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Margot n’a que seize ans, mais, déjà, la vie ne l’a pas épargnée. De manière singulière, les épreuves se succèdent au cours de son existence, forgeant son caractère pour en faire une jeune femme appréciée par certains mais crainte par d’autres.
Cet ouvrage nous entraîne sur les pas de l’intrépide Margot dont l’histoire mériterait d'entrer dans la postérité.
À PROPOS DE L'AUTEURE
Après avoir longtemps apprécié les histoires et les personnages de ses multiples lectures,
Florence Halluin, comme une évidence, a pris la plume pour faire vivre ses propres personnages dans des aventures extraordinaires.
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Seitenzahl: 497
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Florence Halluin
Le nouveau monde
Roman
© Lys Bleu Éditions – Florence Halluin
ISBN : 979-10-377-8381-3
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Margot se dirigeait vers l’école. Aujourd’hui était un jour très spécial.
Anne, l’institutrice, après plusieurs jours de préparation, allait lui laisser la direction de la classe pour tout l’après-midi.
Il fallait préciser que la jeune enseignante arrivait au terme de sa grossesse, des jumeaux étaient attendus. La fatigue commençait à se faire ressentir, assumer des journées de classe s’avérait pénible, et Margot, sa meilleure élève, semblait apte à la remplacer durant son absence.
La toute jeune fille venait de fêter son seizième anniversaire. Physiquement, elle paraissait n’avoir que quatorze ans mais elle possédait une maturité d’adulte. Les autres enfants la respectaient et appréciaient tous l’aide que, déjà, elle apportait au quotidien depuis le début de sa scolarité.
Cette enfant avait une soif de connaissance, elle passait énormément de temps dans la petite bibliothèque qu’avait installée Anne dès son arrivée, et, régulièrement, elle lui prêtait toutes sortes d’ouvrages qui traitaient de sujets que jamais, elle ne pourrait envisager d’étudier avec ses élèves.
Les enfants étaient certes très gentils, mais le niveau de la classe était bien bas.
Il faut dire que depuis le décès de Mme Geordy, deux ans auparavant, aucune autre institutrice n’était venue jusqu’ici.
Anne non plus n’aurait jamais pensé enseigner dans un village aussi isolé, mais l’amour en avait décidé tout autrement.
Elle avait fait la connaissance de Paul, jeune diplômé en médecine, et, lorsqu’il l’avait demandée en mariage, il lui avait précisé qu’il partait vivre à Althoya.
Elle mit longtemps à trouver une carte où était située cette ville, enfin ce village.
— Pourquoi Althoya ? lui avait-elle demandé.
— Justement parce qu’il n’y a rien, lui avait simplement répondu le jeune homme en souriant.
— Là-bas, tout est à construire, le médecin qui y vivait vient de mourir. Pour te dire, c’était un ami de mon grand-père, il a y exercé toute sa vie et aujourd’hui, ces gens n’ont plus personne pour veiller sur eux. J’ai lu toute la correspondance que mon grand-père et ce docteur ont échangée durant des années. Je m’y suis rendu il y a quelques semaines et comme cet homme, je suis tombé amoureux de cette région et de ses habitants. De plus, il n’y a pas d’institutrice sur place, les enfants sont dans une totale ignorance. Nous pourrions y mener une belle vie, pas de fortune, certes, mais une vie riche de tout ce que nous pourrons apporter à cette population. Ces gens ont besoin de nous et, quelque part, je sais que moi aussi, j’ai besoin d’eux. Je veux reprendre ce cabinet, j’ai fait toutes les démarches et je suis autorisé à partir. Aussi, je te demande de m’accompagner…
La jeune femme avait demandé un peu de temps de réflexion, elle ne pouvait se décider sur un coup de tête.
Étrangement, elle donna sa réponse bien plus tôt que prévu. Si Paul pouvait tout lâcher pour se rendre là-bas, elle pouvait très certainement faire de même. Et puis, si cela devenait trop difficile, elle pourrait revenir.
Finalement, la vie ici lui convenait très bien. Paul avait raison, les habitants étaient charmants, vivant loin de tout, une grande solidarité les unissait tous.
Elle avait énormément de travail, car comme il lui avait été annoncé, l’absence d’institutrice se faisait ressentir. Beaucoup d’enfants n’avaient même jamais été scolarisés.
Lorsqu’elle avait demandé l’obtention d’un poste d’enseignante à Althoya, on lui avait ri au nez. Mais elle fit valoir que le président du pays actuellement en fonction avait, lors de sa campagne d’élection, mis en avant l’importance de la scolarité pour tous les enfants, et là, elle avait trouvé un village où ils étaient laissés dans l’ignorance, et qu’il était de son devoir de suivre les idéaux du président.
Elle obtint alors son poste, mais aucune subvention ne lui serait attribuée. Elle réussit à se constituer une petite bibliothèque, en récupérant toutes sortes d’ouvrages dont les établissements ne voulaient plus.
Ils arrivèrent donc, Paul et elle, à Althoya.
Le cabinet de l’ancien médecin, bien que rudimentaire, avait tout le matériel nécessaire à une médecine locale. Étant le seul à des centaines de kilomètres à la ronde, ce ne fut pas compliqué de se faire une bonne clientèle.
Les gens d’ici n’étant pas très fortunés, le paiement des consultations se faisait beaucoup en nature. Paul leur proposa même une sorte d’entraide, il fournissait son savoir et en retour les enfants devaient aller en classe, et pour cela, il fallait trouver un local et le rendre habitable.
Tout le village se mobilisa. Il ne fallut que quelques jours pour inaugurer la première salle de classe.
Il y avait en tout vingt-six élèves, dont un peu plus de la moitié ne savait ni lire ni écrire.
C’est ainsi qu’Anne fit la connaissance de Margot, une adorable petite fille toute maigrichonne, mais d’une intelligence incroyable pour son jeune âge.
Elle vivait toute seule avec son papa, sa maman était morte à la suite de cette épidémie de fièvre qui avait dévasté toute la région.
La petite fille non seulement savait très bien lire et écrire, mais elle maîtrisait aussi le calcul élémentaire. Pour cette classe, elle faisait office de petit génie. Dans une grande ville, cette enfant aurait eu un avenir tout tracé, même si, encore à cette époque, les femmes pouvaient difficilement suivre des études supérieures, il n’y avait guère que l’enseignement qui restait le plus accessible.
Anne prit sous sa coupe cette petite fille qui avait soif de connaissance, elle pouvait aider dans un premier temps les enfants qui avaient le plus de retard.
La jeune institutrice remarqua que Margot avait une certaine facilité à communiquer avec les autres, et une imagination débordante pour trouver des explications à leur portée. Les enfants, ainsi, purent faire d’énormes progrès et assez rapidement, les différences de niveaux diminuèrent. Elle donna libre accès à Margot à la salle de lecture, où elle avait disposé tous les ouvrages qu’elle avait pu récupérer.
Toutes ses compagnes d’études avaient été touchées de la voir partir dans cet endroit oublié de tous et faisaient tout leur possible pour lui faire parvenir du matériel et d’anciens livres de lecture ou de calcul qu’elles n’utilisaient plus à présent, mais qui seraient fort utiles à Anne.
Dans un premier temps, ce fut la santé de Margot qui inquiéta lourdement la jeune maîtresse, elle en parla à son mari qui lui promit qu’il rendrait une visite de courtoisie au père de l’enfant.
— Comprends-tu ? Cet enfant a quoi, sept ans ? Peut-être huit ? Mais elle en paraît deux de moins. Je pense qu’elle a de gros problèmes de retard de croissance. Ou je ne sais quoi. Elle a un intellect hors du commun pour une si jeune enfant, ses parents lui ont donné une éducation approfondie. Je sais qu’elle a été gravement malade. Tu te souviens sans doute de cette épidémie de fièvre qui avait dévasté tout le pays ? Tu étais en dernière année, je crois, elle en a réchappé mais sa maman et son petit frère n’ont pu être sauvés. Son papa s’occupe d’elle, elle le vénère comme un Dieu…
— D’accord… Je vais aller les voir et examiner cette petite fille… Cesse de t’inquiéter pour cette enfant, garde cela pour quand tu auras les tiens…
Paul tint sa promesse et rendit visite à monsieur Delporte : le papa de Margot. C’était un jeune homme dans les mêmes âges que le docteur. Il le trouva d’ailleurs tout de suite très sympathique.
Il se présenta comme le nouveau médecin et, naturellement, il rendait visite à toutes les familles qu’il n’avait pas encore rencontrées.
Certes, il se doutait que son arrivée avait dû être connue de tous, mais il aimait bien aller au-devant des gens et les connaître, même si, et heureusement pour eux, ils n’avaient pas besoin de son aide.
Michel, monsieur Delporte trouva la démarche très gentille, il lui offrit une tasse de café que le médecin jugea bon d’accepter. À peine les présentations faites, en tant que docteur, il s’empressa de se renseigner sur cette petite famille, connaissant évidemment les réponses.
Paul, bien que médecin, ne soignait pas seulement les corps malades, il avait presque toujours une bonne intuition envers les gens, et pouvait aussi bien s’occuper d’eux s’il entrevoyait quelques blessures plus profondément enfouies.
Michel lui dit donc qu’il vivait tout seul avec sa fille Margot, mais n’en dévoila pas plus.
La petite n’allait pas tarder à rentrer de l’école.
— Elle adore y aller et sans me vanter, je pense que c’est la meilleure élève de la classe. Depuis peu, il y a une nouvelle institutrice, mais Margot avait déjà un bon niveau scolaire. Nous lui faisions la classe à la maison avec sa maman.
Une vague de tristesse passa dans le regard du jeune homme, il eut comme un frémissement, et puis il se reprit.
— Maintenant, c’est plus facile, la petite se rend à l’école tous les jours, mais sa soif d’apprendre ne s’atténue pas. Elle me ramène un bon nombre de livres que nous regardons ensemble. La nouvelle institutrice lui laisse les emprunter, c’est vraiment très gentil de sa part.
— Je sais, j’allais vous l’annoncer aussi, la nouvelle enseignante se trouve être mon épouse. Et s’il n’y a qu’une petite fille qui se prénomme Margot dans le village, alors je vous confirme qu’en effet, Anne, ma chère femme, est aussi très fière de ses résultats et de son envie d’apprendre.
Les deux hommes étaient partis dans une conversation à bâtons rompus, lorsqu’un petit ouragan entra tout à coup dans la maison.
— Papa, tu ne devineras jamais ce…
Margot se stoppa net en remarquant la présence du docteur, elle savait de qui il s’agissait, elle l’avait déjà vu dans la classe. Elle regarda son père et dit d’un air inquiet :
— Quelque chose ne va pas ? Tu ne te sens pas bien ?
Ce fut Paul qui réagit le premier :
— Non, non, rassure-toi, tout va bien, je fais juste une visite de courtoisie.
La petite fille sembla rassurée. Elle sauta sur les genoux de son père et lui fit un énorme baiser.
— J’ai eu peur que tu ne m’oublies, s’amusa son papa, et il lui rendit son baiser.
C’était touchant de les voir tous les deux. Paul les observa, il en allait de soi qu’il avait tout de suite remarqué, comme l’avait souligné Anne, que Margot souffrait de carence. Elle avait une toute petite stature, bien trop petite pour son âge, elle était vraiment très maigre, et pourtant, elle paraissait pleine d’énergie.
Il tenta le tout pour le tout et demanda tranquillement :
— Comme je suis là, autant ne pas être venu pour rien, acceptez-vous que je vous ausculte.
Et sans attendre la réponse, il ouvrit sa sacoche qui ne le quittait pour ainsi dire jamais. Il prit son stéthoscope et demanda à Margot de venir auprès de lui.
Quoiqu’un peu surpris, Michel n’osa réagir, ce médecin agissait tellement naturellement que la petite fille sauta à terre et s’approcha de lui.
L’examen fut rapide et il annonça d’un air théâtral.
— Vous avez un cœur de championne, et des poumons absolument irréprochables, jeune fille ! Pourriez-vous, je vous prie, vous accroupir et vous relever ?
La fillette s’exécuta en riant, elle le fit plusieurs fois d’affilée et puis, comme si le spectacle était fini, elle salua le docteur.
Les deux hommes se regardèrent en souriant.
— Eh bien, mademoiselle, tout ceci me semble parfait. Je remarque que tu as de très jolis cheveux, et ils sont d’une longueur exceptionnelle pour une petite fille comme toi.
— Pas si petite que ça, s’empressa de répondre Margot. J’aurai bientôt huit ans.
— Toutes mes excuses, je ne voulais pas te vexer.
Et Michel de rajouter :
— Tout le monde pense en effet que Margot est plus jeune. Elle a contracté cette foutue fièvre, et depuis elle ne grossit pas beaucoup. Mon épouse et notre bébé nous ont quittés cet hiver-là. J’ai vraiment cru perdre aussi Margot, mais elle s’est battue comme un vrai petit diable.
— Je me souviens en effet de cette épidémie, quelle catastrophe ! Je n’avais pas encore mon diplôme, mais comme beaucoup d’étudiants de dernière année, j’ai été réquisitionné. Je sais que dans la région les pertes ont été très douloureuses. Des familles ont été détruites, je suis désolé pour la vôtre.
Le jeune docteur resta un moment silencieux, il regardait Margot, mais ses pensées semblaient ailleurs. La petite commençait à perdre patiente, elle se trémoussait sur place et puis, n’y tenant plus, elle lança :
— Vous avez bien dit que tout allait bien ? Je peux peut-être aller dans ma chambre ? Vous savez, j’ai beaucoup de travail à faire pour l’école. J’ai rapporté plein de nouveaux livres et j’ai hâte de tous les regarder. En plus, j’en ai trouvé un sur la médecine, j’aime beaucoup la médecine. J’aimerais bien devenir docteur, vous pensez que c’est possible ? Devenir une femme médecin ! Sinon j’aimerais aussi devenir institutrice. À votre avis, c’est quoi le mieux ?
— Margot, Margot, s’il te plaît, arrête de jacasser. Viens me faire un bisou et oui, files dans ta chambre.
La petite fille ne se le fit pas dire deux fois, elle abandonna là les deux hommes, sans oublier d’embrasser son papa.
— Excusez-là, mais en fait, elle est toujours comme ça, je me demande si son cerveau se repose par moment, elle n’arrête jamais.
— Ne vous en faites pas, c’est une enfant pleine de vie. Elle va bientôt avoir huit ans, c’est cela ?
Michel opina pour toute réponse, il craignait pour la suite, le médecin semblait préoccupé.
— Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, le premier examen est parfait. Mais Margot, et cela se voit, est bien trop petite, et surtout, trop maigre pour son âge.
— Pourtant elle a bon appétit, s’empressa de répondre Michel.
C’est même un petit ogre. Elle a toujours faim.
— Je ne pense pas que le problème vienne de là. Comme je l’ai remarqué tout à l’heure, Margot a une chevelure magnifique, mais je trouve ses cheveux très longs, et même trop longs, pour une petite fille de huit ans.
— Elle les tient de sa maman.
À ce moment, la voix de cet homme changea, tout en parlant, il semblait s’être replongé dans de tendres souvenirs.
— Ses cheveux lui tombaient sur les cuisses, et quelquefois bien plus bas. C’était toujours une plaisanterie entre nous, je lui disais qu’un jour, elle marcherait dessus. Aussi, régulièrement, elle les coupait pour que cela n’arrive pas. Sinon, je crois bien qu’ils auraient touché terre.
— Je pense que si elle n’avait pas contracté cette fièvre, ses cheveux ne poseraient pas de problèmes, mais je crois… et… je suis presque sûr que la croissance de Margot est retardée voir interrompue par la poussée de ses cheveux.
— Je ne comprends pas…
— J’ai déjà entendu parler, alors que je faisais encore mes études, qu’un cas similaire s’était produit. En fait, lorsque Margot a eu cette fièvre, son corps a lutté du mieux qu’il a pu, mais, à sa guérison, on va dire que son cerveau a un peu mélangé ses fonctions. Il a oublié les priorités du corps humain. Au lieu de s’occuper d’abord des besoins de votre fille, il a favorisé les cheveux et elle se contente des restes.
— C’est possible une chose pareille ?
Là, c’était la petite voix de Margot qui se faisait entendre.
— Mon corps ne peut me faire un truc pareil !
— Oui… c’est possible.
Le médecin s’amusa de la réaction de la petite fille, mais il continua, juste un léger sourire venait contredire le sérieux qu’il voulait garder pour ses explications.
— Et je pense que c’est ce qui se passe. Je peux me tromper, bien sûr, mais je suis convaincu de ce que j’avance. Le seul moyen d’en avoir confirmation, c’est malheureusement la coupe des cheveux. On sera vite fixé. Je pense que dans un premier temps, c’est la meilleure solution. Si dans quelques semaines aucun changement n’intervient, tu pourras laisser tes cheveux repousser. Je vous laisse en débattre tous les deux, mais je reste sur mon diagnostic.
Une fois le médecin parti, Margot attrapa une poignée de ses cheveux et demanda à son père.
— Alors, tu me les coupes quand ? Tu crois vraiment que c’est possible, toi ? Tes cheveux qui mangent à ta place ?
— Eh bien lui, il le croit. Alors, moi aussi, et puis si c’est pas le cas, c’est pas très grave, tu as entendu, ils repousseront.
La petite fille s’installa donc sur une chaise et déclara qu’elle était prête pour sa nouvelle coiffure. Son père prit une paire de ciseaux, mais il avait bien du mal à se décider.
Il commença à tailler une dizaine de centimètres.
— Non, non, plus encore, papa, il faut que je mange pour moi maintenant.
Il s’amusa de cette remarque, il fit semblant de lui couper tout court, comme pour un garçon, Margot s’empressa de lui faire signe que oui, oui, elle voulait cette coupe très courte. Il réussit finalement à trouver un compromis, ses cheveux lui frôlaient les épaules. Elle fit la moue, n’étant que moyennement satisfaite.
Rien n’y faisait, son père avait décidé qu’il n’en couperait pas davantage.
Il renvoya sa chère petite dans sa chambre, le temps de ramasser cet amas de cheveux déposé sur le sol, et de préparer le repas.
Il ne prit pas garde que Margot, avant de descendre de la chaise, avait récupéré les ciseaux. Elle fila un peu rapidement dans son refuge et pour une fois, elle était bien calme.
Michel prépara le repas et quelle ne fut pas sa surprise au moment de se mettre à table ! Ce n’était pas une petite fille qui se présentait, mais un semblant de garçon.
Elle n’avait pas laissé beaucoup de longueur, et, surtout, aucun cheveu ne semblait avoir la même égalité que les autres. Michel ne savait pas s’il devait en rire ou se mettre en colère, tant la petite paraissait fière de son œuvre.
— C’est comme ça que je veux être coiffée, se crut-elle bon d’ajouter.
— De toute façon, maintenant, on ne peut plus faire grand-chose, mais si tu le permets, après le repas, je vais essayer d’arranger cela quand même.
Une fois Margot couchée, Michel repensa à cette soirée, cette petite était vraiment têtue, quand elle avait une idée en tête, rien ne la faisait changer d’avis. Il espérait de tout cœur que le médecin disait vrai. Il fallait, pour cela, attendre quelques semaines.
Il était dans ses pensées, lorsqu’il entendit cogner à sa porte. Le médecin se trouvait là, il portait un panier en osier et en montra le contenu, quelques bouteilles de bières, il proposa à Michel, si bien sûr cela ne le dérangeait pas, de passer un petit moment ensemble.
Anne travaillerait une bonne partie de la soirée dans sa classe, et il n’avait pas envie de rester tout seul. Michel lui répondit que c’était une bonne idée, qu’il en avait un peu marre de sa solitude, même si cela faisait du bien, ce silence, lorsque Margot était couchée. Une discussion entre adultes ne se refusait pas.
La soirée se passa cordialement et l’alcool aidant, les deux hommes ne tardèrent pas à se raconter les bons comme les mauvais souvenirs.
Paul avait eu surtout pour but de venir en aide à Michel, mais très vite, au fil de la soirée, il dut admettre qu’il appréciait beaucoup cet homme. Une belle amitié était en train de naître.
Les semaines qui suivirent donnèrent raison au médecin, Margot grossit un peu. Sa nouvelle coiffure, bien qu’un peu étrange pour une petite fille, fit fureur, ses cheveux courts, hirsutes, lui donnaient un air de petit garçon espiègle qui, finalement, lui convenait très bien.
L’amitié entre les deux hommes se renforçait, ils passaient maintenant bien plus qu’une soirée ensemble. De nouvelles sorties s’improvisèrent tout naturellement : partie de pêche, pique-nique, ce qui ravissait Margot. Elle profitait ainsi de la compagnie d’Anne, qui de plus en plus prenait la place d’une grande sœur, son titre d’institutrice ne restait qu’en classe.
C’est d’ailleurs au cours d’un repas qui les réunissait tous les quatre que le médecin et son épouse annoncèrent la naissance prochaine de leur premier enfant. En fait, ce n’était pas un, mais deux bébés qui étaient prévus pour le printemps.
Le temps s’écoula ainsi tranquillement sur la petite ville d’Althoya, la grossesse de l’institutrice préoccupa tous les habitants, de ce fait, à chaque consultation, Paul se retrouvait avec des vêtements ou des jouets pour les bébés. Finalement, il avoua qu’heureusement ils allaient être deux, car un seul n’aurait pas pu tout utiliser.
Afin de soulager Anne, ils prirent une jeune fille à leur service, Isabelle, qui s’occuperait des petits lorsque l’institutrice aurait repris sa classe après leur naissance. À la date prévue, Anne mit au monde deux adorables jumelles, Manon et Julie.
Les semaines, les mois passèrent, Margot avait bien changé, elle était toujours un peu plus petite que les autres enfants, mais elle avait un corps bien mieux proportionné.
Elle refusait définitivement de se laisser repousser, même un tant soit peu ses cheveux, elle adorait surtout le moment où elle les coupait, car elle interdisait à son père de le faire. Le résultat était toujours étonnant, mais c’était comme cela qu’elle voulait être.
Elle passait énormément de temps dans la salle de lecture. Tous les sujets la passionnaient. Elle aidait toujours beaucoup Anne en classe, elle désirait plus que tout devenir institutrice, elle le savait maintenant.
Anne lui avait confié qu’elle ferait tout son possible pour l’aider. Mais pour le moment, elle était encore un peu trop jeune pour intégrer l’école supérieure.
Anne, sans encore en parler avec la jeune fille avait demandé en fait de l’aide à sa maman qui elle aussi était dans l’enseignement.
Elles avaient envisagé que le moment venu, Margot pourrait aller en ville pour étudier, et qu’elle s’installerait dans l’ancienne chambre d’Anne. Mais il fallait encore patienter quelques années.
En attendant, régulièrement, Marie, la maman d’Anne, leur faisait parvenir de nouveaux ouvrages qui permettaient à Margot de préparer l’examen quelque peu redouté.
Un peu plus de quatre ans après la venue des jumelles, un petit frère arriva, Samuel, et puis encore quelques années de plus, et un bébé s’annonçait de nouveau. Mais quelle surprise ! Une nouvelle fois, des jumeaux se présentaient.
De ce fait, Anne demandait davantage d’aide auprès de Margot.
C’était pourquoi aujourd’hui, elle avait décidé de confier toute la classe à la jeune fille, et ce tout l’après-midi.
Cela faisait plusieurs jours qu’elles y travaillaient ensemble et Margot était très fière de la confiance dont lui accordait Anne.
Elle savait très bien ce qu’elle devait faire, elle avait déjà l’habitude de s’occuper de ses camarades, mais pour la première fois l’institutrice serait absente.
La matinée lui sembla pourtant interminable, tant elle était pressée de se retrouver toute seule, pour toute l’après-midi.
Ce serait elle la maîtresse.
Tout se passa très bien, elle réussit à remplir tout le programme qu’elle avait mis au point avec l’aide son institutrice. Elle était vraiment fière d’elle. Elle avait hâte à présent de rentrer pour tout raconter à son père.
Le pauvre, cela faisait déjà des semaines qu’elle ne parlait que de ça et, dans un avenir proche où elle allait partir chez Marie pour commencer ses grandes études, il resterait tout seul.
Michel redoutait, comme tous les pères, le moment du départ de sa petite, mais, comment ne pas partager un aussi grand enthousiasme ?
Elle se pressa sur le chemin du retour, elle était plus en retard que d’ordinaire, elle était passée voir Anne, qui avait bien profité de son repos.
L’institutrice en était certaine, tout devait bien se dérouler, de toute façon, elle n’était pas très loin de la classe, s’il y avait eu besoin, elle serait venue de suite, mais elle connaissait la détermination de cette jeune fille volontaire.
Sur la route, la ramenant chez elle, Margot se perdait dans ses pensées, elle se remémorait toutes les lettres échangées avec Marie depuis des mois.
C’est comme cela qu’elles avaient lié connaissance.
Dans un courrier adressé à sa fille, elle avait fait une petite lettre à l’adolescente, lui expliquant qu’elle était impatiente de faire sa rencontre, tant Anne lui parlait d’elle. Margot lui avait gentiment répondu et depuis, régulièrement, elles conversaient au travers de lettres interminables.
Elle se rendit à peine compte qu’elle était déjà arrivée devant la maison, la porte était ouverte, elle ne le remarqua même pas, elle eut à peine le temps de passer le seuil qu’elle se fit bousculer violemment, elle allait tomber, on l’agrippa brutalement par le bras, elle se retrouva avec un sac en toile sur la tête, et en un instant, ce fut le trou noir.
Elle s’écroula.
***
Le réveil fut loin d’être agréable. Durant quelques secondes, Margot se sentit complètement perdue, elle n’avait aucun souvenir, elle se trouvait dans une totale obscurité, elle avait l’impression d’être ballottée.
Et puis, petit à petit, tout reprenait place dans sa tête, déjà sa journée de classe, comme elle était fière d’avoir remplacé Anne, tout s’était admirablement bien passé, elle n’avait qu’une hâte, tout raconter à son père.
Seulement, elle ne l’avait pas revu, elle n’avait même pas réussi à rentrer dans la maison, mais d’ailleurs la porte était ouverte…
Pourquoi n’y faisait-elle attention que maintenant ?
Jamais la porte ne restait ouverte ! Forcément qu’elle aurait dû se méfier ! Cependant, perdue dans ses pensées, elle ne s’en était même pas rendue compte.
Malheureusement, à présent, il était trop tard, de toute évidence elle s’était fait enlever.
Cette sensation de ballottement, elle se doutait de l’origine. Elle devait se trouver à l’arrière d’un chariot.
Ce qui semblait bizarre, c’était ce sur quoi elle était couchée.
Elle voulut toucher ce qui l’entourait, mais là, elle avait du mal à bouger.
Elle était attachée, c’était certain et en plus, elle avait l’impression que tous ses membres étaient engourdis.
Elle attendit quelques minutes, elle avait la sensation que tout son corps se réveillait d’un profond sommeil. Cela lui rappela la fois où elle était restée auprès de Paul, pour une opération surprenante.
Le chien du forgeron s’était blessé, une large plaie couvrait son flanc, son maître avait pris la résolution d’abattre son animal pour lui éviter de souffrir comme cela se faisait dans toutes les campagnes, mais Paul, après avoir regardé la pauvre bête, avait demandé l’autorisation de recoudre l’animal.
Tout le monde était surpris de cette réaction. Recoudre un chien ! Quelle idée bizarre !
Mais le médecin se disait que s’il pouvait le faire sur les humains, les sutures devaient être possible sur un animal, de toute façon, il ne souffrirait pas, tout au moins pas durant l’intervention.
Après forcément, comme toute blessure, il faudrait soulager ses douleurs.
Le forgeron se dit que ma foi, c’était une bonne bête, et que si ça pouvait fonctionner, pourquoi pas.
Margot avait trouvé cette situation très pittoresque, et sa soif d’apprendre étant toujours la plus forte, elle avait demandé à Paul si elle pouvait rester durant l’opération.
Si cela avait concerné qu’un patient, il aurait refusé de suite, mais là, il accepta volontiers la présence de la jeune fille, il la nomma même assistante-infirmière, en précisant bien évidemment que ce ne serait que pour cette fois, et seulement cette fois.
C’est là qu’il lui fit découvrir l’usage d’un anesthésiant.
Pour cette opération, il avait pris de l’éther, il lui en expliqua toutes les caractéristiques, grâce à ce produit, il allait pouvoir soigner l’animal sans qu’il ne ressente aucune douleur, il fallait juste trouver la bonne dose.
Et en effet, le chien, rapidement, tomba dans un profond sommeil, et Paul le recousit sans aucun problème.
Le réveil avait été un peu plus compliqué, durant quelques minutes, il avait fallu empêcher l’animal de bouger, cela se voyait qu’il n’avait aucune force dans ses pattes.
Il fallait attendre que l’organisme élimine toute trace du produit.
Et là, pour elle, c’était la même chose.
Le sac qui lui recouvrait la tête devait être imbibé d’éther.
Cela expliquait pourquoi elle s’était effondrée aussi vite, qu’elle n’avait aucun souvenir de ce qui avait bien pu lui arriver entre l’instant de l’attaque et son réveil, et qu’elle avait ce mauvais goût dans la bouche qu’elle ne connaissait pas.
Elle patienta donc, le temps d’avoir cette sensation de pouvoir à nouveau bouger normalement.
Là maintenant, elle reconnut la nature de ses liens, une grosse corde enserrait ses poignets. Doucement, elle commença à tourner ses mains dans tous les sens. Cela semblait étrange, mais elle avait toujours eu cette facilité à se défaire de tout ce qui l’entravait.
On va dire que les enfants parfois ont des jeux étranges, mais il était de coutume avec ses camarades de jouer aux prisonniers. Ces régions souvent hostiles étaient propices à une imagination débordante, aussi les attaques de « sauvages » étaient souvent prisées.
Les pauvres jeunes filles sans défense, les victimes, se retrouvaient attachées et devaient attendre que leurs braves arrivent en sauveurs. Mais, Margot patientait rarement, ses petites articulations devaient très certainement l’aider. Elle se retrouvait toujours libre avant la venue de son héros.
Cela étonnait toujours les autres enfants, si bien que quelquefois, il n’y avait qu’elle qui se trouvait attachée, et elle devait se libérer le plus rapidement possible. Chose qui se produisait toujours.
Donc, dans un premier temps, pour elle, ce ne fut pas le moment le plus délicat. Elle se concentra sur cette corde, et comme à l’accoutumée, ses mains se libérèrent.
Maintenant, il fallait retirer cette chose de sa tête.
Elle tira dessus, mais ça résistait.
À tâtons, elle reconnut la forme, elle avait sans aucun doute un sac sur la tête. Elle ne pouvait le retirer, il était resserré au niveau du cou, elle continua à chercher où se trouvait l’attache qu’elle trouva rapidement. Encore un nœud à défaire et, quel ne fut pas son plaisir de pouvoir prendre une gorgée d’air pur, une fois son visage dégagé.
Il faisait toujours bien noir, même sans le sac, elle avait dû dormir un bon moment, la nuit semblait bien avancée.
Elle ne s’était pas trompée, elle se trouvait sur des corps d’autres jeunes filles qui, comme elle, n’avaient pas eu de chance. Elles étaient toutes profondément endormies, elle en secoua une ou deux, mais sans succès, tant que le produit faisait effet, elle ne pouvait rien faire.
Elle réussit à se rapprocher du fond du chariot, l’envie de sauter devenait de plus en plus forte, maintenant, elle venait de décider que sa prochaine action serait la fuite. Mais elle devait être sûre de son fait.
Elle essaya du mieux qu’elle put de se rapprocher de l’autre côté du chariot, là où devaient se trouver ses ravisseurs, elle perçut enfin des voix. Des hommes à n’en pas douter, elle entendait deux sons différents, ils n’étaient donc pas très nombreux.
Le chariot ralentit un peu, puis se stoppa, là elle put enfin comprendre leurs conversations. L’un d’eux voulait descendre pour se soulager, l’autre annonça que l’idée n’était pas très bonne.
— Que veux-tu qu’il se passe, clama le premier, elles dorment toutes comme des bébés. C’est quand même génial se produit, il suffit de tremper les sacs dedans, et hop sur la tête, et tout est fini. Le travail est quand même plus facile.
— C’est sûr, mais elles vont bien finir par se réveiller, et je préférerais que ce ne soit pas pendant le transport. Il ne manquerait plus que ça, qu’une d’elles s’échappe. Je te rappelle que l’on devait en ramener une bonne vingtaine et que déjà, nous n’en avons que quinze. Le boss ne va pas être content.
— Oh, t’es toujours en train de t’inquiéter pour rien. On n’est pas les seuls sur le coup, les autres ont certainement eu plus de chance et demain, on repartira en chasse. Mais là, il faut vraiment que je descende, t’as compris ? Si ça peut te rassurer, jette un œil à l’arrière pour voir que tout va bien, de toute façon, elles sont toutes bien ficelées, même si elles se réveillent, elles ne pourront pas beaucoup bouger.
Un rire sonore accompagna sa sortie nocturne.
Margot ayant bien suivi la conversation se recoucha sur les corps, remit son sac en place et resta immobile jusqu’au retour de l’individu.
Elle ne se rendit pas compte si l’autre avait vérifié que leur petite cargaison, comme elle l’avait entendu auparavant, était calme, mais au moment où le chariot recommençait sa route, elle se dit que c’était maintenant ou jamais.
Aussi vite qu’elle le put et aussi discrètement que possible, elle se retrouva au fond de la voiture, elle souleva la bâche et sans plus réfléchir sauta.
Le véhicule roulait encore très lentement, si bien que la chute ne fut pas trop périlleuse.
Mais de cela, Margot se moquait totalement, la dernière étape était franchie, elle était sortie du chariot.
Elle resta sans bouger, attendant de ne plus voir cette horrible voiture. La nuit la protégeait certes, mais il était plus prudent de patienter quelques secondes.
Une nouvelle question se posait maintenant, par où aller ? Elle n’avait aucune idée de l’endroit où elle se trouvait, alors quant à savoir vers où se diriger…
Ce qui était certain, c’est qu’elle se trouvait sur une route, le terrain était dégagé et, malgré la nuit plutôt sombre, elle pouvait voir assez loin. Elle crut percevoir comme une lumière, elle avança donc dans cette direction, oui, au loin, elle commençait à deviner la forme des maisons.
Elle pourrait peut-être enfin trouver du secours, elle se raccrocha à cette idée et c’est avec tout son courage qu’elle couvrit les quelques lieues, qui vraisemblablement, lui apporteraient sa liberté.
Le chemin lui semblait bien long, par moment Margot se demandait si elle n’avait pas rêvé ces maisons et même cette fichue lumière. Elle commençait vraiment à perdre courage, qu’allait-il donc encore pouvoir lui arriver ? Si elle s’était trompée et qu’aucun secours n’était envisageable ?
Finalement, elle grimpa sur une petite colline, et à son arrivée, un grand soulagement l’envahit, non, elle n’avait rien imaginé, elle pouvait enfin les voir. Il y avait bien un village sur le bas. Pas de lumière certes, mais des maisons.
Et puis soudain, elle entrevit comme une lueur qui semblait en mouvement, comme si une personne se promenait avec une lanterne à la main.
Au beau milieu de la nuit, cela lui paraissait un peu étrange.
Comme l’obscurité était bien épaisse, elle descendit en faisant le moins de bruit possible. Elle se rapprochait de cette lumière, oui, elle était réelle, il s’agissait bien d’une personne, elle tenait sa chandelle droit devant.
En fait, c’était une jeune femme, elle chantonnait et son bras semblait battre au rythme de sa mélodie.
Margot hésita quelque peu, et puis pensa que cette jeune personne n’avait vraiment rien de dangereux. Sa chanson était entraînante, de plus, il n’était peut-être pas aussi tard qu’elle le pensait, il lui était arrivé de telles mésaventures qu’elle ne savait plus ni où elle était ni combien de temps avait pu s’écouler depuis son enlèvement.
Finalement, elle se retrouva devant la jeune femme.
— Et bien ma mignonne, que fais-tu donc à cette heure-ci toute seule dehors ? Tu devrais être plus prudente, tu pourrais faire de mauvaises rencontres.
Margot hésita encore à demander de l’aide, mais, à l’évidence, il n’était pas facile de trouver une histoire crédible.
Une jeune fille de seize ans ne se promène pas toute seule au beau milieu de la nuit.
Et puis le sourire qu’elle lui adressait finit par rassurer totalement Margot.
— Justement Madame, reprit-elle très doucement, comme si elle avait peur que quelqu’un ne puisse les entendre.
— J’ai effectivement fait de mauvaises rencontres, j’ai réussi à m’échapper, et si vous pouviez me donner refuge pour la nuit, demain je me débrouillerai pour retourner chez moi.
— Ma pauvre petite, suis-moi. Bien sûr que je vais t’aider ! Il doit me rester un bon bol de soupe. Tu vas me raconter toute ton histoire, et pour demain, on avisera.
Margot lui emboîta le pas. La jeune femme lui semblait vraiment sympathique. Sa voix chantante finit de la rassurer.
— Tu as eu beaucoup de chance de me trouver. Je me rendais au port, il se trouve juste au bout de la route, mon époux rentre de la pêche. Comme il commençait à se faire tard, j’allais voir s’il arrivait.
Nous avons un code avec nos chandelles. Me voici rassurée. J’ai vu ses lumières au loin, il ne mettra pas trop longtemps à rentrer. Tu as eu beaucoup de chance de me trouver sur ton chemin. Ici, il n’y a déjà pas grand monde de jour qui se promène alors, pense donc de nuit ! Voici ma maison, rentre, je te prie.
Au moment où Margot passa le seuil, elle eut un frisson, la dernière fois qu’elle était rentrée dans une maison, elle s’était retrouvée avec un sac sur la tête. Elle se stoppa.
— Allez, rentre !
Elle la poussa gentiment en lui donnant une tape sur l’épaule.
Malheureusement pour Margot, ce geste n’engendrait rien de bon.
— Dites donc vous deux, vous m’aviez bien dit que vous aviez égaré un colis ? Eh bien, regardez un peu ce que je vous ramène ! Et oui fillette, tu viens de te jeter toute seule dans la gueule du loup. En tout cas, ça arrange bien nos affaires de t’avoir retrouvée. J’arrive du port, le bateau sera bientôt là. Quant à nous, la livraison se trouve au complet et…
La surprise étant passée, Margot tenta le tout pour le tout, si elle avait pu partir une fois, pourquoi pas deux ? Elle poussa la femme qui n’avait pas encore refermé la porte, et elle n’avait qu’une idée, courir aussi vite que possible.
Encore une fois, elle joua de malchance, certes, elle avait poussé la femme, mais celle-ci avait de bons reflex.
À côté de la porte se trouvait un seau rempli de sacs, la femme en un éclair en attrapa un, et pour la seconde fois de la soirée Margot se retrouva la tête emprisonnée dans la toile. Elle essaya de retenir sa respiration, mais elle ne fut pas assez véloce. Le produit agissant très rapidement, elle s’effondra sous le porche.
— C’est une petite futée celle-là ! Heureusement que j’ai toujours un coup d’avance. Venez m’aider vous autres au lieu de vous goinfrer. Il va falloir emmener les filles jusqu’au bateau. On va prendre le chariot. On a dû faire pas mal de bruit à cause de cette gamine. Une fois la cargaison livrée, il vaudrait mieux partir de suite. Plus on mettra de kilomètres entre cet endroit et nous, mieux ce sera.Allez donc la déposer dans le chariot et, bas les pattes, souvenez-vous… On ne touche pas à la marchandise !Si on utilise les sacs, c’est justement pour que toutes ces demoiselles gardent leur joli minois intact. Je vous l’accorde, elles sont bien mignonnes, mais elles sont déjà toutes attendues. Dans quelques semaines elles feront de parfaites petites épouses…
— C’est quand même bien dommage, un peu de bon temps quelquefois ce ne serait pas de refus. Surtout avec des petits lots comme celle-ci. Elle a du caractère en plus… J’aurais bien essayé de lui faire des petits moi, son futur mari a bien de la chance…
— Tu parles, avec son envie de fuir tout le temps, il va passer plus de temps à lui courir après qu’à lui faire des petits.
— Suffit, tous les deux !
Le ton de la jeune femme se voulait ferme. Elle commençait vraiment à ne plus supporter ces deux nigauds.
Heureusement, leur travail touchait à sa fin.
— Arrêtez donc de sortir vos âneries, portez celle-là au chariot et venez chercher les autres. Pendant ce temps je regroupe toutes nos affaires.
Le chargement des jeunes filles se fit sans encombre, maintenant elles s’étaient toutes réveillées. En arrivant au chariot et en voyant Margot avec son sac, elles n’avaient nulle envie de recommencer leur mésaventure.
Lorsque la voiture arriva à quai, le bateau attendait.
Le capitaine fumait tranquillement sa cigarette.
***
Ce n’était pas la première fois qu’il travaillait avec ce trio et tout se déroulait toujours parfaitement. Ses marins firent monter les jeunes filles à bord, quand il remarqua le corps inanimé gisant dans le chariot.
— Petit problème ? Et… Pourquoi elle a toujours son sac ?Vous savez très bien que je préfère qu’elles soient toutes réveillées depuis un bon moment avant l’embarquement. J’aurai toujours bien assez de malades pendant la traversée, pas besoin d’en rajouter.
— Oui, je sais, répondit la jeune femme, mais méfie-toi de cette sale gamine, elle a essayé de nous échapper par deux fois. Tout ira bien tant qu’elle dormira, tâche de l’avoir à l’œil, elle est prête à tout.
— OK, je vais m’en charger moi-même. Voici votre salaire, c’est la somme qui était convenue. Je pense que l’on sera amené à retravailler ensemble. Finalement, c’est un bon job.
Là-dessus, il attrapa Margot, la balança sur son épaule et tranquillement partit vers son bateau. Il la déposa sur le pont.
Pendant ce temps, son équipage faisait tout le nécessaire pour partir au plus vite.
Sans plus faire aucun bruit, le chariot s’éloigna du village alors que de l’autre côté, le bateau faisait de même.
Le capitaine regardait la jeune fille qui se trouvait à ses pieds.
— T’es vraiment pas bien grosse. Es-tu seulement aussi âgée que tes petites copines ?
Il savait très bien que toutes ces adolescentes avaient entre seize ou dix-sept ans, c’étaient des proies faciles, mais surtout, elles avaient l’âge de pouvoir se marier. C’était pour cela qu’il faisait le voyage avec cette marchandise.
Les prochains convois qui étaient prêts à partir étaient constitués de trente hommes, et lui leur apportait leurs trente épouses.
Il préférait toujours employer le mot de marchandise ou de cargaison, car comme cela, il ne les identifiait pas à des personnes, et surtout, il ne fallait pas que ses matelots les voient autrement.
Au début, peu lui importait si les hommes profitaient un peu des filles, les distractions se font rares en pleine mer, le voyage durait souvent deux ou trois semaines, voire plus.
Puis les marins s’étaient disputé les faveurs de telles ou telles demoiselles, les bagarres éclataient. L’entente entre les hommes se dégradait à chaque voyage.
De plus, les filles, du moins les plus courageuses, subissaient quelquefois des violences, la menace de voir le montant de la livraison baisser, avait fait que, dorénavant, on ne convoyait que de la marchandise et non des personnes.
Il retira le sac de la tête de Margot, lorsqu’il vit ses cheveux bruns si courts et tout ébouriffés, il se dit qu’il la reconnaîtrait sans problème. Aucune des filles ne devait avoir la même coiffure, il pensa même que ce devait être la première qu’il voyait coiffée ainsi.
Quelle drôle d’idée !
Maintenant qu’il pouvait sans se tromper la surveiller de loin, il la remit sur son épaule et alla la coucher auprès des autres filles.
Et sans plus se soucier de toutes ces gamines, il regagna sa cabine.
Le voyage allait être long, très long. Trois semaines…
Le réveil de Margot fut bien moins agréable que le précédent, le nouveau sac qui lui avait été posé sur la tête, trempait dans un seau d’éther, si bien que même ses vêtements étaient imprégnés d’anesthésiant.
Elle resta inconsciente bien plus longtemps, elle était beaucoup plus faible que la première fois. Elle avait du mal à remuer ses membres, elle se sentait nauséeuse, même son esprit semblait tout embrouillé. Elle eut du mal à remettre de l’ordre dans ses souvenirs.
Quelle étrange sensation, tout son entourage bougeait, mais elle réalisa après un long moment qu’effectivement, elle était couchée dans un lieu en mouvement.
Sa vue, brouillée jusque-là, commençait à percevoir des ombres, puis peu à peu, les images se formaient. D’autres jeunes filles se trouvaient avec elle, certaines semblaient dormir et d’autres, pelotonnées les unes contre les autres, pleuraient.
Elle aurait voulu parler, mais rien ne sortait de sa gorge, elle avait la bouche asséchée.
Petit à petit, tous les événements de la soirée se remettaient en place. Son enlèvement, sa fuite, la rencontre avec cette jeune femme qui l’avait conduite ici.
Elle se souvenait avoir entendu parler de bateau, ce qui expliquait ce mouvement qui l’entourait, tout n’était pas dû à l’éther.
Elle essaya de se relever, mais retomba d’un coup, tout tournait autour d’elle, et ses forces étaient bien loin d’être revenues, elle remarqua alors une jeune femme qui s’approchait d’elle, une tasse à la main.
Elle semblait aussi jeune qu’elle.
— Bois un peu d’eau, ça va te faire du bien. Tu es restée inconsciente bien plus longtemps que nous. Il paraît que tu as voulu t’enfuir. Je n’en aurais jamais eu le courage.
Margot accepta la tasse, mais elle avait les mains qui tremblaient, la jeune fille la lui reprit et l’aida à boire.
Les quelques gorgées qu’elle put avaler lui firent du bien, et puis elle détourna la tête, si elle buvait davantage, elle allait vomir…
— Je m’appelle Claire.
Tout en continuant de parler, elle passait un mouchoir mouillé sur le visage de Margot. Celle-ci n’écoutait pas vraiment ce que lui racontait la jeune fille, de temps en temps, elle comprenait quelques mots, enlèvement, sac, trou noir, bateau…
Il était clair qu’elles avaient toutes subi le même traitement, maintenant restait à savoir ce qui les attendait.
En quelques minutes, Margot se sentit mieux, elle réussit à s’asseoir, et ne chercha pas à en faire plus. Elle prit la tasse que lui tendait Claire et but par petites gorgées.
— Merci beaucoup. Je m’appelle Margot.
Tout en regardant attentivement autour d’elle, elle continua sa conversation.
— On a l’air d’être nombreuses. Tu crois que l’on a toutes été enlevées ? Mais pourquoi ?
— Il y avait des rumeurs depuis quelque temps, des enlèvements de jeunes filles, on les marierait de force, et on les enverrait sur des territoires inconnus pour former de nouvelles colonies. À première vue, ce ne sont pas vraiment des rumeurs.
— Tu crois que l’on va nous marier ?
Aucune réponse ne lui arriva. Claire restait immobile, le regard dans le vide.
— C’est possible de faire une chose pareille. On ne peut pas arracher les gens de leur vie comme ça…
Et elle rajouta doucement, comme si elle se parlait à elle-même.
— J’ai tellement de projets, tout ne peut pas s’arrêter d’un coup.
Claire regarda Margot avec un drôle de regard. Des projets ?
Qu’est-ce qu’elle voulait dire par là ?
— Tu as quel âge ? demanda subitement Claire, moi, j’ai seize ans…
— Pareil pour moi.
La jeune fille sembla se perdre dans ses pensées, puis elle reprit d’un ton triste.
— Je me demande ce qui est arrivé à mon père. Il doit être mort d’inquiétude…
— On est là, à ne pas savoir ce qui va nous arriver, et toi, tu t’inquiètes pour ton père ?
— Il n’a plus que moi au monde… Ma mère et mon petit frère sont morts de la fièvre. On est plus que tous les deux…
Claire mit quelques secondes avant de répondre.
— Je ne sais même pas si le mien s’est rendu compte de mon absence, il rentre presque tous les soirs, ivre à tomber par terre. Si l’un de mes frères ou moi faisons un pas de travers, il répond par une bonne correction. Peut-être que finalement, c’est pas plus mal que je sois là. Tant que l’on ne me bat pas…
Margot regarda la jeune fille, elle avait du mal à comprendre le sens de ses propos. Comment un père pouvait être aussi violent avec ses enfants ?
Elle n’avait jamais rencontré des gens de cet acabit, à Althoya les familles étaient toutes unies, certes, il y avait des hommes qui passaient du temps au bar et rentraient bien saouls, mais elle n’avait jamais entendu que des enfants ou des épouses étaient maltraitées.
— Je suis désolée que ton père t’ait fait subir de telles violences, mais tu ne peux penser que tu seras mieux ici, je peux t’assurer qu’à la première occasion, je m’enfuis de nouveau et j’essaie de retourner chez moi.
— Comment tu as fait pour te sauver ?
Margot lui raconta toute sa mésaventure, et comment elle s’était fait reprendre en faisant confiance à la seule personne qui ne la méritait pas. Elle cachait bien son jeu celle-là !
— Mais je vais recommencer, et cette fois, je vais rentrer chez moi et reprendre ma vie. Je refuse que l’on me retire tout ce que j’avais, et tout ce que je veux accomplir.
Les deux jeunes filles se mirent à l’écart pour ne pas déranger les autres qui commençaient à se manifester. Elles voulaient dormir.
Margot et Claire avaient besoin l’une comme l’autre de se raconter. Elles sentaient qu’elles pouvaient se soutenir et pourquoi pas devenir amies.
La nuit fut courte pour les deux adolescentes, elles ne dormirent que quelques heures.
Elles furent réveillées par un marin, qui venait les prévenir qu’il fallait monter sur le pont, le capitaine voulait leur parler, à toutes !
Et, il n’avait pas beaucoup de patience. Mieux valait obéir rapidement et ne pas subir son courroux.
En quelques minutes donc, toutes les jeunes femmes se retrouvèrent à l’extérieur.
La mer était calme, le soleil était doux, si les circonstances n’avaient pas été aussi incertaines, le voyage aurait pu être agréable.
Le capitaine se trouvait droit devant elles. Il les observait attentivement toutes, en silence. Il avait un regard froid, menaçant.
Comme l’avait précisé le marin, il valait mieux ne pas se frotter à sa colère, cela se ressentait.
Son regard se posa sur Margot, en fait, c’était bien elle qu’il cherchait parmi toutes les jeunes filles, il voulait s’assurer de sa présence, il n’avait aucune confiance en elle, et maintenant qu’il la voyait réveillée, il l’observait calmement, et il en était persuadé, s’il relâchait sa vigilance, elle le lui ferait regretter.
Il sentait qu’elle n’aspirait qu’à une seule chose, la liberté. Ce qui passait forcément par la fuite.
La jeune femme, en montant sur le pont, contrairement aux autres filles, regardait tout autour d’elle, elle remarquait les chaloupes, elles étaient, semble-t-il, attachées solidement. Ils y avaient aussi de très grosses bouées, celles-ci paraissaient plus faciles d’accès. Mais rester dans l’eau glaciale pendant des heures, était-ce la bonne solution ?
Elle se dit qu’elle trouverait forcément une idée, à moins que le trajet ne dure pas trop longtemps. Et puis elle sentit le regard pesant du capitaine sur elle, elle osa le croiser, et sans pour cela baisser les yeux, elle comprit qu’il savait très bien ce qu’elle faisait, elle cherchait la moindre faiblesse qui lui permettrait de s’enfuir.
Elle réalisa aussi que ce ne serait pas facile. Il la surveillerait sans relâche.
Ce court échange de regards ne rassura pas du tout le capitaine, cette jeune femme, comme toutes les autres, semblait fortement traumatisée par cette aventure, pourtant, il percevait de la détermination en elle,il en était certain.
Il avait remarqué sa façon de tout observer méticuleusement. Oh oui, à ne pas s’y tromper, un jour durant ce voyage, elle tenterait sa chance et là, s’il ne l’en empêchait pas au bon moment, elle ne pourrait pas s’en sortir.
Cela pouvait aussi mettre en péril son activité. Il s’était engagé à livrer trente jeunes filles en bonne santé.
Mais surtout, si une pouvait s’enfuir ou seulement tenter de le faire, d’autres pouvaient l’imiter et s’en serait fini de ce travail lucratif.
Donc, celle-là, il n’allait pas la lâcher d’une semelle.
Si lui ne pouvait le faire en permanence, il allait désigner des hommes de confiance pour qu’elle soit sous surveillance totale jusqu’à son débarquement. Pourvu que le temps et les vents soient cléments pour écourter au maximum ce voyage.
Les jeunes femmes commençaient à trépigner sur le pont, cela faisait plusieurs minutes qu’elles se trouvaient là, sans bouger, le capitaine semblait perdu dans ses pensées.
Il avait le regard fixe. Son allure de vieux loup de mer ne rassurait pas du tout ces fillettes.
Puis soudain, une voix forte résonna.
— Mesdemoiselles, je ne sais pas d’où vous venez et n’en sais pas plus sur votre destination future. Mon travail est de vous débarquer toutes, et je dis bien toutes, dans un port dont je suis le seul à connaître le nom. Tous mes hommes, fidèles marins, me sont dévoués corps et âmes. Ils connaissent le règlement de ce navire. N’essayez même pas de vous rapprocher d’eux, je ne veux aucun contact entre vous. Vous êtes ma marchandise.Vous allez être autorisées à monter sur le pont par petits groupes, je vous laisse les former. Pas plus de six filles ensemble. En bas, ce sont vos quartiers, vous vous installez comme bon vous semble.Les repas vous seront servis en extérieur, à vous de les descendre et partager cette nourriture, ensuite vous nous ferez parvenir votre vaisselle. En aucun cas, un de mes hommes ne doit se trouver en bas. Je pense que vous avez bien compris mes propos. J’ai entière confiance en mon équipage, tout faux pas vous sera forcément imputé. J’ai une ou deux chambres qui peuvent servir de cachot et, soyez-en certaines, je n’hésiterai pas à les utiliser. Donc je vous invite à redescendre. Petit rappel ! Pas plus de six sur le pont !La traversée peut durer une vingtaine de jours suivant la force des vents. Donc, mesdames, profitez bien du voyage.
Aucun bruit ne parvenait du groupe, les filles regardaient toujours ce personnage. Pour lui, elles n’étaient qu’une vulgaire cargaison qu’il avait prise en charge. Son seul but était de la livrer sans perte.
Que cette marchandise soit mal menée ou abîmée n’était pas son problème.
Les jeunes femmes repartirent donc dans leur « quartier ».
Elles commencèrent à faire l’inspection des lieux.
Il y avait dans un coin des sacs qui pouvaient servir de couvertures, de la paille était étalée au sol.
Il faut dire que lorsqu’elles étaient arrivées hier soir, elles étaient trop éprouvées pour faire quoique ce soit.
En fait, elles étaient restées toutes ensemble et avaient dormi comme elles pouvaient, serrées les unes contre les autres. Un bien maigre réconfort.
Mais maintenant, sachant qu’elles devaient passer au moins deux semaines dans cet endroit, elles pouvaient s’installer un minimum.
Elles s’affairaient donc, préparant des couchages tous regroupés dans le fond de la soute. Ainsi de la place était libérée pour s’asseoir à même le sol, six filles sur le pont, cela laissait beaucoup de personnes en bas.
Elles trouvèrent aussi des seaux, pour les commodités, elles choisirent un coin isolé pour avoir un peu d’intimité.
Elles décidèrent d’un roulement pour sortir les vider.
Maintenant, il fallait composer les groupes. Ils seraient au nombre de cinq.
Certaines filles durant la nuit avaient tout comme Claire et Margot fait connaissance aussi.
Contrairement à ce que l’on aurait pu croire, les groupes se firent très rapidement.
Elles décidèrent aussi de les changer souvent, de façon à se connaître toutes.
À partir de cet instant, elles réalisaient que certaines d’entre elles ne se quitteraient peut-être pas de sitôt, il fallait qu’elles se soutiennent toutes. Elles ne pouvaient que s’en remettre les unes aux autres.
Il était clair que pour les hommes de ce navire, elles seraient invisibles.
Bien sûr, Claire et Margot avaient fait en sorte d’être dans le même groupe. En fait, elles ne s’étaient pas quittées depuis le réveil de Margot, même les couches improvisées étaient côte à côte.
— Quel accueil ! lança Claire, alors qu’elles s’asseyaient, laissant le premier groupe aller prendre un peu d’air frais.
— Je sais pas si vous êtes comme moi, mais dans un sens, je suis contente qu’aucun des hommes ne puisse venir ici…
Sans même prononcer un mot, toutes les jeunes filles acquiescèrent.
Elles mirent à profit ce moment de rapprochement pour se présenter et se raconter aux autres. Elles avaient toutes à peu près le même âge, entre seize et dix-sept ans, venaient de régions limitrophes, mais aucune d’elles ne se connaissaient auparavant. Elles avaient toutes été arrachées à leur vie suivant le même procédé.
Ce qui était surprenant, c’est que comme pour Margot, plusieurs filles le vivaient comme un traumatisme inguérissable, alors que les autres, une minorité certes, entrevoyaient un avenir, sombre peut-être, mais avec un espoir d’obtenir une meilleure vie.
Toutes les jeunes femmes se mirent donc à raconter leur enfance. Tout comme Claire, pour certaines, les coups pleuvaient plus que les moments de tendresse. Margot avait du mal à comprendre cette maltraitance.
Oui, elle avait eu aussi des malheurs, des deuils affreux, mais son père avait toujours tout fait pour lui offrir une belle vie, pleine de tendresse, de joie, de rire. Elle avait toujours été très entourée, avait de bons amis, Paul et Anne. Elle leur parla de ses projets, devenir institutrice était ce qui lui tenait le plus à cœur.
Alors que là maintenant, quel était leur avenir ?
Une petite voix se fit entendre, Adeline avec quelques sanglots l’interrompit :
— Tu peux quand même espérer le devenir, d’après le capitaine, on va nous envoyer sur de nouveaux territoires, nous marier, pour construire une nouvelle colonie. Nos enfants, et forcément, il y en aura, auront besoin d’instruction. Mais, moi et je ne suis pas la seule, ce qui me tenait à cœur, c’était d’épouser Adrian, c’est avec lui que je rêvais de construire mon futur et avoir des enfants. Nous devions nous marier juste avant Noël. Alors oui, un mariage aura certainement lieu, mais avec qui ?
Et là, d’autres jeunes filles annoncèrent qu’elles aussi étaient fiancées.
Cette conversation se finit dans une grande tristesse. Presque toutes pleuraient à chaudes larmes. Cependant, un lien transparent commençait à se tisser entre elles. Elles passeraient ensemble cette terrible épreuve. Elles se consolaient mutuellement, trouvant les mots qui apaisaient leur voisine.
Une fois les sanglots taris, elles se promirent d’être toujours là les unes pour les autres, quelles que soient les prochaines étapes.
De ce fait, la conversation recommença, mais sur des sujets bien plus agréables.
Elles se remémoraient leur enfance, leurs rêves, elles finirent même par se raconter des histoires drôles.
Elles pouvaient ainsi espérer qu’au moins le voyage se passerait dans une bonne ambiance.
Ce qui arriva d’ailleurs.
Les sorties sur le pont étaient agréables, pour Margot et Claire, c’était un moment où elles s’échappaient de leurs compagnes. Ce moment d’intimité leur était nécessaire.
Margot, toujours envahie par son envie de s’enfuir, en profitait pour fureter dans tous les recoins du navire. Elle échafaudait mille plans.
Claire, elle, restait sur la défensive. Pour elle, la fuite comportait bien trop de risques.
— Tu es absolument sûre de toi, ne cessait-elle de répéter à Margot.
— Tu veux vraiment retenter une fuite ? Tu veux aller où ? Crois-moi, c’est de la folie ! Tu risques de te blesser ou pire. Regarde autour de nous, il n’y a que de l’eau, de l’eau et encore de l’eau… Et puis, au cas où tu ne l’aurais pas remarqué, il y a toujours au moins deux marins qui te surveillent en permanence.
— Merci de me le rappeler ! Remarque, ils ne sont pas très discrets.