Le Père-Noël rafistoleur - Anne-Estelle Dal Pont - E-Book

Le Père-Noël rafistoleur E-Book

Anne-Estelle Dal Pont

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Beschreibung

"Tu es la bougie qui fait tourner mon univers, anime ma vie, fait danser les contours de mon coeur photophore." Yann est quelqu'un sur qui tout le monde peut compter. Surtout ses soeurs. Mais là, c'est décidé, il a besoin de temps pour lui. Et quoi de mieux qu'un tour du monde, sac au dos ? Tout est programmé. Tout, sauf sa rencontre avec Maeva, quelques semaines avant le jour J. Et cet accident, la veille de son départ. Blessé et endeuillé, Yann se reclut dans la maison de son enfance. Hors de question que Maeva le voie ainsi, à moitié défiguré. D'autant que dès qu'il le pourra, il partira, comme prévu. Mais Maeva n'a pas dit son dernier mot. Et puisqu'elle ne peut parler à Yann, elle va lui écrire. Commence alors un échange épistolaire qui va prendre un tournant inattendu lorsque Yann se met à recevoir, chaque jour de l'Avent, une lettre d'un Père-Noël secret. La personne qui se cache derrière cette idée a tout prévu : chaque jour de décembre, elle propose une tradition de Noël du bout du monde, afin de faire voyager Yann immobilisé, et l'aider à remonter la pente. En menant l'enquête, Yann va trouver bien plus que ce à quoi il s'attendait. L'imprévu réserve quelques surprises, et Noël ne revient jamais deux fois dans le même costume. Cette histoire mêlant feel-good et romance de Noël fait suite à"Des petits pas au-dehors", mais peut se lire indépendamment.

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Seitenzahl: 369

Veröffentlichungsjahr: 2023

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À mon grand frère, Isaac.

« Si tu diffères de moi, mon frère Loin de me léser, tu m’enrichis. »Antoine de Saint-Exupéry

Sommaire

Jeudi 21 octobre : Lyon

Mercredi 27 octobre — 18h12 : Mesnil-Saint-Père

Jeudi 28 octobre — 16h08 : Mesnil-Saint-Père

Jeudi 28 octobre — 22h51 : Mesnil-Saint-Père

Vendredi 29 octobre — 16h42 : Mesnil-Saint-Père

Samedi 30 octobre — 13h25 : Mesnil-Saint-Père

Dimanche 31 octobre — 21h18 : Lyon

Lundi 1er novembre — 10h51 : Lyon

Mardi 2 novembre — 14h07 : Lyon

Mercredi 3 novembre — 15h36 : Lyon

Lundi 15 novembre — 11h07 : Lyon

Mardi 16 novembre — 16h52 : Lyon — ma chambre

Lundi 22 novembre — 13h48 : Lyon

Mardi 23 novembre — 15h35 : Lyon — la fac

Mercredi 24 novembre — 10h26 : Lyon

Vendredi 26 novembre — 22h12 : Lyon — ma chambre

Dimanche 28 novembre — 12h57 : Lyon

Mardi 30 novembre — 14h37 : Lyon — la fac

Mercredi 1er décembre — 10h21 : Lyon

Jeudi 2 décembre — 12h10 : Lyon — la fac

Jeudi 2 décembre — 22h54 : Lyon

Vendredi 3 décembre — 17h52 : Lyon — la piscine

Vendredi 3 décembre — 23h45 : Lyon

Samedi 4 décembre — 9h12 : Lyon — ma chambre

Samedi 4 décembre — 21h36 : Lyon

Dimanche 5 décembre — 16h14 : Lyon — ma chambre

Dimanche 5 décembre — 17h42 : (Dans la vraie vie)

Dimanche 5 décembre — 20h07 : Lyon

Lundi 6 décembre — 11h48 : Lyon — mon salon

Lundi 6 décembre — 21h47 : Lyon

Mardi 7 décembre — 16h03 : Lyon — ma chambre

Mardi 7 décembre — 17h13 : (Dans la vraie vie)

Mercredi 8 décembre — 18h24 : Lyon

Mercredi 8 décembre — 20h07 : (Dans la vraie vie)

Jeudi 9 décembre — 6h07 : Lyon — ma chambre

Jeudi 9 décembre — 23h24 : Lyon

Vendredi 10 décembre — 08h51 : Lyon — ma chambre

Vendredi 10 décembre — 18h28 : (Dans la vraie vie)

Samedi 11 décembre — 16h54 : Lyon

Dimanche 12 décembre — 09h25 : Lyon — ma chambre

Dimanche 12 décembre — 18h53 : (Dans la vraie vie)

Lundi 13 décembre — 21h47 : Lyon

Mardi 14 décembre — 11h57 : Lyon — à la fac

Mardi 14 décembre — 23h51 : Lyon

Mercredi 15 décembre — 19h06 : (Dans la vraie vie)

Jeudi 16 décembre — 10h04 : Lyon — ma chambre

Jeudi 16 décembre — 15h34 : (Dans la vraie vie)

Vendredi 17 décembre — 17h16 : Lyon

Samedi 18 décembre — 12h32 : Lyon — la piscine

Samedi 18 décembre — 23h14 : Lyon

Dimanche 19 décembre — 17h04 : Lyon

Lundi 20 décembre — 11h48 : Lyon

Mardi 21 décembre — 10h17 : Lyon

Mercredi 22 décembre — 08h24 : Lyon

Mercredi 22 décembre — 14h32 : Lyon

Mercredi 22 décembre — 17h46 : Lyon

Jeudi 23 décembre — 11h03 : Lyon

Samedi 25 décembre — 01h49 : Lyon

Samedi 25 décembre — 09h42 : Lyon

Dimanche 26 décembre — 17h09 : Lyon

Lundi 27 décembre — 04h19 : Lyon

Vendredi 31 décembre — 10h04 : (Dans la vraie vie)

5 mois plus tard : (Dans la vraie vie)

BONUS PLAYLIST DE ZOUK LOVE ;-D

Jeudi 21 octobre Lyon

Maeva.

J’aimerais écrire «ma » chère Maeva.

J’aimerais te demander de m’attendre.

Mais un an, c’est long.

Les milliers de kilomètres entre nous aussi.

Au lieu de te demander l’impossible, j’espère que tu accepteras de m'écrire tout ce que tu as envie de me raconter, dans ce carnet.

Je ferai de même de mon côté.

Je l’ai pris grand, épais, et si j’ai de la chance, dans un an, quand je reviendrai, nous pourrons nous les échanger.

Sinon, si tu rencontres quelqu’un d’autre, si tu passes à autre chose, peu importe la raison, en fait, qui suis-je pour juger ? Bref, si tu veux t’en débarrasser, alors tu trouveras l’adresse de mon paternel en bas de la page. Pour le déposer.

Je ne peux te faire aucune promesse, Eva, à part que je vais penser à toi chaque jour de ce tour du monde, de ce tour de moi.

Et aussi : « Tu peux m’ouvrir cent fois les bras, c’est toujours la première fois. »

Tu me manques déjà.

Yann

Mercredi 27 octobre — 18h12 Mesnil-Saint-Père

Cher Yann.

Merci pour le carnet. Et ton idée de nous écrire.

Tu pars après-demain et il pleut. Des trombes.

Aucun rapport. Ou peut-être que si. Peut-être que le ciel de France est un peu triste lui aussi, de te voir partir si loin, si longtemps.

Un an. Douze mois.

Sur une vie, c’est une goutte d’eau. À mon échelle, c’est cette pluie diluvienne qui frappe le velux de ma chambre d’enfant.

Tu pars voir le monde et le mien se rétrécit.

Tu pars et je suis heureuse pour toi. Mais triste pour moi.

Mais ne t’en fais pas, je sais que c’est passager. C’est le temps de m’habituer à la distance.

Quoi que… tu m’as plutôt bien entraînée, ces dernières semaines, à refuser qu’on se voie.

À ce propos, j’ai une question. En fait, non, j’en ai deux. Pourquoi tu as quitté ton poste à la piscine sans dire au revoir ?

Et pourquoi est-ce que tu es réapparu, un mois plus tard, chez Denis, pour le rassemblement des hirondelles ?

Tu es sorti de ma vie début septembre sans un mot particulier, sans regarder en arrière, et tu y es revenu à la fin du mois pour m’annoncer que tu partais une année complète pour un tour du monde. Tu m’as dit que j’allais te manquer et tu m’as écrit par texto ces mots que tu me répètes dans ce carnet, et que je n’arrive pas à relire sans sentir mon cœur qui veut s’échapper (pour se cacher entre les pages de ton passeport et te suivre partout) : «Tu peux m’ouvrir cent fois les bras, c’est toujours la première fois. »

C’est bien joli, de citer Jean Ferrat, mais pourquoi me dire ça et en même temps refuser de me voir jusqu’à ton départ? Jusqu’à ton retour ? Tu m’as donné envie d’un nous, pour me priver dans la foulée de toi, de tes bras, de ce nous potentiel, et pour une durée de treize mois. Au lieu de douze. Pourquoi, Yann?

Je sais que tu m’as vue au plus bas, cet été, entre Milo et son harcèlement, Virginie et son burn-out, ma mèreet mes casseroles familiales compliquées… Mais je vais bien, maintenant. Je t’assure.

Je me suis demandé si, fin septembre, tu ne t’étais pas laissé porter par la magie des hirondelles, le feu de cheminée, l’accueil de Denis et son amour naissant pour Virginie.

Tu n’as pas l’air d’être du genre impulsif, et encore moins romantique, alors pourquoi ?

Et maintenant ce carnet. Comme un lien que tu veux qu’on garde, mais toujours en retrait. On dirait que tu marches sur la pointe des pieds. Comme si tu avais peur de m’écraser les orteils. Ou bien crains-tu que je piétine les tiens ?

Ce serait tellement plus simple de s’appeler. Tout comme ça aurait été plus simple de se voir, ces dernières semaines, avant ton départ.

J’ai l’impression que tout va déjà trop vite pour toi.

Ou bien tu as peur que je m’emballe ?

Alors, sois rassuré de deux choses : je suis déjà emballée.

C’est trop tard.

Et la deuxième : je ressens ton besoin immense de liberté.

Alors, pars en paix, tu peux changer d’avis, toi aussi.

Quand tu veux.

(Je sais que tu liras ça dans un an, mais te l’écrire me permet de te laisser partir libre.)

Toi aussi tu me manques déjà.

Tu me manques depuis que tu as quitté la piscine début septembre.

Peut-être même que tu me manquais déjà avant, les jours où l’on ne se croisait pas…

Maeva

Jeudi 28 octobre — 16h08 Mesnil-Saint-Père

Yann,

Ici, je vais jouer la carte de l’honnêteté.

Tu m’as donné ce carnet pour écrire tout ce que j’ai envie

de te raconter, alors on va commencer par le début, histoire de partir sur de bonnes bases.

Si tu m’avais demandé mon avis une seule fois, je t’aurais dit que le présent compte plus que l’avenir. Que c’est plus facile de retenir ton regard chocolat en m’y plongeant souvent. Qu’il y a plus de chance que le goût de tes lèvres soit décevant si je fantasme dessus trop longtemps ! Et que mes bras ne comprennent pas le vide que tu laisses alors que tu n’es pas si loin.

Voilà ce que j’avais envie de te dire quand tu m’as proposé d’apprendre à nous connaître à distance.

Mais je me suis tue. Parce que je ne veux pas de conflit. Tu te souviens? Je déteste ça !

Quand on bossait ensemble, tu me poussais dans mes retranchements et tu as su trouver en moi la battante, celle qui s’oppose, qui s’affirme. Mais tu n’es plus là, Yann. Tu es derrière ton téléphone. Derrière tes messages. Même ta voix, tu m’en as privé.

J’imagine que tu souhaites partir l’esprit léger. Pour mieux profiter. Et je ne voudrais surtout pas être celle qui t’enchaînerait d’une quelconque façon.

Alors j’ai accepté tes conditions.

Mais si tu dois lire la suite de ce journal, il faut que les choses soient claires : toi et moi, si ça doit exister, c’est dans le monde réel.

J’imagine qu’on peut faire plus doux comme confidence. Mais entre toi qui m’as imposé cette distance pendant un mois, ton départ demain (demain… ça y est !), et ma mère qui me rend folle, je n’ai pas tellement envie d’arrondir les angles.

Tu dois être en train de finir ton sac. (J’ai failli dire valise, mais même si on n’a pas abordé ce détail, je suis sûre que tu es du genre à partir sac au dos, avec le minimum, en mode baroudeur. On verra si je me suis trompée ou pas.)

Bon voyage, Yann !

Et que ce que tu es parti chercher se laisse trouver.

Maeva

Jeudi 28 octobre — 22h51 Mesnil-Saint-Père

Yann, me revoilà. Déjà…

Il pleut toujours autant dehors et l’imminence de ton départ me rend encore plus morose. Il y a un truc qui pèse sur ma poitrine, j’ai du mal à inspirer profondément.

C’est nul, je sais, puisque concrètement, que tu sois sur la colline de Fourvière, ou sur la muraille de Chine, tu ne veux de toute façon pas qu’on se voie.

C’est psychologique, je crois. Tant que tu es en France, je me dis que si tu changes d’avis, tu peux un jour sonner à l’appartement. Demain, ce ne sera plus possible.

Bref ! Il faut que je me change les idées et ni Netflix ni mes DVD Bollywood n’ont réussi leur mission de divertissement. Du coup, j’ai eu une idée : je vais te raconter notre (non)histoire à la Bollywood. Ces films, j’en ingurgite chaque semaine depuis des années. C’est l’une des nombreuses choses que tu ignores de moi (mais est-ce bien étonnant puisque nous avons été collègues de travail pendant moins de quatre mois, et que pendant au moins la moitié de cette durée, je t’évitais parce que tu m’horripilais ; et tum’évitais parce que tu es un solitaire…) Mais attends-toi à quelques grandes révélations, avec ce journal.

Donc, un film Bollywood. On verrait le gars serrer la fille dans ses bras, avec respect et passion (oui, oui, les deux en même temps, ne te moque pas !). Il lui dirait qu’il ne veut pas partir, qu’il a peur de la perdre, mais qu’il ne peut pas renoncer à son rêve. La fille serait triste, mais comprendrait, parce qu’elle ressent qu’il y a quelque chose de profond, quelque chose que le garçon n’a pas encore pu lui expliquer, et elle le laisserait partir.

Dans le film, il lui demanderait de l’attendre. Et elle promettrait que oui, mais il ne la croirait pas. Ce serait bien trop tôt. Et la distance et l’absence bien trop longues.

Ensuite, on verrait la fille pleurer et le gars découvrir le monde, au début un peu chamboulé, mais de plus en plus épanoui. Parce que c’est toujours plus facile pour celui qui part. Mais le gars serait cool et lui enverrait, comme promis, des photos de chacun des lieux sur sa liste d’endroits à visiter. La fille accrocherait les clichés dans son journal en lui racontant tout ce qu’elle fait sans lui, ses études en L2 en Langues, Littérature et Civilisations Étrangères, ainsi que son DU au département d’Indologie, sa colocation avec tata Gigi, son job d’étudiante à la piscine, ses amis qui essaient de lui changer les idées, sa mère qui pète un boulon, mais qu’elle aime malgré tout, l’attente, la routine, le chagrin qui diminue, parce qu’il paraît qu’il diminue toujours.

Tu sais, dans les films Bollywood ils adorent les drames. Alors j’imagine que si toi et moi étions dans l’un de ces scénarios, soit tu ne rentrerais pas (parce que tu aurais trouvé un lieu où tu te sentirais mieux qu’à Lyon), soit tu rentrerais, mais pas seul (me laissant me noyer dans mon chagrin après m’avoir offert une dernière danse magnifique tout en blanc — parce qu’en Inde, le blanc est la couleur du deuil) ; ou alors, tu rentrerais heureux d’avoir accompli ce que tu devais te prouver à toi-même, mais moi, j’aurais rencontré quelqu’un, arrêté ce journal et l’aurais déposé dans la boîte aux lettres de ton père que tu m’as donnée, au cas où…

Au cas où quoi ? Je ne sais pas. Je n’aime pas l’idée que tu envisages que je n’irai pas au bout des douze mois. (C’était un aparté dans le monde réel, maintenant retournons dans mon scénario de film).

Il reste la dernière alternative : le happy ending. Ou plutôt le happy beginning. Quand le film se finit, c’est là que tout commence, non? Mon côté fleur bleue adore les films qui finissent bien. Ce sont mes préférés.

Alors tu es sûrement en train de te dire que je suis complètement folle d’avoir imaginé d’abord les fins qui laissent l’un des deux personnages sur le côté avec son cœur en lambeaux. Je ne suis pas pessimiste. J’essaie simplement d’être réaliste. Parce que tout est envisageable. Je dois m’y préparer. Surtout après ce que tu nous as imposé depuis un mois.

On ne se voit pas. On ne s’appelle pas. On a juste droit aux textos. Et aux smileys (>bonhomme qui se pend<)

Parfois, je rêve que je pars avec toi. Oh, pas longtemps, t’inquiète ! (Et si je l’écris ici, c’est bien parce que tu le liras dans un an! Jamais je n’aurais osé formuler ça à voix haute !)

J’adorerais faire un tour du monde, mais pas maintenant. Tu as ta liste de sites à cocher, j’ai mes études à terminer. D’ailleurs, il faudra que tu me racontes si toi, tu as fait des études ou pas. Où est-ce que tu bossais avant d’arriver à la piscine, puis d’en repartir? C’est là que je réalise que je ne connais même pas ton âge ! La seule chose que je sais, c’est qu’on n’en est pas au même stade de vie.

Tu as déjà un passé, dont j’ignore tout, tu as besoin de t’en aller, et je ne sais rien de tes projets à ton retour. Moi, je vais avoir 19 ans dans quelques jours, c’est seulement ma deuxième année d’études, et tout ce que je viens d’écrire à ton sujet me donne le tournis.

Une certitude, quand même : je ne suis pas le genre de fille qui abandonne tout pour un homme, aussi palpitant soit-il (c’est le premier mot qui m’est venu, je le laisse, interprète-le comme ça t’arrange) ^^

En revanche, je t’aurais bien accompagné quelques jours. J’aurais raccourci mon séjour chez maman, j’aurais fêté mon anniversaire avec toi, dans un orphelinat d’éléphants au Sri Lanka, et on aurait partagé un coucher de soleil au bord de l’océan Indien. Tes baisers auraient eu le goût du thé, et ta peau l’odeur du sable et de la liberté. Et puis nos avions se seraient séparés en plein ciel, le mien vers l’Europe et ma jeunesse fébrile, le tien pour le Cambodge et la sagesse en chemin. Ou quelque chose dans le genre…

Si tu m’avais laissée t’approcher ces dernières semaines, jamais je n’aurais osé te le proposer, m’imposer. Ce n’est qu’un joli rêve. À la place, je suis chez maman. Et je t’écris des trucs que j’aurais sûrement envie de rayer demain, après une nuit de sommeil et les idées plus claires.

Heureusement, dans trois jours, je rentre sur Lyon. Lyon qui sera vide de toi pour de bon ! Mais Lyon qui est ma maison.

Maeva

Vendredi 29 octobre — 16h42 Mesnil-Saint-Père

Hello, Yann.

Ton dernier message date d’hier aprèm. Une photo de ta main gauche qui tient le guidon d’un VTT. La droite, invisible, qui prend la photo. En arrière-plan, un chemin dans la forêt. Donc, tu es parti faire du vélo. Peut-être que tu as eu peur que ça te manque, une fois dans les airs ? Avoue que t’es bizarre, parfois.

Je t’ai répondu par une photo de mes pieds en éventail sur le sable, face au lac d’Orient, vide des touristes. J’ai triché, la photo date d’il y a trois jours, avant la pluie.

On a beau être fin octobre, il y en a encore qui font du kitesurf. Ce sont les derniers jours, à vrai dire. Et si la chaleur n’est plus au rendez-vous, la course du soleil qui plonge dans l’eau pour ressortir de l’autre côté du monde, je ne m’en lasse pas. On n’a pas ce genre de spectacle à Lyon. Donc j’en ai profité une dernière fois avant que les nuages déversent leur tristesse sur ma vie.

Depuis, plus aucun signe de toi.

Je suis mal à l’aise avec les textos. Comment trouver le bon dosage? Je veux te laisser respirer, ne pas en envoyer trop, parce que je ressens ton besoin d’espace. À force de te regarder observer les autres, je décode mieux le langage non verbal. Je dois m’en contenter vu que tu n’es pas du genre bavard. Mais pour en revenir aux SMS, peut-être que ça fait l’effet inverse? Comme si je n’en avais rien à faire ? Hier soir, je t’ai demandé si tu étais prêt et à quelle heure tu décollais. Pas de réponse.

J’avoue que j’avais espéré, à défaut de se parler, un dernier petit échange écrit.

Ce matin, je t’ai envoyé une photo de la couverture du carnet que tu m’as offert, sans te dire que j’avais déjà commencé… quoique ça t’aurait peut-être fait réagir.

Pas de réponse.

L’après-midi touche à sa fin, et je ne sais pas si je dois te souhaiter bon voyage, bon vent, adieu ou faire comme toi : comme si de rien n’était.

Tu dois être à Charles de Gaulle en train d’attendre ton vol. Dire que tu vas bientôt être tout près de l’Inde, mon pays de cœur…

Ma mère ne comprend pas cette passion que je nourris pour ce pays depuis mon adolescence. Tu veux que je te raconte la véritable histoire? Celle que je ne veux pas qu’elle connaisse ? Mon père, lui, était au courant. C’était notre secret. Allez, je me lance.

Je viens d’un village dans l’Aube qui s’appelle Mesnil-Saint-Père. On est moins de 500 habitants, mais l’été, c’est LE lieu touristique du coin, parce que juste à côté du lac d’Orient (et de la forêt d’Orient qui appartenait majoritairement aux templiers… oui, je plante le décor mystérieux, tout ça). Il y a une très jolie plage (celle de la photo que je t’ai envoyée par SMS), un camping, une zone pour les camping-cars, des restaus, une piste cyclable et piétonne pour se balader tout autour, un petit port de plaisance (mais qui a le mérite d’exister) et même un hôtel 3 étoiles !

C’est charmant sans être trop bondé (bon, OK, je ne suis pas très neutre pour en parler). C’est le lieu où se réunissent tous les ados du coin dès qu’il fait beau ; c’est là qu’on peut voir, le 14 juillet, tous les feux d’artifice des différentes communes qui bordent le lac, les uns après les autres (après avoir récupéré un lampion à la salle des fêtes et participé à la retraite aux flambeaux). C’est là aussi que j’aimais observer les hirondelles, tôt le matin, avec leur queue en V et leurs cris joyeux. Tu comprends mieux pourquoi je n’ai pas hésité à venir voir leur rassemblement chez Denis, en ce début d’automne. Pour en revenir au lac, si tu es patient, tu peux voir des oiseaux plonger dans l’eau et en ressortir aussi vite, un poisson frétillant dans le bec.

Si avec tout ce que je t’ai dit tu n’as pas envie de venir visiter ma ville, c’est que tu n’as pas de cœur ^^

En tout cas, c’est là qu’un été, j’ai rencontré Rani. J’avais quinze ans, il en avait dix-sept. Il faisait du vélo avec son frère, on se baladait avec Sophie, assez tôt le matin, avec Roxy, sa chienne (le meilleur prétexte pour éviter ma mère et les parents de Soso). Quand on a croisé les garçons, Roxy a aboyé sur eux, on s’est excusées, ils ont ri, se sont arrêtés, on a discuté, puis ils nous ont invité à poursuivre la balade dans le même sens. On a partagé nos croissants avec eux et on a passé la semaine de leurs vacances ensemble.

Rani était franco-indien. Il était en vacances avec sa grande sœur qui venait de se marier. Ils nous ont montré les vidéos du mariage.J’ai eu un coup de foudre. Pour Rani et pour sa culture.

Rani était aussi pudique que moi et nous avons vécu notre petite histoire toute mimi en catimini. Avec son vélo, il me rejoignait dès qu’il le pouvait dans une vieille ruine dont il ne restait que les murs, à la sortie de mon village. Si les pierres pouvaient parler, elles te raconteraient tous ces baisers timides d’adolescents. Rien d’autre. J’avais quinze ans, c’était mon premier petit copain, et on n’allait jamais se revoir.

Rani est parti et je me suis consolée avec la liste des films que sa sœur m’avait donnée quand elle a vu mon enthousiasme. De fil en aiguille, je suis passée des films Bollywood à la cuisine indienne, de la musique et des danses à l’hindi… Je n’ai pas adopté le style vestimentaire, même si j’adore le concept du sari, le choli qui laisse le ventre à découvert, la longue jupe, et le voile qui croise sur le buste et couvre une épaule. C’est sublime à voir, les couleurs sont tellement vivantes, mais ce n’est pas moi. Moi, j’ai plutôt envie de cacher mon ventre et d’avoir les jambes à l’air.

Je n’idéalise pas cette culture (les castes, certains mariages forcés, les bains dans le Gange…). Mais j’ai envie de m’approcher au plus près de l’histoire de ces peuples qui composent ce grand pays. Mon amour pour l’Inde ne s’explique pas vraiment. Et après tout, est-ce que tout a besoin d’explications ?

Si je parle souvent des films qui montrent une facette utopique de l’Inde avec les danses, la beauté des acteurs, la vie à l’européenne, les mariages fastueux, les histoires d’amour qui finissent bien… c’est parce que j’aime l’esthétique que ces films dégagent. Mais je suis tout à fait consciente de l’autre réalité. Celle qui n’est pas montrée. Celle que les Indiens vivent pour la majorité.

Au cas où tu te demanderais : non, je n’ai jamais revu Rani. Nous n’avions pas échangé nos numéros ni nos réseaux sociaux. C’est comme une chanson qu’on entend par hasard dans une boutique, qui nous fait nous arrêter pour écouter la fin. On ne connaît ni l’artiste ni le titre. C’est magnifique, et même si on passe à autre chose ensuite, il reste un goût de bonheur attaché à ce souvenir.

En revanche, si je ne suis jamais allée chercher Rani sur les réseaux sociaux, je suis allée jeter un œil sur ton Facebook. Tum’as dit que tu n’y vas presque jamais, mais avec ton voyage, je me suis dit que tu aurais peut-être envie d’y être plus actif. Évidemment, rien n’a bougé de ce côté-là non plus. Ta dernière publication date toujours d’il y a deux ans et on n’y voit même pas ta tête, juste la place du Peyrou, à Montpellier.

Pour en revenir à mon bel Indien, je n’ai jamais voulu en parler à ma mère. Tu as eu un aperçu du phénomène, en août. Elle aurait fait des commentaires déplacés (elle est persuadée que c’est cool de parler sexe avec sa fille), aurait voulu avoir des détails, m’aurait volé la douceur de mon histoire, et aurait été insupportable pour savoir qui et quand serait le suivant. Ma mère, quoi !

Alors que mon père, lui, a tout de suite compris, m’a juste rappelé que je ne devais jamais faire quelque chose dont je n’ai pas envie, et que je devais fuir ceux qui ne me respectaient pas. C’était facile de lui parler. Il ne jugeait pas. Il me manque. Encore plus le vendredi.

Voilà encore une chose importante que tu dois savoir sur moi : mon père est mort un vendredi. Depuis toujours, il faisait en sorte de terminer le boulot plus tôt ce jour-là pour passer la soirée avec moi. Quand mes parents ont divorcé, c’était notre moment rien qu’à nous, qui démarrait le week-end que je passais toujours chez lui.

Je l’ai donc attendu à la fin des cours, comme d’habitude. La seule fois où il a été en retard, la seule fois où il m’a fait faux bond, la seule fois où il m’a abandonnée, ça a été pour de bon. Ensuite, j’ai détesté les vendredis.

Depuis, ça va mieux. Grâce à ma mère (elle est chiante, égocentrique, immature… mais elle a toujours tout fait pour rendre mes vendredis plus doux), à Sophie (les soirées du vendredi avec ma meilleureamie sont forcément plus drôles que celles avec ma mère), et aussi à Virginie (d’ailleurs, elle va de mieux en mieux,je t’en reparlerai plus tard).

Mais aujourd’hui, tu pars. Et c’est un vendredi. Et tu ne m’as toujours pas dit au revoir. Alors j’avoue que l’ambiance est pesante.

Maman a programmé une soirée jeux de société. En réalité, avec elle, c’est toujours le même jeu : le Uno. Mais attention, avec des règles chelou qu’elle invente q soirée, et je ne sais jamais ce qu’elle va nous pondre. Ça peut être sympa quand un 7 sort et que tout le monde passe son jeu à son voisin de gauche, mais moins quand un 3 vert donne à celui qui l’a dégainé le droit de poser la question qu’il veut et à qui il veut (un genre de « action ou vérité ») ; ou pire, quand quelqu’un te donne un +2 et que tu dois enlever une fringue (version strip-poker). Voilà le genre de Uno que ma mère adore proposer.

Maman a invité Claudine, son amie de toujours, qui est aussi sa collègue au guichet de la Poste. Et Paulette, qui, contrairement à l’époque que suggère son prénom, a mon âge, et revient toutes les vacances scolaires chez ses parents (où elle s’ennuie, évidemment, donc vient taper la causette à la Poste pendant les heures creuses et raconter toutes ses histoires de cul à ma mère qui en redemande toujours).

Paulette et moi, on se connaît depuis l’enfance, mais on n’a jamais vraiment eu d’atomes crochus. Elle est un peu comme Sophie, aussi belle qu’extravertie. Sauf que si Sophie, avec ses cheveux blonds bouclés, ressemble à une version plus naturelle de Barbie, Paulette, elle, c’est Lara Croft. Avec encore plus de seins (et ils sont vrais) ! Je soupçonne ma mèrede regretter que je ne sois pas comme Paulette…

Et pour compléter la fine équipe, il y a aussi Luce, la femme du nouveau boulanger. Elle doit avoir dans la trentaine, est enceinte jusqu’au cou et a envie de sortir tant qu’elle le peut avant de se transformer en «vache laitière » (ce sont ses mots, ça fait rêver).

Voilà à quoi je vais passer la soirée : manger du pop-corn, me forcer à sourire aux blagues sous la ceinture des unes et des autres, rester vague sur mes relations potentielles (ne jamais dire que je n’ai personne, sinon tout le monde y va de son bon conseil ; ne jamais dire que je suis en couple, sinon tout le monde y va de son bon conseil ; et ne jamais dire que j’aimerais être en couple, encore moins avec un type qui se barre à l’autre bout du monde, sinon, tout le monde me conseillera de profiter de la vie pendant ton absence).

Voilà ce qui m’attend alors que toi, tu es sûrement en train de regarder le bal des avions sur le tarmac. J’espère que ton vendredi est mieux que le mien.

Eva

Samedi 30 octobre — 13h25 Mesnil-Saint-Père

Je suis inquiète, Yann.

Voilà sûrement pourquoi tu ne voulais pas qu’on se voie avant ton départ : pour conserver un espace de sécurité autour de toi, non pollué par une nana qui s’inquiète au moindre silence. Là, tu te demandes ce que ce sera quand tu partiras pour une semaine de trek sans téléphone. Je me demande aussi et je suis en train de détester ce côté control-freak que je me découvre.

En tout cas, pas de nouvelle avant ton départ. Pas de nouvelle alors que tu es censé être arrivé, et rien de neuf sur ton Facebook.

J’actualise les plans de vol, et sur le site de Qatar Airways, il n’y a apparemment eu aucun crash. C’est déjà ça !

Mais alors, pourquoi tu ne m’écris pas? Ou juste une photo de ta main attrapant ton sac, ou même de tes pieds au bord d’une piscine. Peu importe ! Énerve-moi avec des images qui ne servent à rien, ou rends-moi jalouse avec d’autres qui me donneront envie de te rejoindre et me feront regretter de ne pas t’avoir proposé de t’accompagner ! Tout, sauf ce silence !

De mon côté, la soirée d’hier s’est plutôt bien passée. Ma mère n’a proposé que des règles amusantes, et parce que c’est bientôt mon annif et que je repars demain, elle a demandé à chacune de venir avec des gâteaux.

C’était super sympa (hormis les commentaires graveleux à tout bout de champ, mais si je veux que ma mère m’accepte telle que je suis, je crois que je dois aussi la prendre comme elle est, et me décoincer un ch’touille).

Du coup, j’ai un peu honte de t’avoir dressé un tableau aussi moche, hier, alors qu’elle a été cool. Vraiment.

Ce qui fait qu’elle ne comprend pas pourquoi je suis tendue aujourd’hui. Et comme je ne lui ai jamais parlé de toi (et que ce n’est pas près d’arriver), et bien elle me harcèle pour savoir si je suis malade, si la dépression de Virginie n’est pas en train de me contaminer. Il faut noter quand même qu’elle dit enfin son prénom, il y a du progrès : au téléphone, elle l’appelait « l’autre ». L’ambiance de famille, je te raconte pas !) Ah, et pour finir : elle m’a demandé si j’ai de mauvaises notes en classe.

Ma mère est restée bloquée sur le système de notes du lycée, elle n’a toujours pas compris le concept des semestres. Elle n’a jamais fait d’études supérieures et elle est super fière que moi j’en fasse, mais du coup, parfois, j’ai l’impression que je lui parle en hindi. Le plus dur est de lui réexpliquer sans m’énerver, et sans la prendre pour une gosse (elle déteste ça, et je la comprends).

Là, j’ai pas relevé. Elle a conclu que c’était le passage à l’automne, l’ambiance générale, le manque de soleil, une petite déprime passagère. Je ne l’ai pas contredite.

Ma valise est prête, demain je reprends le train. Demain, je retrouve tata Gigi. Demain, j’espère avoir de tes nouvelles.

Eva

Dimanche 31 octobre — 21h18 Lyon

Est-ce que tu m’as ghostée, Yann?

Je suis fatiguée, les heures de train, les changements en gare, et ton silence, si lourd, que j’ai l’impression d’avoir des poids arrimés au cœur. Peut-être qu’il a besoin de se muscler, le pauvre.

Il avait perdu l’habitude de battre plus fort (ce n’est arrivé que deux fois : Rani et Enzo). Et surtout, il ignorait tout du rejet.

L’abandon, la solitude, oui, mon cœur en connaît la douleur, l’âpreté et son froid glacial. Mon père m’a abandonnée. Ce n’était pas voulu, mais c’est ainsi.

Mais le rejet, son silence inexplicable, son amertume collante et le doute insidieux, mon cœur vient de le découvrir.

Et je tourne en rond à essayer de comprendre. Ce que j’ai dit, ou pas dit, ou mal dit. Ce que j’ai fait, ou pas fait, ou mal fait. Ou peut-être rien. Ou peut-être tout. Peut-être juste moi. C’est ça le pire.

Je m’inquiétais pour toi, et Sophie m’a ramenée sur terre. Tu m’as ghostée.

J’ai rigolé. J’ai contesté. J’ai nié. J’ai douté. Mais ses arguments sont logiques…

Tu as disparu. Sans prévenir et sans aucune explication. Et moi je suis en train d’écrire à un fantôme!

Je n’ai pas encore la force de t’en vouloir.

Peut-être demain.

Là, il est tard, je suis épuisée, je me sens nulle, et seule, et bête, et triste, et stupide, et choquée (tu m’as ghostée, merde ! Yann !) et lasse, et… tu as saisi l’idée.

Je ne sais même pas pourquoi je continue à t’écrire. Je vais me coucher.

Lundi 1er novembre — 10h51 Lyon

C’est la Toussaint, la fête de tous les saints. Ce n’est donc PAS ta fête !!!!

Je suis en colère, Yann. J’ai envie d’être à l’origine d’une quatrième cicatrice sur ta tête de beau gosse taciturne.

Là, au moins, tu aurais une histoire originale à raconter, autre que tes bêtes accidents de jeux d’enfants.

Et je déteste ce que tu fais ressortir en moi.

Avec Rani, c’était court mais mignon.

Avec Enzo, ça a duré sept mois, et si nous savions tous les deux que notre histoire ne perdurerait pas au-delà du bac (il partait étudier à Bordeaux, moi à Lyon), quand je pense à lui, mon cœur déborde de tendresse pour ce gars qui m’a aimée le premier, était doux, avait de la considération pour chaque aspect de ma personnalité, m’a aidée à traverser le deuil de mon père. Avec lui, je me sentais plus joyeuse, plus sûre de moi.

Mais toi, quand je pense à toi, j’ai envie de t’étriper.

As-tu joué avec moi ?

Tu t’es fait passer pour celui qui ne supporte pas les hommes qui ne respectent pas les femmes. Tu m’as aidée à me défendre. Tu as gagné ma confiance. Et maintenant ça ?

Je nous croyais honnêtes. Et respectueux. Et amis. Avant tout le reste.

As-tu vraiment fait ce que Sophie affirme que tu as fait ? Parfois, je doute, je me dis que ce n’est pas possible.

Pas toi !

J’avais cru percevoir une sorte de fil de lumière entre ton âme et la mienne. Me serais-je trompée à ce point ?

Soit tu es très fort, soit je suis très naïve. Et en colère.

C’est fou comme l’être humain transforme l’énergie passive de la tristesse en cette boule hyper agressive. Je déteste me voir ainsi. Moi non plus, je ne suis pas une sainte.

J’aimerais que le chagrin se déverse comme une journée pluvieuse, pas qu’il se transforme en orage. Qu’as-tu fait de moi ?

Oh, je sais, c’est très facile de te charger. En théorie, je suis responsable de mes réactions. Mais c’est plus facile de t’accuser. Ça me laisse un peu de temps pour réaliser l’ampleur de l’attachement que j’avais déjà pour toi.

Mardi 2 novembre — 14h07 Lyon

Le jour des morts. Je pense à papa.

L’année dernière, j’étais restée chez maman toutes les vacances de la Toussaint, et j’avais pu aller poser une fleur sur sa tombe.

C’est la première fois que je n’irai pas.

Virginie m’a proposé d’aller jeter une rose dans le Rhône, elle et moi. J’ai accepté.

J’essaie de me mettre à sa place. Elle a perdu l’amour de sa vie. Il s’est égaré une seule fois, elle n’a pas su gérer. Et on sait ce que ça a donné. Virginie s’est enfuie sans jamais revenir en arrière. Et lui, il est mort.

Et moi, j’ai déboulé. Et depuis six mois, on est les deux colocataires les plus étranges et les plus complémentaires qui soient. Je n’imagine plus ma vie sans elle. Peu importe le passé.

Je ne sais pas pourquoi je te raconte tout ça.

Tu n’es pas mort. Tu es vivant. C’est moi qui hésite encore à quel monde mon cœur appartient.

Je me dis que Virginie n’a jamais oublié son amour de jeunesse en vingt ans, mais qu’elle s’est refusée à rentrer chez elle. Si elle lui avait pardonné, ils auraient été heureux, ensemble. Au lieu de cela, elle est restée bloquée entre les regrets et la peur. Et il est mort.

Toi et moi n’avons rien vécu d’aussi fort qu’eux deux. Et ton silence n’est rien comparé à celui que Virginie s’est imposé.

Finalement, tu as eu raison de refuser qu’on se voie toutes ces dernières semaines.

Ce sera plus facile de dire adieu à des rêves qu’à des souvenirs.

Maeva

Mercredi 3 novembre — 15h36 Lyon

Aujourd’hui, j’ai 19 ans.

Quand je fais le bilan, j’ai eu le meilleur père du monde. J’ai une mèreun peu chelou mais attentionnée à sa façon, et qui m’aime vraiment. Je vis avec tata Gigi qui est une femme courageuse, généreuse et espiègle (quoi qu’un peu control-freak, ce qui explique peut-être mes quelques dernières dérives). J’ai une meilleure amie qui veille à ce que je ne merenferme pas sur moi-même, j’ai des collègues de boulot drôles et attachants, je fais des études que j’adore, Lucas et Sandra, mes deux amis de LLCE se battent pour m’avoir (ils se sont séparés il y a deux semaines et depuis… c’est un peu tendu), et je me suis même fait une nouvelle pote, Magali, à mon DU (Diplôme Universitaire). Une vraie geek cachée derrière un style de lolita (je me demande ce qu’elle fiche en histoire et littérature indienne…)

Et tout ce beau monde me rejoint ce soir au restau indien pour fêter mon anniversaire. Sauf maman, évidemment, elle a déjà pris le train cet été, il va lui falloir encore quelque temps pour s’en remettre. Et réitérer l’exploit.

Je suis heureuse, vraiment.

Quand je ne pense pas à toi. À ce qui aurait pu être. À ce que j’ai cru qui se tissait.

Sophie m’affirme que si tu n’avais pas coupé les ponts, j’aurais été tout aussi triste de passer cette soirée avec tous mes proches, parce que loin de toi. Elle n’a pas tort. Pour autant, j’aurais préféré être triste parce qu’on se manque, plutôt que de l’être parce que je ne te manque pas et que je ne peux plus rien te dire.

« L’amour de toi par quoi j’existe

N’a pas d’autre réalité

Je ne suis qu’un nom de ta liste

Un pas que le vent sur la piste

Efface avant d’avoir été

Tu peux m’ouvrir cent fois les bras,

C’est toujours la première fois »

J’aurais dû lire les paroles de la chanson de Jean Ferrat en entier. C’était écrit. Je ne suis qu’un nom de ta liste. Le vent m’a déjà effacée. Joyeux anniversaire, Maeva !

Là où tu as bien réussi ton coup, c’est que je ne sais même pas quand tu es né. Je n’aurais pas à y penser. Ou au contraire, j’y penserai tous les jours : « Et si c’est aujourd’hui ? »

Comment peut-on ressentir l’autre aussi fort, comme une évidence, en si peu de temps? Et comment peut-on le laisser partir ?

J’ai l’impression que mon cœur a jeté l’ancre dans les eaux boueuses de tes yeux. Et plus je tire, plus ça arrache un bout de mon palpitant.

Alors, ce lien de lumière que j’ai rêvé, ou que je semble être la seule à avoir vu, qu’est-ce que j’en fais? Le mieux est d’arrêter de t’écrire en espérant que peu à peu, je cesse d’avoir envie de te raconter, puis de penser à toi.

C’est mon anniversaire. C’est mon cadeau pour m’aider à avancer.

Je déposerai ce journal dans la boîte aux lettres de ton père en allant au restaurant. Ce sera un petit détour, assez long toutefois pour que mes yeux s’assèchent de toi avant de rejoindre les autres.

Tu peux brûler ce journal, en faire un trophée, l’ignorer… J’ai l’impression que tu as déjà fait tout ça avec mon nom.

Maeva

Lundi 15 novembre — 11h07 Lyon

Maeva,

Voici le journal de bord que j’aurais pu écrire. Si j’avais pu…

Jeudi 28/10

Je suis parti faire du vélo avec Mehdi. Dernière sortie sportive entre potes avant mon départ. C’était censé être une sorte de fête de la liberté. Moi avec mon tour du monde, lui qui récupérait enfin son indépendance (j’ai créché chez lui pendant presque deux ans).

Il ne restait qu’une descente. On a enlevé nos casques pour faire une dernière photo. Le parking était juste là, un peu plus bas. Je n’ai pas remis mon casque. La flemme.

Il y avait cette grosse pierre. J’ai voulu passer par-dessus, mais j’ai buté (ce qui a défoncé la roue du vélo) et j’ai fait le soleil (ce qui m’a défoncé la gueule).

Après, c’est très vague. Mehdi a appelé les pompiers (je ne m’en souviens pas). Les pompiers m’ont donné des claques pour me réveiller, mais j’ai replongé. Ils ont déchiré mon pull préféré (ça, bizarrement, je m’en souviens très bien).

Ensuite : brancard, ambulance, pas de place aux urgences alors direction le service de chirurgie esthétique, puis le billard. Apparemment, mon père a eu le temps de me rejoindre, mais ça non plus je ne m’en souviens pas.

Tu m’as dit que tu « aimerais être à l’origine d’une quatrième cicatrice sur ma tête de beau gosse taciturne ».

Pas la peine, Eva! Le vélo s’en est déjà chargé. Et si l’ancien moi aurait été flatté que tu le trouves beau gosse, le nouveau a juste envie que tu l’oublies. Parce que cette fois, ce n’est pas une marque mignonne au coin de l’œil ou sur le front. C’est la moitié de mon visage qui est défoncée !

Vendredi 29/10

Le réveil est dur : sensation d’être à moitié broyé, une migraine atroce, la peau (ou ce qu’il en reste) qui me brûle, l’impression que mon visage est morcelé, fragmenté, le corps aussi courbaturé que si j’étais passé dans une machine à laver, et mon poignet gauche qui me lance.

Mehdi est interne en médecine, il m’a traduit les termes médicaux :

- Fracture du plancher de l’orbite gauche : l’os sous ma paupière s’est brisé, ils m’ont mis une prothèse ;

- Dermabrasion faciale : ma peau a été arrachée sur tout le côté gauche, là où mon visage a raclé le gravier. Ils ont brossé et lavé les plaies, puis suturé. 39 points : 19 au-dessus du sourcil, 20 sous l’œil ;

- Fracture du radius distal : l’os du poignet gauche (ils l’ont immobilisé avec de la résine).

D’où cette impression d’avoir le corps en lambeaux. D’être déglingué.

Je dois demander à mon père de m’aider à me laver (comme un putain de môme) parce que je n’ai pas de jus ; mon avion est parti sans moi et je ne m’envolerai pas avant au moins deux mois (à cause du poignet ; ma tronche, elle, ne pose problème que pendant trois semaines d’après, le chirurgien…) ; et ma belle-mère n’a pas pu s’empêcher de grimacer quand elle est venue m’apporter des fringues propres…

Je refuse de voir ma gueule. Et encore moins celle des autres. J’arrache la carte SIM de mon téléphone et hurle qu’il est hors de question que qui que ce soit poste une seule information à ce sujet sur les réseaux sociaux.