Le Passager de l'ombre - E.P Neilli - E-Book

Le Passager de l'ombre E-Book

E.P Neilli

0,0

Beschreibung

Mark, un ancien membre des forces spéciales, que la vie n’a pas épargné, plaque tout du jour au lendemain et rejoint un club de bikers aux USA. À des milliers de kilomètres, Raphaël, un gendarme muté en Guadeloupe, se lance sur les traces d’un sombre trafic. Or, durant son enquête, le sort veut que les deux hommes tombent face-à-face. Entre patriotisme et amour fraternel, quelle sera l’issue de cette confrontation ?


À PROPOS DE L'AUTEUR

Père de famille et passionné de grosses cylindrées, E.P. Neilli vit en Normandie. Après avoir servi dans les forces spéciales, il rejoint la Gendarmerie avant d’embrasser une carrière d’auteur. Dans son premier roman, il mêle avec habileté ces trois univers qui ont bâti sa vie, en nous offrant un spectacle littéraire au suspense insoutenable à la limite entre fiction et réalité.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 490

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.


Ähnliche


Le passager de l’ombre

Roman

Cet ouvrage a été composé par les éditions La Grande Vague

et imprimé en France par ICN Imprimerie Orthez.

Graphisme de Leandra Design Sandra

Images libres de droits Pixabay/Pexels/IStock

ISBN numérique : 978-2-38460-103-5

Dépôt légal : Décembre 2023

Les Éditions La Grande Vague

3 Allée des Coteaux, 64340 Boucau

Site : www.editions-lagrandevague.fr

Toute ressemblance avec des personnages fictifs, des personnes ou évènements existants ou ayant existé, est purement fortuite.

Ce récit est une fiction qui prend parfois volontairement ses distances avec la réalité historique.

Aux commandos, à mon père et aux camarades qui ne sont pas revenus ou pas complètement...

« Knockin' on heaven's door1♫ »

Afghanistan, province de Helmand, juillet 2004.

l’Afghanistan est le territoire des pachtounes, façonné comme ses fiers guerriers réputés invincibles, par la rigueur du climat de ces vastes étendues désertiques. Des combattants qui depuis des siècles résistent à toutes les invasions, qu'il s'agisse de l'Armée britannique ou des Soviétiques. Mais aujourd’hui, les montagnes et les plaines, étaient troublées par l'avancé d'une colonne de véhicules des Forces Spéciales Françaises. Le nuage de poussière soulevé par leur progression flottait dans leur sillage, telle une longue traînée de fumée.

Elle était composée de petits 4X4, Peugeot P4 et de camions de reconnaissance légers dits VLRA2, dont le vrombissement des gros moteurs diesel rompait le silence ancestral. Les commandos avançaient aussi vite que la piste instable le leur permettait. À bord se trouvaient un groupe de SAS3 de l'armée de Terre et un groupe de commandos de la Marine nationale.

Leur objectif d'atteindre d'ici quelques heures un village pachtoune isolé avant la nuit était soumis au passage au plus tôt d’un col réputé difficile. Dans les véhicules, l'ambiance était bonne. Les hommes, habitués à travailler dans des conditions extrêmes et stressantes, bien que sur leurs gardes, riaient. La fin de la mission se profilant, dans le premier VLRA, les quatre plus expérimentés de ces commandos évoquaient avec entrain leur futur retour au bercail.

— … Oh putain, j’ai trop hâte. J’suis comme un gamin qui attend d’aller voir sous le sapin de Noël. Quand je suis parti, on ne savait même pas que Margot était enceinte. Si elle n'accouche pas avant, je devrais être rentré une dizaine de jours avant la naissance, s’enthousiasmait Lawrence qui conduisait le VLRA de tête.
— Veinard ! Ton premier gamin comme cadeau de retour, répliqua Barry, le chef de groupe.

C’était un type imposant, blond, le visage taillé à la serpe, au milieu duquel étincelait un regard bleu intense. Il commandait le groupe jungle depuis quelques années déjà et l’avait vu évoluer. L’homme, habitué aux affrontements, avait aussi vu, petit à petit, les anciens quitter le groupe au fil des combats, à la suite de blessures ou par lassitude d’une vie passée la moitié de l’année loin de leurs proches. Ces anciens avaient peu à peu été remplacés par de jeunes recrues, sympathiques, mais pas encore aguerries.

— Moi, en rentrant, je profite direct de trois semaines aux States pour visiter l'Ouest. Ça ne va pas trop me dépayser de tous ces ricains dans la base, intervint en riant comme à son habitude Pol’, l’éternel binôme de Barry qui se demanda s’il l’avait déjà vu sans son légendaire sourire illuminant son visage, même lors des combats.
— C’est pas faux, concéda Lawrence. Et toi, Barry ? demanda-t-il à son chef de groupe en l’appelant comme les autres par son pseudonyme, cette habitude des Forces Spéciales qui leur faisait presque oublier les vrais prénoms de leurs camarades.
— Ben écoute, je n’y ai pas vraiment réfléchi. Je vais rejoindre ma petite maison normande pour y retrouver ma petite Marie et Claire qui y finiront leurs vacances d’été. Je pense qu’on ira voir les parents de Claire puis les miens. Ce que j’espère, c’est que la petite me reconnaîtra. Quand je suis parti, elle n’avait que six mois. Pour le moment, je suis parti la moitié de sa vie, annonça-t-il la mine quelque peu préoccupée par cet état de fait qui l’amenait à comprendre ses anciens frères d’armes, qui lassés avaient raccroché les armes au râtelier et avaient décidé de s’occuper de leurs proches. Pour être franc, je pense que je ne vais pas tarder à quitter le groupe, devenir instructeur et octroyer plus de temps à ma famille.
— Ben merde alors, extériorisa Peter, le binôme de Lawrence, connu pour être taciturne et ne prenant que rarement la parole.

Cette simple phrase suffit à exprimer la totalité des émotions que cette nouvelle provoquait à ce grand gaillard massif aux larges épaules et à la peau d’ébène, dont peu osaient soutenir le regard en raison de la cicatrice qui lui barrait le côté gauche du visage, de la racine des cheveux au menton, en contournant sa bouche mais traversant ses paupières.

— Si je m’y attendais, lâcha Lawrence, décontenancé par l’annonce de son ami. Ça va nous changer si tu pars. Et là, tu vas me faire culpabiliser. Comme toi, je vais avoir un gamin. Ça y est, je me demande si je ne devrais pas rester pour le bébé moi aussi…
— Y a pas que l’histoire de la petite mon pote. J’ai 33 ans, ça fait des années que je fais la guerre. Y a tous ces jeunes qui arrivent. Ils sont sympas, vifs, percutants, et on rigole bien, mais je ne suis plus en phase avec tout ça. Je crois qu’il est temps de rentrer à la maison, de laisser ma place à Gunner. Ce soir on atteint ce putain de village, on confirme auprès des villageois la présence d’ennemis dans le coin, on les localise, on pointe la position pour l’aéronavale qui balancera un missile ou deux, et d’ici deux ou trois jours on rentre faire nos valises. Dans dix jours la relève arrive, on fait le tuilage et on rentre au bercail. J’en peux plus de tout ce sable et de ces cailloux à perte de vue, avoua-t-il et remarquant pour la première fois le visage de Pol’ sans son sourire, lui donnant un air triste à fendre le cœur.

Dans le second VLRA, l’ambiance était plus légère et plus insouciante. Les plus jeunes soldats du groupe, Sean et Daryl, discutaient avec Patrick. Ce dernier venait de rejoindre le groupe de Barry après le rapatriement de Bruce, blessé lors d'un accrochage, quelques semaines plus tôt. Il avait les yeux rieurs de l’insouciance des jeunes, les traits doux sous sa tignasse que son statut de membre des Forces Spéciales l’autorisait à porter en lieu et place de la coupe rase de 5 millimètres des bidasses.

— … Moi, ça va être un retour à la vie civile bien tranquille. Comme d'hab' pour mes perm', je vais monter en Bretagne chez ma mère. Là, elle doit flipper grave depuis que je vous ai rejoints. C'est ma première mission en territoire hostile. Mes deux premières missions, c’était la Côte d'Ivoire, sauts en parachute, séances de tir et barbecues sur la plage..., exposa Patrick en riant.
— Ouais, je vois le genre, répliqua Sean. Tu vas te faire dorloter par maman pendant quinze jours...
— Haha t'es con... Tu vas faire quoi toi ?
— Le même programme : rentrer chez maman qui s’inquiète aussi de ma première mission sur un territoire en guerre, glander, faire du sport, voir mes potes. Et essayer de trouver une petite au pays, juste histoire qu'il n'y ait pas que ma mère qui pense à moi quand je pars à la guerre...
— Bon programme en effet, je devrais y penser aussi tiens... Et toi Daryl, c'est quoi le programme ?
— Retrouver ma femme, mes gamins, et profiter de ma nouvelle maison dans l’arrière-pays basque... expliqua le plus vieux des trois.

Bien qu’étant tous les trois de la même promotion, lui n’avait connu pour ses deux premières missions que la guerre Afghane.

Pendant tout le trajet les discussions allèrent bon train. En mission depuis près de cinq mois, le groupe hétéroclite d'anciens et de jeunes avait été pris sous le feu ennemi à plusieurs reprises. Les liens tissés étaient très forts. Pour les plus jeunes, cette première mission sur un territoire en guerre avait été éprouvante et leur baptême du feu plutôt rude, surtout quand Bruce avait été blessé par balle. Une telle intensité de combat, même pour les anciens comme Barry, Gunner, Lawrence, Peter et Pol’, n'était pas chose commune. Le retour était prévu pour la mi-août et la tension de ces derniers mois commençait à peser sur le moral de ces hommes d'élite.

Ils roulaient désormais depuis plusieurs heures lorsqu'ils entamèrent la piste étroite et abrupte menant au col qu'ils espéraient franchir avant la nuit. Quelques centaines de mètres avant le col, ils arrivèrent à un carrefour. Deux possibilités s’offraient à eux : au nord la rapidité en direction de la passe, et au sud plusieurs heures de détour en redescendant en longs lacets vers la cuvette pour finalement contourner la montagne. Comme convenu dans les ordres initiaux, Gunner, Yann et Carlos qui roulaient dans la P4 de tête s’arrêtèrent. Gunner, l’adjoint de Barry et ce dernier pensaient que la piste était dangereuse. Elle longeait en main courante à droite un profond ravin et sur la gauche un terrain impraticable, même pour leurs véhicules à quatre roues motrices. Une fois engagés en direction du col, il leur serait impossible d’opérer un demi-tour.

Barry, le chef du détachement de marsouins parachutistes, décida de partir en éclaireur avec ses hommes afin de reconnaître la piste et vérifier que celle-ci n’était pas inaccessible un peu plus loin.

Les reconnaissances aériennes dataient de plus de quarante-huit heures. Leur progression à travers la plaine puis le long de la montagne avait dégagé dans leur sillage des nuages de poussière qui n'auraient pas échappé à quelque taliban qui aurait eu le temps d'obstruer la piste juste après la crête, les obligeant en ce cas à redescendre en marche arrière sur quelques centaines de mètres avant de pouvoir manœuvrer et rebrousser chemin.

Bientôt le soleil déclinerait à l'ouest et ils ne voulaient pas prendre le risque de manœuvrer dans la pénombre qu'apporteraient rapidement les montagnes avoisinantes. Une telle manœuvre les rendrait vulnérables tant pour des tireurs embusqués que pour de petits groupes aguerris.

Les véhicules furent donc laissés au carrefour sous la garde des marins. C’est à pied, en colonne, que le groupe de Barry progressa sur cette piste rocailleuse dont les pierres roulaient sous leurs bottes de combat. L'endroit était propice à une embuscade, les militaires étaient sur le qui-vive.

L’esprit un peu rêveur, Lawrence songeait à son retour, à sa femme et leur futur bébé surprise. Il avait hâte de marcher le long des côtes landaises en poussant le landau, les yeux perdus dans le bleu de l'océan. Il se reprit et revint à l’instant présent, à sa mission qui était d’assurer la sûreté arrière de son groupe dans ce paysage lunaire fait de roches et parsemé de temps à autre de quelques petits buissons, qui rehaussaient de leur vert timide le panorama gris et marron à perte de vue.

Aussi, tous les dix pas environ, en prenant garde à ne pas trébucher, il regardait attentivement derrière lui. Les marins et les véhicules n’étaient plus en vue depuis quelques centaines de mètres, cachés derrière les reliefs de la montagne.

Jusqu’à présent, il n’y avait rien à signaler, mais ils approchaient de la crête et de l’inconnu qui se trouvait au-delà. Le silence omniprésent n’était troublé que par le crissement de leurs semelles sur la caillasse ainsi que par la brise qui sifflait à leurs oreilles.

Après avoir progressé sur environ un kilomètre et demi et avoir alterné de poste et de secteur de surveillance avec Peter son binôme, tout bascula.

Une énorme déflagration souffla les deux hommes qui ouvraient la marche : Yann, âgé d'à peine plus de vingt ans et Gunner. L’ennemi avait déclenché une roadside bomb4. L’explosion projeta leur sang et leurs chairs sur plusieurs mètres à la ronde.

Les tirs ennemis commencèrent presque aussitôt. Bien qu’étourdi par l’intensité du souffle, professionnel et aguerri, Barry, le chef de groupe, lança sans hésitation ses ordres.

— Tube arrière ! Tube arrière !5

Le premier binôme pulvérisé, Sean se trouvait en première ligne avec Daryl. Dès l’ordre donné par Barry, il fit un pas sur sa gauche en engageant l’ennemi. Dégageant ainsi la ligne de tir de Daryl qui commença à faire feu à l’aide de sa Minimi6. Ensemble, ils opposèrent à l’ennemi un feu intense.

Barry et Pol’ purent voir Sean,une fois son chargeur vide, faire demi-tour pour venir prendre la dernière place de la colonne. Cela permit ainsi à Daryl de faire lui-même un pas à gauche tout en dégageant la ligne de tir de Patrick qui tira sur l’ennemi une grenade à fusil. Les mois d’entraînement avaient rodé le groupe à cette pratique, forçant l’ennemi à baisser la tête.

Simultanément, alors que Patrick tirait sa grenade qui explosait sur les ennemis face à eux, les balles sifflèrent aux oreilles de Barry qui s’accroupit. Ses hommes tenaient tête à des ennemis face à eux et les tirs provenaient de sa gauche, ils étaient pris en embuscade. Ils étaient pris pour cible par de nombreux tirs. Barry regarda autour de lui pour savoir d’où venaient ces tirs. Au moment où il repéra les talibans, cachés derrière les rochers en ligne de crête, il voulut l’annoncer à ses hommes, mais une rafale le projeta en arrière. Il ressentit une douleur au niveau de la trachée. Il y porta la main et sentit le sang chaud s’écouler entre ses doigts.

À l’instant oùSean passait devant le binôme composé de Carlos et Patrick, il vit Barry et Pol’, le tireur de précision, tomber sous les balles ennemies. Alors que ses oreilles sifflaient encore, il entendit l’explosion de la grenade de Patrick derrière lui et repéra la source des tirs qui venaient de faucher son chef de groupe et leur sniper.

Il comprit que c’était une embuscade. Ils étaient pris en tenaille par un second groupe de terroristes progressant vers eux par trois-quarts arrière gauche, en ligne.

— Merde, on nous prend à revers ! lança-t-il en vain à la radio, ça arrive à huit heures, putain.

Mais il ne reçut aucun retour.

Aussitôt, Peter et Lawrence qui fermaient la marche virent que le plus jeune des membres criait à la radioen regardant plus haut sur leur gauche. Ils suivirent la direction et eurent le temps d’apercevoir un homme épauler ce qui semblait être un lance-roquette. Lawrence comprit en une fraction de seconde qu’il était dans la ligne de mire et que son bébé devrait grandir sans lui. À peine le visage de sa femme se formait dans son esprit que lui et son binôme tombèrent sous l'effet de l'explosion d'une roquette RPG7. Tous seraient morts si les intervalles entre les binômes n'avaient pas été respectés. À quelques secondes près, Sean serait passé devant les hommes qui venaient d’être tués et serait mort avec eux. En moins d’une minute, ils n'étaient plus que quatre commandos parachutistes.

Ils rompirent le contact et coururent se jeter à couvert derrière un rocher qui longeait la piste, juste à côté d’eux. La grenade à fusil de Patrick semblait avoir fait mouche. L'élément d'arrêt des terroristes était réduit au silence. Le problème venait désormais de leur flanc gauche. Une vingtaine de talibans déterminés et bien entraînés les harcelaient d'un feu nourri. Contrairement aux soldats occidentaux, les guerriers séculaires afghans, étaient animés d’une hargne et d’un entraînement basique. Déterminés à combattre jusqu’à la mort, ils faisaient la guerre avec une organisation rudimentaire, et restaient de redoutables adversaires.

Durant cinq bonnes minutes, les quatre SAS maintinrent leurs assaillants à distance et en éliminèrent six de plus. S’appuyant sur leur longue formation qui faisait d’eux des combattants capables de contenir cette attaque, courageux, ils défendaient leurs vies avec détermination.

Ils étaient en ligne face à leurs ennemis. Trois rebelles progressaient vers leur gauche et trois autres au moins, vers leur droite. Le reste, environ huit hommes gardaient leur position face aux militaires pour les fixer, les harceler afin de couvrir la progression de leurs deux éléments en mouvement pour les encercler. Fort heureusement, ils semblaient ne plus disposer de roquette.

Sergent depuis six mois, Carlos était désormais le plus gradé des quatre. Il prit alors la décision d'éliminer les deux trinômes en mouvement. Désormais face à la pente, le ravin dans leurs dos, Carlos et Patrickéliminèrent les trois hommes tentant une approche risquée à découvert sur leur droite. Sur la gauche, Sean et Daryl s'occupèrent des trois autres. Avec son fusil automatique, Sean parvint à éliminer un des rebelles. Une des grenades à main bien placée de Daryl finit de leur ouvrir le passage pour rebrousser chemin. Carlos décida de revenir sur leurs pas, dans la direction du groupe de Commandos Marine.

Sean espérait qu’après avoir entendu les tirs et les explosions, les marins étaient en train de progresser vers eux avec leurs véhicules équipés de 12,77. Ils seraient là rapidement. Couverts par Daryl qui avec sa Minimi lançait des salves vers leurs adversaires, ils empruntèrent la passe malgré le terrain peu praticable.

— Putain, si seulement la radio n'avait pas été détruite..., grogna Sean sous les tirs nourris de son binôme.

À l'aide de sa Minimi, Daryl parvenait à tenir en respect le gros du groupe face à eux. Quelques balles firent mouche, réduisant encore le nombre des ennemis. Cela offrit aux marsouins une sorte d’accalmie de quelques secondes. Assez longue en tout cas pour entendre et comprendre que les marins étaient, eux aussi, sous le feu ennemi à quelques centaines de mètres de leur position.

Heureux d'entendre les tirs intenses des AK478 de leurs frères un peu plus loin dans la vallée, les talibans, face au petit groupe de Carlos, décidèrent de fêter ça avec un son et lumière de tous les diables. Ils tiraient sans discontinuer, les balles ricochaient sur les pierres autour du groupe de quatre soldats qui n'avait que peu d’abri pour se mettre à couvert.

Même si cela n'était pas très conventionnel, Carlos donna l'ordre à Sean de faire feu au lance-roquette.

— Fais-les péter avec ton AT4 !!!

Cette action, combinée à quelques tirs bien ajustés de Patrick, Daryl et Carlos, permit en quelques secondes de réduire le ratio de huit contre quatre à un contre quatre. Apeuré, ce dernier combattant d’Allah décida de rompre le contact. D'un tir bien ajusté, Daryl mit fin à sa course... Et à sa vie.

Sur les ordres de Carlos, Daryl en appui, Patrick et Sean, déboussolés par la perte de leur chef de groupe,retournèrent vers leurs camarades tombés. Malheureusement, pour quatre d'entre eux, il ne restait pas grand-chose si ce n’étaient des masses informes et sanguinolentes... Les explosions avaient détruit leurs corps. Sean récupéra leurs plaques d'identité ainsi que celles de Barry et Pol’. Hormis les plaies que l'on pouvait voir sur leurs cous et leurs têtes, leurs corps étaient « intacts », rien dans les gilets pare-balles et presque rien dans les casques. En plus de leurs plaques d'identification, Sean prit leurs munitions et leurs armes ainsi que tous les documents sensibles pour ne rien laisser à l'ennemi. Il savait qu'ils ne pourraient peut-être pas revenir avant plusieurs jours pour récupérer les corps.

— Le fusil de précision de Pol’ sera sûrement utile pour nous ouvrir une voie jusqu'aux bérets verts..., lança-t-il.

Dans la pénombre naissante, guidés par les nombreuses détonations qui résonnaient dans la montagne, ils progressèrent avec prudence et rapidité vers leurs camarades de la Marine. À leur arrivée, les quatre SAS virent que les marins avaient été attaqués par bien plus d'ennemis, une quarantaine. En revanche, leur 12,7 montée sur un VLRA, le canon rougi par l’intensité de la riposte, avait déjà fait un bon ménage. Les renforts pare-balles de leurs véhicules les avaient mis à l'abri des tirs d'armes individuelles. Toutefois, leur P4 de tête n'était plus qu'un amas de ferraille fumante. Il ne devait pas rester grand-chose de ses trois occupants.

Depuis leur position, en surplomb, les jeunes SAS purent se mettre en ligne pour appuyer les bérets verts contre leurs assaillants en contrebas.

Armé du Commando 2 de Pol’, Sean parvint à éliminer à lui seul huit talibans. Avec sa Minimi, Daryl fit encore une fois un bon ménage parmi les troupes ennemies.

Sean ne vit pas la fin de cette escarmouche. Un tireur de précision, également habile, visa Carlos. Tiré depuis un SVD9 de l'Armée rouge, abandonné là par les Soviétiques quelques années plus tôt, un projectile du Dragounov faucha Carlos, lui arrachant un tiers du cou avant de continuer son trajet vers un rocher sur lequel il éclata en plusieurs morceaux. Bien que ralenti par les chairs du jeune sergent et par son rebond sur la pierre, l'un de ces morceaux de métal vint trouver un chemin entre les deux parties avant et arrière du gilet pare-balles de Sean avant de venir se loger dans sa rate. Un second éclat s’enfonça dans son omoplate gauche.

Intense et insoutenable pour le jeune SAS, la douleur fut fulgurante. Il était en état de choc, et ne parvenait pas à situer l'endroit où il avait été touché. Il ressentait des irradiations dans son ventre et son dos, comme si des dizaines de lames portées à blanc le transperçaient simultanément. Ses forces s’amenuisaient. Alors que la vie quittait rapidement son corps, dans son esprit tout allait très lentement, il vit Patrick se pencher sur lui, et capta des bribes de mots.

— … ça va aller Sean... pansement... niveau de douleur ?... Reste avec moi mec... secours... tous morts... lâche ton arme, frangin, c'est fini... Hélicos...

Mais dans sa tête tout se mélangeait. Il pensa à ses copains tombés il y a quelques minutes, ses classes, son père, ancien béret vert déjà tombé en service quand lui était minot. Il pensa également à sa mère qui allait rester seule. Puis les mots de Patrick et ses pensées se mélangèrent. Il regarda son frère d’armes lui défaire son gilet pare-balles et découper ses vêtements avant de compresser la plaie sur son flanc.

Il détourna les yeux et vit Daryl debout près de lui. Sous cet angle, celui qui avait été son binôme durant la première partie de leurs classes à la Citadelle, du haut de ses deux mètres, avait des allures de géant. Daryl s’agenouilla quelques instants pour recharger sa Minimi. Sean croisa le regard de Daryl, qui d’un air triste posa une main réconfortante sur son épaule avant de se redresser et de reprendre ses longues salves, faisant pleuvoir sur le blessé des étuis portés au bleu par l’intensité des tirs. Grâce à la morphine que venait de lui injecter Patrick, Sean ne ressentait pas la morsure de ces étuis brûlants qui marquaient à jamais son torse.

Sean baissa les yeux vers Patrick qui le manipulait pour lui poser un pansement compressif. Là, il remarqua sa propre main gauche et vit qu'il tenait toujours son fusil, fermement.

Dans le lointain, le bourdonnement des rotors d’hélicoptères se rapprochait, les secours et les renforts arrivaient. Il peinait à garder les yeux ouverts, les ténèbres l'attiraient vers l'autre monde. L’image de sa mère se dessina dans son esprit. Comme s'il s'agissait de la dernière branche qui le liait à sa courte vie, sa main lâcha enfin son arme. Une dernière pensée consciente, qu'il savait incongrue et tellement vraie en même temps, prit forme dans son esprit avec la voix d'Axel Rose et sa reprise des paroles de Bob Dylan Maman pose mes armes au sol, je ne peux plus leur tirer dessus♪... Il ouvrit une dernière fois les yeux et croisa ceux de son ami qui s’afférait à lui sauver la vie. Quelque chose avait changé. Les yeux de Patrick. Son regard insouciant et rieur n’était plus là. Son visage, couvert d’une crasse faite d’un mélange de poudre noire, de sang et de poussière de ces infertiles terres afghanes dans laquelle la transpiration creusait des sillons clairs, avait changé. Le doux visage de jeune et joyeux soldat qu’il avait avant de gravir cette montagne avait laissé place à un visage dur et fermé de guerrier, animé à la fois par la tristesse et la haine. Cette montagne l’avait changé à jamais. Sean lâcha prise, ignorant que l’avenir de son frère serait désormais pavé de violence...

1

« Mistral Gagnant10♫ »

USA, Floride, février 2017.

— ... un café ?
— Oui, s'il vous plaît, acquiesça Mark Parker.

La serveuse fit demi-tour et repartit vers le comptoir. Les traits tirés, des cernes comme tatoués sous les yeux, c'était une femme d'âge mûr, fatiguée par son travail de serveuse. Peut-être avait-elle été belle il y a quelques années, mais aujourd’hui toute fraîcheur l’avait quittée. Le temps et le labeur des journées à piétiner, entre ce comptoir en formica au pourtour chromé avec ses tabourets élimés et ces tables faites de cette même matière lisse et neutre, l'avaientusée autant que l’était le mobilier d’un autre âge. Par endroits, les tables étaient grises, voire noires. Ce n'était pas sale, juste terni par tant d'assiettes, de verres et de couverts qui avaient glissé, frotté dessus. Ustensiles que cette pauvre femme avait promenés de la salle aux cuisines, accumulant au fil des ans des kilomètres à fouler ce lino couleur beige sur lequel elle avait formé comme des sillons plus sombres.

Elle revint peu de temps après, une tasse dans une main, une verseuse dans l'autre. Elle lui servit son café et de son accent à couper au couteau, pas encore celui du Deep South11 mais l’on s’en rapprochait, elle lui demanda s'il voulait autre chose.

— C’ s'ra vraiment tout ? Parce qu’on a en plat du jour une omelet’ ‘vec des patat’ et du lard fumé, que des pr’duits frais, cuisinés maison... Ça vo’ dit pas ? prononça-t-elle aspirant plusieurs syllabes.
— Non, merci, ça ira, si je change d'avis, je n'hésiterai pas. Merci beaucoup.

L'odeur du café lui saisit les narines. Cherchant dans son cortex cérébral, cette odeur envahit son cerveau et fit son œuvre. C'était sa madeleine de Proust... De la même façon que les Mistral Gagnants♪ rendaient Renaud nostalgique, l’odeur du café projetait Mark dans son enfance.

Il s'était arrêté sur le bord de la route pour se reposer quelques minutes. Il avait dédaigné les principales autoroutes, leur préférant la tranquillité des routes secondaires, même si cette notion aux USA était différente de ce que les Européens pourraient entendre. Il avait choisi de prendre dans les terres entre les marécages et les petites villes. Encore un peu « jetlagué », il voulait juste faire une pause sur le parking de ce Dinner typique avec sa forme évoquant quelque peu un wagon, et ses vitres alignées sur l'ensemble du bâtiment. Puis il avait vu le panneau indiquant que le café était fait de manière traditionnelle, pur arabica, en grains, moulu sur place. Il avait pensé qu'il allait en commander un avant de reprendre la route. Il savait que cela éveillerait ses souvenirs. Il en avait besoin. Avant d'avaler les kilomètres et de poursuivre pour ce qui l’amenait en Floride, il était nécessaire pour lui de se remémorer de bons souvenirs.

Il était entré dans ce vieux restaurant tout aussi usé que la serveuse. En passant la porte, il avait avisé une table au fond, à l'écart du comptoir. Il prit place sur l'une de ces banquettes en simili cuir rouge et blanc, plusieurs fois rafistolées au cours des années. Il avait choisi un emplacement qui lui offrait une vue sur l'ensemble du restaurant ainsi que sur l'entrée et le parking où étaient garés les pick-up de gars du cru qui venaient quotidiennement y faire une pause.

Mark ne supportait pas de ne pas maîtriser l'espace qu'il occupait. Il avait besoin de voir et de contrôler tout ce qui entrait ou sortait. Cette obsession viscérale d'analyser ceux qui évoluaient dans son espace lui venait d'années de combats et de situations stressantes. Pour déterminer s'ils représentaient une menace, réelle ou possible, il voulait voir leurs mains, voir leurs visages.

Sans relâcher sa vigilance presque maladive, il se délecta de l'odeur de ce café. Étonnant comme la vie était faite, songea-t-il. De petites odeurs vous rappelaient le passé. Il repensa à sa grand-mère qui chez elle moulait les grains de la même manière, avec son vieux moulin à café en bois. De cette petite maison, accrochée au bord de la côte bretonne, il gardait le souvenir de jours heureux. Que tout cela était loin.

Un café, ça lui rappelait aussi son temps à l'Armée. Quand il était sur le terrain, qu'il ouvrait le sachet soluble de ce nectar amer, de sa ration de combat. Cette odeur lui redonnait le moral. Pas d’autre alternative, il ne pouvait pas faire de feu, pour chauffer quoi que ce soit.

Il se remémora ce que lui avaient appris ses instructeurs au stage commando, cette petite phrase attribuée aux British du Special Air Service : « No light, no cooking »12, qu’il avait lui-même enseignée par la suite les quelques fois où il avait inculqué ses connaissances et son expérience aux nouvelles recrues prétendant rejoindre le sacro-saint brevet de commandos-parachutistes.Déjà à l'époque, cette odeur le ramenait à son enfance, à ses vacances chez sa grand-mère paternelle sur la pointe ouest de la France, ou chez son grand-père maternel, qui lui vivait à quelques kilomètres de la première, si on ne tenait pas compte de la largeur de l'Atlantique.

Il faisait chauffer son breuvage sur un vieux poêle à charbon, l'odeur envahissait rapidement la petite maison construite sur un terrain de famille, au bord de la plage, sur la côte est des États-Unis.

Il aimait à repenser à ces vacances estivales dans ces lieux où se trouvaient ses racines familiales sur les terres ancestrales des Celtes de la vieille Europe et le Nouveau Monde.

Militaires de père en fils, père commando-marine, grands-pères militaires en 1939, puis résistant sous l'occupation allemande pour l'un, Ranger sur les côtes normandes en 1944 pour l'autre.

Dans les archives militaires de part et d’autre de l’Atlantique, jusqu'aux campagnes napoléoniennes d’un côté et bien avant la bataille de Cut Knife13 de l’autre, on pouvait remonter l'arbre généalogique. Toujours des troupes au sol, au contact direct avec l'ennemi.

Cette odeur de graines torréfiées, déjà en Afghanistan, au Moyen-Orient ou encore en Afrique, le ramenait à de bons souvenirs, aux histoires contées par son père et ses grands-pères. Des histoires guerrières, auxquelles ils donnaient parfois forme, arrangées pour ses oreilles d'enfant pour raconter les aventures qu'ils avaient vécues à travers le monde, mais aussi celles de leurs ancêtres qui s’étaient illustrés au gré de batailles mythiques.

Certes, ils avaient tendance à passer sous silence certaines scènes trop douloureuses, comme la perte de frères d'armes ou des actes dont ils n'étaient pas forcément fiers, même s’ils étaient dans le « camp des gentils ». Le poids du passé et l'odeur de la mort que ses aïeux avaient supportés, il en portait égalementle fardeau depuis les combats sanglants auxquels il avait lui-même pris part.

Il avait quitté l’Armée, et outre les souvenirs joyeux de son enfance, après tout ce qu’il avait vécu, cet arôme le ramenait désormais aussi dans un passé mélancolique. D'un côté les bons souvenirs, de l'autre les mauvais. Étrange comme était la vie, comme le bon et le mauvais étaient souvent liés.

Était-ce ça mûrir ? Maintenant, à 39 ans, nombreux étaient ces liens entre le bon et le mauvais. Il adorait rouler en Harley sur les longues routes américaines, mais la vue d'un carton sur le bord de la route, le ramenait souvent aux pistes qu'il avait connues dans le passé. Ces routes que les combattants d'Allah piégeaient de roadside bombs. Ces dispositifs qui avaient coûté la vie à tant de jeunes soldats occidentaux venus combattre des guerriers fanatisés. Il pensa à ces jeunes gens lâchement tués non pas au combat, mais aveuglément assassinés par des pièges de lâches, posés par des psychopathes qui dévoyaient leur religion pour assouvir leurs déviances sanguinaires.

Il adorait également se trouver seul au milieu d'une forêt, monter son bivouac pour une nuit, voire plus. Chasser, marcher seul dans la nature. Être seul avec lui-même. Mais désormais, cela le ramenait systématiquement dans ce lieu perdu d’Afrique, dans ce pays où il n'avait jamais officiellement mis les pieds. Ces huit jours où, après l'erreur d'un officier un peu trop zélé, ils avaient traversé une frontière les menant face à des autochtones peu ravis de les voir. Il y avait de nouveau fait l'expérience de la perte de camarades.

Après un bref combat, où pour la seconde fois de sa vie il avait vu huit membres de son groupe mourir les uns après les autres, il s’était retrouvé isolé avec son binôme, blessé. Seuls à s’extraire de ce pays inamical. Cette fuite avait été chaotique, ils devaient se cacher le jour, marcher la nuit, anticiper les mouvements ennemis, dissimuler leurs traces. Après avoir volé un pick-up à un paysan local, il était finalement parvenu à passer la frontière d'un pays allié, seul : Bruce n’avait pas survécu à sa blessure. Il l’avait enterré et avait poursuivi, harassé de fatigue et couvert du sang de son ami.

Ce nouveau massacre fut celui de trop. Fini la guerre, fini de perdre des camarades, de tenir les mains de frères d'armes en les rassurant du mieux qu'il pouvait en les accompagnant jusqu'à leur dernier soupir, vers un autre monde. Il avait décidé de tout plaquer et de prendre la quille pour vivre une autre vie, espérant fuir la violence, mais ignorant alors que celle-ci le poursuivrait partout où il irait.

Et cette autre vie, quels bons souvenirs il en gardait ! Là encore, tout avait commencé par un café. C'était leur premier rendez-vous. Ils s'étaient retrouvés dans ce petit troquet construit en pierre de taille en bord de mer. Ils s'étaient rencontrés quelques jours plus tôt chez un ami commun. Pour les fêtes de fin d'année, il était rentré en Bretagne, pour voir sa mère. Après la quille, entre de longues périodes le sac au dos et de petits jobsou autres contrats plus ou moins réguliers, à travers le monde, il avait en effet décidé de profiter de vivre. Le temps de savoir ce qu’il ferait du reste de ses jours, il avait vagabondé comme cela durant deux années. Il avait connu l'Asie, l'Australie, l'Amérique du Sud et l'Amérique du Nord. C'était celle-ci qu'il avait préférée. Le Canada, les états de l'Ouest américain, du froid au soleil, des plaines ancestrales aux Rocheuses en passant par les côtes déchiquetées de la Gaspésie, là d’où remontait une partie de ses origines.

Puis c’est en rentrant deux semaines qu’il était tombé amoureux. Un coup de foudre pour une jeune femme… Il avait passé la soirée à la bouffer des yeux♪... Un véritable gamin. Après des années de bons et loyaux services sous les drapeaux, à rencontrer des filles de passage en discothèque, à fréquenter des prostituées en Espagne, en Afrique ou ailleurs, il s'était rendu compte que son cœur ne s'était emballé pour aucune durant tout ce temps.

Lui, le commando parachutiste qui avait connu la guerre dans ce qu'elle avait de pire, était ce soir-là complètement démuni devant cette jeune trentenaire au teint laiteux, pétillante, pleine de vie, avec ses cheveux coupés à la garçonne et ses grands yeux bleus. Il était quand même parvenu à lui laisser son numéro de téléphone. Pas indifférente, Tatiana l'avait rappelé et ils s'étaient retrouvés dans ce café sur la côte.

Ils avaient ri, avaient appris à se connaître, puis bras dessus, bras dessous, ils étaient partis se balader sur le chemin des douaniers qui longeait la Bretagne du nord au sud. Dans ce paysage de landes, aux buissons bas et autres genêts couchés par le vent, sous un ciel aux multiples teintes de gris qui se confondait à l’horizon avec le gris de la mer, elle l’embrassa et il avait alors su ce qu’était l’Amour. Finalement, après les fêtes, il n'était pas reparti, son sac à dos était resté sur l'armoire dans sa chambre d'enfant. En grand adolescent, il avait retrouvé quelque temps ses quartiers chez maman ; papa était mort depuis longtemps. Rapidement, Tatiana et Mark s'étaient installés ensemble.

Le bonheur n'avait duré que deux ans. Là encore le mauvais avait pris le pas sur le bon. Un an de bonheur et de bon temps. Un mariage, des projets, des économies dépensées intelligemment pour l'achat d'un nid douillet, plusieurs voyages, puis le petit mal de ventre matinal récurrent de sa moitié s'était insidieusement transformé petit à petit en un mal grandissant, la rongeant de l'intérieur. Après l'annonce du verdict par le médecin, elle avait lutté presque un an. Ensuite, poussée dans les cordes, affaiblie par la maladie et le traitement, elle avait jeté l'éponge.

Ça avait été la goutte d'eau qui l'avait fait basculer. Il venait de vendre quasiment tout ce qu'il possédait avant de reprendre la route. Comme avant elle. Il avait repris là où il avait arrêté avant de la connaître. Comme si elle n'avait été que sa parenthèse de bonheur dans sa vie de violence. Il aurait tant aimé s’arrêter, repartir en arrière♪...

Voici six mois que le temps avait emporté son seul amour et qu'il avait tout laissé tomber. Six mois qu'elle était morte, qu'il errait, le cœur tari... Aujourd'hui il était là, sur une aire d'autoroute de Floride, débarqué l'avant-veille d'un vol Paris-Miami ; sur le parking une voiture pas très claire, négociée la veille, en cash, à un commerçant encore plus louche de Miami qui avait fermé les yeux sur l'identité bidon qu'il avait donnée. Ce matin, avant de quitter Miami, il s’était rendu chez un transitaire qui avait assuré le transport par conteneur depuis la France du peu d’affaires qu’il possédait encore. Ensuite, il avait pris la Highway 70 avant de bifurquer sur la 441 à destination d’Orlando où il comptait s’arrêter pour acheter une arme, afin d’assurer ses arrières lorsqu’il arriverait à Daytona Beach.

Pour l’instant, un café devant lui il profitait d’un dernier instant de répit avant de replonger dans l’inconnu, la trahison et la violence. Un café qui refroidissait lentement sans qu'il n'en ait bu une gorgée, perdu dans ses pensées. Il réfléchissait aux raisons qui l'amenaient ici, à ce qu'il était venu faire, à pourquoi il avait fait ce choix, à l'orientation qu'il avait décidé de donner à sa vie désormais. Il pensait que le méchant♪ ce n'était pas lui, mais qu'il allait vraisemblablement devoir en devenir un...

Voilà ce que lui inspirait une simple tasse de café. Non, ce n'était pas la maturité, juste un enchaînement d'événements, de hasards, de décisions et d'une bonne dose de chance, parfois de malchance.

— La vie quoi ! murmura-t-il pour lui-même.

Avant de se lever et de quitter le restaurant routier, il glissa un billet de dix dollars sous la soucoupe. Fumant encore légèrement et répandant son odeur, sa tasse était toujours sur la table, pleine. Comme d'habitude, il ne l'avait pas bue. Autant il en adorait l'odeur, autant il en détestait le goût... Il n'en buvait jamais. Contrairement aux doux souvenirs que lui procurait le goût sucré des bombecs fabuleux♪ de son enfance, le café lui donnait désormais des pensées amères, tout comme ce qui l'attendait dans les semaines à venir.

2

« On the road again14♫ »

USA, Floride, Daytona.

Mark remonta dans son Impala 2002 couleur grenat et reprit la route en direction de Daytona Beach, cette ville, berceau des courses automobiles où chaque année commençait le championnat de Nascar, ces courses sur circuit ovale prisées des Américains. Mark avait choisi cette ville comme un clin d’œil. Il avait quitté l’Armée pour mettre derrière lui son passé ponctué de combats sanglants, et devant désormais se replonger dans la violence, juste pour marquer le coup, par ironie, il avait choisi Daytona Beach, car il se trouvait que cette ville était jumelée avec la ville française où était implanté son régiment. Cette ville où il était arrivé jeune et naïf, avant d’apprendre à devenir soldat, puis, forgé par des années de combat et l’apprentissage de la mort, à devenir guerrier.

Il jeta un œil dans son rétroviseur et put y voir la moitié de tout ce qu'il possédait sur la banquette arrière. L'autre moitié était dans le coffre. Il sourit et songea qu'il pourrait se reconvertir comme coach en minimalisme...

Il mit le contact, puis plaça entre ses lèvres la médaille de saint Christophe que sa mère lui avait offerte le jour où il avait obtenu son permis. Sa ceinture bouclée, il enclencha le sélecteur sur drive avant de remettre la médaille sous son t-shirt. Se situant au plus entre athéisme et agnosticisme, il s'agissait pour lui plutôt d'un geste machinal relevant au mieux de l'habitude, voire d'une certaine forme de superstition, que d'une croyance quelconque.

Encore une heure sur la langue d'asphalte grise de la 441 highway, et il cesserait son périple loin des grandes autoroutes avant de rejoindre Orlando puis sa destination finale. Cela lui laissait le temps de réfléchir à ce qui l’amenait ici. Seul dans sa voiture, ces longues lignes droites étaient toujours propices à une introspection et à la réflexion. Il n'avait plus de femme à ses côtés pour le garder dans le droit chemin. Il avait tout abandonné et roulait maintenant avec toutes ses possessions dans cette vieille guimbarde anonyme.

Au pays de l’oncle Sam’, il n'avait officiellement plus rien d'autre, plus de maison, plus de toit. Plus de travail, ni d'employeur, ni de salaire. Fort heureusement, sa mère n'était plus là pour voir ce qu'il était venu faire ici. Jamais elle n'aurait à pleurer en voyant ce que devenait son fils, un vagabond, vraisemblablement un mauvais garçon. Juste ou mauvais ce serait l'avenir qui le dirait.

Il arriva à Daytona Beach vers 19 heures. Il faisait bon, il faisait chaud, normal dans cette ville, même en mars. Deux jours auparavant il était encore en Bretagne. Il ressentait une sorte de choc thermique.

Il gara son Impala sur le parking du Hard Rock Hotel, un magnifique bâtiment de cinq étages, plus long que haut, fait de vitres, entrecoupées çà et là de béton peint en blanc délimitant les chambres et les étages. Il prit une chambre côté rue et non côté mer. Cela étonna la jeune femme de l'accueil, mignonne, métisse. Jenna, d'après le badge qu’elle portait.

— Vous savez, nous avons plusieurs chambres côté mer. C'est calme en ce moment, d'ici quinze jours ce ne sera pas la même chose.
— Je comprends, mais en fait, c'est justement pour ça que je suis là. Je cherche un job, et je ne veux pas claquer mon budget dans une chambre avec vue sur mer. Je marcherai le long de la plage pour aller voir le lever de soleil sur l'océan, indiqua-t-il avec un clin d’œil un peu lourd.
— D'accord, si vous voulez. Je sais qu'en raison du rassemblement de motos dans quelques jours, notre patron embauche. Tentez votre chance, on ne sait jamais. Je vous indiquerai où vous pourrez loger pas trop cher à plus long terme dans le coin, minauda-t-elle, quelque peu sensible à son clin d’œil. Il reste une chambre chez ma propriétaire.

Il entra donc dans sa chambre au deuxième étage. De la fenêtre il put observer le « Bad Guy's Cave » ; le bar support des « Renegades Angels » de Daytona, un club concurrent des « Devil's Raiders ». Il était étonné que ces bikers aient pu faire construire leur bar support à l'angle de la North Atlantic Avenue et de Jessamine Boulevard. Il pensait qu'en observant un peu ce soir, il pourrait en apprendre davantage sur les us et coutumes des clubs de bikers.

Il savait que les deux clubs s’étaient lancés dans une guerre froide depuis la fin des années 2000, à la suite d’un conflit brûlant de plusieurs années qui avait soustrait de nombreuses victimes dans les deux camps. En désaccord avec le club originel, les Renegades avaient été à l'origine créés par d’anciens Devil's dissidents.

Préférant jouer les macs' et faire dans l'extorsion, les mutins ne souhaitaient pas faire dans les stups'. De ce que Mark avait pu apprendre, ce n'était pas par esprit antidrogue, mais juste qu'ils trouvaient que les filles et l'extorsion de petits commerçants ça payait assez bien et qu'en cas de problème, les peines étaient moindres. Ils pensaient que la vie était faite pour rouler, pas pour être enfermés entre quatre murs. Ils avaient conscience au regard de leurs activités que c'était inévitable de faire des passages en prison, mais préféraient pouvoir y rester un minimum de temps.

Mark s'était renseigné sur les deux clubs. Depuis les « accords de paix », les deux clubs se partageaient des territoires aux États-Unis, en Europe et en Australie. Ils évitaient de marcher sur leurs plates-bandes respectives. Daytona Beach était sous contrôle des Renegades.

Cependant, tous les ans au mois de mars était instaurée une sorte de trêve lors de la Bike Week, durant laquelle des milliers de bikers du monde entier venaient à Daytona pour l’un des plus grands rassemblements de motos du monde.

Mark comptait bien sur ce rassemblement dans quelques jours pour entrer en contact avec les Devil's de façon anodine. Il pensait que se présenter directement comme un connard dans un de leurs clubs serait tout sauf habile. Après avoir sympathisé avec un membre ou a minima s’être fait remarquer par l’un d’eux d'une manière ou d'une autre, il comptait tenter une approche plus ou moins subtile pour devenir Hangaround15.

Pour cela, il lui fallait déjà s'installer tranquillement, trouver un logement, un petit boulot, se fondre dans le paysage et devenir un biker. Il se dit que le mieux serait de bosser dans les environs, près du repaire des ennemis de ses futurs « amis ».

— Donc, demain, trouver un boulot et acheter une bécane, extériorisa-t-il à voix haute en se regardant dans le miroir pour se motiver.

Il songea à la meilleure option pour cette partie du plan : une Harley ou une Indian, voire une Victory. Dans ces clubs, il fallait avoir une moto américaine, à la rigueur une Anglaise ou ce n’était pas la peine de tenter de devenir membre... Arriver avec une Kawasaki Vulcan ou une Suzuki Intruder serait plus un moyen de provoquer les bikers qui y mettraient le feu juste pour se détendre en riant quelques minutes...

Il se coucha de bonne heure encore un peu « jetlagué ». Il s'endormit sur les ronronnements des machines qui se garaient ou repartaient du « Bad Guy's Cave » juste en face.

Bercé par les « potato », le mythique son produit par des V-Twin de Milwaukee16, avant de s'endormir, il se remémora une anecdote vieille d'une dizaine d'années.

En permission chez sa mère, lors d'une journée portes ouvertes du Dafy Moto près de chez lui, le responsable lui avait demandé de lui prêter sa moto de l'époque. En effet, pour l'occasion il avait fait venir Jean-Baptiste Guégan. Un sosie vocal de Johnny Halliday, un artiste qui, après la mort de l'idole des jeunes, avait gagné l’émission de télécrochet « La France a un Incroyable Talent ».

Le directeur de chez Dafy lui avait expliqué que tous ses clients propriétaires de grosses Harley clinquantes de chromes avaient refusé de peur que leurs motos soient rayées. Mark avait accepté de prêter la sienne, bien que sa machine de l'époque plutôt Dark Custom17 n'était pas trop dans l'esprit cuir à franges du chanteur. Le soir même, à l’issue de la représentation, Mark était venu récupérer son 883 et était tombé sur deux spécimens du fléau que l'on rencontrait depuis quelques années dans les concessions Harley. Ceux qu'il appelait des bobos rebelles du dimanche.

Habillés, eux et leurs compagnes, de la tête aux pieds avec des vêtements estampillés Harley, les deux néo-bikers avaient la petite cinquantaine. À l'époque, Mark avait songé que vraisemblablement leurs caleçons et les strings de leurs copines venaient également de la concession la plus proche. En soi, cela ne le gênait pas que des motards soient de tels fans de la marque. Ceux qu'il détestait, c'étaient ceux qui accaparaient les codes quelque peu marginaux et rebelles de l’esprit biker pour se donner une fausse image d'appartenance à ce milieu, juste pour « le paraître » ; juste pour s’encanailler.

Les deux hommes, se remémora-t-il, étaient dentiste pour l'un et avocat pour le second. Ils avaient commencé à parler moto avec Mark.

— Elle est sympa ta machine, c'est un 883 Iron, c'est ça ?
— Ouais, c'est bien ça.
— Tu as fait des modifs dessus ?
— Non, pas pour le moment, elle est 100% d'origine. Vous êtes motards aussi ? Questionna-t-il de manière rhétorique...
— Oui, moi j'ai une Electra et mon pote un Road King, précisa le dentiste.
— Ah ouais, sympa pour rouler sur des longues distances ça, concéda Mark.
— Oui. Mais là nous on n’a pas encore eu l'occasion, pour le moment, on roule dans le coin. On vient de finir les modifs sur nos machines. On a mis des pots Vance & Hines, on est passés en stage 1 pour faire respirer le moteur, tout ça, exposa l'avocat souhaitant se montrer comme fin connaisseur des mécaniques américaines.
— Ouais, perso si j'ai acheté un Iron, c'est juste que je ne vis pas toute l'année ici, je pars souvent pour le boulot. Du coup pas le temps pour de longs road trips. C'est deux ou trois jours de moto max. Je dors à la belle étoile ou sous la bâche, dans le secteur. Plus tard, je compte me prendre une Dyna ou une Softail18 pour tracer l'Europe. Et vous ?
— Ben, nous, on fait partie du HOG, le Harley Owners Group, au Chapter local, enchaîna le dentiste en s’appliquant sur sa prononciation des mots issus de la langue de Shakespeare.
— Tu connais ? demanda l'avocat.
— Oui, quand j'ai acheté la moto, j'ai été inscrit un an d'office, ils m'ont même filé un patch quand j'ai ramené la bécane pour la visite des 1000 bornes. Un patch pour dire que j'avais roulé 1 000 kilomètres en Harley. Ben, vous avez dû l'avoir vous aussi ce patch...
— Euh, non, ça fait qu'un an qu'on a nos motos, on n'a pas encore fait 1000 bornes avec...
— Ah ben ouais, j'suis con, je n'avais pas percuté...,ironisa Mark sarcastique et halluciné par la réponse qui lui fit comprendre que ces deux individus n'étaient pas de vrais bikers, mais bien de ces imposteurs qui en prenaient l'image pour se faire valoir ; ceux qui, alors qu’ils n’avaient pas encore le permis moto, entraient dans une concession et montaient sans respect et sans scrupule sur la plus grosse machine sans s’être renseignés auprès du vendeur au cas où la machine aurait été vendue.
— Ça ne te dirait pas de t'inscrire au Chapter, on accueille souvent de nouveaux membres. On se réunit tous les derniers vendredis de chaque mois. On se retrouve pour organiser les futures sorties et après on va manger sur la côte.
— Mouais, suis sceptique sur l'intérêt si ça roule pas 1000 bornes par an, mais à l'occas' je pourrais passer voir qui y a dans le club. Ça peut être sympa de rouler à plusieurs, réponditMark sachant que ces deux types n’étaient heureusement pas représentatifs des HOG qui étaient composés de vrais aficionados de la marque, de vrais bikers. Vous passez par où pour aller à Quimper ?
— Ben, par l'autoroute...
— L'autoroute ? Ça doit être chiant en bécane, il y a des axes secondaires plus sympas avec de plus beaux paysages et des virolos, objecta Mark.
— Ben... Euh, c'est que nous en fait, euh... c'est qu'on y va en voiture, parce que...
— En voiture ?intervint Mark interloqué...
— Ben oui, en fait, c'est que… ben, après le resto' il est tard, il fait nuit, les routes ne sont pas éclairées, parfois il pleut... et...
— Attends là, tu me dis que vous allez à une réunion de club de moto en voiture... J'ai du mal à vous suivre en fait. Pas de sorties longues, pas de sorties à la belle étoile, pas de connaissances en mécanique, vous faites monter plein d'options sur vos bécanes par des mécanos parce qu’on vous a dit que c'est cool. Putain, on n’a pas le même esprit moto les gars. Je pense que ça ne m’intéresse pas trop votre club si c'est ça l'esprit... J’espère qu’il y a d’autres mentalités dans votre association. Si je n’y suis pas, c’est justement pour éviter d’avoir affaire à des gars comme vous au détriment des vrais bikers qui y sont. Moi je fais de la moto pour la moto, pas pour le folklore autour...
— Euh ouais, c'est sûr qu’on ne voit pas le truc de la même manière apparemment..., admit le dentiste.
— Bon ben on se verra à l'occasion les gars, hein...,conclut Mark en souriant et en mettant sa moto en route après avoir calé sa médaille entre ses lèvres ce qui n’était pas évident avec un casque.

Il s'était alors dit qu'il avait vraiment devant lui deux stéréotypes de bobos rebelles du dimanche, habillés de la tête au pied en Harley, qui avaient payé leurs machines 25 000€. Ensuite, ils avaient sûrement ajouté plusieurs options, dont des pots d'échappement. Puis, ils avaient dû payer pour les faire passer en stages 119 avec modification des cartographies. Il avait alors évalué qu’à l’époque, cela coûtait vraisemblablement autour de 1 500€ la paire de pots équipés et montés par les mécanos Harley pour ne pas faire sauter la garantie de ces motos qui passaient 99% de leur temps sous bâche au garage... Des gars que les concessions adoraient et qui faisaient monter l'action de la marque. Mais ces imposteurs n’étaient fort heureusement pas encore la majorité des bikers roulant en Harley, Indian ou Victory. Nombreux étaient toujours les passionnés, capables de rouler sur de longues distances avec des conditions climatiques déplorables pour se rendre à une concentre20 ; un périple de trois ou quatre jours au cours desquels des centaines de kilomètres étaient avalés.

Mark avait rigolé devant ces deux stéréotypes de néo-bikers, avait mis un coup de gaz et révélé la sonorité de sa machine. Les deux bobos avaient été surpris.

— Ben, je croyais que tu avais tout laissé d'origine...
— Ben oui, c'est le cas, tout est d'origine...,avait rétorqué Mark.
— Mais ça ne fait pas ce son des pots d'origine...
— Ben si, si tu mets un bon coup de barre à mine dans les chicanes...

Ce soir, dans son lit, à 6 000 km de là, à Daytona Beach, Mark revoyait encore leurs airs dubitatifs, dépités, le regard fixe sur les pots d'origine de sa moto...

Il pensa que là aussi il y avait quelque chose qui interpellait, cette disparité autour d'une même passion, du même objet : la moto. Plus précisément la grosse cylindrée américaine, que ce soit une Indian, une Victory ou une Harley-Davidson. Un monde sectaire avec d'un côté des bobos cherchant à s'encanailler et de l'autre de vrais criminels pour qui il s'agissait d'un mode de vie, dont les choix et les actes faisaient pleurer bien des mères. Et au milieu des types comme lui..., qui cherchaient leur place, qui n’étaient attirés par aucun de ces deux mondes, du moins jusqu'à présent...

À la fin, il sourit en repensant à cette rencontre avec les deux motards médusés, ce moment où il avait enclenché la 1ère et mis un gros coup de gaz pour partir en rigolant, l'un des bobos, penaud, répétant :

— Un bon coup de barre à mine... ???!!!

Désormais, il se trouvait au pays de l'oncle Sam', seul. Pour tenter de trouver le moyen de parvenir à son but, il avait décidé de se poser quelque temps à Daytona. Après il retournerait de nouveau sur la route♪.

3

« This Life21♫ »

USA, Floride, Daytona Beach.

Le lendemain matin, Mark décida d’en finir avec l'allure « bad guy », ce look de celui qui s'habillait avec ce qui lui tombait sous la main. À la première heure il se rendit chez le barbier. Coupe propre, rasé de près, il partit chez un marchand pas trop cher et s'habilla d'un beau costume noir, cravate assortie, chaussures à la fois habillées et confortables.

Il avait remarqué que ce look à la Men In Black était adopté par plusieurs agents de sécurité dans les environs. Le Hard Rock Hotel serait un poste idéal. Et déjà une idée faisait son chemin dans son esprit pour pouvoir approcher les Devil's.

Apprêté et rasé de frais, il se rendit à l'accueil du Hard Rock Hotel. Il y retrouva la même jeune femme que la veille, Jenna. Il l'observa, elle devait avoir une petite trentaine d'années, ses cheveux tressés étaient tirés en arrière. Unecuche comme on disait en Bretagne, pensa-t-il. Elle avait de grands yeux noirs, des traits fins, une silhouette mince et musclée et mesurait à peine 1 mètre 65, une stature qu’elle compensait par des talons hauts. Elle n’était pas un canon de beauté mais dégageait un charme certain qui ne laissait pas Mark indifférent. Il remarqua qu’elle ne portait pas d'alliance.

— Bonjour.
— Bonjour, monsieur, excusez-moi quelques secondes, je termine une réservation sur le serveur et je suis à vous tout de suite, lança-t-elle en le regardant à peine... Très bien, que puis-je pour vous ?
— Eh bien, je voudrais suivre vos conseils...
— Oh mince, pardon, je ne vous avais pas reconnu. Ben dites donc, quel changement.
— Euh… oui, en fait je voudrais rencontrer le directeur du personnel. Je souhaite postuler pour un emploi dans la sécurité de l'hôtel.
— Oui bien sûr, je vais voir s'il est disponible, je sais qu'il reçoit du monde ce matin. Pour divers postes en vue du rassemblement annuel des bikers.
— Merci...

Après un appel rapide, elle lui expliqua où se rendre en prenant l'entrée de service derrière l'accueil. Elle lui précisa qu'il devrait attendre un peu avant d'être reçu, car le responsable du personnel était très occupé ce matin. En partant, il tenta sa chance.

— Si ça marche, nous serons collègues, et je prendrai donc votre proposition d'hier soir au sérieux...
— Pardon ? répliqua-t-elle surprise et quelque peu courroucée.
—