Le pianiste, la sirène et le chevalier - Jean-Luc Cornette - E-Book

Le pianiste, la sirène et le chevalier E-Book

Jean-Luc Cornette

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Beschreibung

Age : 9-12 ans Niveau de lecture : CM1-6e

Un soir de décembre 1781, Lulu, pianiste prodige, profite d’un voyage en Hollande pour fuir son père, musicien raté et violent.

En plein hiver, le long des canaux gelés, Lulu rencontre Elsje, la sirène qui raccommode les filets des pêcheurs de Rotterdam, et Rod, le chevalier sanguinaire, de retour du Pérou.
Le trio décide de rejoindre la mer. Le pianiste, la sirène et le chevalier traversent les dunes enneigées et partagent leurs vies accidentées.
En chemin, ils découvrent la force de l’amitié, de l’espoir et de la liberté.

Une épopée musicale au cœur du Rotterdam de la fin du XVIIIe siècle, rythmée par une amitié forte et poignante

EXTRAIT :

Tout est noir. Les pavés, la rue, les maisons et le canal. Le petit pont et le ciel aussi. La nuit, Rotterdam est enfermée dans un sac de charbon. Cachée par les nuages, la lune diffuse un halo à peine perceptible.

L’air glacé me fouette les joues.

Je suis libre.

Plié en deux, les mains sur les genoux, je reprends mon souffle.

Je me remémore ces derniers instants. Je ne sais pas vraiment ce qui m’a pris. J’ai foncé sans réfléchir. Ou alors, j’ai trop réfléchi. J’étais assis sur le lit dans cette grande chambre inconnue. C’est là que je loge le temps de mes concerts à Rotterdam. Je fixais le mur devant moi. La chandelle dessinait un rond de lumière douce sur la tapisserie, révélant un monde fabuleux d’anges et de chimères. Mais mon esprit s’égarait dans une autre direction. Je n’étais pas intéressé par cette dame alanguie, ni par ces chérubins grassouillets, ni par cette licorne longiligne. Je voulais partir, fuir, m’évader.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

- « Ce roman emmène les kids dans le Rotterdam d’antan, sur les traces d’un certain Ludwig… Un conte le long des canaux gelés, qui réservera bien des surprises à ses lecteurs. La parution est assortie d’un dossier pédagogique particulièrement fouillé. » - Le Vif. Week-end

- « Un très beau roman pour la jeunesse. Le récit est empreint d’une belle leçon d’amitié, d’espoir et de liberté. » - dBD Magazine

- « Ce roman raconte l’aventure vécue par Lulu, un jeune pianiste, Elsje, une jeune fille et Rod, un chevalier. Ensemble, ils découvrent la force de l’amitié et de l’espoir. » - Le JDE

- « Un roman jeunesse à découvrir ! » - Le Républicain Lorrain

- « Un roman initiatique. Nous écoutons les héros se confier peu à peu, nous assistons à leur amitié naissante et nous surprenons à rêver avec eux  d’un monde pacifié. » - L’ibby lit

A PROPOS DE L'AUTEUR :

Scénariste et dessinateur, né en 1966 en Belgique, Jean-Luc Cornette suit les cours de l'Institut Saint-Luc de Bruxelles, puis publie ses premières planches en 1989 dans Spirou. En 1995, il réalise son premier album « Maxime Maximun ». À la fin des années 90, Jean-Luc Cornette signe plusieurs livres pour les enfants avec Jean-Marc Rochette. « Coyote mauve » est un best-seller sans cesse réimprimé. Depuis 2001, comme scénariste, il publie de nombreux ouvrages aux éditions Delcourt, Glénat, Humanoïdes Associés, Dupuis, Lombard, Carabas, Drugstore, Quadrants et Futuropolis. La série « Les Passe-Murailles » dessinée par Stéphane Oiry est sélectionnée deux fois dans la catégorie du meilleur scénario au festival international de la BD d’Angoulême. En 2013, avec Jerry Frissen, il reprend le scénario de la célèbre série « Jhen ». Il gagne le concours de nouvelles policières de la police de Liège. 

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À Lulu et Jean Cornette,

À Anna-Lou Durieux, Cory Foerster et Vincent Cornette,

Et à Flore Balthazar.

1

TOUT EST NOIR. Les pavés, la rue, les maisons et le canal. Le petit pont et le ciel aussi. La nuit, Rotterdam est enfermée dans un sac de charbon. Cachée par les nuages, la lune diffuse un halo à peine perceptible. L’air glacé me fouette les joues.

Je suis libre.

Plié en deux, les mains sur les genoux, je reprends mon souffle.

Je me remémore ces derniers instants. Je ne sais pas vraiment ce qui m’a pris. J’ai foncé sans réfléchir. Ou alors, j’ai trop réfléchi. J’étais assis sur le lit dans cette grande chambre inconnue. C’est là que je loge le temps de mes concerts à Rotterdam. Je fixais le mur devant moi. La chandelle dessinait un rond de lumière douce sur la tapisserie, révélant un monde fabuleux d’anges et de chimères. Mais mon esprit s’égarait dans une autre direction. Je n’étais pas intéressé par cette dame alanguie, ni par ces chérubins grassouillets, ni par cette licorne longiligne. Je voulais partir, fuir, m’évader. Ailleurs. Cette nature paradisiaque, cette femme nue, ces bébés joufflus et roses comme des petits cochons, et ce cheval blanc portant fièrement une corne sur le front ne pouvaient rien pour moi. Il me fallait une solution plus simple, plus immédiate. Quelque chose de réel. Le paradis est parfois juste une rue plus loin. Deux ou trois enjambées et l’univers change. Il faut oser faire le premier pas.

J’ai tendu l’oreille vers la chambre d’à côté. Pas un bruit. Ma mère dormait. Je me suis levé et habillé. J’ai mis ma veste de feutrine et j’ai tourné plusieurs fois un grand foulard rouge autour de mon cou. On est dans le Nord, et je savais que dehors il faisait plus froid et humide qu’en Allemagne. J’ai tiré mon bonnet sur mes oreilles en y engonçant ma tignasse. J’ai enfilé mes gants de cuir, soufflé la chandelle et me suis approché de la fenêtre. De minces losanges de verre bleu et jaune étaient maintenus par des montants de bois foncé. Même en plein jour, il est difficile de distinguer ce qui se passe derrière ces vitres bicolores. J’ai adossé une chaise au mur et me suis agenouillé dessus. J’ai tiré le loquet et d’une bonne poussée du plat des mains, j’ai ouvert la fenêtre avec la détermination du prisonnier qui s’évade de son bagne. Debout sur la chaise, j’ai escaladé le rebord de la fenêtre et d’un bond, j’étais dans la rue. J’ai couru jusqu’au coin suivant. J’ai retenu ma respiration afin que personne ne puisse m’entendre. Me voilà, appuyé contre un mur de brique. Le froid me raidit la nuque et me transperce les omoplates. Cette sensation devrait m’être désagréable et ce soir, pourtant, c’est l’inverse. Mes vertèbres, qui se gèlent les unes aux autres, envoient au cerveau un message clair : « Je suis libre ! »

2

TOUT A COMMENCÉ il ya quelques jours. Avec ma mère, nous avons pris le bateau à Bonn. C’est la ville où nous vivons, non loin de Cologne. La descente du Rhin fut interminable et glaciale. Dans la péniche, il n’y avait pas de poêle à charbon pour se réchauffer. Depuis quelques jours, les feuilles rouges et or avaient quitté les branches des arbres pour se vautrer sur le sol. Les berges blanchissaient sous le gel. Si tous les boulangers du pays avaient saupoudré le paysage avec toute la farine de leur atelier, le résultat aurait été identique. Le ciel diffusait une lumière mate. Gris clair. Je peinais à tenir mes yeux ouverts. Je fronçais les sourcils à m’en faire mal au front. Un petit nuage sortait de ma bouche chaque fois que je parlais. Notre embarcation glissait sur le fleuve. Je n’entendais même plus le clapotis. Le silence commençait à me faire peur. Parfois, les coups de hache d’un bûcheron sur le tronc d’un vieux hêtre interrompaient mes rêveries. Puis, un clocher sonnait l’heure ou la demie. On s’ennuie vite sur un bateau lorsqu’on n’a rien à faire. Je suis passé de l’avant à l’arrière, j’ai couru en espérant me réchauffer. Je sautais au-dessus des câbles qui serpentaient sur les lattes de bois du plancher.

— Hé, toi ! Avec ton gros bonnet !

— Moi  ?

— Oui, toi ! Tu en vois un autre avec un bonnet plus gros qu’un sac de grain  ?

Le matelot avait une tête de sanglier. Son nez écrasé formait des rides jusque sous ses yeux. Sa bouche était tordue et postillonnait contre le vent. Sa bave s’accrochait aux poils blancs et roux de sa barbe. Plus que tout, c’était son regard noir qui me terrorisait. J’étais paralysé d’effroi.

— Tu veux tomber à l’eau  ?

— Je… Non…

— Bon, alors, va t’asseoir près de ta mère. C’est un bateau, ici. Tu attendras qu’on ait accosté pour faire l’imbécile.

Je courus me blottir contre ma mère. La lenteur de notre progression et la monotonie du décor me firent somnoler. Dans ma tête, les notes se mirent à tournoyer. Je songeais à des pièces de musique pleines d’emphase et de vivacité, à des séquences qui se répétaient en s’adoucissant. Des morceaux chaleureux comme une veillée au coin du feu avec des parents aimants.

Les marins s’activaient et les passagers, immobiles, gelaient sur place. Mes mains protégées par des gants en cuir de vachette étaient enfoncées dans les poches de ma veste en feutrine. Les doigts ainsi protégés, je pianotais sur mes cuisses à travers les différentes couches de tissus et de cuir. J’imaginais le clavier et composais une sonate dont chaque note résonnait dans l’espace gris que fendait la proue de notre péniche. Mes souliers, peu épais, laissaient le gel s’introduire entre mes orteils. Après quelques heures de navigation, le froid me brûlait tant que je crus que j’allais perdre mes pieds. Ma mère, attentionnée, les glissa dans son corsage pour me réchauffer.

Mon père, pris par une obligation professionnelle, n’avait pu nous accompagner. Ces quelques jours loin de mon tortionnaire me réjouissaient.

3

J’ÉTAIS VENU À ROTTERDAM pour donner des concerts. Mes interprétations attiraient du monde et j’en étais très satisfait. Bien entendu, mes mains auraient pu se montrer plus souples, mon toucher, plus précis et mon âme, plus investie. Rien n’est jamais parfait. On peut toujours faire mieux. Mon père veut que je sois le meilleur. Même en son absence, je sens qu’il me surveille, prêt à m’inculquer la perfection à coups de ceinturon.

Ma mère, présente à mes côtés pour tourner les pages des partitions, ne me dit rien. Elle n’ose pas se prononcer lorsqu’il s’agit de musique. Elle a trop peur de donner un avis en parfaite opposition avec celui de mon père. Moi, je ne redoute que son caractère et ses coups, mais il ne me terrorise pas. Je sais qu’en moi-même je suis plus fort que lui. J’ai tout juste onze ans et cela fait déjà plusieurs années que je joue du piano comme jamais il n’en a été capable. Et je progresserai encore alors que lui, sa carrière est finie.

Ce soir, je sais que j’ai été bon. Les applaudissements et les félicitations en étaient la preuve. C’est pour m’écouter que cette assemblée s’était réunie et c’est moi, moi seul qui fus acclamé. Il y avait une trentaine de personnes et pas la moindre plainte. Pas un soupir, pas un bavardage, seulement un ronflement. Il y a toujours un ronflement. Lors de chaque concert, un spectateur un peu gros s’endort et produit avec sa bouche grande ouverte le vacarme d’une tornade. La musique n’est jamais fautive. L’unique responsable, c’est le repas trop copieux et trop arrosé que l’homme a ingurgité avant la représentation. Heureusement, le dormeur est souvent accompagné de sa femme qui, d’un léger coup de coude dans les côtes, coupe court aux bruyantes respirations.

Le grand salon débordait de femmes enrobées de leurs plus belles dentelles, et d’hommes sévèrement engoncés dans des costumes aux coupes parfaites. La bourgeoisie hollandaise a payé le prix pour m’entendre et elle n’a pas été déçue. J’ai joué plus d’une heure et demie. Ils sont venus comme on va à la messe : afin d’accueillir la parole de Dieu, les yeux fermés et le cœur ouvert. Solennellement. Pour cela, je me fais aider. Je n’y arriverais jamais tout seul. De grands hommes sont à mes côtés, ils tirent les ficelles qui agitent mes doigts. Ils me donnent l’impulsion nécessaire. Ce sont eux qui m’ont tout appris et qui m’apprennent encore tous les jours. Il y a d’abord Mozart. Il y a toujours Mozart. Mozart, l’unique. Mozart, le génie. Il y a aussi le grand Haydn et le merveilleux Bach. Trois maîtres et moi, leur apprenti. Je ne suis encore qu’un gamin qui transmet un message. Je ne suis qu’un décrypteur de partitions, un enfant qui joue du piano, pas trop mal, mais le mieux qu’il peut. Rien de plus.

Rassasié d’applaudissements, d’une cuisse de canard et de quelques carottes bouillies, j’avais embrassé ma mère et rejoint ma chambre. De leur tapisserie, la licorne et la femme nue me regardaient avec bienveillance. Les chérubins rigolaient. Il faisait nuit depuis longtemps. Les chandelles fondaient sous leur flamme. Elles peignaient les murs en orange. C’était l’heure de dormir. Ma mère avait fermé la porte derrière elle.

Seul dans ma chambre, je ne savais pas si je parviendrais à m’endormir. J’étais nerveux. Je repensais à ce que mon père m’avait dit lors de nos dernières répétitions. Je travaillais la sonate en la mineur de Mozart, une œuvre qui m’emplit d’un sentiment inexplicable. J’aime me laisser envahir par cette musique toute de passion et d’émotions. Elle est si sombre. Il l’a écrite au moment de la mort de sa mère. Le tempo du second mouvement est aussi gracieux que la musique elle-même : andante cantabile con espressione. C’est lyrique, digne et vif. Mon père n’a pas attendu que je termine le troisième mouvement pour m’assener toute sa hargne et son aigreur. Les dernières mesures se sont perdues sous les hurlements. Il m’a ordonné d’arrêter de massacrer Mozart. Que connaîtil à Mozart, ce père odieux, ce musicien raté, cet ignoble professeur désabusé  ?

Un jour, j’irai voir Monsieur Wolfgang Amadeus Mozart en personne, je m’inclinerai avec respect devant lui, je m’assiérai au piano, je lui jouerai ses œuvres et les miennes. Et il me jugera. Lui, il pourra.

J’ai soufflé les flammes des chandelles. Je n’en ai gardé qu’une allumée. Je l’ai déposée sur la table de nuit. Je me suis couché. J’ai gardé les yeux ouverts. La licorne pointait gracieusement sa défense dans la nuit hollandaise. J’ai pris conscience qu’elle me comprenait. Je lui ai fait un clin d’œil et j’ai attrapé mes vêtements. Sans faire de bruit, lentement, je me suis habillé.

4

QUE FAIRE MAINTENANT  ? Je n’y ai pas encore pensé. Me promener. Rotterdam est une très jolie ville. Je m’aventure hors de l’impasse. Personne. Le silence est tellement puissant, plus absolu encore que sur le bateau, qu’il me fait mal aux oreilles. À moins que ce soit le froid qui me pique. Je relève les bords de mon foulard et baisse ceux de mon bonnet. Mes yeux et mon nez sont seuls à sortir de cet amas de soieries et de lainages. Je m’engage dans la rue, la traverse et gagne le trottoir d’en face. Je suis le canal. Cela me fait un but. Une direction. La nuit, l’eau des canaux ressemble à de l’encre. J’imagine les écluses qui entourent la ville, le jeu de vases