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"Chaque vie porte une énergie et l'énergie jamais ne disparaît. Elle devient image, odeur, souvenir. L'équilibre persiste, même au-delà de la mort. Un fil ténu qui reste accroché à la porte qui s'est refermée..." Christian et Olivier sont deux frères que tout oppose. Quand le premier, médecin réputé et reconnu, disparaît lors d'une mission humanitaire en Afrique, le second se plonge corps et âme dans son travail à Paris. Deux ans plus tard un colis en provenance de la Mauritanie fait soudain resurgir leur passé. Olivier décide alors de partir sur les traces de son frère pour enfin faire face à ses peurs et obtenir des réponses à ses interrogations. Dans son roman Jean-Pascal Ansermoz nous emmène dans une Afrique hostile et magnifique, un continent qui est mémoire et berceau de fraternité mais où la vie n'est jamais bien loin de la mort, les souvenirs jamais loin de la folie...
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Seitenzahl: 189
Veröffentlichungsjahr: 2014
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Tour à tour nouvelliste et romancier, il a su imposer une écriture fine, au regard poétique, portée par une manière d'observer l'intime et un sens inouï de l'observation. Il maîtrise totalement la concision du verbe: en deux lignes à peine, il plante le décor; en trois mots les sentiments se dégagent et le lecteur n'a plus qu'à se laisser porter....
Né en 1974 à Dakar (Sénégal), Jean-Pascal Ansermoz est une plume atypique de la scène littéraire en Suisse. Il passe son baccalauréat à Bâle avant d'entamer ses études à Lausanne. Depuis 2009 il écrit aussi en langue allemande. Il vit à Guin, près de Fribourg, en Suisse.
Retrouvez-le sur www.jpa.ch
Facebook: www.facebook.com/jpansermoz
«Ce qui embellit le désert c'est
qu'il cache un puits quelque part.»
Antoine de Saint-Exupéry
Le petit prince
«Ce que le temps nous a donné il le reprend
Amant dérisoire au milieu de la nuit
Je ne me souviens que du jour et je pleure
Voilà des vers anciens comme un chapelet
Que j’égrène tandis qu’à la fenêtre je
Regarde passer la lune où dorment les morts»
Jean Ristat
Ode pour hâter la venue du printemps
Prologue
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29
Chapitre 30
Chapitre 31
Chapitre 32
Épilogue
(Quelque part en Mauritanie, mars 2005)
Lorsqu’il arriva en haut de la colline, ses pires soupçons devinrent réalité. Depuis quelques kilomètres déjà, il voyait les colonnes de fumée s’élever vers le ciel et alors qu’il se dirigeait vers elles, tout au fond de lui, il espérait se tromper. Un coup d’œil vers la vallée toute proche le rappela douloureusement à la réalité : du village qu’il s'attendait à trouver, ne subsistait qu’un tas de cendres, des points noirs fumants et des débris un peu partout. Les larmes montèrent et il dut s’asseoir un moment. La marche forcée pour atteindre ce coin reculé du pays, la fuite et ce dernier espoir qui s'évaporait l’avaient épuisé. Il n’avait guère mangé depuis quarante-huit heures et le tableau de désolation qu'il découvrit eut raison de ses dernières forces. Le vent doucement caressa son visage et y sécha ses larmes. Il ne la trouverait probablement plus à temps si elle était encore vivante.
Le pays était en feu et les hommes en colère.
Il n'y avait que Dieu qui gardait le silence.
Finalement il se releva et alla s’abriter des regards. Il prit un instant pour contempler une dernière fois ce qui fut, autrefois, avant la folie des hommes, l'un de ses derniers espoirs. Espoir qui abritait dans le creux de son histoire la poésie des soirées d’été où les cigales chantaient, où les herbes purifiaient les pensées d’orage. À présent, tout ce qui lui restait, était le temps qui s'écoulait. Mais pour qui, pour quoi ? Il s’enfonçait dans des pensées grises comme le sable autour de lui.
Il observa d’éventuels mouvements en contre bas, ne vit pourtant aucun signe de vie. Mais il savait que l’absence de signe pouvait tout aussi bien être un avertissement. Il resta ainsi un bon moment, se défendant des souvenirs d'un passé révolu, récupérant de sa longue et pénible marche à travers le désert. Mais le pire était à venir, car il savait qu’il lui fallait descendre dans les décombres afin de faire ce pour quoi il était venu de si loin.
(Paris, début juillet 2005)
Lorsqu’Olivier sortit du bistrot ce soir-là, il s’arrêta un instant. Et le monde s'arrêta avec lui. La porte se referma sur le brouhaha des voix à l’intérieur.
Il eut le sentiment de renaître.
Un vent tiède parcourait des rues dépeuplées et malgré la luminosité des réverbères, il entrevit quelques étoiles. Un instant tout rentra dans l'ordre. Il se sentit fatigué, mais en paix avec la journée écoulée et n'avait pas vu le temps filer entre les verres de bière. À présent il se réjouissait de rentrer chez lui, même s'il savait que la solitude qui l'attendait dans son appartement du dix-huitième arrondissement aurait tôt fait de lui ôter son sourire intérieur. Il soupira.
La porte d'un immeuble d'en face s'ouvrit sur un chien en laisse et son maître qui le suivait. Le chien s'impatientait, il avait dû attendre cette sortie toute la journée l’œil sur le cadran de la grande horloge de la cuisine, sachant que, lorsque les aiguilles se rejoindraient, son maître éteindrait la télévision pour aller chercher son manteau et la laisse.
Il les regarda s'en aller. L'un marchant tout droit, l'autre en furetant à gauche et à droite. C'était un jeune chien, la démarche fébrile et un peu gauche, propre à la jeunesse en mal de découverte.
Olivier partit dans le sens opposé. L'alcool lui avait embrumé la tête, ses pensées circulaient lentement. Une lourdeur agréable emplissait son corps. Il n'avait qu'une envie, dormir.
Arrivé sur le seuil de son immeuble, il maugréa contre le concierge qui n’avait toujours pas remplacé l'ampoule au-dessus du clavier digicode. Il sortit son portable et éclaira le clavier du mieux qu’il put, s’approcha des chiffres qui bougeaient devant ses yeux. Finalement après un essai infructueux il réussit à taper le bon code. Le monde chancelait un peu plus à présent et il dut s'appuyer un instant. Puis il poussa la grande porte ; l'entrée était tout aussi mal éclairée que le seuil. D'un geste machinal et mille fois répété, il vérifia sa boîte aux lettres, en sortit un tas de publicités et, à sa grande surprise, une grande enveloppe cartonnée.
La découverte le dessoûla un instant. D'abord il crut à une erreur mais le colis lui était bel et bien adressé. Un trouble le prit lorsqu'il vit que celui-ci provenait de Mauritanie. Il hésita un instant, puis ferma les yeux. Quelque chose en lui commençait à bouger. Les images étaient bien là, au fond de lui, quelque part, mais il ne put les rattraper. Il n’essaya pas longtemps du reste car son malaise s’amplifia.
Il ferma précipitamment sa boîte aux lettres et prit l'escalier de gauche pour monter au deuxième étage. Il n'aimait guère les ascenseurs et même soûl, comme il l'était, Olivier n'arrivait pas à dépasser cette peur.
Puis la porte se referma sur ses pas et le silence revint s'installer dans la cage d'escalier.
Il était près de deux heures du matin.
Lorsqu'il se réveilla le lendemain, il mit du temps à retrouver ses esprits. Un rais de lumière filtrait dans la pièce par la porte du séjour. Tout son corps lui faisait mal. Il avait froid et un goût amer dans la bouche. Un marteau piqueur lui transperçait le crâne. Heureusement qu’il vivait seul, personne ne pouvait le voir dans ce piteux état. Il se leva difficilement, rejoignit la salle de bain. Ses yeux cernés et l'équilibre fragile de son estomac témoignaient de la nuit d'excès. Il se passa de l'eau froide sur le visage et les cheveux, se brossa les dents et se sentit mieux en quittant la pièce.
Un matin gris et pluvieux attendait devant ses fenêtres. Il les ouvrit grandes à la cuisine, puis se prépara du café. Quelle heure était-il? Presque huit heures. Il lui restait une demi-heure.
Dehors les oiseaux accueillaient le jour. Au loin les bruits de la ville.
Rassurant. Consolant. Le monde ne lui en voulait pas.
Puis il se souvint du colis. Il se trouvait sur la table de la cuisine et pendant que le café coulait, il le prit entre ses mains et regarda à nouveau son adresse que quelqu'un avait écrite à la main.
Soudain il comprit, ses jambes se dérobèrent. Il dut s'asseoir, respirer un instant. La dernière fois qu’il avait entendu parler de la Mauritanie remontait à presque deux ans.
C'était son frère, Christian, qui lui en avait parlé.
Et Christian avait disparu depuis.
Dès son entrée dans l'agence de voyage Olivier sentit que quelque chose n'allait pas, mais il était trop préoccupé. Par manque de courage peut-être, par manque de temps assurément, il n’avait toujours pas ouvert le paquet qu'il avait emporté avec lui.
Comme à son habitude il avait un quart d'heure de retard sur l'ouverture de l'agence. Vincent, son collègue, lui fit un geste de la tête en indiquant le bureau de Daniel Dupont, le responsable d'agence, tout au fond d'un petit couloir, juste à côté de la machine à café. Olivier hocha la tête, il avait compris. Ils avaient de la visite. L'agence appartenait à une chaîne de voyage et ces derniers temps, il n'y avait plus assez de clients. Du moins c'est ce qu'il en avait conclu lors de la dernière assemblée du groupe.
Olivier s’installa à son poste et peu de temps après des bruits de chaises se firent entendre. Lorsque Dupont sortit de son bureau, son visage ressemblait à une journée de pluie de novembre. À pas feutrés, comme s'il ne voulait pas faire trop de bruit, il s'approcha d'Olivier.
- Vous avez un moment ?
Sa voix sortit Olivier de ses pensées. Il fixa un instant son air sérieux.
- Oui bien sûr. Maintenant ?
Son responsable acquiesça de la tête. Il se leva et le suivit. Il sut soudain ce qui allait arriver et sa gorge se noua. Certes, c’était là peut-être la meilleure chose dans sa situation. Il n'aimait pas la nouvelle manière de gérer l'agence, lui qui depuis vingt ans en faisait partie. Il se sentait espionné, manipulé. Mais il savait aussi qu'il manquait de courage pour changer les choses. Une partie de lui qu’il n’aimait pas.
Le couloir lui parut plus long qu'à l'accoutumée. Dupont resta à côté de la porte ouverte, lui fit signe d'entrer le premier. L'atmosphère à l'intérieur du bureau était pesante. Olivier déglutit en voyant les deux hommes en costard cravate qui le mesuraient du regard. Poliment il les salua et s'assit sur la chaise qu'on lui désignait pendant que Dupont faisait le tour de son bureau. Mais ce n'est pas lui qui parla le premier. On lui rappela la situation du marché, le peu de clients qui poussaient la porte de l'agence. La société devait dès lors faire face à d'autres situations, parer à un avenir incertain. On avait remarqué son manque d'enthousiasme ces dernières semaines, ses retards à répétition le matin…
Quelques minutes plus tard Olivier sortit du bureau. On lui avait donc annoncé son licenciement. Bien entendu il aurait une indemnisation parce qu'on n'était pas comme ça non plus. Et il pouvait disposer immédiatement de son nouvel avenir. Sourires entendus. La totale. Il n'avait rien répondu. Que pouvait-il bien ajouter ?
Dupont l'accompagna à son bureau, attendit gêné qu’il éteigne son ordinateur et rassemble ses effets personnels. Il n'avait pas grand-chose, à vrai dire. Autre signe peut-être qu'il ne se sentait plus vraiment à l'aise. Olivier sentit les regards interrogateurs de Vincent. Il lui jeta un coup d’œil, le sourire crispé. Vincent fronça les sourcils, il avait compris. Olivier prit sa sacoche et l'enveloppe blanche que lui tendit Dupont. Son ancien responsable n'osait plus le regarder dans les yeux, il ne vit donc pas que tout cela lui était bien égal, qu’au contraire il paraissait soudain presque euphorique. Libre en tout cas.
Il s'était installé dans son café habituel. Là où il passait la plupart de ses pauses. Le garçon ne lui posa pas de question quant à son heure d'arrivée inattendue, il se contenta de lui préparer son café avec un peu de lait et son verre d'eau, comme il le buvait chaque jour depuis une vingtaine d'année.
Olivier regarda un instant dehors. Le ciel était lourdement chargé et ne se dégagerait probablement plus aujourd'hui. Une tristesse grise. Un peu comme ce sentiment de nuages qu'il portait en lui. Bien sûr, il se sentait vraiment soulagé mais l’inquiétude masquait cette sensation. Il avait quarante-trois ans et il avait toujours travaillé dans cette agence. Et maintenant ?
Une bonne demi-heure s'écoula pendant laquelle il suivit le fil de ses pensées. Il réfléchit puis soupira, il n’avait pas trouvé ne serait-ce que l'étincelle d'une idée.
Laisse tomber, se dit-il. Vaut mieux ne pas y penser.
Son regard se posa dehors quelque part et il resta dans le vague. Mais ses pensées vagabondes revenaient toujours et encore à ce qui s'était passé le matin même. Le garçon essuyait des verres derrière le comptoir. Un autre client était en train de lire le journal un peu plus loin. Sur l'écran de la télévision qui était accroché au mur défilaient des clips vidéo. On avait coupé le son et allumé une radio.
L'heure des nouvelles.
Et puis il heurta sa sacoche du pied. Un instant il la contempla, comme s'il la voyait pour la toute première fois. Il l'ouvrit et en sortit le fameux colis qu'il avait trouvé dans sa boîte aux lettres la veille au soir.
Il expira profondément et défit l'enveloppe. Il en sortit un journal de bord, qui avait visiblement vécu. Une petite carte dépassait. Il la sortit.
Son cœur fit un bond lorsqu'il la reconnut.
Olivier avait emménagé il y a deux années de cela dans un appartement pas trop cher du dix-huitième arrondissement. Il avait écrit des cartes pour signaler son changement d'adresse. Celle-ci était la carte qu’il avait envoyée à son frère.
Il prit le livre en main, le soupesa, le sentit puis il l'ouvrit au hasard et commença à lire.
« Les plus grands déserts du monde se rejoignent ici.
Ce sont de vastes plaines de tristesses où la solitude brille sur des rêves que tout le monde semble avoir oublié, sur cette unité première qui nous laisse impatients. Je pouvais voir, au loin, un chalutier bousculé par les vagues grises. Son mouvement, il tanguait dangereusement, me fit penser à une marionnette qui s’agitait entre une dune d’eau grise et le ciel, gris lui aussi, mais nuancé, portant en lui les vestiges de lumière d’un été que le vent était en train d’évacuer à fortes rafales. Du moins depuis l'endroit où je me trouvais, je n’enviais en rien le personnel naviguant au large. La lumière diffuse ne me permettait pas de savoir quelle heure il était et finalement peu m’importait. Chaque moment est fidèle à lui-même. C’est un peu comme les rencontres. Le hasard se cache derrière un sourire, croit-on, et puis on s’aperçoit que non, que les hasards de la vie ne sont que la manifestation d’une volonté, d’une envie, d’une passion.
Je me promenais au bord de la mer dont je perçus le souffle haletant des vagues qui venaient s’échouer avant de s’en aller à nouveau. Mon regard vit une boîte de Coca abandonnée que le courant charriait. Point rouge dans un désert gris. Je vis en elle un instant le soleil d’été tomber sur une peau claire, luisante, un parasol coloré, des lunettes de soleil, un grand linge. Un livre peut-être, des enfants dans l’eau et à peu de choses près j’arrivais même à sentir l’odeur de la crème solaire, essence de noix de coco, émanations de vanille.
La solitude des dunes de sable et l’étendue de celle composée d’eau se rejoignaient sur les traces de pas que je laissais derrière moi. J’étais un funambule marchant sur le fil de ma vie. Les éléments dessinaient sur mon visage une certaine mélancolie. Si je me suis trouvé dans ce lieu, c’est que je voulais goûter à ma solitude, la vivre, lui tenir la main une nouvelle fois. Et lorsque les mots cesseront de virevolter dans ma conscience, lorsque cet automne de feuilles mortes cessera de hanter mon ciel intérieur, alors le calme pourra s’installer, enfin. Ne plus devoir y penser serait une forme de paix retrouvée. Il neigera peut-être un jour, pour adoucir ou pour enterrer ces couleurs qui me font encore plisser les yeux aujourd’hui. Certains soleils brillaient trop forts, certaines peines brûlaient l'âme. Alors le gris, je l’aimais bien dans ces moments-là.
Les gens qui vous entourent sont pleins de bons conseils. Ils croient savoir ce qui est juste ou pas, ce qui vous est permis de faire ou de croire et ce qui ne l'est pas. Mais ils ne savent pas. Ils croient savoir, ils pensent savoir, mais ils ne savent pas. Il faut du temps. Du temps pour grandir, du temps pour se souvenir. Du temps pour aimer à nouveau.
Je sais. De toute façon je ne connais pas assez de nombres pour tous ces sentiments infimes que notre histoire a éveillés et réveillés en moi. Nous sommes tous des êtres de circonstances, dans un mouvement incessant, happés par l’Histoire ou une autre, plus petite, balancés tels des chaloupes dans les vagues d’une mer infinie.
C'est que j’ai eu l’impression de tanguer un peu, moi aussi. »
Il reconnut les mots, l'écriture. Fine, ciselée, elle grimpait légèrement sur la page. Olivier n'eut plus aucun doute. C'était bien l'écriture de Christian.
Soudain il sut alors ce qu'il devait faire.
Il reposa le journal doucement devant lui, comme s'il avait peur de l'abîmer. Devant son œil intérieur apparut le visage d'une femme, puis la tombe de ses parents et, silencieusement, comme un appel, une autre image s'imposa: il vit des couleurs ocres et beiges, des arbres aux troncs ventrus, aux bras étoilés et au dos tassés. Un peu comme une évasion possible. Enfin. Olivier ne pouvait nier le fait de se sentir à l'étroit dans le désert de cette ville. Depuis des mois il sentait l'ennui s'installer. Il avait cru être le dernier de la famille. Sans compagne, sans enfants, ses parents et son frère disparus, il avait passé plusieurs soirées à voir sombrer le sens de sa vie.
Mais ce journal ouvrait une autre porte. Tout redevenait de l'ordre du possible.
Comme une faim qu'on découvre, une fièvre qui lentement prend possession de votre corps et puis vous rend à la vie, l'idée avait grandi jusqu'en début d'après-midi et c’est naturellement qu’Olivier se rendit dans une agence pour arranger son prochain voyage. Tous les préparatifs achevés, il n’avait plus qu’à attendre de prendre l’avion qui l’emmènerait vers son frère.
Elle arriva vers trois heures. Il entendit sonner la cloche de l’église toute proche.
Lorsqu’elle entra, il y eut un rayon de soleil. Elle éclaboussait tout sur son passage. De minuscules gouttelettes de lumière qui s’accrochaient au bar qu’elle longeait, aux manteaux, aux cheveux, aux regards des autres. Elle chassait les parts d’ombre et lui revenait, tel un ange blond et fatigué. Elle arborait un sourire comme on porte du Chanel.
Elle portait l’espoir d’une aube.
Olivier avait décidé de ne rien lui dire à propos du journal. Le souvenir du monde qui s'écroula pour elle le jour où elle apprit la disparition officielle de Christian en Afrique était encore trop présente. Il se souvint de sa beauté lors de leur première rencontre. Elle en avait gardé le rayonnement d'antan sous le fard qui essayait de couvrir son chagrin récent. Ses yeux cernés témoignaient des heures passées à tenter d’apprivoiser la nouvelle. Le déni aux commissures de ses lèvres, la colère dans les rides sur son front dégagé et la résignation dans le bleu de ses yeux. Une aura de mélancolie l'entourait quand elle se perdait en pensées. Curieusement cela la rendait encore plus belle.
Tandis qu’elle s’approchait de sa table, il les imaginait un instant. Céline et Christian. Un nouveau siècle pour un nouvel amour. Pas une rencontre eut lieu ici-même, mais des retrouvailles. Olivier avait été jaloux de leur complicité, de cette force qui se dégageait de leur couple. Depuis il ne croyait plus au hasard. Avaient-ils été servis par la même serveuse ou avait-elle eut congé ce jour-là ? Et celui qui s’accoudait au bar, le paquet de cigarettes à portée de main, tel un habitué du grand large, aux épaules solides et aux yeux voyageurs. Avait-il eu l’occasion d’assister à la coïncidence de deux probabilités ?
Elle s'assit en face d'Olivier, lui sourit timidement, comme elle le faisait à chaque fois qu'ils se rencontraient. Une gêne subsistait. Christian avait disparu et avec lui toute une vie. Que voyait-elle à présent en Olivier ? Le témoin d'un passé ? Simplement le frère d'un mari disparu ?
Chaque silence commence par une impatience. L’instant était fragile. Lorsque Christian lui avait présenté Céline, il avait eu mal. Un mal de vivre comme on a le mal d’un pays. Il savait reconnaître le bonheur.
Olivier aimait la mer, mais il avait toujours eu peur des îles.
Une île de beautés.
Et il eut honte de vouloir mourir.
- Comment ça va? lui demanda-t-il en faisant un signe au serveur.
Elle hocha la tête en guise de réponse, demanda une eau gazeuse et suivit le garçon des yeux. Elle n'avait pas ôté son manteau. Elle était consciente de l'effet qu'elle produisait, des regards qu’elle attirait. Olivier, jaloux, but une gorgée de café.
- Merci d'être venue boire un verre.
Elle le regarda un instant avec une tendresse qui le surprit.
- Je voulais juste te dire que je pars en voyage dans une semaine.
Le serveur revint avec la bouteille d'eau gazeuse et le verre qu'il déposa devant elle.
- Merci, fit-elle. Mais elle ne posa pas de questions.
- J'ai été viré ce matin et j'ai besoin de changer d'air.
- Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda-t-elle en se versant de l'eau dans son verre. Elle le regardait à présent.
- Ils m'ont parlé de la crise économique, des chiffres, de l'avenir de l'entreprise.
Elle ne réagit pas, croisa les jambes, posa l'avant-bras sur une cuisse, le verre à la main.
- Ils ne savaient pas vraiment comment me dire que j'étais de trop. Bref, je suis venu ici et j’ai réfléchi à mon avenir. Et puis j'ai eu l'idée de tourner le dos à Paris un moment. Aller m'aérer où il fait plus chaud.
Il s'attendait à une question. Mais elle ne la posa pas. Ce n'est que bien plus tard qu'il assimila son silence à la peur. Elle avait peur de la réponse qu'il pourrait lui donner. Elle n'avait pas envie de savoir qu'il partait en Afrique. Et il s'en voulut de l'avoir appelée.
- Et toi, comment vas-tu ?
Elle reposa son verre sur la petite table avant de répondre. La question était saugrenue, Olivier le savait pertinemment.
- Ça va, dit-elle d'une voix lasse. Le quotidien quoi.
Elle lui fit un sourire forcé, fatigué. Au bord d'un certain désespoir.
- Et si tu te prenais quelques jours pour te reposer ? lui proposa-t-il.
Elle sourit.