Le rebelle - Sabine du Faÿ - E-Book

Le rebelle E-Book

Sabine du Faÿ

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Beschreibung

Pour survivre, Harrison n’aura d’autre choix que de livrer un dur combat.

Différent des autres enfants, le jeune Harrison dérange. Menacé dans le monde où il vit, une suite d’épreuves difficiles l’attendent. Son père, membre du parlement terrestre, n’attend qu’une chose : ne plus être responsable de ce fils qui met en péril sa carrière.
Pourra-t-il encore compter sur son fidèle ami et robot, Schram, dont l’existence ne tient que par un fil ? Même l’amour naissant qu’il ressent pour Pat paraît sans avenir. Pour survivre, Harrison n’aura d’autre choix que de livrer un dur combat.

Plongez le deuxième tome d'une saga de science-fiction jeunesse, et retrouvez Harrison confronté à une suite d'épreuves difficiles dans un monde qui lui est hostile.

EXTRAIT

« Hum, murmura le robot, décontenancé, tu l’aimes, voyons, comme tu aimes ta bouillie préférée, celle à la carotte et à la tomate ? »
Pat soupira.
« Plus que la bouillie à la carotte et à la tomate. »
Lucie se tortilla, ne sachant pas quoi penser.
« Hi, hi, tu l’aimes alors comme tu m’aimes moi, ton robot de compagnie.
— Heu, bafouilla Pat, embarrassée, encore plus ! »
Le robot fut rempli d’épouvante :
« Tu ne l’aimes quand même pas plus que l’Ordinateur Central ? »
Pat devint rouge écarlate.
Lucie leva les bras au ciel :
« C’est un crime de lèse-majesté ! Si cela vient aux oreilles de l’Ordinateur Central, je ne donne pas cher de tes os et moi de mes boulons. Mais qu’est-ce qu’il aaa donc ce Harrison ? Il est comme tous les autres garçons ! Pfff, même modèle ! Même fabrication ! »
Pat fit la moue. Justement non, il n’était pas comme tous les autres garçons. Entre son cœur et celui de Harrison, il y avait un fil ténu. Couleur or. Et ce fil n’existait pas avec les autres garçons.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Lassée de lire le futur de ses amies dans sa boule de cristal, Sabine du Faÿ, qui a hérité de son arrière-grand-mère le don de voyance, décide un jour de prédire quelque chose de plus ambitieux. Un soir de pluie, elle interroge sa boule de cristal sur l’avenir de la Terre. Ce qu’elle découvre est si terrible qu’elle décide d’en faire le récit, au risque de bouleverser ses lecteurs…

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Couverture

Titre

Copyright

Sabine du Faÿ
Après avoir travaillé dans une entreprise de distribution de livres anglo-américains, puis dans un musée, Sabine du Faÿ est aujourd’hui fonctionnaire au ministère de l’Intérieur. Mais ça, c’est pendant le jour ! La nuit, elle écrit des histoires et des contes, en regardant de temps en temps les étoiles.
DU MÊME AUTEUR
Aux Éditions du Jasmin
Le défi (Schram et Harrison I), 2010
Chez d’autres éditeurs
L’Enfant, le renne et le loup, Le Seuil
Le Petit Bossu, Le Sorbier
Maman, le temps s’est arrêté !, Lito
Illustration de couverture : Silvimoro
Tous droits de reproduction, de traduction
et d’adaptation réservés pour tous pays.

Exergue

À Michèle Guyader pour son soutien sans faille. Avec toute ma gratitude.
Et mon affection.
S. du F.
À ceux qui m’ont soutenue dans cette fabuleuse aventure:
Saäd Bouri, Fabienne Colas, Marianne Stjepanovic-Pauly,
Sylvie Moreau, Sophie Ruhaud, Pierre Courbin, Vanessa Viller, Claudine Guérin, Laurence Roulet et son site Cadoterra,
Lucia Prigione, Kathryn Pierre, Barbara Liotta, Robert du Faÿ, Pierre Chanty, Erwan et Éloïse Le Goff, Philippe Roux,
Carole Chenevier, Jean-Émile, Antoine et Marie Néaumet, Armelle Delagneau, Sindy Raspail, Thierry Joubert,

Ce qui s’est passé

La planète Terre… dans deux cents ou trois cents ans.
Harrison, onze ans, est un enfant timide. Il a à peine connu sa mère, qui a disparu dans des circonstances tragiques. Il est élevé par un père dur, membre du Parlement terrestre. Ce Parlement est placé sous l’emprise de La Voix – La Voix de l’Ordinateur Central, despote technologique et tentaculaire, omnipotent et omniscient.
Contrairement à ses semblables, Harrison semble ne pas avoir été atteint par les effets de l’Engourdisseur, liquide dans lequel sont plongés les enfants à leur naissance et dont le but est de réduire à néant leur créativité et leur curiosité d’esprit. C’est ainsi qu’ils deviennent malléables, prêts à obéir sans broncher aux diktats de La Voix. Harrison, quant à lui, a développé des caractéristiques indésirables, telles que la rêverie. Il a soif de savoir. Il pose trop de questions, ce qui le met en danger.
Son meilleur ami et fidèle serviteur, Schram, robot d’un autre âge, menacé de destruction à cause de sa vétusté, tente de le protéger par tous les moyens. Hélas ! pour avoir enfreint les Règles édictées par La Voix, ils sont condamnés à finir entre les mâchoires d’un broyeur dans une arène, au milieu d’une foule disciplinée et avide de spectacle…

1Les damnés de la Terre

Harrison demeurait là, songeur, assis en tailleur au bord d’un cratère absolument gigantesque. Il se pencha, ouvrit les yeux démesurément, fronça le nez.
Rien à faire ! Il n’arrivait pas à en discerner le fond. Il soupira. Il savait que la profondeur de certains cratères pouvait atteindre plusieurs kilomètres.
Au loin, des montagnes géantes projetaient l’ombre de leurs crêtes sur le sol.
Il leva la tête.
Le ciel avait la couleur de l’encre.
« Ffff ! La météorite qui est tombée ici était énorme », murmura-t-il, dans un mélange de crainte et d’admiration devant l’immense, l’inconnu, l’incompréhensible. Ce caillou, il venait d’où ?
Le corps emprisonné dans une épaisse combinaison flexible, formée d’une succession de minces boudins, une bouteille d’oxygène accrochée dans le dos, Harrison contemplait l’infini. Que faisait-il là, au milieu de nulle part ?
Il dessina sur le sol, de son doigt ganté, hésitant, une esquisse de visage. La coupe de cheveux, le nez fin, les yeux. Il manquait la couleur émeraude et l’étincelle scintillante au milieu de la pupille… Il prit un air malheureux et d’un geste de la main effaça tout.
Son cœur se serra. Quand reverrait-il Pat ? La reverrait-il seulement un jour ?
Un crachotement emplit son casque, suivi d’un grésillement, puis une voix où surfait l’angoisse se fit entendre.
« Zzz… Crrr… Monsieur Harrison, voyons, Crrr… où êtes-vous ? Je vous cherche partout ! »
Harrison esquissa une grimace. Son compagnon était d’une anxiété démesurée ! Que pouvait-il donc lui arriver, à lui, Harrison ? Ici, il n’y avait pas âme qui vive. Pas le moindre signe de vie. Ce n’était qu’un désert de poussière, un paysage de montagnes et de cratères. Rien ne pouvait se développer au milieu d’un environnement si aride. Aussi nu. Hostile. L’homme ici n’était pas le bienvenu.
« Je suis au bord du cratère Copernicus », dit enfin l’enfant, qui s’en voulut d’avoir coupé si longtemps le contact radio et d’avoir donné du souci inutile à celui qui le servait fidèlement depuis sa naissance. Depuis plus de onze ans maintenant.
Quelques minutes plus tard, il captait l’essoufflement rauque de Schram.
Harrison se retourna, légèrement honteux.
Le robot paraissait misérable. Sa tôle était recouverte d’une couche de poussière grise. Il semblait avoir énormément peiné à rouler dans un sens ou dans un autre, à affronter des montées ou à dévaler des dizaines de pentes, évitant les pierres et les rochers. Ses roues avaient visiblement souffert : en certains endroits le caoutchouc était lézardé et même déchiqueté.
« Monsieur Harrison, vous ne pouvez pas couper le contact radio comme ça ! Je suis responsable de vous ! dit le robot, en remuant les bras de lassitude, de soulagement aussi d’avoir retrouvé l’enfant.
— Hum, dit Harrison, non sans tristesse, je ne peux pas aller loin, et ça, tu le sais bien. »
La réserve en oxygène représentait sa limite. Elle marquait la clôture invisible. S’éloigner était impossible, à moins de vouloir affronter la mort. Et Harrison voulait vivre. Il ne voulait pas finir poussière au milieu de toute cette poussière.
Schram baissa les yeux, du revers de la main épousseta sa tôle métallique, ajusta sa cravate vert pomme. De la Terre, il n’avait pu emporter que sa collection de cravates ! Il en avait de toutes les couleurs : des jaunes, des violettes, des roses, à pois ou à rayures. Cela lui donnait l’illusion d’avoir emporté avec lui un tout petit quelque chose de la planète bleue.
« Peut-être, peut-être, marmonna Schram, mais même si vous ne pouvez pas aller très loin, cet univers reste pour vous inconnu. Et l’inconnu peut fort bien se révéler hostile. »
Le robot se mordit la langue métallique : il s’en voulait déjà d’avoir été trop abrupt dans ses reproches. Leur situation était assez difficile comme ça ! Et Schram, en son for intérieur, trouvait même que Harrison ne manquait pas de courage pour parcourir cet univers de désolation sans trébucher dans le désespoir.
Il poussa un profond soupir, alla s’asseoir à côté de Harrison, et plaça ses roues dans le vide. Ses deux grands yeux plantés sur son visage rectangulaire fixèrent l’espace sombre.
« Avec ma tôle toute froissée, j’ai l’air d’un clochard de l’espace », se dit-il, un peu dépité.
« Schram, combien de temps me reste-t-il à passer ici ? » demanda Harrison, la gorge sèche.
Le robot se tortilla, gêné, puis prenant un air professoral exagéré :
« Tout dépend, monsieur Harrison, tout dépend… si vous parlez en temps terrestre ou en temps lunaire. »
Il regarda ses doigts, les actionna. Cela l’aidait ; sans ses doigts, il n’était jamais complètement sûr de ses calculs. Le calcul, c’était devenu son point faible. Schram savait qu’il était un robot vieillissant. Il existait depuis si longtemps… et sa tôle lui pesait, parfois.
« Voyons… la Terre tourne sur elle-même en vingt-quatre heures. Un jour est égal à vingt-quatre heures. Dans une année, il y a euh… trois cent soixante-cinq jours. Vous avez déjà effectué cent vingt-deux jours de votre peine, monsieur Harrison, il vous reste donc… deux cent quarante-trois jours à effectuer ! Par contre, si on se place du point de vue de la Lune, eh bien, comme elle tourne sur elle-même en vingt-sept jours/temps terrestre, vous avez euh… vous avez euh… vous n’avez plus que… dix jours lunaires. »
Harrison pâlit, et préféra garder à l’esprit le temps lunaire. C’était moins déprimant.
Schram se gratta la tête, cherchant par quel moyen il pourrait gommer la morosité du garçon.
Il réfléchit quelques secondes, puis s’écria triomphalement :
« J’ai une superbe nouvelle à vous annoncer, monsieur Harrison ! Si nous prenons en compte le temps de la planète Vénus, eh bien, comme elle tourne sur elle-même en deux cent quarante-trois jours/temps terrestre, il ne vous reste en fait qu’un jour ! Dans un jour vénusien, vous êtes libre, monsieur Harrison ! Vous ne trouvez pas ça formidable ? »
Il stoppa net son enthousiasme quand il vit que le visage de l’enfant n’exprimait rien.
Celui-ci était perdu dans ses pensées.
Et toutes ses pensées dans un flux ininterrompu couraient vers Pat.
Mais Pat, que captait-elle en réalité ?

2L’arène

Harrison était très fier. Il se redressa comme un coq et respira profondément, élargissant le plus possible sa poitrine enfantine. Il était un surhomme. Il était un héros. Qui pouvait lui résister à présent ?
« Oui, répéta Schram, les yeux brillants, votre cerveau fonctionne merveilleusement bien. Vous avez été époustouflant, oui, vraiment ! »
Pour Harrison, c’était le plus beau des compliments. Surtout venant d’un robot, dont on pouvait penser que les connexions neuronales étaient increvables. En principe, un robot, ça ne ressentait pas le plus petit chouïa de fatigue cérébrale. Un robot, ça fonctionnait, un point c’est tout ! Et si quelque chose clochait, eh bien, les ingénieurs se hâtaient de remplacer le circuit flapi ou la puce électronique défectueuse. Et tout repartait comme avant !
Alors qu’un cerveau, un cerveau humain, c’était si fragile… C’était d’une telle complexité que les savants n’avaient pas encore réussi à démêler son mystère. C’était comme une bobine dont les fils s’enchevêtraient de manière inextricable.
Le second broyeur était là, devant eux, amas de tôles tordues, calcinées et fumantes. Les pales meurtrières gisaient à terre, désormais inoffensives.
Par la seule force de sa pensée, Harrison avait réussi à mettre à genoux l’instrument de supplice.
« Hi ! hi ! se gaussa Schram, cette machine hautement sophistiquée est devenue un caramel mou. »
La foule s’agitait sur les gradins. C’était comme une houle. Les mouchards frottaient leurs dents de métal les unes contre les autres – de dépit. Ça crissait de partout. L’air était électrique, alourdi de frustration.
Le soleil tapait encore plus dur. Il rayonnait au zénith. Le ciel turquoise était lisse. Harrison sentait la morsure des rayons sur ses joues. Schram rougeoyait de chaleur. Ses circuits se dilataient et le robot n’aspirait qu’à une chose : s’immerger dans un bain de glaçons.
Sur le sol, une araignée haute sur pattes se mit à courir, soulevant un minuscule nuage de poussière.
« Filoche ! » s’écria Harrison, admiratif.
Filoche, l’araignée apprivoisée de son ami, Robert Wood.
C’est grâce à Filoche, la magnifique épeire diadème, et à son art du tissage, que le premier broyeur avait été mis hors service. Elle avait en effet bloqué les pales à l’aide de son fil de soie.
Bientôt l’araignée ne fut plus qu’un tout petit point noir, qui finit par disparaître.
C’est alors que tout au bout de l’arène apparut, comme naissant d’une brume de chaleur, une cohorte de géants de deux mètres cinquante. Des robots massifs, gris anthracite. Les Robots Exécuteurs des Basses Besognes. Des brutes sans état d’âme qui absorbaient les ordres pour les exécuter dans le demi-quart de seconde.
La fierté déserta Harrison, qui lança dans un chuchotement de désespoir :
« Schram, qu’allons-nous devenir ?
— Monsieur Harrison, voyons, s’exclama le robot, à présent tout à fait confiant et requinqué, vous savez utiliser la force de votre pensée ! Allez-y ! Stoppez ces machines ridicules, comme vous l’avez fait pour le deuxième broyeur. Pfff… dans ces carcasses, il n’y a que des muscles et pas la moindre trace de cervelle.
— Je ne peux rien faire », gémit Harrison, accablé.
Schram ouvrit des yeux ronds.
« Mais vous venez d’arrêter le deuxième broyeur avec la seule force de votre pensée ! Alors, pourquoi…
— Je suis désolé, murmura l’enfant, les larmes aux yeux, je suis vidé. Ma pensée ne fonctionne plus. »
Schram sentit sa tôle vibrer. Les Robots Exécuteurs des Basses Besognes avançaient en rangs serrés, d’un pas lourd et cadencé. Leurs cuirasses étincelaient sous l’astre solaire. D’eux émanait une force colossale que rien ne semblait pouvoir arrêter.
Cela se passait dans un tribunal d’un autre âge. Les deux aiguilles sur le cadran vissé au mur n’avaient pas bougé depuis une éternité.
C’était une salle désuète ; les sièges réservés au public n’étaient que de simples bancs de bois raviné par le temps ; le plancher était vermoulu, fendillé, figé dans une couche noirâtre de crasse, les murs jaunis, défraîchis, et en certains endroits la peinture cloquait. Une vague odeur de cire, de vieille sueur, de peur suintante flottait dans l’air.
Face aux bancs, l’estrade, et, posée dessus, une table massive. C’est là que le juge officiait.
Cet endroit, La Voix de l’Ordinateur Central avait décidé de le conserver comme il était. C’était un vestige du passé, or tous les vestiges du passé avaient été éradiqués, mais La Voix affectionnait ce tribunal tout particulièrement. Elle chérissait ce rituel qui dramatisait la sentence et terrorisait le prévenu.
C’était en fait la seule coquetterie que s’autorisait l’Ordinateur Central.
Pour conserver le tribunal en l’état et pour qu’il ne se dégrade pas, les chimistes, sous la direction du Dr Ziegler, l’avaient aspergé d’un puissant fixateur qui avait figé tout pour les millénaires à venir. Les vers incrustés dans le bois du parquet avaient été stoppés dans leur travail de sape et statufiés. Les bancs étaient devenus durs comme de l’acier. Les murs jaunis avaient arrêté de se dégrader. Les molécules de cire et d’odeurs corporelles avaient été pétrifiées. Il y avait bien longtemps que la toile d’araignée dans l’encoignure ne dansait plus au gré des courants d’air : elle s’était solidifiée.
La seule bizarrerie à l’ordonnancement de la salle du temps passé était l’écran géant. Derrière la table, ce n’était pas l’homme de loi qui rendait la justice, mais La Voix. Sur l’écran, elle apparaissait, le visage poudré, les yeux de braise, un chapeau noir de magistrat posé sur une perruque, avec des bigoudis.
L’atmosphère était glaciale de solennité.
Dans le box des accusés se tenaient Schram et Harrison, tétanisés, debout à l’ombre de quatre Robots Exécuteurs des Basses Besognes. Quatre mains de fer posées sur leurs épaules les clouaient au sol.
Schram était livide. Harrison baissait les yeux, ne comprenant plus très bien comment son histoire l’avait mené là où il était maintenant. Lui qui croyait être un enfant sans problème. Un enfant facile. Et puis, sa timidité maladive aurait dû en faire un petit garçon effacé. Or le sort s’acharnait sur lui. Il se retrouvait sur la sellette sans le faire exprès. En pleine lumière, sans le vouloir.
Les bancs étaient vides. Le public n’était jamais convié à ces procès d’opérette, organisés seulement pour le contentement de La Voix.
Pourtant, cette fois, il y avait une exception. Le père de Harrison avait été convoqué. Il se tenait debout, au garde-à-vous, vêtu de sa combinaison gris fer et d’un ceinturon clouté. Son visage était lisse, sa peau couleur cire.
Le père de Harrison était un des membres du Parlement terrestre. Il était douloureusement honteux d’avoir un fils inadapté. Inapte à vivre parmi les siens comme il convenait. Le père avait échoué à éduquer son fils. Devant La Voix, il devait répondre de sa négligence, de son incompétence. De son crime.
« Nom ?
— Fox.
— Prénom ?
— Igor.
— Fonction ?
— Membre du Parlement terrestre. »
L’homme hésita, puis lâcha, comme à contrecœur :
« Et père de Harrison.
— Pourquoi êtes-vous ici ?
— Je suis coupable d’avoir laissé Harrison pousser comme une herbe folle. Je désirais être un éducateur à la hauteur, mais j’ai failli.
— Il ne s’agit pas de désir. Il s’agit d’appliquer les Règles. Le désir est une substance toxique.
— J’aurais dû rectifier cet enfant. Je n’ai pas fait ce que je devais.
— Le regrettez-vous ?
— Je donnerais ma vie pour effacer cette honte.
— Vous ne donnerez votre vie que si on vous le demande ! » fit La Voix d’un ton sec.
L’homme se figea davantage. Pâlit légèrement.
« Je vous prie de m’excuser. Ma vie ne m’appartient pas. Elle vous appartient. »
Puis le visage sur l’écran s’adressa à Harrison, d’un ton de miel :
« Au vu des rapports des mouchards, le premier broyeur, qui devait faire de vous des confettis, a été mis hors d’usage à l’aide d’un entrelacs de toiles d’araignée. Qu’avez-vous à dire à ce sujet ? »
Harrison sentit le froid pénétrer ses os. Qu’allait-il dire ? Qu’une araignée ingénieuse les avait tirés d’affaire en tissant à toute allure une toile très serrée qui avait permis de bloquer les pales ? La Voix aurait alors un hoquet de rage. On ne se moquait pas impunément de l’Ordinateur Central… en disant n’importe quoi. Et pourtant, c’était bien la vérité, aussi invraisemblable qu’elle puisse paraître. Mais la vérité est parfois inracontable.
Se retenant pour ne pas faire pipi – de frayeur –, Harrison souffla :
« Je… je ne sais pas ce qui s’est passé. »
Silence.
Le silence se prolongea. Insoutenable.
L’atmosphère se crispait.
Schram fit craquer ses jointures. Harrison était décomposé. Il eut même un instant l’impression que son cœur allait se décrocher.
« Passons au deuxième broyeur, susurra enfin La Voix. Vous aurez là sans doute davantage d’explications à me donner. Les ingénieurs ont été incapables d’expliquer ce qui s’est passé. Ce broyeur s’est littéralement autodétruit. »
Harrison déglutit. La sueur, en minces rigoles, lui dégoulinait dans le dos.
Il eut du mal à articuler :
« Je… je ne sais pas ce qui s’est passé.
— Bien sûr, fit La Voix, vous ne savez pas ce qui s’est passé.
— Non, dit Harrison, d’une voix à peine audible.
— L’ennui, Harrison, c’est que les broyeurs devaient vous faire disparaître. Or, rien ne s’est passé comme prévu, alors que tout doit toujours se passer comme prévu. C’est la Règle ! Et la population a grondé. Il est toujours terriblement fâcheux de décevoir la population. Je déteste les trouble-fêtes ! »
Elle hurla :
« Vous avez gâché MA fête ! »
Elle s’égosilla, s’étranglant presque :
« Je dois vous trouver une autre punition ! »
Et dans un hoquet sanglotant :
« Je ne veux plus que vous détraquiez mes broyeurs, mes trésors…  »

3Le clair de Terre

Dans un moment de lassitude, Harrison avait posé sa tête casquée sur l’épaule de Schram.
Ils observaient en silence au loin dans l’espace le clair de Terre.
« J’ai l’impression qu’on bouge, murmura Harrison.
— Oui, chuchota le robot, la Lune tourne sur elle-même et elle tourne autour de la Terre, et la Terre tourne sur elle-même et aussi autour du Soleil.
— Hum… pourquoi tous ces mouvements ? demanda Harrison, songeur.
— C’est une danse », répondit Schram avec douceur.
Soudain, l’œil de l’enfant s’alluma :
« Schram, est-ce que… est-ce qu’il y a d’autres Terres avec des enfants dessus ?
— Oh ! monsieur Harrison, nous savons, nous, depuis fort longtemps qu’il y a des robots ailleurs. Des tas de robots sur des tas de planètes.
— Alors, alors ! s’écria Harrison, enchanté, s’il y a des robots, il y a des hommes ! »
Schram poussa un profond soupir :
« Je ne peux pas vous dire, monsieur Harrison. Il nous arrive de capter des informations de nos frères de métal. Et à dire vrai, il n’a jamais été question de vos semblables, des robots avec de la peau et deux cent quatre-vingt-huit os… le compte est bon, me semble-t-il… et cinq litres de sang tiède.
— Cela voudrait dire, fit l’enfant, désappointé et presque vexé, qu’il y a énormément de robots et pas beaucoup d’humains.
— C’est possible, oui, tout à fait possible, monsieur Harrison, mais je suis, hélas ! dans la plus totale incapacité de pouvoir vous fournir une réponse. Ah ! monsieur Harrison, quel dommage que votre arrière-arrière-grand-père que j’ai eu le grand honneur de servir pendant si longtemps ne soit plus là ! C’était un poète, et, aussi étrange que cela puisse paraître, il trouvait les réponses aux questions qu’on lui posait. »
La base avait été désertée. Elle était constituée de plusieurs bâtiments gris, énormes, tout en aspérités, construits avec de la pierre lunaire. Des hublots, tels des yeux sombres, trouaient les surfaces et de longues antennes recourbées étaient regroupées sur le dessus des structures. Cela donnait des visages monstrueux avec plusieurs yeux et une touffe de cheveux.
Ce village avait fait autrefois l’objet d’une activité intense. Des Terriens, sur ordre de La Voix, avaient été déportés en nombre sur la Lune afin de mettre en œuvre un projet de colonisation de l’espace. La Lune avait été la première étape. Mars fut la deuxième.
La Voix souffrait de ne devoir régner que sur ce caillou ridicule, la Terre, perdu dans une banlieue lointaine de la galaxie. Son ego avait enflé démesurément ; la Terre ne lui suffisait plus. Il lui fallait à présent étendre ses tentacules sur tout ce qui flottait dans l’espace – planètes, astéroïdes, lunes, soleils.
L’Ordinateur Central se préparait à dominer TOUS les mondes. Cet objectif atteint, il s’envelopperait dans un manteau d’hermine et se ferait couronner Empereur de l’Univers.
Au commencement, il avait fallu la construire, cette base, pour abriter les scientifiques et leur famille, une tâche terriblement ardue au milieu de ce paysage de roches, d’où ne suintait aucune goutte d’eau. Pour cela, La Voix y avait propulsé les enfants qui ne rentraient pas dans le rang, à savoir les Entêtés, les Dissipés, les Questionneurs, les Raisonneurs et les Rêveurs. C’était là une façon fort pratique de se débarrasser des Casse-pieds tout en les faisant travailler durement, dans des conditions éprouvantes. Les peines étaient plus ou moins lourdes. Les successions de hautes et de basses températures mettaient à rude épreuve leur organisme. Selon qu’il faisait jour ou nuit, la température pouvait grimper à + 110 °C, pour ensuite chuter à – 180 °C.
Quant au résultat, il était toujours le même : lorsqu’ils rentraient enfin chez eux, sur la planète bleue, ces pauvres hères, harassés, amaigris, desséchés, terrorisés d’avoir passé durant de longs mois, chaque jour, une douzaine d’heures à casser des rochers pour édifier la base et les douze autres heures enfermés dans des cellules transparentes, étaient devenus pareils à des mollassons ou à des paillassons.
Puis le projet d’aller sur Mars avait mûri et abouti. Les scientifiques et leur famille avaient alors délaissé la base et embarqué dans un immense vaisseau en forme de paquebot. Ils étaient partis à la conquête de Mars. Pour un voyage de plusieurs mois.
Quant aux terrassiers-prisonniers encore présents, ils avaient été entassés dans une navette-galère qui s’était calée dans le sillage du paquebot. Une fois sur Mars, ils avaient été affectés à la construction de la nouvelle base. Au bout de leur pioche, ils ne remuaient plus de la roche lunaire, mais de la roche martienne.
Il n’y avait plus personne sur la Lune.
« Trois cent soixante-cinq jours ! »
Le verdict était tombé.
Schram et Harrison étaient condamnés à une peine de trois cent soixante-cinq jours de bagne lunaire.
Le robot se mit à grignoter ses ongles. Harrison n’eut aucune réaction. Il était sans force. La flamme qui brûlait en lui vacillait.
« Ce soir, au coucher du soleil, vous embarquerez dans une navette-cellulaire. Ensuite, vous serez parachutés sur le sol lunaire. »
La Voix se gratta la gorge, et lança :
« La base est vide, à présent ! »
Puis, sur un ton triomphant :
« Nos scientifiques et leur famille sont sur Mars ! Ils ne reviendront jamais sur Terre ! Une colonie pénitentiaire, heu… je veux dire martienne, existe enfin ! »
Et d’une voix grandiloquente :
« Mars nous appartient ! Ensuite, nous irons plus loin. Ah ! ah ! toujours plus loin ! »
Harrison imagina La Voix aller jusqu’au bord de l’univers et chuter dans le vide pour disparaître à jamais.
Sur le sol lunaire…
Schram et Harrison ne comprenaient pas très bien ce qu’ils allaient faire, seuls, au milieu de cet endroit désolé.
La Voix, comme si elle avait deviné leurs pensées, susurra :
« Vous serez les gardiens de la base ou du village fantôme, si vous préférez. Là-bas, il ne se passe rien. Votre tâche consistera à surveiller ce rien. Vous êtes condamnés à mourir d’ennui. »
Elle ricana doucement :