MohamedMoulessehoul
LEPRIVILÈGEDUPHÉNIX
roman
CHIHABÉDITIONS
Collectiondirigéepar RachidMOKHTARI
DUMÊMEAUTEUR
Houria (Enal, 1984)
Amen ! (Enal, 1984)
LaFilledupont (Enal, 1985)
ElKahira, LaCelluledelamort(Enal, 1986)
Del’autrecôtédelaville (l’Harmattan, 1988)
MohammedMoulessehoulapublié, soussonpseudonyme — YasminaKhadra — Ledingueaubistouri (Alger, 1990 ; Flammarion, 1999) ; LaFoire (Alger, 1993) ; Morituri (1997) ; DoubleBlanc (1997) ; L’Automnedeschimères (1998) auxÉditionsBaleine ; etLesAgneauxduSeigneur (1998) ; Àquoirêventlesloups (1999) ; L’Écrivain (2001) ; L’Imposturedesmots (2002) ; LesHirondellesdeKaboul (2002) auxÉditionsJulliard.
© ChihabÉditions, 2002
ISBN : 978-9961-63-489-9
Dépôtlégal : 1503/2002
Présentation
Errantàtraverslepays, auxpremièresannéesdelaconquêtecoloniale, Flen, « Untel » cepersonnagesansnom, sanstoit, sansfamille, sansrepèrea, pourtant, toutel’immensitédel’Algériesursespas. Aprèsavoirperdusafidèleamie, Sainte-Heureuse, unemulequicomprenaitsasolitude, iltraversedesvillagesnus, àpeinesil’onysoupçonneuneombredevie. Lesterressontlivréesàl’appétitvoracedelacolonisation. Unjour, ilfaitlarencontred’unnain, Llazpersonnaged’incomplétudescommelui. Flenlerejetteviolemment, maislenains’accrochemalgrétouteslesmisèresqueluifaitsubirceluiqu’ilappelleavecdérision « l’anonyme ». Ilsuitsoncompagnond’infortuneàlatrace. EntreFlendéfaitdesonidentitéetlenaindifformenaîtunecomplicitéaguerrieàleurconditiondesous-être. Ilsnecessentdemarcher, marcher, leurseuleidentitéitinérante.
Derrièrel’aspectbourruetviolent, voireantipathiquedecesdeux « compères » d’infortunesquinecessentdesehaïr, desedonnerlechangeenproposexécrables, sedevine, sesentuneinfinietendresse, uneréserved’humanismeàtouteépreuve. Flenabeaujouerdespoings, crachersonfielverbalsurlafacedumondeetsurlesêtresqu’ilrencontresursonchemin, cemisanthrope — ainsiaime-t-ilsedéfinir — nepeut, malgrécettecarapacedehaine, d’indifférenceetdemépris, cacherunmalprofondquilerongeetfaitdeluiungrossierpersonnagefaçonnéauxbrutalités. Llazquiresurgitchaquefoisaudétourd’unsentierenfaitsaraisondevivre. Ilobservedesesyeuxdegrenouillecetêtrequirepoussel’amitié, réprimetouteémotion. Ce « demi-coït » — ainsil’asurnomméFlen — ytrouvesapassion. Samission : percerlemystèredeFlenpourennoblirenquelquesortesoninfirmité. Cetêtredifformeveutprouverquesoncœurn’estpourriendanssadifformité. Ilbatetestcapabledesentir, d’aimer, depleurer, devivretoutsimplement, toutbonnement.
L’histoiredeceromanestfortement, profondémentancréedanslemystèredelagénéalogie, desenseignementssurlesensdel’humain, del’amitié, del’honneur, delavérité ; uneleçonmagistraled’humilité, d’autantquecesvaleursuniversellesquisont, enfait, lesvéritableshérosdeceromandetouchepédagogique, sedéploientdanslecontextecolonial.
L’amitié, pourLlaz, n’estpasunvainmot. IlsefaitarrêterpourêtrefidèleàFlen, lesauverdesonanonymat. Etilréussit. Ilorganisesadésertionaprèsunenuitaucoursdelaquelle « Untel » retrouve, commed’instinct, sonidentité. IlenlaceLlaz. Aucoursdeleurfuite, Flentueungardienetluiprendsonarme. Llazestgrièvementblessé. Flennes’enestaperçuqu’aupetitmatin. Troptard. MaisLlaznelâchepasprise. IlpousseFlenàreconquérirson « moi » etlalégitimitéd’unnomperdu :
« Cepaysnet’appartiendrajamais, luidit, Llaz, carlesnotairesexigentlalégitimitédel’héritier, et « Flen » cetteappellationvéreusequetuarboresgauchementcommeunbât, n’ariend’unepièceàconviction. T’enrends-tucompte ? Hélas, j’endoute… Mêmesitumarchaismilleans, tun’iraisjamaisbienloin. Tuauraisl’impressiondetournerdetournerenrondcommeunchienquiessaiedemordresaqueue […] Etsurtatombe, hontedetonpeuple, unepancarteviergepourrira… unepancarteaussidénuéedesensqu’un « flen » estdépourvud’importance » Quellebelleleçond’histoire ! Llazrenaîtàlavie, àsonidéalatteintdanslamortmême. Pourlapremièrefois, Flendit : « Jem’appelle…, jesuisfilsde… »
GrâceàLlaz, laconsciencedeFlen, quis’éteintauhautdelamontagnedanslerêvederevoirlamer, Flenredevienthumainetretrouvesadignité. Ilva, renaissantdescendresdesonanonymat, affronterleCaïdetsauverl’honneurdeSamèrereine, celuidel’Algérie. Dansceromanallégorique, destructuredialogique, sedécèlel’humourdeYasminaKhadraquicontraste, toujours, auxsituationsextrêmesqueviventsespersonnages. « Jeleslaisseparleretparfoisilsmeprécèdentdansmesproprespensées. Jenesaissijesuiscapabledelessatisfaire ».
LE PRIVILÈGE DU PHÉNIX
ÀAmal, mafemme
1
Leventsoufflaitsurlaterrerocailleuse, soulevantdemugissantsnuagesdepoussière. Onn’yvoyaitpasplusloinqueleboutdesyeux. Desmorceauxdebuissonsdesséchésroulaientlelongdescheminsescarpés, butaientcontrelesrochers ; quelquefois, ilss’envolaienttrèshautdansleciel. Despierresdégringolaientsurletalusavantdeseperdredanslarumeurdessalveseffrénées. Detempsàautre, leventsemblaitsecalmer, ensuite, sanscriergare, destornadessurgissaientpar-delàlesrochers, etledélugeocrereprenait. Unchiententadehurlerdanslatempête ; ilselimitaàcourirseréfugierdansunegrotte, lespoilshérissésetlesyeuxrouges.
Lestorrentsdepoussièremolestaientsauvagementlehautdelacolline, arrachantlesraresformesdevégétationquelesoleildesregsavaitdepuislongtempsincendiées. Ilscognaientsurlesmamelons, bataillaientaumilieudessentiers, s’écartelaientsurlesgrandsrochersets’engouffraienttumultueusementdanslescorridorsdesvallées. Partoutlesrideauxdesabledressaientleurféroceopacité, cachantcielethorizon. Unpréludeapocalyptiqueinfligeaitaudésertunairsinistre. Ilsemblerait, encettepartiedumonde, quelafindel’universgermaitdéjà. Pasuncorbeau, pasunseulchacaln’osaits’aventurerau-dehors.
Loin, trèsloin, parintermittence, deuxtémérairessilhouettesavançaientdanslatempête… Unhommeetunebourrique.
L’hommeétaitenveloppédansunlourdmanteaunoirdéchiqueté. Ilétaitpiedsnus. Sonvisageétaitcamouflésousuneécharpecrasseuse. Sesyeux plissés — deuxpetitesfentesàpeineperceptibles — scrutaientopiniâtrementlesalentours. Ilmarchait, rageusement, lecorpsinclinépourmieuxaffronterlesrafales.
Labourriqueétaitefflanquée. Elleparaissaitexténuée, pourtant, elleavançait. Lesflancscriblésdegrainsdesableetdefragmentsdecailloux. Pourtoutbât, elleportaituncurieuxballuchonsévèrementficelé.
L’hommes’arrêtaausommetd’unravin. Ilcrutdiscernerquelquechosedanslelointainetrétrécitdavantagesespaupières. Latempêtel’empêchaitdedétermineravecexactitudel’objetdesonattention. Ilrestalongtempsàsonderlesopacités. Soudain, unéclairzébralefonddesesprunelles.
Ilseretournaverssabêteetluicriapresque :
— Courage, Sainte-Heureuse… Ilyaundouarjustederrièrecettecarrurerocheuse.
Ilsautasurunsentierdechèvre, lesmainssurlevisagepourseprotégerlesyeux.
— Viens, Sainte-Heureuse, noussommepresquearrivés.
Labourriquehésita, avançaprécautionneusementunepatte, reculaetconsidéralesentieravecunepointedelassitude.
Labourriquenel’écoutapas. Ellerebroussachemin, setraînajusquesousuneespècededolmenetselaissachoirdansunangleoùl’impétuositéduventétaitmoindre.
L’hommemontraunedirectiond’undoigtnoirâtre :
— Puisquejetedisqu’ilyaundouarnonloind’ici… Onytrouveradel’eauetdelanourriture. Peut-êtremêmeuneencoignured’écuriepournousreposer. Jesais, tuestropfatiguée, maisonestarrivé. Ondormiraautantquetuvoudras, jetelepromets… Allons, Sainte-Heureuse, nefaispasdechichipourl’amourduCiel. Onnevapasmourirdesoifjusteaumomentoùl’onvientd’atteindrelarivière.
Labourriquesepelotonnadanssoncoinetl’ignora.
L’hommesefrappalesmainscontresesgenouxetallalarejoindre. Illafixaavecunemouecourroucée, dodelinadelatêteetfinitparselaisserchoiràcôtéd’elle.
— Jecomprendsfinalementpourquoionvoustraitedebourriques.
Labêtedormaitdéjà.
Unpeuplustard, latempêtesecalma. Leventsecontentadesifflerdanslescorridorsdesvallées. Ilchangeasubitementdedirectionetfilaverslesud. Lesrideauxdepoussièresedéchirèrentavantdes’effriter. Seulsquelquessursautsdetornadecontinuèrentvainementd’inquiéterlereg. Larumeurdesrafaless’égosillapar-cipar-là, segargarisaaufonddesgrottesetdescrevassespuisellemourutbrutalementcommelecrid’unechimèrefoudroyéeparlesdieux.
Lecielsemontra, immaculé. Unénormesoleilbrûlait. Lavierepritsoncours : uncoupledecorbeauxtournoyapar-dessuslacollineenpoussantdescroassementsdissonants. Lechiengalopaitsansseretourner, quatreredoutableschacalsàsestrousses ; ilslerattrapèrentbienviteetlebousculèrentdansunravin. Unefamilledelézardsémergeaonnesaitd’où, s’activantaumilieudela pierraille. Unépaisscorpion, ledardenavant, sehasardadansuntroupendantqu’unevipèreàcorneshypnotisaitsavammentunesourisgrassouillette.
L’hommeseredressa. Unelourdecouchedepoussièreluicascadalelongducorps. Ils’époussetabruyamment, donnaunpetitcoupdepieddanslacroupedelatêteetrepritlesentierdechèvre.
Labourriquelesuivitàcontrecœur. D’unpasindolent.
Levillage, auloin, ressemblaitàunfatrasdebizarreries. Solitaire, dansl’immensitédudésert, il évoquaitlesvestigesdequelqueantiquecitésoudainressuscitée, arborantplusd’insolencequed’enchantement. Troisdromadairessurgisdunéantsepoussaientdédaigneusementsurunchemin. Unânesemitàbrairedanslachaleurinclémente, réveillantunekyrielledefrissonschezSainte-Heureuse, quiagitaseslonguesoreilleslépreuses.
L’hommes’arrêtapourmieuxobserverlevillage. Sonregardblaséseheurtaàunamasdetaudisqueparcheminaitunetoiledevenellestortueuses. Illocalisaleminaretd’unemosquéecroulante ; uneplaceoùgrouillaitdéjàuneribambelledegosses ; vituntroupeaudechèvresbrouterlesolingrat, unbergermalingrejouantavecsongourdin ; ensuite, àl’ombred’unemurailleébréchéeunetroupedevieillardsentraindesemorfondreensilence.
— Tuparlesd’unpaysdecocagne ! grommelal’hommeenrajustantsonécharpeautourdelatête.
Labourriquetraversaleseuildudouard’unpasimpassible. Pourelle, touteslescitésseressemblent. Partoutoùelles’aventure, enenfercommeauparadis, elledemeuretoujourslamêmetristeetmalodorantebêtedesomme. LesproblèmesdesHumainsnelaconcernentpas. Ellenecouveniespoir, niambition. Ellenevitpas ; ellenefaitqu’exister.
Ellegrimpasuruntertre, n’octroyantaurestedumondequ’uneprofondeindifférence.
Unchienrouxsurgitàcôtéd’elle, lecoutendudansunchapeletd’invectives. Ellelelaissaaboyer, l’enjambaetpoursuivitsoninstinct, nullementimpressionnée.
Unefemmeapparutsurleperrond’untaudis. Ellevitl’hommeets’éclipsad’uncoup. L’hommericana, considéraunmomentlaportederrièrelaquelles’étaitretiréelapudiquecréatureavantd’emboîterlepasàsatête.
Ilpassadevantlatroupedevieillardssanslasaluer. Unedizainedepairesd’yeuxledétaillaavecmépris. Quelquesmurmureschevrotantscommentèrentsonmanquedecivismeetundiscretgosierl’envoyaaudiable.
Ilyavaituneespècedecafé, justeaumilieude laplace ; unebâtisseoùsemêlaientl’audaceetl’inadvertance. Lesmursétaientgondolésd’uncôté, concavesdel’autre, avecuntoitprécaireetuneporteaussigrotesquequ’uneboucheédentée. Troishommesnoirseteffiléssirotaientleurthéàl’ombred’unmuletteigneux. Ilslevèrentunœilbienveillantsurl’inconnu ; œilquisedétournarapidementsouslagrimacepeuconformeàlabienséancedel’étranger.
L’hommeentradanslecafé, sabourriquederrièrelui.
L’intérieurrappelaitunrepairedebrigands. Toutyinspiraitlanoirceur, sinonl’effroi. Unefamilledetablesencorejamaisimaginéesvoisinaitavecunetribudechaisesbizarroïdes — unmélangedebancsetdetabourets — quiferaitindiscutablementlebonheurd’unantiquaireenfaillite. Deshommesbavardaienttranquillement. Ilsseturentpourregarderl’étranger. Cedernierlesignorait. Sursonvisageaustère, uneimmenseaversionsuintait.
Aufondducafé, commejaillissantd’unecervelledéfectueuse, trônaituncomptoirinvraisemblable. Derrière, unfezrougesurlatête, lecafetieroffraitlefacièsblafardd’unsous-alimenté.
Unetablelibresommeillaitdansuneencoignure.
L’étrangerl’occupaetinvitasabourriqueàsejoindreàlui.
Leshommesenrestèrentbouchebée.
Sousleregardsignificatifd’uncolossalindividu, lecafetiersehâtad’intervenir :
— Étranger… onn’admetpasd’ânedanscecafé,
L’inconnulefoudroyad’unœildevautour.
— Cen’estpasunâne… c’estunebourrique.
Lecafetierdéglutit. L’autreluiinspiraitunesortedeterreur. Ilavalaconvulsivementunelarmedesaliveetinsista :
— C’estquandmêmeunâne. Etici, onneveutpasd’âne.
— Ahoui ? maugréal’inconnuenregardantostensiblementautourdelui. Pourtantilyauntasd’ânesici… Ilyenamêmeunquimetientunlangagepeufavorableàsasanté.
Lecafetierdiscernauneflammemeurtrièredansleregarddel’inconnu. Ilrentralatêteentrelesépaulesetastiquafurieusementsoncomptoirenmarmonnantsonmécontentement.
Lesautresseremirentàsiroterleurthéafindefuirl’insupportableregarddel’étranger.
Lecolossalindividusegrattalabarbe, nesachantpluss’ildevaitcherchernoiseoulaissertomber. Commeildevaitêtreréputédangereuxauxalentours, laconsciencedesacélébritél’emportasursasagesse.
Ilbarrit :
— Çaveutdirequoi, toninsinuation, inconnu ? Qu’est-cequeçaveutdire : « Pourtantilyauntasd’ânesici » ?
Unrictussardoniquesurleslèvres, l’étrangermontrasabêtedupouce.
Ildit :
— C’estunebourriquecertes, maislesânesnel’intéressentpas. Elleleurpréfèreleschevaux.
Unnaintoutdifforme, avecunegrossetêteaufrontproéminent, fitentendreunrirecorrosifdefarfadet. Rirequifreinanet, sousl’œilvoraceducafetier.
Lecolossalindividuneparutpasavoircompris. Cependant, leriredunainflattasonflairdebagarreur. Ilrepoussasachaisepoursemettreàl’aiseetlança :
— Jen’aimepaslesdevinettes. C’estvrai, jesuisunpeudurdelacervelle, maisc’estàcausedelafermetédemesbiceps. Unjour, j’aiassomméundromadaired’unseulcoupdepoing.
L’étrangers’adressaaucafetier :
— Unthépourmoietunetassed’eaupourSainte-Heureuse.
Lecafetiernesaisitpas.
L’étrangerluiexpliqua :
— Sainte-Heureuse, c’estcettedame.
— Jeneserspaslesbourriques. Jenesuispastombésibas, moi.
— Unthéetunetassed’eau… etqueçasaute !
Ceton ! Ilyavaitdequoiintimiderlesbourrasques.
Lecafetierobtempéraenbonsoldat. Illesservit, attardaunregardhaineuxsurlabêteetfilas’abriterderrièresoncomptoir.
L’étrangerpritleverreentredeuxdoigtsfaussementdélicats, miralebreuvage, ricanaetavalaunegorgéeenclappantdeslèvres.
Ilditaucafetier :
— Es-tubiensûrd’avoirsurveillélathéière ?
Lecafetiernedaignapasrépondre.
L’autreajouta :
— Onracontequelescanassonsaimentfaireleurpetitbesoindanslesthéières.
Lesautresn’enrevenaientpas. Plusilsobservaientl’étranger, plusilsluitrouvaientunaircomplètementdément. Rapidement, ilsaffichèrentunemouehostileàsonregardets’apprêtèrentàlemépriser.
Lecolossalindividuneselimitapasàimitersesvoisins. Iljugeaitnécessaire, voired’uneimportancecapitale, decorrigerl’insolent.
— Tut’appellescomment, étranger ?
— Flen, jetadistraitementl’inconnu.
Lecolossefronçadessourcilsahuris. Uncompagnontapotasatemped’undoigt.
— Laisse-leAntar, tuvoisbienquec’estunsonné.
— CommentçaFlen ? C’estunnom, cettecuriosité ?
Commel’autrenerépondaitpas, Antarcontinua :
— Cheznous, onappelleFlenquelqu’unquin’existepasvéritablementoubienpourparlerd’unepersonneindéterminée. OnditFlenpourdire « Untel ».
L’étrangersirotasonthé, aussisourdqu’hermétique.
Antars’aperçutqu’ilparlaitdanslevide. Celal’exaspéra. Ilsetrémoussasursachaiseettonna :
— Benquoi, étranger, es-tudevenumuet ?
L’étrangersepenchasurl’oreilledesabête, luichuchotaquelquechoseenmontrantAntard’unpoucemoqueur, parutmarchanderensuite, relevantlatête, ilébauchaunegrimacenavréeetdit :
— Jesuisdésolé. Sainte-Heureuserejettetesavances.
— Maisquoi ? Non, maisqu’est-cequec’estquececharabia, lesgars ? s’écriaAntar, enprenantlesautresàtémoins. J’aidéjàvudessonnés, maisdecetacabitjamais. Vouscomprenezquelquechoseàsoncirque, vous ?
— Laissetomber, cen’estqu’unsimpled’esprit.
Puiscefutlesilence.
Toutlemondereplongeadanssonverredethéetsetut. Onsecontentadeleverunœilfuyantsurl’inconnuetonlelaissatranquille.
Seullenaincontinuaitdelecontempler, lesprunellespétillantesd’extase.
Certainsquittèrentlecafé ; ilsrevinrentavecunetribudecurieux. Lecafédisparuttoutàcoupdansunefouledegensvenuevoirl’étrangeétranger. Onsebousculaitsilencieusementdevantlecomptoir ; onfeignaitdebavarderavecleshommesattablés. Quelques-unsallèrentjusqu’àfairesemblantd’étudierleschaises. Toutcemondeobservaitencatiminilacréatureassisedanslecoin, unebourriquedeboutàcôtéd’elle. Mêmequelquescentenairess’étaientdérangés. Onlesvoyaitquiluttaientpoursefrayerunpassagedanslacohue.
Dehors, ceuxquiétaientarrivésenretardsemurmuraientdeshistoiresabracadabrantesenécarquillantdesyeuxépouvantés…
« Ilparaîtqu’ilyaunfoudanslecafé… unfoudangereux… çadoitêtreuntueur… un tueur ? Desyeuxmonstrueux… Quoi, Unmonstre ?… Unmonstrecheznous… ». çaetlà, lalangueneseretenaitplus. Ilsepassaittellementpeudechosesaudouar. Lepeupleavaitbesoind’émotion. Pluslarumeursepropageait, pluselleprenaitd’autreampleur, d’autregravité.
— Incroyable ?
— C’estlavérité…
— Tiens, voilàJaâferquisortducafé… Raconte-nousvoir.
Jaâfer, toutessouffléretrouvaunesortedefiertédevantlafoulequis’amoncelaitautourdelui.
— Jen’aipaspuentrer.
— Tunel’aspasvu, alors.