Le mythe du phénix - Ambre Honey L. Sire - E-Book

Le mythe du phénix E-Book

Ambre Honey L. Sire

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Beschreibung

On dit des phénix qu’ils étaient des oiseaux de légende des créatures enflammées qui brûlaient pour éclairer les mythes on dit que leurs corps étaient recouverts de flammes que chacune de leurs plumes rougeoyait d’un éclat intense que leurs larmes pouvaient guérir toutes les blessures on dit des phénix qu’ils étaient immortels qu’au moment de leur mort ils s’embrasaient et que de leurs cendres, ils renaissaient ils n’étaient que ça l’étincelle la braise la flamme l’incendie les cendres et de nouveau l’étincelle la lueur ancienne mais nouvelle l’aube enflammée qui se lève sur la nuit sombre.

À PROPOS DE L'AUTRICE 

Ambre Honey L. Sire a écrit ce recueil avant tout pour guérir, en utilisant la poésie comme catharsis. Chaque poème, assemblé avec les autres, retrace son histoire et lui a permis de faire la paix avec le passé et d’avancer.

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Seitenzahl: 227

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Ambre Honey L. Sire

Le mythe du phénix

Recueil

© Lys Bleu Éditions – Ambre Honey L. Sire

ISBN : 979-10-422-3934-3

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

pour Lucie

on dit des phénix qu’ils étaient des oiseaux de légende

des créatures enflammées qui brûlaient pour éclairer les mythes

on dit que leurs corps étaient recouverts de flammes

que chacune de leurs plumes rougeoyait d’un éclat intense

que leurs larmes pouvaient guérir toutes les blessures

on dit des phénix qu’ils étaient immortels

qu’au moment de leur mort ils s’embrasaient

et que de leurs cendres, ils renaissaient

ils n’étaient que ça

l’étincelle

la braise

la flamme

l’incendie

les cendres

et de nouveau l’étincelle

la lueur ancienne, mais nouvelle

l’aube enflammée qui se lève sur la nuit sombre

je n’ai jamais rencontré le père de ma mère

il est mort d’un cancer quelques années avant ma naissance

c’est ce qu’elle m’a expliqué quand j’étais petite

je devais avoir quatre ou cinq ans

il m’était alors impossible d’imaginer qu’il y ait pu exister un monde sans moi

je fermais les yeux et je me fabriquais tout un univers

des fleurs séchées des gens en noir et blanc des notes pastel et parfois

un simple voile

obscur

sombre

sans son

sans odeur

sans rien que je ne puisse saisir et aimer de mes petites mains

rien du tout

juste le néant

étais-je morte avant de naître ?

avais-je existé ailleurs ? d’une autre manière ?

avais-je ressenti la gloire d’être un arbre

de vivre de pluie et de lumière

avais-je toujours été humaine ? et pourquoi pas un lièvre un loup un moineau ou même un cerf ?

la mort de son père, de mon grand-père, me ramenait à la mienne

soudain tout n’était plus si clair

plus si simple

plus si évident

j’allais mourir un jour

et c’était inévitable

je l’ai compris par le biais de mes rêves

je riais, me tordais dans tous les sens

j’étais jeune, pleine de vie

entourée de regards d’amitié, de regards d’amour, de caresses

alors je roulais sur mon épaule pour traverser la pièce et

ça ne t’a pas fait mal ?

tu n’es pas un peu âgée pour ça ?

regards inquiets

mains croisées

l’éclat d’un ciel bleu

une arche de béton

j’étais sortie de moi,

mais je me ressentais toujours

alors j’ai commencé à me voir vieillir

ma peau est devenue terne, texture papier veines gonflées les os qui se fraient un chemin à travers la chair

mon corps était en train de pourrir

il tombait, morceau par morceau

mes organes desséchés sur le sol froid

et les gens autour sur le quai

pour eux j’étais devenue invisible

une chose ancienne

autrefois belle et remplie de couleurs,

mais désormais plus rien

les orbites vides les mains squelettiques

et de nouveau

le voile

le néant

chaque nuit je mourrais

et chaque matin je me réveillais

je ne ressuscitais pas

je ne faisais que faire naître un nouveau jour

et chaque seconde qui s’écoulait en lui était désormais perdue dans le brouillard du temps

je fanais

et c’était impénétrable

Maman et papa se sont rencontrés au lycée

ils traînaient ensemble avec leurs potes

ils allaient au café

et puis ils faisaient des billards entre les cours

du coup ils arrivaient souvent en retard

un jour ils sont tombés amoureux

ils ont passé plusieurs années ensemble

et puis ils ont décidé de me fabriquer

un morceau de lui

un morceau d’elle

et j’ai été propulsée dans le grand bain de la vie

après ça

pendant un an et demi

Maman faisait tout

et papa rien

alors Maman est tombée en dépression

la dépression

c’est quand il y a quelqu’un qui crie très fort à l’intérieur de ta tête pendant très longtemps

ça s’arrête jamais

ça va de plus en plus fort

et on ne peut pas la masquer avec des bouchons d’oreilles

la dépression il faut la faire sortir

alors Maman a fait sortir papa de sa vie

elle est partie un matin en me prenant la main

on est allées chez sa meilleure amie

on y a vécu quelque temps

j’ai pas voulu retirer mon manteau

peu importe où j’allais

je ne voulais pas le retirer

j’étais trop petite

je voulais retourner à la maison

à trois

je ne comprenais pas encore qu’il n’y avait jamais eu de maison à trois

le Diable est un type sympa

grand brun la quarantaine le front qui pousse et des cheveux blancs par-ci par-là

cadre pour une grande entreprise cotée dans le bâtiment

une voiture de fonction

une décapotable

une allemande

un grand appartement en plein centre-ville sur la place des anges

une chemise blanche boutonnée jusqu’au col une ceinture à quarante balles un pantalon lévis des chaussures en cuir véritable une rolex au poignet et une paire de lunettes rectangulaires

le Diable est clean

il ne boit pas parce qu’il a vu l’alcool ravager sa famille tout entière,

mais il ne l’avouera jamais

parce que le Diable est froid

impénétrable

il ne laisse rien rentrer

il ne laisse rien sortir

le Diable est un type bien

le Diable est un boomer de droite

le Diable cogne sa Fille un peu fort parfois

pour une tâche de sirop pour la toux ou un col de chemise mal ajusté

le Diable a plein de jolis surnoms pour sa Fille adorée

petite conne incapable bonne à rien tête de conne tête d’ampoule billie elliot cabri branleuse danseuse menteuse chieuse casse-couilles casse-bonbons casse-noisette connasse pétasse fragile

le Diable a peur qu’on parle de sa gamine trans

alors il la cache

répète son deadname comme une prière à chacune de ses phrases

l’empêche de s’habiller,

de se maquiller comme elle le veut

il masque les apparences derrière un joli rideau de fumée

et tous n’y voient que du feu,

mais elle n’y voit que les flammes qui la brûlent de fuir

de se battre et de hurler

je suis une Femme

je suis une Fille

je déteste le bleu je déteste les mecs je déteste mon père je déteste être là

vous voir me regarder

me prendre m’enlever et me disséquer dans vos regards

je suis plus que vos fantasmes et vos phobies irrationnelles

je suis aussi vivante que chacun d’entre vous

j’ai le droit d’être moi

j’ai le droit d’exister

hors de votre cadre étriqué

hors de vos murs

j’ai le droit à l’expression

j’ai le droit à la liberté

j’ai le droit à l’indifférence

le Diable lui a expliqué que c’était pour la protéger

pour qu’elle ne se fasse pas emmerder dans la rue

pour qu’elle fasse de bonnes études, et qu’elle décroche un job haut placé

mais la vérité, c’est que le Diable est un connard

un connard qui dort sans savoir que sa Fille est face à son reflet

des cendres de mascara sous ses yeux rouges

sa peau tremble

incontrôlable

indomptable

dehors, le silence règne sur la place des anges

même les ivrognes sont endormis

le Diable est assoupi au bout du couloir

mais elle guette le moindre grincement le moindre craquement dans le bois le moindre signe qu’il soit là prêt à surgir de l’ombre

l’horloge pointe ses aiguilles vers quatre heures

dans peu de temps le Diable se lèvera

elle devra se préparer

dessiner un sourire sur son masque de cire

enfiler son sac en bordel

ses godasses sales

et partir affronter une nouvelle journée de lycée qu’elle ne se sent pas capable de tenir

elle a peur

elle est terrifiée

elle est en colère

peut-être un peu perdue aussi

mais à cet instant la dépression lui donne l’impression de n’avoir jamais été aussi lucide

les mauvaises pièces du puzzle s’assemblent

et même si leur image est bizarre, difforme, atrophiée

elle l’accepte

la prend pour sienne

la Fille du Diable saisi son foulard

l’enroule avec délicatesse autour de son cou fragile

et serre, serre et serre aussi fort qu’elle le peut

crache

suffoque

gémit

jusqu’à ce que son sang bouillisse

jusqu’à ce que ses larmes montent

elle s’écroule

haletante

dégueulant salive bouffe en bouillie et bile

glisse une main agitée sous le tissu

sent ses artères gonflées

sa gorge tuméfiée

la Fille du Diable se laisse aller en arrière

son joli foulard rouge défait entre ses doigts

son crâne sur le sol froid de la chambre

le regard perdu dans l’infini du blanc tout autour d’elle

elle se sent morte

éviscérée

elle a du mal à reprendre son souffle,

mais elle le reprendra

elle n’aura pas le choix

elle se relèvera

le Diable la saluera d’un bonjour morne

aveugle aux fêlures qu’il a laissé à sa Fille

et elle s’en ira dans l’aube grise

s’asseoir bien droite sur sa chaise

écouter avec attention ses profs déblatérer

les regarder échouer, jour après jour à l’aider,

à voir les monstres les succubes et les diables sous les visages parfaits des gosses de riche

gorgée de sirop

j'ai une vilaine toux depuis quelques jours

une petite goutte

s'échappe de ma cuillère

et tombe comme une larme sur mon polo

je vais l'essuyer dans la salle de bain

il m'arrête avant que j'y aille

il voit la tâche

la toute petite tâche

il hurle

t’es vraiment qu’un sale petit con

il me jette contre le mur

le choc me fait recracher le sirop

je recouvre le mur avec

je suffoque à genoux

putain t’es vraiment un petit con

c’est toi qui va repeindre le mur peut-être ?

je cours à la salle de bain

je dois essuyer

je dois rattraper ma bêtise

vite

si ça disparaît ça n’existera plus

si ça n’existe plus il arrêtera

j’y arrive pas

je sors

je vais changer de haut

il ne me laisse pas faire

il me plaque contre le mur

il m’attrape par le col

il me soulève du sol

un bouton tombe

il monte plus haut

un deuxième bouton tombe

il crie plus fort

je n’entends plus rien

il me jette sur le sol

je pars en courant dans la cuisine

je n’ose pas bouger

je n’ose même pas penser à l’idée de bouger

il revient

il me charge

taureau furieux obsédé par le rouge de mes vêtements

encore

et encore

je décolle du sol

percute le mur

tombe lourdement

il prend ma veste posée sur une chaise

il me la jette au visage

ça, c’est ma place, petit con

je tombe en arrière

me claque la tête contre la cheminée

il soupire

il jure

il repart

je suis seule

à moitié assommée

des larmes aux coins des yeux que je m’empresse d’essuyer

j’ai mal à la hanche

j’ai mal à la tête

j’ai mal au corps

j’ai mal à l’âme

quelque chose se déchire en moi

deux envies

trop distinctes

trop opposées

tues-le

fuis-le

impossible

je ne peux pas

je ne peux pas

me décider

je ne peux pas

contenir tout ça

alors

sans que je ne puisse rien y faire

elle se détache de moi

et s’assied calmement à mes côtés

elle pose une main derrière ma tête

elle a un couteau dans la main droite

elle a des yeux bleus comme les glaciers

comme papa

elle a la même violence dans le regard

la même rage

elle me caresse les cheveux

les siens sont blonds

elle a mon âge

elle n’a pas encore neuf ans,

mais elle sera là pour nous protéger

elle s’appelle Primerose

parfois je l’appelle Colère

je me suis réveillée dans une pièce noire

allongée sur un sol de pierre

une voix m’a susurré

si j’étais toi, je partirais en courant

mais il n’y avait pas de porte

j’ai hurlé

fort

à m’en déchirer la gorge

autour de moi des étagères

et sur chacune d’entre elles

le même livre aligné

j’ai posé ma main sur la tranche de l’un d’entre eux

je l’ai tiré

je l’ai ouvert

et je l’ai lâché

partout sur la page

partout sur toutes les pages

partout sur toutes les pages de tous les livres

le même nom mort couché à l’encre noire sur le papier jauni

le même nom cruel et dégueulasse qui se répète à l’infini et qui me dévore le crâne

j’ai refermé le livre

et l’ai lancé fort à travers la pièce

je suis tombée

j’ai crié

encore

en boule sur le sol

les poings serrés

les dents serrées

j’aurai voulu faire saigner mon corps tout entier

j’y ai passé des heures

des jours

des mois

des années

j’y ai passé l’éternité dans cette putain de salle maudite

assise à ne rien pouvoir faire d’autre que lire ce nom corrosif

j’ai arraché les pages des livres

j’en ai mangé certaines

j’ai craché dessus

pissé dessus

chié dessus

vomi dessus,

mais dès qu’un livre finissait en morceaux

il réapparaissait aussitôt sur une des étagères, bien à sa place

j’ai mordu ma peau jusqu’à saigner

j’ai frappé mes cuisses

fort

j’ai dessiné des Neptune sur mes jambes

je suis devenue un système océanique solaire

j’ai découpé la peau de mon ventre avec mes ongles

et j’ai déposé mes entrailles et mes tripes sur le sol

le regard vers le plafond en béton

j’ai craché

comment peux-tu me faire ça ?

alors de l’essence s’est mise à couler de mon nez

elle a rempli ma bouche ma gorge mon œsophage

elle a rempli mon corps

elle a rempli l’espace

elle a gâché ma vue

alors j’ai fait claquer mes dents

comme si elles étaient la pierre d’un briquet

et l’incendie a ravagé la salle

mon corps

et ce prénom maudit qui n’avait jamais été le mien

elle était assise au bord du champ

fumant sa cigarette dans la brise d’automne

son regard se perdait là où personne ne pouvait voir

elle errait

loin

dans la brume

sa peau et ses cheveux s’y confondaient

elle devenait transparente

et pourtant

certains, en s’aventurant dans son brouillard,

y avaient été brûlés par ses flammes dorsales

ses ailes à l’envergure démesurée

ils avaient trouvé en elle

la lumière rassurante des feux follets

et la brûlure intense des phénix

elle était le miel, elle était le dard

elle était la fée, elle était la succube

ainsi, ils la nommèrent : Fille du Diable

ils apportèrent des marteaux

ils apportèrent des enclumes

puis vinrent le fer, le charbon et le feu

ils lui forgèrent des chaînes, ils lui forgèrent des clous

ils apportèrent des briques

ils apportèrent du ciment

puis virent les barreaux, les serrures et les verrous

ils lui bâtirent une maison

ils lui bâtirent une prison

ils l’enchaînèrent à son lit

ils fermèrent les portes et jetèrent les clefs à la mer

ainsi elle fut oubliée

mise en cage comme une légende à laquelle seuls les anciens croient encore,

car sa jeunesse était ancienne

elle était l’étincelle dans les sous-bois

elle était les flammes de l’incendie

elle était les cendres qui viennent après le cauchemar

elle était les fleurs qui poussent sur ce qui a autrefois été brûlé

elle était évaporée

comme une cigarette dans le vent

elle était effritée

comme une feuille rongée par le temps

une rage insoutenable diluait le sang dans ses veines

elle n’était qu’une enfant du dernier siècle

bâillonnée, pied et poing et cœur liés

d’une génération qui verrait le monde s’écrouler

te rappelles-tu ?

la froidure acérée devant les grilles

l’obscurité dure de la nuit

te rappelles tu ?

cette fille adossée au gymnase qui enchaînait les clopes

seule

l’œil droit murmurant avec douceur

l’autre te hurlant de partir de dégager de te barrer loin en courant

te rappelles-tu la rage qu’elle avait ?

te rappelles-tu combien elle était plus forte que toi ?

tu la labourais de regards

et semais des doutes infâmes entre ses vertèbres

tu profitais du brouhaha autour d’elle pour la descendre et l’humilier, toujours plus bas que Terre

te rappelles tu comme elle tremblait ?

te rappelles-tu ses larmes de haine ?

elle était griffes et crocs

entailles et morsures dans tes certitudes fragiles

elle était la brise, elle était l’ouragan

prête à te mettre en pièces en une caresse

alors tu l’as acculée

saignée et cognée contre les marches d’un escalier

sale pouffe

sale pute

sale trav

crève

crève

crève

te rappelles-tu ?

moi oui

pas de tout bien sûr

c’est fragmenté la mémoire d’un cerveau cassé,

mais s’il y a bien une chose que tu m’as apprise

c’est que rien n’est irréparable

j’ai souffert

je suis tombée, chaque jour, comme la pluie sur les champs

je ne compte plus les fois où j’ai dû m’accrocher, les mains serrées sur la poignée de la fenêtre, les yeux brûlés par les pleurs, toute conscience et toute estime de moi réduites en miettes

lorsque je rentrais chez-moi

je vérifiais derrière chaque fauteuil, chaque porte, dans chaque placard, si tu n’étais pas là,

mais malgré la peur et les myriades de traumas que tu as laissé dans mon crâne

je me suis restée fidèle

j’ai nagé vers moi

malgré les tempêtes, malgré les monstres qui voulaient m’entraîner dans leurs abysses

j’ai touché ma peau

et je l’ai trouvée douce

j’ai rougi mes lèvres

et je les ai trouvées belles

et puis un beau matin

j’ai jeté un coup œil dans le miroir

et j’y ai vu un éclat de moi

tu ne me casseras plus tu ne m’atteindras plus tu ne me toucheras plus jamais plus jamais je ne m’effondrerai face à toi plus jamais tu ne t’en tireras sans connaître le poids des larmes et du sang versé

je me suis libérée de toi

ça m’a pris du temps

beaucoup de temps

beaucoup d’énergie aussi

tu as été mon premier amoureux

mon premier baiser

mes premières caresses

je t’ai aimé en silence pendant trois longues années avant que tu ne me remarques

et une fois l’amour fleuri j’ai compris que ce n’était pas toi

que tu n’étais pas le bon

qu’un jour, je devrais partir,

mais je ne voulais pas te faire souffrir

je ne voulais pas que, par ma faute tu te sentes mal au point d’en mourir

alors j’ai attendu

les bras ballants

perdue

pas maintenant

pas maintenant

pas maintenant

pas maintenant

pas maintenant

mais quand

c’est jamais le bon moment

jamais tu ne m’as laissé cet instant,

mais il n’y a jamais de bon moment

j’aurai dû parler, j’aurai dû te le dire,

mais je me suis retrouvée étranglée

sans mots face au désastre que formait nos deux cœurs réunis

tu étais dur, froid et manipulateur

tu as joué avec mes émotions

tiré sur mes ficelles

tu m’as fait danser comme une marionnette

tes mains serrées sur mes nerfs

je n’étais qu’une créature vide

une morte vivante

privée de toute volonté

soumise à ton seul désir

tu as su rentrer dans ma tête

t’infiltrer dans mon cerveau

en comprendre les failles et les mécanismes

tu m’as faite obéir

je me suis soumise

j’ai ployé le genou

et j’ai serré les dents

j’ai serré les dents face à ton arrogance

j’ai serré les dents face à ta sournoiserie

j’ai serré les dents face à ta cruauté

tu ne m’as pas Aimée

j’étais simplement tienne

un objet de décoration

une pièce de collection à exposer partout contre mon gré

entouré de tes amis tu étais différent

moins violent un peu plus décent,

plus délicat,

plus amoureux,

mais seul avec moi

tu me faisais errer

le ciel était noir de fumée

le soleil obscurcit

toute lueur occultée

je m’effondrais

le souffle court dans la cage d’escalier

je me suis laissé aller

croupie dans la poussière

les paupières fermées comme un voile me séparant de la réalité

j’étais à bout de force

ma tête était remplie de toi

plus rien n’était clair

plus rien sauf une chose

tu t’es mal comporté avec moi,

mais j’ai compris maintenant

parfois l’Amour cesse tout simplement d’exister

et il a cessé d’exister il y a longtemps maintenant

alors je te laisse le choix

prends-moi

choisis moi

chéris moi

ou bien oublie moi

parce que si tu n’es pas assez fort pour m’Aimer

je ne saurai rester

et je partirai

loin de toi

je t’ai dit ces mots

je t’ai laissé le choix

je t’ai laissé ta chance,

mais tu n’en n’as rien fait

tu as pleuré sur mes larmes

hurlé sur ma colère

tu m’as traitée d’injuste et de folle

alors j’ai compris

nous étions irrécupérables

trop cassés trop brisés pour nous relever

je le savais,

mais toi non

tu t’es cru suffisant

tu t’es persuadé que tu étais bon et que toute cette souffrance qui alourdissait mon cœur n’existait tout simplement pas

tu as oublié tes erreurs

tu as oublié toutes les fois où tu m’as touchée malgré mes supplications

tu as oublié tes insultes tes coups tes bousculades

tu as oublié le poison acide sur tes lèvres

ta langue imprégnée de ricine

notre amour n’était plus

parce que j’ai compris que l’Amour était plus que toi

j’ai appris à Aimer, comme je le voulais

j’ai fait sauter les verrous et je n’avais pas à m’en sentir coupable

et finalement

tu m’as vue

tu as compris que tu étais dépassé

qu’il n’y avait plus rien à faire pour me retenir

tu aurais pu me laisser partir

pousser un soupir sur la membrane de mes ailes pour m’aider à m’envoler

ça aurait été ça, m’Aimer

mais tu en étais incapable

tu n’étais pas assez fort

alors tu as supplié tu as pleuré tu t’es mis à genoux

tu m’as parlé du vide que j’allais laisser d’acier trempé et de tes veines tranchées

tu m’as dit

si tu pars, je meurs

tu m’as dit

ça saigne,

mais j’ai tenu bon

j’avais vu ça des centaines de fois avant

je savais que tu ne mourrais pas

je savais que ce que tu faisais était mal

alors j’ai tenu bon

et je suis partie

tu n’as jamais accepté que je parte

c’était impensable pour toi

comment ta chose pouvait désormais s’appartenir à elle-même ?

tu me pressais tu me collais tu laissais glisser ton souffle sur mes lèvres

tu jouais avec moi tirant sur chacun de mes câbles comme pour réparer une machine cassée

tu m’aimes non ?

je n’étais que ça pour toi

une chose qui t’aime

qui t’écoute quand tu as besoin de parler et qui doit la fermer quand elle souffre

une chose à baiser quand ça va pas une expérience sexuelle pour te construire

sans mon avis

sans mon accord,

je ne pense, plus à toi tu sais,

mais mon corps est encore marqué

certaines parties sont mortes

voire corrosives

aujourd’hui elle lui avait avoué à demi-mot

je suis trans

c’était la première fois qu’elle en saisissait un peu le sens

en l’avouant

comme ça

à celui qu’elle aimait

elle y croyait à cet amour

putain qu’elle y croyait à ce putain d’amour

elle aurait voulu le manger

l’engloutir en entier dans sa bouche comme un marshmallow

le mastiquer encore et encore jusqu’à l’avaler

elle le savait

c’était le bon

enfin

c’était l’élu

celui de la prophétie susurrée par Éros dans son enfance

il allait l’accepter

il allait la prendre par la taille pour l’emmener au ciel

lui dire combien elle était belle

Non.

Non ?

la première chose que j'ai aimée chez toi

c'est ton odeur

c'était comme un doux parfum de fleurs

un champ ensoleillé peinturluré par le printemps

c'était doux

apaisant

mais avec le temps

cette douce odeur est devenue rance

chargée de rancune

de colère

de fantasmes

de jalousie

et alors j'ai compris

ce n'était que de la lessive

ce n'était pas suffisant pour nettoyer ton âme

tu m'as détruite

et je t'ai laissé faire

parce que je ne savais pas ce que voulait dire Aimer

tu m'as épuisée tu m'as manipulée tu m'as torturée

sans toi je ne suis plus rien ni personne

tu me l'as fait croire

tu me l'as fait écrire

tu m'as fait oublier toutes les personnes que j'Aimais

tu les as exilées

parce que je devais être à toi

mais je ne le serai jamais

on se connaissait depuis la maternelle

le temps nous a séparés, puis réunis

nous étions jeunes

mais quand on est petit

on est toujours persuadé d’être grand

de tout savoir

sur le Miel, sur l’Amour, sur le Néant

mais en réalité on ne sait rien

pas encore

on le comprend plus tard

tu étais une rêverie

je t’ai imaginé comme un prince, comme un dieu

et je t’ai aimé, en silence

parce qu’il ne faut pas parler trop fort quand le feu est faible

alors j’ai attendu

j’ai vécu

j’ai laissé le temps passer

mais un jour je ne sais pas pourquoi

j’ai eu le courage de te le dire

je t’aime

tu n’as pas voulu de moi

mais tu es resté le même

mon meilleur ami, mon pote d’enfance avec qui je faisais du théâtre et des soirées pyjamas

j’ai retenté ma chance une ou deux fois

sans succès

alors j’ai fini par abandonner

par lâcher prise

parce que c’est ce qu’il faut faire

j’ai même rencontré une fille

je l’ai trouvée charmante

on a parlé de livres, de politique, de cours

elle était sympa

et je crois que ce jour-là je me suis sentie amoureuse

je me suis dit que c’était bon

que je pouvais tourner la page sur toi, enfin

mais tu es revenu

tu m’as demandée

alors j’ai dit oui

la fille que j’avais rencontré était devenue une amie et toi, mon amour

j’étais heureuse

je crois

on a passé un an et demi ensemble

ce sont des années qui comptent quand on se construit

j’ai découvert mon genre

tu as trouvé le tien

mais ce n’était pas quelque-chose de sain

ce n’était pas deux fleurs emmêlées qui s’appuient l’une sur l’autre pour pousser

d’abord, je t’ai demandé de m’appeler comme je le voulais

et tu as refusé

tu m’as dit des choses affreuses ce soir-là

des choses que je n’oublierai jamais

ensuite, je suis passée aux vêtements, au maquillage

et tu t’es décidé à m’aider

tu me disais quoi porter, quoi ne pas porter

tu m’as construite une féminité avec ce que tu avais sous la main

tu as commencé à aimer ça

m’habiller, me maquiller, faire de moi ce que tu voulais parce que j’étais perdue

tu m’as donnée un Nom

je ne l’aimais pas

je le détestais

mais je l’ai pris

c’était des miettes mais c’était tout ce que j’avais

de ton côté, tu étais Libre

je t’ai laissé faire tous les choix que tu voulais

parce que c’était ton corps

ta vie

tes choix

mais un soir j’ai compris que ce que tu avais fait de moi

ce n’était pas moi

juste ton fantasme

et que moi aussi

c’était ma vie

alors j’ai choisi un nouveau Nom