore et à Quinte-Curce, qu’il faut en demander la description.